B. LE PERPÉTUEL REPORT DES RÉFORMES DE STRUCTURE DE L'ÉTAT ?

1. Le Gouvernement tarde à définir le contenu des réformes structurelles annoncées

Les réformes de structure nécessaires demeurent toujours aussi peu documentées . Le processus « Action publique 2022 », lancé à grands renfort de communication le 13 octobre 2017, a connu un parcours chaotique.

Le rapport demandé au comité « Cap 2022 » , dont la publication a été plusieurs fois repoussée, a finalement été remis au Gouvernement au mois de juin 2018, mais n'a fait l'objet d'aucune annonce . Le président et votre rapporteur général de la commission des finances du Sénat ne l'ont reçu qu'à leur demande expresse, après une « fuite » dans la presse. Ce rapport se contente pourtant, pour l'essentiel, de reprendre des mesures souvent déjà proposées et discutées dans le débat public, dont aucune ne justifie une telle volonté de secret.

Si certaines réformes sectorielles ont fait l'objet d'annonces partielles et avec des précisions variables - audiovisuel public, système de santé, transformation de l'administration fiscale, réforme des chambres de commerce et d'industrie - le Gouvernement devait faire courant octobre 2018 un compte rendu des travaux menés dans le cadre du processus « Action publique 2022 ».

Or le Premier ministre a seulement annoncé, à l'occasion d'un comité interministériel tenu le 29 octobre, soit plus d'un an après le lancement du processus, certaines mesures relatives au personnel de l'État , telles que le recours accru à l'embauche au contrat ou la possibilité pour les fonctionnaires de changer de statut pour un statut contractuel à durée limitée avec rémunération au mérite, voire de quitter la fonction publique en touchant le chômage. Ces réformes ne peuvent être présentées que sous forme d'orientations, puisque les discussions se poursuivent avec les organisations représentatives du personnel et que ces mesures nécessiteront le vote d'une loi, dont l'examen est annoncé pour l'année prochaine.

Le Premier ministre a également évoqué l'investissement de 700 millions d'euros sur cinq ans à travers le fonds de transformation de l'action publique (FTAP) et la création d'un fonds doté de 50 millions d'euros pour accompagner les reconversions de personnel, mesures déjà connues et inscrites dans le projet de loi de finances pour 2019.

Le gouvernement met enfin l'accent sur le recours aux indicateurs pour mesurer la qualité du service à l'usager et la dématérialisation des démarches.

Votre rapporteur général ne peut que partager les objectifs de ces mesures mais attend de voir quelle en sera la mise en oeuvre concrète .

Il souligne également les effets indésirables que peuvent avoir certaines de ces mesures en pratique. À titre d'exemple, la dématérialisation des procédures administratives devrait permettre d'affecter plus d'agents à des activités nécessaires, telles que les activités de contrôle et de lutte contre la fraude pour ce qui concerne l'administration fiscale, mais aussi d'améliorer la qualité du service rendu. Or la suppression systématique des interactions humaines avec les services publics empêche trop souvent de prendre en compte les cas particuliers non prévus et peut aussi aggraver l'impact des inégalités d'accès au numérique entre les territoires ou les classes d'âge.

Le dossier de presse publié le 29 octobre 2018 annonce aussi une « réforme de l'organisation territoriale de l'État » sans donner plus de précision. Or une réforme d'ampleur dans ce domaine, certainement nécessaire, ne concerne pas le seul État mais devra prendre en compte son impact sur les acteurs locaux, en particulier les collectivités territoriales qui travaillent au quotidien avec les administrations déconcentrées.

Le même dossier de presse contient des fiches d'action par ministère , qui présentent l'intérêt de fixer des objectifs souvent pertinents, mais sans expliciter les moyens de les mettre en oeuvre. Enfin il reprend des objectifs déjà connus, tels que la réduction de la dépense publique de 3 points de PIB ou la diminution (devenue le « non-remplacement ») de 50 000 agents publics d'ici à 2022, sans apporter plus de précision sur leur réalisation.

Votre rapporteur général note que les annonces du 29 octobre concernent le statut du personnel de l'État . Elles doivent s'accompagner d'une définition des missions exercées par l'État .

Les choix de transformation et en particulier de diminution des effectifs publics devraient être l'aboutissement , et non le point de départ, d'une réflexion sur ce que doit être le périmètre de l'État dans la société actuelle.

S'agissant par exemple de la réforme de l'audiovisuel, l'article 29 du présent projet de loi de finances diminue les ressources de France Télévisions sans avoir au préalable défini quelles doivent être les missions et les priorités de l'audiovisuel public. Une trajectoire de diminution de la dépense a été définie a priori , révélant une stratégie avant tout comptable.

