B. UNE BAISSE DES FLUX MIGRATOIRES QUI NE DEVRAIT PAS SE POURSUIVRE UNE FOIS LA CRISE SANITAIRE PASSÉE

1. Une baisse temporaire des flux liée à l'épidémie de Covid-19 qui devrait s'inverser en sortie de crise

En 2020 et en 2021, la situation de crise sanitaire liée à la Covid-19 a entrainé une baisse les flux migratoires à destination de la France et de l'Europe . Les restrictions sur les déplacements intérieurs et internationaux intervenus en France et en Europe ainsi que dans les pays de départ et de transit ont concouru à cette diminution, notamment les restrictions sur les vols commerciaux. Selon l'ONU 5 ( * ) , les flux migratoires à destination des pays de l'Union européenne ont diminué de moitié au premier semestre 2020 6 ( * ) . En Europe, les demandes d'asile ont ainsi diminué de 33 % au cours des six premiers mois de 2020 par rapport à la même période en 2019, ce qui coïncide avec la restriction des déplacements sur le continent pour endiguer la crise sanitaire 7 ( * ) .

Cette situation est conjoncturelle , et il peut être attendu que la levée progressive des restrictions, ainsi que le retour à une situation sanitaire maitrisée s'accompagnent d'un retour des flux migratoires à un niveau proche de celui d'avant-crise. L'Europe demeure la plus grande terre d'accueil de migrants internationaux en volume avec un total de 87 millions d'entrées en 2020. En outre, le projet annuel de performance de la mission « Immigration, asile et intégration » relève que « le contexte migratoire et géopolitique (évolution de la situation politique en Afghanistan, impact économique de la crise sanitaire dans les pays du Sud, effet de rattrapage des migrations stoppées par la crise) ne donnent pas de raison de penser que la tendance observée historiquement pourrait s'inverser même si les flux observés à ce stade en 2021 sont inférieurs à 2019 » .

Outre les flux en eux-mêmes et les demandes d'asile, les autres volets de la politique migratoire ont connu un coup d'arrêt. Les opérations de délivrance de titres en préfecture, le traitement des demandes de naturalisation, ou la signature de nouveaux contrats d'intégration républicaine (78 764 CIR ont été signés en 2020 contre 100 000 en moyenne habituellement) ont été en partie interrompus pendant le confinement. La remontée en charge de ces différents volets de la politique migratoire pourra s'avérer difficile si elle s'accompagne d'une reprise des flux au niveau d'avant-crise, de l'augmentation du stock lié au ralentissement de l'activité des services concourant à la politique migratoire.

La sortie de crise sanitaire pourrait s'accompagner d'un rattrapage des flux migratoires irréguliers à destination du territoire français.

2. Après une baisse des demandes d'asile en 2020 et 2021, ces dernières devraient connaitre une hausse significative en 2022

Les indicateurs sur la demande d'asile ont fait l'objet d'un changement de méthode de calcul en 2020. Le système d'information asile (SI Asile) a succédé à la source de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides (Ofpra). La nouvelle méthodologie permet désormais de dénombrer, outre les demandes passant par l'Ofpra, les demandes en procédure Dublin « III » 8 ( * ) et les demandes déposées en guichet unique pour demandeur d'asile (Guda) mais jamais arrivées à l'Ofpra. Pour rappel, le règlement européen Dublin « III » prévoit qu'un seul État membre est responsable du traitement d'une même demande d'asile au sein de l'Union européenne. Les demandes d'asile concernées sont celles qui relèvent de la compétence d'un autre État membre, c'est-à-dire de migrants arrivés en Europe qui, après avoir enregistré cette demande dans un premier pays européen, la réitèrent dans un autre État membre de l'Union européenne.

Ce nouvel indicateur donne ainsi une image plus fidèle de l'évolution du nombre de demandes d'asile à partir de 2018, année pour laquelle le nouveau périmètre est applicable. Le nombre de premières demandes baisse de 29 % en 2020.

Évolution du nombre de demande d'asile en France

Premières demandes majeurs

Premières demandes

Réexamens

Évolution premières demandes majeurs

Évolution premières demandes

Évolution réexamen

2018

92 338

114 226

6 106

2019

101 841

123 682

8 904

10%

8%

46%

2020

68 693

87 514

8 764

-33%

-29%

-2%

Source : commission des finances du Sénat, d'après l'Ofpra

L'indicateur mesurant l'évolution des seules demandes d'asile auprès de l'Ofpra, hors mineurs accompagnants, traduit une hausse constante de la demande d'asile depuis 2007, à un rythme qui s'accélère nettement à partir de 2015 : + 27,5 % en 2015, + 9,8 % en 2016, + 14,1 % en 2017, + 25,1 % en 2018, + 9 % en 2019 . Sur le long cours, entre 2007 et 2019, la demande de protection internationale en France a été multipliée par 3,7 , passant de près de 30 000 demandes d'asiles à plus de 110 000. La baisse observée entre 2019 et 2020 revêt un caractère exceptionnel (- 27,4%). Il sera nécessaire d'être attentif à l'évolution du nombre de demandes au fur et à mesure de la sortie de la crise sanitaire liée à la Covid-19, qui pourrait entrainer un effet de rattrapage. Pour 2022, le gouvernement prévoit une hausse de 10 % par rapport à 2019 à 2019 (année servant de référence en raison du caractère exceptionnel des années 2020 et 2021), mais cette prévision pourrait être dépassée (voir infra ).

