Mme la présidente. La parole est à Mme Marion Canalès.

Mme Marion Canalès. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, un Français sur cinq – cela représente près de 12 millions de personnes – est touché par des problèmes de santé mentale. Le coût économique et humain direct et indirect des problèmes de santé mentale est évalué à 110 milliards d’euros dans notre pays.

Quatre ans après le début de la crise sanitaire, la santé mentale des enfants, adolescents et jeunes adultes, c’est-à-dire les publics concernés par la présente proposition de résolution, reste dégradée. C’est ce que confirment divers travaux présentés aux Congrès français de psychiatrie. Pourtant, en 2021, la Défenseure des droits appelait à prendre la mesure de cet enjeu. En 2022, l’Unicef a placé la santé mentale des enfants comme l’un des défis majeurs du IIIe millénaire. En 2018 et 2021, cet enjeu majeur de santé publique figurait au cœur de deux feuilles de route du Président de la République sans que ces appels reçoivent de réponses à la hauteur de l’urgence.

Entre 2018 et 2021, les passages aux urgences pour des épisodes dépressifs ou des idées suicidaires ont augmenté de 23 % chez les 18-24 ans et de 58 % chez les 11-17 ans. Certes, beaucoup des chiffres ont été avancés depuis le début de cette discussion, mais ils sont très éclairants… Les consultations chez les 18-24 ans ont augmenté de 60 %.

Plusieurs éléments – cela a été souligné – expliquent cette hausse massive : d’abord, la libération et la déstigmatisation de la parole s’agissant des problèmes de santé mentale ; ensuite, le covid-19, qui a durement frappé et déstabilisé les jeunes alors en pleine période de construction personnelle ; enfin, la situation internationale, économique et sociale complexe. Les jeunes sont aujourd’hui dans un étau, tiraillés entre les angoisses de fin du monde et de fin du mois.

À l’occasion du Congrès français de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent de 2023, les professionnels ont constaté que 13 % des enfants et adolescents – cela représente 1,6 million de mineurs, selon un rapport de la Cour des comptes – présentent un trouble psychique, mais que seulement 750 000 à 850 000 d’entre eux bénéficient des soins nécessaires.

Cela m’amène à un constat, qui est partagé : l’offre de soins est insuffisante aujourd’hui ! Partout en France, les sonnettes sont tirées par les services de pédopsychiatrie, débordés. Partout, les institutions sont sous l’eau, confrontées à un manque de moyens financiers, humains, bâtimentaires.

À l’hôpital, 30 % des postes de psychiatres à l’hôpital public sont vacants, tandis que le temps d’attente pour un rendez-vous en centre médico-psychologique (CMP) est, en moyenne, de dix-huit mois.

Les délais de prise en charge s’allongent pour une première consultation, ce qui aggrave les pathologies de manière considérable.

J’en viens à la prévention et à l’accompagnement des enfants. En l’occurrence, l’offre de soins est également à mille lieues des besoins. Rendez-vous compte : alors que l’on assiste à un vrai virage générationnel dans la prise en charge d’enfants de plus en plus jeunes, puisque – l’une de mes collègues l’a rappelé – 5 % des enfants consomment des médicaments, on ne compte que 600 pédopsychiatres pour 10 millions d’enfants de 15 ans, avec une moyenne d’âge de 60 ans ; une dizaine de départements ne comptent plus aucun pédopsychiatre libéral à ce jour. Le nombre de pédopsychiatres a été divisé par deux entre 2007 et 2016.

L’Association nationale des maisons des adolescents alerte sur la situation d’embolie de toutes ces maisons, partout en France.

En moyenne, une faculté de médecine sur cinq n’a pas de professeur d’université en pédopsychiatrie.

La dégradation de la santé mentale des enfants et des adolescents appelle une réponse rapide et forte, mais les moyens ne sont pas plus au rendez-vous à l’hôpital, à l’école ou dans les universités.

Si l’école a pris une part prépondérante dans les déclarations du Président de la République du 16 janvier dernier, on compte un médecin pour 15 000 élèves ! Le temps d’un véritable tournant structurel dans l’organisation de la santé à l’école est-il arrivé ? La réponse doit être : oui !

Pourquoi ne pas former la communauté éducative aux premiers gestes de secours en santé mentale ?