De même, s'il peut être utile de favoriser l'embauche au contrat, peut-être est-il parfois préférable de ne pas embaucher du tout et de laisser agir les collectivités territoriales. L'État, au niveau central comme à l'échelon de l'administration déconcentrée, doit être capable de renoncer à assumer des missions pour lesquelles il manque désormais de compétences et de ressources 84 ( * ) : s'il est bon pour l'État de chercher à faire « mieux », peut-être doit-il aussi désormais accepter de faire « moins » .

Une telle réflexion amènerait certainement à définir une nouvelle répartition des missions. Il est regrettable à cet égard que le gouvernement ait renoncé à prendre une position claire sur les différentes propositions faites par le rapport CAP 2022 qu'il avait pourtant commandé afin d'inspirer son action.

Il est donc difficile de mesurer comment le Gouvernement atteindra l'objectif d'économies de 4,1 milliards d'euros prévue au titre du programme « Action publique 2022 » par la loi de programmation des finances publiques 85 ( * ) .

2. Des mesures structurelles connues et qui n'attendent qu'une capacité à décider

Si le rapport « CAP 2022 » a eu aussi peu d'effets, c'est que la difficulté n'est pas de trouver des idées mais de prendre la décision de les mettre en oeuvre .

Votre rapporteur général rappelle une nouvelle fois que la mise en oeuvre de véritables mesures d'économie sur la masse salariale de l'État est possible et que plusieurs axes ont déjà été identifiés. La réduction des effectifs pourrait résulter d'une rationalisation des missions de l'État , de l' accroissement du temps de travail par une réduction de l'absentéisme et le réexamen des régimes dérogatoires, ainsi que par une demande d'un effort supplémentaire aux opérateurs de l'État . Une convergence de la durée du travail dans le secteur public vers une durée de 37,5 heures par semaine, soit la durée hebdomadaire habituelle du travail déclarée par l'ensemble des actifs, permettrait de dégager une économie de 5 milliards d'euros pour les trois fonctions publiques, dont 2,2 milliards d'euros pour la seule fonction publique d'État .

Le régime des primes présente également des marges de simplification. Votre rapporteur général attend enfin des effets de la suppression de l'automaticité des avancements , qui semble être annoncée par le Gouvernement, par une plus grande prise en compte du mérite, mais aussi par un recours plus fréquent aux examens professionnels et au développement de la mobilité dans l'intérêt du service.

3. Des dépenses annoncées mais non concrétisées dans le présent projet de loi finances
a) La croissance nécessaire, mais largement différée, des dépenses de défense et de justice
(1) Les dépenses de la défense

Votre rapporteur général a souvent signalé l'importance des sous-budgétisations de la mission « Défense » au cours des années passées, la croissance de la menace terroriste et le coût des opérations extérieures n'ayant généralement pas été suffisamment pris en compte dans la budgétisation initiale. L'écart entre la prévision et l'exécution du surcoût des opérations extérieures et des missions intérieures est en effet systématique, atteignant 1,1 milliard d'euros en 2017.

Dans le projet de loi de finances pour 2018, un effort de sincérité a conduit à fixer un montant de provisions supérieur de 200 millions d'euros à celui prévu dans la loi de programmation militaire, qui était systématiquement dépassé. Cet effort est toutefois insuffisant et, comme l'avait prévu notre collègue Dominique de Legge, rapporteur spécial, les provisions pour opérations extérieures et missions intérieures devraient être dépassées encore une fois cette année , de l'ordre de 550 millions d'euros.

S'agissant de l'ensemble de la mission, la nouvelle loi de programmation militaire a prévu une poursuite de l'augmentation des crédits budgétaires liés à la mission « Défense » dans les années à venir .

Évolution des ressources budgétaires de la mission « Défense »

(en milliard d'euros courants, hors charges de pension et à périmètre constant)

2019

2020

2021

2022

2023

Total
2019-2023

Crédits de paiement de la mission « Défense »

35,9

37,6

39,3

41,0

44,0

197,8

Source : loi de programmation militaire pour les années 2019 à 2023, article 3

Seuls 197,8 milliards d'euros sont programmés de manière ferme alors que les besoins identifiés s'élèvent à 295 milliards d'euros sur la période couverte par la loi de programmation. Les montants de crédits pour les années 2024 et 2025 ne sont pas précisés.

L'essentiel de l'effort prévu sera donc porté par le prochain quinquennat afin de porter les crédits en faveur de la défense à 2 % du produit intérieur brut (PIB) à l'horizon 2025, conformément aux engagements pris par la France dans le cadre de l'Organisation du traité de l'Atlantique nord (OTAN).