Les décisions de protection rendues par l'Ofpra et la Cnda

En 2020, l'Ofpra et la Cour nationale du droit d'asile (Cnda) ont rendu 33 204 décisions de protection (octroi du statut de réfugié ou d'apatride, protection subsidiaire), contre 45 988 en 2019. 20 200 demandeurs d'asile se sont vu accorder le statut de réfugié (- 32,7 % par rapport à 2019) et 13 004 demandeurs d'asile ont obtenu une protection subsidiaire (- 18,6 % par rapport à 2019).

La majorité de ces décisions sont prises par l'Ofpra : 20 866 admissions ont été enregistrées en 2020 (63 % des décisions prises). 12 722 personnes protégées par l'Ofpra en 2020 se sont vu octroyer un statut de réfugié ou d'apatride (61 % des demandes acceptées) et 8 144 une protection subsidiaire (39 % des demandes acceptées). Le taux de protection de l'Ofpra reste stable et s'établit à 23,7 %, en 2020.

Pour l'Ofpra (hors décisions d'annulation de la CNDA), les trois principales nationalités concernées par la protection subsidiaire en 2020 sont les Afghans (28 % de l'ensemble des protections subsidiaires), les Syriens (18 %) et les Albanais (6 %). Le statut de réfugié concerne principalement les Sri Lankais (9 % du total des statuts de réfugié), les Russes (8 %) et les Congolais (8 %). La CNDA a quant à elle rendu en appel 12 338 décisions de protection en 2020, contre 13 844 en 2019 (- 10,9 %). La proportion de décisions d'octroi de la protection subsidiaire est comparable à celle observée pour l'Ofpra : 7 748 personnes se sont vues octroyer un statut de réfugié ou d'apatride (60,6 % du total) et 4 860 une protection subsidiaire (39,4 %) .

Source : commission des finances, d'après l'Ofpra

3. Une incapacité structurelle à maîtriser les flux irréguliers

Malgré l'absence persistante de données officielles fiables relatives au nombre d'étrangers en situation irrégulière en France, certains indicateurs permettent d'appréhender la hausse structurelle de l'immigration irrégulière sur le territoire français. Le nombre de bénéficiaires de l'aide médicale d'État (AME) rend compte de cette dynamique de hausse, qui s'est accentuée en 2020, malgré le contexte sanitaire. Il s'établissait à 382 829 en 2020, soit une hausse de + 15 % par rapport à 2019, et de 147 % par rapport à 2004. Il convient de rappeler que cette aide est versée sous condition de résidence ininterrompue en France de trois mois, et que son taux de recours n'est pas connu, et ne peut donc donner qu'une image tronquée du nombre d'étrangers résidant en France en situation irrégulière, qui est certainement bien supérieur. Il est néanmoins possible que le contexte de crise sanitaire ait entrainé une hausse du taux de recours.

Évolution du nombre de bénéficiaires de l'AME

Source : commission des finances du Sénat, d'après les projets annuels de performance successifs de la mission « Santé »

Dans le même temps, les retours forcés exécutés ont connu une baisse importante entre 2019 et 2020 (- 51,8 %), en raison notamment de la crise sanitaire.

Nombre de retours forcés exécutés

Source : commission des finances du Sénat, d'après le ministère de l'intérieur

Cette tendance devrait se poursuivre en 2021, puisque le nombre de retours forcés exécutés est inférieur de plus de moitié à celui constaté lors des premier et deuxième trimestres 2019.

Évolution semestrielle du nombre de retours forcés exécutés

2018

2019

2020

2021

T1

T2

T3

T4

T1

T2

T3

T4

T1

T2

T3

T4

T1

T2

Éloignements forcés

3704

3976

3839

4158

4536

4872

4558

4940

3948

544

2152

2 467

2183

2424

Source : commission des finances du Sénat, d'après le ministère de l'intérieur

Plus spécifiquement, les obligations de quitter le territoire français (OQTF), qui constituent la majorité des mesures administratives d'éloignement des étrangers en situation irrégulière, connaissent un taux d'exécution inférieur à 10 % depuis le début de la crise sanitaire (voir infra ). Le rapporteur spécial estime que les mesures budgétaires prévues par le présent projet de loi de finances ne devraient pas permettre de les augmenter significativement.

Nombre de retours forcés exécutés

Source : commission des finances du Sénat, d'après le ministère de l'intérieur

L'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit la possibilité, pour les étrangers en situation irrégulière, de se voir délivrer une carte de séjour temporaire. En 2020, le nombre d'étrangers ayant bénéficié d'une régularisation s'établit à 20 859. Entre 2019 et 2020, ce chiffre a connu une baisse de plus de 10 %. Toutefois, cette baisse conjoncturelle ne doit pas masquer le fait que le nombre de délivrances de carte de séjour temporaire a très fortement augmenté en 10 ans (+ 64 % entre 2011 et 2021).

Nombre d'admissions exceptionnelles au séjour

Source : commission des finances du Sénat, d'après le ministère de l'intérieur


* 5 Organisation internationale pour les migrations, World migration report 2020.

* 6 Edition 2020 des perspectives des migrations internationales, OCDE, Octobre 2020.

* 7 Rapport d'activité 2020 de l'Ofrap.

* 8 Règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

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