Sommaire

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

M. François Bonhomme, Mme Nicole Bonnefoy.

1. Procès-verbal

2. Souhaits de bienvenue aux membres du gouvernement

3. Questions d’actualité au Gouvernement

remaniement du gouvernement

Mme Cécile Cukierman ; M. Gabriel Attal, Premier ministre.

maîtrise des finances publiques

M. Hervé Maurey ; M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique ; M. Hervé Maurey.

situation à gaza

Mme Raymonde Poncet Monge ; M. Stéphane Séjourné, ministre de l’Europe et des affaires étrangères.

projet de réforme de l’aide médicale de l’état

M. François-Noël Buffet ; M. Gabriel Attal, Premier ministre ; M. François-Noël Buffet.

situation en mer rouge face aux agressions des houthis

Mme Nicole Duranton ; M. Stéphane Séjourné, ministre de l’Europe et des affaires étrangères.

situation en ukraine

M. Claude Malhuret ; M. Gabriel Attal, Premier ministre.

crise de l’ostréiculture

Mme Nathalie Delattre ; M. Marc Fesneau, ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.

politique générale du gouvernement

M. Patrick Kanner ; M. Gabriel Attal, Premier ministre ; M. Patrick Kanner.

feuille de route du ministère de l’éducation nationale

M. Max Brisson ; Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse, des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques ; M. Max Brisson.

suite du cyclone belal à la réunion

Mme Audrey Bélim ; Mme Prisca Thevenot, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement.

politique familiale

Mme Anne Chain-Larché ; Mme Prisca Thevenot, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement ; Mme Anne Chain-Larché.

protection des maires et sanctions contre leurs agresseurs

Mme Sylvie Vermeillet ; M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice ; Mme Sylvie Vermeillet.

transition écologique dans le secteur du logement

Mme Laurence Muller-Bronn ; M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires ; Mme Laurence Muller-Bronn

enseignement public et privé

Mme Colombe Brossel ; Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse, des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques ; Mme Colombe Brossel.

filière pêche

M. Jean-François Rapin ; M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires ; M. Jean-François Rapin.

retraites agricoles

Mme Nadia Sollogoub ; M. Marc Fesneau, ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire ; Mme Nadia Sollogoub.

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE Mme Sophie Primas

4. Communication d’un avis sur un projet de nomination

5. Candidatures à une commission d’enquête

6. Intégrité territoriale de la République d’Arménie. – Adoption d’une proposition de résolution

Discussion générale :

M. Bruno Retailleau, auteur de la proposition de résolution

Mme Valérie Boyer

M. Stéphane Ravier

M. Pierre Jean Rochette

M. Philippe Folliot

M. Akli Mellouli

M. Pierre Ouzoulias

M. Jean-Noël Guérini

Mme Nicole Duranton

M. Patrick Kanner

M. Pascal Allizard

M. Gilbert-Luc Devinaz

M. Stéphane Séjourné, ministre de l’Europe et des affaires étrangères

Clôture de la discussion générale.

Texte de la proposition de résolution

Adoption, par scrutin public n° 110, de la proposition de résolution.

7. Ériger la santé mentale des jeunes en grande cause nationale. – Discussion d’une proposition de résolution

Discussion générale :

Mme Nathalie Delattre, auteure de la proposition de résolution

8. Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire

9. Ériger la santé mentale des jeunes en grande cause nationale. – Suite de la discussion et adoption d’une proposition de résolution

Discussion générale (suite) :

Mme Laure Darcos

Mme Nadia Sollogoub

Mme Anne Souyris

Mme Céline Brulin

M. Ahmed Laouedj

M. Dominique Théophile

Mme Marion Canalès

Mme Pascale Gruny

Mme Marie-Do Aeschlimann

Mme Béatrice Gosselin

Mme Catherine Vautrin, ministre du travail, de la santé et des solidarités

Clôture de la discussion générale.

Texte de la proposition de résolution

Adoption, par scrutin public n° 111, de la proposition de résolution.

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Pierre Ouzoulias

10. Violences associées au football, dans et hors des stades. – Débat organisé à la demande du groupe Union Centriste

M. Pierre-Antoine Levi, pour le groupe Union Centriste

M. Claude Kern, pour le groupe Union Centriste

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse, des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques

Débat interactif

M. Pierre Jean Rochette ; Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse, des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques.

M. Jean Hingray ; Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse, des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques

M. Thomas Dossus ; Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse, des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques.

M. Gérard Lahellec ; Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse, des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques.

M. Ahmed Laouedj ; Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse, des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques.

M. Didier Rambaud ; Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse, des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques.

M. Jean-Jacques Lozach ; Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse, des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques.

M. François Bonhomme ; Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse, des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques ; M. François Bonhomme ; Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre.

M. Pierre-Antoine Levi ; Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse, des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques ; M. Pierre-Antoine Levi ; Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre.

Mme Laurence Harribey ; Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse, des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques ; Mme Laurence Harribey.

M. Jean-Raymond Hugonet ; Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse, des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques ; M. Jean-Raymond Hugonet.

M. Adel Ziane ; Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse, des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques.

M. Didier Mandelli ; Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse, des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques ; M. Didier Mandelli.

M. Michel Savin ; Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse, des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques ; M. Michel Savin ; Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre.

M. Francis Szpiner ; Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse, des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques ; M. Francis Szpiner.

Mme Marie Mercier ; Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse, des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques ; Mme Marie Mercier.

Conclusion du débat

M. Laurent Lafon, pour le groupe Union Centriste

11. Ordre du jour

Nomination de membres d’une commission d’enquête

compte rendu intégral

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

M. François Bonhomme,

Mme Nicole Bonnefoy.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Souhaits de bienvenue aux membres du gouvernement

M. le président. Monsieur le Premier ministre, au nom du Sénat tout entier, je tiens de nouveau à vous féliciter pour votre nomination et vous souhaiter la bienvenue au sein de notre assemblée dans vos nouvelles fonctions.

Depuis le début de la législature, votre prédécesseure, Mme Élisabeth Borne, a témoigné, lors de nos séances de questions d’actualité, d’une présence constante à laquelle nous avons été particulièrement sensibles et que je tiens une nouvelle fois à saluer.

Je souhaite également la bienvenue aux membres du Gouvernement, avec une attention particulière pour la ministre chargée des relations avec le Parlement, Mme Marie Lebec.

Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, le Sénat est le reflet de nos territoires, dans leur diversité. Sur ses travées siègent des élus expérimentés, qui sont à l’écoute de nos concitoyens et de nos collectivités territoriales.

Je forme le vœu, monsieur le Premier ministre, que vous serez attentif au Sénat. Le bicamérisme est une chance pour la démocratie et l’équilibre de nos institutions.

3

Questions d’actualité au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.

Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.

