EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 27 octobre 2021, sous la présidence de Mme Christine Lavarde, vice-président, la commission a examiné le rapport de M. Dominique de Legge, rapporteur spécial, sur la mission « Défense ».

Mme Christine Lavarde , président . - Avant de passer la parole à M. le rapporteur spécial, je salue la présence parmi nous de Mme Michelle Gréaume, rapporteure pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées sur le programme 178 « Préparation et emploi des forces ».

M. Dominique de Legge , rapporteur spécial de la mission « Défense » . - Les crédits inscrits au budget 2022 sont conformes, sur le plan budgétaire, à la loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025, puisqu'ils prévoient une hausse de 1,7 milliard d'euros. En revanche ils n'en respectent pas la trajectoire capacitaire.

Cela tient tout d'abord à la vente d'avions de combat Rafale à la Grèce et à la Croatie. Si l'on peut se réjouir que ces deux pays aient fait le choix d'acquérir des avions de fabrication française, douze des dix-huit Rafale commandés par la Grèce seront prélevés sur nos propres capacités. Il en résulte premièrement une perte de capacité pour notre armée, dans l'attente de leur remplacement. Nos pilotes disposeront donc de moins de matériel pour s'exercer, et notre capacité d'intervention s'en trouvera réduite. Deuxièmement, cette opération a un coût, ces douze avions ayant vocation à être remplacés par des avions neufs. Selon les dernières estimations qui m'ont été transmises, le montant des recettes attendues à l'issue de la vente de ces douze Rafale d'occasion serait de l'ordre de 500 millions d'euros, et celui de la dépense nécessaire pour acquérir douze avions neufs de près d'un milliard d'euros. Cette dépense non financée devra être prise sur la masse budgétaire globale. Troisièmement, nous livrerons par ailleurs à la Croatie douze Rafale actuellement hors d'usage que nous réparerons en ce but et qu'il n'est pas prévu de remplacer.

Par conséquent, au sortir de la période 2019-2025 couverte par la LPM, nous n'aurons plus que 117 Rafale au lieu de 129.

Le Gouvernement nous dit qu'il faut se réjouir de cette situation, car la vente de vieux Rafale conduira, mécaniquement, à améliorer le taux de disponibilité de nos matériels. Toutefois, l'objectif de la LPM était d'améliorer le taux de disponibilité tout en augmentant la capacité. La LPM n'est donc pas respectée.

En 2025, pour autant que les remplaçants des avions livrés à la Grèce nous parviennent bien en temps et en heure, nous nous retrouverons avec douze Rafale de moins. Je rappelle que le nombre d'heures de vol de nos pilotes de chasse est aujourd'hui de 158 heures alors que la LPM comme l'OTAN fixe la norme à 180 heures.

La LPM prévoyait en outre que les surcoûts des opérations extérieures (OPEX) feraient l'objet d'un financement interministériel. Or ce n'est pas le cas. Depuis cinq ans, ces surcoûts sont en effet financés par le ministère des armées, et représentent un déficit compris entre 200 et 300 millions d'euros par an. Des surcoûts ont également été observés dans un certain nombre de programmes, notamment pour la rénovation des chars Leclerc.

Le ministère prévoyant de financer ces différents surcoûts par le redéploiement de certains crédits, la cible de l'ensemble des livraisons du programme Scorpion a été rabaissée à 45 % en 2025, au lieu des 50 % initialement prévus.

La LPM n'est donc pas respectée alors que son objectif était d'augmenter à la fois le capacitaire et la disponibilité des matériels. Nous payons au prix fort le refus du Gouvernement de revoir ce texte. S'il avait été actualisé conformément à ce qui était prévu dans son article 7, nous pourrions dire que les crédits budgétaires sont en adéquation avec les objectifs capacitaires, mais en l'occurrence il n'en est rien. On nous ment, en changeant la programmation capacitaire tout en respectant la programmation financière.

Ce budget est donc insincère par rapport à ce que nous avions voté et à ce qu'avait décidé le Parlement.

