IV. LA COUR DE JUSTICE DE LA RÉPUBLIQUE : UNE INSTITUTION QUI FILTRE PUISSAMMENT LES REQUÊTES

A. UNE JURIDICTION CHARGÉE DE JUGER LES CRIMES ET DÉLITS COMMIS PAR LES MEMBRES DU GOUVERNEMENT DANS L'EXERCICE DE LEURS FONCTIONS

Instaurée par la révision constitutionnelle du 27 juillet 1993, la Cour de justice de la République (CJR) est compétente pour juger les crimes et délits commis par les membres du Gouvernement dans l'exercice de leurs fonctions 17 ( * ) . Composée de 15 juges , répartis entre 12 parlementaires (6 députés, 6 sénateurs et autant de suppléants désignés par leurs assemblées respectives, lors de chaque renouvellement) et 3 magistrats du siège de la Cour de cassation , elle est présidée par l'un des magistrats.

Une commission des requêtes , composée de trois magistrats du siège hors hiérarchie de la Cour de cassation, de deux conseillers d'État et de deux conseillers maîtres à la Cour des comptes, reçoit les plaintes des personnes s'estimant lésées par un crime ou un délit commis par un membre du Gouvernement dans l'exercice de ses fonctions. Elle peut classer la plainte ou la transmettre au procureur général près la Cour de cassation pour saisine de la CJR. Le procureur général près la Cour de cassation peut également saisir directement la CJR après avis conforme de la commission des requêtes.

La commission d'instruction , composée de trois membres titulaires et de trois membres suppléants, conseillers à la Cour de cassation, procède à toutes les mesures d'investigation jugées utiles. Elle peut requalifier les faits. À l'issue de son instruction, elle peut décider qu'il n'y a pas lieu à poursuivre ou décider le renvoi devant la Cour de justice de la République. Sa décision peut faire l'objet d'un pourvoi devant la Cour de cassation.

La Cour de justice de la République vote sur la culpabilité, à la majorité absolue, par bulletins secrets. Sa décision peut également faire l'objet d'un pourvoi devant la Cour de cassation qui doit alors statuer dans un délai de trois mois.

B. UNE JURIDICTION À L'ACTIVITÉ PERMANENTE MAIS QUI FILTRE PUISSAMMENT

Le faible nombre des procès (avant le procès de Mme Christine Lagarde en décembre 2016, le précédent s'était tenu en avril 2010 avec la jonction des trois procédures concernant M. Charles Pasqua) ne constitue que la partie émergée de l'iceberg : chaque année, au moins une quarantaine de requêtes est instruite par la commission des requêtes, ce nombre n'incluant pas les requêtes immédiatement déclarées irrecevables que le Secrétariat général de la Cour traite directement. Concrètement, presque chaque semaine, au moins une requête concernant un membre du Gouvernement ou un ancien membre du Gouvernement est examinée par la Cour. Les décisions rendues par la commission des requêtes le sont en moyenne en deux mois. Elles sont portées à la connaissance des requérants et ne sont pas susceptibles de recours. Depuis le début de l'année 2017, 35 requêtes, mettant en cause à 84 reprises des membres du gouvernement ont été transmises.

En 2015, 42 plaintes avaient mis en cause 88 membres du Gouvernement dont 13 en exercice. En 2016, 74 plaintes ont mis en cause à 153 reprises des membres du Gouvernement dont 106 en exercice.

Depuis sa création, et au 1 er novembre 2017, la commission des requêtes a été saisie de 1 439 plaintes, de particuliers ou d'associations, et a émis 40 avis favorables à la saisine de la commission d'instruction, soit un taux de saisine de la commission d'instruction, hors requêtes immédiatement déclarées irrecevables, de seulement 2,77 %. Votre rapporteur en déduit, d'une part, que de nombreuses requêtes n'avaient sans doute pas vocation à prospérer sérieusement et, d'autre part, que la Cour de justice de la République joue pleinement son rôle de filtre.

Les 40 saisines de la commission d'instruction ont donné lieu à l'ouverture de 15 informations : 7 affaires ont donné lieu à arrêt de renvoi devant la formation de jugement, 5 se sont terminées par un non-lieu, une a donné lieu à un arrêt d'incompétence, une s'est achevée par un arrêt constatant l'extinction de l'action publique et une affaire, dite Karachi, composée de deux dossiers, est actuellement examinée par la commission d'instruction. La formation de jugement de la Cour de justice de la République s'est réunie à six reprises pour juger huit personnes et a prononcé trois relaxes, une déclaration du culpabilité avec dispense de peine, un renvoi et deux condamnations.

Le rythme de travail de la Cour de justice de la République est cependant, par définition, imprévisible et très variable. Le nombre de requêtes reçues et le stock à traiter varie donc considérablement d'une année sur l'autre. On notera que les trois années les plus chargées ont été respectivement 1994 (234 requêtes reçues), 2005 (97) et 1996 (89), tandis que 2010 (18), 2007 (26) et 2009 (30) ont fait l'objet d'un nombre de requêtes reçues moins important.

La hausse des saisines depuis 2013, en particulier s'agissant de l'année 2016, est probablement, pour partie, liée à la volonté de déplacer des contentieux du terrain de l'opportunité politique vers le terrain judiciaire. Cela explique que les requêtes visant des membres du Gouvernement en fonction ont considérablement augmenté. À titre d'exemple, plusieurs requêtes ont visé le Premier ministre et le ministre de l'intérieur concernent les conditions de travail des fonctionnaires de police.


* 17 Articles 68-1 et 68-2 de la Constitution.

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