EXAMEN EN COMMISSION

MERCREDI 17 NOVEMBRE 2021

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M. Laurent Lafon , président . - Mes chers collègues, notre ordre du jour appelle ce matin l'examen des avis budgétaires consacrés aux crédits alloués au « Livre et aux industries culturelles », aux sociétés de l'audiovisuel public par le biais du compte de concours financier dédié à leur financement ainsi qu'à la « Jeunesse et à la vie associative » au sein du projet de loi de finances pour 2022.

Je cède immédiatement la parole à Julien Bargeton pour nous présenter son avis sur les crédits consacrés au « Livre et aux industries culturelles ».

M. Julien Bargeton , rapporteur pour avis du programme « Livre et industries culturelles » . - Monsieur le président, mes chers collègues, le champ des industries culturelles représente près de 15 milliards d'euros de chiffre d'affaires par an.

Secteur important économiquement donc, mais également politiquement, dans le meilleur sens du terme. Le soutien à ces secteurs d'excellence fait largement consensus entre nous. J'y vois pour ma part deux raisons :

- la première est symbolique, puisque la culture dont nous parlons ici se vit au quotidien, avec la musique, les films, le jeu vidéo, et donc touche chacun de nos concitoyens. Il ne serait donc pas envisageable, en quelques sorte, que la puissance publique détourne les yeux, comme d'autres pays l'ont fait avec les résultats sinistres que nous connaissons, et laisse ainsi libre cours à une concurrence internationale féroce qui verrait sombrer ce qui nous est si cher, l'exception culturelle ;

- la seconde raison relève d'une approche plus pragmatique : les industries culturelles françaises s'exportent, sont reconnues, et participent positivement de notre rayonnement comme de notre économie. La France dispose d'une littérature mondialement reconnue depuis des siècles (encore aujourd'hui, la France domine le classement des prix Nobel avec 15 récompenses), de studios de jeux vidéo qui font référence et d'une création musicale variée et admirée sur toutes les scènes de la planète.

Dès lors, les crédits que nous adoptons sont autant un investissement en notre force créatrice qu'une dépense ! Ces sommes sont destinées à permettre aux différents secteurs de s'adapter et de conserver leur position. L'engagement de 263 millions d'euros du plan de relance dans la musique et le livre, prouve je crois suffisamment l'intérêt de l'État pour ces secteurs.

J'en viens maintenant à la présentation à proprement parler des crédits.

La crise sanitaire a frappé à des degrés divers les industries culturelles. Le cinéma, qui fait l'objet d'un rapport distinct de Jérémy Bacchi, a payé un très lourd tribut à la crise, tout comme le spectacle vivant. A contrario , le secteur de l'édition a plutôt enregistré des résultats moins mauvais que ce que nous pouvions craindre l'année dernière, la musique enregistrée a stagné, et le jeu vidéo a fortement progressé.

Je vais tout d'abord évoquer le secteur du livre.

Vous vous rappelez certainement de la présentation alarmiste que j'avais pu faire l'année dernière. À l'époque, les librairies avaient été contraintes de fermer de nouveau et toute la profession craignait de perdre les ventes de fin d'année. Un an plus tard, où en est-on ? Au lieu de la catastrophe annoncée, le marché n'a diminué « que » de 2,36 %. Ce n'est certes pas une bonne nouvelle, mais c'est honnêtement inespéré par rapport aux prévisions de l'époque. Encore faut-il établir une distinction entre les maisons d'édition, les plus petites et spécialisées ayant comparativement plus soufferts, de même que les librairies de taille plus modeste.

Comment peut-on expliquer cette surprenante résilience du secteur ?

J'avance deux explications.

