M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales. Bravo !

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi visant à garantir un mode de calcul juste et équitable des pensions de retraite de base des travailleurs non salariés des professions agricoles

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à garantir un mode de calcul juste et équitable des pensions de retraite de base des travailleurs non salariés des professions agricoles
Après l’article 1er

Article 1er

I. – La sous-section 1 de la section 3 du chapitre II du titre III du livre VII du code rural et de la pêche maritime est ainsi modifiée :

1° (Supprimé)

2° Après le mot : « proportionnelle », la fin du 2° de l’article L. 732-24 est ainsi rédigée : « exprimée en points, pour le calcul de laquelle il est retenu un nombre de points correspondant au produit du nombre annuel moyen de points porté au compte de l’assuré au cours des vingt-cinq années civiles d’assurance dont la prise en considération est la plus avantageuse pour l’intéressé par la durée d’assurance. Le montant de la pension est obtenu par le produit du nombre de points ainsi calculé par la valeur de service du point, revalorisée dans les conditions prévues à l’article L. 161-23-1 du code de la sécurité sociale. » ;

3° L’article L. 732-24-1 est abrogé ;

4° à 13° (Supprimés)

II. – Le I du présent article est applicable aux pensions liquidées à compter du 1er janvier 2026.

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Cuypers, sur l’article.

M. Pierre Cuypers. Mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de saluer Philippe Mouiller et Pascale Gruny pour leur travail exemplaire sur ce texte.

La présente proposition de loi est un jalon supplémentaire pour améliorer la condition des travailleurs non salariés agricoles. Son dispositif satisfait une revendication légitimement défendue par les syndicats et les acteurs de l’ensemble des filières.

Il ne faut pas négliger les chiffres : n’oublions pas que la retraite des pensionnés de droit direct, affiliés à titre principal, s’élève à 840 euros par mois en moyenne, contre 1 530 euros pour l’ensemble des retraités.

Si ce texte permet d’améliorer la situation des chefs d’exploitation les plus fragiles, je souligne toutefois que leur rémunération est conditionnée aux résultats, ce qui ne leur assure pas une visibilité optimale sur le montant de leur retraite.

Je tiens à rappeler que la mise en place de cette mesure dans les temps et sans fausse note est vitale pour les exploitants aux revenus modestes.

Je rappelle également que mes différentes interventions sur ce sujet, en mars et en mai 2018, puis en janvier 2019, ont été suivies de divers engagements du Gouvernement, dont aucun n’a finalement été tenu.

Par souci d’équité envers celles et ceux qui ont pris ou prendront leur retraite avant 2016, quelles mesures pourraient être prises pour revaloriser les retraites déjà liquidées ?

Les agriculteurs sont toujours plus nombreux à témoigner de l’angoisse que crée le flou entretenu autour de la question des retraites agricoles. Les documents manquants ou contradictoires, les feuilles qui s’égarent dans les bureaux de la MSA… Tout cela contribue à établir un climat incertain et sûrement préjudiciable.

Monsieur le ministre, notre agriculture, déjà essoufflée par la multiplication des normes, ne peut l’être davantage par la bureaucratie.

Cette proposition de loi est un premier pas vers la mise en place de l’intégralité des quarante-deux mesures que nous proposons, sur l’initiative de notre collègue Laurent Duplomb.

Dans un contexte social, politique et géopolitique incertain, le sujet est loin d’être anecdotique.

Le Gouvernement parle de « réarmement démographique » : à ce titre, il est urgent de préparer le réarmement alimentaire !

Monsieur le ministre, mes chers collègues, comme vous, nous savons qu’il n’y a pas de pays sans paysans. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Vincent Louault applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Franck Menonville, sur l’article.

M. Franck Menonville. À l’heure où la colère et la grogne du monde agricole montent, il est plus que nécessaire que la réforme du mode de calcul des pensions de retraite des non-salariés agricoles entre en vigueur au plus vite. Il s’agit là d’une mesure de justice sociale.

