D. REPENSER LA POLITIQUE PÉNALE DE LUTTE CONTRE LA CONSOMMATION DE STUPÉFIANTS POUR AMÉLIORER SON EFFICACITÉ

La loi du 30 décembre 1970 précitée a élevé au rang de délit l'usage illicite d'une substance classée comme stupéfiant , rendu passible d'une peine d'un an d'emprisonnement et de 3 750 euros d'amende . Depuis la loi du 5 mars 2007 56 ( * ) , l'obligation de suivre un stage de sensibilisation aux dangers de l'usage des stupéfiants peut également être prononcée par le juge.

C'est autour de cette règle que sont bâtis le volet « application de la loi » du plan gouvernemental 2013-2017 et, plus généralement, les stratégies élaborées par tous les gouvernements en matière de lutte contre la toxicomanie depuis maintenant 46 ans. Son objectif affiché était, en criminalisant la consommation de drogues, d'avoir un effet dissuasif sur la population , en particulier les jeunes. Force est de constater, au vu du maintien d'un haut niveau d'usage de stupéfiants , de la diversification des produits disponibles et de la multiplication des comportements à risque , que cette approche carcérale a échoué .

Cela ne signifie pas qu'il faille cesser de faire de la réduction de l'offre et de la lutte contre les trafics une priorité essentielle de l'action des services de police, de gendarmerie ou des douanes, ou bien qu'il faille légaliser ces substances dont les effets sur la santé publique et la société sont désastreux. En revanche, il faut développer un cadre juridique alternatif à cette incrimination qui est à l'origine d'un contentieux de masse qui engorge les tribunaux correctionnels sans pour autant conduire les usagers, dès la première interpellation, à renoncer à l'usage de drogue.

Il existe en effet un décalage entre le niveau de la sanction , la gravité de l'infraction telle qu'elle est perçue par la société et la capacité du système pénal à la traiter . En conséquence, la peine d'emprisonnement reste très largement virtuelle , alors que les prisons françaises ont connu, en 2015, un taux d'occupation de 113 % . Néanmoins, une part significative de l'activité de la justice pénale est consacrée au traitement des infractions à la législation sur les stupéfiants (ILS) 57 ( * ) . Ainsi, en 2014, les tribunaux correctionnels ont prononcé 60 053 condamnations à ce titre, dont 13 128 peines d'emprisonnement ferme ou avec sursis partiel 58 ( * ) , ce qui représente 11 % du total des condamnations. Cette même année, 163 116 nouvelles affaires ont été enregistrées par les parquets. Concernant l'usage simple de stupéfiants , ce sont 102 651 affaires qui ont été transmises aux parquets en 2015 , dont près de 18 000 impliquant un mineur , ce qui représente une hausse de 13,3 % par rapport à 2012 ( 90 638 affaires ).

Plusieurs solutions ont été développées pour accélérer le traitement de ce contentieux de masse avec des alternatives aux poursuites comme la composition pénale 59 ( * ) ou la plus récente transaction pénale , qui permet aux officiers de police judiciaire, avec l'autorisation du procureur de la République, de transiger avec les auteurs de certains délits comme la consommation de stupéfiants. Il peut être alors convenu du paiement d'une amende transactionnelle, dont le montant ne peut excéder le tiers de l'amende encourue 60 ( * ) et qui doit être homologuée par le président du tribunal de grande instance. Entrée en vigueur depuis moins de 18 mois 61 ( * ) , il est trop tôt, en l'absence de données sur sa mise en oeuvre, pour en tirer un premier bilan.

L'OFDT a néanmoins souligné l'an dernier le « mouvement inflationniste » suivi par le nombre d'interpellations et de condamnations d'usagers de stupéfiants au cours des trente dernières années 62 ( * ) . La diversification de la réponse pénale, dont cette étude souligne qu'elle a conduit au « relatif effacement des mesures à caractère sanitaire », n'est toutefois pas venue améliorer l'effectivité de la sanction de l'usage de stupéfiants , qui aujourd'hui n'est plus crédible.

Votre rapporteur pour avis estime qu'il faut faire évoluer la réponse pénale sur ce sujet , tout particulièrement face au premier usage illicite constaté d'un produit stupéfiant. Le rendre passible d'une contravention de troisième classe , en retirant son caractère délictuel, le ferait entrer dans le champ contraventionnel , permettant sa sanction immédiate par une amende qui aurait vocation à être d'un montant forfaitaire de 68 euros 63 ( * ) . Elle devrait être acquittée directement à l'agent verbalisateur ou devrait l'être dans un délai de 45 jours suivant la constatation de l'infraction ou l'envoi de l'avis de contravention.