Au nom du bureau du Sénat, j’appelle chacun de vous, mes chers collègues, à observer au cours de nos échanges l’une des valeurs essentielles du Sénat : le respect, qu’il s’agisse du respect des uns et des autres ou de celui du temps de parole.

remaniement du gouvernement

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K, ainsi que sur des travées du groupe SER.)

Mme Cécile Cukierman. Monsieur le Premier ministre, vous tentez d’incarner un changement, mais la seule nouveauté, c’est que ce remaniement ancre la casse du service public dans votre nouveau monde, un monde fait pour les riches, un monde d’oppression pour les salariés, un monde qui exclut au lieu de rassembler.

Cette politique engendre une crise démocratique profonde. D’ailleurs, le Président de la République n’a toujours pas de majorité absolue à l’Assemblée nationale. Cette question n’est ni politicienne ni secondaire : c’est le socle du fonctionnement de nos institutions.

Vous ne pouvez plus faire jouer l’autoritarisme, en abusant du 49.3 comme en 2023. Continuerez-vous d’user de cet article de la Constitution ou vous engagez-vous à laisser vivre le débat parlementaire ?

Monsieur le Premier ministre, selon l’article 20 de la Constitution, c’est le Gouvernement qui détermine et conduit la politique de la Nation et non le Président de la République ! C’est fondamental, car si le Gouvernement se mue en un cabinet d’exécutants, sans vote de confiance du Parlement, c’est l’édifice institutionnel qui s’effondre.

Emmanuel Macron prend tout en main, des rencontres de Saint-Denis à sa conférence de politique générale hier, mais il n’est pas responsable devant le Parlement. Monsieur le Premier ministre, vous devez donc demander un vote de confiance à l’Assemblée nationale, comme le prévoit le premier alinéa de l’article 49 de la Constitution.

Au vu du rôle du Sénat face au blocage de l’Assemblée nationale, en particulier au regard de la place qu’il a prise ces derniers temps en commission mixte paritaire, vous devez aussi vous soumettre à son vote, en déclenchant le quatrième alinéa de ce même article 49.

Aujourd’hui, c’est la confusion, la gesticulation médiatique pour masquer l’accélération autoritaire de la politique libérale. Notre peuple doit reprendre la main : il a besoin de clarté et a soif de justice. Votre mandat doit être soumis au vote des représentants du peuple ; à défaut, vous ne serez qu’illusion.

Je vous repose donc la question, monsieur le Premier ministre : allez-vous demander la confiance du Parlement ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K, ainsi que sur des travées du groupe SER. – Mme Raymonde Poncet Monge applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Gabriel Attal, Premier ministre. Madame la présidente Cukierman, c’est la première fois que j’ai l’occasion de m’exprimer devant le Sénat en tant que Premier ministre. Vous me permettrez donc de vous dire – j’ai d’ailleurs dit la même chose au président Larcher, lorsque je l’ai eu au téléphone le soir de ma nomination – que j’ai un très grand respect et même une très grande admiration pour le travail qui est mené ici, au Sénat. (Sourires.)

M. Marc-Philippe Daubresse. J’espère bien !

M. Gabriel Attal, Premier ministre. J’ai pu en mesurer la qualité dans les différentes fonctions gouvernementales que j’ai occupées ces dernières années, que ce soit en tant que secrétaire d’État à la jeunesse, porte-parole du Gouvernement, ministre délégué chargé des comptes publics – nous avons passé de longues nuits ensemble, en particulier avec le rapporteur général, Jean-François Husson, (Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains.) et le président de la commission des finances, Claude Raynal, à examiner les projets de lois de finances – ou encore en tant que ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse – j’ai beaucoup travaillé avec le président de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, Laurent Lafon, et les nombreux sénateurs qui sont extrêmement mobilisés sur ces questions.

J’ai toujours été, je le crois, très à l’écoute de ce que vous défendez toutes et tous, notamment du fait de votre expérience et de votre représentativité – vous êtes les élus de territoires d’une très grande diversité – et de vos propositions, parfois détonantes, mais toujours constructives.

M. Gabriel Attal, Premier ministre. Voilà l’état d’esprit qui m’a animé et qui continuera de m’animer.

J’ai eu l’occasion de le dire, je ferai ma déclaration de politique générale à l’Assemblée nationale le 30 janvier prochain, parce que je souhaite, d’ici là, rencontrer des représentants de l’ensemble des groupes parlementaires, des forces vives de la Nation, des organisations syndicales ou encore des associations d’élus locaux.

Je souhaite aussi me rendre sur le terrain pour échanger de manière très directe avec les Français avant cette déclaration de politique générale.

Vous m’interrogez, madame la présidente, sur des questions qui relèvent de l’Assemblée nationale, mais je vais bien évidemment vous répondre.

Y a-t-il une majorité absolue à l’Assemblée nationale ? Non, nous le savons. Y a-t-il besoin d’un vote pour le démontrer ? Non, je ne le crois pas. Des Français se lèvent-ils le matin, en se demandant s’il y aura ou pas un vote sur la déclaration de politique générale du Premier ministre ? Non, je ne le crois pas non plus. (Protestations sur les travées du groupe CRCE-K.)

Je pense que les Français se lèvent en attendant de savoir ce que nous allons faire pour valoriser le travail des classes moyennes, qui sont toujours au rendez-vous de leurs responsabilités et qui attendent que l’on agisse pour elles, pour réarmer nos services publics, notamment l’école et la santé (Exclamations ironiques sur les travées des groupes SER et GEST.), pour assurer la sécurité en tout lieu sur le territoire et pour agir en faveur de la transition écologique. Voilà les préoccupations des Français !

Je peux d’ores et déjà vous révéler que ces sujets seront au cœur de la déclaration de politique générale que je ferai à l’Assemblée nationale.

Selon l’usage, cette déclaration sera lue simultanément au Sénat, mais j’ai proposé au président Larcher – c’est peut-être moins l’usage – de prononcer devant vous, dans la foulée de cette déclaration de politique générale, une intervention propre à la Haute Assemblée sur les enjeux que je viens d’évoquer, qui concernent tous les Français. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP, RDSE et UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – Mmes Marie-Pierre de La Gontrie et Laurence Rossignol applaudissement également.)

M. Roger Karoutchi. C’est l’usage !

M. Gabriel Attal, Premier ministre. Je crois que la situation que connaît notre pays et les défis que traverse le monde commandent que nous ayons un débat au Sénat. Voilà mon état d’esprit et l’engagement que je prends devant vous ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP, ainsi que sur des travées des groupes UC et RDSE.)

maîtrise des finances publiques

M. le président. La parole est à M. Hervé Maurey, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Hervé Maurey. Monsieur le Premier ministre, hier, le Président de la République a évoqué, lors de sa conférence de presse, un grand nombre de sujets, allant entre autres de l’école à la santé, du pouvoir d’achat à la sécurité. Il n’a en revanche pas ou peu évoqué un sujet qui nous paraît pourtant important : la situation de nos finances publiques.

