N° 826

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2021-2022

Enregistré à la Présidence du Sénat le 25 juillet 2022

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable (1) sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant mesures d' urgence pour la protection du pouvoir d' achat ,

Par M. Bruno BELIN,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-François Longeot , président ; M. Didier Mandelli, Mmes Nicole Bonnefoy, Marta de Cidrac, MM. Joël Bigot, Rémy Pointereau, Frédéric Marchand, Guillaume Chevrollier, Mme Marie-Claude Varaillas, MM. Jean-Pierre Corbisez, Pierre Médevielle, Ronan Dantec , vice-présidents ; M. Cyril Pellevat, Mme Angèle Préville, MM. Pascal Martin, Bruno Belin , secrétaires ; MM. Jean-Claude Anglars, Jean Bacci, Étienne Blanc, François Calvet, Michel Dagbert, Mme Patricia Demas, MM. Stéphane Demilly, Michel Dennemont, Gilbert-Luc Devinaz, Mme Nassimah Dindar, MM. Gilbert Favreau, Jacques Fernique, Mme Martine Filleul, MM. Fabien Genet, Hervé Gillé, Éric Gold, Daniel Gueret, Mmes Nadège Havet, Christine Herzog, MM. Jean-Michel Houllegatte, Olivier Jacquin, Gérard Lahellec, Mme Laurence Muller-Bronn, MM. Louis-Jean de Nicolaÿ, Philippe Pemezec, Mmes Évelyne Perrot, Marie-Laure Phinera-Horth, Kristina Pluchet, MM. Jean-Paul Prince, Bruno Rojouan, Mme Denise Saint-Pé, MM. Philippe Tabarot, Pierre-Jean Verzelen .

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 16 ème législ.) :

19 , 144 et T.A. 3

Sénat :

817 , 822 et 825 (2021-2022)

L'ESSENTIEL

Les sénateurs de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable ont unanimement regretté les délais contraints imposés par le Gouvernement pour l'examen du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale le 21 juillet 2022, après engagement de la procédure accélérée, portant mesures d'urgence pour le pouvoir d'achat , qui ne permettent pas au Parlement de travailler sereinement.

Animé d'un esprit de responsabilité et suivant son rapporteur Bruno Belin, la commission a toutefois décidé de valider , sous réserve de modifications, l'économie de ce texte , compte tenu de l'urgence qui s'attache à garantir la sécurité d'approvisionnement en gaz de notre pays, à encadrer la compensation carbone des émissions associées à la mobilisation accrue des centrales à charbon françaises et à soutenir les professionnels du transport routier de marchandises dans la décarbonation et face à la hausse des coûts de carburant .

La commission, sur la proposition de son rapporteur Bruno Belin, a formulé 3 observations principales relatives :

- tout d'abord au manque de vision stratégique à long terme des précédents gouvernements et à l'accumulation de décisions inopportunes à l'origine de la tension actuelle sur l'approvisionnement énergétique français, également due à un retard préjudiciable sur le développement des énergies renouvelables ;

- ensuite, au caractère lacunaire de l'étude d'impact du texte qui ne répond pas aux exigences constitutionnelles en la matière ;

- enfin, à l'angle mort de ce texte qui laisse de côté la notion de sobriété énergétique , étant entendu que le meilleur gain pour le pouvoir d'achat des Français est l'énergie que l'on ne consomme pas. La commission appelle de ses voeux, dans les meilleurs délais, un plan d'action national posant des objectifs de maîtrise de la demande . Pour rappel, une réduction d' un degré de la température de chauffe représente en moyenne une diminution de la consommation de gaz de 8 % .

Ces constats ont conduit la commission à adopter 19 amendements , dont 17 du rapporteur Bruno Belin.

Sous le bénéfice de ces observations et propositions, la commission
a donné un avis favorable
à l'adoption
du projet de loi « MUPPA »

I. UN TEXTE « FOURRE-TOUT », PRÉPARÉ À LA HÂTE ET DONT LE POUVOIR D'ACHAT DES FRANÇAIS N'EST PAS LA SEULE FINALITÉ

Les articles traités par la commission visent principalement à :

- sécuriser l'approvisionnement français en gaz naturel , par la mise à niveau de nos capacités de traitement de gaz naturel liquéfié (GNL) -- article 14

- garantir la pleine et entière compensation des émissions de gaz à effet de serre induites par la mobilisation accrue des centrales à charbon -- article 16

- soutenir les professionnels du transport routier de marchandises , dans la décarbonation des modes de propulsion des poids lourds et face à la hausse des prix des carburants -- article 20

- ouvrir la voie à la diversification des carburants utilisés pour les véhicules légers des particuliers -- article 21.