Un cours spécifique d’éducation à la santé mentale dans les premier et second degrés existe dans certains pays, comme l’Australie, et les écoles accompagnent le développement psychique, ainsi que la gestion des émotions des enfants.

Pourquoi ne pas acter la création de postes de psychologues dans l’éducation nationale ? Laisser évoluer un état mental dégradé pendant plusieurs mois nécessitera forcément une hospitalisation à temps plein et plus longue, alors même qu’il faut également accroître – nous le savons – l’offre de soins ambulatoires.

À l’université également, il faut renforcer la prévention et l’accès aux soins. Au début du mois de février auront lieu les élections des représentants étudiants dans les centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires (Crous). Une quarantaine de présidents d’université, médecins, représentants de syndicats et d’associations étudiantes alertaient déjà en 2022, dans une tribune du journal Le Monde, sur l’ampleur de la détresse psychologique des étudiants depuis la pandémie, réclamant une « stratégie nationale ». Il faut poursuivre ce qui a été engagé et développer les bureaux d’aide psychologique universitaires.

La santé mentale des jeunes est également une question de territoires.

Face à la complexité d’accès aux dispositifs et structures sanitaires et médico-sociaux, face à la longueur des délais pour l’accès aux soins, en ville, à l’hôpital, en service d’éducation spéciale et de soins à domicile (Sessad), en CMP, les collectivités partenaires sont de plus en plus sollicitées. S’il faut penser le sujet dans sa globalité, c’est bien à l’échelon local qu’il faut agir.

Dans les départements, le report se fait sur les services de protection maternelle et infantile.

Dans les villes, les contrats locaux de santé mentale se multiplient depuis leur création, associant les élus locaux, la psychiatrie publique, les usagers et les aidants. Il en existe 260 en France, couvrant environ 20 millions de Français, mais principalement sur les territoires urbains ; seuls 5 % d’entre eux concernent des territoires ruraux. Leurs financements sont disparates. Il ne peut pas y avoir de différences d’accès aux soins selon le territoire. C’était également le sens de l’appel d’élus locaux lors de la 7e journée nationale des conseils locaux de santé mentale.

Je veux également rappeler le lien fort, qui a déjà été souligné, entre santé mentale des jeunes et addictions. La corrélation entre les deux est fréquente. Il s’agit non pas de rencontres accidentelles, mais bien de comorbidités. Je pense aux addictions aux jeux vidéo, reconnues par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) comme une maladie à part entière depuis 2018, ce qui nous renvoie à la question des addictions aux écrans, mais aussi aux paris sportifs, aux jeux d’argent. Je rappelle à ce titre l’amendement adopté dans cet hémicycle sur l’initiative de notre groupe pour renforcer la lutte contre ce fléau. Aujourd’hui, 35 % des joueurs ont entre 15 ans et 17 ans. Je ne peux que nous inciter à poursuivre notre action contre les addictions lors de l’examen du prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Dans un monde qui va vite, avec une course effrénée à la performance, nos jeunes doivent – je le disais – gérer les angoisses de fin du monde et de fin du mois.

Angoisses de fin du monde d’abord, avec l’éco-anxiété. Ainsi, 75 % des jeunes jugent l’avenir effrayant, et 45 % des jeunes sont touchés par cette éco-anxiété, détresse d’un nouveau genre, qui n’est pas pour rien dans la baisse de la natalité que nous avons constatée. Car dans un monde aux ressources finies, voire un monde parfois perçu comme fini, la jeune génération ne se projette plus avec des enfants, et l’injonction à la natalité ne fonctionnera pas.

Angoisses de fin du mois ensuite, avec la précarité. La question des inégalités affecte les jeunes différemment selon leur niveau social. À l’heure de l’appel des milliardaires de Davos à être plus taxés, cela ne doit pas seulement nous faire réfléchir ; cela doit nous faire agir.

Les auteurs de la présente proposition de résolution soulignent que la précarité est un facteur de dégradation de la santé mentale. Parce que les jeunes d’aujourd’hui construisent la société de demain, ils doivent disposer de ressources pour pouvoir aborder l’avenir avec sérénité.

