PRÉSIDENCE DE Mme Sylvie Robert

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

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Mise au point au sujet d’un vote

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Anglars.

M. Jean-Claude Anglars. Lors du scrutin public n° 123, sur l’ensemble de la proposition de loi visant à garantir la confidentialité des consultations juridiques des juristes d’entreprise, notre collègue Henri Leroy souhaitait voter contre.

Mme la présidente. Acte est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle figurera dans l’analyse politique du scrutin.

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Dossier législatif : proposition de loi visant à garantir un mode de calcul juste et équitable des pensions de retraite de base des travailleurs non salariés des professions agricoles
Discussion générale (suite)

Retraite de base des travailleurs non salariés des professions agricoles

Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à garantir un mode de calcul juste et équitable des pensions de retraite de base des travailleurs non salariés des professions agricoles, présentée par M. Philippe Mouiller et plusieurs de ses collègues (proposition n° 307, texte de la commission n° 423, rapport n° 422).

Discussion générale

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à garantir un mode de calcul juste et équitable des pensions de retraite de base des travailleurs non salariés des professions agricoles
Article 1er

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. Philippe Mouiller, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Nadia Sollogoub applaudit également.)

M. Philippe Mouiller, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, au moment où nous commençons notre débat, la colère du monde agricole n’est pas éteinte. Nous savons tous que celle-ci a des causes multiples, et que le texte que nous allons examiner ne réglera pas tout.

Cependant, nous savons aussi, depuis de nombreuses années, que le niveau des pensions de retraite des exploitants agricoles est bien plus bas que celui des autres travailleurs et qu’il n’a absolument pas de rapport avec le travail fourni par les agriculteurs, ce qui constitue une véritable injustice.

Il y a un peu plus d’un an, nous étions déjà réunis pour examiner la proposition de loi de notre collègue député Julien Dive, que nous avons adoptée sans une voix dissonante. Par celle-ci, devenue loi du 13 février 2023 visant à calculer la retraite de base des non-salariés agricoles en fonction des vingt-cinq années d’assurance les plus avantageuses, le législateur a fixé le principe du calcul des pensions de retraite agricole à partir des vingt-cinq meilleures années, de façon globale.

Ce principe, qui s’applique à l’immense majorité des travailleurs du privé, s’impose encore plus pour les exploitants agricoles, dont les revenus sont soumis à d’importants aléas.

Néanmoins, pour vertueuse que fût la « loi Dive », elle manquait peut-être de précision. En tout état de cause, après avoir affirmé l’objectif de la réforme des retraites agricoles, elle confiait au Gouvernement toute autorité pour en définir les modalités pratiques.

Le Sénat et sa commission des affaires sociales n’ont certes pas ignoré ce risque : notre rapporteur, Pascale Gruny, dont je salue l’engagement et le travail quotidien sur ce sujet, nous a alertés, appelant notre assemblée à rester extrêmement vigilante sur l’application de la loi.

Toutefois, sur une telle question, nous n’avons pas souhaité prolonger la navette, pour ne pas retarder le début des travaux de préparation de la réforme, donc sa mise en œuvre, fixée à 2026. Nous avons fait le pari de la confiance au Gouvernement, que nous avons habilité à agir au plus vite.

Hélas, monsieur le ministre, si nous attendons les prochaines annonces, nous devons bien constater aujourd’hui que ce pari est en passe d’être perdu !

Ainsi, la loi prévoyait que le rapport de préfiguration de la réforme nous soit remis dans un délai de trois mois. Un an plus tard, après vous avoir interpellé en vain, à de nombreuses reprises, sur la date de rendu de ce document, nous avons appris avec étonnement – c’est un euphémisme ! – que la presse avait pu le consulter avant la représentation nationale.

Il a fallu que nous usions des pouvoirs de contrôle qui nous sont conférés par la loi organique et fassions savoir au Premier ministre notre intention de nous rendre à Matignon afin de récupérer le rapport pour que celui-ci nous soit finalement transmis. Alors que Pascale Gruny s’était mobilisée le matin, nous avons reçu – comme par hasard… – le document l’après-midi même.

Je vous le dis franchement, monsieur le ministre : un tel manque de considération à l’égard du Parlement n’est pas acceptable.