Nous atteignons un record de dette, qui nous place sur le podium européen des pays les plus endettés, notre charge de la dette va bondir de 50 % d’ici à 2027 et notre déficit sera le deuxième plus important de la zone euro.

Plusieurs annonces du Président vont même encore aggraver cette situation : généralisation du service national universel (SNU), qui pourrait coûter plus de 3 milliards d’euros par an, et baisse de 2 milliards d’euros des impôts.

Mes questions sont donc très simples. À combien chiffrez-vous les annonces du Président de la République ? Comment comptez-vous les financer ? Quelles sont les intentions réelles du Gouvernement en termes de maîtrise des finances publiques, sujet souvent évoqué, mais jamais réalisé ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes Les Républicains et INDEP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. (Exclamations sarcastiques sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Monsieur le président, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je profite de cet accueil chaleureux (Sourires.) pour vous adresser à mon tour mes meilleurs vœux.

Monsieur Maurey, nous nous connaissons bien – nous avons été élus du même territoire pendant une quinzaine d’années – et vous savez que j’ai l’habitude de faire les choses en temps et en heure. (Marques dironie sur les travées du groupe Les Républicains.)

À partir de 2017, avec les gouvernements précédents, nous avons rétabli nos finances publiques. J’avais dit que nous reviendrions sous les 3 % de déficit et que nous sortirions de la procédure pour déficit public excessif : j’ai tenu parole.

Nous avons ensuite eu à faire face à deux crises successives majeures : le covid-19 et la crise inflationniste. Vous avez toutes et tous appelé à ce que nos capacités de production, nos salariés, nos PME et TPE soient protégés : nous l’avons fait. Vous avez appelé à une protection des plus modestes face à la crise inflationniste et à la flambée des prix du gaz et de l’électricité : nous l’avons fait.

Désormais, nous revenons à la normale et sortons d’une situation exceptionnelle. Je partage totalement votre ambition et je tiendrai parole : nous devons rétablir nos finances publiques, accélérer le désendettement du pays et réduire nos déficits, en tenant la première marche de 2024 – 4,4 % de déficit – et en accélérant ensuite.

Je crois avoir dit les choses très clairement il y a quelques semaines : en matière de finances publiques, le plus dur est devant nous !

M. Jérôme Durain. Pour les Français !

M. Bruno Le Maire, ministre. Nous allons devoir prendre des décisions fortes et courageuses pour rétablir nos finances publiques.

Je sais que vous avez très bien écouté le Président de la République hier ; vous aurez donc noté qu’il a déjà annoncé au moins deux de ces décisions.

Premièrement, il a confirmé que nous allions sortir du bouclier énergétique sur le gaz comme sur l’électricité. Comme je l’ai dit hier devant le Sénat, une situation exceptionnelle appelle des mesures exceptionnelles, mais dès lors que nous sortons de la situation exceptionnelle, il faut revenir à la normale, ce qui consiste ici à mettre fin au bouclier énergétique sur le gaz et sur l’électricité.

Deuxièmement, le Président de la République a annoncé la décision de faire passer la franchise sur les médicaments de 50 centimes à 1 euro. (Protestations sur les travées du groupe SER.)

J’aurai l’occasion, sur la base de la revue des dépenses publiques, de proposer au Premier ministre et au Président de la République des décisions fortes et courageuses. Je n’ai aucun doute, monsieur le sénateur, que vous les soutiendrez. (Applaudissements sur des travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. Hervé Maurey, pour la réplique.

M. Hervé Maurey. Monsieur le ministre, vous n’avez pas tout à fait répondu à mes questions, mais je ne m’attendais pas à autre chose.

Je voudrais simplement dire qu’il me paraît difficile, en matière de finances publiques, de pratiquer le « en même temps ». On ne peut parler d’indépendance financière, comme l’a fait le Président de la République, et continuer de dépenser et de s’endetter chaque jour davantage.

Vous avez dit récemment qu’il faudrait faire 12 milliards d’euros d’économies. Le moins que l’on puisse dire, c’est que les mesures évoquées par le Président de la République ou celles que le Premier ministre a annoncées, soit 32 milliards d’euros supplémentaires pour la santé, ne vont pas dans le bon sens.

De toute évidence, la valse des milliards continue et la loi de programmation des finances publiques, à peine votée, semble déjà caduque…

Je voudrais juste rappeler que le Sénat, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2024, a proposé 7 milliards d’euros d’économies et 2 milliards d’euros de recettes supplémentaires. Le Gouvernement n’en a pas tenu compte.

M. Hervé Maurey. Comme l’a fait le président du Sénat hier, je ne peux qu’inciter le Gouvernement à écouter davantage les propositions de la Haute Assemblée. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

situation à gaza

M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Émilienne Poumirol applaudit également.)

Mme Raymonde Poncet Monge. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.

Monsieur le ministre, ce remaniement gouvernemental acte la continuité d’une ligne politique de droite. Nous aurons le temps d’en débattre une fois la feuille de route du nouveau gouvernement présentée.

La situation à Gaza, elle, ne peut plus attendre. En cent jours, 1 % des Gazaouis ont été tués, soit un taux de mortalité quotidien supérieur à celui de n’importe quel conflit armé du XXIe siècle, sans compter les personnes ensevelies et blessées, et 85 % ont été déplacés.

Mme Valérie Boyer. Et les otages ?

Mme Raymonde Poncet Monge. À la suite de la saisine de la Cour internationale de justice (CIJ) par l’Afrique du Sud contre Israël, une des avocates a déclaré lors de l’audience : « C’est le premier génocide de l’histoire dont les victimes diffusent leur propre destruction en direct dans l’espoir, pour le moment vain, que le monde fasse quelque chose. »

Nous savons ! Vous savez !

La France a la responsabilité et l’obligation, en tant qu’État partie aux conventions internationales, de protéger et d’agir pour mettre un terme aux crimes de guerre, aux crimes contre l’humanité, voire au génocide en cours à Gaza comme partout dans le monde, et sans double standard ! En Ukraine comme en Palestine se jouent la défense des principes fondamentaux du droit international et l’avenir de l’Europe.

Le massacre de civils doit cesser. Quelles mesures comptez-vous prendre pour faire respecter le droit international et ses résolutions ? Vous engagez-vous à appuyer et à faire appliquer les mesures conservatoires demandées à la CIJ ?

Vous engagez-vous à saisir la Cour pénale internationale, comme les écologistes vous y invitent – nous avons déposé une proposition de résolution en ce sens –, pour qualifier les faits, tous les faits, et poursuivre les auteurs de crimes ?

Comptez-vous décider un embargo sur les ventes d’armes à Israël ?

Enfin, monsieur le ministre, quand comptez-vous reconnaître l’État palestinien, comme cela a été voté par notre Parlement, et soutenir l’Espagne dans cette demande auprès de l’Union européenne ? (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées des groupes SER et CRCE-K.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.

