B. UNE ACTIVITÉ CIVILE CONFRONTÉE AU RECENTRAGE DE LA PJJ SUR SON ACTIVITÉ PÉNALE

1. La protection de l'enfance en danger : l'activité prédominante des juges des enfants

Dans l'intérêt du suivi éducatif du mineur et de la continuité de la prise en charge, les juges des enfants sont dotés d'une double compétence et peuvent connaître des mineurs, soit dans le cadre de la protection de l'enfance en danger, soit dans un cadre pénal, soit, éventuellement, à ce double titre.

Dans les faits, l'activité civile des juges des enfants est prédominante : alors qu'environ 74 000 mineurs sont jugés chaque année, soit par le juge des enfants en audience de cabinet, soit par le tribunal pour enfants (ou, le cas échéant, le tribunal correctionnel pour mineurs ou la cour d'assises des mineurs), en 2011, 217 071 mineurs étaient suivis par un juge des enfants au titre de l'assistance éducative.

En 2011, le nombre de nouveaux mineurs en danger dont ont été saisis les juges des enfants s'est stabilisé (- 0,5%), après une forte hausse en 2010 (+4,3%).

Mineurs en danger suivis par les juges des enfants

2006

Evol.

2007

Evol.

2008

Evol.

2009

Evol.

2010

Evol.

2011

Nombre de mineurs suivis en AE au 31 décembre

217 884

-1,7

214 114

-0,9

212 146

0,6

213 512

0,6

214 898

1,0

217 071

Source : tableau de bord des juridictions de mineurs - SDSE - Ministère de la Justice.

Parmi les nouveaux mineurs suivis en assistance éducative, 30,5% ont moins de sept ans, 62,3% ont moins de 13 ans. Cette répartition est quasiment stable depuis 2003.

Avec 330 697 mesures prononcées en 2011, l'activité civile des juges des enfants a légèrement augmenté par rapport à 2010 (+1%).

Mineurs en danger et jeunes majeurs - Mesures individuelles prononcées par les juges des enfants

2006

Evol.

2007

Evol.

2008

Evol.

2009

Evol.

2010

Evol.

2011

Enquêtes sociales, ICE, expertises

- mesures nouvelles

- mesures renouvelées

Actions éducatives
en milieu ouvert

- mesures nouvelles

- mesures renouvelées

Placements

- mesures nouvelles

- mesures renouvelées

49 908

8 809

64 108

79 347

39 759

87 570

-4,2

+1,6

-5,0

+2,0

-5,1

+2,3

47 808

8 953

60 894

80 932

37 726

89 587

-1,7

-8,7

-5,4

2,4

-2,2

1,2

46 991

8 171

57 597

82 843

36 886

90 696

-0,9

7,0

-1,1

-0,1

3,2

1,1

46 546

8 739

56 939

82 752

38 069

91 682

0,8

2,2

2,3

-1,3

1,9

1,2

46 901

8 934

58 249

81 663

38 791

92 824

-2,4

-2,5

2,8

1,3

2,6

1,0

45 777

8 712

59 897

82 748

39 811

93 752

Mesures individuelles « mineurs »

- mesures nouvelles

- mesures renouvelées

153 775

175 726

-4,8

+2,1

146 428

179 472

-3,4

1,2

141 474

181 710

0,1

0,8

141 554

183 173

1,7

0,1

143 941

183 421

1,1

1,0

145 485

185 212

Protection
des jeunes majeurs

- mesures nouvelles

- mesures renouvelées

3 239

3 656

-4,2

-20,3

3 104

2 914

-16,0

-16,4

2 607

2 436

-49,5

-51,4

1 317

1 183

-41,4

-55,9

772

522

-69,6

-69,0

235

162

Source : tableau de bord des juridictions de mineurs.

Le nombre de mesures (nouvelles et renouvelées) de protection des jeunes majeurs diminue de 70%, conséquence de la décision de la PJJ de cesser de financer ce type de mesures.

L'activité civile des juges des enfants doit en effet tenir compte de la décision prise par la PJJ en 2008 de cesser de financer ou de prendre en charge les mesures judiciaires de protection, à l'exception des mesures d'investigation qui, étant un soutien essentiel à la décision judiciaire, continuent à être intégralement financées par l'État.

2. Des interrogations persistantes sur le désengagement de l'État de la protection judiciaire de l'enfance en danger
a) Un désengagement qui découle d'une interprétation extensive des lois de décentralisation

Le principe de la compétence du département en matière d'aide sociale à l'enfance a été affirmé par les lois de décentralisation de 1982-1983. La loi n°2007-293 du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance a réaffirmé le rôle du conseil général en matière de protection de l'enfance en danger.

Malgré cela, PJJ et conseils généraux ont pendant longtemps continué à exercer une compétence concurrente en matière de mise en oeuvre des mesures judiciaires de protection. La part des mesures civiles prises en charge par la PJJ était cependant très minoritaire. Selon l'Observatoire national de l'enfance en danger 14 ( * ) , au 31 décembre 2006, la PJJ assurait l'exécution de 438 des 114 708 mesures judiciaires de placement (moins de 0,4 %) et 8 045 des 112 271 mesures d'assistance éducative en milieu ouvert (environ 7 %).

