C. LE RÉGIME ACTUEL APPLICABLE AUX MILITAIRES EN FRANCE

Trois situations différentes doivent aujourd'hui être distinguées en ce qui concerne le droit applicable aux infractions commises par les militaires.

Si le droit applicable en temps de paix est très proche du droit commun en ce qui concerne les infractions commises sur le territoire de la République, des spécificités importantes demeurent en ce qui concerne les infractions commises hors du territoire, cependant que le droit applicable en temps de guerre reste très dérogatoire.

1. En temps de paix sur le territoire de la République

Depuis la loi de 1982, les juridictions de droit commun spécialisées en matière militaire sont compétentes pour connaître des infractions militaires et des infractions de droit commun commises par des militaires dans l'exercice du service sur le territoire de la République.

Il existe actuellement un tribunal correctionnel et une cour d'appel spécialisés en matière militaire dans le ressort de chaque Cour d'appel. Le tribunal correctionnel est chargé de l'instruction de toutes les affaires et du jugement des délits, tandis que la cour d'assises juge les crimes. Au total, on compte aujourd'hui 33 juridictions de droit commun spécialisées réparties sur l'ensemble du territoire national.

Les infractions de droit commun commises en dehors de l'exercice du service relèvent, pour leur part, des juridictions de droit commun.

La procédure applicable devant les juridictions de droit commun spécialisées est désormais très proche des règles du droit commun . Ainsi, le procureur de la République est compétent pour mettre en mouvement l'action publique. Aucun militaire ne participe au jugement des affaires portées devant les juridictions de droit commun spécialisées. Les jugements sont susceptibles d'appel.

La spécificité du contentieux militaire est prise en compte par la spécialisation des magistrats de l'ordre judiciaire appelés à connaître des infractions militaires ou des infractions commises par des militaires dans l'exercice du service.

Les magistrats qui siègent dans ces formations spécialisées appartiennent au tribunal de grande instance concerné et ont été désignés par l'assemblée générale de la juridiction pour s'occuper spécifiquement des affaires relatives aux militaires.

Le ministère de la défense met également des greffiers militaires à disposition de ces formations spécialisées afin d'assister les magistrats.

De plus, certaines particularités procédurales demeurent, dont les plus notables sont les suivantes :

- le procureur de la République doit demander l'avis du ministre de la défense ou de l'autorité militaire habilitée par lui préalablement à tout acte de poursuite à l'encontre d'un militaire, à moins de dénonciation par l'autorité militaire et sauf en cas de crime ou de délit flagrant 17 ( * ) ;

- si la mise en mouvement de l'action publique peut, depuis le 1 er janvier 2002, résulter d'une plainte avec constitution de partie civile, en revanche, la victime d'une infraction commise par un militaire ne peut faire citer directement ce militaire devant la juridiction de jugement 18 ( * ) ;

- les investigations au sein d'un établissement militaire doivent être précédées de réquisitions adressées à l'autorité militaire ; l'autorité militaire se fait représenter lors des opérations ;

- la composition spécifique (absence de jury populaire) de la cour d'assises en cas de risque de divulgation d'une information couverte par le secret de la défense nationale ;

- les militaires doivent être détenus dans des locaux séparés, qu'ils soient prévenus ou condamnés ;

- le contrôle judiciaire et le régime de la semi-liberté ne sont pas applicables aux militaires 19 ( * ) ;

- les décisions rendues en matière de désertion ou d'insoumission peuvent être annulées lorsqu'il est établi a posteriori que la personne n'était pas en état de désertion ou d'insoumission ;

- les mesures disciplinaires de privation de liberté sont imputables sur les peines d'emprisonnement ferme.

Ainsi, les infractions commises par les militaires sur le territoire de la République se voient aujourd'hui traitées dans des conditions très proches de celles du droit commun.

L'avis du ministre de la défense en cas de poursuites pénales à l'encontre d'un militaire (article 698-1 du code de procédure pénale) 20 ( * )

L'article 698-1 du code de procédure pénale prévoit que, à défaut de dénonciation du ministre de la défense ou de l'autorité militaire habilitée par lui, le procureur de la République doit demander préalablement à tout acte de poursuite à l'encontre d'un militaire, sauf en cas de crime ou de délit flagrant, l'avis du ministre de la défense ou de l'autorité militaire habilitée par lui . Hormis le cas d'urgence, cet avis est donné dans le délai d' un mois . L'avis est demandé par tout moyen dont il est fait mention au dossier de la procédure. La dénonciation ou l'avis figure au dossier de la procédure, à peine de nullité , sauf si cet avis n'a pas été formulé dans le délai précité ou en cas d'urgence.