M. Stéphane Séjourné, ministre de lEurope et des affaires étrangères. Madame la sénatrice, je veux d’abord rappeler la solidarité de la France avec Israël à la suite de l’attaque terroriste de lundi. Cette attaque a fait au moins un mort et dix-sept blessés, parmi lesquels deux de nos compatriotes. Rien ne saurait justifier le terrorisme, rien !

Je veux également avoir une pensée pour tous les otages et pour nos quarante et un compatriotes assassinés le 7 octobre – nous leur rendrons hommage le 7 février prochain, comme l’a annoncé hier le Président de la République.

La situation à Gaza s’aggrave de façon dramatique. Dans cette guerre, l’action de la France se fonde sur trois volets, qui ont été fixés par le Président de la République.

Le volet sécuritaire, tout d’abord. La lutte contre le terrorisme passe notamment par l’adoption prochaine d’un régime de sanctions européennes contre le Hamas ; ce devrait être fait lundi prochain à l’occasion de la réunion du Conseil des affaires étrangères.

Le volet humanitaire, ensuite : respect du droit international et cessez-le-feu durable – il est nécessaire pour permettre l’acheminement de l’aide. La France a d’ores et déjà déployé 1 000 tonnes de nourriture et d’équipements et 100 millions d’euros pour les populations palestiniennes.

Le volet politique, enfin, pour retrouver la perspective de deux États. Ce sujet sera au cœur de la réunion du Conseil de sécurité des Nations unies que je présiderai le mardi 23 janvier à New York.

Enfin, il nous faut éviter l’escalade régionale. La France œuvre en ce sens au Liban, en mer Rouge et, bien sûr, en Cisjordanie.

Vous le voyez, nous apportons des réponses sécuritaires, humanitaires et politiques, à l’échelon tant national qu’européen et international. Ce qui se joue au Proche-Orient est trop important pour être ignoré par notre pays. Il faut éviter le pire ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

projet de réforme de l’aide médicale de l’état

M. le président. La parole est à M. François-Noël Buffet, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. François-Noël Buffet. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre.

À l’occasion des discussions sur le projet de loi Immigration, une partie du débat s’est nouée autour de l’aide médicale de l’État (AME). (Ah ! sur les travées du groupe SER.) Durant l’examen de ce texte, le Gouvernement a demandé un rapport – qui a été rendu – à MM. Évin et Stefanini.

Ensuite, sous la plume de votre prédécesseure, engagement a été pris par le Gouvernement, le 18 décembre dernier, de déposer un projet de loi en ce début d’année 2024 pour aborder cette thématique.

Hier, devant l’Assemblée nationale, vous avez confirmé, monsieur le Premier ministre, que cette démarche serait bien accomplie.

Mes questions sont très simples : allez-vous déposer ce projet de loi uniquement sur la base du rapport réalisé par MM. Évin et Stefanini ou allez-vous ouvrir préalablement une discussion avec le Parlement, singulièrement avec le Sénat ? Comment allez-vous procéder pour que nous continuions d’avancer sereinement – j’y insiste – sur ce sujet et selon quel calendrier ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Gabriel Attal, Premier ministre. Monsieur le président Buffet, lors des discussions sur le projet de loi Immigration, je n’étais pas dans les fonctions que j’occupe aujourd’hui, mais j’étais membre du Gouvernement et j’ai bien évidemment observé ces débats. J’ai bien vu que l’aide médicale de l’État avait fait l’objet de questions et de discussions, ce qui était légitime. (Mme Marie-Pierre de La Gontrie sexclame.)

Il n’est pas illégitime de nous interroger sur nos politiques publiques et sur notre modèle social. C’est aussi pour cela que nous sommes élus. Nous devons réinterroger en permanence notre modèle.

D’ailleurs, l’aide médicale de l’État a fait l’objet de questionnements et d’interrogations tant sous des majorités de gauche que de droite, ainsi que sous la majorité qui nous rassemble autour du Président de la République. (Sourires.)

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Une majorité de droite ! (Nouveaux sourires.)

M. Gabriel Attal, Premier ministre. Ces interrogations ont abouti à des évolutions.

J’ai ainsi souvenir qu’en 2014 Marisol Touraine, alors ministre des affaires sociales et de la santé, s’était interrogée sur les filières qui abusaient de ce dispositif et avait fait évoluer ce dernier au cours de débats parlementaires.

De même, lors du précédent quinquennat, nous avons fait évoluer le panier de soins. Les débats étaient alors, je dois le dire, assez dépassionnés.

Voilà la logique qui doit nous animer : regarder les dispositifs tels qu’ils sont et évaluer comment nous pouvons les améliorer. C’est dans cet esprit qu’a été confiée une mission à Claude Évin et Patrick Stefanini.

Ce rapport, qui a été rendu public, souligne d’abord – il me semble important de le rappeler – que l’aide médicale de l’État est un dispositif utile, globalement maîtrisé et qui ne constitue pas en tant que tel et à lui seul – je fais attention aux mots que j’utilise – une incitation à l’immigration.

Cela éteint-il toutes les questions ? Non. Le rapport, vous l’avez dit, contient plusieurs recommandations et propositions qui me semblent assez intéressantes et légitimes.

À partir de là, comment avancer ? Vous le savez, Élisabeth Borne a adressé un courrier au président du Sénat s’engageant à donner une suite à ce rapport par des mesures réglementaires ou législatives. J’ajoute que le président du Sénat m’a interrogé de son côté sur les suites que j’entendais donner à cet engagement d’Élisabeth Borne.

Hier, la même question m’a été posée à l’Assemblée nationale. Les députés voulaient surtout savoir si je me considérais comme engagé par la lettre de ma prédécesseure. J’ai répondu que je respecterai bien évidemment l’engagement qui a été pris par la Première ministre.

Comment allons-nous procéder ? Sur ce sujet, je vous demande de patienter quelques jours ou semaines. Nous sommes en train d’installer le nouveau gouvernement et je dois échanger avec le ministre de l’intérieur et des outre-mer et avec la ministre du travail, de la santé et des solidarités. En outre, je l’ai dit voilà quelques instants, je présenterai ma déclaration de politique générale le 30 janvier et je viendrai au Sénat, à cette occasion, pour débattre avec vous.

Pour conclure, je veux vous redire que l’engagement sera tenu et que nous donnerons suite à ce rapport. Pour ce qui concerne les modalités et le calendrier, je reviendrai vers vous très prochainement. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Véronique Guillotin applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. François-Noël Buffet, pour la réplique.

M. François-Noël Buffet. Merci, monsieur le Premier ministre, de cette réponse.

Vous avez dit, voilà quelques jours, que vous étiez un adepte des discours de vérité. C’est au moins un point que nous avons en commun. Dans ces conditions, le Sénat, en tout cas la majorité sénatoriale et le groupe Les Républicains, est prêt à un travail approfondi sur ce sujet.

