EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa réunion du mercredi 3 novembre 2021, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous la présidence de M. Philippe Paul, vice-président, a procédé à l'examen des crédits des programmes 844 - France Médias Monde - et 847 - TV5 Monde - de la mission « Audiovisuel extérieur ».

M. Philippe Paul, président . - Nous reprenons nos travaux avec l'examen du rapport pour avis de Joëlle Garriaud-Maylam sur les programmes 844 « France Médias Monde » et 847 « TV5 Monde » de la mission « Avances à l'audiovisuel public ».

Mme Joëlle Garriaud-Maylam, rapporteur pour avis . - Jean-Noël Guérini ne pouvant être parmi nous aujourd'hui, je présenterai également son intervention.

Nous allons évoquer successivement la situation de chaque opérateur de l'audiovisuel public extérieur, mais vous verrez des similitudes, notamment en ce qui concerne la question du financement public.

Je commencerai, en ce qui me concerne, avec notre opérateur national France Médias Monde, qui, rappelons-le, regroupe trois médias : la chaîne de télévision France 24, Radio France internationale (RFI) et la radio Monte Carlo Doualiya (MCD).

Pour France Médias Monde, l'année 2021 a été marquée par l'adoption d'un nouveau contrat d'objectifs et de moyens (COM). Destiné à tenir compte de la révision de la trajectoire budgétaire de l'opérateur décidée en juillet 2018, ce COM, censé être en vigueur depuis le début de l'année 2020, a été examiné et adopté avec beaucoup de retard, ce que notre commission a déploré dans son avis de janvier dernier. Ce nouveau COM étant d'une durée plus courte que les précédents, 2022 sera déjà sa dernière année d'application. Nous ne pouvons donc que souhaiter une meilleure maîtrise du calendrier d'élaboration et d'examen du prochain COM, même si nous sommes bien conscients que cela dépend aussi de clarifications de l'État concernant l'avenir des contributions publiques. Nous y reviendrons.

Il faut souligner que, malgré ce retard de la procédure, l'opérateur s'attache à mettre en oeuvre les cinq grands axes stratégiques du COM depuis 2020.

L'objectif 1 « Proposer une offre d'information de référence » est consacré par la reconnaissance du public, France 24 et RFI étant classés dans le top 10 du classement NewsGuard des sites francophones les plus fiables. La notoriété des outils mis à disposition par France Médias Monde pour lutter contre les fausses informations, regroupés depuis 2019 dans un onglet « Stop l'infox » accessible sur les différents sites du groupe, continue à se développer. Enfin, le groupe France Médias Monde poursuit sa mission de promotion des valeurs démocratiques et humanistes dans les zones où celles-ci se trouvent menacées. À titre d'exemple, ses médias se sont particulièrement mobilisés pour couvrir les événements en Afghanistan l'été dernier.

En ce qui concerne l'objectif 2 « Promouvoir le plurilinguisme et la francophonie », il faut souligner la montée en puissance du projet Afri'Kibaaru de développement des langues africaines, grâce à un financement de l'Agence française de développement (AFD) ; le passage, en septembre dernier, de France 24 en espagnol à 24 heures de diffusion quotidienne, sans surcoût ; le développement de synergies dans le cadre de grilles de programme rénovées entre France 24 en arabe et MCD. La promotion de la langue française reste cependant au coeur des missions du groupe à travers les antennes de France 24 et RFI en français et la mise à disposition d'outils d'apprentissage, comme le site RFI Savoirs.

L'innovation numérique, qui constitue l'objectif 3, a progressé à travers le lancement, au printemps 2021, d'ENTR, offre 100 % numérique développée en partenariat avec la Deutsche Welle et destinée aux jeunes Européens. Avec 13 millions de vidéos visionnées depuis son lancement, on peut déjà parler d'un succès.

S'agissant de l'objectif 4 « Assurer une présence mondiale tout en développant une stratégie régionalisée », on notera la poursuite de l'augmentation du nombre de foyers raccordés à la chaîne France 24, les 444 millions de foyers étant désormais atteints, et de la pénétration de la radio.

Par ailleurs, le groupe continue d'améliorer sa gestion interne, en renforçant les moyens alloués à son service d'achat pour la passation des marchés, en améliorant le fonctionnement de son système d'information des ressources humaines (SIRH) et le suivi de l'absentéisme.

Au-delà des avancées dans la mise en oeuvre du COM, il faut saluer les bons résultats du groupe, qui bat des records d'audience. En 2020, ce sont près de 2,5 milliards de contenus, c'est-à-dire de vidéos et de sons, qui ont été consultés, en hausse de 56 % par rapport à 2019. Si ces bons résultats en 2020 ont été favorisés par la pandémie, la progression se poursuit en 2021, preuve de la confiance de l'opinion envers les médias du groupe.