Suffisamment d'éléments justifiaient pourtant une révision de la LPM. De plus, les ajustements qu'aurait dû demander le Gouvernement étaient parfaitement compréhensibles. Je ne comprends donc pas que le Gouvernement n'ait pas souhaité y travailler en toute transparence avec le Parlement, comme nous l'avions pourtant demandé.

Pour ces raisons, je propose de différer notre vote sur les crédits de la mission « Défense », et de conditionner notre position définitive à la prise, par le Gouvernement, de deux engagements : d'une part, veiller à ce que la recette de la vente des avions à la Croatie soit bien affectée au ministère des armées. En effet, l'assurance de Mme la ministre des armées en la matière ne tient pas compte de la tenue des élections l'année prochaine, et la LPM n'est financée pour l'instant que jusqu'en 2022 - 3 milliards d'euros supplémentaires seront nécessaires pour couvrir la période 2023-2024. Il faut d'autre part que le Gouvernement nous réponde clairement sur les raisons qui le conduisent à ne pas vouloir remplacer les Rafale vendus à la Croatie et nous dise à quelle échéance ce remplacement devrait avoir lieu. Cette question ne saurait être renvoyée à 2030 ou 2035.

Mme Christine Lavarde , président . - Vous demandez donc la réserve du vote des crédits de la mission « Défense » assortie de deux engagements de la part du Gouvernement. Quand aurons-nous une meilleure visibilité sur ces derniers ?

M. Dominique de Legge , rapporteur spécial . - J'ai rendez-vous dans quinze jours avec le cabinet de Mme la ministre, notre position pourra se déterminer à l'issue de ce rendez-vous.

À titre personnel, je ne peux cautionner et ne voterai donc pas un budget qui ne respecte pas les engagements pris il y a cinq ans dans le cadre de la LPM. Je suggérerai donc que l'on s'abstienne sur ce point. Chacun peut ensuite se positionner à sa convenance.

M. Jean-François Husson , rapporteur général . - Je partage les réserves émises par M. le rapporteur spécial et m'inscris dans la ligne de ce qu'il propose.

La mission « Défense » est d'autant plus importante que les tensions internationales ne cessent de croître. Or les difficultés rencontrées pour l'entraînement de nos pilotes nous interpellent quant à l'avenir à court terme des capacités de défense de notre pays - en lien avec certains de nos partenaires européens.

Comment s'explique l'absence d'arbitrage, par le Gouvernement, en faveur d'un maintien de nos capacités d'intervention et d'une plus grande disponibilité de matériels en bon état et correspondant à la trajectoire de la LPM ? Quels seraient les ajustements budgétaires nécessaires pour y parvenir ?

M. Marc Laménie . - La présence militaire des régiments est-elle stable dans nos territoires, sachant que les effectifs ne semblent pas progresser conformément aux prévisions de la LPM ?

Par ailleurs, quelle part la journée défense et citoyenneté (JDC) et le service national universel représentent-ils dans la mission « Défense » ?

Enfin, a-t-on une estimation du coût de l'opération Sentinelle ?

M. Rémi Féraud . - Ce budget ne respecte pas l'esprit de la LPM. En outre, l'absence de révision de cette dernière le prive de perspectives susceptibles de lui donner du sens. De trop nombreuses questions restent en suspens pour que nous puissions véritablement nous prononcer à son sujet. Cependant, cela fait longtemps qu'une proposition de réserver notre vote n'est pas intervenue sur ces crédits.

Quelles sont selon vous les questions essentielles et, en fonction de la réponse qui y serait apportée par le Gouvernement, pourriez-vous malgré tout être favorable à une approbation des crédits, ou bien l'absence d'actualisation de la LPM constitue en la matière un obstacle infranchissable ?

M. Arnaud Bazin . - La disproportion qui s'observe entre le montant de la vente des Rafale d'occasion à la Grèce et le coût potentiel de l'achat des matériels neufs de remplacement pose effectivement question. Selon vous, quel est le sens de cette opération ? S'agit-il d'une manoeuvre politique visant à venir en aide à un allié confronté à des provocations permanentes de la part d'un autre membre de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN), ou bien cette opération a-t-elle une signification technique ou économique qui m'échappe ?

