Avis n° 168 (2021-2022) de M. Julien BARGETON , fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, déposé le 18 novembre 2021

Disponible au format PDF (862 Koctets)

Synthèse du rapport (531 Koctets)


N° 168

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2021-2022

Enregistré à la Présidence du Sénat le 18 novembre 2021

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication (1) sur le projet de loi de finances , adopté par l'Assemblée nationale, pour 2022 ,

TOME IV

Fascicule 4

MEDIAS LIVRE ET INDUSTRIES CULTURELLES

Livre et industries culturelles

Par M. Julien BARGETON,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Laurent Lafon, président ; M. Max Brisson, Mme Laure Darcos, MM. Stéphane Piednoir, Michel Savin, Mme Sylvie Robert, MM. David Assouline, Julien Bargeton, Pierre Ouzoulias, Bernard Fialaire, Jean-Pierre Decool, Mme Monique de Marco, vice-présidents ; Mmes Céline Boulay-Espéronnier, Else Joseph, Marie-Pierre Monier, Sonia de La Provôté, secrétaires ; MM. Maurice Antiste, Jérémy Bacchi, Mmes Annick Billon, Alexandra Borchio Fontimp, Toine Bourrat, Céline Brulin, Samantha Cazebonne, M. Yan Chantrel, Mme Nathalie Delattre, M. Thomas Dossus, Mmes Sabine Drexler, Béatrice Gosselin, MM. Jacques Grosperrin, Jean Hingray, Jean-Raymond Hugonet, Claude Kern, Mikaele Kulimoetoke, Michel Laugier, Pierre-Antoine Levi, Jean-Jacques Lozach, Jacques-Bernard Magner, Jean Louis Masson, Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Philippe Nachbar, Olivier Paccaud, Damien Regnard, Bruno Retailleau, Mme Elsa Schalck, M. Lucien Stanzione, Mmes Sabine Van Heghe, Anne Ventalon, M. Cédric Vial, Mme Mélanie Vogel.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 15 ème législ.) : 4482 , 4502 , 4524 , 4525, 4526 , 4527 , 4597 , 4598 , 4601 , 4614 et T.A. 687

Sénat : 162 et 163 à 169 (2021-2022)

AVANT-PROPOS

Les industries culturelles, hors cinéma et spectacle vivant, ont finalement plutôt bien résisté à la crise pandémique, voire en ont bénéficié comme le jeu vidéo. Elles constituent aujourd'hui un domaine d'excellence pour notre pays, et bénéficient d'un soutien budgétaire, mais également réglementaire et européen destiné à préserver notre diversité et souveraineté culturelle .

Le rapporteur note que ces politiques ont été poursuivies et amplifiées par le Gouvernement, et s'inscrivent dans un large consensus national. Si les défis sont nombreux, à commencer par les effets toujours très sensibles de la crise dans certains domaines, les structures mises en place sont en mesure de les identifier et, en lien avec les principaux concernés, d'y apporter des solutions .

Les industries culturelles ont représenté en 2020 un chiffre d'affaires de près de 14,8 milliards d'euros 1 ( * ) , en baisse de près de 10 % par rapport à 2019. Le cinéma 2 ( * ) a été particulièrement touché, avec un résultat divisé par trois, alors que le jeu vidéo et les abonnements à des services de diffusion non linéaire comme Netflix ont fortement progressé. Malgré des inquiétudes initiales fortes, l'édition est pour sa part restée stable .

Chiffre d'affaires des industries culturelles
en 2020

Dans ce secteur, l'année 2022 doit permettre :

Ø aux acteurs les plus lourdement impactés, de retrouver des marges de manoeuvre financière grâce à un retour progressif à la normale ;

Ø de préparer les conditions d'une reprise accélérée de l'activité, que l'attrait des productions nationales comme l'appétence des Français pour les industries culturelles laissent envisager. Le plan de relance prévoit ainsi 263 millions d'euros destinés à la musique et au livre ;

Ø de mettre en place les évolutions législatives récentes en matière de régulation, d'investissements et de lutte contre le piratage.

Le rapporteur souligne que, de l'avis général, les pouvoirs publics ont su accompagner
de manière significative le secteur durant la crise dans des proportions très supérieures
aux autres pays.

I. UN SECTEUR DU LIVRE SORTI RENFORCÉ DE LA CRISE

A. UNE SITUATION MEILLEURE QUE PRÉVUE EN 2020

Source : SNE

Alors que la commission se faisait l'écho l'année dernière d'une conjoncture sinistrée par la nouvelle fermeture des librairies, un fort rebond de l'activité a finalement permis dès la réouverture le 28 novembre de limiter la baisse du chiffre d'affaires de l'édition à 2,36 % .

Cette diminution relativement modérée dissimule cependant une forte hétérogénéité :

Ø entre maisons d'édition , d'une part, certaines petites et spécialisées, par exemple dans les guides de voyage et les ouvrages d'art, connaissant une contraction de 36 % de leur activité ;

Ø entre librairies , d'autre part, les établissements de centre-ville les plus importants ayant mieux résisté que les petites structures.

L'année a vu pour la première fois une baisse de 15 % des parutions , qui avaient plus que triplé depuis 1970 . Conséquence de cette surproduction, le tirage moyen est passé sur la période de 8 000 à 2 000 exemplaires. Le secteur de la littérature, qui représente plus de 20 % des ventes, a progressé de 2,4 % en 2020, porté par quelques « best sellers » au premier rang desquels avec plus d'un million d'exemplaires le prix Goncourt d'Hervé Le Tellier L'anomalie et un regain, peut-être lié au confinement, de la lecture des classiques (+ 5,9 %, avec notamment La Peste d'Albert Camus).

B. UN SOUTIEN PUBLIC IMPORTANT

En plus des mesures de droit commun, le secteur a bénéficié de mesures spécifiques de soutien et de relance, pour un montant de 66,5 millions d'euros , essentiellement tournées vers les librairies.

La crise a été l'occasion pour les libraires d'améliorer l'attractivité de leurs magasins, de développer le « click and collect » et la vente en ligne, et surtout de mesurer le fort attachement des Français à leur activité, sensible dès la réouverture des commerces.

C. LA RÉVOLUTION DES FRAIS DE PORT

L'article 1 er de la proposition de loi 3 ( * ) visant à améliorer l'économie du livre et à renforcer l'équité entre ses acteurs , déposée par Laure Darcos et dont Céline Boulay-Espéronnier était rapporteure, a été adopté avec le soutien du Gouvernement le 8 juin au Sénat et le 6 octobre à l'Assemblée nationale. Il constitue une véritable révolution dans le secteur du livre, en mettant un terme à l'avantage concurrentiel des plateformes de vente en ligne qui, à l'image d'Amazon, contournent la loi sur le prix unique en offrant la livraison des livres .

L'entrée en vigueur de la loi doit être l'occasion pour les libraires de faire valoir leur apport essentiel aux lecteurs , par opposition à un traitement algorithmique promu par les plateformes.

Le rapporteur se félicite de la résilience du secteur qui a souligné l'engagement des pouvoirs publics comme l'intérêt des Français pour le livre.

II. LA BIBLIOTHÈQUE NATIONALE DE FRANCE SUR LE FIL DU RASOIR BUDGÉTAIRE

A. DES MOYENS QUI PROGRESSENT, MAIS UNE ÉQUATION BUDGÉTAIRE COMPLEXE

a) Des dotations 2022 en ligne avec les besoins

Les moyens de la BnF connaissent une progression régulière ces dernières années, passant de 204,3 millions d'euros en 2018 à 224 millions d'euros en 2022, en hausse de 3,7 % pour cette année.

... de dotations de la BnF en 2022

... de hausse

Dans le détail :

Ø la subvention pour charges de service public progresse de 3,16 millions d'euros, pour s'établir à 192,3 millions d'euros . Elle est destinée à couvrir la hausse mécanique des dépenses de personnel, et à tenir compte des coûts supplémentaires induits par la réouverture du site Richelieu ;

Ø la dotation pour fonds propre s'établirait à 31,68 millions d'euros . Le niveau de dotation de 2021 de 27,68 millions d'euros a été reconduit pour assurer la fin des travaux du centre Richelieu et quatre millions d'euros ont été ajoutés pour financer la première tranche du futur centre de stockage .

b) Une équation budgétaire complexe

Les dépenses de la BnF progressent tendanciellement d'environ deux millions d'euros par an. Environ les deux-tiers des dépenses de fonctionnement sont contraintes, ce qui laisse peu de marges de manoeuvres pour développer de nouveaux projets, voire assurer l'ouverture des infrastructures existantes. Si la BnF a été relativement épargnée par la crise pandémique, elle n'a pas non plus bénéficié de compensation, alors que ses ressources propres ont baissé de 2,6 millions d'euros en 2021. Lesdites ressources propres s'avèrent de surcroît particulièrement volatiles, avec une moyenne de 10 millions d'euros ces dernières années et de faibles possibilités de développement.

Par ailleurs, la BnF est engagée :

- d'une part , dans des projets ambitieux qui participent directement du rayonnement de l'institution comme de ses missions, à l'image du futur centre de stockage ou du développement du dépôt légal numérique ;

- d'autre part , un « mur » d'investissements lourds de près de 98 millions d'euros d'ici 2027, dont 85 % sur le site François Mitterrand, avec des gros oeuvres pour près de 50 millions d'euros.

Par ailleurs, à compter de 2023, le fonctionnement quotidien du centre Richelieu nécessitera une mobilisation à la fois en termes de ressources humaines, avec une soixantaine de personnels, mais également financière, soit un surcoût de 5,5 millions d'euros, montant par ailleurs inférieur à celui de sept millions estimé en 2021 . Selon les estimations de la BnF, il ne serait couvert qu'à hauteur de 2,5 millions d'euros par des recettes nouvelles, ce qui nécessite donc de redéployer 3 millions d'euros par an ou bien d'obtenir des financements complémentaires.

Répartition des investissements à mener d'ici 2027

L'équation budgétaire de la BnF dans les prochaines années est donc particulièrement complexe . La conclusion du nouveau contrat d'objectif et de performance doit être l'occasion, avec la tutelle, d'élaborer un calibrage budgétaire précis, qui donnera de la visibilité à l'institution comme à sa tutelle.

B. DEUX PROJETS MOBILISATEURS

Si l'année 2022 est celle de l'achèvement des travaux du centre Richelieu, la BnF est d'ores et déjà engagée dans plusieurs projets d'envergure.

a) La réforme du dépôt légal numérique

L'article 5 de la proposition de loi précitée de Laure Darcos adapte enfin le dépôt légal au monde numérique , en confortant l'action de la BnF. Depuis longtemps, les responsables du dépôt, au premier rang desquels la BnF, sont confrontés à des difficultés d'accès sur les parties d'internet protégées par des mots de passe ou des protections spécifiques. Les nouvelles dispositions de la loi devraient permettre de faciliter cette mission historique de la Bibliothèque, et mobiliser une vingtaine de personnes supplémentaires.

b) Le nouveau centre de conservation

Depuis 2009, la BnF anticipe l'extension de ses capacités de stockage. La date de saturation des magasins de collections avait été initialement estimée à 2017, reportée à 2025. La BnF a donc décidé en 2018 de désaturer ses magasins en construisant un nouveau centre de conservation , qui doit être implanté sur le territoire d'une collectivité partenaire.

Un appel à manifestation d'intérêt a été publié le 25 juin 2020 et a trouvé un écho très favorable auprès des collectivités, qui ont proposé plus de 70 sites pour répondre à la sollicitation de la BnF. Le choix devrait être rendu public dans les semaines à venir.

Le budget de l'opération relative au nouveau centre de conservation représente un coût d'environ 96 millions d'euros . Le plan de financement du futur centre de conservation repose notamment sur une dotation exceptionnelle de 30 millions de l'État , une enveloppe de la BnF qui doit vendre cinq sites et une participation des collectivités territoriales partenaires. Par contre, le projet de numérisation des collections de presse de la III e République, auquel le rapporteur est très attaché, est à ce jour au point mort, faute de financement dédié, ce qui est regrettable .

Les principaux défis de la BnF sur les prochaines années vont être pour le rapporteur d'intégrer ses ambitions de développement dans un cadre budgétaire qui ne devrait pas, selon le rapporteur, se limiter à préserver l'existant.

III. LA MUSIQUE : UN SECTEUR PLUS QUE JAMAIS DIVISÉ

A. UN MARCHÉ DE LA MUSIQUE ENREGISTRÉE QUI A RÉSISTÉ EN 2020 À DÉFAUT DE PROSPÉRER

Les deux grandes familles de la musique ont été frappées de manière très inégale par la crise pandémique. Alors que le spectacle 4 ( * ) voyait son chiffre d'affaire s'effondrer de 80 % en, 2020, la musique enregistrée a connu une stabilisation à 781 millions d'euros .