Ce texte arrive à point nommé. Il met un terme aux inégalités de traitement existantes, pour rétablir l’équité entre les assurés sociaux. Il contribue à renforcer l’attractivité du métier d’agriculteur, dans un contexte où, rappelons-le, la moitié des actifs partiront à la retraite dans les dix ans à venir.

On compte aujourd’hui 1,3 million d’anciens agriculteurs non salariés, percevant une retraite de 840 euros brut par mois en moyenne, contre 1 531 euros brut en moyenne pour les autres salariés retraités.

La loi du 13 février 2023, adoptée à l’unanimité par notre assemblée, tendait à faire converger le calcul de la pension de retraite agricole de base sur celui des salariés et des indépendants.

Les modalités de mise en œuvre de ce texte ont été précisées par le rapport – tant attendu ! – du Gouvernement remis le 30 janvier dernier, autour de trois scénarios. Or aucun d’entre eux ne répond totalement à l’impératif de justice que nous nous sommes fixé, en tant que législateur.

La présente proposition de loi vise à consacrer un nouveau mode de calcul fondé sur les vingt-cinq meilleures années de cotisations, tout en conservant le régime par points, à compter de 2026.

Si les attentes sont grandes, ce texte y répond. Il est urgent d’agir. Nous ne pouvons plus attendre : il faut mettre en œuvre cette réforme. Nous le devons bien à ceux qui nous nourrissent au quotidien. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Duplomb, sur l’article.

M. Laurent Duplomb. Je tiens tout d’abord à saluer et à remercier Philippe Mouiller et Pascale Gruny, qui ont travaillé ardemment sur ce texte.

Je rappelle que le nouveau mode de calcul des retraites de base des travailleurs non salariés agricoles, qui repose sur les vingt-cinq meilleures années, a d’ores et déjà été voté. Aussi, si l’on respectait vraiment le Parlement, il conviendrait de mettre en œuvre cette mesure !

Monsieur le ministre, on ne peut pas se satisfaire de propos laissant entendre qu’une telle réforme serait trop complexe et qu’elle coûterait trop cher, ni que l’on repousse, en conséquence, son application aux calendes grecques, à 2040 par exemple, ni même à 2028, comme il semble que vous l’ayez dit tout à l’heure.

Non, monsieur le ministre, vous ne pouvez pas systématiquement pratiquer le « en même temps » : on ne peut pas « en même temps » dire que l’on veut favoriser l’installation des jeunes agriculteurs et ne pas reconnaître le travail de ceux qui ont exercé le métier avant eux !

Vous ne pouvez pas laisser la situation actuelle se pérenniser et ne rien faire pour anticiper la mise en œuvre d’une mesure que nous avons votée, disposition qui, certes, n’équivaudra pas au paradis sur terre pour les retraités agricoles, mais qui contribuera à réévaluer un peu le montant de leur pension, aujourd’hui très insuffisant.

Vous ne sauriez laisser nos agriculteurs continuer à travailler, alors qu’ils sont parfois âgés de plus de 60 ans, voire 65 ans, tout simplement parce qu’ils n’ont aucun autre moyen de disposer de revenus décents !

La revalorisation des pensions des retraités agricoles traduit la reconnaissance de la Nation à leur égard, mais représente aussi un investissement pour l’avenir : si nous leur permettons de percevoir une retraite digne de ce nom, ils pourront enfin arrêter de travailler et profiter d’une vie moins difficile, ce qui favorisera l’installation de jeunes agriculteurs.

Par conséquent, monsieur le ministre, cessez de nous répondre que cette mesure coûte trop cher, alors que la France a dépensé des milliards d’euros ces sept dernières années et que le Gouvernement a pu nous donner l’impression que l’argent magique existait… Une telle réponse n’est pas acceptable quand on sait que la mesure que nous proposons pour les retraités agricoles ne coûterait, par comparaison, que 20 à 100 millions d’euros.