Notre groupe partage évidemment très largement un tel constat. C’est pour cela que nous avions souscrit à la proposition de loi de nos collègues écologistes visant à lutter contre la précarité de la jeunesse par l’instauration d’une allocation autonomie universelle d’études, texte qui n’avait malheureusement pas fait l’unanimité. C’est également pour cela que nous souhaitons l’élargissement du revenu de solidarité active (RSA) aux moins de 25 ans : refuser d’étendre les minima sociaux aux moins de 25 ans, c’est enfermer une partie de la jeunesse dans la précarité.

En cette année de jeux Olympiques, je me permets de rappeler la devise de l’olympisme, « Plus vite, plus haut, plus fort », aux allures d’injonction à la performance, ce qui pèse énormément sur les jeunes et leur santé mentale. Une jeunesse qui va mal est l’assurance d’une société qui se dégradera.

En réponse à une question d’actualité posée par l’une de mes collègues le 29 mars 2023, le ministre de la santé de l’époque avait affirmé que la santé mentale, en particulier celle des jeunes, était une priorité de son gouvernement.

Samedi 13 janvier dernier, le Premier ministre a rappelé, au centre hospitalier universitaire (CHU) de Dijon, la nécessité d’avancer sur la santé mentale des adolescents.

L’initiative de nos collègues du RDSE nous donne ce soir l’occasion de passer de la parole aux actes. Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain soutiendra évidemment la présente proposition de résolution. (Mme Maryse Carrère applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Pascale Gruny. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Pascale Gruny. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, près de quatre ans après l’épidémie de covid-19, les effets délétères de celle-ci sur la santé mentale des Français sont toujours palpables, comme ceux d’une onde de choc.

Les enfants et les jeunes font indéniablement partie des catégories les plus fragilisées sur le plan psychologique, entre dépression, anxiété chronique, bipolarité, phobies ou pensées suicidaires.

Pour eux, il y a clairement eu un avant et un après covid-19 : entre 2019 et 2021, les admissions aux urgences pédiatriques ont augmenté de 40 %, avec une saturation des lits en pédopsychiatrie. La prévalence des troubles psychiques a doublé parmi les 15-24 ans. La part des étudiants en situation de détresse psychologique est passée de 29 % à 43 %.

L’impact de la covid-19 et des confinements successifs sur ces publics vulnérables a fait l’objet, dès le printemps 2020, d’alertes par des professionnels de santé, dont la prise en compte par les pouvoirs publics a cependant été tardive. Rappelons que la campagne nationale de prévention n’a été lancée qu’au printemps 2021, soit un an après le début de la pandémie !

La crise sanitaire, par son ampleur inédite, a surtout mis en lumière les difficultés bien connues de notre modèle de prise en charge que sont le manque de lisibilité, les cloisonnements, les disparités territoriales et les inégalités d’accès ou encore le déficit chronique de financement.

Il est grand temps d’y prêter toute notre attention, comme le Sénat a d’ailleurs commencé à le faire dès 2021, avec le rapport d’information de nos collègues Victoire Jasmin et Jean Sol, qui contenait de premières propositions concrètes.

Il est tout d’abord indispensable de pouvoir détecter les troubles psychiques dès le plus jeune âge. Pour cela, la médecine scolaire doit être confortée, car elle est un outil décisif de prévention et d’orientation des enfants vers un parcours de soins adapté. Les actions de soutien à la parentalité doivent aussi être érigées en priorité, afin d’améliorer l’accompagnement et le repérage précoce des troubles chez l’enfant et l’adolescent.

La méconnaissance et, par voie de conséquence, les préjugés qui entourent la santé mentale chez les jeunes retardent l’accès à une prise en charge, voire entraînent un non-recours aux soins. La prévention primaire est encore trop sous-développée en France, à défaut notamment de statut spécifique pour les métiers qui s’y consacrent ou de structure adaptée.

Il est aujourd’hui nécessaire de renforcer le rôle des psychologues, acteurs clés de la prise en charge de premier niveau en santé mentale. La profession s’estime, à raison, mal reconnue et insuffisamment valorisée dans le système de soins. Si la loi de financement de la sécurité sociale pour 2022 a généralisé la prise en charge par l’assurance maladie des séances réalisées avec un psychologue dès l’âge de 3 ans, les conditions financières restent cependant peu attractives et la condition de prescription médicale peut encore constituer un frein.

