EXAMEN EN COMMISSION

MERCREDI 16 NOVEMBRE 2022

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M. Laurent Lafon, président . - Nous débutons cette semaine par l'examen des crédits du programme « Patrimoines » au sein de la mission « Culture ».

Mme Sabine Drexler, rapporteur pour avis sur les crédits des patrimoines . - Le monde du patrimoine appréhendait le niveau des crédits en 2023 après les aides exceptionnelles dont il a bénéficié pendant la crise sanitaire. L'État maintient finalement son effort en 2023 : les crédits du programme continuent leur progression dans des proportions significatives : + 7,5 %. Il reste à espérer qu'il s'agira d'une hausse pérenne, compte tenu de la sous-dotation des crédits du patrimoine que nous constations jusqu'alors.

La moitié de cette hausse (37,4 millions d'euros) vise cependant à compenser l'inflation qui affecte le fonctionnement des opérateurs et l'activité des chantiers de restauration. Les montants sont répartis à parts égales entre ces deux enjeux.

Le directeur général des patrimoines n'a pas caché que cette enveloppe serait insuffisante pour couvrir le niveau de l'inflation. Les opérateurs devront puiser dans leurs ressources propres pour financer une partie des surcoûts de fonctionnement et d'investissement. Il est également possible que des chantiers de restauration de monuments historiques soient reportés à 2024, si leur renchérissement se révèle trop important.

Les mesures nouvelles, d'un montant de 38 millions d'euros, sont inégalement réparties entre les différentes actions du programme.

Elles sont concentrées sur les monuments historiques, les opérateurs nationaux et les moyens de l'archéologie préventive. Le Gouvernement justifie ces arbitrages par la volonté de parachever les mesures du plan de relance.

En ce qui concerne les monuments historiques, il me semble que nous pouvons nous réjouir du léger rééquilibrage des crédits entre l'Ile-de-France et les autres régions. Les crédits destinés aux grands chantiers, qui profitent habituellement principalement à l'Ile-de-France, sont en baisse en 2023. Par ailleurs, deux des trois nouveaux grands projets lancés portent sur des monuments non franciliens : la cathédrale de Nantes et l'abbaye de Clairvaux. Néanmoins, il reste à fournir des efforts conséquents pour assurer une plus grande équité territoriale.

De ce point de vue, j'avoue regretter que le ministère de la culture n'ait pas profité de ces nouveaux crédits pour corriger d'autres déséquilibres que nous signalons depuis plusieurs années.

Ainsi, les crédits destinés à la restauration des monuments historiques ou à la rénovation des équipements patrimoniaux des collectivités territoriales n'enregistrent, eux, aucune progression en 2023. Seule exception : les crédits du fonds incitatif et partenarial pour la restauration des monuments historiques situés dans des communes à faibles ressources, revalorisés à hauteur de 2 millions d'euros, pour un montant total de 18 millions d'euros.

Compte tenu de l'effet ciseaux auxquelles les collectivités territoriales sont confrontées, mais aussi des problèmes d'ingénierie qu'elles rencontrent, je regrette vraiment que la question des collectivités territoriales n'ait pas fait l'objet d'une attention spéciale dans ce budget, au-delà des opérations réalisées dans le cadre du plan de relance.

À cet égard, la situation des effectifs dans les services déconcentrés en charge du patrimoine me parait vraiment préoccupante. J'ai abordé cette question avec l'ensemble des personnes que j'ai auditionnées. Il apparait que les conservations régionales des monuments historiques (CRMH), comme les unités départementales de l'architecture et du patrimoine (UDAP) sont proches de la rupture. La progression des effectifs depuis 2013 a été sans commune mesure avec l'augmentation des charges de ces services.

La mise en oeuvre du plan de relance, la multiplication du nombre de demandes d'urbanisme suite à la crise sanitaire, ainsi que la nouvelle application de gestion déployée pour rendre possible la dématérialisation des procédures d'urbanisme, sont encore venues exacerber les tensions depuis un an.

Malheureusement, les départs à la retraite programmés de 36% des effectifs des CRMH et de 33% des effectifs des UDAP dans les trois ans à venir n'augurent rien de bon. Il faut absolument parvenir à inverser la tendance. La tâche s'avère d'autant plus délicate que ces métiers semblent souffrir d'une réelle désaffection. Ce manque d'attractivité s'explique à la fois par le manque d'attrait de la rémunération, des perspectives de carrière limitées et une dégradation de l'intérêt des missions exercées, avec une part croissante prise par les tâches d'instruction, de contrôle, de surveillance et de reporting.

