II. SI ELLE EST IMPÉRATIVE, L'AUGMENTATION DES MOYENS BUDGÉTAIRES ALLOUÉS À LA JUSTICE NE PEUT FAIRE L'ÉCONOMIE D'UNE RÉFLEXION SUR LES PROGRÈS À ACCOMPLIR EN MATIÈRE DE GESTION DES CRÉDITS ET DES EMPLOIS

L'année 2023 doit être considérée comme une « année de transition » pour le budget de la justice : la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice 9 ( * ) a pris fin l'année dernière, un nouveau projet de loi devrait être présenté au début de l'année 2023.

Si la hausse tendancielle et dynamique des crédits alloués à la justice doit être poursuivie et tenue, le rapporteur spécial estime toutefois qu' elle ne doit pas consister en un blanc-seing donné au ministère et au Gouvernement . Il est plus que temps que la programmation des crédits s'accompagne d'un solide processus d'évaluation : la future loi de programmation ne pourra faire l'économie d'une réflexion sur l'amélioration de la gestion et sur la construction d'indicateurs de suivi fiables . Le ministère de la justice s'est trop longtemps retrouvé, pour citer Jean-Marc Sauvé, président du comité des États généraux de la Justice, « dans l'incapacité de relever les défis d'une gestion rigoureuse » 10 ( * ) . Cette situation doit changer, sans quoi la hausse des moyens n'aura que peu de répercussions sur l'amélioration du service public de la justice .

A. SOUTENIR LES MOYENS D'UN SERVICE PUBLIC DE LA JUSTICE « EN CRISE MAJEURE »11 ( * )

1. Les États généraux de la Justice, un constat sévère sur l'état du service public de la justice

Les États généraux de la Justice ont été lancés le 18 octobre 2021 par le président de la République. Après deux mois dédiés aux consultations, en ligne et sur le terrain, des ateliers thématiques ont été conduits avec les professionnels, pour formuler des propositions. En parallèle, deux ateliers dits « délibératifs » ont été organisés avec des citoyens pour approfondir certains sujets jugés « sources de débat ». Les recommandations ont été évaluées et restituées au début de l'année 2022, avant que le comité des États généraux de la Justice ne donne son avis, à la fin du mois de février 2022 .

Les 12 membres du comité des États généraux de la Justice

Jean-Marc SAUVÉ - Président du comité des États généraux de la Justice, Vice-président du Conseil d'État (2006-2018)

Chantal ARENS - Première présidente de la Cour de cassation

Yaël BRAUN-PIVET - Présidente de la commission des lois de l'Assemblée nationale

François-Noël BUFFET - Président de la commission des lois au Sénat

Bénédicte FAUVARQUE-COSSON - Conseillère d'État

Jérôme GAVAUDAN - Président du Conseil national des barreaux

Christophe JAMIN - Professeur des Universités à Sciences Po

Henri LECLERC - Président d'honneur de la Ligue des droits de l'Homme

François MOLINS - Procureur général près la Cour de cassation

Yves SAINT-GEOURS - Membre du Conseil supérieur de la magistrature

Linos-Alexandre SICILIANOS - Juge à la Cour européenne des droits de l'homme (2011-2021)

Christian VIGOUROUX - Haut-fonctionnaire, déontologue

Le président Jean-Marc Sauvé a réitéré en audition le constat du comité des États généraux, à savoir celui d'une crise grave de la justice. Cette dernière traverse selon lui une double crise : une crise universelle, qui frappe d'autres pays et qui est celle d'une défiance de plus en plus grande envers la justice, et une crise nationale, celle du service public de la justice . Si cette crise était longtemps restée largement dissimulée, la crise sanitaire a agi comme un révélateur des dysfonctionnements de la justice.