Écoutez enfin la voix de la raison ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre. Je n’avais pas prévu de m’exprimer, mais vos propos, monsieur Duplomb, m’incitent à le faire.

Monsieur le sénateur, il est regrettable que vous n’ayez pas été présent lors de mon propos liminaire : j’ai bien dit que le problème n’était pas budgétaire.

M. Laurent Duplomb. C’est bien ! Faites ce qu’il faut en ce cas !

M. Marc Fesneau, ministre. J’ai également indiqué que nous faisions face à une difficulté technique, qui ne nous permettait pas de mettre en œuvre, dès le 1er janvier 2026, ce système de revalorisation basé sur les meilleures années de revenus, mode de calcul voulu notamment par les organisations syndicales, que vous connaissez bien.

Je le répète, à ce stade, nous ne serions en mesure d’appliquer cette mesure qu’à compter de 2028. Cela étant, nous faisons tout notre possible pour qu’elle puisse entrer en vigueur dès 2026, malgré ce problème technique.

Comme vous n’avez manifestement pas eu le loisir de m’entendre tout à l’heure, je vous le redis : notre difficulté n’est pas d’ordre budgétaire.

Notre objectif est de faire en sorte que la mesure s’applique dans les meilleurs délais, mais nous ne pouvons éluder les obstacles pratiques. Ainsi, la MSA n’est pas capable de revenir sur les annuités cotisées avant 2016. C’est elle qui le dit, pas moi ! (M. Laurent Duplomb se montre dubitatif.) Je vous mets au défi de trouver une déclaration d’un représentant de la MSA qui affirmerait le contraire… C’est pourtant cette incapacité de la MSA à revenir sur tout ce qui est antérieur à 2016 qui pose problème aujourd’hui !

J’ai également déclaré tout à l’heure que le travail accompli par le président de la commission et par la rapporteure présentait l’intérêt de mettre en œuvre cette réforme dès 2026, mais le système par points n’a pas vocation à durer, puisqu’il est moins favorable que le régime basé sur les vingt-cinq meilleures années de revenus. Or c’est dans cette voie que nous essayons d’avancer.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er.

(Larticle 1er est adopté.)

Article 1er
Dossier législatif : proposition de loi visant à garantir un mode de calcul juste et équitable des pensions de retraite de base des travailleurs non salariés des professions agricoles
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Après l’article 1er

Mme la présidente. L’amendement n° 1, présenté par Mmes Lubin et Le Houerou, M. Kanner, Mmes Canalès, Conconne et Féret, MM. Fichet et Jomier, Mmes Poumirol, Rossignol et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Après l’article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l’article L. 732-24-1 du code du rural et de la pêche maritime, il est inséré un article L. 732-24-… ainsi rédigé :

« Art. L. 732-24 – … – I.– La Nation se fixe pour objectif de réformer le système de retraite de base des non-salariés des professions agricoles avant le 1er janvier 2030.

« II.– Les modalités d’application du I sont définies par décret en Conseil d’État. »

La parole est à Mme Monique Lubin.

Mme Monique Lubin. Cet amendement, identique à un amendement, déclaré irrecevable, que j’avais déposé en vue de l’élaboration du texte de la commission, vise à ce que le Gouvernement s’engage à travailler sur une refonte totale du système de retraite des agriculteurs.

Pourquoi ? Même si cela ne fera peut-être pas plaisir à certains de nos collègues de l’entendre, les retraites agricoles souffrent d’un mal originel, qui date de l’époque où les différents régimes de retraite ont été mis en place : à ce moment, les agriculteurs n’ont pas souhaité dépendre du même régime que les salariés.

Aujourd’hui, ils en paient le prix fort, le prix des choix faits par la profession agricole elle-même, qui a préféré placer son argent, via des investissements ou de l’épargne personnelle, plutôt que payer des cotisations sociales et s’assurer ainsi une couverture sociale digne de ce nom.

