C. DES AMBITIONS CLIMATIQUES QUI DEVRONT ÊTRE FINANCÉES

Dans le cadre du pacte vert pour l'Europe, la Commission européenne a présenté le 14 juillet dernier un paquet de mesures législatives visant à satisfaire l'objectif fixé de réduction de 55 % des émissions nettes par rapport à 1990 d'ici à 2030 . Ces propositions viennent s'ajouter à la priorité fixée à l'instrument de relance « Next Generation EU », qui doit consacrer au moins 37 % de ses ressources à la transition écologique.

Plusieurs de ces initiatives ont retenu l'attention du rapporteur spécial en raison des conséquences budgétaires de leur mise en oeuvre.

Premièrement, la Commission européenne propose de réformer le système d'échange de quotas d'émission de l'Union européenne (SEQE) . Depuis l'introduction du SEQE en 2005, les émissions des principaux secteurs couverts, à savoir la production d'électricité, la production de chaleur et les installations industrielles à forte intensité énergétique, ont été réduites de 42,8 %. Au cours de la période 2018-2020, les recettes issues du SEQE se sont élevées à 15 milliards d'euros environ . Elles ont été principalement reversées aux États membres qui sont tenus de les consacrer, au moins pour moitié, à des mesures en faveur de la transition énergétique.

Pour ces secteurs déjà couverts par ce système, la Commission propose de réduire davantage les émissions en abaissant le plafond global d'émission, et en supprimant progressivement les quotas gratuits dont bénéficiait le secteur de l'aviation, et d'inclure sous certaines conditions le transport maritime, afin d'augmenter le signal prix. La Commission propose également de mettre en oeuvre un second système d'échange de quotas d'émission pour celles provenant de la construction de bâtiments et des carburants utilisés dans le transport routier 17 ( * ) .

Sur ce point, la Commission européenne justifie ce choix en rappelant que « les carburants et combustibles fossiles utilisés par les secteurs du transport routier et du bâtiment sont des sources considérables d'émissions et de pollution. Étant donné qu'il a jusqu'à présent été très difficile de les décarboner, ces secteurs recèlent aussi un haut potentiel d'innovation et de création d'emplois » 18 ( * ) . Le rapporteur s'inquiète de ces mesures dont la mise en oeuvre devrait nécessairement peser sur les entreprises et les ménages, déjà fragilisés par les tensions actuelles sur les prix des énergies, dans un contexte de reprise économique.

Deuxièmement, afin de contrebalancer la montée en charge du prix du carbone au sein de l'Union européenne et pour éviter des « fuites » de carbone, la Commission propose la mise en oeuvre d'un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF) , visant à fixer un prix pour la teneur en carbone des produits importés dans l'Union européenne. Concrètement, « les importateurs de l'UE achèteront des certificats carbone correspondant au prix du carbone qui aurait été payé si les marchandises avaient été produites conformément aux règles de l'UE en matière de tarification du carbone. À l'inverse, dès lors qu'un producteur hors UE peut démontrer qu'il a déjà payé un prix pour le carbone utilisé dans la production des marchandises importées dans un pays tiers, le prix correspondant peut être entièrement déduit pour l'importateur de l'UE. Le MACF contribuera à réduire le risque de fuite de carbone en encourageant les producteurs des pays tiers à verdir leurs procédés de production » 19 ( * ) .

L'objectif est ainsi de faire supporter aux producteurs hors Union européenne le même prix du carbone que si leur production était assurée au sein de l'Union européenne, ce qui implique une mise en oeuvre de ce mécanisme symétrique à la montée en charge de la réforme du SEQE .