M. Antoine Lefèvre . - La France semble avoir pris un certain retard pour le développement de la technologie des drones militaires. Dans son rapport public annuel publié en février 2020, la Cour des comptes pointait d'ailleurs déjà une absence de vision stratégique dans ce domaine. Malgré l'accélération des acquisitions, le parc reste limité et certains de ses segments sont vieillissants. Avez-vous des précisions à ce sujet et eu connaissance d'investissements à venir ?

M. Michel Canévet . - Le maintien en condition opérationnelle (MCO) des matériels de nos armées s'est-il amélioré compte tenu des moyens dévolus à la LPM ?

Le coût des OPEX se réduira-t-il en 2022 du fait du désengagement prévu au Sahel ?

M. Didier Rambaud . - Je ne partage pas la conclusion du rapporteur spécial et suis même surpris de l'entendre proposer la réserve sur un tel budget. En effet, les crédits de la défense vont augmenter de 1,7 milliard d'euros, soit une hausse de 4 % par rapport à 2021. Les engagements du Gouvernement ont donc bien été tenus, et la trajectoire financière établie par la LPM est respectée.

Le budget de la mission « Défense » est un budget régalien essentiel qui assure notre autonomie stratégique nationale et européenne. Nous demander d'être réservés sur ce budget est donc loin d'être anodin. Or les arguments avancés ne me paraissent pas justifier une telle position.

M. Dominique de Legge , rapporteur spécial . - Au total, compte tenu du coût représenté par le remplacement des Rafale d'occasion, l'opération grecque pourrait nous coûter environ 700 millions d'euros. De plus, si l'opération croate est jugée « blanche » par le ministère puisqu'il n'est pas prévu de remplacer les avions concernés, il s'agit à mes yeux d'une dépense puisqu'il faudra bien faire le nécessaire pour maintenir notre capacité opérationnelle. Il manque en outre plus 1 milliard d'euros pour pouvoir financer les OPEX jusqu'en 2022.

Il faut tenir compte également du surenchérissement de plusieurs opérations, au sujet duquel je ne parviens pas à obtenir de chiffres précis et qui est financé par le décalage de plusieurs livraisons.

Les crédits dévolus aux moyens humains sont bien prévus. En revanche, les armées ont rencontré d'importantes difficultés de recrutement, notamment en raison de la crise du covid-19, doublées de difficultés de fidélisation dans plusieurs spécialités. De nombreux militaires rejoignent en effet le secteur privé à l'issue de leurs années réglementaires afin d'y percevoir une meilleure rémunération. Une prime de service a d'ailleurs été instaurée pour tenter d'y remédier.

Ces difficultés de recrutement ont été en partie compensées en 2021 par le recrutement de personnels civils. Sur la question des moyens humains, la LPM a été bien respectée.

Les militaires ne font état d'aucun problème relatif à la JDC, et il n'y a pas lieu de s'inquiéter des effectifs du service national universel, qui se chiffrent à 20 000 personnes environ.

L'opération Sentinelle présente un coût de 100 millions d'euros, qui repose sur la provision dévolue aux OPEX.

Pour que je puisse conclure en faveur d'un vote de ce budget, il faudrait que le Gouvernement nous donne la garantie formelle que les recettes des ventes des Rafale à la Grèce et à la Croatie reviendront bien au ministère des armées, y compris après 2022.

Il faut également que nous obtenions une réponse sur le délai de remplacement des Rafale livrés à la Croatie. La réponse consistant à dire que ce remplacement n'est pas prévu pour l'instant n'est pas satisfaisante. Il faut à tout le moins que nous ayons une date. Cette promesse n'engagera, bien sûr, que les successeurs de Mme Florence Parly, mais je souhaiterais malgré tout que ce débat ait lieu en séance.

L'opération de vente de Rafale à la Grèce a un sens politique. Sur les douze avions prévus, six seront livrés d'ici fin 2021, suivis par six autres en 2023. Il est important, si l'on veut pouvoir parler de défense européenne, que nos alliés européens s'équipent avec du matériel militaire qui ne soit pas exclusivement américain. Mais cette opération a également un sens technique, puisqu'il s'agit de favoriser l'interopérabilité, et un sens économique, puisqu'elle bénéficie à la production d'armement française ainsi qu'aux résultats de la filière, et singulièrement de Dassault, en matière d'exportation. En outre, il est important de maintenir une industrie de la défense en Europe.