J'en viens maintenant au volet financier. Sans surprise et conformément à la trajectoire définie en 2018, qui prévoit une baisse de sa dotation de 3,5 millions d'euros sur la période 2018-2022, le projet de loi de finances pour 2022 prévoit une dotation de 254,2 millions d'euros pour France Médias Monde, en baisse de 0,5 million d'euros par rapport à 2021. Cette dotation représente la principale source de financement de l'opérateur, qui comprend aussi une petite part de ressources propres, telles que les recettes publicitaires et de distribution, ainsi que des subventions de l'AFD et des bailleurs internationaux. Après une forte baisse en 2020, à 9,3 millions d'euros, une hausse des ressources propres est attendue en 2021 et 2022, à 13,3 et 13,7 millions d'euros, avec la reprise du marché publicitaire et l'augmentation du financement des bailleurs.

Pour contenir les charges, un rigoureux plan d'économies a été mis en oeuvre dès 2018, comprenant notamment des réductions ciblées du réseau de distribution, des mutualisations éditoriales, permettant la suppression d'une trentaine de postes, la renégociation de certains contrats et une politique de modération salariale, ainsi que des efforts de bonne gestion. Cependant, l'entreprise subit une augmentation mécanique de certaines charges, notamment la masse salariale, constituée aux deux tiers par les salaires de journalistes.

Par ailleurs, la question de l'avenir du financement se pose désormais de manière pressante, avec la disparition programmée en 2023 de la taxe d'habitation, qui est le support de collecte de la contribution à l'audiovisuel public. Or il n'y a pour l'instant aucune réflexion sur le devenir de cette contribution, principale ressource financière de France Médias Monde et des autres opérateurs de l'audiovisuel public. À ce jour, France Médias Monde n'a donc aucune visibilité sur l'avenir de son financement, ce qui obère sa capacité à se projeter dans le futur. Comment l'opérateur pourrait-il se lancer dans l'élaboration du prochain COM dans ces conditions ? Il est urgent que cet important sujet soit débattu, notamment dans le cadre de la campagne pour l'élection présidentielle. Nous plaidons bien entendu pour le maintien d'une recette dédiée à l'audiovisuel public, seule à même de garantir son indépendance.

Enfin, les financements externes sont un apport précieux, mais non sécurisé, du fait de leur caractère temporaire, et, de surcroît, fastidieux à renouveler. Il faudrait assurer leur pérennité en prévoyant des enveloppes dédiées directement dans les budgets dont ils émanent, c'est-à-dire le budget du ministère de l'Europe et des affaires étrangères s'agissant de la subvention actuellement versée par l'AFD, et le budget septennal de l'Union européenne.

Je poursuis maintenant au nom de Jean-Noël Guérini. Il m'a demandé de lire son intervention, qui porte sur TV5 Monde. Je rappelle que TV5 Monde est une chaîne francophone financée par quatre pays partenaires, la France étant le premier contributeur.

Comme France Médias Monde, TV5 Monde a renouvelé ses orientations stratégiques au début de cette année. Reprenant les axes du plan précédent - poursuite des développements éditoriaux et des partenariats en direction de l'Afrique, adaptation aux attentes des publics jeunes et enrichissement de l'offre d'apprentissage du français -, le plan stratégique 2021-2024 comporte deux grandes orientations.

La première est le développement de l'offre TV5MONDEplus, plateforme de vidéos à la demande lancée en septembre 2020 et accessible gratuitement dans le monde entier, sauf en Chine, qui restreint l'utilisation d'internet et - de manière transitoire, on l'espère - aux Pays-Bas, du fait de difficultés liées à un changement de distributeur.

La plateforme propose plus de 5 450 heures de contenus francophones diversifiés, provenant d'apports de diffuseurs actionnaires de TV5 Monde, comme France Télévisions, et d'acquisitions directes de la chaîne. Durant sa première année, la plateforme a conquis son public et ses audiences sont en progression continue. En 2021, une enveloppe exceptionnelle de 0,5 million d'euros, au titre du plan de relance français, a permis à la chaîne d'améliorer l'offre de programmes français. Il faut dire que celle-ci est insuffisante, en raison des moyens limités que nous y consacrons, notamment en comparaison de ce que font certains de nos partenaires, comme le Canada, dont les séries rencontrent un très grand succès. Il faudrait donc que la France prolonge l'effort consenti en 2021 pour éviter un déficit de l'offre française sur la plateforme par rapport à celles des autres pays partenaires.