Frappé par une crise qui a mis en jeu son existence, avec une diminution de 60 % de sa valeur ajoutée entre 2002 et 2015, le secteur de la musique enregistrée connait depuis cette date une progression de près de 4 % par an , loin cependant d'effacer les pertes du début du millénaire. Dans ce secteur, les grandes tendances observée ces dernières années ont été confirmées, avec une montée en puissance du numérique, en particulier du streaming, et la baisse accélérée des ventes physiques.

chiffre d'affaires en 2021

Les revenus tirés du streaming devraient progresser dans les années à venir par la combinaison de deux facteurs :

Ø d'une part, un développement du marché qui dispose encore de marges de progression : 12 % de la population française profite d'un abonnement, contre 20 % aux États-Unis ;

Ø d'autre part, la transposition en droit français de la directive sur les droits d'auteur devrait permettre de mieux associer aux revenus le streaming vidéo , en particulier YouTube. Cette plateforme totalise en effet près de la moitié des écoutes en streaming, mais contribue pour 10 % seulement aux revenus.

B. QUEL FUTUR POUR LE CENTRE NATIONAL DE LA MUSIQUE ?

À la fin de l'année 2021, le Centre a prévu d'engager 195,5 millions d'euros , répartis en plusieurs fonds à destination du monde du spectacle, dont :

ü le fonds de sauvegarde du spectacle vivant (51 millions d'euros) ;

ü le fonds la compensation des billetteries (30 millions d'euros) ;

ü le fonds de soutien aux festivals (26 millions d'euros) ;

ü le fonds de sécurisation des revenus des auteurs et compositeurs (20 millions d'euros).

Projection budgétaire initiale vs crédits réellement disponibles

Alors que sa montée en puissance devait être progressive sur plusieurs années, le Centre national de la musique (CNM), alors encore en cours de structuration, a été propulsé en 2020 comme le principal levier de l'État pour secourir un secteur de la musique sur scène à l'arrêt. En conséquence, le volume de crédits qu'il est appelé à gérer a dépassé très largement les prévisions budgétaires initiales.

Le rapport pour avis de l'année dernière avait décrit les différents dispositifs d'aide et leurs mécanismes de répartition. Il importe maintenant que les crédits promis au Centre lui soient réellement versés, en particulier le solde du fonds de compensation des billetteries 2020 qui, faute d'ouverture, n'a été consommé que très partiellement mais qui pourrait s'avérer décisif tant le spectacle peine à s'extraire de la crise .

L'action du Centre durant la période a été unanimement saluée par la profession. On ne peut que s'associer à ce satisfecit et relever que le CNM a su bâtir en deux ans une très forte légitimité qui ne sera plus remise en cause.

Cet accueil très positif repose cependant en partie sur une forme de malentendu . Initialement conçu comme un outil au service de la profession destiné à créer une « maison commune » des différentes expressions musicales, le Centre s'est transformé durant la crise en financeur. Or cette mission est appelée à terme à s'interrompre, même si l'année 2022 sera encore largement consacrée au soutien et à la relance d'un secteur du spectacle sinistré et qui mettra du temps à retrouver ses niveaux d'avant crise.

La question qui se pose d'ores et déjà est donc celle du format d'un Centre doté d'un budget ramené à l'horizon 2023 à une soixantaine de millions d'euros, si la taxe sur les spectacles retrouve un rendement « normal » et si une solution est trouvée aux conséquences de l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) de septembre 2020 sur les « irrépartissables », qui a asséché les moyens des organismes de gestion collective (OGC).

L'idée d'une taxation dédiée mériterait d'être rapidement étudiée, avec à ce stade deux options possibles :

Ø comme le rapporteur pour avis l'avait proposé lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2021, une taxe sur le matériel audio ;

Ø ou bien une taxe sur le streaming , solution qui aurait le mérite de faire contribuer au financement du Centre le secteur de la musique enregistrée, mais est combattue pour des raisons évidentes par les principaux intéressés.

Quelle que soit la solution finalement retenue, le rapporteur estime qu'elle doit être examinée rapidement, afin de donner au Centre des perspectives durables pour assurer
ses missions telles que définies par la loi.

IV. LE JEU VIDÉO

A. UN SECTEUR EN PLEINE EXPANSION

Le jeu vidéo est aujourd'hui le premier secteur des industries culturelles 5 ( * ) , avec un chiffre d'affaires en France de 5,3 milliards d'euros en 2020, soit un doublement depuis 2013. Le jeu vidéo a connu une expansion de plus de 10 % en 2020 , année de la pandémie. Les joueurs ont souvent investi de nouveaux modes de jeu, passant plus facilement du jeu mobile au jeu sur console ou ordinateur. Les données pour 2021 ne sont pas encore connues, mais les premières tendances font état d'un léger tassement, la période ayant donc permis une progression nette du chiffre d'affaires du secteur et une fidélisation des joueurs. Les 35-45 ans en particulier se sont équipés de manière massive en 2020.

Évolution du chiffre d'affaire du jeu vidéo en France

(en milliards d'euros)

Source : données du Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs (SELL)

Source : l'Essentiel du jeu vidéo, mars 2021

L'écosystème des consoles reste dominant, mais le secteur du jeu sur mobile progresse le plus vite ces dernières années, avec 16 % de hausse en 2020.

B. LES TROIS ÉVOLUTIONS MAJEURES DU JEU VIDÉO CES DERNIÈRES ANNÉES

En plus de la croissance continue de son chiffre d'affaires, le jeu vidéo a connu ces dernières années trois profondes mutations .

a) La massification des joueurs

de joueurs occasionnels

Le nombre de joueurs en France s'établit à 36,5 millions en 2020 , soit huit millions de nouveaux usagers depuis 2013. Aujourd'hui, 71 % des Français jouent occasionnellement et 52 % régulièrement, en hausse de 3 points sur un an.

de joueurs réguliers

b) Le passage à une industrie pour adultes

moyenne d'âge des joueurs

L'âge moyen du joueur français est maintenant de 39 ans, contre 21 ans en 1999 . Autrefois destiné à un public juvénile, l'industrie a progressivement glissé depuis les années 1990 et l'avènement des consoles de 5 e génération, avec en particulier la Playstation de Sony sortie en 1994, vers des productions plus ambitieuses et inspirées du cinéma. Les adultes représentent ainsi près de 90 % des joueurs.

de joueurs adultes

c) Vers une multiplicité des modèles économiques ?

Le modèle économique du jeu vidéo, traditionnellement fondé sur la vente à perte de consoles et de fortes marges sur les jeux, s'est diversifié ces dernières années. Les jeux sur mobile et en réseau, comme le très célèbre Fortnite, sont gratuits, mais peuvent souvent nécessiter des micro-transactions pour progresser (« free to play, pay to win »). Certaines très grosses productions mobilisent des sommes aussi, voire plus importantes qu'un film à grand spectacle, comme « Cyberpunk 2077 » du studio polonais CD Projekt, pour lequel on estime les investissements à 330 millions de dollars .

C. DES SOUTIENS PUBLICS À MIEUX ÉVALUER

Depuis l'origine, la France fait partie des leaders mondiaux dans le secteur. Cependant, rapporté à son chiffre d'affaires, le jeu vidéo bénéficie de soutiens publics d'un niveau très inférieur au cinéma ou à la musique sous toutes ses formes, et n'a pas eu besoin de dotations pendant une crise pandémique dont il a plutôt profité.

La principale aide au secteur est le crédit d'impôt jeu vidéo (CIJV), crée en 2007 et réformé pour la dernière fois en 2017. Il permet de défiscaliser 30 % des investissements pour les projets agréés par le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), selon une grille qui permet notamment de s'assurer que le jeu n'est pas susceptible de nuire gravement à l'épanouissement physique, mental ou moral des utilisateurs . Son montant ne cesse de croitre, passant de 14 millions d'euros en 2016 à 63 millions en 2020 .

Un fonds d'aide dédié au jeu vidéo est également géré par le CNC, pour un montant de 3,16 millions d'euros en 2020. La plupart des pays ont mis en place des dispositifs de soutien à leur industrie vidéo ludique, par nature extrêmement mobile. Québec, par exemple, offre un crédit d'impôt pouvant aller jusqu'à 37,5 %. De ce point de vue, les conclusions du rapport de la commission de la culture de 2013 d'André Gattolin et Bruno Retailleau restent plus que jamais d'actualité.

Le rapporteur estime qu'il manque encore une évaluation précise et partagée de l'impact d'un dispositif de soutien, notamment fiscal, dont le coût s'avère exponentiel.
Il semble urgent de mener ce travail, pour conforter le crédit d'impôt et apaiser
sur plusieurs années l'horizon des investisseurs.

La commission de la culture, de l'éducation et de la communication a émis, lors de sa réunion plénière du 17 novembre 2021, un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 334 « médias, livre et industries culturelles » du projet de loi de finances pour 2022.

EXAMEN EN COMMISSION

MERCREDI 17 NOVEMBRE 2021

___________

M. Laurent Lafon , président . - Mes chers collègues, notre ordre du jour appelle ce matin l'examen des avis budgétaires consacrés aux crédits alloués au « Livre et aux industries culturelles », aux sociétés de l'audiovisuel public par le biais du compte de concours financier dédié à leur financement ainsi qu'à la « Jeunesse et à la vie associative » au sein du projet de loi de finances pour 2022.

Je cède immédiatement la parole à Julien Bargeton pour nous présenter son avis sur les crédits consacrés au « Livre et aux industries culturelles ».

M. Julien Bargeton , rapporteur pour avis du programme « Livre et industries culturelles » . - Monsieur le président, mes chers collègues, le champ des industries culturelles représente près de 15 milliards d'euros de chiffre d'affaires par an.

Secteur important économiquement donc, mais également politiquement, dans le meilleur sens du terme. Le soutien à ces secteurs d'excellence fait largement consensus entre nous. J'y vois pour ma part deux raisons :

- la première est symbolique, puisque la culture dont nous parlons ici se vit au quotidien, avec la musique, les films, le jeu vidéo, et donc touche chacun de nos concitoyens. Il ne serait donc pas envisageable, en quelques sorte, que la puissance publique détourne les yeux, comme d'autres pays l'ont fait avec les résultats sinistres que nous connaissons, et laisse ainsi libre cours à une concurrence internationale féroce qui verrait sombrer ce qui nous est si cher, l'exception culturelle ;

- la seconde raison relève d'une approche plus pragmatique : les industries culturelles françaises s'exportent, sont reconnues, et participent positivement de notre rayonnement comme de notre économie. La France dispose d'une littérature mondialement reconnue depuis des siècles (encore aujourd'hui, la France domine le classement des prix Nobel avec 15 récompenses), de studios de jeux vidéo qui font référence et d'une création musicale variée et admirée sur toutes les scènes de la planète.

Dès lors, les crédits que nous adoptons sont autant un investissement en notre force créatrice qu'une dépense ! Ces sommes sont destinées à permettre aux différents secteurs de s'adapter et de conserver leur position. L'engagement de 263 millions d'euros du plan de relance dans la musique et le livre, prouve je crois suffisamment l'intérêt de l'État pour ces secteurs.

J'en viens maintenant à la présentation à proprement parler des crédits.

La crise sanitaire a frappé à des degrés divers les industries culturelles. Le cinéma, qui fait l'objet d'un rapport distinct de Jérémy Bacchi, a payé un très lourd tribut à la crise, tout comme le spectacle vivant. A contrario , le secteur de l'édition a plutôt enregistré des résultats moins mauvais que ce que nous pouvions craindre l'année dernière, la musique enregistrée a stagné, et le jeu vidéo a fortement progressé.

Je vais tout d'abord évoquer le secteur du livre.

Vous vous rappelez certainement de la présentation alarmiste que j'avais pu faire l'année dernière. À l'époque, les librairies avaient été contraintes de fermer de nouveau et toute la profession craignait de perdre les ventes de fin d'année. Un an plus tard, où en est-on ? Au lieu de la catastrophe annoncée, le marché n'a diminué « que » de 2,36 %. Ce n'est certes pas une bonne nouvelle, mais c'est honnêtement inespéré par rapport aux prévisions de l'époque. Encore faut-il établir une distinction entre les maisons d'édition, les plus petites et spécialisées ayant comparativement plus soufferts, de même que les librairies de taille plus modeste.

Comment peut-on expliquer cette surprenante résilience du secteur ?

J'avance deux explications.

La première est l'ampleur du soutien public, qui n'a pas fait défaut pendant la crise. D'un montant de 66,5 millions d'euros, il a essentiellement bénéficié aux libraires, qui ont pu améliorer l'attractivité de leurs magasins, se lancer dans le click and collect et expérimenter la livraison à domicile, préfigurant la novation tant attendue par eux qui devrait très prochainement voir le jour, je parle bien entendu de l'article 1er de la proposition de loi de notre collègue Laure Darcos, dont Céline Boulay-Espéronnier était rapporteure. Nous pouvons être légitimement fiers du travail accompli dans notre commission par nos deux collègues et je peux vous assurer que toute la chaine du livre en est très satisfaite.

La seconde explication tient à ce que la crise a révélé de l'attachement des Français aux librairies. Vous vous rappelez du débat stérile sur la nature « essentielle » de ces commerces. La vérité est que, dès que les libraires ont pu ouvrir, les clients ont afflué, ce qui a permis de sauver une année pourtant bien mal engagée.

Le prix Goncourt de l'année dernière, L'anomalie, d'Hervé Le Tellier, s'est ainsi écoulé à plus d'un million d'exemplaires, devenant la deuxième meilleure vente de l'histoire de cette distinction derrière l'Amant de Marguerite Duras.