Je veux toutefois rappeler deux choses. La première, c’est que le principe du soin pour les personnes susceptibles de bénéficier de l’aide médicale de l’État n’est pas remis en cause. La seconde, c’est que nous voulons maîtriser le dispositif et le contrôler efficacement pour qu’il ne soit pas dévoyé de son objectif initial. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Michel Laugier applaudit également.)

situation en mer rouge face aux agressions des houthis

M. le président. La parole est à Mme Nicole Duranton, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme Nicole Duranton. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.

Dans le contexte de la guerre entre Israël et le Hamas, la tension est montée en mer Rouge ces dernières semaines avec des attaques des Houthis visant le trafic maritime, en solidarité avec la bande de Gaza. Cette voie stratégique, qui relie la Méditerranée à l’océan Indien, est cruciale pour le commerce mondial, quelque 20 000 navires la traversant chaque année.

Depuis mi-octobre, cette route commerciale est menacée par les Houthis, des rebelles yéménites membres d’une organisation soutenue par l’Iran voulant interdire le passage aux navires des pays qu’ils estiment être proches d’Israël.

Cette milice yéménite a rejoint la coalition informelle appelée Axe de la résistance, qui réunit notamment l’Iran, le Hamas et le Hezbollah contre l’État d’Israël. Cette coalition fait planer le spectre d’un conflit généralisé.

La France fait partie de la coalition internationale assurant la sécurité en mer Rouge. En décembre dernier, la frégate Languedoc, en mission en mer Rouge, patrouillant dans la zone, a abattu en légitime défense des drones se dirigeant vers elle.

Ces attaques houthies dissuadent les navires commerciaux d’emprunter la mer Rouge. Ils se détournent du canal de Suez, optant pour le cap de Bonne-Espérance. Cette route alternative allonge considérablement leur trajet, ce qui entraîne une hausse du tarif des transports.

Ces attaques menacent la libre circulation du commerce et violent le droit international. La liberté de navigation en mer Rouge est d’une importance cruciale pour les intérêts de la France, ne serait-ce que pour assurer les liaisons maritimes avec ses territoires de l’océan Indien, Mayotte et La Réunion. Cette situation aggrave l’inflation sur les produits importés dans ces territoires.

La crise en mer Rouge ne constitue pas seulement un danger sur le plan sécuritaire, c’est aussi un danger commercial avec des répercussions qui entraînent une pression inflationniste sur la France et l’Europe et qui pénalisent l’économie mondiale.

Monsieur le ministre, face à cette double menace sécuritaire et commerciale en mer Rouge, quelles mesures envisagez-vous pour protéger les intérêts commerciaux et économiques de la France ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.

M. Stéphane Séjourné, ministre de lEurope et des affaires étrangères. Madame la sénatrice Nicole Duranton, oui, les Houthis menacent la sécurité maritime et le commerce international en mer Rouge. Ces attaques sont une atteinte à nos intérêts nationaux et aux intérêts européens.

Un navire de la CMA CGM et la frégate Languedoc ont d’ailleurs été directement ciblés. Plusieurs compagnies maritimes, vous l’avez dit, sont contraintes de contourner cette zone.

Ces attaques sont aussi une violation évidente du droit international. La résolution adoptée le 10 janvier dernier par le Conseil de sécurité des Nations unies les condamne et rappelle le droit des États à se défendre.

Face à ces menaces, la France agit en détruisant directement les drones dirigés contre des navires, qu’ils soient civils ou militaires.

Dans ce contexte, les États-Unis ont fait le choix d’une opération militaire sur les territoires contrôlés par les Houthis. La France n’a pas souhaité y prendre part. À ce stade, nous nous contentons de mener une action en mer en totale autonomie, mais en coordination avec nos alliés. Nous étudions aussi les moyens de renforcer la présence européenne en mer Rouge.

Voilà notre approche, madame la sénatrice : fermeté dans le cadre collectif et, en même temps, désescalade par le dialogue. L’escalade est aujourd’hui de la seule responsabilité des Houthis ; notre responsabilité est d’éviter un embrasement supplémentaire dans la région. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

situation en ukraine

M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

M. Claude Malhuret. Après vous avoir félicité, monsieur le Premier ministre, pour votre nomination, je voudrais évoquer les propos qu’a tenus à Kiev votre ministre de l’Europe et des affaires étrangères, soulignant que l’aide à l’Ukraine restera une priorité. Il faut maintenant tenir cette promesse !

La situation est devenue critique. Les crimes de guerre du boucher du Kremlin infligent chaque jour un atroce supplice à la population civile d’Ukraine.

Les Ukrainiens, qui ont brillamment contre-attaqué à Kharkiv et Kherson en 2022, sont aujourd’hui en position de faiblesse, parce que, depuis le début, le soutien des démocraties peut se résumer par une formule : trop peu, trop tard !

Si nous avions livré à temps les chars, les missiles, les batteries anti-aériennes, l’armée russe n’aurait pu reconstituer ses défenses et faire échouer la contre-offensive de 2023. Nous sommes en train de renouveler cette erreur.

Depuis des mois, Zelensky attend 60 milliards de dollars de Washington, bloqués par les Trumpistes au Congrès, et 50 milliards d’euros de l’Europe, paralysée par ses cinquièmes colonnes – Orbán le collabo en Hongrie, Le Pen et Mélenchon, les chiens-chiens à leur Poutine en France, et tant d’autres ailleurs.

Nos tergiversations mettent l’Ukraine en grand danger – je pèse mes mots. Une défaite serait celle de l’Europe tout entière, un formidable stimulant pour la Chine face à Taïwan, pour le docteur Folamour de Corée du Nord, pour les mollahs iraniens tueurs de femmes au Moyen-Orient.

Il serait impensable que le prochain Conseil européen du 1er février ne déjoue pas les manœuvres d’Orbán le corrompu et ne débloque pas la totalité de l’aide promise à l’Ukraine. Je vous demande aujourd’hui l’engagement formel d’y parvenir et de soutenir sans restriction le fonds de 100 milliards d’euros pour l’industrie de la défense européenne, proposé par le commissaire français Thierry Breton.

En ce début de mandat, vous vous dites sans doute, monsieur le Premier ministre, que vous serez jugé sur vos résultats dans notre pays, et c’est exact. Mais à l’échelle de l’Histoire, votre gouvernement et tous les gouvernements d’Europe seront jugés à l’aune de la victoire ou de la défaite des démocraties en Ukraine face à l’internationale reconstituée des dictateurs. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDPI, RDSE, UC et Les Républicains. – M. Yannick Jadot applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Gabriel Attal, Premier ministre. Monsieur le président Malhuret, voilà près de deux ans, en dépit de toutes les règles de droit international et de tous ses engagements, la Russie a agressé l’Ukraine. C’est une attaque cynique et meurtrière, avec des frappes aériennes répétées, qui visent délibérément les civils. Ce qui est en jeu dans ce conflit – je vous remercie de l’avoir rappelé aussi clairement –, c’est la liberté, la démocratie et l’avenir de notre continent. La Russie espère que l’Ukraine cédera et que ses soutiens se lasseront. Je le dis de manière très claire, en tant que chef du Gouvernement, comme le Président de la République l’a rappelé hier : la Russie se trompe. Nous ne faiblirons pas et nous ne faiblirons jamais. Notre détermination est intacte, je le réaffirme ici devant vous.

