b) La « rupture » de 1982

La « grande réforme » de 1982, issue de la loi du 21 juillet 1982 et du décret du 19 novembre 1982, a été qualifiée de « rupture ». Cette réforme a, en effet, supprimé, pour le temps de paix, les tribunaux permanents des forces armées et a chargé des chambres spécialisées des juridictions de droit commun d'instruire et de juger, en appliquant désormais le code de procédure pénale, les infractions commises sur le territoire national.

Cette « banalisation » de la justice militaire a été considérée en 1982 comme un tournant historique mettant un terme, au nom de l'unité de la justice, à un système dérogatoire jugé inadapté au contexte ordinaire en temps de paix.

La loi du 21 juillet 1982 a supprimé les tribunaux permanents des forces armées et a confié, dans le ressort de chaque cour d'appel, à une chambre spécialisée d'un tribunal de grande instance l'instruction et le jugement des infractions militaires et des infractions de droit commun commises dans l'exercice du service par les militaires en temps de paix sur le territoire national.

La commission de l'infraction à l'intérieur d'un établissement militaire n'est donc plus un critère de compétence de ces juridictions spécialisées et les infractions de droit commun commises par les militaires en dehors de l'exécution du service relèvent des juridictions de droit commun.

Dans le même temps, ont été préservés, sous une nouvelle dénomination, les tribunaux militaires aux armées compétents pour les infractions commises, en temps de paix, en dehors du territoire de la République.

Les procédures applicables en matière d'instruction et de jugement devant les juridictions de droit commun spécialisées sont celles que définit le code de procédure pénale , sous réserve des spécificités prévues par les articles 698 à 698-8 de ce code.

Parmi ces règles dérogatoires, on peut citer notamment les réquisitions préalables à l'entrée des enquêteurs dans les établissements militaires, au nom du respect des prescriptions relatives au secret militaire ou le fait que ceux-ci doivent être détenus dans des locaux séparés, qu'ils soient prévenus ou condamnés.

Par ailleurs, la loi de 1982 a reconnu au procureur de la République le pouvoir de mettre en mouvement l'action publique, alors que cette prérogative appartenait auparavant au ministre de la défense .

Toutefois, la mise en oeuvre de l'action publique était assortie de deux réserves importantes :

- sauf en cas de crime ou délit flagrant, tout acte de poursuite doit être précédé d'une dénonciation de l'infraction par l'autorité militaire ou d'un avis du ministre de la défense ou de l'autorité militaire habilitée par lui ;

Cet avis explique au cas par cas le contexte opérationnel des faits. Il ne lie pas le Procureur de la République, qui décide seul des poursuites.

Le ministre de la justice de l'époque, notre collègue sénateur Robert Badinter, avait, en effet, estimé qu'il était nécessaire que l'autorité militaire éclaire le Parquet et fasse valoir son point de vue.

- l'impossibilité pour la partie civile de mettre en mouvement l'action publique.

En 1982, notre collègue Robert Badinter, alors Garde des Sceaux, avait ainsi justifié le maintien de cette deuxième particularité : « si l'on reconnaissait à tous ceux qui s'affirment victimes, non seulement le droit de provoquer l'ouverture d'une information, mais - ce qui est beaucoup plus saisissant encore - celui de citer en correctionnelle, à leur gré, tout officier ou tout soldat, on ouvrirait aux fausses victimes, aucunement préoccupées de la sanction de la dénonciation calomnieuse qui n'interviendrait que des mois ou des années plus tard, la possibilité d'entreprises de déstabilisation de l'armée républicaine » 7 ( * ) .

Tout en supprimant les tribunaux permanents des forces armées, la loi de 1982 avait maintenu la compétence des tribunaux aux armées pour connaître les infractions commises par les militaires en temps de paix en dehors du territoire national.

La mise en place de telles juridictions militaires n'était toutefois qu'une faculté reconnue à la France par certains traités internationaux.

En réalité, seules deux juridictions ont été constituées sur la base d'une convention internationale pour juger les infractions commises à l'étranger par des justiciables du code de justice militaire :

- d'une part, le tribunal militaire aux armées de Baden-Baden , créé sur la base de la convention de Londres du 19 juillet 1951 et de la convention du 3 août 1953 et dont le champ de compétence visait les infractions commises dans le cadre des forces françaises stationnées en Allemagne.

- d'autre part, le tribunal des forces armées siégeant à Paris (article 10 de la loi du 21 juillet 1982), dont la compétence concernait les infractions commises par des militaires dans les Etats liés à la France par les accords de défense et qui prévoyaient une attribution de compétence au profit des juridictions militaires françaises.

Tel était le cas des accords de défense conclus par la France avec huit Etats d'Afrique (Madagascar, Djibouti, Burkina-Faso, Côte d'Ivoire, Gabon, Sénégal, Togo, Centrafrique).

L'intervention de ces deux juridictions, liée à une stipulation explicite d'une convention internationale, entraînait l'application du code de justice militaire. Cette procédure pénale militaire était notamment caractérisée par l'absence de double degré de juridiction.

Les infractions commises par les militaires en dehors des territoires induisant la compétence de ces juridictions relevaient de la compétence des juridictions de droit commun spécialisées du lieu de stationnement.

Enfin, la loi de 1982 n'a pas apporté de modifications aux dispositions du code de justice militaire de 1965 applicable au temps de guerre , notamment concernant le rétablissement des pouvoirs judiciaires (pouvoir de poursuite) du ministre de la défense et le rétablissement des juridictions militaires, les tribunaux territoriaux des forces armées sur le territoire et les tribunaux militaires aux armées en dehors du territoire.

Devant l'Assemblée nationale, le Garde des Sceaux de l'époque, notre collègue Robert Badinter, avait fait valoir que « dans le temps de l'exception, l'impératif de survie de la collectivité nationale l'emporte sur toute autre considération ».


* 7 Journal Officiel Assemblée nationale, 2 ème séance du 14 avril 1982, p. 1129

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