Pour résumer, entre soutien des pouvoirs publics, soutien du public et, bientôt, remise à plat des conditions de concurrence avec les plateformes, je crois que l'avenir de la filière du livre s'annonce nettement meilleur qu'escompté !

Je vais maintenant évoquer brièvement la Bibliothèque nationale de France (BnF).

Brièvement, non pas en raison de son poids budgétaire, qui représente, avec 224 millions d'euros, 65 % des crédits du programme, ni de l'intérêt que nous lui portons, mais parce que les problématiques sont sensiblement identiques d'une année sur l'autre. L'institution est toujours confrontée à une équation budgétaire complexe. L'État lui permet d'assurer son fonctionnement et participe même à ses projets, mais dans des proportions insuffisantes pour lui permettre de planifier sereinement ses travaux d'entretien de près de 100 millions d'euros d'ici 2027, et de mener une politique plus ambitieuse. J'ai le sentiment que ce qui fait défaut de part et d'autre, c'est la visibilité, et c'est une question générale dans les relations qu'entretient l'Etat avec les opérateurs.

Je souhaite vivement que le contrat d'objectif et de performance discuté cette année permette précisément d'offrir cette visibilité. Un dernier mot sur le sujet : je regrette la stagnation du très beau projet de numérisation des collections de presse de la III e République, et j'espère sincèrement qu'il pourra être mené à bien avant que les collections ne soient irrémédiablement dégradées. La ministre ne s'est pas engagée outre-mesure lors de son audition de la semaine dernière.

En ce qui concerne la musique, la profession est divisée en deux mondes. Alors que le spectacle voyait son chiffre d'affaire s'effondrer de 80 % en 2020, la musique enregistrée a connu une stabilisation à 781 millions d'euros de chiffre d'affaires. Après avoir failli disparaitre au début des années 2000, cette industrie s'est progressivement redressée, avec un nouveau modèle économique fondé sur le streaming, qui représente maintenant 70 % des revenus, en hausse de 17,9 % en 2020.

Alors que le support physique s'effondre, à l'exception notable et probablement frappée de nostalgie des disques vinyles, les perspectives de progression sont encore importantes pour la musique en ligne :

- d'une part, seuls 12 % des français sont abonnés à un service contre 20 % aux États-Unis ;

- d'autre part, le streaming vidéo, et pour ne pas le nommer YouTube, totalise près de la moitié des écoutes, mais contribue pour 10 % seulement aux revenus. La transposition de la directive sur les droits d'auteur est un puissant accélérateur pour l'inciter à augmenter sa contribution encore trop modeste.

L'année 2022 est la deuxième année d'existence du Centre national de la musique (CNM). Son action est unanimement saluée, disons-le. En pleine urgence, il s'est trouvé responsable de la gestion de 745 millions d'euros en 3 ans alors qu'il devait initialement n'engager que 143 millions, Il faut donc rendre hommage aux personnels du CNM d'avoir été à la hauteur de la colossale tâche qui leur est littéralement « tombée dessus ».

Cela dit, cet accueil et cet enthousiasme de la profession reposent sur un malentendu que les années qui viennent vont peut-être douloureusement lever : la vocation du Centre n'est pas de dispenser des fonds publics colossaux, mais de structurer la profession, comme le rapporteur Jean-Raymond Hugonet pourra le confirmer.

Progressivement, si la situation revient à la normale en 2022 et 2023, le CNM devra retourner aux missions qui lui ont été assignées par la loi. Dans ce contexte, il me parait urgent aujourd'hui de réfléchir à ses modalités de financement, qui, clairement, et comme cela était au demeurant évoqué au moment de l'examen de la proposition de loi initiale, doivent évoluer. L'idée d'une taxation dédiée mériterait donc d'être rapidement étudiée, avec, à ce stade, deux options possibles :

- comme je l'avais proposé lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2021, une taxe à taux faible sur le matériel audio ;

- ou bien une taxe sur le streaming, solution qui aurait le mérite de faire contribuer au financement du Centre le secteur de la musique enregistrée.

Quelle que soit la solution finalement retenue, j'estime qu'elle doit être examinée rapidement, afin de donner au Centre des perspectives durables pour assurer ses missions telles que définies par la loi.

Enfin, un dernier mot plein d'optimisme sur le désormais premier secteur des industries culturelles, le jeu vidéo.

Le jeu vidéo a doublé son chiffre d'affaires depuis 2013. Il s'établit en 2020 à 5,3 milliards d'euros, avec une progression due à la pandémie de 10 % cette année.

Ces dernières années, le jeu vidéo a connu trois évolutions majeures :

- tout d'abord, une massification des joueurs. Le nombre de joueurs en France s'établit à 36,5 millions en 2020, soit huit millions de nouveaux usagers depuis 2013 ;

- ensuite, le passage à une industrie « pour adultes ». L'âge moyen du joueur français est maintenant de 39 ans, contre 21 ans en 1999. Les adultes représentent ainsi près de 90 % des joueurs ;

- enfin, l'éclatement de son modèle économique. Traditionnellement fondé sur la vente à perte de consoles et de fortes marges sur les jeux, il s'est diversifié ces dernières années. Les jeux sur mobile et en réseau sont gratuits, mais nécessitent des micro-transactions pour progresser, alors que certaines très grosses productions sont encore sur un modèle plus traditionnel en raison de leur coût, qui dépasse désormais les films à grand spectacle. Pensez que le jeu « Cyberpunk 2077 » du studio polonais CD Projekt a nécessité un budget de 330 millions de dollars !

Le jeu vidéo bénéficie d'une aide publique sous la forme d'un crédit d'impôt, d'un montant de 63 millions d'euros, comparable aux autres pays. Il est cependant régulièrement mis en cause, et je suis personnellement favorable, une bonne fois pour toute, à une mise à plat de ses mécanismes et de ses résultats, ce qui « dépassionnerait » le débat. Il en va de l'existence d'un tissu économique et créatif français extrêmement reconnu.

Je voudrais pour conclure mon propos, somme toute moins pessimiste que l'on pouvait le craindre, évoquer les conséquences différées de la pandémie, notamment pour les artistes. Les aides ont certes été nombreuses et appréciées, uniques au monde, mais elles devront probablement dans les années à venir tenir compte du puissant frein que la crise a été pour les créateurs, dont les projets ont été repoussés ou abandonnés, les revenus durement amputés, les vocations parfois découragées. C'est à eux que nous devons maintenant penser, une fois les structures confortées et prêtes à reprendre le chemin de la croissance.

Sous le bénéfice de ces observations, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « Livre et industries culturelles » pour 2022.

Je vous remercie pour votre attention.

Mme Béatrice Gosselin . - Le domaine des industries culturelles a subi une crise majeure et doit maintenant faire face à des défis redoutables. Le soutien de l'Etat est donc primordial et doit perdurer. Je me félicite à ce titre des hausses de crédits prévues. Elles sont essentiellement dues aux programmes immobiliers de la BnF et de la bibliothèque publique d'information (BPI) ainsi qu'à la progression des crédits du Centre national du livre (CNL), qui lui permettront de mener à bien des manifestations d'ampleur et de mieux rémunérer les auteurs de bandes dessinées. L'économie du livre a cependant été bouleversée avec en particulier un recours accru à la livraison à domicile. Nos compatriotes doivent maintenant retrouver le chemin des librairies. Je me félicite par ailleurs des huit millions d'euros du « plan bibliothèque » prévus pour l'extension des horaires d'ouverture, nous en avons bénéficié dans mon département de la Manche. Un dernier point, l'édition et la presse s'inquiètent fortement de la pénurie de papier. Le groupe Les Républicains votera les crédits de ce programme.

M. Pierre-Antoine Levi . - Nous étions très inquiets lors de l'examen des crédits l'année dernière, les industries culturelles ont certes souffert mais le soutien public a été massif. La situation semble donc s'améliorer mais nous sommes toujours menacés par un risque de recrudescence de la crise sanitaire, qui inquiète grandement le secteur culturel, je pense en particulier au rétablissement des jauges pour les festivals. Mon groupe accorde bien entendu la plus grande attention aux politiques menées en faveur de la lecture publique et de la lutte contre l'illettrisme. Je note enfin que le CNM a bénéficié de moyens à la hauteur des enjeux du secteur. J'espère que le financement se poursuivra à des niveaux suffisants. Compte tenu de l'effort des pouvoirs publics, le groupe Union Centriste votera les crédits de ce programme.

M. Jérémy Bacchi . - Le soutien de l'Etat a permis au secteur de maintenir la tête hors de l'eau. Nous sommes cependant inquiets par les baisses annoncées de crédits en 2022 qui pourraient provoquer des « trous d'air ». Je pense notamment aux librairies indépendantes, au futur du CNM et, élément nouveau, à l'envolée des coûts du papier. Pour ces raisons mon groupe s'abstiendra sur ces crédits.

Mme Sylvie Robert . - Je tiens à alerter sur la situation des bibliothèques confrontées à l'obligation du passe sanitaire. Je n'étais personnellement pas favorable à des exceptions, mais je note cependant que cette mesure sur les personnes de 12 et 18 ans semble entrainer des problèmes de fréquentation. Cela est très regrettable tant les bibliothèques sont un vecteur essentiel pour l'accès à la culture. Le CNM a joué son rôle pendant la crise et je partage l'analyse du rapporteur qui souhaite une structuration de son modèle économique. Sur la question des festivals , je précise qu'un décret paru récemment a rétabli la jauge à 100 %, avec une forte incitation au port du maque. Nous avons de ce point de vue été entendus. Pour finir, je confirme les conséquences sur le secteur de l'édition de la crise du papier.

Mme Monique de Marco . - La hausse de 5 millions d'euros des crédits du fonctionnement du CNM pourrait être insuffisante et je formule le souhait que son modèle économique soit mieux précisé. Je suis très attachée à la politique menée en faveur du livre et du développement de la lecture qui doit être une grande cause nationale. Je confirme à ce propos la baisse de fréquentation des médiathèques suite à l'obligation de présenter un passe sanitaire qui semble poser des nombreuses difficultés pour le public de 12 à 18 ans.

M. Julien Bargeton , rapporteur pour avis . - J'ai bien pris note de vos interrogations. Je crois que nous devons tous sensibiliser les pouvoirs publics à la pénurie de papier qui dépasse le seul ministère de la culture. Pour le CNM, les interrogations concernent surtout 2023, l'année 2022 étant encore marquée par l'abondance de crédits. Enfin, je réaffirme mon fort attachement à la numérisation des collections de presse de la III e République, dont nous connaissons l'importance primordiale dans notre histoire.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits relatifs au Livre et aux industries culturelles au sein de la mission « Médias, livre et industries culturelles ».

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Jeudi 7 octobre 2021

- Syndicat de la librairie française (SLF) : Mme Anne MARTELLE , présidente.

Vendredi 8 octobre 2021

- Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs : M. Nicolas VIGNOLLES , délégué général.

Lundi 11 octobre 2021

- Syndicat national de l'édition (SNE) : M. Vincent MONTAGNE , président.

Jeudi 14 octobre 2021

- Syndicat national de l'édition phonographique : M. Alexandre LASCH , directeur général.

Jeudi 21 octobre 2021

- Centre national de la musique : M. Jean-Philippe THIELLAY , président.

- Bibliothèque nationale de France : Mme Laurence ENGEL , présidente, M. Denis BRUCKMANN , directeur général, M. Kevin RIFFAULT , directeur général adjoint et directeur de l'administration et du personnel.

ANNEXE

Audition de Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture

MARDI 9 NOVEMBRE 2021

___________

M. Laurent Lafon , président . - Mes chers collègues, nous poursuivons cet après-midi notre cycle d'auditions sur le projet de loi de finances (PLF) 2022 en accueillant Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture, que je remercie de s'être rendue disponible.

Madame la ministre, l'année qui vient de s'écouler nous a donné l'occasion d'oeuvrer de concert pour tenter de juguler les effets de la terrible crise pandémique sur le secteur culturel, mais également d'anticiper les évolutions du monde de demain. Je suis à ce titre heureux de relever que le Sénat a été saisi en premier lieu du projet de loi relatif à la régulation et à la protection de l'accès aux oeuvres culturelles à l'ère numérique, sur lequel, après des débats vifs et passionnés, nous avons pu parvenir à un accord en commission mixte paritaire (CMP). Le Sénat a également été à l'origine de deux propositions de loi, l'une de Sylvie Robert consacrée aux bibliothèques, l'autre de Laure Darcos, avec Céline Boulay-Espéronnier comme rapporteur, sur l'économie du livre. À chaque fois, nous avons pu mener un travail approfondi avec vos équipes, et je salue l'excellent climat de confiance qui existe entre nous.

Je ne doute pas qu'il en sera de même dans quelques semaines lorsque nous examinerons la proposition de loi de nos collègues Catherine Morin-Desailly, Max Brisson et Pierre Ouzoulias relative à la circulation et au retour des biens culturels appartenant aux collections publiques. En dépit de nos positions parfois divergentes sur ce sujet, nous poursuivons un objectif commun : celui de doter notre pays d'un cadre plus pérenne et plus transparent.

Nous vous recevons aujourd'hui dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances. Nul n'ignore les difficultés du secteur, nul cependant ne dirait que le gouvernement y a été sourd. Je pense d'ailleurs que vous nous préciserez les masses budgétaires en jeu.

