B. L'ÉTAT ACTIONNAIRE, VERS UNE NOUVELLE ÉVOLUTION DE LA DOCTRINE D'INTERVENTION DE L'APE

1. La doctrine de 2017 a largement été remise en cause

Alors que recentrage du portefeuille de l'APE, décidé dans le cadre de la doctrine de l'État actionnaire définie en 2017 devait accentuer le rôle des cessions de participations dans le désendettement de l'État et le financement les besoins de croissance des autres entreprises du portefeuille, la crise sanitaire a conduit à modifier radicalement l'approche de l'APE. La Cour des comptes estime d'ailleurs sur ce point que « le contexte nouveau rend en partie obsolète la doctrine des actionnaires publics, en particulier celle de l'APE . » 35 ( * )

Deux évolutions principales sont à relever :

- premièrement, l'interruption du programme de cessions et de « respiration » du portefeuille engagé depuis 2017 ;

- deuxièmement, le recours aux interventions en capital comme outil de soutien à l'économie.

Cette inflexion de la doctrine d'intervention de l'APE est salutaire : elle admet en effet explicitement le recours à l'intervention en capital comme outil de politique économique. Un tel choix correspond à la conviction profonde du rapporteur spécial, qui avait dénoncé le choix initial du Gouvernement en 2017 d'atrophier la stratégie de l'État actionnaire.

Sous couvert d'une respiration du portefeuille et d'un objectif de financement de l'innovation dite « de rupture », la nouvelle doctrine a rapidement démontré ses limites . Les évolutions intervenues depuis 2017 vont toutes dans le sens des analyses posées alors par le rapporteur spécial.

En effet, alors que le rapporteur spécial avait souligné dès 2017, lors de la création du fonds pour l'innovation et l'industrie (F2I), qu'il s'agissait d'un « projet risqué, dont l'opportunité doit être contestée » la rebudgétisation du F2I amorcée dans le présent projet de loi de finances constitue une avancée significative.

Alors que le fonds avait été doté d'une poche d'actifs de 10 milliards d'euros, le rendement de ces actifs devait permettre de financer différents outils en faveur de l'innovation et de l'industrie. La crise sanitaire a bien montré les limites d'une telle logique : en l'absence de dividendes suffisants, sa capacité de soutien à l'innovation a été amoindrie, à rebours de l'objectif de stabilité ayant, selon le Gouvernement, présidé à sa création .

Alors que le rapporteur spécial avait estimé l'an passé que le plan France 2030 « aurait pu offrir au Gouvernement une porte de sortie honorable pour débrancher le fonds pour l'innovation et l'industrie », il semble que le Gouvernement se soit rangé à cette analyse en re-budgétisant pour 2023 la dotation en numéraire du fonds.

Le rapporteur spécial avait en effet interrogé lors de l'examen du projet de loi de finances initiale pour 2022 le maintien d'une rémunération de 2,5 % par an pour la dotation en numéraire du F2I . En effet, la rémunération du compte étant assurée par l'État, celui-ci s'est trouvé contraint, au cours des dernières années, d'offrir une rémunération bien au-dessus des conditions de marché . Ainsi, le coût pour l'État du plancher de 2,5 % de rémunération était particulièrement important en 2020, alors qu'il empruntait à 0,47 % sur 50 ans.

La question de la dotation en actions de l'Epic Bpifrance n'est cependant pas résolue à ce stade. Le rapporteur spécial estime que ces titres devront faire l'objet d'un transfert rapide à l'APE.

2. Vers un retour à la stratégie de 2014 ?

Déjà lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2022, le précédent Commissaire aux participations de l'État, Martin Vial, avait indiqué travailler à la redéfinition d'une doctrine d'intervention de l'Agence .

Alors que la feuille de route de l'APE pour les cinq prochaines années n'a pas encore été définie, les principaux éléments de réflexion retenus à ce stade ne sont pas sans rappeler les principes retenus dans la stratégie de 2014 36 ( * ) , définie lors du quinquennat de François Hollande :

- le soutien auprès d'entreprises durement touchées par la crise , ce qui inclut en particulier le secteur des transports - aérien et ferroviaire ;

- le soutien à la souveraineté économique et à la réindustrialisation du pays, ce qui peut justifier une action de l'APE pour trouver un actionnariat français et durable de fleurons de notre économie ;

- l'accompagnement des transitions environnementales ;

- l'accompagnement face aux ruptures technologiques et numériques.

En tout état de cause, il apparaît nécessaire de mieux coordonner les interventions entre les différents détenteurs publics que sont l'APE, la Caisse des dépôts et Bpifrance. En effet, comme le relève la Cour des comptes dans son rapport de février dernier, il conviendrait « de mieux articuler les modes d'interventions des actionnaires publics et de coordonner leurs stratégies actionnariales, comme le recommandait déjà la Cour dans son rapport public thématique de janvier 2017 sur l'État actionnaire . » 37 ( * )

Alors que la répartition entre acteurs rend le suivi des crédits publics toujours plus complexe pour les parlementaires , il semble nécessaire de limiter les interventions conjointes entre entités publiques.

Outre la situation spécifique d'Orange, dont la détention est partagée entre Bpifrance et l'APE, les fonds de soutien sectoriels (Fonds avenir automobile par exemple) sont parfois l'occasion d'une intervention conjointe de l'APE et de Bpifrance que le rapporteur spécial ne peut que déplorer. Une clarification dans la répartition des rôles serait bienvenue .

Si la présence de différents intervenants est compréhensible, elle doit se trouver justifiée par des conditions d'intervention distinctes.


* 35 Cour des comptes, La gestion des participations financières de l'État durant la crise sanitaire, février 2022.

* 36 La stratégie de 2014 s'articulait autour des objectifs suivant :

- la souveraineté, pour contrôler les entreprises intervenant dans des secteurs stratégiques et sensibles ;

- les infrastructures et opérateurs de service public, afin de s'assurer de l'existence « d'opérateurs résilients pour pourvoir aux besoins fondamentaux du pays » ;

- l'accompagnement de secteurs et filières stratégiques pour la croissance économique nationale ;

- le sauvetage, lorsque la disparition d'une entreprise présenterait un risque systémique avéré.

* 37 Cour des comptes, La gestion des participations financières de l'État durant la crise sanitaire, février 2022.

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