Le ministre de l’Europe et des affaires étrangères s’est rendu à Kiev pour son premier déplacement après sa nomination. Permettez-moi, pour la première fois en tant que Premier ministre, au nom du Gouvernement, et en votre nom à tous, j’en suis sûr, de dire mon admiration pour le peuple ukrainien et de saluer son courage exceptionnel.

Monsieur le président Malhuret, vous avez évoqué notre soutien à l’Ukraine, lequel, je le disais à l’instant, ne faiblira pas. Le Président de la République a annoncé hier la livraison de nouveaux missiles de longue portée et de centaines de bombes. Ce sont des armements attendus par les Ukrainiens et qui seront déterminants sur le terrain. En parallèle, nous continuons à former des militaires ukrainiens, comme nous le faisons depuis le début du conflit pour répondre à leurs besoins. Nous poursuivrons donc notre soutien militaire, en concertation avec nos partenaires. J’ajoute que notre soutien humanitaire continue lui aussi, pour répondre aux besoins les plus immédiats du peuple ukrainien, notamment en matière d’éducation et de santé.

Pour réussir, la mobilisation de tous les acteurs est essentielle. Je pense évidemment à l’État, aux collectivités locales, dont je veux saluer l’engagement remarquable. Nombre d’entre elles interviennent en solidarité avec les Ukrainiens. Je pense aussi aux acteurs privés, engagés en soutien de l’économie ukrainienne, dans la perspective de la reconstruction.

Notre soutien de long terme à l’Ukraine civile comme militaire sera inscrit dans l’accord bilatéral de sécurité que le Président de la République signera avec le président Zelensky, lors de son déplacement à Kiev en février prochain. Ce soutien de la France, le Président de la République aura l’occasion de le réaffirmer vendredi, à Cherbourg, en adressant ses vœux à nos armées.

J’ajoute, comme vous l’avez rappelé, que la France porte également la mobilisation en faveur de l’Ukraine à l’échelon européen. Nous sommes déterminés à obtenir un accord sur la Facilité pour l’Ukraine au Conseil européen extraordinaire du 1er février prochain. Concrètement, cette facilité doit permettre à l’Ukraine de faire face à ses besoins de financement immédiats et de mener les investissements essentiels pour se reconstruire et se moderniser.

L’Union européenne est également déterminée à poursuivre son soutien militaire à l’Ukraine. Le Conseil européen de décembre dernier a ainsi demandé que s’intensifient les travaux sur la réforme de la Facilité européenne pour la paix (FEP).

En s’en prenant à l’Ukraine, la Russie a attaqué nos valeurs. La Russie a remis en cause la démocratie et la liberté. Nous nous tiendrons aux côtés de l’Ukraine et du peuple ukrainien. Nous nous tiendrons toujours aux côtés de nos valeurs, c’est l’une de nos priorités. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP et RDSE, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

crise de l’ostréiculture

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Delattre, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme Nathalie Delattre. Monsieur le président, mes chers collègues, ma question s’adresse à M. le ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.

Voilà quatre ans, presque jour pour jour, lors d’une séance de questions au Gouvernement, notre collègue Muriel Jourda interrogeait le ministre de l’agriculture de l’époque, Didier Guillaume, sur la manière dont il comptait venir en aide aux ostréiculteurs, alors durement touchés par des pollutions de l’eau de mer au norovirus, lors des fêtes de fin d’année de 2019.

Mme Élisabeth Borne, alors ministre de la transition écologique, rappelait que, dans le cadre du onzième programme d’intervention des agences de l’eau, quelque 3,6 milliards d’euros d’aides devaient être accordés au titre du traitement des eaux usées.

Comment et où ces fonds ont-ils été employés ? Force est de constater que les mêmes causes ont produit les mêmes effets. En témoigne l’interdiction de la vente d’huîtres du bassin d’Arcachon prise par arrêté préfectoral le 27 décembre dernier, en raison de la contamination de la production au norovirus.

Le préfet a réuni autour de lui les collectivités et les établissements publics compétents dans la gestion des eaux usées et des eaux pluviales sur le bassin versant. Il a promis d’accélérer les programmes d’investissement pour apporter des réponses à moyen et long termes.

Voilà quelques jours, M. le ministre Christophe Béchu m’indiquait, à la suite d’un courrier que je lui ai adressé, que l’État pourrait intervenir sur des aides à l’investissement. Toutefois, pour l’heure, il est question non pas d’investir, mais de survivre.

La fermeture pour vingt-huit jours de la totalité de la zone de production du bassin d’Arcachon a entraîné 5 millions d’euros de pertes sèches et fait craindre de perdre la confiance des consommateurs.

Aussi, en sus des aides aux collectivités qui ont été annoncées, comment allez-vous aider directement les ostréicultrices et les ostréiculteurs ? Serez-vous épaulé par un ministre chargé de la mer, tant les enjeux en la matière sont vastes ? (Applaudissements sur les travées du RDSE. – MM. Jean-Baptiste Lemoyne et Mickaël Vallet applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.

M. Marc Fesneau, ministre de lagriculture et de la souveraineté alimentaire. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, madame la sénatrice Nathalie Delattre, vous avez raison, les difficultés liées notamment au traitement des eaux usées, cause principale des pollutions au norovirus, sont un sujet récurrent.

Vous l’avez rappelé, à l’issue d’épisodes pluviométriques intenses, les débordements de stations d’épuration et les opérations de délestage sur les réseaux d’eau pluviale, qui étaient saturés, ont conduit à la propagation du norovirus, qui produit des infections humaines de type gastroentérite aiguë. Une telle situation a justifié les mesures de protection prises par la direction générale de l’alimentation.

Les interdictions temporaires sont destinées à protéger la santé des consommateurs, ce qui constitue, les ostréiculteurs l’ont dit avec grande responsabilité, la priorité absolue devant une telle situation.

Les difficultés ne sont pas liées à la qualité du travail des ostréiculteurs. Si les coquillages contaminés peuvent de nouveau être commercialisés une fois le virus éteint, à la suite d’un épisode de filtration dans des eaux saines, le préjudice économique et le préjudice d’image, c’est-à-dire le préjudice médiatique, sont importants.

