N° 822

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2021-2022

Enregistré à la Présidence du Sénat le 25 juillet 2022

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des finances (1) sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant mesures d' urgence pour la protection du pouvoir d' achat ,

Par Mme Christine LAVARDE,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal , président ; M. Jean-François Husson , rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Daniel Breuiller, Emmanuel Capus, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Charles Guené, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Jean-Claude Requier, Mme Sylvie Vermeillet , vice-présidents ; MM. Jérôme Bascher, Rémi Féraud, Marc Laménie, Stéphane Sautarel , secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Arnaud Bazin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Mme Isabelle Briquet, MM. Michel Canévet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Cozic, Vincent Delahaye, Philippe Dominati, Mme Frédérique Espagnac, MM. Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Christian Klinger, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Thierry Meignen, Sébastien Meurant, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Paul Toussaint Parigi, Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Pascal Savoldelli, Vincent Segouin, Jean Pierre Vogel .

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 16 ème législ.) :

19 , 144 et T.A. 3

Sénat :

817 (2021-2022)

L'ESSENTIEL

Réunie le 25 juillet 2022 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances a adopté l'avis de Mme Christine Lavarde sur le projet de loi n° 817 (2021-2022) portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat , déposé à l'Assemblée nationale le 6 juillet 2022. Ce projet de loi, sur lequel le Gouvernement a engagé la procédure accélérée , a été adopté en séance publique par l'Assemblée nationale le 22 juillet 2022 .

La commission des finances a souhaité présenter un avis sur plusieurs articles de ce texte, compte-tenu de leur impact sur les finances publiques . L'équilibre général du texte tend à distinguer deux grandes orientations : des mesures en faveur du pouvoir d'achat d'une part (titres I, II voire IV et V) et dix articles, contenus dans le titre III, centrés sur les questions de souveraineté énergétique, dont certains ont un lien plus que ténu avec la question du coût de la vie, d'autre part. Le titre III relève, en effet, plus d'une logique de mise en oeuvre d'une stratégie industrielle face au risque d'une rupture d'approvisionnement en gaz que de mesures ponctuelles destinées à permettre aux Français de faire face à l'augmentation des prix de l'énergie. Les effets des titres II (protection des consommateurs), IV (transport routier de marchandises) et V (carburants) sur le pouvoir d'achat apparaissent quant à eux difficiles à évaluer.

La saisine de la commission des finances s'est donc portée principalement sur le titre I er (articles 1 er à 6 bis ) qui couvre des mesures en faveur des salariés (prime de partage de la valeur, développement de l'intéressement et incitations à la négociation salariale par branche) et une revalorisation des prestations sociales (retraites, allocations de solidarité, déconjugalisation de l'allocation aux adultes handicapés et aides personnelles au logement). Elle l'a étendue à deux articles introduits à l'Assemblée nationale (9 bis A et 9 bis ) qui modifient le code monétaire et financier afin de renforcer les obligations des prestataires de services de paiement en matière de remboursement de sommes perçues à tort.

I. UN SOUTIEN À LA VALEUR TRAVAIL QUI PEUT RELEVER DE L'EFFET D'ANNONCE

A. LA PRIME DE PARTAGE DE LA VALEUR SUSCITE EN L'ÉTAT ACTUEL DE SA RÉDACTION PLUS D'INTERROGATIONS SUR SES EFFETS QUE DE GARANTIES SUR UN RÉEL GAIN DE POUVOIR D'ACHAT

L'article 1 er du projet de loi prévoit la création d'une prime de partage de la valeur, qui viendrait prendre le relais de la prime exceptionnelle de pouvoir d'achat (PEPA), sous la réserve d'ajustements majeurs relatifs à son caractère pérenne et à son régime social et fiscal. Celui-ci devrait varier selon que la prime est versée avant ou après le 31 décembre 2023 et selon que la rémunération des salariés est ou non inférieure à trois fois la valeur annuelle du SMIC. Les principales différences avec la PEPA tiennent à l'absence d'exonération d'impôt sur le revenu et de CSG-CRDS - sauf pour les primes versées du 1 er août 2022 au 31 décembre 2023 aux salariés dont la rémunération est inférieure à trois fois la valeur annuelle du SMIC - ainsi qu'à l'assujettissement au forfait social pour les entreprises de plus de 250 salariés.