Selon le comité, l'une des deux explications derrière cette défaillance de la politique publique de la justice, en plus de la succession de réformes ponctuelles, réside dans une grave insuffisance des moyens , qu'ils soient humains ou budgétaires, par exemple pour mettre en place une véritable stratégie numérique. Le comité précise néanmoins que tout ne saurait procéder d'une hausse des moyens et qu' une réforme systémique de la justice doit être conduite . Le choix de recourir à des « rustines » pour « colmater les brèches dans un contexte de sous-dotation » a fait son temps et ne saurait répondre à « l'incompréhension des justiciables, [au] découragement des professionnels de justice et [aux] tensions avec les avocats » 12 ( * ) .

De l'avis de l'ensemble des personnes entendues par le rapporteur spécial, le rapport du comité des États généraux de la Justice a permis « d'objectiver un constat » unanime sur le service public de la justice. Ce constat ne peut qu'être partagé, le ministère ayant accumulé un important retard ces dernières décennies, en particulier quand la France se compare à ses voisins européens.

2. La France, en retard par rapport à ses principaux partenaires européens

Comme le rappelle chaque année le rapporteur spécial, la hausse des moyens budgétaires du ministère de la justice est pleinement justifiée au regard du retard de la France par rapport à ses voisins européens .

Comparatif des moyens alloués par la France et plusieurs pays
du Conseil de l'Europe à leur système judiciaire en 2020

Indicateur

France

Allemagne

Italie

Espagne

Médiane - Conseil de l'Europe

Budget alloué au système judiciaire par habitant
(en euros)

72,5

140,7

82,2

87,9

64,5

Budget alloué au système judiciaire par rapport au PIB (en %)

0,21 (stable)

0,35 (en hausse)

0,30 (en hausse)

0,37 (stable)

0,30 (en hausse)

Magistrats professionnels pour 100 000 habitants

11,16

17,6

11,86

11,24

17,60

Personnels non magistrats pour 100 000 habitants

35,7

56,13

35,76

102,69

56,13

Source : « Systèmes judiciaires européens, rapport d'évaluation de la Cepej », édition 2022 (données 2020) 13 ( * )

La poursuite d'un effort budgétaire significatif apparaît d'autant plus nécessaire que les indicateurs de performance de la mission font état de l'ampleur de la tâche pour rendre une justice de qualité . La commission européenne pour l'efficacité de la justice (Cepej) du Conseil de l'Europe 14 ( * ) a également relevé une baisse de l'efficacité des tribunaux français en 2020. Or la crise sanitaire ne peut constituer le seul facteur d'explication, puisque d'autres pays ont quant à eux réussi à améliorer l'efficacité de leur système judiciaire durant cette période, tels que l'Espagne par exemple.

À titre d'exemple, les délais moyens de traitement des procédures civiles, hors procédures courtes, peinent à être réduits . En 2021, ils s'élèvent à 19,1 mois pour la Cour de cassation, 17,5 mois pour les cours d'appel, et 13,8 mois pour les tribunaux judiciaires. Certains contentieux particulièrement éprouvants pour les justiciables, tels que les contentieux de divorce ou encore les conseils de prud'hommes, affichent des délais encore supérieurs, s'élevant respectivement à 24,8 et 18,1 mois en 2021. Si la crise sanitaire en 2020 a contribué à ralentir le fonctionnement des juridictions, les cibles fixées pour 2022 et 2023 ne permettraient guère que de revenir aux délais constatés en 2019.

Le constat est similaire pour le délai moyen de traitement des procédures pénales en matière criminelle, d'environ 49,4 mois en 2021 pour les juridictions hors Cour de cassation.


* 9 Loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.

* 10 Audition de Jean-Marc Sauvé par le rapporteur spécial.

* 11 Pour reprendre une expression citée dans la synthèse des États généraux de la Justice.

* 12 Synthèse des États généraux de la Justice.

* 13 La commission européenne pour l'efficacité de la justice (Cepej) du Conseil de l'Europe publie ses données tous les deux ans.

* 14 Source : « Systèmes judiciaires européens, rapport d'évaluation de la Cepej », édition 2022 (données 2020).

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