La seconde orientation du plan stratégique est la sensibilisation aux enjeux environnementaux. Elle est mise en oeuvre par la labellisation des programmes traitant de l'environnement et le lancement, en février 2021, d'une nouvelle émission hebdomadaire, baptisée « Oxygène », consacrée aux enjeux environnementaux. Cette stratégie semble pertinente, puisque 77 % des téléspectateurs estiment que TV5 Monde explique bien les enjeux de la protection de l'environnement.

Grâce à la diffusion par streaming, la distribution de TV5 Monde est repartie à la hausse. Elle atteint 403 millions de foyers désormais, après plusieurs années de réduction de la couverture satellitaire pour faire des économies. Celle-ci reste cependant la pierre angulaire de la distribution de TV5 Monde, qui ambitionne de la développer en Afrique et dans l'océan Indien.

À ce jour, la situation financière de la chaîne est bonne. Les efforts réalisés pour dégager des économies, notamment une réduction de 5 % des effectifs entre 2017 et 2021, portent leurs fruits. En 2021, le montant estimé des charges est en baisse, à 112,21 millions d'euros, soit -1,77 % par rapport au budget 2020, conséquence de l'arrêt de production des journaux de nuit et de trois magazines, ainsi que de la réduction de la distribution en Europe et au Brésil. Les économies réalisées ont aussi permis le redéploiement de crédits en faveur de la plateforme TV5MONDEplus. La dotation de la France à TV5 Monde s'établit à 76,65 millions d'euros et celle de l'ensemble des autres pays francophones à 25,51 millions d'euros. La crise sanitaire continue cependant à faire sentir ses effets sur les recettes publicitaires et les revenus de distribution.

Pour 2022, les contributions publiques devraient être au même niveau qu'en 2021 et une réévaluation de près de 0,5 million d'euros des recettes commerciales est escomptée avec la reprise économique. La chaîne compte cependant beaucoup sur l'entrée au capital de Monaco, attendue d'ici la fin de l'année 2021, pour assurer l'équilibre financier. Cette entrée est quasiment acquise et devrait être officialisée prochainement.

Comme pour France Médias Monde, des incertitudes pèsent sur le financement public de la France après 2022. Conformément à la trajectoire financière arbitrée par le Gouvernement en juillet 2018, la dotation française à TV5 Monde, ramenée à 76,15 millions d'euros en 2019, est garantie jusqu'en 2022. Mais qu'en sera-t-il après ? Il faudrait, au minimum, que la dotation soit maintenue au même niveau et, idéalement, qu'elle soit significativement augmentée. En effet, les moyens alloués à la chaîne restent très en deçà de ses besoins, notamment pour développer ses projets tels que la promotion de la plateforme TV5MONDEplus ou l'extension de la chaîne jeunesse. Il est indispensable, là encore, que ce sujet soit discuté dans le cadre de la campagne présidentielle.

Les engagements pris par le Gouvernement envers les opérateurs étant respectés pour 2022, nous proposons de donner un avis positif aux crédits des programmes 844 et 847, en soulignant qu'ils restent insuffisants et en précisant que nous ne manquerons pas, en séance publique, de poser la question du financement après 2022. Rappelons toujours combien l'audiovisuel public extérieur est important pour notre pays. Ses opérateurs sont vertueux et font beaucoup d'économies, notamment en personnel et en diffusion. Nous devons davantage les aider.

Mme Hélène Conway-Mouret . - Le groupe SER décidera de son vote en séance publique après le débat dans l'hémicycle.

Madame la rapporteure, vous avez souligné la progression de l'audience des médias extérieurs pendant la pandémie. Cela aurait mérité une hausse budgétaire pour répondre à la demande. Sur ce point, nous sommes d'accord. Or des efforts supplémentaires de réduction des réseaux de diffusion et de distribution de ces médias sont proposés. La poursuite des économies sur la masse salariale va également à l'encontre de nos besoins d'influence. Face à la montée de la désinformation sur les réseaux sociaux, à l'approche de scrutins importants pour notre pays, l'information doit être officielle et proposée par des canaux qui le sont tout autant. Nous ne comprenons pas pourquoi ce bel outil que nous possédons n'est pas placé à la hauteur des besoins. Il est même en recul par rapport à celui de nos concurrents. C'est pourquoi ce matin, en commission, nous nous abstiendrons.

Mme Sylvie Goy-Chavent. - D'où les financements extérieurs qui ont été évoqués viennent-ils ? Dans l'intérêt de la francophonie, il faut défendre nos médias internationaux, à l'instar de ce que font d'autres pays.