Nous commencerons par la culture. Vous avez pu prendre connaissance du rapport de nos collègues Sonia de La Provôté et Sylvie Robert relatif à la mise en oeuvre du plan de relance dans le domaine de la création que nous avons adopté la semaine passée.

Sur le sujet du plan de relance, comme sur le projet de budget, nous ne pouvons que saluer l'effort conséquent du gouvernement pour accompagner le monde de la culture, qui a payé un lourd tribut à la crise sanitaire.

Nous avons néanmoins constaté que le secteur culturel attendait de l'État un accompagnement qui ne soit pas seulement financier, mais aussi politique et technique. Les demandes en faveur d'une plus grande adaptation se font de plus en plus pressantes. Le secteur est également préoccupé parce que le public ne retourne pas aussi massivement que nous l'espérions dans les salles de spectacles.

Nous évoquerons ensuite l'audiovisuel public, qui a bien résisté à la crise sanitaire. Je me réjouis à nouveau que la chaîne France 4 dédiée à la jeunesse et à la culture ait été maintenue et je crois que le Sénat a joué un rôle en ce sens.

Vous avez indiqué, madame la ministre, le lancement de deux missions d'inspection sur l'avenir de la contribution à l'audiovisuel public et sur les règles relatives à la concentration. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur les objectifs et sur les délais de ces travaux ?

Le Sénat, assemblée des territoires, est particulièrement attentif à la présence de l'audiovisuel public au niveau local. Les coopérations entre France 3 et France Bleu ont du mal à se nouer, en particulier dans le domaine du numérique. Je crois que vous partagez notre souci. Comment vous envisagez de dynamiser ces coopérations ?

À l'issue de votre intervention liminaire, nous aurons une première séquence autour de la mission culture. Nos rapporteures, Sylvie Robert, pour les crédits de la création et de la transmission des savoirs et de la démocratisation de la culture, et Else Joseph, en lieu et place de Sabine Drexler pour les crédits des patrimoines, seront les premières à vous interroger.

Dans un second temps, nous aborderons le débat relatif à la mission Médias, Livre et industries culturelles. Je donnerai la parole aux rapporteurs Jean-Raymond Hugonet sur l'audiovisuel, Michel Laugier sur la presse, Julien Bargeton sur les industries culturelles et Jérémy Bacchi sur le cinéma, avant que nos autres collègues vous interrogent.

Je rappelle que cette audition est captée et diffusée en direct sur le site du Sénat. Madame la ministre, vous avez la parole !

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture . - Je suis très heureuse de vous retrouver pour vous présenter le dernier projet de budget du ministère de la culture du quinquennat.

Je suis également fière du budget des missions Culture, Médias, Livre et industries culturelles, qui connaît une augmentation sans précédent avec 273 millions d'euros de mesures nouvelles. Pour la première fois de son histoire, il dépassera 4 milliards d'euros, à 4,08, hors audiovisuel public. Cette hausse parachève un effort continu mené depuis 2017 en faveur de la culture. En cinq ans, le budget du ministère a augmenté de 15 %, soit 507 millions d'euros.

Ce budget a plusieurs objectifs. Tout d'abord, accompagner la sortie de crise, qui a bouleversé la condition de vie des artistes, des créateurs et des publics, d'un point de vue économique mais aussi d'un point de vue moral. La succession de périodes d'ouverture et de fermeture sur les 18 derniers mois a provoqué une chute sans précédent de la fréquentation des lieux culturels et le lien avec le public s'est distendu, malgré les efforts des lieux culturels pour le préserver et la mobilisation de l'État. Celle-ci a été rapide, forte et continue. Elle a d'ores et déjà mobilisé 13,6 milliards d'euros et certaines actions vont continuer. Pourtant, la reprise reste fragile, avec des niveaux de fréquentation encore bien en deçà de ceux de 2019. L'étude que j'ai commandée à la fin de l'été a montré qu'une partie des Français, environ 30 %, hésitaient à fréquenter les lieux publics en raison de la situation sanitaire.

Le budget a donc vocation à accompagner cette sortie de crise et la reprise d'activité, mais nous devons aussi préparer l'avenir de la culture en France. La crise a accéléré des mutations qui étaient en cours. Les pratiques et les modèles évoluent extrêmement vite, nous devons adapter nos politiques et c'est le sens des priorités de ce budget, tourné vers la jeunesse, qui renforce notre soutien sur le terrain, au plus près des territoires et qui repense l'accès de tous à la culture, en répondant au défi des transitions numériques et des transitions écologiques.

J'ai la double ambition de consolider le présent et de structurer l'avenir. Au-delà des 4,08 milliards d'euros de moyens budgétaires pérennes alloués à la culture et des 3,7 milliards d'euros alloués à l'audiovisuel public, la culture bénéficiera à la fois de l'annuité 2022 de France Relance, soit 463 millions d'euros, de la poursuite du déploiement des 400 millions d'euros du programme d'investissements d'avenir (PIA4), des taxes affectées au Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), au Centre national de la musique et à l'Association pour le soutien du théâtre privé (ASTP), soit 752 millions d'euros, des dépenses fiscales, dont l'impact progressera en 2022 à 1,12 milliard d'euros et enfin de 600 millions d'euros de crédits dans le cadre du programme France 2030, dont 265 millions en crédits de paiement dès 2022, qui permettront d'investir massivement dans les infrastructures de tournage, dans la formation aux métiers de l'audiovisuel, du cinéma, des jeux vidéo ainsi que dans les technologies de réalité virtuelle et augmentée.

Enfin, les grands opérateurs du ministère bénéficieront d'un soutien exceptionnel à hauteur de 234 millions d'euros dans le cadre du second projet de loi de finances rectificative pour 2021 qui vous sera soumis dans quelques semaines.

En 2022, la mission Culture progressera de 8,6 %, avec 259 millions d'euros de mesures nouvelles.

La priorité à la jeunesse se matérialise dans le programme « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture » créé en 2021 qui bénéficiera de 181 millions d'euros de crédits supplémentaires à travers deux grandes priorités du quinquennat : le déploiement de l'éducation artistique et culturelle (EAC) et la mise en oeuvre du pass culture. Je connais la réticence d'une partie du Sénat à ce dispositif et je reconnais que je m'étais moi aussi posé un certain nombre de questions lors de mon arrivée au ministère de la culture. J'avais alors appelé à un bilan apaisé.

L'expérimentation menée dans 14 départements a permis d'affiner l'analyse des forces et des faiblesses du dispositif et de le faire largement évoluer avant de le généraliser à tous les jeunes de 18 ans comme le président de la République l'a annoncé en mai dernier. C'est un vrai succès ! Depuis le 20 mais près de 641 000 utilisateurs bénéficient d'un crédit de 300 euros sur une cohorte annuelle de 850 000 jeunes de 18 ans. Chaque semaine, nous enregistrons entre 10 000 et 12 000 abonnements supplémentaires. Lors de mes déplacements, notamment pendant le dernier à La Réunion, je rencontre des partenaires qui montrent un véritable engouement pour le pass culture. En ajoutant les personnes inscrites dans le cadre de l'expérimentation, ce sont plus de 800 000 jeunes qui utilisent cette application. Ce succès nous oblige et nous incite à nous mobiliser encore davantage.

Le pass culture tient compte du résultat de l'étude décennale du ministère sur les pratiques culturelles des Français de juillet 2020. En donnant aux jeunes la possibilité de choisir, tout en les diversifiant, leurs pratiques culturelles, il invite les différents acteurs culturels à proposer une offre adaptée et diversifiée répondant aux attentes du jeune public.

La politique culturelle repose depuis 60 ans sur une logique d'offres. Celle-ci a permis l'aménagement culturel du territoire dans une action conjointe du ministère de la culture et des collectivités territoriales. Elle repose aussi sur une politique de la demande qui constitue une révolution dans notre approche et il serait vain d'opposer ces deux logiques.

Cette démarche doit également reposer sur un renforcement de la médiation. C'est tout le sens de l'extension du pass aux jeunes de la 4 e à la terminale. Le décret permettant cette extension a été publié ce dimanche. Dans les classes de 4 e , dans tous les établissements scolaires, les élèves pourront bénéficier d'offres élaborées par les structures culturelles dans le cadre de projets collectifs pilotés par les professeurs. Il y aura également une part individuelle permettant aux jeunes, à partir de 15 ans, de commencer à faire leurs propres choix, dans la logique d'émancipation du pass. Le budget 2022 prévoit près de 200 millions d'euros de crédits pour le pass culture, dont 140 millions d'euros de mesures nouvelles.

La mise en oeuvre de ce projet ne s'est pas faite au détriment d'autres actions. Ces nouveaux crédits bénéficieront à tous les acteurs culturels : cinémas, librairies indépendantes, salles de spectacle vivant, etc. Je rappelle également que le ministère de l'éducation nationale dispose d'un budget de 45 millions d'euros pour financer le volet collectif du pass au collège et au lycée.

C'est un bon exemple de l'excellente coopération entre nos ministères, en faveur de l'EAC et de l'émancipation culturelle. Cette ambition s'articule étroitement avec l'objectif de généralisation de l'EAC engagé depuis 2017. En cinq ans, nous avons presque doublé les crédits qui lui sont consacrés, pour les porter à 100 millions d'euros en 2022 et ainsi poursuivre l'objectif 100 % EAC fixé par le président de la République.

Parallèlement, ce budget témoigne d'un engagement sans précédent pour l'enseignement supérieur de la culture. Ses crédits augmentent de 11 %, soit 26 millions d'euros, pour permettre la rénovation des écoles, l'amélioration de la vie étudiante et l'insertion professionnelle des jeunes diplômés. À ces crédits, s'ajoute l'effort exceptionnel de 70 millions d'euros sur deux ans, engagé dans le cadre de France Relance, pour accélérer la rénovation et la digitalisation de nos écoles.

Nous poursuivrons également nos efforts pour placer les habitants, les territoires et les artistes au coeur de nos politiques culturelles, avec 12,5 millions d'euros de mesures nouvelles consacrés aux politiques territoriales.

Je sais l'attachement de votre commission et du Sénat pour le pilotage et l'affectation des moyens au plus près des territoires. Ce budget en est l'incarnation. En 2022, les crédits déconcentrés dans les directions régionales des affaires culturelles (DRAC) augmenteront de 4 %. Avec 37 millions d'euros de moyens nouveaux depuis 2017, ils auront progressé de 22 %, signe de l'attachement de ce gouvernement à la territorialisation des politiques publiques.

Cet attachement aux territoires passe également par un cadre d'action de l'État renouvelé en matière de soutien aux festivals. C'est un sujet de préoccupation de nombre d'entre vous. Les deux premières éditions des états généraux des festivals ont permis de poser les termes du débat, de partager des analyses, des études et la troisième édition est programmée dans une quinzaine de jours à Toulouse. En 2022, les moyens des festivals augmenteront de 10 millions d'euros. Dix millions d'euros supplémentaires seront consacrés aux institutions, labels, réseaux et aux équipes artistiques en régions, dans le prolongement de l'effort important réalisé en 2021.

Les crédits de la création artistique s'élèveront à 909 millions d'euros avant transferts, soit une hausse de 5,6 %. C'est 100 millions d'euros de plus qu'en 2017.

L'effort porté sur nos territoires est très présent dans le programme Patrimoine qui bénéficiera en 2022 d'un budget de 1,019 milliard d'euros avant transferts. Les moyens consacrés aux monuments historiques, grâce à l'appui de France Relance, seront en hausse de 3,5 % et atteindront 470 millions d'euros. Nous poursuivrons notamment le déploiement du plan cathédrales. Hors relance, le soutien au patrimoine aura progressé de 7 % au cours des cinq dernières années.

Le Fonds incitatif et partenarial (FIP) pour les monuments historiques situés dans les communes à faibles ressources sera doté de 16 millions d'euros, soit une hausse de 6,7 %.

La protection de notre patrimoine a également été consolidée par le recours à des financements innovants, notamment le loto du patrimoine. Depuis sa mise en place, il a financé la restauration de plus de 500 monuments en péril pour 115 millions d'euros, l'État apportant son soutien à ce dispositif à due concurrence des taxes afférentes.

Le budget de la culture traduit un soutien indéfectible aux artistes, aux auteurs et aux créateurs. Tout au long de la crise, nous avons agi en faveur de l'emploi intermittent. L'année blanche a été prolongée jusqu'au 31 décembre et nous y avons associé des dispositifs réglementaires garantissant aux intermittents, à compter du 31 août 2021, un accompagnement pouvant aller jusqu'à 16 mois. Le ministère est déterminé à garantir la sortie de crise du secteur créatif et nous suivons au jour le jour sa situation.

Le ministère a également soutenu l'emploi artistique et culturel avec trois dispositifs dotés chacun de 10 millions d'euros pour faciliter le recrutement d'intermittents et mieux structurer l'emploi. Par ailleurs, les ressources du Fonds national pour l'emploi pérenne dans le spectacle (Fonpeps) seront abondées de 5 millions d'euros.