Cette proposition, formulée initialement par la mission d'information Assemblée nationale - Sénat sur les toxicomanies dont le rapport 64 ( * ) a été publié en juin 2011, permettrait de garantir une réponse pénale systématique et immédiate à la première infraction , offrant un caractère dissuasif bien supérieur à la lente et souvent vaine procédure actuelle , qui mobilise les tribunaux sans aucun résultat. Le 7 décembre 2011, le Sénat avait adopté une proposition de loi en ce sens dont votre rapporteur pour avis était l'auteur 65 ( * ) . Transmise à l'Assemblée nationale ce même jour puis à nouveau, après le renouvellement de cette dernière, le 2 juillet 2012, elle n'a toujours pas été inscrite à son ordre du jour.

En juillet 2015, dans le cadre de l'examen en première lecture du projet de loi relatif à la santé, la commission des affaires sociales avait, à l'initiative de votre rapporteur pour avis, inséré dans le texte un article additionnel 8 bis A reprenant le contenu de cette proposition de loi. En séance publique, le Sénat avait ensuite rejeté un amendement de suppression présenté par le Gouvernement. En nouvelle lecture, la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale avait toutefois, sur proposition notamment de son rapporteur, retiré du texte cet article, qui ne figure donc pas dans la loi du 26 janvier 2016.

Il semblerait néanmoins que depuis cette date le consensus sur l'inefficacité du régime actuel de sanction de l'usage de stupéfiants se soit élargi. Lors des débats sur cette loi au Sénat, la ministre avait invoqué une réflexion interministérielle en cours sous l'égide de la Mildeca pour justifier son opposition à toute modification du statu quo . Finalement remis au Premier ministre le 30 octobre 2015, ce rapport n'a pas été rendu public et ce n'est que grâce à la presse que ses conclusions sont connues.

Elles n'ont à ce jour pas été suivies. Le groupe de travail chargé de réfléchir à l'amélioration de l'efficacité de la réponse pénale appliquée aux usagers de stupéfiants convenait de « l'effet dissuasif limité » du régime actuel et du « sentiment d'impunité » créé chez les usagers par l'absence, dans bien des cas, de poursuites ou par la durée des procédures. Il prônait la mise en place d'une contravention de cinquième classe pour sanctionner l'usage simple de stupéfiants , qui serait accompagnée d'une amende forfaitaire de 300 euros .

Votre rapporteur pour avis est satisfait que ce constat officiel rejoigne le point de vue qu'il essaie de faire prévaloir depuis maintenant cinq ans . Si les modalités pratiques de la substitution d'une amende à la peine de prison ferme aujourd'hui en vigueur pour le premier usage de drogue restent encore débattues, sa pertinence n'est plus contestée . La Mildeca annonce, dans son plan d'actions 2016-2017, rechercher l'efficacité de la réponse publique aux infractions commises après la consommation d'alcool et de stupéfiants, et invite notamment à « poursuivre les travaux sur le traitement judiciaire des usagers de stupéfiants » (action 6.5). Il est toutefois douteux que des évolutions législatives interviennent avant la fin de la législature : il appartiendra donc au prochain gouvernement , quel qu'il soit, de traiter ce dossier et de tirer un trait sur une politique qui a fait la démonstration de son incapacité à traiter les racines des addictions .

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Suivant la proposition de son rapporteur pour avis, la commission a émis un avis favorable à l'adoption des crédits de l'action « Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca) » du programme « Coordination du travail gouvernemental » de la mission « Direction de l'action du Gouvernement » du projet de loi de finances pour 2017.


* 56 Loi n° 2007-297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance, art. 48.

* 57 Qui regroupent la production, le trafic, la vente, la détention et la consommation de stupéfiants.

* 58 La plupart faisant l'objet d'aménagements et ne se traduisant donc pas nécessairement par une privation de liberté.

* 59 Qui permet au procureur de la République de proposer une amende, un travail d'intérêt général ou un stage de sensibilisation aux auteurs de certains délits, comme l'usage illicite de stupéfiants, contre l'arrêt des poursuites.

* 60 Soit 1 250 euros dans le cas de l'usage de stupéfiants.

* 61 Instituée par la loi n° 2014-896 du 15 août 2014 relative à l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité des sanctions pénales, ses modalités d'application ont été définies par le décret n° 2015-1272 du 13 octobre 2015 pris pour l'application des articles 41-1-1 du code de procédure pénale et L. 132-10-1 du code de la sécurité intérieure.

* 62 OFDT, « Trente ans de réponse pénale à l'usage de stupéfiants », Tendances n° 103, octobre 2015.

* 63 Après son inscription, par un décret en Conseil d'Etat, sur la liste mentionnée à l'article 529 du code de procédure pénale.

* 64 Toxicomanies : rejeter la fatalité, renouveler les stratégies ; rapport de la mission d'information sur les toxicomanies, Françoise Branget, Gilbert Barbier ; Assemblée nationale (XIII ème , n° 3612), Sénat (2010-2011, n° 699), 30 juin 2011.

* 65 Proposition de loi n° 19 (2011-2012) visant à punir d'une peine d'amende tout premier usage illicite de l'une des substances ou plantes classées comme stupéfiants, adoptée le 7 décembre 2011.

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