M. Jacques Grosperrin. Vous avez raison !

M. Philippe Mouiller. Les rapports officiels ne sauraient être connus par la représentation nationale uniquement par voie de presse.

Le pire était pourtant à venir, à la lecture de ce fameux travail et du scénario de réforme visiblement privilégié par le Gouvernement : une véritable usine à gaz technocratique, distinguant deux parties dans la carrière des agriculteurs – avant et après 2016 –, mêlant deux modes de calcul, par annuités et par points, pratiquement impossible à mettre en œuvre, en tout cas incompréhensible pour la quasi-totalité des assurés.

Tout cela pour quel résultat concret ? Presque un tiers de perdants, une moitié d’agriculteurs qui ne percevraient aucun changement, un agriculteur sur cinq seulement qui y gagnerait. J’y insiste, ce choix ferait sensiblement plus de perdants que de gagnants.

Le jeu en valait-il la chandelle ? Nous pourrions presque en rire si une telle provocation ne risquait d’alimenter la profonde colère sociale ressentie dans nos campagnes.

À l’inverse, ce rapport passe sous silence ou presque le scénario du calcul des pensions de retraite agricoles sur les vingt-cinq meilleures années en points, pour lequel les rapporteurs de l’Assemblée nationale et du Sénat avaient manifesté avec insistance leur préférence lors de l’examen de la proposition de loi Dive.

Deux pages seulement, sur plus de 300, sont consacrées à ce scénario, et seulement pour indiquer que celui-ci n’a pas fait l’objet d’un examen approfondi, à la demande du Gouvernement. Ce voile pudique est d’autant plus étonnant que l’inspection générale des affaires sociales (Igas) avait présenté ce même scénario au Parlement, en 2012, comme le seul à ne pas faire de perdants.

Face à cet enterrement programmé de toute réponse sérieuse à la demande de justice de nos agriculteurs en matière de retraite, le Parlement avait le devoir de réagir. C’est pourquoi, dès le lendemain de la communication du rapport, j’ai déposé, avec Pascale Gruny, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui.

Dans le scénario privilégié par le Gouvernement, c’est le passage à un régime par annuités et la disparition d’un barème redistributif d’attribution de points de retraite qui causeraient l’essentiel des pertes pour les agriculteurs. Pour éviter cela, il faut que le passage au calcul des pensions sur la base des vingt-cinq meilleures années aille de pair avec le maintien d’un régime par points. Autrement dit, il faut calculer les pensions de retraite agricoles sur la base des vingt-cinq meilleures années en points.

Tel est le sens de ce texte, qui a reçu le soutien le plus ferme de la Mutualité sociale agricole (MSA) et de la profession.

Pascale Gruny nous l’a dit : le coût de cette réforme serait bien inférieur à celui qu’avait anticipé l’Igas en 2012. Il avoisinerait au maximum 300 millions d’euros d’ici à vingt ans, loin des 500 millions d’euros projetés.

Au reste, les seuls assurés qui n’y gagneraient pas n’y perdraient pas non plus. Il s’agit de ceux dont la pension est portée, aujourd’hui, au niveau des minima du régime agricole et restera, demain, malgré l’amélioration du niveau des pensions, en dessous de ce niveau : ils continueront à bénéficier des minima. Quant aux autres, la réforme leur apportera un complément de pension non négligeable, pouvant aller jusqu’à 190 euros par mois.

À ceux qui, pour masquer leur embarras, nous opposeront des arguties techniques ou nous expliqueront que ce dispositif ne serait pas applicable, je dirai deux choses simples.

D’une part, nous l’avons vu, ce mode de calcul est précisément celui que l’Igas préconisait dès 2012. Nous en avons simplement extirpé les détails qui pouvaient encore créer de rares perdants. C’est un gage de sérieux, me semble-t-il.

D’autre part, aux dires mêmes du gestionnaire du régime, la MSA, dont nous avons entendu les représentants en commission, non seulement ce scénario est applicable, mais il est même le seul à pouvoir être appliqué dès 2026, ce qui permet de respecter l’engagement qui a été pris.

Permettez-moi d’insister sur cette échéance, monsieur le ministre. Depuis plusieurs semaines, on nous habitue à l’idée que la réforme n’entrera pas en vigueur avant 2028. De fait, les scénarios examinés par le Gouvernement sont si complexes qu’il est probable qu’aucun d’entre eux ne puisse techniquement être mis en œuvre avant cette date, voire plus tard.