Cette disposition a été introduite par la loi n°82-621 du 21 juillet 1982 relative à l'instruction et au jugement des infractions en matière militaire et de sûreté de l'Etat et modifiant les codes de procédure pénale et de justice militaire, qui avait supprimé les tribunaux permanents des forces armées sur le territoire de la République et confié la compétence aux juridictions de droit commun spécialisées pour juger les infractions militaires et les crimes et les délits commis par les militaires dans l'exercice du service en temps de paix.

Avant la réforme de 1982, l'engagement des poursuites relevait du seul ministre de la défense, qui était investi de pouvoirs judiciaires. Depuis le 1 er janvier 1983, la mise en oeuvre de l'action publique en temps de paix relève, sur le territoire de la République, du Procureur de la République de la juridiction de droit commun spécialisée territorialement compétente et, hors du territoire de la République, du Procureur près du Tribunal aux armées de Paris.

Le pouvoir du ministre de la défense d'engager des poursuites a donc été remplacé par une demande d'avis du Procureur de la République avant l'engagement de poursuites à l'encontre d'un militaire.

Cette particularité procédurale s'applique quelle que soit la juridiction compétente , aussi bien devant les juridictions de droit commun spécialisées que devant le Tribunal aux armées de Paris.

Cet avis est formulé par écrit et signé soit par le ministre de la défense, soit par l'autorité militaire habilitée par lui.

L'avis explique et précise au cas par cas le contexte opérationnel des faits. Il permet d'éclairer le Parquet aussi complètement que possible sur les circonstances de l'affaire, le contexte opérationnel, la personnalité du militaire concerné. Par exemple, dans une affaire d'accident d'avion militaire, le procureur de la République pourra avoir connaissance, grâce à cet avis, des enquêtes de commandement, des circonstances de l'affaire, de la personnalité du pilote et d'éventuelles sanctions disciplinaires.

Il permet également d'éclairer l'autorité judiciaire sur les impératifs et les risques encourus par les militaires dans les différentes missions qui leur sont assignées, notamment en opérations extérieures. Il informe aussi le juge de la mesure disciplinaire prononcée à l'encontre du militaire , cette mesure étant généralement déduite de la condamnation.

Cette demande d'avis informe également l'autorité militaire sur l'éventualité de poursuites à l'encontre d'un militaire, ce qui peut avoir des conséquences en matière de sanctions disciplinaires et sur la disponibilité de l'intéressé.

Dans cet avis, le ministre de la défense ou l'autorité militaire peuvent le cas échéant discuter tel ou tel élément constitutif de l'infraction pénale relevée, et proposer une qualification pénale mieux adaptée. Le ministre de la défense ou l'autorité militaire peuvent aussi proposer une suite à donner à l'affaire, comme un classement sans suite ou l'engagement de poursuites.

L'avis ne peut pas être considéré comme une entrave à la justice ou comme une intervention de l'autorité militaire tendant à orienter les poursuites. En effet, cet avis est un simple avis consultatif qui ne lie pas le procureur de la République, qui décide seul des poursuites.

Il est rédigé par écrit et versé au dossier et donc connu de toutes les parties. Par ailleurs, il est encadré dans des délais stricts (un délai d'un mois est prévu, qui peut être réduit en cas d'urgence).

Selon les données du ministère de la défense 21 ( * ) , plus de 3 040 avis ont été formulés en 2010 , dont près d'une centaine signés par le ministre de la défense. Dans plus de 400 avis, l'autorité militaire a souhaité l'engagement de poursuites contre environ 570 recommandations de classement sans suite. Le plus grand nombre d'avis a été formulé au parquet de la juridiction de droit commun spécialisée de Marseille (292), le Tribunal aux armées de Paris figurant en deuxième position avec 238 avis.

En 2010, les Parquets ont, au total, engagé des poursuites à l'encontre de militaires dans plus de 800 affaires, 680 ayant donné lieu à un classement sans suite. Plus de 800 condamnations ont été prononcées.


* 17 Voir l'encadré plus loin

* 18 Comme le mentionnait en 1982 notre collègue Robert Badinter, alors Garde des Sceaux, cette particularité s'explique par la crainte de plaintes abusives et d'une déstabilisation de l'armée

* 19 Cette spécificité est justifiée par l'état major des armées par le fait qu'elles seraient incompatibles avec la disponibilité exigée de l'état militaire et par le fait que l'autorité militaire sur le personnel militaire est suffisante pour garantir sa représentation en justice. L'assignation à résidence avec surveillance électronique (« bracelet électronique ») est toutefois possible

* 20 Voir l'intervention du général Louis Champiot « Une spécificité militaire : l'avis du ministre au procureur » prononcée lors du colloque « Droit pénal et défense » organisé à l'école militaire les 27 et 28 mars 2001, dont les actes ont été publiés par le ministère de la défense

* 21 Voir les statistiques qui figurent à l'annexe II du présent rapport

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