Cette pérennisation de la PEPA peut interroger. Le nombre de salariés concernés par le dispositif tend, en effet, à décroître depuis 2019 (3,38 millions en 2021 contre 4,91 millions en 2019) quand le montant moyen versé atteint 494 euros en 2022 (572 euros en 2021). Dans ces conditions, la nouvelle prime, dont les plafonds sont portés à 3 000 et 6 000 euros (pour les entreprises mettant en place un dispositif d'intéressement) contre respectivement 1 000 euros et 2 000 euros pour la PEPA, relève plus d'une logique d'affichage que d'une appréciation juste de la situation des entreprises et des rapports salariaux en leur sein.

L'appui sur les entreprises peut, par ailleurs, équivaloir à une fuite de l'État devant ses responsabilités. Faute de critères d'attribution explicites dans le contenu du dispositif, il revient aux entreprises de réaliser les arbitrages nécessaires au soutien du pouvoir d'achat des moins aisés.

La nouvelle prime présente par ailleurs plusieurs risques : effet d'aubaine pour les entreprises qui envisageaient un supplément de rémunération, effet de seuil pour les salariés proches du niveau de 3 SMIC, effet d'éviction des mécanismes d'intéressement, pourtant encouragés à l'article 3, auxquels s'ajoute une différence de traitement entre les ménages en raison de la défiscalisation sur la seule base individuelle.

Afin de prévenir ces difficultés, la commission des finances a adopté quatre amendements .

Concernant l'effet d'aubaine, le COM-310 conserve la possibilité laissée aux entreprises de procéder au versement de la prime en plusieurs fois , tout en limitant à quatre le nombre de versements .

S'agissant de l'effet d'éviction, le COM-309 propose de laisser aux salariés bénéficiaires de la prime de pouvoir d'achat le choix soit de bénéficier de la prime immédiatement, soit de percevoir ce montant de manière différée , sous la forme d'un supplément d'intéressement.

Le COM-308 propose en outre de rebaptiser la prime , qui serait appelée prime de pouvoir d'achat, et de borner le dispositif au 31 décembre 2023, sauf pour les entreprises de moins de 50 salariés. Le partage de la valeur est, en effet, un enjeu structurel, qui passe par des dispositifs tels que les accords d'intéressement et de participation, et non par le versement, à la discrétion de l'employeur, d'une prime exceptionnelle, en réponse à une crise conjoncturelle. Il convient en revanche de laisser aux entreprises de moins de 50 salariés la possibilité de verser cette prime, plus aisée à mettre en oeuvre pour elles qu'un accord d'intéressement.

Enfin, sur la question de la différence de traitement des ménages, le COM-311 prévoit qu'il soit tenu compte du revenu imposable du salarié, et de celui de son conjoint dans le cas d'une imposition commune, pour l'application de l'exonération d'impôt sur le revenu, de CSG et de CRDS sur la prime.

B. UN SOUTIEN COSMÉTIQUE À LA REVALORISATION DES GRILLES SALARIALES

L'article 4 du présent projet de loi vise à inciter à la revalorisation des grilles salariales, 120 branches sur 171 affichant au moins un coefficient inférieur au SMIC en vigueur revalorisé au 1 er mai 2022. Cet objectif est louable dans un contexte de forte tension sur le marché du travail, où la question du faible écart entre revenus d'assistance et salaires est posée.

La rédaction initialement proposée par le Gouvernement était cependant dépourvue de valeur normative, voire inefficiente , le texte se bornant à renforcer les pouvoirs du ministre en matière de fusion de branches sans pour autant que la question du minimum conventionnel ne soit centrale. L'ajout à l'Assemblée nationale d'une disposition visant à réduire le délai imparti aux organisations patronales pour ouvrir des négociations salariales de branche de 3 mois à 45 jours , si les minima conventionnels sont en dessous du niveau du SMIC, apparaît séduisante mais un risque d' effet pervers n'est pas à exclure avec la tenue de négociations trop rapides, qui pourraient in fine léser les salariés.