Or souvenons-nous que la proposition de loi de Julien Dive prévoyait initialement une entrée en vigueur en 2024. Si le Parlement a accepté, l’an dernier, de repousser celle-ci à 2026, une chose est claire : la profession comme la majorité sénatoriale n’admettront pas un nouveau report, et encore moins un enterrement de cette réforme.

La loi est l’expression de la volonté générale, non une recommandation. Elle ne suggère rien au Gouvernement ; elle l’oblige. Le législateur s’étant prononcé l’an dernier, il revient au Gouvernement d’appliquer sa décision à la date prescrite.

Avec cette proposition de loi, nous vous aidons, monsieur le ministre : nous avons trouvé une solution qui vous permettra de trouver la voie du respect de vos engagements. Vous devriez remercier le Sénat de cette initiative, qui vous donne la possibilité, grâce aux nombreux travaux que nous avons menés, de tenir les engagements pris à la fois par le Président de la République et par le Gouvernement.

Mes chers collègues, nous représentons les territoires de France. Nous savons ce que l’agriculture représente pour notre pays ; nous savons quels efforts consentent chaque jour celles et ceux qui nous nourrissent.

Nous sortons d’une période de crise, durant laquelle une liste d’engagements a été prise pour l’ensemble de la profession agricole. En votant ce texte, nous pouvons largement répondre à l’attente concernant les pensions.

Le respect de l’engagement politique est essentiel, car, dans les campagnes, les bruits n’ont pas cessé, les mécontentements sont toujours là. Nous devons être extrêmement prudents, compte tenu des engagements qui ont été pris.

Nous devons, dans un souci de justice élémentaire, tenir la promesse d’une retraite améliorée que, tous ensemble, nous avons faite aux agriculteurs l’année dernière.

Je forme le vœu que nous retrouvions la même unanimité aujourd’hui sur ce texte, qui répond à un engagement pris il y a déjà plusieurs mois. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mmes Jocelyne Guidez et Nadia Sollogoub applaudissent également.)

Mme Pascale Gruny, rapporteur de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la sagesse populaire ne nous exhorte-t-elle pas à ne jamais mordre la main qui nous nourrit ?

Le changement climatique entraîne aujourd’hui et entraînera encore, demain, des conséquences extrêmement néfastes sur les récoltes et les revenus agricoles.

Comment rester impassibles face au naufrage de l’agriculture française ? Il n’est plus temps d’attendre : il faut agir ! C’est précisément ce que nous vous proposons aujourd’hui.

Il y a un an, nous adoptions ici même, à l’unanimité, la proposition de loi de notre collègue député Julien Dive visant à fixer, à l’horizon de 2026, un objectif de calcul des pensions de retraite des non-salariés agricoles sur la base de leurs seules vingt-cinq meilleures années d’activité. Ces pensions reposent actuellement sur l’ensemble de leur carrière, dans le cadre d’un système par points, ce qui les désavantage injustement par rapport aux salariés et aux autres travailleurs indépendants. Tous ensemble, nous avons alors dit et redit notre souhait de voir la réforme profiter rapidement et réellement à nos paysans.

Hélas, un an a passé, monsieur le ministre, et que de désillusions !

La loi autorisait le Gouvernement à déterminer lui-même les paramètres de cette réforme, lesquels devaient faire l’objet d’une évaluation remise au Parlement dans un délai de trois mois.

Je m’étais inquiétée, dans mon rapport, de cette habilitation illimitée, qui n’accordait aucun droit de regard au Parlement. Nous avions cependant choisi de faire confiance au Gouvernement, au terme d’auditions qui m’avaient confirmée dans l’idée que nous irions de concert vers le scénario identifié par Yann-Gaël Amghar, dans un rapport de 2012, comme le seul à ne pas faire de perdants.

Il ne s’agissait pas de basculer d’un régime par points à un régime par annuités, mesure délétère qui ferait perdre aux exploitants les plus modestes le bénéfice d’un barème d’attribution des points de retraite particulièrement redistributif, qui leur garantit aujourd’hui un taux de remplacement supérieur au taux plein de 50 % applicable dans les régimes alignés.