Le ministère de la culture a pris plusieurs mesures afin de pallier ces problèmes d'effectifs : l'embauche de contractuels a été encouragée afin de pourvoir les postes vacants ; un concours est organisé en 2023 pour recruter une centaine d'ingénieurs et de techniciens ; un plan de rattrapage indemnitaire est en cours ; et une revue des missions a été engagée en Nouvelle-Aquitaine afin d'améliorer les conditions d'exercice des métiers.

Ces mesures méritent, à mon sens, d'être complétées par d'autres actions destinées à améliorer l'offre de formation, à promouvoir ces métiers et à revaloriser les missions des agents.

Je crains à terme pour la capacité de l'État à assumer ses missions régaliennes en matière de protection du patrimoine. Ces moyens humains sont indispensables à l'efficacité de la politique et des crédits de l'État en faveur du patrimoine.

Je ne me résous pas non plus à accepter que les services déconcentrés ne soient plus en mesure de répondre aux demandes d'accompagnement des collectivités territoriales et des particuliers, faute de personnel. Il serait dangereux, à mon sens, de sacrifier cette mission d'expertise et de conseil, qui contribue à la solidité de l'ancrage territorial du ministère de la culture et répond à une attente forte des préfets comme des élus locaux. Cela conduirait à fragiliser et à remettre en cause l'autorité des services déconcentrés : nous l'observons bien avec les architectes des Bâtiments de France.

Le second déséquilibre sur lequel je souhaite attirer votre attention, c'est la faiblesse des crédits alloués à l'architecture et aux sites patrimoniaux remarquables (SPR) en comparaison de ceux alloués au patrimoine monumental. Face à la montée en puissance des enjeux de revitalisation des centres anciens, mais aussi de transition écologique et énergétique, il me semble indispensable que le ministère de la culture s'engage davantage. Il reste aujourd'hui très en retrait sur ces questions, qui sont l'apanage du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Son association à l'élaboration de ces politiques publiques me semble primordiale afin de garantir une articulation correcte entre celles-ci et la protection du patrimoine.

J'ai choisi de vous proposer ici un gros plan sur le défi que constitue la transition écologique du patrimoine, dans la mesure où la Première ministre, Élisabeth Borne, a assigné comme priorité à la nouvelle ministre de la culture de réaliser la transition énergétique de son ministère.

Sur le volet patrimoine, l'action du ministère de la culture m'apparait encore partielle et timide. La seule traduction budgétaire de cette priorité, ce sont des crédits fléchés vers l'amélioration des performances énergétiques des bâtiments occupés par les opérateurs. Or, l'enjeu pour le ministère de la culture me semble dépasser largement ce champ, puisque la transition pourrait affecter l'aspect et la pérennité de tout le patrimoine urbain et paysager, dont le ministère est chargé d'assurer la préservation.

En effet, la loi du 22 août 2021 dite « Climat et Résilience » crée une véritable urgence à agir, compte tenu des mesures coercitives qui frapperont progressivement les passoires thermiques dans les années à venir : gel des loyers, interdiction à la location. En dehors des monuments historiques, tout le patrimoine est assujetti à ces nouvelles obligations.

Le problème, c'est que les modalités de calcul du nouveau diagnostic de performance énergétique, qui sont désormais identiques quel que soit le type de bâti, ne permettent pas de rendre compte des performances réelles du bâti ancien et conduisent à le classer dans la catégorie des passoires thermiques. Des études montrent que ce bâti est pourtant beaucoup moins énergivore que les constructions datant de la seconde moitié du XX e siècle, notamment des Trente Glorieuses, grâce à ses caractéristiques particulières : parois perspirantes, conception bioclimatique, forte inertie thermique procurant un confort en été sans besoin de climatisation.

Il ne faudrait pas que tout ce patrimoine non protégé disparaisse progressivement ou se banalise au point de faire perdre aux différentes régions leurs caractéristiques architecturales. Et c'est le risque que font peser ces mesures, sous l'effet conjugué du « zéro artificialisation nette » (ZAN) qui accroit la pression foncière, mais aussi de solutions de rénovations thermiques inappropriées, soutenues par des aides de l'État, qui ont pour effet de faire pourrir peu à peu les bâtiments de l'intérieur.