(2) Les dépenses de la justice

Le Gouvernement met également l'accent sur l'augmentation des moyens de la justice . Toutefois, là encore cet effort est annoncé mais son impact sur les crédits budgétaires se fera surtout sentir en fin de quinquennat .

Le projet de loi de programmation de la justice, actuellement en discussion, prévoit dans sa version initiale une progression des crédits de la mission « Justice », hors charges de pension, de 7 milliards d'euros en 2018 à 8,3 milliards d'euros en 2022.

Évolution des ressources budgétaires de la mission « Justice »

(en milliard d'euros courants, hors charges de pension et à périmètre constant)

En milliards d'euros

2018

2019

2020

2021

2022

Crédits de paiement de la mission « Justice », hors charges de pensions

7,0

7,3

7,7

8,0

8,3

Source : projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, article 1 er

Si la hausse est plus régulière que pour la mission « Défense », il n'en reste pas moins qu'elle supposera de dégager des moyens supplémentaires chaque année pour ces deux missions alors que le Gouvernement prévoit dans le même temps de diminuer le déficit public afin de le ramener à - 0,3 % du PIB en 2022.

b) L'absence de budgétisation du service national universel

Le service national universel (SNU), dont le Gouvernement n'a encore précisé ni l'organisation, ni le coût prévisionnel, entraînera des dépenses importantes de fonctionnement et d'infrastructure, qui ne font l'objet d'aucun chiffrage dans le cadre de ce projet de budget .

Le groupe de travail sur le service national universel 86 ( * ) a estimé le coût d'investissement en infrastructure à 1,75 milliard d'euros sur sept ans, avec un coût de fonctionnement en rythme de croisière de 1,6 milliard d'euros par an, ceci ne concernant que la phase d'engagement obligatoire entre 15 et 18 ans.

Notre collègue Éric Jeansannetas, rapporteur spécial des crédits de la mission « Sport, jeunesse et vie associative », estime entre 2,1 et 4,3 milliards d'euros par an, soit de 0,1 à 0,2 point de PIB, le coût de l'ensemble du dispositif, y compris la phase d'engagement volontaire entre 18 et 25 ans.

Votre rapporteur général partage les inquiétudes du rapporteur spécial en charge de la mission « Sport, jeunesse et vie associative » pour l'impact du SNU sur les finances de l'État mais aussi, au titre de la mobilisation des infrastructures, des collectivités territoriales.

c) Un grand plan d'investissements qui ne répond pas aux annonces faites

Le Gouvernement a annoncé le 25 septembre 2017 le lancement d'un « grand plan d'investissement » (GPI) qui fait l'objet de dispositions spécifiques dans la loi de programmation des finances publiques pour 2018 à 2022, avec un mode de gestion budgétaire spécifique.

Votre rapporteur général regrette que les dispositions de la loi de programmation ne soient pas respectées : l'article 31 prévoit en effet qu'un document d'information sur le GPI, dont le contenu avait été enrichi par le Sénat, est « déposé sur le bureau des assemblées parlementaires et distribué au moins cinq jours francs avant l'examen par l'Assemblée nationale, en première lecture, des crédits de la première des missions concernées ». Or l'Assemblée nationale a examiné les crédits consacrés aux missions budgétaires à partir du 30 octobre 2018 et le « jaune » budgétaire du GPI n'a été publié que le 14 novembre suivant, sans contenir les informations demandées par la loi de programmation.

Le rapport ou « jaune » budgétaire relatif au grand plan d'investissement

Le rapport relatif au GPI doit comprendre :

- la récapitulation des crédits consacrés au plan, par mission, programme et action, au cours des trois précédents exercices, de la prévision d'exécution pour l'exercice en cours et de la prévision pour les trois années à venir, en distinguant les crédits redéployés des crédits nouveaux ainsi que les moyens de financement, suivant qu'il s'agit de crédits budgétaires ou d'instruments financiers ;

- un bilan détaillé des mesures financées au titre de ce plan pour l'ensemble des administrations publiques ;

- une présentation exhaustive et par année des modifications apportées à la répartition initiale des crédits ;

- une présentation, pour les trois exercices précédents, en cours et à venir, des conséquences sur les finances publiques des investissements financés par les crédits relevant du plan, en particulier leurs conséquences sur le montant des dépenses publiques, des recettes publiques, du déficit public et de la dette publique, en précisant les administrations publiques concernées ;

- les résultats attendus et obtenus, mesurés au moyen d'indicateurs précis dont le choix est justifié ;

- une présentation des dispositifs de sélection des projets et programmes financés dans le cadre de ce plan ainsi que des méthodes d'évaluation retenues pour mesurer les résultats obtenus.