La psychiatrie est également le parent pauvre de la médecine. Chacun peut imaginer le désarroi dans lequel se trouvent les familles quand on leur annonce qu’il faut attendre parfois jusqu’à deux ans pour obtenir une place dans un centre médico-psycho-pédagogique, comme c’est le cas chez moi, au CMPP de Gauchy, dans l’Aisne.

Il convient aussi de promouvoir de nouveaux métiers en santé facilitant l’orientation des patients dans le système de soins et œuvrant en faveur de la prévention. Je pense en particulier aux infirmiers en pratique avancée, qui peuvent, depuis 2019, obtenir une mention en santé mentale et psychiatrie.

Pour faciliter l’accès aux soins des adolescents et des jeunes, qui restent un public très difficile à capter, il faut soutenir la pratique de l’« aller vers », une démarche proactive qui permet d’aller à la rencontre des jeunes, là où ils se trouvent, afin de les sensibiliser et de les orienter vers des professionnels de santé.

Dans l’espace numérique, sur les lieux de vie des jeunes ou encore dans la rue pour les mineurs en errance, des initiatives intéressantes méritent d’être encouragées. La médecine universitaire ne doit pas non plus être oubliée, car elle contribue fortement à rassurer et à aider les étudiants en pleine incertitude quant à leur avenir.

L’approche de jeune à jeune, de pair à pair, offre aussi une solution de remplacement efficace aux prises en charge classiques. Elle crée un nouveau rapport fondé sur la confiance et la dimension communautaire de l’accompagnement.

Mes chers collègues, quand la société ne va pas bien, nos jeunes ne vont pas bien. Se préoccuper de la santé mentale de nos jeunes, c’est se prémunir contre la délinquance de plus tard ; c’est leur donner une chance de s’insérer dans la vie professionnelle. Pour grandir, nos jeunes ont besoin de savoir où ils sont et où ils vont.

Pour ces raisons, nous soutiendrons évidemment la proposition de résolution déposée par notre collègue Nathalie Delattre. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Nathalie Delattre applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Do Aeschlimann. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Marie-Do Aeschlimann. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, dans la France de 2024, la psychiatrie est anxieuse ; la psychiatrie est troublée ; la psychiatrie est déprimée. Décrite, à juste titre, comme le parent pauvre du système de soins, la psychiatrie médicale dédiée à la santé mentale figure aujourd’hui parmi les spécialités les moins attractives et les moins choisies par les étudiants en médecine.

Cette crise de la psychiatrie, qui touche aussi la psychiatrie infanto-juvénile, se traduit fatalement par une insuffisante prise en charge de la santé mentale des jeunes.

Est-il juste d’ériger cette dernière en grande cause nationale ? Oui, cela va sans dire. Néanmoins, est-ce suffisant ? Non, évidemment !

La dégradation continue de la santé mentale n’est pas spécifique aux jeunes. Mais il faut rappeler, à la suite de Freud et de la plupart des psychiatres, que c’est dans l’enfance et l’adolescence que se construit la psychologie du futur adulte. C’est là que se joue toute la dramaturgie de la vie psychique de l’individu.

C’est donc bien en amont de l’âge adulte que les politiques publiques doivent intervenir, non seulement pour les soins somatiques, mais également pour les soins psychiatriques.

Or elles en sont bien loin, et les chiffres sont alarmants ! Depuis 2020, en France, la santé mentale des jeunes ne cesse de se dégrader. Toutes les études tirent la sonnette d’alarme. En 2023, le rapport du Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge alerte sur l’augmentation de la consommation de médicaments psychotropes par les enfants et les adolescents. D’après la Cour des comptes, 1,6 million de mineurs souffrent d’un trouble psychique.

L’acuité de ce problème dans ma région, l’Île-de-France, a même suscité une question d’intérêt majeur, qui débouche sur un vaste programme de recherche. Ainsi, 78 % des jeunes Franciliens déclarent des signes de dépression modérée ou sévère. Et 25 % ont pensé au suicide !

Ce fléau repose sur des causes multifactorielles, amplifiées par la crise sanitaire : délitement de la sphère familiale ; difficile accès aux soins, accentué par les inégalités sociales ; emprise des réseaux sociaux ; violence croissante et harcèlement scolaire. Tout cela est aggravé par la stigmatisation sociale persistante des maladies mentales, bien mise en évidence par Maria Melchior, spécialisée dans la santé mentale.