Je veux rebondir sur la remarque qu'a faite Mme la rapporteur lors de l'audition de ce matin : il est dommage, en effet, que même des parlementaires issus du Sénat s'expriment en anglais dans les institutions internationales.

M. André Gattolin . - Il existe une incertitude quant au mode de prélèvement de la redevance maintenant que la taxe d'habitation disparaît. La redevance a déjà été prélevée seule jusqu'en 2013 ou 2014. Les parlementaires avaient alors été associés à une réflexion avec les ministères chargés de la culture et des finances, tandis que l'on craignait une remise en cause de la « taxe Copé » par la Cour de justice de l'Union européenne, et son coût avait été étudié. Nous disposions de chiffres très précis : il est clair que le couplage avec la taxe d'habitation avait entraîné des économies. Nous devons revoir ces travaux pour connaître ce coût, dont la disparition avait permis de baisser la redevance. Il faudra en discuter non seulement avec les ministères de l'Europe et des affaires étrangères et de la culture, mais aussi, pour les questions de méthode, avec les services de Bercy.

Enfin, j'ai beaucoup échangé, ces derniers temps, avec des collègues britanniques : la BBC fait toujours l'objet de critiques, mais les moyens de BBC World Service sont sanctuarisés. Il serait bon qu'il en aille de même chez nous, car les moyens alloués à nos services publics audiovisuels internationaux sont stratégiques.

M. Alain Cazabonne . - Ceux qui ne sont plus assujettis à la taxe d'habitation paient-ils encore la redevance ?

Mme Joëlle Garriaud-Maylam, rapporteur pour avis . - Je comprends l'abstention d'Hélène Conway-Mouret ; je n'étais pas loin d'adopter cette position. La baisse de 500 000 euros du budget de France Médias Monde est difficilement acceptable dans le contexte actuel, alors même que le Quai d'Orsay, qui a fait beaucoup d'efforts, n'en a jamais été remercié. Il faut rendre hommage au personnel de l'audiovisuel extérieur, dont seul l'engagement nous permet de tenir, alors que nous lui imposons des sacrifices, comme sur la diffusion et la programmation. C'est une situation pénible.

Il est vrai que nous sommes dans une année de transition. Il faudra interroger les candidats à la présidentielle, car nous ne pouvons pas continuer à regarder l'audiovisuel extérieur avec une telle condescendance. Je me souviens que, pour justifier la création de la chaîne de télévision France Info, on nous disait qu'il n'existait pas de chaîne nationale française d'information continue, alors même que France 24 existait. Avec un budget tel que celui alloué à France Info, nous aurions permis à France 24 de progresser considérablement.

S'agissant des financements extérieurs, il s'agit de ressources propres liées au travail même de l'audiovisuel extérieur (recettes publicitaires et de distribution notamment) et, s'agissant de FMM, de financements publics (contributions de l'Agence française de développement, donc de l'État, et de l'Union européenne).

Mme Sylvie Goy-Chavent . - Cela va mieux en le disant !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam, rapporteur pour avis . - Il en va évidemment autrement de TV5 Monde, qui est, par nature, un projet collectif porté par différents pays francophones.

Monsieur Gattolin, en effet, il est nécessaire que nous travaillions sur cette question très importante. Si vous étiez en mesure de me communiquer l'étude qui avait été faite à l'époque, je vous en serais très reconnaissante. Ce serait un bon point de départ.

M. André Gattolin . - L'étude est très technique, mais le coût du prélèvement avait été estimé à l'époque entre 30 et 50 millions d'euros. Pour l'alléger, les contrôles avaient d'ailleurs été réduits.

Pour ce qui concerne la situation actuelle, les gens qui ne paient pas la taxe d'habitation reçoivent un formulaire dédié leur permettant de déclarer qu'ils sont soumis à la redevance. En tout état de cause, il ne faudrait pas que le coût de perception soit déduit de la somme qui revient aux chaînes.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam, rapporteur pour avis . - Nous le disons chaque année : c'est une question de volonté. Notre ambition internationale est légitime, alors que nous sommes une puissance moyenne, mais nous devons nous donner les moyens de progresser. Les enjeux sont considérables : l'audiovisuel extérieur est un élément essentiel du rayonnement de la France.

La comparaison avec la Deutsche Welle est sidérante. Cette chaîne est pourtant beaucoup plus récente que les nôtres et elle diffuse beaucoup de programmes en anglais, qu'elle considère comme une langue de travail. Elle ne nous aide donc pas beaucoup sur ces questions. Il me semble essentiel d'avancer sur ce dossier.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits des programmes 844 et 847 de la mission « Avances à l'audiovisuel public ».

Page mise à jour le

Partager cette page