Même si cela ne plaît peut-être pas à certains que je le dise, c’est un fait !

Aujourd’hui, ayons le courage de mettre tout le monde autour d’une table, en premier lieu les organisations agricoles, et demandons-leur de tout remettre à plat, notamment d’élargir l’assiette des cotisations.

On ne peut pas, d’un côté, demander à percevoir une retraite agricole calculée sur les mêmes bases que celle des salariés et, de l’autre, ne pas payer les mêmes cotisations !

Je sais qu’un tel discours est difficile à tenir à un moment où un grand nombre d’agriculteurs – mais pas tous – ne vivent pas de leur travail. Il n’empêche que, si l’on veut enfin aboutir à quelque chose et cesser de mettre des cataplasmes sur des jambes de bois, il faudra bien redéfinir le système dans son intégralité. (M. Yannick Jadot applaudit.)

Mme la présidente. Le sous-amendement n° 2, présenté par Mme Souyris et M. Salmon, est ainsi libellé :

Amendement n° 1, après l’alinéa 4

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Cette réforme devra notamment mieux inciter l’ensemble des non-salariés agricoles, en particulier les conjointes collaboratrices et conjoints collaborateurs, à cotiser audit système de retraite de base.

La parole est à M. Daniel Salmon.

M. Daniel Salmon. Ce sous-amendement vise à compléter l’amendement de nos collègues socialistes, que nous soutenons complètement, et à soulever la question des conjoints, qui sont aujourd’hui bien souvent des conjointes.

Ces dernières subissent une double peine : d’une part, leur carrière ayant souvent été fractionnée, le montant de leur retraite est insignifiant ; d’autre part, elles doivent fréquemment assumer une autre fonction.

En effet, les agriculteurs étant exposés aux pesticides, ils sont sujets aux maladies professionnelles, qui se déclarent souvent, hélas ! au moment de la retraite. Leurs conjointes doivent alors assumer, en plus du reste, l’assistance à leur mari.

Il est donc urgent de prendre en compte la question des conjointes d’agriculteurs.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Pascale Gruny, rapporteur. Madame Lubin, votre amendement vise à fixer un objectif de réforme globale du régime de retraite de base des non-salariés agricoles. Bien entendu, nous partageons une partie de votre raisonnement.

Il est vrai que le système a besoin d’être simplifié, mais il est vrai aussi que la profession a fait des choix. Enfin, ceux qui ont travaillé pour nourrir la population française au retour de la guerre ont été quelque peu privilégiés dans ce régime de retraite. On l’a peut-être oublié aujourd’hui, mais ce paramètre est pris en compte dans les bases de calcul des pensions et peut expliquer le manque de cotisations.

Par ailleurs, c’est la faiblesse des revenus qui explique la faiblesse des pensions, et non l’architecture du régime. (Mme Monique Lubin le conteste.) Si, madame Lubin, c’est surtout la faiblesse des revenus !

De plus, n’oubliez pas que ce système est particulièrement redistributif. Si nous en modifions l’architecture, les plus faibles, dont vous parlez très souvent, risquent d’être pénalisés.

Quoi qu’il en soit, nous ne sommes pas d’accord avec vous sur un point : vous renvoyez à un décret les modalités d’application de votre amendement. Autrement dit, vous vous en remettez au Gouvernement, alors qu’il n’a jamais pris les décrets d’application de la loi Dive déterminant les paramètres de la réforme.

La commission émet donc un avis défavorable sur l’amendement n° 1.

Le sous-amendement n° 2, défendu par M. Salmon, vise à compléter l’amendement n° 1 et concerne les aidants familiaux et les conjoints collaborateurs. Là encore, nous sommes sensibles à la question soulevée. Vous pointez surtout le fait que la retraite agricole serait le résultat d’une forme d’optimisation sociale.

