III. REMÉDIER À LA CRISE D'IDENTITÉ DE LA FRANCOPHONIE

A. LA COOPÉRATION DÉCENTRALISÉE : UN LEVIER EXCEPTIONNEL POUR UNE FRANCOPHONIE AU SERVICE DES POPULATIONS

Nos territoires ultra-marins entretiennent des liens très étroits, tant sur le plan culturel que politique et économique, avec les pays qui les entourent, qui s'inscrivent bien souvent dans une zone de solidarité prioritaire.

Regrettant que nos territoires d'outre-mer soient insuffisamment associés à notre politique francophone, votre rapporteur pour avis souhaite qu'une réflexion s'engage sur le levier exceptionnel que constitue la coopération décentralisée au niveau de nos collectivités territoriales d'outre-mer dans la conduite d'actions de promotion de l'enseignement du/en français avec leurs voisins.

Nos collectivités ultra-marines ont, en effet, vocation à s'imposer comme de véritables fenêtres de notre politique francophone. À ce titre, votre rapporteur pour avis souligne que la mission d'information du Sénat sur la situation des départements d'outre-mer avait insisté sur le fait que « le renforcement de l'insertion des départements et régions d'outre-mer au sein de leur environnement régional répond à la fois à l'intérêt des collectivités concernées et à celui de la France dans son ensemble » 7 ( * ) .

L'État cofinance, au même titre que pour les collectivités métropolitaines, des actions conduites par des nos collectivités ultra-marines dans le cadre de la coopération décentralisée. Ces actions peuvent comporter d'importants volets culturels. Elles peuvent s'appuyer sur l'expertise et le soutien logistique de la délégation pour l'action extérieure des collectivités territoriales (DAECT) du ministère des affaires étrangères.

Pour mémoire, 7 017 projets menés par les collectivités territoriales françaises en 2009 comportent une thématique culturelle, majoritairement dans le cadre de jumelages . L'immense majorité des projets culturels et de soutien à la francophonie est portée par des villes (1 662).

La télé-déclaration, auprès de la délégation pour l'action extérieure des collectivités territoriales du ministère des affaires étrangères, de l'aide publique au développement des collectivités territoriales s'élève à 72 millions d'euros dont, pour la thématique « culture », neuf millions d'euros en ressources propres .

Lors de la réunion plénière du Conseil des collectivités territoriales pour le développement culturel , tenue sous la présidence du ministre de la culture et de la communication le 9 juillet 2009, l'accent a été porté sur le fait que, malgré le caractère contraint des budgets locaux dans la conjoncture actuelle, l'action culturelle extérieure restait plus que jamais une orientation à favoriser et à accompagner.

En matière d'action extérieure, les collectivités territoriales d'outre-mer disposent d'outils juridiques spécifiques pour mettre en oeuvre des actions de coopération régionale. À cet effet, les présidents des conseils régionaux et généraux des régions et départements d'outre-mer, ainsi que ceux des assemblées délibératives des collectivités d'outre-mer, peuvent notamment conclure, dans leurs domaines de compétences, des accords avec des États étrangers de leur environnement régional.

À titre d'exemple, la Réunion participe à la formation au français des instituteurs malgaches et coopère également avec des collectivités en Afrique du Sud, en Chine, ou encore aux Comores en faveur de l'enseignement du français.

De même, la Guadeloupe, particulièrement active dans ce domaine, conduit 17 projets de coopération décentralisée dans dix pays de la zone caribéenne. Il est à noter que l'espace caribéen, s'il compte quatre langues officielles (l'espagnol, l'anglais, le français et le néerlandais) et une population majoritairement hispanophone, regroupe près de dix millions de francophones.

De plus, dans la région des Caraïbes et dans l'Océan Indien, les collectivités s'appuient sur les fonds de coopération régionale (FCR), créés dans chaque région d'outre-mer sur le fondement de l'article L. 4433-4-6 du code général des collectivités territoriales, inséré par la loi d'orientation pour l'outre-mer n° 2000-1207 du 13 décembre 2000, et qui peuvent comporter des actions dans le domaine culturel, de l'éducation et de l'enseignement supérieur.

La Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie peuvent également s'appuyer sur les cofinancements du fonds Pacifique .

De plus, rien ne s'oppose, en théorie, à ce qu'une collectivité territoriale française, souhaitant intervenir dans un domaine qui ressortirait au cadre stratégique décennal de l'OIF, c'est-à-dire à l'une de ses quatre missions essentielles 8 ( * ) , présente un projet à l'opérateur francophone et sollicite une subvention.

L'AIMF n'est pas une organisation internationale, mais bien un opérateur de la francophonie, dont dix villes françaises sont membres. Ces dernières passent notamment par ce canal pour une partie significative de leurs projets de coopération décentralisée.