Il est plus que temps de neutraliser cette évolution ravageuse. Il faut davantage former les professionnels qui travaillent auprès des enfants au repérage de leurs fragilités.

De réels moyens doivent être consacrés à la prévention. Le rapport Les 1 000 premiers jours le souligne, les trois premières années de l’enfant constituent « les prémisses de la santé et du bien-être de l’individu tout au long de la vie ».

Il faut mettre fin au désengagement de l’État en matière de médecine scolaire, qui est laissée à la charge des communes sans les moyens financiers correspondants. L’État doit recruter des médecins et des infirmiers dans les écoles, des assistantes sociales dans les collèges et les lycées et des accompagnants d’élèves en situation de handicap en nombre suffisant au lieu de mutualiser ces professionnels. L’offre de soins médico-psychologiques et psychiatriques doit également être renforcée. Il faut en outre mieux lutter contre le harcèlement, en régulant l’usage des réseaux sociaux chez les plus jeunes et en responsabilisant les parents.

Enfin, il est impératif de mieux soutenir les familles et de renforcer la fonction parentale. Rappelons-le, les territoires où la parentalité est la moins accompagnée sont ceux dans lesquels la santé mentale des adolescents s’est le plus dégradée ; c’est particulièrement le cas des territoires d’outre-mer. Le soutien à la politique familiale passe aussi par le développement d’équipes d’intervention à domicile spécialisées en santé mentale, afin d’accompagner les jeunes mères ou encore par l’allongement et la meilleure valorisation du congé parental.

Ériger la santé mentale en grande cause nationale est une bonne chose, mais, madame la ministre, en l’absence d’un ministre de plein exercice chargé de la famille, nous risquons de dénoncer les conséquences sans en attaquer véritablement les causes… (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Béatrice Gosselin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Béatrice Gosselin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous le savons tous, la pandémie de covid-19, avec ses multiples impacts dans différentes sphères de la vie, a nui à la santé mentale, notamment celle des adolescents et des étudiants ; de nombreuses études nationales et internationales l’ont démontré.

Quels que soient les indicateurs considérés, les profils les plus en difficulté sont majoritairement les 18-24 ans. Les recours aux soins d’urgence pour troubles de l’humeur, idées et gestes suicidaires restent en effet à un niveau élevé chez nos jeunes. Ces derniers étaient plus de 20 % à être concernés par la dépression en 2021, contre moins de 12 % en 2017.

À cela, s’ajoute le fait que ces jeunes se préoccupent moins de leur santé mentale ou de leur bien-être – comme d’ailleurs de leur santé en général – que leurs aînés. Les récentes données recueillies témoignent donc d’une dégradation de leur équilibre psychologique, mais également d’un tabou encore perceptible autour de ces problématiques.

Ces résultats avaient conduit Santé publique France à renforcer la surveillance et la mise en œuvre d’actions ciblées pour libérer la parole autour du mal-être. Aujourd’hui, un nouvel axe a été abordé, qui consiste à sensibiliser les jeunes aux activités et aux comportements bénéfiques à leur santé mentale.

Par ailleurs, chez les 18-24 ans, les principaux freins à la consultation d’un psy sont le coût, la difficulté à se confier, la crainte de ce qu’ils pourraient découvrir sur eux ou encore celle que l’entourage ne l’apprenne.

Le programme Santé psy étudiant, mis en place pendant la pandémie de covid-19, a constitué un début de réponse, mais la limitation à huit séances remboursées et la liste réduite de psychologues ayant accepté le dispositif – seulement 1 100 –, n’a permis d’accompagner que 58 000 étudiants.

Promouvoir la santé mentale, prévenir l’apparition de troubles psychiques et lutter contre la stigmatisation sont des enjeux de santé publique sur lesquels nous devons nous engager pleinement pour accompagner les adultes de demain.

Pour appuyer mon propos, je souhaite maintenant évoquer la situation alarmante de l’offre de soins et d’accompagnement en santé mentale de nos enfants les plus jeunes. En effet, les enjeux de la santé mentale de ces enfants sont d’autant plus importants qu’ils affectent tous les aspects de la vie : émotions, rapport au langage, au corps, aux savoirs, à soi-même et aux autres, liens familiaux et sociaux.