C. UN ALLÈGEMENT MODESTE DES COTISATIONS DES TRAVAILLEURS INDÉPENDANTS

L'allègement des cotisations des indépendants, prévu à l'article 2, devrait être mis en oeuvre par voie réglementaire. Il convient de rappeler à ce stade que le dispositif devra en effet être complété par un décret d'application. L'objectif affiché, louable, consiste à baisser les cotisations d'assurance maladie pour les revenus jusqu'à 60 % du PASS, soit environ 1,6 fois le SMIC.

Un indépendant dont la rémunération atteint le SMIC bénéficierait ainsi d'un gain de pouvoir d'achat effectif d'environ 46 euros par mois, soit une augmentation de son revenu de 3,5 %. Cette progression reste inférieure à l'inflation constatée en 2022. Ce montant devrait cependant être plus faible, la hausse du revenu net entraînant mécaniquement une majoration de l'impôt. Le gain moyen pour l'ensemble des indépendants concernés - 70 % du nombre total d'indépendants - est chiffré quant à lui à 20 euros par mois, avant impôt. Là encore, le gain de pouvoir d'achat peut relever de l'effet d'annonce. Le rapporteur pour avis rappelle que 44 % des indépendants classiques (hors praticiens et auxiliaires médicaux conventionnés) et 90 % des auto-entrepreneurs, ont des revenus moyens inférieurs au Smic.

II. LA POURSUITE DU QUOI QU'IL EN COÛTE : LA REVALORISATION DES PRESTATIONS SOCIALES

A. DES EFFETS D'ANNONCE

Les revalorisations affichées aux articles 5 (prestations sociales) et 6 (aides personnelles au logement) sont, toutefois, à relativiser.

Le Gouvernement procède tout d'abord par anticipation sur les augmentations attendues au 1 er janvier et au 1 er avril prochains. Le coefficient de revalorisation prévu aux termes du présent projet de loi sera donc imputé sur celui qui serait calculé en 2023, ce dernier ne pouvant conduire à une diminution de la prestation. Le taux de revalorisation retenu - 3,5 % ou 4 % selon les prestations - reste ensuite inférieur à celui de l'inflation prévu par l'Insee (+ 5,5 %) ou la Banque de France (+ 5,6 %) en 2022.

Enfin, l'annonce d'une revalorisation des aides personnelles au logement doit également être précisée. Il s'agit d'une réévaluation des paramètres, portée elle aussi à 3,5 %, ce qui signifie que l'aide ne devrait pas augmenter dans les mêmes proportions pour tous les bénéficiaires .

La déconjugalisation de l'allocation aux adultes handicapés (AAH) à compter du 1 er octobre 2023, prévue à l'article 5 bis , demandée par la plupart des groupes politiques à l'Assemblée nationale, va en revanche dans le bon sens. Ses modalités reprennent celles retenues par le Sénat en octobre dernier, en prévoyant notamment un mécanisme de droit d'option afin d'éviter tout « perdant » à la réforme 1 ( * ) . Le rapporteur pour avis note à cet égard, qu'après s'y être opposée tout au long du précédent quinquennat, la majorité présidentielle à l'Assemblée nationale a donc fini par se rallier à la position du Sénat, dans l'intérêt des personnes en situation de handicap.

B. UN DÉCALAGE PAR RAPPORT À LA DÉFENSE DE LA VALEUR TRAVAIL AFFICHÉE PAR AILLEURS

La revalorisation du revenu de solidarité active (RSA), prévue à l'article 5, à hauteur de celle des autres prestations sociales peut interroger compte tenu du signal, en principe lancé par d'autres dispositions du texte, en faveur de la valeur travail. Une majoration du RSA de 4 % serait ainsi supérieure au gain de pouvoir d'achat enregistré par les indépendants en cas d'allègement des cotisations sociales (article 2), à la revalorisation du point d'indice prévue dans le cadre du projet de loi de finances rectificative pour 2022 (3,5 %) et à la progression des salaires relevée par l'Insee au premier trimestre 2022 (2,4 % sur un an).