B. REMÉDIER AU DÉFICIT DE NOTORIÉTÉ DE LA FRANCOPHONIE

Le déficit de notoriété qu'accuse le système de francophonie multilatérale auprès des populations francophones tient en grande partie au sentiment de ces dernières d'être trop souvent exclues d'un processus décisionnel limité aux seules enceintes intergouvernementales . Les décisions de l'OIF qui font l'objet d'une médiatisation concernent essentiellement des opérations à caractère politique, en matière de résolution de crises et de promotion de la démocratie et des droits de l'homme. En effet, la francophonie multilatérale pâtit d'une conception excessivement intergouvernementale de son fonctionnement qui tend à en faire une « ONU bis ».

Dès lors, la valorisation du lien identitaire que représente pour l'espace francophone le partage d'une langue commune est trop souvent apparue comme secondaire parmi les préoccupations des chefs d'État et de gouvernement de la francophonie multilatérale .

En outre, ce déficit de notoriété de la francophonie institutionnelle semble, de façon assez paradoxale, encore plus perceptible auprès de la population française, du fait du désintérêt de cette dernière, voire de sa méfiance, vis-à-vis d'un système de coopération auquel sont associés des stéréotypes prégnants, hérités de l'Histoire et de la décolonisation.

Dans ces conditions, la francophonie est très insuffisamment valorisée en France, voire dans certains cas dénigrée car perçue comme un « effet secondaire du colonialisme » 9 ( * ) , alors même que la défense du français constitue chez certains de nos partenaires un motif de fierté et de revendication identitaire.

Dans le même ordre d'idées, l'avis du Conseil économique, social et environnemental du 1 er juillet 2009, intitulé : « Le message culturel de la France et la vocation interculturelle de la francophonie » , présenté par Mme Julia Kristeva-Joyaux, soulignait le paradoxe suivant :

« Et l'on constate un phénomène paradoxal : les plus fervents adeptes du « génie français » et de la « francophonie » ne se dénombrent-ils pas parmi les fondateurs de la francophonie, nés dans l'empire colonial et dont le français ne fut pas la langue maternelle ? ou chez des écrivains et intellectuels qui ont adopté le français comme une nouvelle « langue d'adoption » ? ou parmi les étudiants, les « apprenants le français », dans les Alliances françaises hors de l'Hexagone ? ».

La récente nomination d'un ancien Premier ministre, notre collègue Jean-Pierre Raffarin, comme représentant personnel du Président de la République auprès de l'OIF, en septembre 2009, laisse espérer une médiatisation accrue de la francophonie sur la scène internationale et une plus grande capacité à se saisir des enjeux mondiaux. La visite de M. Raffarin au Canada, en octobre 2009, a ainsi permis de mettre l'accent sur la nécessité d'élaborer une position francophone concertée sur la question du réchauffement climatique dans la perspective du sommet de Copenhague, mais aussi d'évoquer la place de la francophonie aux prochains Jeux olympiques d'hiver de Vancouver .

C. L'AVENIR DE LA FRANCOPHONIE

Du fait notamment du dynamisme de la natalité en Afrique mais aussi en France, le nombre de locuteurs francophones au monde n'a jamais été aussi important qu'aujourd'hui. On estime ainsi que 115 millions de personnes pratiquent quotidiennement le français dans le monde, soit une augmentation de 7,7 % par rapport à 1990, et 61 millions en font un usage partiel 10 ( * ) .

Dans ces circonstances, il n'y a pas lieu de se décourager. Votre rapporteur pour avis se veut optimiste et préconise la mise en oeuvre rapide des orientations approuvées par la commission de la culture à l'occasion de l'examen des crédits de la francophonie chaque année.

Votre rapporteur pour avis se félicite, notamment, qu'un certain nombre des recommandations émises par la commission de la culture pour redynamiser l'identité multiculturelle francophone aient été relayées par l'avis précité du Conseil économique, social et environnemental. Il souhaite ainsi rappeler les propositions qu'il avait formulées l'an dernier sur les crédits de la francophonie visant à insuffler un nouvel élan à notre espace francophone :

- la francophonie, vecteur de l'intégration en France : l'école, investie d'une mission centrale d'intégration, se doit de s'appuyer encore plus fortement sur l'apprentissage du français auprès des élèves issus de l'immigration et d'aller au-delà de l'enseignement « technique » de la langue (grammaire, orthographe, vocabulaire, syntaxe) en insistant sur la dimension culturelle qui s'attache à la langue française : en particulier les valeurs qu'elle sous-tend, dont la diversité culturelle, et les figures de proue de la francophonie (Césaire, Senghor, Bourguiba, Sihanouk, etc.). L'action et les succès remportés à ce titre par l'Association pour la diffusion internationale francophone de livres, ouvrages et revues (Adiflor), fondée en 1985 par M. Xavier Deniau, ancien ministre, va dans ce sens. Adiflor, soutenue par la puissance publique, a créé une « Bibliothèque francophone » disposant de livres scolaires adaptés à l'apprentissage et à la maîtrise du français par des enfants issus de l'immigration et scolarisés notamment en banlieue parisienne. L'opération, qui est accompagnée par l'inspection de l'éducation nationale, doit s'étendre à d'autres régions de France. En outre, le rapport au Parlement sur l'emploi de la langue française de la délégation générale à la langue française et aux langues de France de 2009 rappelle que la période 2008-2009 a vu se créer un opérateur unique pour l'accueil et de l'intégration des migrants, l' Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), chargé de poursuivre la mise en oeuvre du contrat d'accueil et d'intégration et de mettre en place le dispositif d'évaluation et de formation au français à l'étranger . Le bilan du contrat d'accueil et d'intégration pour la période 2003-2009 fait apparaître que sur 412 974 signataires, 104 750 personnes se sont vu proposer une formation à la langue française sanctionnée par le diplôme initial de langue française (DILF), soit 25 % des signataires, pour un taux de réussite de 89,3 % ;