Une telle mise à sac du patrimoine me paraitrait d'autant moins légitime que je suis convaincue que la réhabilitation du bâti ancien constitue, d'un point de vue écologique, l'avenir de la construction. À la différence de la construction neuve, responsable de plus de 25 % des gaz à effet de serre dans notre pays, son empreinte environnementale est faible, puisqu'il n'est besoin que d'une faible quantité de matériaux, qui plus est durables et disponibles sans recours à l'importation.

Il est de notre devoir d'insister pour que le ministère de la culture se mobilise très fortement autour de cet enjeu.

Mon objectif n'est pas de soustraire le patrimoine aux impératifs de transition écologique. D'une part, parce que ce patrimoine représente environ 30 % du parc de logements en France et que sa rénovation constitue donc un gisement potentiel d'économies d'énergie significatif. D'autre part, parce que les occupants des logements anciens ont besoin d'améliorer leur confort thermique.

En revanche, il me semble utile de faire en sorte que les travaux de rénovation énergétique appelés à se multiplier ne se traduisent pas par la perte de patrimoine et de savoir-faire ainsi que par un gaspillage d'argent public.

À mon sens, le ministère de la culture doit agir sur plusieurs fronts :

Premièrement, il doit se mobiliser pour obtenir une modification du cadre réglementaire, avec notamment l'enjeu d'une révision urgente des modalités de calcul du DPE pour le bâti ancien.

Deuxièmement, il doit intervenir pour améliorer la formation des professionnels intervenant dans le cadre de rénovations énergétiques. La restauration du patrimoine doit devenir un axe majeur de l'enseignement dispensé au sein des écoles d'architecture. Des certifications sur le bâti ancien m'apparaitraient également primordiales pour les diagnostiqueurs, les accompagnateurs « Rénov », les maitres d'oeuvres et les entreprises spécialisées dans la rénovation thermique.

Troisièmement, le ministère doit accompagner l'enrichissement des connaissances relatives au bâti ancien et aux moyens d'améliorer ses performances énergétiques. Le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema), ainsi que plusieurs associations de sauvegarde du patrimoine (Maisons Paysannes, Sites et Cités remarquables), essaient de rassembler depuis quelques années un maximum de données. Une solution pourrait consister à mobiliser des crédits de l'action 2 pour sélectionner, dans chaque région, un échantillon de bâtiments anciens représentatifs afin d'étudier leurs défaillances thermiques et les solutions qui seraient les plus adaptées pour y remédier.

Quatrièmement, il faut absolument soutenir l'activité de recherche des filières professionnelles en faveur de solutions de rénovation thermique compatibles avec les caractéristiques du bâti ancien ou moins impactantes sur le plan visuel. Il y a aujourd'hui un problème de coût qui pousse les particuliers à se tourner vers les solutions standards qui ne sont pas adaptées. Parallèlement, il faut accompagner le développement de filières locales de production de matériaux de construction et d'isolation.

Sixièmement, le ministère de la culture doit agir pour mieux sensibiliser les différentes catégories de propriétaires aux enjeux et aux modalités d'une rénovation respectueuse des caractéristiques du bâti ancien. C'est tout l'enjeu du recensement et de la diffusion de bonnes pratiques, de la publication de guides pratiques, de la nomination de référents sur les questions énergétiques dans les directions régionales de l'action culturelle (Drac) ou du renforcement de la collaboration avec les conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE) dans ce domaine.

Enfin, il me semble que le ministère de la culture devrait initier une réflexion autour des aides financières. Il apparait absurde sur le plan écologique qu'il soit aujourd'hui moins cher de démolir pour reconstruire que de réhabiliter. Il me semble nécessaire de mieux encadrer les aides à la démolition en les soumettant, par exemple, à la réalisation d'un diagnostic patrimonial préalable. Il faudrait aussi mettre en place des aides à la restauration patrimoniale dans les centres anciens valorisant les éco-matériaux en circuit court. La Fondation du patrimoine estime que son label pourrait se voir adjoindre un volet pour les travaux de rénovation énergétique respectueux du bâti ancien.

Évidemment, le ministère de la culture ne pourra pas mener cette bataille seul. Il est indispensable qu'un dialogue interministériel régulier se mette en place. La nomination d'un référent « patrimoine » au sein du ministère de la transition écologique pourrait contribuer à garantir une meilleure articulation entre les objectifs poursuivis par les deux ministères.