Au contraire, il s’agissait de fonder le calcul des pensions sur les vingt-cinq meilleures années de points. En d’autres termes, la réforme devait consister à attribuer aux assurés, pour chaque année de leur carrière, un nombre de points égal au nombre annuel moyen de points acquis au cours de leurs vingt-cinq années d’assurance les plus avantageuses.

Mon collègue Julien Dive, à l’Assemblée nationale, et moi-même, au Sénat, avions clairement indiqué notre souhait que ce scénario soit retenu. Je pensais jusqu’alors que nous avions été entendus et compris.

Vous comprendrez donc, monsieur le ministre, ce que fut ma surprise à la lecture du rapport remis au Parlement.

Soit dit en passant, ce rapport n’a été remis qu’un an après la promulgation de la loi, qui fixait pourtant un délai de trois mois…

Par ailleurs, il ne l’a été qu’après que j’eusse informé le Premier ministre de mon intention d’user des prérogatives accordées par la loi organique aux rapporteurs de la commission des affaires sociales afin de me rendre en personne à Matignon pour en obtenir communication.

Enfin, le rapport n’a été remis qu’après avoir été allègrement consulté par la presse, visiblement érigée en troisième chambre du Parlement.

Quoi qu’il en soit, j’ai constaté que les rapporteurs n’avaient examiné, à la demande du Gouvernement, que trois scénarios de réforme, écartant d’un revers de main l’option retenue par le législateur, en se bornant à noter que celle-ci ne pouvait matériellement pas faire de perdants.

Que dire des scénarios évalués dans ce cadre ? La chose est relativement simple. Ces derniers ont en commun trois caractéristiques : une montée en charge extrêmement longue, courant, pour l’un d’entre eux, jusqu’aux années 2060 ; une extraordinaire complexité technique, mêlant points et annuités pour le calcul des pensions des différents assurés et, parfois, de la pension d’un même assuré ; un caractère fortement inéquitable, dans la mesure où une importante proportion d’assurés perdraient à la réforme, tandis que la majorité d’entre eux ne verraient aucun changement du montant de leur pension.

Le scénario qui aurait actuellement vos faveurs, monsieur le ministre, consiste à calculer, pour la partie de la carrière antérieure à 2016, une fraction de la pension dans le cadre de l’actuel système par points, puis, pour la partie de la carrière postérieure à 2015, une seconde fraction selon les paramètres des régimes par annuité, en ne retenant, pour cette dernière partie, qu’un nombre de meilleures années calculé au prorata de la durée de la seconde partie de la carrière par rapport à celle de l’ensemble de la carrière. J’ai bien peur, mes chers collègues, de vous avoir perdus… (Sourires.)

En dépit de cette complexité inouïe, 30 % des assurés subiraient des pertes, tandis que seulement 20 % bénéficieraient de gains. Il m’a été indiqué, au cours des auditions que j’ai menées, que le Gouvernement réfléchissait à limiter la proportion de perdants, en favorisant la convergence vers les régimes alignés.

Vous aurez malheureusement beau faire, monsieur le ministre, ce scénario fera toujours des perdants, y compris parmi les plus fragiles ! De fait, de l’aveu même des auteurs du rapport, les assurés à bas revenus ou à carrière heurtée qui ne bénéficieraient pas du taux plein ni, par conséquent, des minima de pension seraient lésés par l’abandon du régime par points.

Ce n’est pas acceptable, et c’est la raison pour laquelle nous vous proposons, avec le président de la commission des affaires sociales, Philippe Mouiller, dont je salue l’initiative, d’abroger les dispositions de la loi Dive, c’est-à-dire l’habilitation accordée au Gouvernement à déterminer par décret les paramètres de la réforme, pour inscrire nous-mêmes directement dans la loi les paramètres les plus justes et les plus équitables.

Cette solution est extrêmement simple, ce qui ne serait pas un luxe dans le cas particulier de ce régime : elle consiste à calculer les pensions liquidées à compter du 1er janvier 2026 sur la base des vingt-cinq meilleures années de points.

Pour parler plus clairement, il serait accordé à chaque assuré, pour chaque année de sa carrière, un nombre de points correspondant au nombre annuel moyen de points acquis pendant ses vingt-cinq années d’assurance les plus avantageuses. Le nombre total de points ainsi calculé serait alors multiplié par la valeur de service du point, comme on le fait aujourd’hui pour déterminer le montant de la pension.