Tous les outils disponibles ont été mobilisés pour soutenir les auteurs et les créateurs affectés par la crise. Le fonds de solidarité a versé 245 millions d'euros à 45 000 bénéficiaires. Les exonérations de cotisations mises en place en 2020 ont été renouvelées en 2021 et sont prolongées en 2022. Pour compléter ces dispositifs, des aides spécifiques ont été mises en oeuvre à travers le Centre national de la musique (CNM), le CNC, le Centre national du livre (CNL), le Centre national des arts plastiques (CNAP) à hauteur de 35 millions en 2020 et en 2021.

En 2022, nous continuerons à déployer le programme ambitieux en faveur des artistes auteurs que j'ai présenté en mars dernier.

Le président de la République a dévoilé hier soir les 264 projets retenus dans le cadre de l'appel à projet « Monde nouveau ». 179 sont portés par des artistes individuels, 85 par des collectifs. 430 artistes seront donc soutenus, 60 % ont moins de 40 ans. Toutes les disciplines sont représentées, avec une dominante des arts visuels qui représentent 30 % des projets. Cet appel à projets marque une nouvelle manière d'accompagner les artistes dont nous pouvons tous nous réjouir.

La mission Médias, Livre et industries culturelles est également en hausse de 2,4 %. Nous concrétisons notre volonté de renforcer ces filières stratégiques au service de la diversité culturelle. Elles ont été affectées par la crise sanitaire et connaissent de profondes mutations. C'est pourquoi le soutien public au secteur de la presse, du livre, des médias et du cinéma a été massif et constant. Il se poursuivra en 2022.

Sur le secteur de la presse, nous poursuivons le déploiement du plan de filière ambitieux doté de 483 millions d'euros sur 2020-2022, dont 140 millions au titre de France Relance. Les 70 millions prévus pour 2022 dans ce cadre continueront à soutenir la modernisation et la transformation de la filière et à garantir le pluralisme de la presse. C'est un enjeu de démocratie et de cohésion sociale et territoriale.

2022 verra aussi la mise en oeuvre de la réforme du transport postal de la presse, très attendue par tous les acteurs. Elle encouragera la presse dite chaude à se tourner vers le portage et unifiera les tarifs postaux pour l'ensemble des titres. Le projet de budget traduit cette réforme, notamment avec le rapatriement des crédits dédiés à la compensation du transport postal de la presse sur les crédits du programme presse à hauteur de 62,3 millions d'euros.

Un soutien massif a été apporté au livre pendant la crise et il bénéficiera en 2022 d'un appui important à travers le rehaussement de la subvention pour charges de service public de la Bibliothèque nationale de France (BnF) de 2 millions d'euros et des crédits d'intervention du CNL de 7 millions. Ces mesures s'accompagnent du prolongement des dispositifs en faveur des librairies et des bibliothèques prévus par France Relance à hauteur de 23 millions d'euros. La lecture, érigée en grande cause nationale par le président de la République, fera encore l'objet d'un soutien décisif de l'État.

Le secteur de la musique a bénéficié en 2020 de la création du Centre national de la musique. Il a prouvé combien il était essentiel pour la filière en mobilisant 152 millions d'euros de moyens exceptionnels en 2020 et une enveloppe de 200 millions sur deux ans dans le cadre de France Relance. Nous avons décidé d'accroître notre soutien au secteur et nous examinerons, dans le cadre des articles non rattachés de ce projet de loi de finances, un amendement prolongeant l'exonération de taxe sur les spectacles sur le second semestre 2021.

Nous avons aussi beaucoup oeuvré en faveur des filières cinématographiques et audiovisuelles. Les aides mises en place depuis le début de la crise se sont élevées à 436 millions d'euros d'aides sectorielles et à 1,3 milliard d'euros de dispositifs transversaux. Ils ont permis de sauver nos entreprises et d'accompagner les créateurs. Le fonds assurantiel pour les tournages a été prolongé jusqu'à la fin de l'année, un fonds d'urgence sectoriel a été mis en place pour le CNC et une aide de 34 millions d'euros a été débloquée en faveur des distributeurs, des producteurs et des exploitants afin de compenser pour partie des effets de l'instauration du passe sanitaire sur la fréquentation.

Au-delà des aides conjoncturelles, ce quinquennat aura permis de mener une réforme ambitieuse du financement de la création et de la régulation des secteurs : directive SMA, directive droit d'auteur en voie d'achèvement, loi relative à la régulation. L'ensemble de ces réformes permettra de mieux protéger la création française et le droit d'auteur en prévoyant la contribution de l'ensemble des diffuseurs à la création française et en organisant un partage de la valeur plus équitable entre les plateformes, les producteurs et les auteurs. Grâce à cette réforme, les investissements dans le cinéma l'audiovisuel pourraient augmenter de 20 % dès 2022, soit 250 millions d'euros supplémentaires.

Depuis le début du quinquennat, le soutien pérenne aux filières des ICC aura progressé de 9 %, soit 49 millions d'euros. Cet appui s'est accompagné du déploiement du fonds dédié aux investissements dans les entreprises créatives doté de 250 millions d'euros et de 400 millions d'euros débloqués dans le cadre du PIA4. À ces sommes, s'ajoute le volet culture du plan France 2030 visant à produire les contenus culturels de demain, soit 600 millions d'euros : 200 millions pour la réalité virtuelle et la réalité augmentée, 300 millions pour les nouvelles structures de tournage et de production numérique et 100 millions pour la formation.

Enfin, le financement de l'audiovisuel public continuera à respecter la trajectoire exigeante mais réaliste engagée en 2018 et confirmée dans les contrats d'objectifs et de moyens des sociétés de l'audiovisuel public signés au printemps. La baisse de 190 millions d'euros entre 2018 et 2022 représente une diminution des crédits d'environ 5 % sur quatre ans. Les entreprises du secteur ont ainsi contribué à l'effort de maîtrise des dépenses publiques, chacune à la mesure de ses marges de manoeuvre.

Je rappelle que ces trajectoires constituent un engagement ferme du gouvernement, qui a ainsi garanti au secteur une visibilité pluriannuelle sur ses ressources. Ces trajectoires ont été respectées à l'euro près, sans compter le soutien exceptionnel de 73 millions d'euros versé pour l'aider à surmonter les effets de la crise sanitaire. L'impact de cette trajectoire n'a pas affecté l'accomplissement des missions de l'audiovisuel public. Les engagements en faveur de la création ont été préservés, des offres territoriales communes ont été lancées, Culture Box a été créée et France 4 pérennisée.

Par ailleurs, le gouvernement n'a pas renoncé à poursuivre la transformation du secteur. Le développement des coopérations et des synergies entre les sociétés de l'audiovisuel public est au coeur du plan de transformation annoncé par le gouvernement en 2018.

Cette ambition s'est traduite par la conclusion de contrats d'objectifs et de moyens 2020-2022 qui pour la première fois comprennent un volet commun dédié à leurs missions communes ainsi qu'à leur engagement à coopérer encore davantage. La mise en oeuvre de ce volet commun s'est déjà traduite par des réalisations concrètes comme la signature le 22 octobre d'un pacte pour la jeunesse et d'un pacte pour la visibilité des Outre-mer. D'ici la fin de l'année, un pacte pour le soutien et l'exposition de la culture et de la musique sera également signé.

Elle se traduira aussi par le lancement par France Télévisions et Radio France d'une offre numérique de proximité partagée à la fin du premier trimestre 2022 avec la création d'un grand média numérique de la vie locale. Les Français auront ainsi accès à l'actualité autour de chez eux et disposeront d'une multitude de services pour faciliter leur vie quotidienne en termes et d'une grande diversité de programmes (culture, découverte, sport, divertissement, etc.). Ils pourront ainsi se retrouver autour de centres d'intérêt partagés.

Les deux entreprises créeront une structure légère opérationnelle, à la gouvernance paritaire, pour porter cette nouvelle offre éditoriale complétant le rapprochement engagé avec le déploiement de matinales communes à France Bleu et France 3. En trois ans, nous aurons accompli des avancées considérables sur les deux piliers de l'offre de proximité du service public. C'est une étape vers des coopérations encore plus étroites, y compris sur leurs offres linéaires, auxquelles j'ai demandé aux deux entreprises de travailler.

L'enjeu est que le service public soit présent aux côtés des Français, là où aucun autre média ne va. C'est une de ses spécificités. Je réaffirme avec force, face aux attaques et aux mises en cause dont il est l'objet, que le service public remplit des missions essentielles pour nos concitoyens, que les médias privés ne peuvent ou ne veulent assurer.

Il n'y aura pas de changement en 2022 sur la contribution à l'audiovisuel public (CAP) mais la suppression de la taxe d'habitation pose la question de son avenir. Différentes pistes de réformes ont été identifiées mais ce recensement ne permet pas d'arbitrage définitif. Un travail d'analyse approfondi sera conduit par une mission dédiée confiée à l'Inspection générale des affaires culturelles (IGAC) et à l'Inspection générale des finances (IGF) à laquelle les parlementaires seront associés. Je sais les travaux qui ont été menés ici et à l'Assemblée nationale.

Je tiens à souligner que le financement de l'audiovisuel public par le budget général est exclu du champ de la réflexion. La mission devra identifier une ressource pérenne, adaptée à la réalité des usages audiovisuels actuels, qui permette d'assurer un rendement équivalent à la CAP et comptable avec la garantie d'indépendance de l'audiovisuel public et l'exigence de prévisibilité de ses moyens.

J'ai donc l'honneur de défendre le dernier budget de ce quinquennat au cours duquel nous avons fait face à de nombreux défis et nous avons défendu l'avenir et le rayonnement de nos secteurs culturels. Ce budget est doté de moyens inédits et toute mon action vise à consolider le présent tout en préparant l'avenir.

Je me livre maintenant à vos questions.

M. Laurent Lafon , président . - Je donne successivement la parole à Sylvie Robert, pour les crédits de la création et de la transmission des savoirs et de la démocratisation de la culture, et à Else Joseph, qui interviendra au nom de Sabine Drexler, pour les crédits « Patrimoines ».

Mme Sylvie Robert . - Je me réjouis que le budget de la mission culture augmente de manière substantielle.

J'attire néanmoins votre attention sur un point de vigilance. Nous avons tous été stupéfaits de voir que le public ne revenait pas dans les salles, ce qui pose des problèmes économiques aux différents acteurs. Le passe sanitaire est obligatoire dans les lieux culturels et la jauge de 75 % pour les concerts debout s'applique de nouveau dans certains départements. Pourquoi ne pas envisager une jauge à 100 %, avec port du masque obligatoire, pour permettre aux programmateurs de concerts de sortir de l'impasse ? Nous vous invitons à suivre avec la plus grande attention l'évolution du secteur pour, le cas échéant, proroger l'année blanche des intermittents de quelques mois.

Par ailleurs, le secteur des arts visuels est toujours fragilisé, non seulement en termes de crédits par rapport au spectacle vivant mais aussi parce que c'est un secteur peu structuré. Le 1 % artistique est de moins en moins appliqué et les artistes visuels souffrent globalement d'un problème de rémunération. Dans le rapport rédigé avec Sonia de La Provôté, nous préconisons la création d'un observatoire des arts visuels pour disposer de données socio-économiques sur ce secteur très compliqué à appréhender et ainsi mieux le soutenir.

Pour que le pass culture devienne un vrai levier de l'action publique, il pourrait être plus prescriptif. En effet, les jeunes se tournent plus volontiers vers les livres, le cinéma ou la musique que vers le spectacle vivant, les musées et les centres d'art.

Enfin, le budget prévoit 5 millions d'euros de crédits dans le cadre d'un appel à projets pour des initiatives locales. C'est une bonne nouvelle puisque nous sommes favorables à la déconcentration des crédits. J'ai constaté que l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) avait débloqué un million d'euros pour les tiers lieux. Il serait intéressant que votre ministère et celui de la cohésion des territoires travaillent ensemble pour repérer ces lieux à vocation culturelle en lien avec les collectivités.

Mme Else Joseph . - J'interviens au nom de Sabine Drexler, rapporteur pour avis des crédits du programme « Patrimoines ».

Les auditions conduites ces dernières semaines ont souligné l'obstacle du déficit d'ingénierie des collectivités territoriales et des propriétaires privés pour mener à bien leurs projets de restauration du patrimoine. C'est une conséquence directe de la réforme de la maîtrise d'ouvrage de 2005, qui avait pour but de mieux responsabiliser les propriétaires de monuments historiques. Pendant quelque temps, les services du ministère de la culture avaient mis en place une assistance à maîtrise d'ouvrage pour les dans leur nouvelle responsabilité. Or aujourd'hui, seules quelques rares régions proposent encore ce service et les agences départementales spécialisées sont à peine une poignée. C'est une vraie difficulté, dans la mesure où les collectivités territoriales, notamment les plus petites qui concentrent l'essentiel du patrimoine à protéger, ne sont généralement pas formées au rôle de maître d'ouvrage. Serait-il envisageable que les services déconcentrés assurent une mission d'assistance à la maîtrise d'ouvrage ? Il faudrait alors renforcer les effectifs de ces services. Êtes-vous capable de chiffrer le nombre d'équivalents temps plein (ETP) supplémentaires ? Sinon, quelles solutions alternatives proposez-vous pour mieux accompagner les collectivités et les propriétaires privés ?