Mise en exergue par le Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA) dans son rapport de mars 2023, la consommation de médicaments psychotropes par des enfants et adolescents est devenue très importante. La consommation d’antidépresseurs a augmenté de 62 %, celle des psychostimulants de 78 % et celle des hypnotiques et sédatifs de 155 % !

De plus, l’enfant en souffrance psychique pâtit d’un effet ciseaux, avec la baisse de l’offre de soin conjuguée à l’augmentation de la demande ; cela a pour conséquence un déficit de prise en charge, au détriment de l’enfant et de sa famille. Faute de spécialistes, les consultations pour enfant sont en majorité réalisées par des médecins généralistes. Seuls 30 % des enfants sont reçus par un pédiatre, spécialité habituellement concentrée sur les moins de 2 ans.

La situation de la médecine scolaire est également très altérée, ce qui ne permet pas aux médecins et infirmiers scolaires d’assurer leurs missions d’accueil, de dépistage et de suivi individuel de l’ensemble des enfants qui le demanderaient. Il paraît nécessaire, la Cour des comptes l’indique dans son rapport sur la pédopsychiatrie de mars 2023, d’améliorer l’organisation de l’offre de soins psychiques infanto-juvéniles, et de remédier à une gouvernance peu opérationnelle.

Certes, le ministère de la santé a manifesté récemment sa volonté de renforcer l’accès à cette offre de soins, avec la feuille de route de la santé mentale. Cependant, ce programme ne se fixe pas d’objectifs clairs, du point de vue tant quantitatif que qualitatif ; surtout elle ne prévoit pas de programmation calendaire pour sa mise en œuvre. L’adoption d’objectifs nationaux de santé mentale infanto-juvénile associés à un calendrier précis et à des indicateurs permettrait une évaluation de l’organisation des soins de pédopsychiatrie. Ces objectifs aideraient à mieux structurer et planifier cette politique. C’est indispensable. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Catherine Vautrin, ministre du travail, de la santé et des solidarités. Madame la présidente, madame la sénatrice Nathalie Delattre, auteure de la présente proposition de résolution, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de votre engagement sur ce débat.

Nous le savons tous, la psychiatrie, c’est l’intime, l’intime des malades et des familles.

La psychiatrie, c’est également le temps de l’écoute, mais ce débat nous rappelle immédiatement à une réalité : si le temps de la psychiatrie est le temps long, il y a également urgence à apporter des réponses concrètes à certaines situations.

Le Président de la République l’a indiqué hier soir lors de sa conférence de presse, la santé mentale, en particulier celle des plus jeunes, sera une priorité de ce gouvernement.

Samedi dernier – Mme Canalès l’a rappelé –, j’accompagnais le Premier ministre à Dijon, où nous avons rencontré les professionnels des urgences, de la pédiatrie et de la psychiatrie. Nos échanges avec les professionnels ont notamment porté sur la diversité des réponses que nous devions apporter, qui vont de l’accueil d’un jeune ayant besoin de décompenser pendant quelques heures aux soins de long terme d’une autre personne.

Plusieurs d’entre vous ont évoqué les causes de ces situations. Elles sont nombreuses : la crise du covid-19 – crise sans équivalent en Europe et dans le monde depuis la Seconde Guerre mondiale –, les réseaux sociaux, le harcèlement scolaire, l’isolement des étudiants, les violences en tous genres ou encore l’addiction aux écrans.

Madame la sénatrice Delattre, nous partageons ce constat : la santé mentale des jeunes est en effet un enjeu sociétal majeur.

Vous avez tous rappelé dans vos interventions, mesdames, messieurs les sénateurs, les chiffres relatifs à ce sujet. Vous avez également évoqué la question des moyens, du nombre de lits, du nombre insuffisant de maisons des adolescents, de soignants – l’effectif des professeurs des universités-praticiens hospitaliers (PU-PH) et des internes a légèrement augmenté, mais encore trop peu –, d’infirmiers en pratique avancée formés spécifiquement – la démarche est intéressante – et de centres médico-psychiatriques. L’offre de soins se construit, mais reste encore insuffisante sur le territoire.