En parallèle, la proposition de loi prévoyait la fusion de la part forfaitaire et de la part proportionnelle de la pension de retraite de base des non-salariés agricoles. Il s’agissait d’une volonté louable de simplification, tant l’architecture du régime est devenue illisible et incompréhensible pour la plupart de nos concitoyens.

Néanmoins, la Mutualité sociale agricole n’étant pas en mesure d’estimer avec précision les effets de cette mesure, et tandis que la retraite forfaitaire constitue un puissant instrument de redistribution, dans la mesure où son montant est le même, quel que soit le niveau des revenus, pour une carrière de même durée, la commission a supprimé les dispositions prévoyant cette fusion, pour ne conserver que celles qui portent sur le mode de calcul des pensions à proprement parler.

Au reste, moins nous modifierons les paramètres régissant le fonctionnement du régime, plus nous simplifierons la tâche de la MSA, garantissant ainsi l’applicabilité de la réforme au 1er janvier 2026.

Je l’ai dit et redit, et je veux le répéter encore aujourd’hui dans cet hémicycle : la réforme que nous proposons est la seule qui soit conforme à l’esprit de la loi que nous avons votée l’an dernier.

Je veux dire par là qu’elle est la seule – nul ne le nie, du reste – à ne pouvoir faire que des gagnants, ou, au moins, des « non-gagnants » parmi les assurés à la carrière linéaire.

Je veux également dire par là qu’elle est la seule à pouvoir être intégrée au système d’information de la MSA dans le délai imparti par la loi Dive et à pouvoir entrer en vigueur en 2026.

Au cours de mes travaux, j’ai interrogé la direction de la sécurité sociale sur sa capacité à s’engager sur la mise en œuvre du scénario retenu par le Gouvernement dès 2026. Pour toute réponse, je n’ai obtenu que le flou le plus total, et sans garantie aucune. La possibilité d’une application rétroactive a même été évoquée…

Je tiens à être particulièrement claire sur ce point, monsieur le ministre : la loi votée par le Parlement prévoit une réforme des retraites agricoles à date d’effet au 1er janvier 2026. Nous nous assurerons du respect de cette disposition.

Je ne saurais conclure mon propos sans évoquer l’aspect financier du problème, le nerf de la guerre. Nous avons bénéficié, sur ce point, des lumières de la MSA, que je remercie de ce travail, dans la mesure où les auteurs du rapport remis au Parlement n’ont absolument pas examiné les incidences d’une réforme de cet ordre, à la demande du Gouvernement.

En l’occurrence, il apparaît que les multiples réformes intervenues ces dernières années en matière d’élargissement des assiettes minimales de cotisations et de revalorisation des minima de pension ont considérablement réduit le coût projeté, en 2012, par M. Amghar. À son point culminant, c’est-à-dire en 2046, ce coût atteindrait un niveau compris entre 285 millions d’euros et 322 millions d’euros en fonction de l’évolution de la démographie du régime, puis il commencerait à diminuer. Nous sommes donc loin des presque 500 millions d’euros anticipés à l’époque !

Je relève, au surplus, que la branche vieillesse du régime des non-salariés agricoles devrait, toutes choses égales par ailleurs, afficher un excédent annuel de l’ordre de 900 millions d’euros en 2027 – de quoi, ce me semble, pouvoir faire face à cette charge nouvelle avec confiance.

Mes chers collègues, j’ai tenté, dans le temps qui m’était imparti, de vous exposer l’urgence de la situation et les principaux enjeux qui s’attachent à l’adoption de cette proposition de loi.

Je vous invite désormais à manifester une fois de plus votre soutien unanime à la paysannerie française, au monde agricole, à nos agriculteurs et à leurs familles, en adoptant ce texte à la majorité la plus large possible. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Marc Fesneau, ministre de lagriculture et de la souveraineté alimentaire. Madame la présidente, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, cette proposition de loi est examinée alors que nous traversons une crise agricole. Comme vous l’avez souligné, monsieur le président de la commission, elle ne résoudra certes pas tout, mais elle porte sur le sujet important que constitue le revenu des agriculteurs, non pas pendant la carrière, mais à la fin de celle-ci. Après des années de travail consacrées à nourrir notre pays, les agriculteurs doivent pouvoir vivre dignement de leur retraite.