- la nécessité de reconnaître la dimension multiculturelle de la francophonie, en valorisant les langues de la francophonie : le français admet de multiples déclinaisons nationales et la créativité des peuples francophones participe à l'enrichissement continu de la langue française d'expressions, d'une grammaire et d'un vocabulaire qui leur sont propres et qui s'écartent de la langue française dite classique. Ne disposant pas de légitimité académique, un grand nombre de ces originalités linguistiques francophones sont insuffisamment valorisées. En matière de promotion de la diversité linguistique et culturelle, les espaces francophones et anglophones ont vocation à unir leurs efforts. À cet égard, la présence du Président de la République française, représentant de la francophonie multilatérale, au sommet du Commonwealth à la fin du mois de novembre 2009, à Port-d'Espagne, à Trinidad et Tobago, a constitué une première et un signal encourageant vers une plus grande coordination des deux organisations dans leurs réponses à des défis globaux comme le réchauffement climatique et la valorisation de la diversité culturelle ;

- des États généraux francophones pour dépasser le caractère essentiellement intergouvernemental des institutions francophones et de conférer aux débats sur la francophonie une dimension plus populaire, en impliquant plus fortement les acteurs de la société civile, notamment les associations, les entreprises, les universitaires, etc.

Enfin, s'agissant de la préservation de la place du français comme langue de communication internationale et du respect de la diversité linguistique dans le fonctionnement des institutions internationales, votre rapporteur pour avis souligne l'importance de deux recommandations fondamentales émises par le président de votre commission de la culture, de l'éducation et de la communication, M. Jacques Legendre, et approuvées à l'unanimité par le Sénat à l'occasion de l'adoption d'une résolution européenne sur le respect de la diversité linguistique dans l'Union européenne :

- relancer la réflexion sur la mise en place de mécanismes d'évaluation et de contrôle communautaires spécifiquement dédiés à la question du multilinguisme institutionnel et à la prévention des discriminations fondées sur la langue dans l'Union européenne . À cet égard, le constat dressé par la DGLFLF dans son rapport de 2009 est alarmant : en 2008, 11,9 % des documents produits à la Commission européenne font l'objet d'une rédaction initiale en français, contre 73,55 % en anglais. En outre, à la Banque centrale européenne, l'anglais s'impose de facto comme langue de travail. Au Comité des régions comme au Conseil économique et social européen, l'usage de l'anglais comme langue d'origine des documents publiés progresse également. Néanmoins, le plan pluriannuel d'action pour le français dans l'Union européenne a bénéficié, en 2008, d'une contribution exceptionnelle de la France de trois millions d'euros. Au total, un peu plus de 9 000 personnalités gouvernementales, diplomates, fonctionnaires et journalistes accrédités auront été concernés par ce plan, et ce, pour des périodes relativement longues d'exposition à la langue française (de trois mois à un an pour 57 % d'entre eux), dont 7 850 dans les capitales des États, 920 à Bruxelles et Strasbourg, 400 dans les écoles nationales d'administration, l'Institut européen d'administration publique de Maastricht, les instituts diplomatiques et collèges d'Europe ;

- réaffirmer auprès de nos partenaires européens la nécessité de faire de l'enseignement obligatoire d'au moins deux langues étrangères la norme dans tous les systèmes éducatifs de l'Union européenne, afin de favoriser l' émergence d'un espace public européen multilingue .

* 7 Rapport d'information n° 519 (2008-2009) de M. Éric Doligé, fait au nom de la mission commune d'information outre mer du Sénat, déposé le 7 juillet 2009.

* 8 Langue française et diversité culturelle ; démocratie, paix et droits de l'homme ; éducation ; développement durable.

* 9 Le message culturel de la France et la vocation interculturelle de la francophonie, avis du Conseil économique, social et environnemental du 1 er juillet 2009, présenté par Mme Julia Kristeva-Joyaux, rapporteur au nom de la section des relations extérieures.

* 10 Le message culturel de la France et la vocation interculturelle de la francophonie, avis du Conseil économique, social et environnemental du 1 er juillet 2009, présenté par Mme Julia Kristeva-Joyaux, rapporteur au nom de la section des relations extérieures.

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