Certains agriculteurs, mais également – je l’ai moi-même constaté – des commerçants et artisans décident d’investir pour diminuer leurs revenus afin de payer moins d’impôts et de cotisations. Ce n’est évidemment pas une bonne solution. Je suis comptable de profession et je regrette que certains confrères – ils sont, je pense, une minorité – incitent les agriculteurs à ne pas cotiser pour leur retraite.

Il faut évidemment cotiser pour les conjoints collaborateurs, voire les salarier, afin de leur ouvrir des droits à la retraite et éviter les difficultés que vous relevez, lesquelles concernent principalement des femmes.

Toutefois, étant défavorable à la remise en cause du régime de base – cela ne signifie pas pour autant qu’il ne faudra pas y travailler –, la commission émet un avis défavorable sur ce sous-amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Marc Fesneau, ministre. Madame la sénatrice Lubin, je partage le point de vue de la rapporteure et une partie du vôtre.

Lors de la création du régime, le choix a été fait d’instaurer un système spécifique pour le monde agricole. Cela se justifiait par des questions démographiques, par l’organisation des structures agricoles et des revenus.

Je suis d’accord avec la rapporteure, le système est très redistributif. C’est l’une de ses vertus. Il convient donc de ne pas le rejeter en bloc – au reste, ce n’est pas ce que vous avez fait.

Par ailleurs, la prise en compte, sur laquelle nous travaillons, des vingt-cinq meilleures années de revenus dans le calcul du montant des pensions est un premier pas vers une convergence avec les autres régimes. Elle nous semble utile, mais le mécanisme pour y parvenir est complexe.

D’autres étapes seront nécessaires, car la démographie agricole n’est plus du tout la même que lors de la création du régime. En outre, de plus en plus de personnes intègrent la profession de manière plus tardive que leurs parents ou grands-parents ou sont polypensionnées. Notre système doit tenir compte de cette évolution.

Voilà ce sur quoi nous devons travailler, mais nous devons le faire progressivement. Nous avons un désaccord non pas de fond, mais de temporalité sur cette question. Nous sommes d’accord pour prendre en compte les meilleures années de revenus dans le calcul du montant des pensions, mais la proposition de loi prévoyant un système par points, je ne peux être favorable à cet amendement.

Il faut procéder par étapes. Vous ne pouvez pas bousculer dans son ensemble un système dont l’équilibre a été construit pendant des années, sauf à considérer que seule la solidarité nationale doit réparer les choix qui ont été faits il y a trente ans, quarante ans, pour ne pas dire soixante-dix ans.

M. Marc Fesneau, ministre. Chacun doit assumer ces choix du passé et travailler pour l’avenir. Il serait injuste de changer les règles pour ceux qui ont choisi de moins cotiser à une époque où le contexte était tout autre.

Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Sido, pour explication de vote.

M. Bruno Sido. Madame Lubin, votre intervention m’a étonné. En France, il existe deux régimes d’imposition du bénéfice agricole : le régime du forfait et le régime du bénéfice réel. De moins en moins d’agriculteurs optent pour le forfait, ils sont de plus en plus nombreux à choisir l’imposition au réel.

Le revenu forfaitaire des agriculteurs a longtemps été assez élevé dans la mesure où l’administration ne reconnaissait pas l’amortissement du matériel. Ce paramètre a finalement été introduit pour faire baisser le revenu forfaitaire imposable de ces agriculteurs, ce qui n’était que justice.

Pour l’administration, le bénéfice des agriculteurs imposés au réel est plus élevé qu’il ne l’est en réalité, car il comprend la rémunération des agriculteurs, qui ne sont pas salariés. Aussi est-il inexact de dire que l’assiette des cotisations sociales est relativement basse. C’est une erreur.