Le Premier ministre s’était d’ailleurs engagé, au moment des mobilisations agricoles, à continuer d’améliorer les retraites des agriculteurs. C’était aussi et surtout une volonté du Parlement, soutenue par le Gouvernement – et non l’inverse – de manière continue ces dernières années.

L’examen de cette proposition de loi m’offre l’occasion de préciser devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs, le chemin que nous entendons suivre, à l’issue d’un travail mené avec les parlementaires et les organisations professionnelles agricoles.

Nous ne partons pas d’une page blanche : depuis 2017, plusieurs initiatives parlementaires ont été l’occasion de travailler à l’amélioration des retraites agricoles. Les gouvernements successifs comme les parlementaires, toutes sensibilités confondues, se sont fortement engagés en faveur de la revalorisation, en particulier des petites pensions.

L’objectif de ces réformes a toujours été le même : concilier la prise en compte des spécificités agricoles et permettre la convergence vers les autres régimes.

Les avancées sont réelles. Ainsi, deux lois portées par le président Chassaigne à l’Assemblée nationale et adoptées à l’unanimité par celle-ci comme par le Sénat ont permis de progresser sur un certain nombre de sujets – il me paraît important de rappeler les fruits de notre travail collectif et de nous en féliciter. Le minimum de pension pour les chefs d’exploitation a alors été revalorisé de 75 à 85 %, et le calcul de la pension minimale pour les conjoints – des femmes, pour la plupart – a été rendu plus équitable. Quelque 200 000 retraités, dont 70 % de femmes, ont bénéficié de ce dernier dispositif.

Ces revalorisations ont produit des effets concrets.

Au total, ces deux lois ont permis de revaloriser les pensions de plus de 330 000 anciens agriculteurs et agricultrices, soit un tiers des retraités du régime. Le gain est significatif pour de nombreux agriculteurs – chacun le reconnaît –, puisqu’il s’établit, malgré des disparités, à 100 euros en moyenne.

Alors que nous évoquons souvent l’importance du revenu agricole ainsi que les difficultés que rencontrent nombre d’agriculteurs à trouver ce revenu au moment de la retraite, ces revalorisations contribuent à répondre à ces difficultés.

Cela signifie-t-il pour autant que la totalité du chemin a été parcourue ? Je suis obligé de reconnaître que non ! Telle est d’ailleurs précisément la raison pour laquelle nous examinons aujourd’hui la présente proposition de loi du président Mouiller, dont je salue le travail de grande qualité, dans le prolongement des débats sur la proposition de loi dite Dive que nous avons eus voilà un an.

J’ajoute que nous sommes confrontés à des enjeux historiques en matière de renouvellement des générations, et que le régime de retraite agricole, que vous avez un peu décrit, madame la rapporteure, est, reconnaissons-le, assez complexe.

Mme Pascale Gruny, rapporteur. Il est très complexe !

M. Marc Fesneau, ministre. Ce n’est pas le seul régime qui soit complexe, mais il l’est particulièrement, car il est le produit d’une sédimentation et d’ajouts. Je ne suis pas certain qu’une chatte y retrouverait ses petits !

Cette complexité nuit à la lisibilité du système, alors que les jeunes – ou les moins jeunes – qui s’installent ont besoin de visibilité quant au montant de leur retraite.

Le principe d’un calcul des retraites agricoles en fonction des vingt-cinq meilleures années me paraît consensuel. Le rapport qui vous a été remis montre que la mise en œuvre de cet objectif soulève de nombreuses questions, ce qui ne veut pas dire que nous ne voulons pas avancer – j’y reviendrai dans ma conclusion.

Ces questions sont lourdes. Je les ai déjà évoquées publiquement, y compris dans cet hémicycle.

Comment concilier un calcul fondé sur les vingt-cinq meilleures années, comme pour les régimes de base par annuités des salariés et des indépendants, et un système construit pour être redistributif, dont nous pouvons être fiers et que les lois Chassaigne ont, d’une certaine façon, conforté ?

Comment passer d’un régime par points à un régime par annuités ?