Ma deuxième question porte sur le fonds incitatif et partenarial. Cet outil est plébiscité, mais il est encore très méconnu des communes rurales auxquelles il est pourtant destiné et les cas dans lesquels il est activé restent relativement opaques. Nous avons le sentiment que vous avez développé un très bon outil, mais que le faible niveau de sa dotation vous oblige à ne pas en faire la publicité, d'où des résultats limités. Pouvez-vous nous confirmer que ce sont aujourd'hui les DRAC qui choisissent seules les projets qui bénéficieront de ce fonds ? Pourquoi ne pas envisager d'en accroître la dotation, avec une partie des crédits de restauration réservés chaque année aux monuments historiques n'appartenant pas à l'État ?

Enfin, lors de nos dernières auditions, les musées nous ont alertés sur un risque accru de sortie d'un certain nombre de trésors nationaux, compte tenu de la forte augmentation des demandes de certificat d'exportation. Peu d'entreprises sont en mesure d'aider l'État, par le biais du mécénat, à acquérir ces chefs-d'oeuvre de notre patrimoine. Ce risque vous paraît-il avéré ? Votre ministère travaille-t-il à des pistes pour le limiter ?

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture . - Si j'ai lancé une enquête sur la fréquentation des lieux culturels, c'est pour suivre finement et à intervalle régulier l'évolution du secteur. En effet, la fréquentation des cinémas est en baisse de 25 % par rapport à 2019, qui était une excellente année grâce au film Joker, mais de seulement 15 % par rapport à 2018. Par ailleurs, après un choc important au moment de l'instauration du passe sanitaire, du 13 au 19 septembre, pour la première fois depuis mi-juillet, la fréquentation était supérieure à celle de la même période de 2019. Cette amélioration a été de courte durée puisque la semaine 38, elle, était inférieure de 8 % à celle de 2019 puis de 26 % la semaine 39. Je considère que nous sommes globalement sur une baisse de 25 %.

Les établissements patrimoniaux nationaux ont enregistré une baisse importante de leur fréquentation par rapport à 2019 avant l'instauration du passe sanitaire. Cette chute oscille entre 56 % pour la semaine 35 et 41 % pour semaine 39. L'écart se résorbe légèrement en semaine 42, avec - 38 %. Les établissements souffrent non pas du passe sanitaire mais de l'absence des touristes étrangers. J'ai visité plusieurs expositions, celle consacrée à Georgia O'Keeffe à Pompidou ou celle consacrée au cinéma au musée d'Orsay, et j'ai bon espoir que la situation évolue.

Pour le spectacle vivant, les opérateurs avaient accueilli mi-octobre 75 000 spectateurs, soit une baisse de 15 % par rapport à 2019. La situation est très hétérogène. La Villette n'a enregistré que 2,4 % de baisse, alors que le remplissage de l'Opéra national de Paris a diminué de 24 %. La situation s'améliore et aujourd'hui les salles de l'Opéra sont pleines.

Les opérateurs sont gênés par un changement de pratiques. Avant la crise, en début de saison, les abonnements et les réservations représentaient 45 % de la jauge. Aujourd'hui, ce chiffre n'est que de 25 %. Ils ont donc moins de visibilité mais il y a plus de fluidité dans les places. Les grands acheteurs captaient une grande partie des places et de nombreux spectateurs n'en trouvaient pas. Nous ne savons pas si ses comportements deviendront pérennes.

Grâce au système d'information billetterie SIBIL, nous disposons de nouvelles informations. En septembre 2021, le nombre de billets vendus était inférieur de 28 % par rapport à 2019 mais en hausse de 36 % par rapport à 2020. Le chiffre d'affaires était en baisse de 85 % par rapport à 2019 et de 53 % par rapport à 2020.

La dégradation de la situation sanitaire a en effet conduit le Gouvernement, dans les départements où le taux d'incidence dépassait 50 cas pour 100 000 habitants, à maintenir les mesures de freinage. 60 départements sont désormais concernés, contre une vingtaine il y a peu, par l'abaissement des jauges à 75 %. Je comprends les difficultés des opérateurs et je m'interroge, avec vous, sur la territorialisation des mesures de sécurité sanitaire.

Je suis favorable à la création d'un observatoire des arts visuels. Nous avons constitué un groupe de travail avec le Conseil national des professions des arts visuels. Il s'intéresse à l'observation et vise à établir les besoins pour le secteur et à mieux mobiliser les différents acteurs : le département des statistiques du ministère, le CNAP ou les pôles régionaux.

Tous les acteurs culturels demandent la sanctuarisation de lignes du pass culture à hauteur de 5 ou de 10 %. Il me paraît difficile d'accéder à leurs demandes, d'autant plus que le pass culture est un outil d'autonomisation. Pourquoi empêcher un jeune de consacrer ses 300 euros à l'achat d'une guitare ? Je suis donc très réservée sur le côté prescriptif du pass culture et il serait, de plus, impossible de satisfaire tous les secteurs.

Je suis très attentivement la situation des intermittents avec ma collègue Élisabeth Borne. Je n'ai pas d'inquiétude en raison de la prolongation de l'année blanche et des mesures d'accompagnement que nous avons mises en place. Nous manquons même d'intermittents dans certains secteurs !

La maîtrise d'ouvrage des travaux sur les monuments a été rendue aux propriétaires. Pour atténuer les conséquences défavorables de cette réforme, le code du patrimoine prévoit que les DRAC peuvent assurer une mission d'assistance à maîtrise d'ouvrage (AMO) à titre gratuit. Certaines DRAC y parviennent, d'autres rencontrent des difficultés compte tenu de leurs effectifs très faibles en ingénieurs des services culturels et en techniciens des bâtiments de France. Les DRAC peuvent également aider les propriétaires privés et les collectivités à assurer leur rôle de maître d'ouvrage en participant par subvention au coût du recrutement d'une AMO privée.

La situation des effectifs des personnels techniques des DRAC est sensible et fait l'objet de mon attention constante. Le recrutement est complexe et les départs à la retraite à venir exigent l'organisation de concours pour assurer les remplacements. Le ministère a également engagé un plan pour résorber la vacance d'emplois et mieux répondre aux besoins sur l'ensemble du territoire. En 2020, sur les 30 ETP obtenus pour accompagner la déconcentration, 7 postes ont été consacrés au renforcement de certaines UDAP. Je souhaite, qu'à côté de l'offre de l'État, les collectivités territoriales développent une offre propre pour la réalisation des études préalables aux travaux.

Il est peut-être excessif d'affirmer que nous ne faisons pas la publicité du FIP car il manquerait de moyens. C'est un outil utile et novateur, intégralement déconcentré. Il associe les régions et permet un soutien renforcé de l'État, jusqu'à 80 %, sous réserve d'une participation financière des régions de 15 %, 5 % en Outre-mer. Toutes les régions métropolitaines, à l'exception de la Normandie, se sont engagées avec l'État et 500 opérations ont été financées. Les communes de moins de 2 000 habitants représentent 65 % des bénéficiaires du FIP. Pour répondre à ce succès, sa dotation est portée de 15 à 16 millions d'euros. Cette augmentation est mesurée pour préserver l'effet de levier des crédits de l'État.

Enfin, nous sommes évidemment très attentifs à la sortie du territoire des trésors nationaux. À ce jour, je n'observe pas de multiplication inquiétante du nombre de demandes de certificats, qui est compris entre 10 000 et 11 000 par an. Ce chiffre a baissé en raison de la crise sanitaire et de la hausse des seuils de valeur. Néanmoins, d'importants trésors nationaux sont actuellement en attente d'acquisition et malgré nos efforts, ils ne pourront pas tous rejoindre les collections publiques. Les montants en jeu sont phénoménaux, un Rembrandt est par exemple estimé entre 175 et 180 millions d'euros. Une seule oeuvre pourrait absorber la capacité d'achat d'un établissement public. Les musées ne ménagent pas leurs efforts pour trouver des mécènes ou organiser des opérations participatives et nous suivons la situation avec la plus grande attention comme nous l'avons fait pour le Baiser de Brancusi.

M. Laurent Lafon , président . - Merci madame la ministre. Je donne la parole à mes collègues pour une nouvelle série de questions en les invitant à être synthétiques.

Mme Céline Boulay-Espéronnier . - Le budget consacré au patrimoine est en augmentation de 200 millions d'euros par rapport à 2021 et les investissements prévus par le plan de relance sont nécessaires voire vitaux. Certains opérateurs risquent de connaître une situation encore plus difficile qu'en 2020. L'ouverture partielle ne leur a pas permis de réaliser des économies comme lors du premier confinement où les activités étaient totalement arrêtées. Le public ne revient que très progressivement du fait d'une jauge stricte et l'absence des touristes étrangers pèse toujours. Les grands musées parisiens, dont le modèle économique repose largement sur l'autofinancement, sont particulièrement concernés par cet arrêt du tourisme international qui représentait, avant la crise, 75 % des visiteurs. La RMN-Grand Palais dépend à 76 % de ses ressources propres et le musée du Louvre à 63 % comme nous l'a indiqué sa nouvelle présidente Mme des Cars.

Des ruptures de trésorerie ont dû être anticipées, par exemple avec le versement pour les travaux du Grand Palais du PIA dès le mois de juillet. Par ailleurs, malgré le soutien de l'État, les pertes du musée du Louvre ne sont qu'à moitié couvertes. Cette situation doit nous amener à réfléchir sur le modèle économique de ces grands établissements.

Je souhaite également évoquer la baisse de fréquentation de l'Opéra de Paris, qui traverse une période difficile et rencontre d'importants problèmes de trésorerie. Il a été contraint de stopper le projet d'aménagement d'une salle modulable. Pouvez-vous faire le point sur la situation de l'établissement à partir du rapport qui vous a été remis par messieurs Tardieu et Hirsch ? Pouvez-vous nous confirmer qu'un accompagnement financier supplémentaire est envisagé dans le cadre du second projet de loi de finances rectificative (PLFR) ?

Enfin, le Grand Palais a renoncé à des transformations dispendieuses pour se concentrer plus raisonnablement et à la demande du gouvernement sur les aménagements indispensables. Pouvez-vous préciser l'état d'avancement des travaux et l'utilisation du budget attribué, qui reste stable malgré la transformation du projet initial ?

Mme Sonia de La Provôté . - Pour le patrimoine, vous avez répondu sur le FIP et sur l'AMO. Sur l'Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap), malgré l'augmentation de son budget, nous nous attendons à un embouteillage des demandes. Comment allez-vous suivre les compétences en matière d'études archéologiques sur le terrain ? Les référents ruralité, annoncés au sein des DRAC par l'Agenda rural pour accompagner les questions patrimoniales, ont-ils été mis en place ?

Les conseils locaux des territoires pour la culture (CLTC) peinent à s'installer dans certaines régions. Comment envisagez-vous d'accompagner les politiques publiques dans les territoires et la mise en place de ces CLTC ? Pourquoi ne pas prévoir une part de co-construction entre les DRAC et les collectivités locales et de co-finacement des politiques culturelles ? En effet, entre les labels et les appels à projets, il ne reste qu'une portion congrue pour les initiatives locales.

Enfin, le nombre d'étudiants dans les écoles d'architecture stagne, alors qu'elles forment à des métiers d'avenir sur lesquels repose une partie des enjeux environnementaux.

M. Pierre Ouzoulias . - Je partage l'interrogation de Céline Boulay-Espéronnier sur la pérennité du modèle économique des grands opérateurs. La politique de mécénat est soumise à des contraintes très difficiles à gérer pour les établissements. Il n'est par exemple pas aisé de faire financer une nouvelle salle sur les arts byzantins par l'Azerbaïdjan qui exposera du mobilier arménien.

La crise du Covid a révélé une fragilité sous-jacente. Par ailleurs, une partie du mécénat se dirige vers des structures privées, au détriment des établissements publics. Je crains que les soutiens exceptionnels de l'État deviennent pérennes et votre ministère soit contraint de négocier avec Bercy, qui vous demandera la fin de ces dispositifs exceptionnels qui sont structurellement indispensables pour ces grands opérateurs.

Dans ce contexte, je m'interroge sur l'opportunité de transformer le mobilier national en établissement public, ce qui le soumettra lui aussi à des contraintes de recherche de ressources propres.

Enfin, j'ai assisté la semaine dernière au Collège de France à un hommage rendu à Jack Ralite. Grâce à son initiative, pendant des années, des professeurs au Collège de France sont allés à Aubervilliers pour présenter leurs recherches. C'est un magnifique exemple d'intermédiation culturelle qui va vers ceux qui n'ont pas l'habitude de fréquenter ce niveau de savoir. Je considère que le pass culture est à l'inverse de cette démarche et je ne suis pas certain que nous puissions trouver la même révélation dans une forme de consommation culturelle sans intermédiation.

M. Julien Bargeton . - Je me félicite de ce budget historique qui dépasse pour la première fois 4 milliards d'euros. Les crédits de la mission Culture ont progressé de 500 millions d'euros en cinq ans et de 8 % en 2022.

Sur la mission Livre, Médias et industries culturelles, la progression est de près de 12 % et le plan de relance apporte 600 millions d'euros supplémentaires.

Je vous félicite pour cet effort, pour le Fonpeps et l'emploi dans le secteur de la culture et pour votre engagement dans le secteur culturel.

