II. FONDS « ENTREPRENEURS DU VIVANT » (FRANCE 2030), OU QUAND LA COMMUNICATION CÈDE LA PLACE À L'IMPROVISATION

Annoncé à grands renforts de communication par le Président de la République en personne en septembre 2022, à Terres de Jim, la réunion annuelle du syndicat Jeunes agriculteurs, un fonds « Entrepreneurs du vivant » d'un montant d'au moins 400 M€, devait être la pierre angulaire du Pacte d'orientation et d'avenir agricoles, « portant dans les premières années le foncier pour permettre de lisser la charge pendant plusieurs années et aidant à mener les transformations indispensables pour que la reprise soit aussi un moment d'accélération ».

Plus d'un an après l'annonce, ce fonds, nimbé de mystère, suscite autant d'attentes, à l'approche d'un renouvellement massif de la population agricole, qu'il n'est entouré de flou :

Ø Les rapporteurs n'ont toujours pas connaissance des raisons ayant conduit l'exécutif à annoncer un tel montant plutôt qu'un autre, ce qui rappelle la méthode à l'envers de la planification écologique (annonce de moyens réflexion sur leur affectation).

Ø Ils comprennent qu'en raison de l'absence d'une offre suffisamment mature de fonds de portage du foncier, il sera en réalité difficile de consacrer plus de 60 M€, soit environ 15 % du fonds de fonds, à ce sujet, alors que les besoins en portage du foncier et des capitaux sont considérables. Or, la plupart des acteurs interrogés, à commencer par le syndicat Jeunes agriculteurs, avaient compris que l'intégralité du fonds serait dédiée au foncier, ce qui révèle toute l'ambiguïté de cette annonce. 12 M€ par an pendant 5 ans, c'est deux fois moins que ce que la Banque des territoires consacre déjà chaque année à cette politique.

Ø Ils s'interrogent de ce fait sur la réelle portée du fonds, les 400 M€ semblant correspondre à l'assemblage de mesures disparates « marketées » sous un nom unique, sans cohérence de fond. Il n'est pas anodin que le syntagme « Entrepreneurs du vivant » ait d'abord été utilisé par le Gouvernement dans des campagnes de communication.

Ø Ils ne comprennent toujours pas la logique du rattachement d'un fonds de portage du foncier à France 2030, censé financer l'innovation de rupture, le seul motif évoqué étant le statut d'investisseur avisé du Secrétariat général pour l'investissement. Ils se demandent comment le Gouvernement contrôlera que les moyens libérés par le portage du foncier seront bien consacrés à des investissements de « transformation ».

Ø Ils craignent que le fonds pâtisse des problèmes généraux de sous-consommation de France 2030 (17 % seulement des 2,9 Md€ consacrés à l'agriculture, à l'alimentation et à la forêt ont été engagés mi-2023) liés à sa forte sélectivité et à des procédures complexes d'attribution des crédits.

Ø Ils regrettent que la doctrine d'utilisation du fonds soit encore en cours d'élaboration, à deux mois de son lancement théorique, et que sa forme même ne soit pas arrêtée, bien que la possibilité d'un fonds de fonds géré par la Banque des territoires soit évoquée.

Ø Ils craignent que le retard pris dans la définition de ce fonds, les délais de lancement du fonds Elan de la FNSafer, et plus largement le report de la présentation du PLOAA au Parlement n'occasionnent un goulet d'étranglement, le renouvellement devant être réalisé en quelques années.

Ø Ils déplorent enfin que la promesse d'une association des chambres, des syndicats et surtout des régions semble complètement oubliée, puisqu'elle se traduirait désormais seulement par l'éligibilité des fonds de portage du foncier régionaux à ce fonds de fonds.

Les rapporteurs sont très préoccupés par le manque de visibilité sur les contours du fonds « Entrepreneurs du vivant », pourtant censé être au coeur du Pacte d'orientation et d'avenir agricoles

Amendement n° 2 : Suggérer au Gouvernement des lignes directrices pouvant l'aiguiller dans l'élaboration.

Devant l'urgence du renouvellement, et suivant leur logique constructive, les rapporteurs se proposent en effet d'aider le Gouvernement à sauver le fonds Entrepreneurs du vivant en suggérant sept lignes directrices :

Association des régions : au-delà de la seule éligibilité des fonds de portage régionaux à ce fonds de fonds, ce dernier devrait être adapté aux spécificités de chaque région, en association étroite avec les exécutifs régionaux.

Facilité d'accès : c'est la condition des conditions, en lien avec la création du futur réseau « France service agriculture » annoncé dans le cadre du PLOAA. Un équilibre doit être trouvé entre la conditionnalité, pour s'assurer de la contribution des investissements à la transition écologique et la simplicité d'accès à ce fonds, qui permettra sa massification.

Priorité à l'installation : les projets d'installation doivent être préférés à l'agrandissement, qui ne devrait toutefois pas être exclu par principe de l'éligibilité à ce fonds. Seuls les agrandissements consécutifs à une amputation de surface liée à une expropriation pour cause d'utilité publique ou en dessous d'un certain seuil (par exemple le seuil d'agrandissement significatif, entre 1,5 et 3 fois la surface agricole utile régionale moyenne, de la loi du 23 décembre 2021 dite « Sempastous ») devraient être éligibles à ce fonds, sans quoi ce dernier risque de favoriser la concentration du fait des économies d'échelle.

Plafond différencié par typologie de culture : en effet, les secteurs au foncier coûteux tels que la viticulture ou l'arboriculture pâtissent de plafonds ne permettant de porter que quelques ha, et devraient bénéficier de dérogations.

Statut et propriété du foncier à long terme : il faut permettre aux agriculteurs de réinvestir dans le foncier par la suite et non dissocier durablement la propriété de l'activité agricole, avec le risque que cela ferait porter en termes de financiarisation du foncier agricole.

Lien avec la fiscalité du foncier : il faut engager une réflexion sur la complémentarité entre ce fonds et la fiscalité applicable au foncier.

Ouverture aux foncières solidaires SIEG : le statut d'investisseur avisé du SGPI faisant obstacle à leur financement, il faudrait les intégrer par des voies juridiques détournées.

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