Puisque les producteurs ne sont en rien responsables, la possibilité de mobiliser des mesures de soutien, cela a été dit par Hervé Berville, est à l’étude, certaines ayant déjà été activées par le passé. Peut-être d’autres mesures devront-elles être mobilisées. Je pense notamment aux exonérations de la redevance domaniale. Pour ce qui concerne les mesures fiscales ou les charges sociales, nous étudierons la question avec le ministre de l’économie et des finances.

Pour ce qui concerne les actions des collectivités locales, nous ferons appel à Christophe Béchu, que vous avez cité.

Il convient d’abord de mettre pleinement en œuvre le principe pollueur-payeur. En tant qu’élu local, je sais à quel point il est parfois difficile de développer certains projets. Toutefois, en l’occurrence, les responsables devront payer.

Il faut ensuite accélérer les investissements, qui n’ont sans doute que trop tardé. Nous devrons accompagner les collectivités en la matière. Nous allons donc travailler avec les préfectures des zones concernées pour indemniser à court terme et accélérer les investissements à moyen et long termes. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

politique générale du gouvernement

M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Patrick Kanner. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, dans un exercice assumé d’autosatisfaction, le président Macron m’a hier rassuré. Notre pays va bien, l’ascenseur social fonctionne et nos services publics ont les moyens de remplir leurs missions !

J’ai sans doute été distrait, car, pour moi, la réalité est tout autre. Dans ma réalité, l’école publique est fragilisée par des professeurs non remplacés et désabusés. L’hôpital public s’effondre. J’ai en tête l’exemple tristement emblématique de la maternité Jeanne de Flandre, à Lille, qui transfère une partie de ses patientes et de leurs bébés en Belgique. Dans ma réalité, la France compte désormais près de 5 millions de pauvres et la classe moyenne a de plus en plus de mal à joindre les deux bouts. Le déclassement social frappe de plus en plus nos concitoyens. Dans ma réalité, le logement traverse une crise d’une ampleur inédite depuis trente ans, sans que nous disposions, à ce stade, d’un ministre de plein exercice.

Monsieur le Premier ministre, il faut ouvrir les yeux. Tel est l’état de la France, dont vous êtes comptable. Les propos du Président de la République traduisent sa déconnexion avec le quotidien des Français. Pour lui, c’est la moralisation et l’ordre pour les citoyens, la dérégulation et le désordre pour les intérêts financiers. Ce n’est pas d’optimisme dont il a fait preuve hier soir : il cultive une amnésie politicienne pour conserver le mauvais cap qu’il a fixé voilà bientôt sept ans.

Quant aux Français, ils n’ont rien oublié : ni l’injuste réforme des retraites, ni la stigmatisation des chômeurs, ni la xénophobie rampante de la loi Immigration. Monsieur le Premier ministre, aurez-vous la lucidité de poser ce constat ? Aurez-vous l’audace d’en tirer toutes les conséquences ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Ian Brossat applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Gabriel Attal, Premier ministre. Monsieur le président Kanner, manifestement, nous n’avons pas assisté à la même conférence de presse. Les nombreux Français qui l’ont suivie à la télévision…

M. Hussein Bourgi. Moins nombreux que pour ses vœux !

M. Gabriel Attal, Premier ministre. … ont pu entendre, au contraire, un Président de la République lucide sur les difficultés de notre pays et les défis que nous avons à relever. (Exclamations ironiques sur les travées des groupes SER et Les Républicains.)

Cette lucidité doit-elle nous empêcher de reconnaître et de mettre en avant un certain nombre de progrès intervenus ces dernières années dans notre pays ? Je ne le crois pas !

M. Hussein Bourgi. Lesquels ? Le pouvoir d’achat ? La santé ? Le logement ?

M. Gabriel Attal, Premier ministre. S’agissant du taux de chômage, particulièrement bas, un taux que nous n’avons pas connu depuis un certain nombre d’années, ne peut-on pas parler de progrès, non pas pour le Gouvernement ou le Président de la République, mais pour ces millions de Français qui ont pu retrouver un emploi ?

M. Olivier Paccaud. Tout va très bien, madame la marquise !

M. Gabriel Attal, Premier ministre. Face au décollage de l’apprentissage, qui concernera bientôt, dans notre pays, 1 million de jeunes, ne peut-on pas parler de progrès, non pas pour le Gouvernement ou le Président de la République, mais pour tous ces jeunes qui pourront trouver leur voie grâce à l’apprentissage ?

M. Emmanuel Capus. Excellent !

M. Gabriel Attal, Premier ministre. S’agissant des droits ouverts, ces dernières années, sur l’initiative du Président de la République et de sa majorité – je pense notamment à l’ouverture de la PMA, la procréation médicalement assistée, à toutes les femmes –, ne peut-on pas parler de progrès, non pas pour le Gouvernement ou le Président de la République, mais pour toutes les femmes qui pourront s’engager dans un projet familial ? Je pourrais encore multiplier les exemples.

Cela me rend-il aveugle ou sourd aux difficultés que traversent les Français et à la situation du pays ? La réponse est non. Je crois l’avoir dit dès ma prise de fonction à Matignon, lors de la passation de pouvoir : je suis lucide sur les difficultés, les angoisses, les inquiétudes, les doutes et les colères de nombreux Français. Je pense aussi à ceux qui n’expriment pas de colère, tout simplement parce qu’ils n’attendent plus rien. J’en suis conscient.

Je le sais, tous les Français qui travaillent chaque jour, qui sont toujours au rendez-vous de leurs responsabilités, et qui ont toujours le sentiment d’avoir un peu plus de ce qu’il faut pour être accompagnés par la solidarité nationale et un peu moins de ce qu’il faut pour s’en sortir tout seuls, attendent beaucoup de nous.

J’en suis conscient, les Français attendent évidemment beaucoup en matière de santé, d’accès aux soins et d’hôpital.

Monsieur Kanner, chacun le sait, j’ai été membre du parti socialiste (Murmures ironiques sur les travées du groupe SER.),…

M. Olivier Paccaud. Personne n’est parfait !

M. Gabriel Attal, Premier ministre. … et j’ai travaillé auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé. Or les budgets et l’investissement alloués à l’hôpital public depuis 2017, notamment au travers du Ségur de la santé, nous en aurions rêvé dans les précédentes majorités ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Françoise Gatel et M. Franck Dhersin applaudissent également. – Protestations sur les travées du groupe SER.)

Les arbitrages financiers rendus à l’époque n’avaient pas été ceux-là ! Nous avons fait le choix clair et résolu de soutenir l’hôpital. Bien évidemment, l’argent ne suffit pas. Il faut poursuivre la transformation, particulièrement en travaillant sur les coopérations, pour l’accès aux soins de tous les Français. Tel est le mandat de Catherine Vautrin.