Source : n° 2018-32 du 22 janvier 2018 de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022, article 31

Ce retard nuit à l'information du Parlement , alors même que les crédits du grand plan d'investissement font l'objet d'un mode de gestion dérogatoire qui justifie qu'une attention particulière leur soit portée.

Des règles de gestion spécifiques sont en effet prévues afin d'identifier et de sanctuariser les crédits qui lui sont consacrés :

- les crédits entrant dans le cadre du GPI sont identifiés de manière séparée au sein des projets annuels de performances de chaque mission ;

- ces crédits sont exonérés de mise en réserve : la réserve de précaution de chaque mission concernée doit porter sur les crédits autres que ceux fléchés vers le GPI.

Enfin, les crédits consacrés à une action du GPI peuvent être réalloués vers une autre action en fonction des résultats obtenus. Le « jaune » budgétaire consacré au GPI l'an passé prévoit que, dans un esprit d'incitation à davantage d'efficience, un minimum de 3 % des crédits devrait faire l'objet d'une réallocation chaque année.

Le GPI représente au total, selon la présentation faite par le Gouvernement, 57 milliards d'euros de dépenses non pérennes, sur cinq ans et poursuivant quatre finalités :

- transition écologique (20 milliards d'euros) ;

- accès à l'emploi et formation (15 milliards d'euros) ;

- enseignement supérieur, recherche et innovation (13 milliards d'euros) ;

- développement de l'État numérique (9 milliards d'euros).

Cette présentation ne doit pas faire illusion sur la portée réelle du plan , qui consiste en partie en une nouvelle présentation de crédits déjà prévus ou qui auraient de toute manière été engagés, par exemple pour la rénovation des cités administratives.

En effet, le GPI inclut l'ensemble du troisième volet des programmes d'investissements d'avenir (PIA 3), pour un montant de 10 milliards d'euros. Il inclut également la réorientation d'investissements déjà existants, à hauteur de 12 milliards d'euros, ainsi que des prêts, des fonds propres ou des fonds de garantie à hauteur de 11 milliards d'euros.

Le GPI bénéficie d'ailleurs de recettes circonstancielles. Le financement destiné à l'Agence nationale de l'habitat (Anah) pour la rénovation des « passoires » thermiques atteint ainsi, en 2018, 110 millions d'euros en prenant en fait la suite d'un financement apporté par le PIA 1, et passe à 260 millions d'euros en 2019 selon le projet annuel de performances de la mission « Cohésion des territoires ». En réalité cette augmentation est due pour l'essentiel à un surcroît non anticipé de recettes issu des ventes de quotas carbone 87 ( * ) .

Par ailleurs, bien que les dépenses soient présentées comme « non pérennes », certaines actions comprennent des crédits de titre II, notamment l'action 16 « Coordination de la politique numérique » du programme 129 « Coordination du travail gouvernemental », dont les crédits sont rattachés au GPI en titre II à hauteur de 19,2 millions d'euros en 2018 et 14,3 millions d'euros sur le même titre en 2019.

Enfin, les dépenses du grand plan d'investissement sont , là encore, repoussées pour l'essentiel sur les années postérieures à 2020 , afin de respecter la cible de 57 milliards d'euros sur les cinq années du plan.

Échéancier prévisionnel des crédits du grand plan d'investissement

(en milliards d'euros, hors 11 milliards d'euros de prêts et garanties 88 ( * ) )

Source : calculs commission des finances du Sénat, à partir des documents budgétaires


* 84 On peut donner l'exemple de la gestion des aides à la pierre, pour laquelle l'État tient encore à conserver un rôle en décalage aussi bien avec les financements qu'il apporte, désormais nuls en 2019, et les moyens humains dont il dispose (voir Aides à la pierre : du retrait de l'État à la décentralisation ?, rapport n° 3 (2017-2018) présenté le 3 octobre 2018 par Philippe Dallier).

* 85 Rapport annexé à la loi n° 2018-32 du 22 janvier 2018 de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022.

* 86 Rapport relatif à la création d'un service national universel, rapport établi par le général de division Daniel Menaouine.

* 87 La fraction revenant à la rénovation thermique via le GPI aurait d'ailleurs pu être plus élevée encore en 2019 si le Gouvernement n'avait pas décidé, à l'article 29 du présent projet de loi de finances, de proposer l'abaissement de 550 à 420 millions d'euros du plafond d'affectation de cette ressource à l'Anah et de limiter donc les financements dont bénéficiera l'Agence en 2019.

* 88 En l'absence d'information pour 2019, les chiffres se fondent sur l'hypothèse d'une contribution de l'ONDAM « établissements de santé » identique à 2018, soit 403 millions d'euros. Les crédits des missions budgétaires sont indiqués dans les projets annuels de performance pour 2019.

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