Augmentation des capacités de traitement des importations de gaz naturel liquéfié (GNL )

À l'heure actuelle, en effet, le gaz représente environ 16 % de la consommation d'énergie primaire en France et nous sommes largement tributaires de nos importations , qui s'effectuent via 7 gazoducs et, par voie maritime, vers 4 terminaux méthaniers terrestres . La France ne dispose d' aucun terminal méthanier flottant à ce jour.

Afin de sécuriser l'approvisionnement français en gaz naturel , dans le contexte de la baisse des exportations de gaz russe , le projet de loi met en place des dérogations procédurales (autorisation environnementale, participation du public, loi sur l'eau, espèces protégées et habitats, archéologie préventive), conformes au droit de l'Union européenne, pour assurer une réalisation rapide des travaux de raccordement d'un terminal méthanier flottant amarré au quai Bougainville sur le site portuaire du Havre, aux réseaux terrestres de transport de gaz naturel. En l'espèce, il s'agit de construire une canalisation de transport d'environ 3,5 kilomètres de long qui traverse, sur la majorité de son parcours, la zone portuaire du Havre, pour relier le terminal méthanier flottant au réseau terrestre de transport de gaz situé à proximité. Le choix de recourir à un terminal méthanier flottant , qui constitue un navire soumis au droit international maritime, présente l'avantage d'être une solution plus facilement réversible qu'un terminal terrestre.

Le navire regazéifieur , affrété par TotalEnergies sous pavillon norvégien, présente des dimensions de 283 mètres de long pour 43 mètres de large. L'objectif est de mettre en service l'installation et la canalisation de raccordement du terminal au réseau terrestre existant en septembre 2023 et, a fortiori, pour l'hiver 2023-2024 . Le gaz importé proviendra des pays qui fournissent traditionnellement la France, mais également des États-Unis.

Ce terminal serait d'une capacité de traitement moyenne , d'environ 160 GWh PCS/j, inférieure à celle de 3 des 4 terminaux méthaniers terrestres implantés en France.

Alors que les capacités de traitement des terminaux méthaniers existants ont déjà été augmentées et que les capacités de stockage souterrain de gaz naturel devraient s'accroître dans les prochains mois ( voir l'article 10 du présent projet de loi ), la construction de cette infrastructure est nécessaire pour garantir la sécurité d'approvisionnement. L'Allemagne s'est également engagée dans cette voie et d'autres pays (Finlande, Grèce, Italie et Pays-Bas) y réfléchissent. Au total, l'application des délais de droit commun conduirait à une instruction de 24 mois pour la réalisation du projet, tandis que les dérogations proposées à l'article 14 permettraient de ramener ces délais à environ 6 mois .

Compensation des émissions de gaz à effet de serre des centrales à charbon

Les émissions de gaz à effet de serre des installations de production d'électricité à partir de combustibles fossiles (centrales au fioul et à charbon) sont strictement encadrées via un plafond fixé par décret à 700 tonnes d'équivalent CO 2 par mégawatt de puissance électrique installée, soit l'équivalent d'environ 700 heures de fonctionnement . Face aux risques pesant sur la sécurité d'approvisionnement en électricité, cette valeur, initialement définie dans la perspective de la fermeture progressive des centrales à charbon françaises, a été rehaussée au cours de l'année 2022.

En outre, la décision a été prise de repousser à 2024 la fermeture de deux unités de 600 MW chacune de production électrique à partir de charbon (centrale de Cordemais). Une unité supplémentaire de 600 MW (centrale de Saint-Avold) s'est arrêtée fin mars 2022, mais peut techniquement redémarrer.

Compte tenu de l'indisponibilité croissante et persistante du parc nucléaire et des incertitudes liées à la guerre en Ukraine , le Gouvernement considère qu'il est indispensable , en plus des autres leviers à activer (réduction de consommation, mobilisation de moyens complémentaires) de permettre une utilisation accrue des centrales à charbon . Le plafond d'émissions de GES des centrales serait ainsi relevé pour leur permettre d'émettre 2 500 tCO 2 /MW supplémentaires , correspondant à 2 700 heures de fonctionnement . Cette mobilisation permettra d'augmenter d'environ 1 % la consommation annuelle d'électricité et d'absorber 2 % de la pointe de consommation .

Afin de limiter l'impact climatique de cette décision, une obligation de compensation carbone , représentant au total environ 120 millions d'euros pour les exploitants, est fixée par le projet de loi. Dès lors, s'il aurait pu être mieux anticipé, le risque avéré pesant sur l'approvisionnement en électricité de la France amène toutefois la commission à considérer le rehaussement du plafond d'émissions des centrales à charbon comme un mal nécessaire . Le Gouvernement assure pour autant que le budget carbone assigné au secteur de l'énergie dans le cadre de la deuxième stratégie nationale bas-carbone (SNBC 2), pour la période 2019-2023, sera respecté, même si les cibles annuelles, quant à elles indicatives, pourraient être dépassées en 2022 et 2023.