La première est l'ampleur du soutien public, qui n'a pas fait défaut pendant la crise. D'un montant de 66,5 millions d'euros, il a essentiellement bénéficié aux libraires, qui ont pu améliorer l'attractivité de leurs magasins, se lancer dans le click and collect et expérimenter la livraison à domicile, préfigurant la novation tant attendue par eux qui devrait très prochainement voir le jour, je parle bien entendu de l'article 1er de la proposition de loi de notre collègue Laure Darcos, dont Céline Boulay-Espéronnier était rapporteure. Nous pouvons être légitimement fiers du travail accompli dans notre commission par nos deux collègues et je peux vous assurer que toute la chaine du livre en est très satisfaite.

La seconde explication tient à ce que la crise a révélé de l'attachement des Français aux librairies. Vous vous rappelez du débat stérile sur la nature « essentielle » de ces commerces. La vérité est que, dès que les libraires ont pu ouvrir, les clients ont afflué, ce qui a permis de sauver une année pourtant bien mal engagée.

Le prix Goncourt de l'année dernière, L'anomalie, d'Hervé Le Tellier, s'est ainsi écoulé à plus d'un million d'exemplaires, devenant la deuxième meilleure vente de l'histoire de cette distinction derrière l'Amant de Marguerite Duras.

Pour résumer, entre soutien des pouvoirs publics, soutien du public et, bientôt, remise à plat des conditions de concurrence avec les plateformes, je crois que l'avenir de la filière du livre s'annonce nettement meilleur qu'escompté !

Je vais maintenant évoquer brièvement la Bibliothèque nationale de France (BnF).

Brièvement, non pas en raison de son poids budgétaire, qui représente, avec 224 millions d'euros, 65 % des crédits du programme, ni de l'intérêt que nous lui portons, mais parce que les problématiques sont sensiblement identiques d'une année sur l'autre. L'institution est toujours confrontée à une équation budgétaire complexe. L'État lui permet d'assurer son fonctionnement et participe même à ses projets, mais dans des proportions insuffisantes pour lui permettre de planifier sereinement ses travaux d'entretien de près de 100 millions d'euros d'ici 2027, et de mener une politique plus ambitieuse. J'ai le sentiment que ce qui fait défaut de part et d'autre, c'est la visibilité, et c'est une question générale dans les relations qu'entretient l'Etat avec les opérateurs.

Je souhaite vivement que le contrat d'objectif et de performance discuté cette année permette précisément d'offrir cette visibilité. Un dernier mot sur le sujet : je regrette la stagnation du très beau projet de numérisation des collections de presse de la III e République, et j'espère sincèrement qu'il pourra être mené à bien avant que les collections ne soient irrémédiablement dégradées. La ministre ne s'est pas engagée outre-mesure lors de son audition de la semaine dernière.

En ce qui concerne la musique, la profession est divisée en deux mondes. Alors que le spectacle voyait son chiffre d'affaire s'effondrer de 80 % en 2020, la musique enregistrée a connu une stabilisation à 781 millions d'euros de chiffre d'affaires. Après avoir failli disparaitre au début des années 2000, cette industrie s'est progressivement redressée, avec un nouveau modèle économique fondé sur le streaming, qui représente maintenant 70 % des revenus, en hausse de 17,9 % en 2020.

Alors que le support physique s'effondre, à l'exception notable et probablement frappée de nostalgie des disques vinyles, les perspectives de progression sont encore importantes pour la musique en ligne :

- d'une part, seuls 12 % des français sont abonnés à un service contre 20 % aux États-Unis ;

- d'autre part, le streaming vidéo, et pour ne pas le nommer YouTube, totalise près de la moitié des écoutes, mais contribue pour 10 % seulement aux revenus. La transposition de la directive sur les droits d'auteur est un puissant accélérateur pour l'inciter à augmenter sa contribution encore trop modeste.

L'année 2022 est la deuxième année d'existence du Centre national de la musique (CNM). Son action est unanimement saluée, disons-le. En pleine urgence, il s'est trouvé responsable de la gestion de 745 millions d'euros en 3 ans alors qu'il devait initialement n'engager que 143 millions, Il faut donc rendre hommage aux personnels du CNM d'avoir été à la hauteur de la colossale tâche qui leur est littéralement « tombée dessus ».