La feuille de route de la santé mentale et de la psychiatrie a été lancée par Agnès Buzyn. Elle a eu le grand mérite d’ouvrir la voie. Les Assises de la santé mentale et de la psychiatrie ont débouché sur des engagements qui s’étendent jusqu’en 2026. Cela dit, Mme Gruny le rappelait, le projet de loi de financement de la sécurité sociale a apporté des réponses nouvelles, notamment pour les financements.

Au-delà de ces moyens, je mesure la nécessité d’aller plus loin, dans différents domaines. Il convient d’abord d’engager une politique ambitieuse de prévention, nombre d’entre vous l’ont dit. Mesdames Souyris, Darcos et Delattre, vous m’avez interpellée au sujet de la médecine scolaire et des tout-petits. Évidemment, nous commencerons par les mille premiers jours, mais si l’on considère le fait que des enfants en très bas âge, dès 3 ans, ont déjà des habitudes d’écran, on mesure bien la nécessité de traiter ce sujet. Je signale également l’enjeu que représente la visite médicale lors de la sixième année.

Je veux aborder maintenant un domaine sur lequel, à la demande du Premier ministre, la ministre de l’éducation nationale et moi-même allons travailler : celui de la médecine scolaire. C’est crucial, car il s’agit de notre premier outil de prévention ; il permet en effet de toucher l’ensemble des élèves ainsi que, d’une certaine manière, leurs parents.

Madame Gosselin, le programme Mon Parcours psy, destiné aux étudiants, constituait une première réponse. Elle est peut-être insuffisante, mais ces huit consultations remboursées permettent d’avancer.

Au-delà, sans contester l’utilité d’une augmentation des moyens, nous devons aussi relancer l’attractivité de ces métiers. Nous avons certes remplacé le numerus clausus par le numerus apertus, mais quel est le sens d’une augmentation du nombre d’étudiants si les internes ne se tournent pas vers la psychiatrie ? Il faut traiter ce problème. Sans doute, phénomène assez rare dans notre pays, le nombre de PU-PH en psychiatrie a augmenté, mais, je vous l’accorde, il n’est pas encore suffisant, puisqu’il n’y en a pas partout sur le territoire.

Nous devons en outre adapter notre organisation, via des outils comme les projets territoriaux de santé, pour agir dans tous les bassins de vie. Le Ségur de la santé a permis de financer la hausse de la rémunération des gardes de week-end ; c’est une première étape. Toute la population est en effet concernée.

Madame Aeschlimann, vous avez également souligné l’absence de ministre de la famille. Pour ma part, j’entends souvent dire que l’effectif du Gouvernement est trop important. Or il est impossible d’avoir un gouvernement resserré tout en ayant un ministre consacré à chaque politique publique.

Toutefois, je vous l’affirme solennellement, le ministère que j’ai l’honneur de diriger a comme pivot la santé de nos concitoyens, des mille premiers jours au tout dernier, en passant par le handicap et le vieillissement, sans oublier le travail, notamment la santé au travail. La santé est donc, en quelque sorte, le fil rouge de mon portefeuille.

La feuille de route devra comprendre beaucoup d’éléments et prévoir une réponse adaptée aux bassins de vie. En effet, monsieur Théophile, la question de l’outre-mer est prégnante ; cela dit, le sujet de la santé en métropole ne doit pas être négligé non plus.

Nous travaillerons avec tous les acteurs – le public, le privé, le médico-social, les élus, les éducateurs –, sans oublier les familles et les aidants. Ces derniers sont, vous y avez insisté, monsieur le sénateur, très seuls ; or c’est avec eux que nous pourrons coconstruire une démarche.

Ma méthode consistera à rassembler et à écouter ; cela peut démarrer par un Conseil national de la refondation, mais nous pouvons dès maintenant nous appuyer sur les travaux existants ; je pense à l’excellent rapport de la Fédération hospitalière de France sur la question. Car mon objectif, c’est agir concrètement, dans le respect, l’écoute, le dialogue.

C’est dans cet esprit que, après vous avoir remerciée de nouveau de nous avoir permis de travailler sur le sujet, madame la sénatrice Delattre, je m’en remets, au nom du Gouvernement, à la sagesse du Sénat sur cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, UC et Les Républicains.)