Le Centre national de la musique (CNM) devrait retrouver en 2023 un étiage normal et il a besoin de ressources pérennes, notamment à la suite de la décision de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) sur les droits à répartir. Quelles sont les pistes pour le financer à long terme ?

La conservation de la presse de la III e République est un projet porté par la Bibliothèque nationale de France (BnF) qui présente un intérêt patrimonial et historique majeur. Pouvez-vous nous rassurer sur ce projet ?

Enfin, le jeu vidéo est un domaine très concurrentiel de l'excellence française. Le crédit d'impôts dont il bénéficie est parfois attaqué alors qu'il semble efficace. Pouvez-vous nous communiquer des éléments objectifs sur son efficacité, notamment en termes de création d'emplois ? En effet, le secteur du jeu vidéo a un lien très fort avec l'innovation et nous devons le défendre et l'encourager.

Mme Marie-Pierre Monier . - La mission de service public de l'Inrap est revalorisée de 2 %, aux dépens des subventions destinées aux services d'archéologie départementaux agréés et grâce au transfert des moyens du département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines (DRASSM) en provenance du programme 361 de la mission culture. Or, l'archéologie préventive a été perturbée par la crise sanitaire et a besoin de moyens.

Dans le cadre des crédits restant du plan de relance, la ligne de 10 millions d'euros destinée à aider les collectivités territoriales peut-elle être sollicitée pour aider les communautés de communes à financer des travaux de fouilles et d'archéologie préventive ?

Par ailleurs, les crédits alloués aux sites patrimoniaux remarquables stagnent depuis 2018. Pourquoi cette enveloppe n'a-t-elle pas évolué ?

Enfin, le bleu budgétaire du programme 131 prévoit la transition du mobilier national d'un service à compétence nationale vers un statut d'établissement public à caractère administratif. Comment les partenaires sociaux appréhendent cette évolution et quel est pour vous l'intérêt de ce changement ?

Je vous remercie également pour l'entrevue que nous avons eue sur le patrimoine culturel immatériel. Avez-vous retenu quelques-unes de nos propositions ?

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture . - La compensation des pertes de recettes des opérateurs sera examinée dans le cadre de la LFR qui sera examinée d'ici la fin de l'année. Ces pertes s'élèvent à 969 millions d'euros.

Pour les établissements du programme 175, nous allons mobiliser 169 millions d'euros répartis de la manière suivante :

- le CMN 30 millions d'euros ;

- la Villette 24 millions d'euros ;

- le Louvre 53 millions d'euros ;

- le musée d'Orsay 18 millions d'euros ;

- le Grand Palais 12 millions d'euros ;

- le musée Rodin 5 millions d'euros ;

Sur le programme 361, Universcience bénéficiera de 23 millions d'euros.

Pour le programme 131, la Philharmonie recevra 8 millions d'euros, l'Opéra de Paris 25 millions, la Comédie française près de 6 millions, Pompidou 1 million, le Palais de Tokyo 709 000 euros, le musée de Sèvres 320 000 euros et l'Odéon un million d'euros.

Nous verserons donc aux opérateurs un total de 234 millions d'euros.

La salle modulable de l'Opéra de Paris n'a pas été abandonnée sous l'effet de la crise mais après évaluation des besoins structurels de l'établissement. J'ai en effet demandé un rapport de travail à Georges-François Hirsch et à Christophe Tardieu et j'ai engagé des échanges avec la direction et le conseil d'administration de l'Opéra de Paris pour construire une nouvelle feuille de route.

À l'issue de ces échanges, j'ai demandé à Alexander Neef d'engager, en étroite collaboration avec les représentants du personnel, la réforme du modèle artistique, économique et social de l'Opéra de Paris. Le projet stratégique s'articule autour des priorités suivantes : faire évoluer les méthodes de programmation artistique et la planification pour mieux maîtriser en exécution les coûts de production et la masse salariale variable ; redéfinir l'organisation des services et des règles de fonctionnement pour réduire les charges fixes ; retrouver progressivement les recettes perçues avant la crise sanitaire ; revenir en 2024 à un budget équilibré. En contrepartie de ces efforts, l'État maintient son important soutien et les crédits initialement dédiés au projet de salle modulable seront utilisés pour la transformation de l'établissement. Enfin, ses moyens seront consolidés avec la hausse de 0,9 million d'euros de la subvention de fonctionnement et de 3,5 millions d'euros de la subvention d'investissement. Le projet global sera validé par les tutelles dans les prochaines semaines.

Pour le Grand Palais, l'enveloppe budgétaire de 470 millions d'euros est strictement respectée. Il est totalement fermé depuis le 12 mars et le Grand Palais éphémère a été inauguré le 9 juin. Il remplit parfaitement ses fonctions et les travaux se déroulent selon le coût d'objectif et le calendrier prévus.

Dans le cadre du plan de relance, les crédits de l'Inrap ont été abondés de 20 millions d'euros au titre des missions non concurrentielles. Cet établissement contribue parfaitement à la relance économique et à l'aménagement du territoire. Il fait face à une augmentation de 20 % de l'activité de diagnostic. La trajectoire de redressement est confirmée par la hausse du chiffre d'affaires, les charges sont maîtrisées et son éligibilité au crédit impôts recherche est confirmée. Plusieurs réformes de fond sont menées, comme la mise en oeuvre d'une comptabilité analytique, la réduction des implantations ou le redressement des prix de vente. En 2022, la subvention progressera de 1,5 million d'euros au titre de la réforme indemnitaire des agents contractuels sur le secteur non concurrentiel.

Pour les écoles d'architecture, l'effort budgétaire 2022 est sans précédent, avec 8,2 millions d'euros sur le programme 361. Par ailleurs, dix emplois supplémentaires seront dégagés en gestion pour poursuivre le renforcement des effectifs. Les écoles nationales supérieures d'architecture (ENSA) bénéficient de 60 millions d'euros dans le cadre du plan de relance. Elles doivent se mettre en ordre de marche pour la bonne mise en oeuvre de la réforme de 2018 et occuper une place centrale dans la définition et la diffusion des solutions pour la transition écologique et sociale des bâtiments. J'ai remis hier l'écharpe de commandeur des Arts et Lettres à Mme Lacaton et à M. Vassal qui ont obtenu le prix Pritzker et qui sont les chantres de cette nouvelle façon de considérer l'architecture.

Le Mobilier national est une institution de référence pour les métiers d'art et de design. Ses ateliers perpétuent un savoir-faire d'excellence. La transformation de ce service à compétence nationale en établissement public à caractère administratif est en cours. Un rapport de la Cour des comptes et le rapport parlementaire « France métiers d'excellence » ont montré la nécessité de faire évoluer son statut pour valoriser son utilité sociale en libérant les leviers de modernisation. Un effort supplémentaire de 4,5 millions d'euros et de 10 ETP est porté au PLF 2022 afin d'accompagner cette transformation et porter une nouvelle ambition pour le rayonnement des savoir-faire français et engager le schéma directeur de cet établissement.

Cette réforme est nécessaire. Les organisations syndicales craignaient qu'elle se déroule à budget et à emplois constants, ce n'est pas le cas !

Un arrêt de la CJUE a reporté durablement la contribution des organismes de gestion collective au financement du CNM. Nous devons explorer d'autres solutions pour créer une plus grande symétrie entre les acteurs du spectacle et ceux de la musique enregistrée. L'une d'entre elles serait la taxation des ventes de musique, notamment par abonnement. Elle l'aurait l'avantage de permettre, comme pour le spectacle, la taxation de la filière par et pour elle-même. Il est un peu tôt pour que le ministère se positionne sur ce dossier, que je suis avec la plus grande attention.

À travers la collection des journaux de la III e République, vous posez le problème de la numérisation des collections de presse de la BnF qui sont les plus vastes et les plus anciennes du monde avec 270 000 titres de presse. Une grande partie des collections est menacée de disparition et la numérisation est la seule solution. Pour accélérer ce chantier, la BnF a besoin de 80 millions d'euros sur six ans. La numérisation des contenus culturels fait partie des dispositifs financés par le PIA4. La BnF pourra donc candidater en 2022 à un financement à ce titre, sous réserve qu'elle en remplisse les critères.

Le fonds d'aide aux jeux vidéo dispose d'un budget limité de 4 millions d'euros et la dépense fiscale du crédit d'impôts jeux vidéo a atteint en 2020 63 millions d'euros. Pour approfondir la connaissance statistique du secteur, les ministères de la culture et de l'économie ont publié cette année une étude sur le tissu économique et la compétitivité de la filière. L'industrie française du jeu vidéo s'est considérablement renforcée avec 1 000 entreprises actives sur l'ensemble du territoire qui emploient 12 000 personnes. La France se distingue par la qualité de ses formations, la créativité de ses studios mais le secteur fait face à deux défis majeurs. La consommation culturelle s'inscrit de plus dans un environnement tout numérique. Il bénéficie de la confiance d'investisseurs extra-européens et connaît une très forte accélération du mouvement de consolidation industrielle, ce qui pose la question de l'indépendance du modèle français. Enfin, le jeu vidéo sera au coeur du plan France 2030.

M. Laurent Lafon , président . - Je donne la parole à Jean-Raymond Hugonet pour les crédits de l'audiovisuel, puis à Michel Laugier pour la presse et enfin à Jérémy Bacchi pour le cinéma.

M. Jean-Raymond Hugonet . - Il y a maintenant six ans, en 2015, notre commission avait proposé une réforme « clé en main » de l'audiovisuel public, portant à la fois sur la gouvernance avec la création d'une holding et sur son financement avec la création d'une taxe universelle « à l'allemande ».

Au terme de ce quinquennat, nous sommes au regret de constater que rien n'a avancé. La réforme de la gouvernance a été abandonnée en mars 2020 et celle du financement a été chaque année reportée, suscitant aujourd'hui une inquiétude réelle et grandissante chez les différents acteurs.

Alors que les médias privés se regroupent pour essayer de résister à la concurrence des plateformes, comment expliquez-vous cette absence d'ambition du gouvernement pour le service public de l'audiovisuel tout au long du quinquennat ?

Concernant la réforme de la CAP, vous avez demandé que le rapport des inspections générales soit rendu en mai 2022. Compte tenu des échéances électorales et des contraintes inhérentes à la préparation du budget 2023, pensez-vous qu'il sera techniquement possible pour le prochain gouvernement d'inscrire cette réforme dans le PLF 2023 ou faudra-t-il envisager une solution de transition consistant, par exemple, à maintenir en 2023 la CAP en l'état avec un rôle fiscal propre ?

Ma seconde question porte sur la chaîne jeunesse de France Télévisions, France 4. Alors que le contrat d'objectifs et de moyens de France Télévisions adopté en début d'année prévoyait encore sa suppression, elle a été finalement maintenue au lendemain de l'adoption, par notre commission, d'un amendement prévoyant de l'inscrire dans la loi.

Pour autant, le budget de France Télévisions ne comporte aucune rallonge pour financer cette chaîne dont le coût est estimé entre 20 et 40 millions d'euros. Confirmez-vous, dans ces conditions, que le budget de France Télévisions pourrait être en déficit en 2022, du fait de cette charge nouvelle non compensée ?

Enfin, vous avez annoncé la création d'une offre numérique commune à France 3 et à France Bleu avec une structure partagée. Pouvez-vous préciser le cadre juridique de cette coopération ? S'agira-t-il d'un groupement d'intérêt public ? Quel sera son périmètre ? Cette structure comprendra-t-elle l'ensemble des moyens humains de France Bleu et des antennes régionales de France 3 ou seulement une équipe restreinte, dédiée à cette nouvelle offre numérique ?

M. Michel Laugier . - La mauvaise volonté de Google à jouer le jeu de la négociation sur les droits voisins est dorénavant établie par une décision d'une sévérité inédite de l'Autorité de la concurrence en date du 23 juillet dernier. Or les échos que nous en avons semblent montrer que l'incitation à une négociation de bonne foi n'est pas suivie d'effet. Google a-t-il réglé les 500 millions d'amende ? Les astreintes ont-elles commencé à tomber ou bien sommes-nous dans un jeu qui, manifestement, ne mène nulle part ?

Comme d'autres secteurs, la presse subit une forte hausse du prix des matières premières. Le papier a augmenté de 25 % à 30 %, quand il est disponible, et les emballages de 50 %. Je constate que les incitations mises en place avec l'éco-contribution ne sont pas suffisantes puisque tout semble finir en carton. Madame la ministre, quelle solution pourrions-nous proposer à ce secteur déjà fragile avant la crise et désormais aux abois ?

M. Jérémy Bacchi . - Le secteur du cinéma a plutôt bien résisté à la crise grâce au soutien massif de l'État. Cependant, le secteur manque de techniciens et de scénaristes pour la relance de la production. Vous avez évoqué un chiffre de 600 millions d'euros, dont 100 millions dédiés à la formation. Pouvez-vous préciser l'affectation de ces crédits ?

Par ailleurs, le CNC va ouvrir ses aides aux nouveaux diffuseurs. Ce soutien représentera environ 30 millions d'euros chaque année. Si le CNC a mis en place un fonds sélectif de 5 millions d'euros, il subsiste un écart de 25 millions d'euros qui n'est pas compensé. Comment cet écart sera-t-il compensé dans les années à venir ?