Extension du mécanisme d'indexation gazole à l'ensemble des produits énergétiques dans les contrats de transport routier de marchandises

Le prix du carburant - qui représente environ 30 % du coût d'une opération de transport de marchandises - peut subir des variations significatives entre le jour de la commande de transport et le jour de sa réalisation. À titre d'illustration, le coût du gaz naturel véhicule (GNV) et du gazole professionnel ont respectivement augmenté de 110 et 55 % entre juin 2021 et mai 2022.

Pour protéger les transporteurs face au risque inflationniste difficile à anticiper , un mécanisme d'indexation a été créé en 2006, permettant de réviser de plein droit le prix de transport initialement convenu pour couvrir la variation des charges liées à la variation du coût du carburant. Ce mécanisme ne tient néanmoins pas compte du développement d'énergies alternatives au gazole dans le secteur du fret routier . Ainsi, afin de soutenir le secteur face à la hausse brutale des coûts de l'énergie et pour accompagner les professionnels dans la décarbonation du secteur , l'article 20 du projet de loi étend ce mécanisme à l'ensemble des produits énergétiques, et non plus seulement au gazole.

II. LA POSITION DE LA COMMISSION : APPORTER DES GARANTIES COMPLÉMENTAIRES AUX PROCÉDURES DÉROGATOIRES INSTITUÉES PAR LE PROJET DE LOI ET SOUTENIR LES PROFESSIONNELS DU TRANSPORT ROUTIER

Les 19 amendements adoptés par la commission, avec l'aval du rapporteur, visent, d'une part, à apporter des garanties complémentaires pour l'information du public, la protection de l'environnement et de la santé et, d'autre part, à améliorer la qualité juridique du texte , en l'enrichissant ponctuellement de dispositions de précisions et de coordination.

A. CONSOLIDER LES MESURES RELATIVES À LA SOUVERAINETÉ ÉNERGÉTIQUE ET POSER DES GARANTIES COMPLÉMENTAIRES

• À l' article 14 , outre 3 amendements rédactionnels et de précision juridique (COM-237, COM-239, COM-243), la commission a adopté 6 amendements du rapporteur visant principalement à :

- renforcer les exigences de protection de l'environnement applicables au projet (COM-238, COM-240, COM-245)

- enrichir et garantir l'effectivité des dispositions votées par les députés s'agissant du bilan carbone du fonctionnement du terminal méthanier (COM-241)

- mieux informer et associer le public et les élus locaux à la construction et à l'exploitation de ces nouveaux équipements industriels (COM-242 et COM-244).

• À l' article 16 , la commission a adopté 3 amendements , dont 2 du rapporteur visant à :

- assurer le ciblage géographique et sectoriel des programmes de compensations imposés aux exploitants des 2 centrales à charbon concernées, et le respect des critères d' intégrité environnementale inscrit à l'article L. 229-55 du code de l'environnement créé par le Sénat lors de l'examen de la loi « Climat et résilience » en 2021

- rehausser l' obligation de compensation au niveau législatif et prévoir un régime de sanctions en cas de méconnaissance de cette obligation

- prévoir que le décret d'application de cet article sera soumis à l'avis préalable du Haut Conseil pour le climat (HCC), à l'initiative du sénateur Ronan Dantec.

B. SÉCURISER ET ENRICHIR LE VOLET RELATIF AU TRANSPORT

• À l' article 20 , la commission a adopté 3 amendements de précision du rapporteur visant à garantir l'opérationnalité du dispositif proposé (COM-248, COM-249 et COM-250).

En lien avec l'objectif de décarbonation du transport routier de marchandises et d'accompagnement des professionnels de ce secteur, poursuivi par l'article 20 du texte, la commission a inséré un nouvel article 20 bis par l'adoption d'un amendement de Philippe Tabarot (COM-45 rect ) visant à créer un prêt à taux zéro pour l'acquisition de poids lourds peu polluants affectés au transport routier de marchandises .

• À l' article 21 , outre un amendement de précision juridique (COM-252), la commission a adopté 2 amendements du rapporteur visant à :

- mieux encadrer le déploiement des huiles alimentaires usagées et prévenir les risques de dégradation des moteurs en prévoyant que les catégories de véhicules concernés par cette autorisation, ainsi que les modalités de distribution de ces carburants, doivent être définis par le pouvoir réglementaire (COM-251)

- assurer un suivi de cette mesure par la remise au Parlement d'un rapport sur ses conséquences environnementales, économiques et techniques deux ans après sa mise en oeuvre (COM-253).

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