Par ailleurs, vous avez attaqué nos anciens qui avaient décidé de ne pas cotiser comme des salariés classiques. (Mme Monique Lubin proteste.) Il est vrai qu’ils avaient à l’époque choisi un autre système, mais avant la création de ce dernier, ils ne cotisaient tout simplement pas. Il s’agissait donc d’une première étape.

Au bout du compte, les agriculteurs actuels sont soumis au système voulu par nos anciens, qu’il faut désormais changer. À cet égard, cette proposition de loi est donc tout à fait bienvenue.

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Gremillet, pour explication de vote.

M. Daniel Gremillet. Je partage le point de vue de Bruno Sido.

Monsieur le ministre, je vous ai écouté avec beaucoup d’attention, mais je ne peux pas vous laisser dire que les agriculteurs ont fait un choix il y a soixante-dix ans. À cette époque, nos paysans ont été des bâtisseurs. (MM. Franck Menonville et Bruno Sido applaudissent.) Ces femmes et ces hommes ont travaillé pour nourrir le peuple. Ils n’ont pas eu le choix ! Or, aujourd’hui, on les abandonne.

On devrait avoir du respect pour ces femmes et ces hommes et leur en témoigner en termes de retraite. (Mme Laure Darcos applaudit.)

Je peux entendre que certains agriculteurs ont choisi, ces vingt dernières années, de cotiser ou non, mais remonter aussi loin qu’il y a soixante-dix ans est une provocation – je l’ai mal pris, monsieur le ministre – à l’égard de ceux qui ont alors vraiment mouillé la chemise. Je le répète : ils n’ont pas eu le choix. Personne ne s’en souvient, mais on avait faim à cette époque !

Comme Mme le rapporteur, j’estime qu’un travail de fond doit être réalisé en direction des agriculteurs, qui doivent investir dans leur retraite. Or, pendant très longtemps, les centres de gestion et de comptabilité qui accompagnent les agriculteurs ne leur ont pas conseillé de cotiser pour leur retraite. Cela commence seulement à être le cas. Avant cela, on leur conseillait d’investir dans de la ferraille – je me fais un peu provocateur – pour diminuer leurs revenus et moins cotiser. On en paie aujourd’hui les conséquences.

Mme Monique Lubin. C’est bien ce que je dis !

M. Daniel Gremillet. Comme l’a dit Bruno Sido, des exploitants soumis au régime du bénéfice réel perçoivent actuellement des retraites d’un montant inférieur à 1 000 euros. Pourtant, ils ont travaillé des heures et des heures.

C’est tout ce que je voulais vous dire. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre. Je ne peux laisser sans réponse l’intervention du sénateur Gremillet. On peut me faire grief de tout ce que l’on veut, mais on ne peut pas me reprocher de ne pas respecter la profession agricole. Vous me faites dire ce que je n’ai absolument pas dit !

Comme l’ont souligné plusieurs d’entre vous, y compris la rapporteure, la profession agricole a choisi un système de protection sociale – c’était logique à l’époque – à part, spécifique. Le moment est venu d’y réfléchir, c’est d’ailleurs pour cela que nous examinons cette proposition de loi et que le Gouvernement a mené des travaux sur la question.

Nul besoin de faire l’exégèse de mes propos, qui étaient tout à fait clairs. J’y insiste pour le cas où subsisterait le moindre doute. Il y a soixante-dix ans, le contexte était différent, la démographie agricole n’était pas du tout la même. Comme l’a dit le sénateur Duplomb, il convient de penser la retraite comme un élément d’attractivité permettant de favoriser l’installation de jeunes agriculteurs.

M. Jean-François Husson. La capitalisation !

M. Marc Fesneau, ministre. Nous devons travailler avec le monde agricole et faire en sorte que la rémunération des agriculteurs soit à la hauteur de leur engagement non seulement au cours de leur carrière, mais également lorsqu’ils prennent leur retraite.

Mme la présidente. Je mets aux voix le sous-amendement n° 2.

(Le sous-amendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 1.