Le développement des drones pâtit fortement de l'absence de révision de la LPM, puisque les investissements attendus en 2022 ont été reportés à 2023 voire 2024.

En matière de MCO, les contrats verticalisés souscrits par le ministère, qui prévoient la mobilisation d'un seul intervenant, donc d'un interlocuteur unique, pour chaque type d'appareil, semblent bien fonctionner d'après les militaires, même si les résultats ne sont pas encore au rendez-vous. La disponibilité devrait s'améliorer prochainement.

Le désengagement français au Sahel entraînera en réalité un surcoût pour les OPEX en 2022, du fait du rapatriement du matériel. Les sommes provisionnées pour cette année seront d'ailleurs largement insuffisantes.

Enfin, comme je l'ai indiqué, si ce budget respecte bien la trajectoire budgétaire de la LPM, il n'en respecte pas la trajectoire capacitaire, et le refus du Gouvernement de venir discuter de nouveau de ce texte devant le Parlement pose d'importants problèmes. L'argent n'est pas une fin en soi, il doit servir à mener à bien un projet. Or la LPM portait un projet politique, capacitaire, qui se voit écorner par ce budget.

À l'issue de ce débat, la commission a décidé de réserver son vote sur les crédits de la mission « Défense ».

Article 42 quinquies (nouveau)

L'article 42 quinquies ajouté au texte à l'Assemblée nationale reprend un amendement du Gouvernement visant à tenir compte des conséquences du Ségur de la Santé sur le service de santé des armées (SSA), notamment la majoration des rémunérations des personnels non-médecins. À ce stade, je suis incapable d'évaluer le coût de cette mesure. J'espère néanmoins pouvoir vous apporter prochainement une réponse sur ce point.

Il me semble cependant souhaitable de voter cet article. Le personnel de santé des armées doit pouvoir bénéficier des avancées du Ségur de la santé, d'autant qu'il a été fortement mis à contribution durant la crise.

Mme Michelle Gréaume , rapporteure pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées sur le programme 178 « Préparation et emploi des forces ». - Le SSA souffre d'un important déficit de postes pour les médecins de premier recours. Il en manquait 97 en 2020, il en manque 136 en 2021. Il en résulte un taux de projection des équipes médicales à hauteur de 125 %. Malgré l'apport des réservistes, le taux de projection des équipes chirurgicales atteignait 200 % en 2020. La fidélisation des personnels du SSA constitue donc un enjeu majeur.

La commission a décidé de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, de l'article 42 quinquies.

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Réunie à nouveau le mercredi 10 novembre 2021, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a examiné les crédits de la mission « Défense » précédemment réservés.

M. Claude Raynal , président . - Nous passons à l'examen des crédits de la mission « Défense ».

M. Dominique de Legge , rapporteur spécial . - Plus nous avançons, moins c'est clair, puisque l'Assemblée nationale, au détour d'un amendement, a adopté un amendement prévoyant 2,8 milliards d'euros d'autorisations d'engagement pour réaliser des travaux de rénovation et la création de 15 000 logements pour l'hébergement des militaires dans le cadre d'un partenariat public privé (PPP) qui nous emmène à 2056 - c'est Noël tous les jours, avec une trêve pour les successeurs des successeurs. Aux dernières nouvelles, les avions de l'armée française livrés à nos partenaires croates pourraient peut-être être remplacés, mais la ministre ne veut pas l'annoncer parce que le contrat n'est pas encore signé.

Si nous votons les crédits, nous nous renierons, puisque le Gouvernement aurait dû nous soumettre une loi de programmation militaire rectifiée, mais même temps, il respecte la trajectoire. Je propose donc de nous en remettre à la sagesse du Sénat.

La commission a décidé de s'en remettre à la sagesse du Sénat sur les crédits de la mission « Défense ».

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Réunie enfin le jeudi 18 novembre 2021, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a confirmé sa décision de s'en remettre à la sagesse du Sénat sur les crédits de la mission et d'adopter, sans modification, l'article 42 quinquies .

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