Comment faire entrer en vigueur dès 2026 – ce n’est pas la moindre des gageures – une réforme qui nécessite, au préalable, une adaptation d’une très grande ampleur des systèmes, en particulier informatiques, de la MSA ? Cette dernière nous a d’ailleurs dit ne pas être en mesure de reconstituer les choses pour la période antérieure à 2016, ce qui n’est pas la moindre des difficultés.

Toutes ces questions méritent d’être posées et appellent des réponses aussi précises que possible.

Le délai de remise du rapport de préfiguration de la réforme a suscité de nombreuses critiques – cela a été dit, et sera sans doute répété après moi. Je les endosse. En tant qu’ancien ministre chargé des relations avec le Parlement, j’ai le souci que le Gouvernement travaille en bonne intelligence avec le Parlement, même si de tels écueils peuvent se présenter.

J’ajoute toutefois, et je ne le dis pas à bas bruit, que le Gouvernement avait publiquement alerté, lors de l’examen de la proposition de loi, sur les difficultés qu’il rencontrerait à tenir un délai aussi court que trois mois, au regard de la complexité du sujet. Je n’irai pas jusqu’à dire que nous avons tenu notre promesse, mais force est de constater que nous avons été rattrapés par cette complexité.

De fait, loin de constituer un simple ajustement, cette réforme emporte – et c’est tant mieux – une évolution majeure de l’édifice de protection sociale des agriculteurs que nous bâtissons depuis 1952.

Le rapport qui a été remis présente plusieurs scénarios. Le choix a été fait – cela a été dit, je n’y reviens pas – d’approfondir ceux d’entre eux qui sont fondés sur la sélection des meilleures années de revenus.

Pour rebondir sur les propos qui ont été tenus par le président Mouiller – nous sommes d’accord sur ce point –, je précise que la demande de la profession est bien l’instauration d’un mécanisme transitoire jusqu’en 2028 – nous serions de toute façon incapables de basculer avant cette date vers un mécanisme basé sur les revenus – et d’un système fondé sur les vingt-cinq meilleures années de revenus, et non par points. C’est ce souhait que nous nous efforçons d’honorer, et c’est en ce sens que nous devrons, à terme, avancer.

C’est dans ce contexte, et en tenant compte des impératifs que j’ai mentionnés, que nous examinons cette proposition de loi.

Vous proposez, monsieur Mouiller, de sélectionner, dans la carrière des agriculteurs, les vingt-cinq meilleures années de points.

Il me paraît tout d’abord utile de rappeler que cette proposition ne serait pas tout à fait cohérente avec la logique d’un régime de retraite par points, système dans lequel, par définition, les actifs cumulent les points pendant l’intégralité de leur carrière. Or votre proposition entraînerait une valorisation différente de points acquis dans les mêmes conditions par deux agriculteurs, en fonction de la situation de chacun d’entre eux au sein de leur carrière respective.

Au-delà de ce manque de cohérence interne, il est plus problématique que cette proposition serait susceptible d’écarter le régime de retraite des agriculteurs d’une trajectoire de convergence vers le régime des salariés et des autres travailleurs indépendants, qui est pourtant notre objectif – partagé, me semble-t-il. Or, au-delà du fait qu’elle est ardemment souhaitée par certaines organisations professionnelles, cette convergence me semble justifiée dans un contexte où la grande majorité des agriculteurs exercent de moins en moins ce métier durant toute leur carrière, tendance qui ira en s’accentuant, et font de plus en plus d’allers-retours dans d’autres activités, salariées ou non – dans le secteur agricole ou ailleurs, du reste. Nous aurons donc probablement de plus en plus de polypensionnés.

Dans un monde où les agriculteurs cumulent des pensions de différents régimes et seront de plus en plus nombreux à le faire, compte tenu du renouvellement des générations en cours, il est nécessaire que les règles en matière de retraite soient proches de celles des autres régimes. Une telle convergence est un gage de lisibilité, donc de confiance.

Plus encore, elle permettrait d’améliorer le montant des pensions des agriculteurs, en supprimant les mauvaises années agricoles et en ne conservant que les meilleures au sein de leur carrière agricole – puis au sein de l’ensemble de leur carrière, lorsque l’alignement sera complet, comme nous le souhaitons.

