B. LE DÉFI DE LA TRANSITION ÉCOLOGIQUE DU PATRIMOINE

1. Une nouvelle priorité encore imparfaitement traitée

La transition écologique de la culture figure parmi les priorités assignées à la ministre de la culture dans le cadre de sa feuille de route. Face au changement climatique et, désormais, à l'urgence en matière de sobriété énergétique, il est évident que le secteur des patrimoines ne saurait se tenir à l'écart de ce mouvement .

Il reste cependant essentiel que cette transition s'effectue dans le respect du patrimoine, dont la conservation et la transmission constituent également des objectifs de politique publique. Le cadre juridique est déterminant pour assurer une bonne conciliation entre les différentes ambitions.

L'action du ministère de la culture sur les questions de transition écologique apparait encore partielle et timide. Les journées européennes du patrimoine étaient consacrées cette année à la question du patrimoine durable. Des crédits d'investissement sont par ailleurs fléchés vers la réalisation de travaux contribuant à l'isolation thermique et à l'amélioration des performances énergétiques de certains musées et monuments, à l'instar du musée d'Orsay. Mais ces enveloppes devront être complétées dans les années à venir pour atteindre les objectifs. Par ailleurs, l'enjeu pour le ministère ne saurait se réduire à la seule amélioration du bilan énergétique de ses opérateurs ou de ses monuments . Il concerne tout le bâti ancien, tant cette transition pourrait affecter l'aspect et la pérennité du patrimoine urbain et paysager, dont le ministère est également chargé d'assurer la préservation.

Ces questions, qui relèvent du ministère de la transition écologique, ont jusqu'ici très largement échappé au ministère de la culture . La Cour des comptes déplore, dans son rapport précité, « l'absence d'une doctrine claire de l'État articulant protection du patrimoine et transition écologique » et le manque d'association du ministère de la culture à la définition de cette politique. Signe de ce déficit d'association, le rapporteur a été alerté sur le fait que les critères de prix et de délai de réalisation avaient supplanté toute autre considération lors de l'attribution des marchés visant à la rénovation énergétique des bâtiments publics financés par le plan de relance, même lorsqu'il s'agissait de monuments historiques.

2. Les dangers générés par le nouveau cadre juridique en matière de rénovation thermique

Le besoin d'articuler correctement les objectifs de protection du patrimoine et de transition écologique revêt désormais un caractère d'urgence avec l'entrée en vigueur progressive des mesures fixées par la loi du 22 août 2021 dite « Climat et résilience » visant à accélérer la transition énergétique de l'habitat : classement des logements en fonction de leur performance en matière énergétique et en matière d'émission de gaz à effet de serre, gel des loyers et interdiction à la location des passoires thermiques.

Le texte ménage peu d'exceptions en faveur du patrimoine en dehors des monuments historiques. Seuls les immeubles labellisés « Architecture contemporaine remarquable » et ceux faisant l'objet de règles relatives à l'aspect extérieur fixées par le plan local d'urbanisme pourraient aussi échapper à l'obligation de rénovation énergétique performante.

Les modalités de calcul du nouveau diagnostic de performance énergétique (DPE), uniformes quel que soit le type de bâti, ne permettent pas de rendre compte des performances réelles du bâti ancien et conduisent à le classer dans la catégorie des passoires thermiques . Les performances énergétiques sont mesurées en fonction d'un certain nombre d'éléments évalués indépendamment les uns des autres (bâti, qualité de l'isolation, type de fenêtres, système de chauffage, ventilation mécanique), sans tenir compte de leurs interactions. À la différence des constructions récentes, le bâti d'avant 1948 dispose de caractéristiques particulières (parois perspirantes, conception bioclimatique tirant le meilleur parti de l'environnement, grande inertie thermique procurant un confort en été) qui le rendent moins énergivore que les résultats du DPE ne le laissent croire.

Source : Maisons paysannes

Source : Centre de ressources pour la réhabilitation du bâti ancien

Conjuguées à la pression foncière sur les parcelles bâties générées par l'introduction, dans la même loi, du principe du « zéro artificialisation nette », ces nouvelles dispositions pourraient se traduire par un effacement progressif du petit patrimoine et une banalisation des caractéristiques architecturales propres à chaque région . Elles ne laissent aux propriétaires de biens antérieurs à 1948 d'autre choix que de vendre leurs biens, dont la valeur est dépréciée par les résultats du DPE, ou d'engager en urgence des travaux de rénovation. Or, les solutions de rénovation thermique préconisées (isolation par l'extérieur, installation de menuiseries étanches) sont inappropriées à ce type de bâti perspirant . Elles génèrent, d'une part, des pathologies rendant sa dégradation irréversible. Elles font perdre, d'autre part, à ce bâti sa valeur patrimoniale et architecturale. Les principales déperditions de chaleur dans le bâti ancien interviennent au niveau de la toiture : l'isolation du toit et des combles doit faire figure de priorité afin d'améliorer ses performances thermiques.

« Le bâtiment le plus vert est celui qui est déjà construit », Carl Elefante.