Si le soutien aux retraités et à certaines catégories de personnes se trouvant dans l'impossibilité d'exercer une activité apparaît plus que légitime, l e dispositif ne doit pas cependant avoir pour effet de diminuer le coût d'opportunité de ne pas prendre un emploi dans un contexte marqué par de fortes tensions sur le marché du travail. Il est important de veiller à ce que nos politiques sociales restent cohérentes avec la situation de l'économie et du marché du travail en particulier.

III. LE REMBOURSEMENT DES SOMMES INDUMENTS PRÉLEVÉES PAR LES PRESTATAIRES DE SERVICES DE PAIEMENT : UN DISPOSITIF À CALIBRER

Adoptés par voie d'amendement, les articles 9 bis et 9 bis A prévoient de modifier le code monétaire et financier afin de mieux sanctionner les prestataires de services de paiement (PSP) en cas de non remboursement de sommes prélevées indûment : absence de remboursement de sommes prélevées sans autorisation d'une part et frais prélevés plusieurs fois sur une même opération rejetée d'autre part.

Reste que le dispositif prévu à l'article 9 bis apparaît difficilement lisible pour le consommateur quand les sanctions prévues ne semblent pas assez proportionnées pour favoriser un remboursement rapide.

Adopté par la commission des finances, l'amendement COM-312 propose donc un nouveau schéma de pénalités financières en cas de manquement par les PSP qui accroit l'incitation à agir avec diligence, via une revalorisation des pénalités, plus importantes en cas de retard prolongé dans le remboursement.

IV. DES MESURES D'URGENCE DONT LE COÛT PEUT ÊTRE ESTIMÉ À 7,2 MILLIARDS D'EUROS EN 2022

Les mesures couvertes par le titre I er devraient générer un coût pour les finances publiques de 7,21 milliards d'euros en 2022 , dont 6,6 milliards d'euros liés aux seules revalorisations des prestations sociales. Plus de la moitié des dépenses serait supportée par les organismes de sécurité sociale : 4,6 milliards d'euros. Les collectivités territoriales seraient sollicitées à hauteur de 120 millions d'euros, au titre du financement du RSA. La charge pour l'État atteindrait 2,49 milliards d'euros. Ce calcul n'intègre pas l'évaluation de l'effet inévitable de substitution de la prime de partage de la valeur à des éléments de rémunération qui devaient être, quoiqu'il en soit, attribués. L'Insee avait évalué la perte de recettes pour les organismes de sécurité sociale par cet effet d'aubaine à 600 millions d'euros s'agissant de la première version de la PEPA, versée entre décembre 2018 et mars 2019.

Une partie de la revalorisation des prestations sociales étant non pérenne, le coût des mesures devrait être ramené à 2,09 milliards d'euros en 2023 , dont 140 millions d'euros au titre de la déconjugalisation de l'AAH.

Au-delà du coût, le rapporteur pour avis s'interroge sur le financement du dispositif en 2022. L'allègement des cotisations sociales pour les indépendants comme la réévaluation des paramètres de calcul des aides personnelles au logement ne font pas l'objet à l'heure actuelle, d'une inscription à la charge du budget de l'État. Le projet de loi de finances rectificative pour 2022, déposé en même temps que le présent projet de loi et censé en tirer les conséquences financières, ne comporte pour l'heure aucune disposition en ce sens. Le coût cumulé de ces deux dispositifs est estimé à 609 millions d'euros.


* 1 Cf la version adoptée en 2 ème lecture par le Sénat le 12 octobre 2021 de la proposition de loi portant diverses mesures de justice sociale déposée par les députés Jeanine Dubié, Charles de Courson, Yannick Favennec et plusieurs de leurs collègues le 30 décembre 2019.

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