Le niveau d'intervention de la PJJ au civil était néanmoins variable selon les départements et ne semblait pas dépendre d'un critère préétabli. Dans le Loiret et à Paris, elle n'intervenait presque pas ; dans d'autres départements, les juges continuaient de la solliciter. Généralement, la PJJ constituait un recours pour des mesures concernant les adolescents difficiles ou déjà connus de ses services au titre d'une affaire pénale.

L'expérimentation conduite sur le fondement de la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales visait à supprimer toute intervention de la PJJ au civil et à confier au département l'intégralité des mesures civiles, hors investigation. Une convention avait été conclue en ce sens avec les trois départements de l'Aisne, de la Haute-Corse et du Loiret.

Toutefois, prenant appui sur les orientations définies par le troisième Conseil de modernisation des politiques publiques du 11 juin 2008, la DPJJ a décidé de généraliser cette évolution avant que le bilan de l'expérimentation puisse être tiré. Celle-ci a été traduite dans le projet stratégique 2008-2011 de la PJJ, dont le second axe assigne à cette dernière le renforcement de son intervention en direction des jeunes confiés au pénal.

Dans un rapport consacré à la protection de l'enfance et daté d'octobre 2009, la Cour des comptes a jeté un regard critique sur le volet financier de la disparition de l'intervention de la PJJ au civil : « pour compenser ce retrait, les juges des enfants seront conduits à confier à l'aide sociale à l'enfance (ASE) ou au secteur associatif un nombre croissant de mesures : le département deviendra l'unique financeur des prises en charge, l'État conservant le financement des mesures d'investigations judiciaires. La charge financière qui en découle, variable selon les départements, n'a pas été évaluée [...]. Si l'on ne peut que prendre acte d'une orientation confirmée dans les lois de finances, ses modalités, qui n'ont pas respecté le principe d'expérimentation prévu par la loi du 13 août 2004, restent critiquables » 15 ( * ) .

b) Une séparation qui ne tient pas compte de la diversité des situations individuelles de certains mineurs

Si, aujourd'hui, l'ensemble des acteurs concernés paraissent avoir pris acte de ce désengagement de l'État, celui-ci persiste à soulever des difficultés s'agissant de la prise en charge de mineurs susceptibles de relever des deux dispositifs - prise en charge au pénal au titre d'infractions commises, mais également prise en charge au civil en raison des difficultés familiales et sociales rencontrées.

Or, l'étanchéité des dispositifs risque de créer, pour ces mineurs qui ont le plus besoin de stabilité, des ruptures de prise en charge préjudiciables à leur insertion et à leur reconstruction.

Par ailleurs, les juges des enfants rencontrent parfois les plus grandes difficultés à trouver une solution d'hébergement ou de prise en charge adaptée dans le cadre de la protection de l'enfance pour des mineurs ayant précédemment commis des infractions.

Cette année encore, les magistrats pour enfants entendus par votre rapporteur pour avis ont regretté le caractère trop brutal de cette séparation et souhaité qu'à l'avenir, la DPJJ réserve une ligne budgétaire lui permettant de financer au civil la poursuite d'une prise en charge commencée dans un cadre pénal.

c) Une ignorance des délais d'exécution des mesures judiciaires de protection

Une telle situation est d'autant plus dommageable que la DPJJ ne parait toujours pas assurer de façon satisfaisante le rôle de pilotage de l'ensemble de la justice des mineurs que lui confie le décret du 9 juillet 2008 relatif à l'organisation du ministère de la justice.

Dans son rapport précité, la Cour des comptes avait souhaité que l'État soit plus attentif aux conditions dans lesquelles les décisions des juges des enfants sont exécutées. Elle avait en effet pu constater au cours de son enquête que, si certains ressorts ou départements avaient mis en place des dispositifs systématiques de suivi des délais d'exécution, un certain nombre de situations difficiles pouvaient être identifiées.

Trois ans après la diffusion de ce rapport, il apparaît que l'État-DPJJ ne dispose toujours pas d'outil de suivi lui permettant de connaître le taux et les délais d'exécution des mesures de protection décidées par les juges des enfants, au motif que celles-ci relèvent désormais de la compétence exclusive des conseils généraux.

Une telle situation est particulièrement regrettable : comme l'année dernière, votre commission considère qu' il n'est pas acceptable que le ministère de la Justice, garant du bon fonctionnement de la justice, ne soit pas en mesure de savoir si les décisions prononcées par des juges des enfants sont exécutées dans des délais raisonnables et dans des conditions satisfaisantes.

En conséquence, votre commission ne peut qu'appeler le nouveau Gouvernement à mettre en oeuvre dans les plus brefs délais un tel outil de suivi.


* 14 Chiffres cités par la Cour des comptes dans le rapport précité, page 48.

* 15 « La protection de l'enfance », Cour des comptes, rapport thématique, octobre 2009, pages 49-50.

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