La commission est convaincue que la disparition de ce patrimoine serait un désastre d'un point de vue culturel, touristique, économique mais aussi écologique . Au regard de l'impact carbone d'une nouvelle construction et de la quantité de matériaux qu'elle nécessite, dont beaucoup sont importés, la réhabilitation du bâti ancien devrait, au contraire, être privilégiée . Elle n'exige qu'une faible quantité de matériaux, dont l'empreinte environnementale est par ailleurs faible (pierre, bois ou, pour l'isolation, chanvre, lin...), et pouvant être, soit extraits localement, soit récupérés. Elle peut participer au développement de l'économie locale et fournir de nouveaux débouchés à l'agriculture ou à la sylviculture.

3. La nécessité d'un engagement urgent du ministère de la culture

La commission est convaincue que le patrimoine ne doit pas être soustrait à la transition écologique, qu'elle juge nécessaire. En revanche, une très forte mobilisation du ministère de la culture dans les mois à venir est indispensable pour éviter que les travaux de rénovation énergétique appelés à se multiplier ne se traduisent par la perte de patrimoine et de savoir-faire ainsi que par un gaspillage d'argent public.

Plusieurs leviers d'action pourraient être mobilisés :

ð L'adaptation urgente du cadre réglementaire (DPE, labels...) afin d'assurer une meilleure prise en compte de la performance énergétique effective du bâti ancien et d'intégrer une mesure du confort thermique d'été du bâtiment.

Le ministère de la culture a fait part de son intention de constituer un groupe de travail sur la question du cadre réglementaire. La commission de la culture souligne l'importance d'une révision des critères du DPE dès 2023 ;

ð La formation des professionnels : adaptation du contenu de la formation dispensée aux élèves des écoles nationales supérieures d'architecture aux enjeux liés à la restauration du patrimoine et à sa rénovation énergétique ; travail de montée en compétences des diagnostiqueurs, des accompagnateurs rénov', des maîtres d'oeuvre et des entreprises spécialisées sur les spécificités de la performance et de la rénovation thermique en fonction des différents types de bâti.

Le Conseil national de l'ordre des architectes a par ailleurs alerté sur le nombre insuffisant d'architectes formés chaque année en France afin de relever les ambitions fixées par l'État en matière de transition énergétique. Il insiste en particulier sur le fort besoin d'accompagnement en ingénierie des collectivités territoriales à ce sujet ;

ð L'enrichissement des connaissances relatives au bâti ancien et aux moyens d'améliorer ses performances énergétiques : étude des solutions de rénovation thermiques les plus adaptées aux différents types de bâti ancien après sélection d'échantillons de bâtis représentatifs de la diversité de chacune des régions ; soutien aux acteurs et aux associations menant des études sur ce sujet.

Le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) a ainsi mis en place, en 2018, un portail dénommé CREBA, en collaboration avec l'école des arts et métiers Paris Tech, le laboratoire de recherche en architecture de l'ENSA de Toulouse et les associations Maisons paysannes de France et Sites & Cités remarquables, destiné à rassembler les ressources permettant une réhabilitation responsable du bâti ancien ;

ð Le soutien à la recherche de solutions de rénovation thermique adaptées au bâti ancien, en lien avec les filières professionnelles : soutien au développement de technologies compatibles avec les caractéristiques du bâti ancien ou moins impactantes sur le plan visuel dans l'objectif d'en réduire les coûts afin de les rendre davantage accessibles ;

ð L'accompagnement du développement de filières de production de matériaux de construction locales ;

ð La sensibilisation des différentes catégories de propriétaires aux enjeux et aux modalités d'une rénovation respectueuse des caractéristiques du bâti ancien : recensement et diffusion des bonnes pratiques, publication de guides pratiques (isolation des combles, des murs et des planchers, menuiseries, chauffage, ventilation...) ; nomination de référents en charge de la transition énergétique dans les DRAC ; renforcement de la collaboration avec les Conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement dans ce domaine ;

ð La remise à plat des aides financières : réduction et encadrement des aides à la démolition dans les programmes d'amélioration de l'habitat et de rénovation urbaine, en soumettant, par exemple, toute démolition à l'élaboration d'un diagnostic patrimonial préalable ; prise en compte des caractéristiques spécifiques du bâti ancien dans le cadre de l'éco-conditionnalité des aides publiques à la rénovation énergétique ; mise en place d'aides à la restauration patrimoniale dans les centres anciens valorisant les éco-matériaux en circuit court ; création d'un label semblable à celui de la Fondation du patrimoine pour les travaux de rénovation énergétique respectueux du bâti ancien.

Un renforcement du dialogue interministériel entre le ministère de la culture et le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires (MTECT) apparait comme l'une des conditions clés de la réussite de la transition écologique du patrimoine. La nomination d'un référent « patrimoine » au sein du MTECT pourrait contribuer à garantir une meilleure articulation entre les objectifs poursuivis par les deux ministères. L'organisation de concertations avec les différentes parties prenantes, tels, par exemple, des États généraux du patrimoine durable , pourrait également constituer une piste permettant d'identifier les différents enjeux et les meilleurs voies et moyens pour y répondre.

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La commission de la culture, de l'éducation et de la communication a émis, lors de sa réunion plénière du 15 novembre 2022, un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 175 « Patrimoines » du projet de loi de finances pour 2023 .

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