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture . - L'analyse des travaux réalisés sur la CAP constitue un élément de perplexité. L'énumération de mon propos liminaire n'était pas hiérarchisée et les propositions de réforme doivent être jugées à l'aune d'une grande impopularité et d'un défaut d'acceptation de l'opinion publique.

La holding avait pour objectif d'améliorer les coopérations entre les sociétés de l'audiovisuel public mais je pense que ces coopérations peuvent être mises en oeuvre sans structure chapeau, qui aurait été source de conflit et de dépenses supplémentaires (président, directeur, secrétaires, frais de fonctionnement, etc.). Par ailleurs, elle était rejetée par l'ensemble des personnels des différents établissements.

Le rapprochement entre France 3 et France Bleu est essentiel. Il s'est concrétisé avec la mise en place de matinales communes depuis janvier 2019. Leur généralisation est prévue à l'horizon 2023. Les contrats d'objectifs et de moyens de France Télévisions et de Radio France engagent les deux sociétés à amplifier la coopération de leurs réseaux régionaux qui se concrétise par l'offre numérique de proximité. Il y aura donc un grand média numérique de la vie locale au plus tard à la fin du premier trimestre 2022. Sur proposition des deux entreprises, le gouvernement leur a demandé de porter et de piloter cette offre de manière paritaire, à travers une structure légère et opérationnelle, qui prendra la forme d'un groupement d'intérêts économiques (GIE). Ce GIE sera chargé de piloter l'offre éditoriale, de définir la marque et de porter la plateforme technologique.

Radio France et France Télévisions, au cours d'une réunion de travail avec le Premier ministre, nous ont fait part de leur intention de multiplier les initiatives communes de terrain, notamment dans le cadre de la couverture des échéances électorales. Par ailleurs, je les ai invitées à engager une réflexion sur l'approfondissement de leur coopération avec un objectif d'accroissement de l'offre de proximité en télévision et en radio, d'amélioration de son exposition et d'accroissement du maillage territorial des deux réseaux. Le résultat de cette réflexion a vocation à être inscrit dans la prochaine génération des contrats d'objectifs et de moyens.

La mission commune de l'IGAC et de l'IGF devra tenir compte de ces objectifs et identifier une ressource permettant d'accompagner l'enrichissement de cette offre de proximité.

Pour l'amende infligée à Google par l'Autorité de la concurrence (ADLC), le recouvrement des sanctions pécuniaire est du ressort de la direction générale des Finances publiques (DGFiP). À notre connaissance, le titre de perception a été émis. Je précise également que le produit des amendes dressées pour sanctionner le non-respect des injonctions prononcées par l'ADLC alimente le budget général de l'État. Il ne peut être affecté à la réparation du préjudice subi par l'une des parties.

La hausse des prix du papier et ses conséquences pour la presse ne sont pas directement de mon ressort mais de celui du ministre de l'Industrie. Vous en connaissez les raisons structurelles, restructuration de la filière papetière, fortes tensions sur le marché du papier recyclé, mais aussi des raisons conjoncturelles, forte reprise de l'activité économique mondiale, hausse globale du prix des matières premières, de l'énergie.

Le plan France 2030 prévoit 300 millions d'euros pour doter notre pays d'infrastructures de production de niveau international. De nombreux professionnels ont été interrogés et ils nous ont indiqué qu'ils avaient besoin de nombreux besoins de studios adaptés aux techniques nouvelles de production audiovisuelle. L'objectif est de faire émerger quelques grandes infrastructures dans des territoires stratégiques. Le président de la République a fait une première annonce pour le site de Marseille, qui dispose déjà d'un écosystème de studios qu'il faut adapter. Nous pensons aussi à la région parisienne et à Lille.

Un volet de 100 millions d'euros est consacré à la formation. Sur les 20 meilleures écoles du monde, 4 sont françaises, dont l'école des Gobelins, la Femis ou l'école Louis Lumière.

Notre ambition est de pallier la pénurie d'auteurs, de techniciens, de cadres de production, d'ingénieurs, de webdesigners, de codeurs ou de logisticiens. Nous voulons aussi développer des formations plus courtes, centrées sur l'apprentissage. J'ai passé une matinée à la Ciné Fabrique de Lyon, 50 % des étudiants sont boursiers et certains entrent sans le bac. Nous devons pousser la démocratisation de ces métiers.

Enfin, 200 millions d'euros sont destinés aux technologies de réalité virtuelle et augmentée. La production directe de contenus audiovisuels en bénéficiera. J'ai vu à Chaillot le spectacle de Blanca Li en réalité virtuelle, c'est impressionnant. Il y a là une source extraordinaire de création et de divertissement. Ces technologies peuvent profiter à l'ensemble du secteur culturel, avec la visite de musées, de sites patrimoniaux ou de sites naturels exceptionnels.

Pour le spectacle vivant en streaming, il faut imaginer d'autres produits et ne pas se contenter de planter deux caméras sur une scène. Il existe une collaboration très intéressante entre le Châtelet et la troupe (la)horde de Marseille et la mode peut également bénéficier de ces nouvelles technologies.

Enfin, les grandes plateformes participeront à la création française à hauteur de 20 à 25 % de leur chiffre d'affaires grâce à la publication du décret sur les services de médias audiovisuels à la demande (SMAD). C'est une première étape historique et la contrepartie de ces obligations nouvelles est l'accès à des aides du CNC. Les services du CNC ont travaillé à l'ouverture progressive des soutiens, en concertation avec les producteurs audiovisuels et les plateformes. Le conseil d'administration du CNC a voté vendredi dernier la création d'un fonds de soutien sélectif pour les producteurs qui travaillent avec les plateformes. Cette avancée est conditionnée à l'acception du décret SMAD dans toutes ses composantes.

Mme Laure Darcos . - Sur le spectacle vivant, les jauges sont revenues à 75 %. La crise sanitaire a amplifié la règle selon laquelle les producteurs doivent rembourser les places des spectacles annulés ce qui a considérablement fragilisé le secteur, étranglé par le remboursement de la billetterie. Quelles seraient les pistes pour améliorer la situation ?

Vous n'avez pas abordé les problèmes de harcèlement rencontrés dans certaines écoles d'architecture.

Enfin, dans le cadre de la recherche, j'ai réalisé un focus sur la culture scientifique. J'ai constaté qu'à Universcience ou au Muséum d'histoire naturelle, les particuliers reviennent mais pas les groupes scolaires. Je vous demande de nous appuyer auprès du ministère de l'éducation nationale pour que les groupes scolaires retournent dans les musées et dans les salles de spectacle. Nous n'amènerons pas nos jeunes à aimer la science si nous ne les envoyons pas à Universcience.

M. David Assouline . - En 2018, les ressources de l'audiovisuel public ont diminué de 39 millions d'euros, de 35 millions en 2019, de 70 millions en 2020 et en 2021 et le budget 2022 prévoit une nouvelle diminution de 18 millions. Sur le quinquennat, la dotation à l'audiovisuel aura baissé de 240 millions d'euros.

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture . - La baisse est de 5 %.

M. David Assouline . - Les ministres successifs ont tous assuré que l'audiovisuel public était absolument nécessaire pour la démocratie, l'information, pour les investissements dans la création. Or, je constate que ces baisses vont à l'encontre de ces déclarations. Pendant plusieurs années, l'État nous a expliqué que l'offre publique était pléthorique et que France 4 pouvait être supprimée. Aujourd'hui France 4 est maintenue, avec une offre un peu différente, mais sans accompagnement budgétaire. Soit cette chaîne ne coûtait pas très cher, soit il manque 30 millions dans le budget pour la financer. Comment justifiez-vous le maintien de France 4 tout en diminuant le budget de France Télévisions ?

Sur la redevance, je suis très inquiet. Je pense que le ministère de la culture sous-estime l'action de Bercy, qui semble freiner toute réforme. Or, en l'absence de réforme, la suppression de la taxe d'habitation va plonger l'audiovisuel dans un gouffre puisqu'il n'y aura plus de recettes. Dans ces conditions, la proposition de certains candidats à l'élection présidentielle de privatiser l'audiovisuel public prendra corps. Si aucune décision n'est prise, l'audiovisuel public sera fragilisé. Ce n'est pas une accusation, c'est un avertissement. Je prends date et malheureusement la réalité ne m'a jamais donné tort sur ce type de prévision.

J'aimerais en savoir plus sur la mission que vous avez confiée à l'IGAC et à l'IGF. À quel moment ses travaux débuteront-ils ? Qui la compose ? Quand les parlementaires seront-ils sollicités ?

Plusieurs ministères ont nommé une mission pour travailler sur la question des concentrations. J'ai le sentiment que nos réflexions ne vont pas dans le même sens et nous allons créer une commission d'enquête. Nous pouvons considérer que les hyperconcentrations présentent un danger et qu'il faut les évaluer ou estimer que la réglementation est caduque car il est nécessaire de permettre plus de concentrations, pour que les acteurs soient mieux positionnés par rapport aux plateformes. Certains pensent que c'est la meilleure manière de répondre aux géants. Comme nous ne disposerons jamais de géants à la hauteur d'Amazon, je suis convaincu que nous devons mettre en avant d'autres atouts, comme la pluralité et la diversité de l'offre.

Quel est l'objectif du gouvernement ? Adapter la législation pour permettre plus de concentrations ou conserver la loi de 1986 ?

Mme Monique de Marco . - Je vous remercie, madame la ministre, pour cette annonce sur l'offre numérique locale. Sera-t-elle gérée au niveau local ? En effet, je me souviens de la suppression de certaines stations locales de FIP qui assuraient une information de proximité.

Par ailleurs, quel sera le budget consacré à cette nouvelle offre ? Bénéficiera-t-elle de nouveaux moyens ou d'une nouvelle répartition de moyens déjà alloués ? Les syndicats de France Télévisions nous ont en effet alertés sur un manque de moyens financiers et humains.

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture . - Je considère que le service public de l'audiovisuel bénéficie de moyens puissants. La trajectoire de diminution a été modérée, 5 % sur ensemble du quinquennat et elle a tenu compte de la capacité de réorganisation et de réforme de ce secteur. Il a également bénéficié de 73 millions d'euros pour compenser les effets de la crise sanitaire.

Grâce à une réorganisation modérée, il remplit l'intégralité de ses missions, taille des croupières à l'audiovisuel privé et a conservé la même capacité de création.

La mission conjointe de l'IGAC et de l'IGF sur la CAP a été lancée fin octobre. Nous les réunirons prochainement pour examiner la manière dont elles vont s'emparer de ce sujet et associer les parlementaires à leurs travaux.

Sur la concentration des médias, nous pouvons effectivement nous interroger sur l'efficacité des textes dont nous disposons. La loi du 30 septembre 1986 ne traite que de la diffusion hertzienne et de la presse papier et ne concerne que les concentrations horizontales, comme celle de TF1 et de M6, mais pas les concentrations verticales entre la production, la distribution et la diffusion. Nous devons réfléchir à de nouveaux textes, sur un terrain vierge, ce qui demande un très gros travail.

J'ai rappelé à l'Assemblée nationale le calendrier de l'étude du projet de rapprochement entre TF1 et M6, qui aboutira ou non fin 2022. Les instances représentatives du personnel ont voté à l'unanimité pour cette fusion. Le conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) mène des auditions et rendra son avis dans le courant du premier semestre 2022. Enfin, l'Autorité de la concurrence, qui étudie l'impact de cette fusion sur le marché publicitaire, se prononcera à l'été 2022. Si elle est créée, la nouvelle entité devra vendre trois de ses dix chaînes et je serai très attentive au respect des différentes échéances.

La gestion de l'offre numérique locale sera de la responsabilité de France Télévisions et de Radio France.

Des mécanismes permettent de transformer les remboursements de billetterie en avoirs sur des spectacles à venir.

Sur les ENSA, les questions de harcèlement font l'objet d'une action spécifique du ministère. Nous avons lancé une mission de l'IGAC et de l'inspection de l'enseignement supérieur pour évaluer les techniques de charrette, extrêmement violentes pour les étudiants.

Enfin, vous avez raison, les Français manquent singulièrement de culture scientifique. Les grands établissements comme Universcience sont bien adaptés pour répondre à cet enjeu et je suis favorable à ce que les écoles retournent dans les établissements culturels. Pour autant, vous avez souligné l'effet contre-productif de certaines déclarations ministérielles que je me garderais bien de prononcer.

M. Laurent Lafon , président . - Je vous remercie pour vos réponses.


* 1 Les achats de matériels dédiés (télévision, consoles, etc..) ne sont pas pris en compte.

* 2 Le cinéma fait l'objet d'un rapport pour avis distinct de Jérémy Bacchi.

* 3 Voir le rapport de Céline Boulay-Espéronnier : http://www.senat.fr/rap/l20-662/l20-662.html

* 4 Ce sujet est traité dans le rapport de Sonia de La Provôté et Sylvie Robert rendu public le 3 novembre 2021 : http://www.senat.fr/notice-rapport/2021/r21-126-notice.html

* 5 En comptabilisant l'achat de matériels dédiés (consoles et accessoires).

Page mise à jour le

Partager cette page