Je vous confirme donc, mesdames, messieurs les sénateurs, que notre objectif est de poursuivre nos travaux et de les accélérer, avec les organisations professionnelles, dans les semaines, voire les jours qui viennent, dans l’esprit de la loi Dive, votée l’an dernier, et afin d’améliorer concrètement les pensions de nos agriculteurs.

La convergence vers laquelle tend la loi Dive pourrait toutefois rencontrer deux obstacles, que nous travaillons à lever afin de répondre enfin à vos demandes.

Il nous faut d’abord étudier la situation des personnes qui pourraient prétendre à une meilleure pension dans un régime à points plutôt que par annuités – vous l’avez tous deux évoquée, madame la rapporteure et monsieur le président de la commission. Il s’agit de limiter les effets de bord. Nous y travaillons, et nous sommes près de trouver des solutions.

Les conclusions du rapport qui vous a été remis indiquent que des travaux complémentaires sont nécessaires. Ils ont commencé, en lien avec les organisations professionnelles.

Cette réforme aurait ensuite des implications importantes sur le plan informatique pour la MSA et la Caisse nationale d’assurance vieillesse. Nous devons avancer sur ce sujet, pour retenir la solution la plus sécurisée possible.

En tout état de cause, permettez-moi de rappeler les conclusions du rapport au sujet de la liquidation. Compte tenu du fait que la MSA ne dispose de l’historique des revenus que depuis 2016, un régime basé sur les vingt-cinq meilleures années de revenus nécessiterait de procéder à une double liquidation au moment où il entrerait en vigueur : sur la base des règles actuelles, en points, pour les périodes antérieures à 2016, et sur la base des règles nouvelles, c’est-à-dire sur les revenus, pour les périodes postérieures à 2015.

Je sais qu’il pourrait s’agir d’un motif d’inquiétude pour les agriculteurs et les parlementaires qui ont suivi de près ce dossier. Je souhaite donc rappeler très clairement que les difficultés techniques ne doivent pas être un obstacle à l’objectif politique que nous partageons.

Les retraites agricoles constituent un élément de reconnaissance fondamental, comme l’a rappelé le Premier ministre lors de ses dernières interventions. Sachons trouver aujourd’hui les chemins du compromis républicain.

Pour conclure, je veux rappeler que ce sujet n’est ni principalement ni principiellement budgétaire. Je crois que, pour chacun, la trajectoire est assez claire. Ce n’est pas non plus un sujet de fond, puisque, comme je l’ai rappelé, retenir les vingt-cinq meilleures années de revenus fait consensus.

La principale préoccupation est de limiter les effets pour les perdants, étant entendu que les gagnants seront beaucoup plus nombreux et que les retraites seront plus largement revalorisées dans un mécanisme basé sur les revenus plutôt que sur les points.

Une autre source de préoccupation est la date d’opérabilité de la mesure. Vous souhaitez, madame la rapporteure et monsieur le président de la commission, que celle-ci soit effective en 2026. Pour l’instant, nous butons sur ce point.

Prenez garde à ne pas voter une proposition de loi « à durée limitée », qui se bornerait à traiter de la période 2026-2028, étant entendu que nous savons que la bascule vers un mécanisme basé sur les vingt-cinq meilleures annuités de revenus sera possible en 2028.

Nous devons poursuivre le travail pour donner droit à la demande que la réforme ait lieu le plus rapidement possible, tout en évitant de faire croire que nous entrons dans une logique de points, alors que l’objectif est bien la convergence.

Quoi qu’il en soit, je vous remercie, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, de cette proposition de loi, qui nous donne l’occasion de reparler des retraites.

Nous partageons quasiment tous les objectifs. (Mme Frédérique Puissat et M. Laurent Somon protestent.) Nous continuons de nous opposer sur le point de démarrage, puisque nous considérons qu’il faut commencer par un mécanisme basé sur les revenus, plutôt qu’instaurer, pour une durée de deux ans, un mécanisme par points, lequel pourrait introduire un doute sur notre volonté d’aboutir à une convergence. Telle est la raison pour laquelle je ne peux pas être favorable à cette proposition de loi, même si j’aurais aimé pouvoir l’être, en particulier au Sénat.

Soyez en tout cas assurés, mesdames, messieurs les sénateurs, que le ministre de l’agriculture que je suis a la ferme intention d’aboutir, afin de faire justice aux agriculteurs. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)