III. PRODUITS PHYTOSANITAIRES : APRÈS LA PHASE D'ÉMERGENCE DE SOLUTIONS, IL FAUT LES DIFFUSER MASSIVEMENT PAR DES AIDES DIRECTES AUX AGRICULTEURS AU SEIN D'ECOPHYTO 2030

Annoncée par la Première ministre au salon de l'agriculture en février 2023, la nouvelle approche du Gouvernement en matière de réduction de l'usage des produits phytopharmaceutiques (PPP) consiste à anticiper davantage le retrait éventuel de substances actives par les autorités européennes, en accélérant la recherche sur des alternatives, y compris chimiques, et en accompagnant les changements de pratiques. L'enjeu est de passer d'une logique de gestion de crise permanente subie et par à-coups, à l'instar de ce qui s'est produit pour les néonicotinoïdes en janvier 20236(*), à une logique de transition planifiée, choisie et lissée. Cela se traduit dans le projet de loi de finances pour 2024 par deux évolutions concomitantes, l'une fiscale, et l'autre budgétaire.

A. LA HAUSSE DE 37 M€ DE LA REDEVANCE POUR POLLUTIONS DIFFUSES

Sur le plan fiscal, il est proposé à l'article 16, au milieu d'une refonte plus globale du financement des agences de l'eau et des redevances qui lui sont affectées7(*), une hausse de 20 % de la redevance pour pollutions diffuses (article L. 213-10-8 du code de l'environnement), soit 37 M€, ce qui porterait son produit total à 217 M€ en prévisionnel.

Source : commission des affaires économiques,
d'après CGAAER (2021) et jaune « agences de l'eau ».

MM. Duplomb et Menonville admettent que l'approche : réduction des volumes de PPP utilisés par des incitations fiscales est préférable à l'approche : retrait de substances actives par la réglementation. Plus pragmatique, elle laisse in fine la liberté de recourir à ces produits, même si c'est à des conditions économiques dégradées.

La conviction des trois rapporteurs, largement partagée par tous leurs interlocuteurs8(*), est toutefois que la hausse de la fiscalité en application du principe pollueur-payeur ne suffira pas à elle seule à engager la réduction des volumes de PPP utilisés en agriculture. D'après un rapport interministériel de 20139(*), en effet, il faudrait doubler leur prix pour obtenir une diminution de 40 à 50 % de leur usage (élasticité-prix de -0,4 à -0,5).

Bien que les dépenses en PPP ne représentent que 5 % des consommations intermédiaires des agriculteurs10(*), toute hausse des coûts de production pourrait accroître, dans le contexte actuel, les importations - y compris produites au moyen des produits qui sont pourtant l'objet de la taxation -, tant au sein du marché intérieur en cas de sur-transposition, que vis-à-vis d'États tiers en l'absence de clauses miroirs.

Comme cela a été confirmé aux rapporteurs, l'augmentation de la RPD ne s'inscrit dans aucune trajectoire d'évolution à moyen terme, ce qui nuit à la prévisibilité de cette taxe pour les agriculteurs. La hausse de la RPD par à-coups dans les PLF 2019 et 2024 donne l'impression de répondre plus à des préoccupations de bouclage du budget qu'à une véritable logique pollueur-payeur. Cette année par exemple, la hausse de 37 M€ de la RPD est présentée comme contrepartie, entre autres, du nouveau fonds hydraulique de 30 M€ pour la gestion quantitative de l'eau, sans rapport direct, donc, avec la gestion des PPP.

Sur le produit total de cette taxe, 41 M€ sont fléchés vers le programme national Écophyto, géré par l'OFB, et 30 M€ fléchés vers sa déclinaison régionale, gérée en propre par les agences de l'eau. Les 146 M€ restants (y compris, de façon incompréhensible, les 37 M€ de hausse envisagés pour 2024) ne sont pas en tant que tels affectés au financement d'Écophyto, mais reversés au budget courant des agences de l'eau.

Or, la Cour des comptes pointait dès 201511(*) « l'insuffisante transparence des décisions d'aide financière » des agences de l'eau. La situation ne semble guère s'être améliorée depuis, en particulier pour les 30 M€ régionaux d'Ecophyto gérés en propre par les agences de l'eau.

Les rapporteurs comprennent d'autant moins qu'à leurs questions sur la transparence des actions des agences de l'eau, il leur soit simplement objecté que le taux d'effort des agriculteurs est plus faible que celui des autres usagers, et que l'agriculture bénéficie globalement davantage de ses financements qu'elle n'y contribue. Cette balance positive au profit de l'agriculture devrait au contraire inciter l'administration à mettre en avant sa contribution à l'amélioration des pratiques agricoles.

Amendement n° 3 : les rapporteurs proposent de revenir sur la hausse de 37 M€ de la RPD envisagée à l'article 16. Par ailleurs, ils demandent de façon transpartisane un renforcement du taux de retour de la RPD aux agriculteurs, en finançant les 30 M€ du fonds hydraulique par le budget général, pour affecter la même somme directement à la réduction de l'usage des produits phytosanitaires, sans passer par le budget courant des agences de l'eau.


* 6 CJUE, C-162/21, Pesticide Action Network Europe, janvier 2023.

* 7 Cette refonte fait suite au plan Eau annoncé par le président de la République en mars 2022.

* 8 C'est cette conviction partagée qui avait conduit à la mise en place des certificats d'économie de produits phyto.

* 9 CGAAER-CGEDD-IGF, « La fiscalité des produits phytosanitaires », 2013.

* 10 2,8 Md€ sur 56 Md€ en valeur, selon Agreste, « Commission des comptes de l'agriculture de la Nation », 2023.

* 11 Cour des comptes, Rapport public annuel, 2015.

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