L'organisation de concertations avec les différentes parties prenantes (ministère, collectivités territoriales, acteurs du patrimoine et de la rénovation énergétique) pourrait constituer une piste pour mieux identifier les différents enjeux et les meilleurs voies et moyens pour y répondre. Après les journées européennes du patrimoine sur le thème du patrimoine durable en 2022, pourquoi pas, en 2023, des « États généraux du patrimoine durable » ? Ce serait une première étape pour permettre progressivement au patrimoine de ne plus être l'otage de la transition écologique, mais bien l'un des leviers de la sobriété énergétique.

Pour le reste, et compte tenu de l'augmentation significative des crédits, je vous propose d'émettre un avis favorable à leur adoption.

Mme Marie-Pierre Monier . - Nous partageons complètement les positions de notre rapporteur. Avec 1,1 milliard d'euros, les crédits du programme 175 augmentent à un rythme équivalent à celui de l'ensemble de la mission par rapport à l'an dernier.

Mais il faut souligner que cette hausse des crédits dédiés au patrimoine pour 2023 doit être relativisée. D'une part, l'inflation s'élève environ à 6% ; d'autre part, les 77 millions supplémentaires du programme sont à comparer avec les 227 millions d'euros de plus qui avaient été budgétés au titre du plan de relance pour le secteur « Patrimoines » en 2022. On peut donc dire que cela revient à une réduction de 150 millions d'euros des moyens.

L'envolée des prix de l'énergie va continuer à peser fortement en 2023 sur l'équilibre financier des musées et des monuments. On peut craindre que l'ensemble du secteur du patrimoine se retrouve à nouveau en difficulté, alors qu'il sort à peine de celles liées à la crise sanitaire. Le patrimoine risque de ne pas être la priorité de nombreuses collectivités, notamment les plus petites. Elles auront besoin de plus de soutien pour assurer la sauvegarde et l'entretien du patrimoine dont elles ont la charge.

Je continue à plaider pour un meilleur équilibre de la répartition territoriale des crédits.

L'action 1 prévoit 490 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE) de crédits pour les monuments historiques et le patrimoine monumental. Les crédits en faveur de l'entretien et de la restauration des monuments historiques hors « grands projets » s'élèvent à 382 millions d'euros. Cette augmentation d'environ 24 millions d'euros par rapport à 2022 profite principalement aux crédits déconcentrés mis à disposition des Drac pour la restauration de monuments historiques appartenant à l'État, au plan Cathédrale et au projet de revalorisation du château de Gaillon.

Mais les moyens du fonds incitatif et partenarial (FIP) pour les monuments historiques des collectivités à faibles ressources sont, quant à eux, accrus de 2 millions d'euros, ce dont nous pouvons nous féliciter. Les crédits déconcentrés bénéficient d'un coup de pouce cette année, et j'espère que celui-ci sera durable.

Les crédits de l'action 2, qui avaient augmenté de près de 9% en 2022, retrouvent l'état de stagnation des exercices budgétaires précédents. Compte tenu de l'inflation, le maintien du niveau atteint en 2022 pour les crédits déconcentrés destinés aux CAUE ou au réseau du label Villes et Pays d'art et d'histoire constitue, en réalité, une baisse de leurs moyens, alors qu'ils contribuent par leur travail remarquable à soutenir les efforts des collectivités en faveur de la revalorisation du patrimoine.

Je m'étonne aussi de la stabilité, pour le sixième exercice budgétaire consécutif, des moyens consacrés au développement des sites patrimoniaux remarquables (SPR), outil créé par la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine (LCAP) et dont les ministres de la culture successifs, depuis 2017, n'ont apparemment pas souhaité se saisir pour rénover les centres anciens.

En ce qui concerne les crédits de l'action 3, « Patrimoine des musées de France », ils sont en hausse, mais je regrette que les crédits en faveur des musées territoriaux stagnent encore, alors qu'ils doivent être justement mobilisés dans le cadre de la nouvelle génération des contrats de plan État-Région (CPER) 2021-2027. Cette stagnation ne favorise pas le rééquilibrage territorial souhaité et va à l'encontre du développement touristique et économique de nos communes et de nos territoires.