Enfin, afin d'alléger la facture énergétique des ménages résultant de ces initiatives, la Commission européenne propose d'instaurer un fonds social pour le climat . Il est proposé que le montant de ce fonds corresponde à 25 % des recettes issues du nouveau SEQE pour les secteurs du bâtiment et du transport routier, soit un montant important estimé à 72,2 milliards d'euros pour la période 2025-2032 par la Commission européenne. La proposition de règlement prévoit de répartir les crédits du fonds entre les États membres en tenant compte des variables suivantes

- la part de la population en 2019 exposée au risque de pauvreté vivant dans des zones rurales ;

- les émissions de dioxyde de carbone résultant de la combustion de combustibles par les ménages en moyenne entre 2016 et 2018 ;

- le pourcentage de ménages exposés au risque de pauvreté ayant des arriérés sur leurs facteurs de consommation courante en 2019 ;

- la population totale de l'État membre en 2019 ;

- le revenu national brut (RNB) par habitant de l'Etat membre, mesuré en standard de pouvoir d'achat en 2019 ;

- la part des émissions de gaz à effet de serre sous certaines conditions.

Or, l'application de ces critères ne serait pas très favorable à la France qui ne serait que le onzième bénéficiaire de ce fonds en termes de volume, avec une enveloppe 8,1 milliards d'euros environ (prix courants) pour la période 2025-2032 20 ( * ) .

Le champ des dépenses est relativement large puisqu'il est proposé que ce fonds contribue aux investissements visant à accroître l'efficacité énergétique des bâtiments, à installer des systèmes de chauffage et de refroidissement propres, et à soutenir les énergies renouvelables. Il pourrait également couvrir une aide directe au revenu et aider les États membres à soutenir les ménages vulnérables et les micro-entreprises pour faire face à leurs factures d'énergie 21 ( * ) .

Enfin, le versement aux États membres des crédits du fonds social pour le climat devrait s'inspirer de la gouvernance de la « facilité pour la reprise et la résilience » de l'instrument de relance , c'est-à-dire que les décaissements sont conditionnés à l'atteinte d'objectifs fixés dans le cadre d'une stratégie nationale ayant été validée par la Commission européenne et le Conseil. Le rapporteur spécial s'interroge sur la pertinence de la méthode, dans la mesure où elle vise à répliquer un système de gouvernance encore trop récent pour avoir fait l'objet d'une évaluation avec l'ensemble des parties prenantes.

Ces différentes propositions feront l'objet de négociations dans les mois à venir et constitueront sans nul doute un enjeu majeur pour la présidence française de l'Union européenne qui démarrera en janvier prochain. Dans cette perspective , le rapporteur spécial relève que la présentation de ces propositions est déconnectée de celle des nouvelles ressources propres, alors même que celles-ci comportent une ressource fondée sur le SEQE, et une ressource fondée sur le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières .

Alors que la nécessité d'introduire de nouvelles ressources propres a fait consensus entre les États membres en raison du besoin de rembourser à compter de 2028 le plan de relance européen, les initiatives du paquet législatif et politique présenté par la Commission en juillet sur le climat laissent à penser que ces nouvelles ressources propres seraient mobilisées à d'autres fins.

En effet, si une part significative des recettes générées par l'extension du SEQE devait abonder les crédits du fonds social pour le climat, cette affectation se ferait nécessairement au détriment de leur mobilisation pour le remboursement de l'instrument de relance . En outre, s'agissant de la ressource fondée sur le MACF, les auditions menées par le rapporteur ont souligné que sa compatibilité avec les règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) nécessitait de justifier ce mécanisme par des objectifs climatiques et se limitant à appliquer la même tarification aux importations que celle pratiquée au sein de l'Union européenne. Par conséquent, l'objectif de rendement budgétaire de cette nouvelle ressource n'apparaît pas comme une priorité de sa mise en oeuvre .

En tout état de cause, sans s'opposer aux ambitions de ce paquet climat, le rapporteur spécial appelle à mener de front les discussions relatives à l'instauration de nouvelles ressources propres et aux différentes initiatives pour le climat, de façon à ce que la recherche d'un financement pérenne du remboursement du plan de relance ne passe pas au second plan .


* 17 Commission européenne, 14 juillet 2021, Questions et réponses - Échange de quotas d'émission - Mettre un prix sur le carbone.

* 18 COM(2021) 550 final.

* 19 Commission européenne, 14 juillet 2021, Questions et réponses - Mécanisme d'ajustement carbone aux frontières.

* 20 Annexe II du règlement du Parlement européen et du Conseil instituant un Fonds social pour le climat.

* 21 COM(2021) 550 final.

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