(Lamendement nest pas adopté.)

Article 2

Les conséquences financières résultant pour les organismes de sécurité sociale de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services – (Adopté.)

Vote sur l’ensemble

Après l’article 1er
Dossier législatif : proposition de loi visant à garantir un mode de calcul juste et équitable des pensions de retraite de base des travailleurs non salariés des professions agricoles
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Daniel Salmon, pour explication de vote.

M. Daniel Salmon. Je tiens à expliquer les raisons pour lesquelles le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires s’abstiendra.

M. Jean-François Husson. C’est dommage !

M. Daniel Salmon. Cela a été dit, l’adoption de cette proposition de loi permettrait à certains agriculteurs de gagner 188 euros de plus par mois. La moyenne étant de 47 euros supplémentaires par mois, on comprend aisément que si certains gagnent 188 euros de plus, les autres gagneront 5, 10 ou 15 euros de plus qu’auparavant.

Les agriculteurs ne demandent pas l’aumône, ils veulent simplement percevoir une retraite décente, proportionnelle à leur investissement pour la Nation.

M. Daniel Salmon. Or cette proposition de loi n’est pas à la hauteur. C’est pourquoi nous nous abstiendrons.

Les revenus des agriculteurs sont très inégaux. Nous le savons, certains grands céréaliers, certains éleveurs porcins n’ont aucun problème à s’assurer des revenus pour leurs vieux jours, car ils ont pu investir dans l’immobilier.

M. Pierre Cuypers. Ce n’est pas vrai !

M. Daniel Salmon. Ce n’est pas le cas de nombreux agriculteurs. Dans mon département, certains éleveurs laitiers n’ont jamais eu de revenus suffisants leur permettant d’investir. C’est là que le bât blesse. Il va falloir agir pour ces véritables oubliés de la retraite agricole.

Labeur et labour ont la même racine latine : labor, qui signifie la peine, l’effort. Nos agriculteurs ont droit à une retraite qui soit vraiment à la hauteur de leur labeur.

Mme la présidente. La parole est à Mme Monique Lubin, pour explication de vote.

Mme Monique Lubin. Contrairement à ce que j’ai entendu, je n’ai insulté personne ni dit quoi que ce soit de désagréable.

Je viens du monde agricole et je connais parfaitement les raisonnements qui conduisaient, à une certaine époque, à payer le moins de cotisations possible à une espèce de monstre qui s’appelait l’« Amexa », c’est-à-dire l’assurance maladie des exploitants agricoles. Enfant, je me demandais ce qu’était ce truc auquel il fallait donner le moins d’argent possible. Je referme cette parenthèse personnelle.

Je ne manque de respect à personne, je dis simplement qu’il faut voir la réalité en face : à l’heure actuelle, les retraites agricoles ne sont financées qu’à hauteur de 20 % par les cotisations. Cela veut bien dire que le système est alimenté par d’autres sources.

Comme l’a dit M. le ministre, beaucoup de choses ont évolué depuis cinquante ans : la population agricole n’est pas la même, les revenus sont différents et différenciés. Il faut avoir le courage de tout remettre à plat.

Pour ma part, je suis favorable à ce que les agriculteurs aient une très bonne retraite, tout comme les salariés. Monsieur Duplomb, vous avez déploré le fait que des agriculteurs soient forcés de continuer de travailler au-delà de 65 ans. Des salariés aussi doivent eux aussi continuer de travailler après 64 ans et cela, je ne l’ai pas voulu, contrairement à vous ! La réforme des retraites ayant bientôt un an, j’ai plaisir à vous la rappeler.

Cela étant dit, comme nous sommes favorables à tout ce qui peut améliorer un tant soit peu le régime de retraite des non-salariés agricoles, ce qui est le cas de cette proposition de loi – son adoption ne changera toutefois rien : certains continueront d’avoir plus, d’autres d’avoir moins –, nous la voterons. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)