Un dernier mot sur l'action 9, « Patrimoine archéologique », dont les crédits sont en hausse de 8,42 %, à hauteur de près de 158 millions d'euros. La mission de service public de l'Inrap est revalorisée à 4,8 millions d'euros en raison de l'inflation et de la réforme du régime indemnitaire des agents contractuels. Parallèlement, les crédits destinés à subventionner les collectivités habilitées à réaliser des diagnostics archéologiques ont aussi été relevés de 2,4 millions d'euros.

Enfin, je salue les fortes augmentations des crédits à destination des centres de conservation et d'étude (CCE) et pour soutenir les fouilles archéologiques programmées, en partenariat avec le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et les universités. Néanmoins, l'Inrap prévoit le maintien d'une forte activité des chantiers de diagnostic, pour lesquels le respect des délais de réalisation est l'une des conditions de la prospérité du projet d'aménagement concerné. Pour tenir les délais, il est donc nécessaire que les services d'archéologie préventive disposent de moyens suffisants, notamment en personnels qualifiés, et la seule augmentation mécanique des moyens de l'Inrap ne sera pas suffisante.

Pour conclure, on peut se demander si la hausse des crédits du programme « Patrimoines » sera suffisante. Avec l'inflation et les hausses attendues du coût de l'énergie et des matériaux, ce n'est pas certain. Les moyens consacrés à la mission « Patrimoine » seront donc en baisse cette année, après les embellies du plan de relance. En dépit de quelques évolutions positives, il manque une orientation marquée en faveur d'un rééquilibrage au profit des territoires. Toutefois, nous suivrons votre avis et voterons en faveur de l'adoption des crédits de la mission.

Mme Anne Ventalon . - Je félicite notre rapporteur pour la qualité de ses travaux qui nous éclairent sur les choix du Gouvernement et qui ouvrent aussi des perspectives sur les chantiers qui restent à mener dans le domaine de la préservation et de la transmission de notre patrimoine. Nous ne pouvons que nous réjouir de la hausse de 7,5 % des crédits, même si cette hausse sera en bonne partie absorbée par l'inflation. L'un des enjeux majeurs consiste à articuler le legs de notre cadre de vie avec la transition écologique. En effet, nous ne devons pas opposer la protection de l'environnement et la transmission de notre patrimoine historique et architectural.

Or la loi Climat et Résilience pose un certain nombre de difficultés. Ainsi, les diagnostics de performance énergétique ne distinguent pas les logements mal isolés d'après-guerre des constructions anciennes, réalisées avec des matériaux et des savoir-faire qui présentaient d'indéniables qualités thermiques. En préconisant les mêmes travaux d'isolation par l'extérieur pour des façades des années soixante-dix et pour des maisons à colombages, on risque de défigurer de façon irrémédiable le patrimoine bâti de la France. Hélas, ce sinistre a déjà commencé...

De même, avec la politique du « zéro artificialisation nette », nous assistons déjà, au motif de densifier les centres-villes, à la destruction de joyaux du patrimoine au profit d'immeubles sans caractère. Des maisons anciennes, datant de plusieurs siècles, peuvent être démolies parce qu'elles ne sont pas protégées et que les collectivités n'ont pas les moyens techniques et financiers de les rénover.

Notre rapporteur l'a souligné, nous devons renforcer les moyens humains pour accompagner les particuliers et les collectivités. Il convient ainsi de créer davantage de postes en ingénierie, particulièrement chez les architectes des Bâtiments de France.

Enfin, je souhaite aussi évoquer le patrimoine des communes les plus modestes, ces villages ruraux dont la seule richesse est souvent constituée d'édifices religieux non classés. Leur sauvegarde est parfois hors de portée des municipalités. J'avais rédigé un rapport sur le sujet avec Pierre Ouzoulias.

Malgré ces réserves, les sénateurs du groupe Les Républicains voteront en faveur de l'adoption des crédits du programme « Patrimoines ».

M. Pierre Ouzoulias . - Je remercie notre rapporteur pour son rapport très complet et qui ouvre des perspectives très intéressantes. La hausse des crédits masque un renflouement de certains grands opérateurs, comme le Louvre ou Versailles. Je déplore que la crise n'ait pas été l'occasion de mener une réflexion sur le modèle économique de ces établissements, qui repose pour l'essentiel sur l'autofinancement et sur la billetterie : lorsque la fréquentation baisse, les recettes chutent. Je crains le retour d'un financement de ces opérateurs sous la forme d'un subventionnement du ministère.