Cela dit, cet accueil et cet enthousiasme de la profession reposent sur un malentendu que les années qui viennent vont peut-être douloureusement lever : la vocation du Centre n'est pas de dispenser des fonds publics colossaux, mais de structurer la profession, comme le rapporteur Jean-Raymond Hugonet pourra le confirmer.

Progressivement, si la situation revient à la normale en 2022 et 2023, le CNM devra retourner aux missions qui lui ont été assignées par la loi. Dans ce contexte, il me parait urgent aujourd'hui de réfléchir à ses modalités de financement, qui, clairement, et comme cela était au demeurant évoqué au moment de l'examen de la proposition de loi initiale, doivent évoluer. L'idée d'une taxation dédiée mériterait donc d'être rapidement étudiée, avec, à ce stade, deux options possibles :

- comme je l'avais proposé lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2021, une taxe à taux faible sur le matériel audio ;

- ou bien une taxe sur le streaming, solution qui aurait le mérite de faire contribuer au financement du Centre le secteur de la musique enregistrée.

Quelle que soit la solution finalement retenue, j'estime qu'elle doit être examinée rapidement, afin de donner au Centre des perspectives durables pour assurer ses missions telles que définies par la loi.

Enfin, un dernier mot plein d'optimisme sur le désormais premier secteur des industries culturelles, le jeu vidéo.

Le jeu vidéo a doublé son chiffre d'affaires depuis 2013. Il s'établit en 2020 à 5,3 milliards d'euros, avec une progression due à la pandémie de 10 % cette année.

Ces dernières années, le jeu vidéo a connu trois évolutions majeures :

- tout d'abord, une massification des joueurs. Le nombre de joueurs en France s'établit à 36,5 millions en 2020, soit huit millions de nouveaux usagers depuis 2013 ;

- ensuite, le passage à une industrie « pour adultes ». L'âge moyen du joueur français est maintenant de 39 ans, contre 21 ans en 1999. Les adultes représentent ainsi près de 90 % des joueurs ;

- enfin, l'éclatement de son modèle économique. Traditionnellement fondé sur la vente à perte de consoles et de fortes marges sur les jeux, il s'est diversifié ces dernières années. Les jeux sur mobile et en réseau sont gratuits, mais nécessitent des micro-transactions pour progresser, alors que certaines très grosses productions sont encore sur un modèle plus traditionnel en raison de leur coût, qui dépasse désormais les films à grand spectacle. Pensez que le jeu « Cyberpunk 2077 » du studio polonais CD Projekt a nécessité un budget de 330 millions de dollars !

Le jeu vidéo bénéficie d'une aide publique sous la forme d'un crédit d'impôt, d'un montant de 63 millions d'euros, comparable aux autres pays. Il est cependant régulièrement mis en cause, et je suis personnellement favorable, une bonne fois pour toute, à une mise à plat de ses mécanismes et de ses résultats, ce qui « dépassionnerait » le débat. Il en va de l'existence d'un tissu économique et créatif français extrêmement reconnu.

Je voudrais pour conclure mon propos, somme toute moins pessimiste que l'on pouvait le craindre, évoquer les conséquences différées de la pandémie, notamment pour les artistes. Les aides ont certes été nombreuses et appréciées, uniques au monde, mais elles devront probablement dans les années à venir tenir compte du puissant frein que la crise a été pour les créateurs, dont les projets ont été repoussés ou abandonnés, les revenus durement amputés, les vocations parfois découragées. C'est à eux que nous devons maintenant penser, une fois les structures confortées et prêtes à reprendre le chemin de la croissance.

Sous le bénéfice de ces observations, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « Livre et industries culturelles » pour 2022.

Je vous remercie pour votre attention.