On constate une crise d'attractivité inquiétante des métiers des services déconcentrés du patrimoine : comme dans l'éducation nationale ou d'autres services publics, les fonctionnaires, usés par les réformes successives, vont ailleurs. Nous perdons des compétences précieuses. Nous pourrions envoyer un signal aux architectes des Bâtiments de France en rétablissant ou en étendant leur avis conforme pour certaines opérations d'urbanisme.

Je souscris aux propos de notre rapporteur sur la protection du patrimoine bâti ancien. Notre commission devrait s'intéresser à cette question. L'enjeu est de déterminer le bon niveau territorial d'expertise et de conseil pour accompagner les collectivités et les citoyens. L'État et les Drac se dessaisissent. On assiste à une forme de décentralisation de facto de cette compétence. Nous devons réfléchir à une nouvelle structuration du système autour des départements ou des régions.

Il apparait absurde sur le plan écologique qu'il soit aujourd'hui moins cher pour des aménageurs de démolir et de reconstruire que de réhabiliter. Les propriétaires de maisons anciennes n'ont pas toujours les moyens de réaliser les travaux de rénovation énergétique et préfèrent souvent vendre, sachant que la maison sera détruite. C'est un cercle vicieux.

Mme Sonia de La Provôté . - On doit saluer la hausse des crédits pour le patrimoine, signe que ce sujet compte aux yeux du ministère, même si, comme cela a été dit, la hausse compensera à peine l'inflation et la hausse des prix de l'énergie et des matières premières, etc.

La situation des ressources humaines au sein du ministère de la culture est préoccupante : les métiers des services du patrimoine semblent souffrir d'une réelle désaffection. Les personnels sont démoralisés.

On observe aussi un déséquilibre entre l'Ile-de-France et les régions dans la contribution de l'État au patrimoine. En province, les cofinancements des collectivités sont beaucoup plus importants qu'en Ile-de-France : les crédits de l'État y ont donc davantage d'effet de levier. Vous avez raison, il y a sans doute un effort cette année pour lancer des chantiers de l'État dans les territoires. Mais même lorsqu'elle présente son budget, la ministre oublie la province et n'en fait pas mention.

À l'action 2, l'effort de sensibilisation aurait dû être plus développé. Il y a pourtant urgence à former, éduquer, informer tant les professionnels que les citoyens si l'on veut concilier rénovation énergétique du patrimoine et protection du climat ; on ne peut pas traiter de la même manière des bâtiments anciens et des bâtiments récents. Or les actions d'éducation et de sensibilisation à l'architecture et au patrimoine ne figurent pas sur la liste des actions accompagnées dans les écoles, signe que cette dimension n'est pas une priorité. C'est dommage.

Il est urgent d'agir dans le cadre de la loi Climat et résilience. La dimension interministérielle est cruciale. Le ministère de la culture doit faire entendre sa voix.

Nous devrons nous intéresser à la formation dispensée dans les écoles d'architecture. L'école de Chaillot insiste sur la nécessité de mettre l'accent sur la restauration du patrimoine non seulement dans les formations initiales, mais aussi dans la formation continue des architectes, afin que ces derniers puissent mieux concilier les objectifs de préservation du patrimoine et de protection de l'environnement.

Nous devons aussi nous interroger sur l'avenir du Centre de ressources sur la réhabilitation responsable du bâti ancien (Creba), structure informelle qui est devenue l'institution de référence en matière de restauration du bâti ancien, mais qui n'est dotée que de 3 ETP.

Je plaide, comme Anne Ventalon et Pierre Ouzoulias, pour un guichet unique au niveau des départements sur l'habitat, pour accompagner les communes dans la conservation de leur patrimoine. Cette recommandation figurait déjà dans le rapport que j'ai réalisé avec Michel Dagbert au nom de la délégation aux collectivités territoriales consacré au patrimoine des communes. Il conviendrait en outre de mener un recensement de notre patrimoine, région par région : c'est un préalable à toute politique de protection.

Enfin, il faut faire en sorte que rénover devienne plus intéressant que détruire. On peut s'appuyer sur les dispositifs Action coeur de ville, Petites Villes de demain, le Denormandie et le Malraux dans l'ancien, etc.

M. Bernard Fialaire . - Je me réjouis en constatant que les effectifs des personnels administratifs baissent quand ceux des personnels techniques du ministère augmentent.

Attention à ne pas opposer les architectes des Bâtiments de France et les élus : si la compétence des premiers ne fait pas de doutes, les élus ne sont pas hors-sol ! Sans doute conviendrait-il de réorienter les fonctions des architectes des Bâtiments de France vers le conseil : leurs interventions s'apparentent parfois à des oukases qui sont mal perçus localement. Il suffit parfois de la nomination d'un nouvel ABF pour qu'une opération élaborée avec son prédécesseur soit remise en cause ! C'est insupportable pour les élus. En revanche, les élus ont besoin d'être aidés et conseillés. Je suis toujours surpris lorsque j'entends des techniciens affirmer qu'il faut raser plutôt que réhabiliter. Nous suivrons l'avis de notre rapporteur et voterons en faveur de l'adoption des crédits.

Mme Monique de Marco . - Je salue les propositions de notre rapporteur. Peut-être notre commission pourrait-elle approfondir la réflexion sur la transition écologique du patrimoine sous la forme d'une mission d'information. J'avais déposé des amendements pour modifier la formation dans les écoles d'architecture, afin de sensibiliser à la rénovation énergétique du patrimoine, mais ils ont été déclarés irrecevables...

Mme Else Joseph . - La protection du patrimoine constitue un enjeu de politique publique. Nos collectivités territoriales sont préoccupées par l'entretien, la restauration, la mise en valeur du patrimoine, souvent dégradé. Le budget du programme augmente certes, mais la hausse ne compensera pas l'inflation. La plupart des aides sont concentrées au profit des monuments historiques et des opérateurs nationaux, et les déséquilibres subsistent. Nous le dénonçons depuis longtemps au Sénat.

Je partage les observations sur la situation préoccupante des services déconcentrés en charge du patrimoine. Les CRMH et les UDAP sont proches de la rupture. Chaque année, plus de 400 000 dossiers de demande d'autorisation de travaux sont instruits par les UDAP. C'est dire si le stock des dossiers en cours de traitement ou à traiter est élevé. Or on annonce des départs programmés importants dans les effectifs des CRMH et des UDAP. Notre rapporteur constate une véritable désaffection pour ces métiers. Comment les rendre attractifs pour que leurs missions continuent d'être assurées ?

Je salue aussi la pertinence de l'analyse sur l'importance du bâti ancien, moins énergivore. Comment réaliser des rénovations thermiques compatibles avec les caractéristiques du bâti ancien ? Comment aider, par exemple, les propriétaires privés qui ne disposent pas d'une information adéquate ?

Dans les secteurs sauvegardés, les rénovations sont très lourdes. Nous avons besoin d'aide et d'informations spécifiques. Les inquiétudes demeurent, car, dans un contexte de marchés infructueux, de retards, de pénurie de matériaux, toutes les opérations lancées avec le plan de relance n'ont pas pu aboutir. La protection du patrimoine n'est malheureusement pas compatible avec un financement au coup par coup. Enfin, je salue l'excellente idée de notre rapporteur de mettre en place des états généraux du patrimoine durable. Qui sait, peut-être aboutiront-ils à des états généreux !

M. Olivier Paccaud . - Les CRMH et des UDAP manquent de personnels. Quel est le salaire dans ces organismes ?

Mme Annick Billon . - Le groupe Union Centriste votera en faveur de l'adoption des crédits du programme. Je souscris aux propos sur le manque d'attractivité des métiers du patrimoine. Cela vaut aussi pour l'accueil du public. Le Centre des monuments nationaux estime qu'il a besoin de plusieurs centaines de postes supplémentaires pour accueillir 9 millions de visiteurs chaque année.

Mme Catherine Morin-Desailly . - En dépit de la hausse du budget, le patrimoine a cruellement besoin d'argent. Peut-être pourrions-nous, en lien avec la commission des affaires européennes, étudier de quelle manière il pourrait être possible de mobiliser davantage les fonds européens pour aider les collectivités à rénover le patrimoine. Le patrimoine n'est-il pas aussi important que la rénovation des routes pour développer l'attractivité d'un territoire ? J'avais formulé des propositions dans un rapport rédigé avec Louis-Jean de Nicolaÿ. La part des fonds européens consacrée à la culture est en hausse pour la période 2021-2027. Il convient de nous assurer que le patrimoine ne sera pas oublié.