Mme Béatrice Gosselin . - Le domaine des industries culturelles a subi une crise majeure et doit maintenant faire face à des défis redoutables. Le soutien de l'Etat est donc primordial et doit perdurer. Je me félicite à ce titre des hausses de crédits prévues. Elles sont essentiellement dues aux programmes immobiliers de la BnF et de la bibliothèque publique d'information (BPI) ainsi qu'à la progression des crédits du Centre national du livre (CNL), qui lui permettront de mener à bien des manifestations d'ampleur et de mieux rémunérer les auteurs de bandes dessinées. L'économie du livre a cependant été bouleversée avec en particulier un recours accru à la livraison à domicile. Nos compatriotes doivent maintenant retrouver le chemin des librairies. Je me félicite par ailleurs des huit millions d'euros du « plan bibliothèque » prévus pour l'extension des horaires d'ouverture, nous en avons bénéficié dans mon département de la Manche. Un dernier point, l'édition et la presse s'inquiètent fortement de la pénurie de papier. Le groupe Les Républicains votera les crédits de ce programme.

M. Pierre-Antoine Levi . - Nous étions très inquiets lors de l'examen des crédits l'année dernière, les industries culturelles ont certes souffert mais le soutien public a été massif. La situation semble donc s'améliorer mais nous sommes toujours menacés par un risque de recrudescence de la crise sanitaire, qui inquiète grandement le secteur culturel, je pense en particulier au rétablissement des jauges pour les festivals. Mon groupe accorde bien entendu la plus grande attention aux politiques menées en faveur de la lecture publique et de la lutte contre l'illettrisme. Je note enfin que le CNM a bénéficié de moyens à la hauteur des enjeux du secteur. J'espère que le financement se poursuivra à des niveaux suffisants. Compte tenu de l'effort des pouvoirs publics, le groupe Union Centriste votera les crédits de ce programme.

M. Jérémy Bacchi . - Le soutien de l'Etat a permis au secteur de maintenir la tête hors de l'eau. Nous sommes cependant inquiets par les baisses annoncées de crédits en 2022 qui pourraient provoquer des « trous d'air ». Je pense notamment aux librairies indépendantes, au futur du CNM et, élément nouveau, à l'envolée des coûts du papier. Pour ces raisons mon groupe s'abstiendra sur ces crédits.

Mme Sylvie Robert . - Je tiens à alerter sur la situation des bibliothèques confrontées à l'obligation du passe sanitaire. Je n'étais personnellement pas favorable à des exceptions, mais je note cependant que cette mesure sur les personnes de 12 et 18 ans semble entrainer des problèmes de fréquentation. Cela est très regrettable tant les bibliothèques sont un vecteur essentiel pour l'accès à la culture. Le CNM a joué son rôle pendant la crise et je partage l'analyse du rapporteur qui souhaite une structuration de son modèle économique. Sur la question des festivals , je précise qu'un décret paru récemment a rétabli la jauge à 100 %, avec une forte incitation au port du maque. Nous avons de ce point de vue été entendus. Pour finir, je confirme les conséquences sur le secteur de l'édition de la crise du papier.

Mme Monique de Marco . - La hausse de 5 millions d'euros des crédits du fonctionnement du CNM pourrait être insuffisante et je formule le souhait que son modèle économique soit mieux précisé. Je suis très attachée à la politique menée en faveur du livre et du développement de la lecture qui doit être une grande cause nationale. Je confirme à ce propos la baisse de fréquentation des médiathèques suite à l'obligation de présenter un passe sanitaire qui semble poser des nombreuses difficultés pour le public de 12 à 18 ans.

M. Julien Bargeton , rapporteur pour avis . - J'ai bien pris note de vos interrogations. Je crois que nous devons tous sensibiliser les pouvoirs publics à la pénurie de papier qui dépasse le seul ministère de la culture. Pour le CNM, les interrogations concernent surtout 2023, l'année 2022 étant encore marquée par l'abondance de crédits. Enfin, je réaffirme mon fort attachement à la numérisation des collections de presse de la III e République, dont nous connaissons l'importance primordiale dans notre histoire.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits relatifs au Livre et aux industries culturelles au sein de la mission « Médias, livre et industries culturelles ».

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