M. Jean Hingray . - Notre rapporteur a souligné à juste titre les problèmes soulevés par l'exigence de la rénovation énergétique des bâtiments : elle constitue un défi pour l'identité de nos territoires et pèse sur les catégories populaires qui doivent investir pour rénover des biens qu'elles louent pour avoir un complément de revenu à la retraite. Quel serait selon vous le bon référent pour réaliser le diagnostic patrimonial avant la démolition d'un bâtiment ? Paradoxalement, il coûte plus cher d'utiliser des matériaux locaux que d'importer de la pierre de Chine : comment inverser la donne ? Ne pourrait-on pas utiliser les crédits non utilisés pour la rénovation de Notre-Dame de Paris pour financer les filières de formation de tailleurs de pierre, de charpentiers, de compagnons, etc., afin d'attirer davantage de jeunes dans ces secteurs ? Quid aussi du loto du patrimoine ?

Mme Sabine Drexler, rapporteur pour avis . - L'inflation et la hausse du prix des matières premières constituent un défi pour les collectivités territoriales et pour le patrimoine. Le fonds incitatif et partenarial pour les petites communes n'est pas suffisant. De plus, toutes les régions ne s'engagent pas de la même manière. Dans la mesure où les subventions de l'État en direction des collectivités resteront stables, il est à craindre que les montants dépensés en faveur du patrimoine ne baissent. L'État ne dispose plus des moyens suffisants pour accompagner les petites communes.

Je rejoins vos propos sur les SPR : le Gouvernement ne se donne pas les moyens de financer ses annonces ; le patrimoine constitue pourtant un facteur important de dynamisme économique et d'attractivité touristique des territoires.

La loi Climat et résilience n'a fait qu'accroître l'urgence de renforcer l'ingénierie et de soutenir les porteurs de projet.

Les professionnels du patrimoine souffrent des réformes incessantes. Il faut tout faire pour que ces métiers gardent du sens, pour que les personnels puissent effectuer leur mission de conseil et accompagner des projets. Il serait bon aussi qu'au-delà de leurs actions régaliennes, ils puissent entretenir davantage de liens avec le public.

Je vous rejoins également sur la décentralisation du patrimoine. Les départements sont prêts à reprendre la main. Il conviendrait aussi d'augmenter les moyens du Creba.

Des maisons sont déjà démolies au nom des fameuses règles relatives à la performance énergétique. Il est nécessaire de traiter ces questions en urgence, d'informer les citoyens, de mettre en place un sursis pour ces démolitions. Pourquoi ne pas créer un guichet unique des maisons et de l'habitat au niveau départemental, vers lequel les citoyens pourraient se tourner ? La dimension interministérielle a été évoquée. J'ai l'intention de présenter mon rapport au ministère de la transition écologique, en insistant sur l'urgence. Les ministères de la culture et de la transition écologique doivent travailler étroitement ensemble.

On compte 180 architectes des Bâtiments de France ; ils ont eu à traiter cette année près de 500 000 dossiers compte tenu du dynamisme dans le secteur de la construction. Cela donne la mesure de leur travail, et de leur désespérance. Je n'ai pas de données précises sur les salaires, mais les régimes indemnitaires sont plus favorables au sein du ministère de la transition écologique qu'au sein du ministère de la culture pour les architectes urbanistes de l'État.

Le loto du patrimoine est très utile, car ses fonds sont fléchés à 50 % vers le patrimoine non protégé.

Les diagnostics avant démolition pourraient être réalisés par les CAUE, voire par les associations patrimoniales, car elles disposent d'experts. En Alsace, on a découvert dans une maison inhabitée, sous un vieux crépi, un remarquable colombage sculpté. Or cette maison devait être démolie avant la fin du mois. Un appel aux dons a été lancé, 10 000 euros ont été réunis en deux jours afin de démonter la maison, et ce sont des Suisses qui vont récupérer le colombage... Les Suisses, les Autrichiens, les Allemands ont mieux compris l'urgence de protéger le patrimoine que nous.

Les fonds européens sont en augmentation et il serait judicieux en effet qu'ils puissent être fléchés vers le patrimoine. Le plan « France 2030 » devrait permettre de financer des actions en faveur de la numérisation du patrimoine et de l'architecture ainsi qu'en faveur des savoir-faire des métiers d'art. J'espère que nous pourrons aller plus loin.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 175 «  Patrimoines » au sein de la mission Culture du projet de loi de finances pour 2023.

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