En ce qui concerne l’école, nous avons devant nous de nombreux défis à relever. Au cours de ces derniers mois, en tant que ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, …

M. Jean-François Husson. Cela n’a pas duré longtemps !

M. Gabriel Attal, Premier ministre. … j’ai eu l’occasion de le dire, j’ai porté un constat lucide sur les difficultés de notre école, qui m’ont conduit à prendre un certain nombre de décisions assez fermes et assez radicales.

La question de la laïcité, notamment, ne doit jamais souffrir aucune contestation et doit être respectée en tout lieu de notre territoire.

M. Vincent Éblé. Quel rapport ?

M. Gabriel Attal, Premier ministre. J’ai pris cette décision extrêmement claire dès ma prise de fonction.

J’ai également affirmé le rétablissement de l’excellence et de l’exigence à tous les niveaux de l’école. En effet, on ne peut accepter que, pour certains, l’école soit devenue une forme de tapis roulant sur lequel on se pose, en se laissant glisser de classe en classe, sans que personne vérifie si l’on a le niveau pour passer dans la classe supérieure. C’est pour l’égalité des chances que l’on remet de l’exigence et de l’excellence à tous les niveaux.

La ministre de l’éducation nationale devra bien évidemment poursuivre cette action et déclinera le choc des savoirs que j’ai eu l’occasion d’annoncer.

M. Éric Kerrouche. Le choc, on l’a eu !

M. Gabriel Attal, Premier ministre. Je suis tout aussi lucide en ce qui concerne les difficultés en matière de sécurité. Depuis 2017, nous avons créé 14 000 postes de policiers et de gendarmes supplémentaires. Nous avons investi comme jamais dans la justice, avec un garde des sceaux particulièrement tonique pour obtenir des budgets supplémentaires pour son ministère, comme j’ai pu l’observer en tant que ministre des comptes publics. En la matière, les enjeux de transformation sont également importants, afin que le service public de la justice soit toujours au rendez-vous des Français.

Enfin, pour ce qui concerne la transition écologique et la protection de la planète, je suis également lucide. En tant que Premier ministre, je suis chargé de la planification écologique de notre pays, comme ma prédécesseure. J’aurai à cœur d’appliquer, et même d’accélérer, avec mes ministres, la feuille de route présentée par le Président de la République sur la planification, qui fait de la France un pays moteur en matière de transition écologique. (Protestations sur les travées du groupe GEST.)

J’entends les critiques et les questions qui sont posées, mais j’attends que l’on me montre un pays de l’Union européenne qui s’engage autant que nous, un pays ayant réussi à réduire de 4 % ses émissions de gaz à effet de serre, comme nous l’avons fait l’an dernier ! Quel pays a réussi à faire la même chose dans l’Union européenne ? Aucun autre pays comparable au nôtre ne possède un niveau d’émission de CO2 par unité de production aussi faible que celui de la France !

Je n’ai pas l’intention de faire ici ma déclaration de politique générale. (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.) Quoi qu’il en soit, vous le voyez, j’ai des choses à vous dire. Je suis sûr que nous aurons, au Sénat, de très beaux débats. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour la réplique.

M. Patrick Kanner. Monsieur le Premier ministre, je ne doute pas de votre sincérité. Simplement, je vous le dis comme je le pense : changer de premier violon ne change pas la partition. Alors que le Président de la République vous a qualifiés, vous et vos ministres, de soldats de l’an II lors du premier conseil des ministres situé à côté de son bureau, à l’Élysée, je ne voudrais pas que ces soldats de l’an II, qui ont sauvé la République, se transforment demain en cavaliers de l’Apocalypse, qui permettraient à l’extrême droite de s’installer dans ce pays. Malheureusement, votre politique est en train d’y concourir. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)

feuille de route du ministère de l’éducation nationale

M. le président. La parole est à M. Max Brisson, pour le groupe Les Républicains.

M. Max Brisson. Ma question s’adresse à Mme la ministre de l’éducation nationale (Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains.), de la jeunesse (Mêmes mouvements.), des sports (Mêmes mouvements.) et des jeux Olympiques et Paralympiques (Même mouvements.). J’espère, madame, n’avoir oublié aucune de vos fonctions…

Lors de la passation de pouvoirs, rue de Grenelle, vendredi dernier, le Premier ministre affirmait : « L’école sera la mère des batailles de mon gouvernement. » M. le Président de la République l’a confirmé hier.

J’ai donc trois questions à vous poser.

À la lumière de votre large portefeuille, comment comptez-vous concilier de manière efficace et permanente la bataille de la refondation de l’école et, en même temps, le défi de l’organisation des Jeux de Paris ?

Dans cette « mère des batailles », quelle image du professeur entendez-vous porter dans la société ? Quelle est votre vision de son rôle, de sa place, de son autorité ?

Dans cette « mère des batailles », quel rôle et quelle place entendez-vous donner à l’enseignement privé, sous contrat et hors contrat ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Catherine Morin-Desailly applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse, des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques.

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre de léducation nationale, de la jeunesse, des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur Max Brisson, en réunissant les champs de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports dans notre contexte olympique et paralympique, vous n’avez rien oublié !

Le Président de la République et le Premier ministre m’ont confié un continuum de responsabilités aux synergies nombreuses. Au cœur de ce continuum, il y a une ambition, à savoir le réarmement civique de notre jeunesse (Protestations sur les travées des groupes SER et CRCE-K.) et il y a un trésor, c’est l’école.

Pour la servir, je m’appuierai sur trois piliers.

D’abord, il convient de restaurer l’exigence, au travers du choc des savoirs impulsé par Gabriel Attal, et de réaffirmer l’autorité de nos professeurs sur la vie de classe, leurs enseignements, les décisions de redoublement et les notations.

Ensuite, il faut renforcer l’attractivité des métiers de l’enseignement, en réinventant la formation initiale des enseignants, en repensant leur formation continue, en continuant d’améliorer l’organisation et les remplacements de courte durée, en poursuivant les réformes engagées pour la revalorisation des carrières et des conditions de travail des enseignants et d’autres catégories de personnel, comme les infirmières scolaires, les assistants sociaux et les accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH).

Mme Émilienne Poumirol. Il n’y a plus ni médecins ni infirmiers scolaires !

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre. Enfin, il est nécessaire, plus que jamais, dans la France des jeux Olympiques et Paralympiques, de construire une école de l’épanouissement républicain, où la peur et le harcèlement n’ont plus leur place, une école dans laquelle tous les élèves s’approprient les valeurs de la République, avec l’instruction civique, le respect de la laïcité et l’engagement par le biais du service national universel.

Il s’agit d’une école inclusive, monsieur le sénateur, attentive au bien-être et à la santé de tous nos enfants. Il s’agit aussi d’une école ouverte sur la société, avec la découverte des métiers au collège, les stages des élèves de seconde et la nouvelle carte des formations pour les lycéens professionnels. Il s’agit enfin d’une école sachant reconnaître les singularités de nos enfants et faisant grandir leurs talents, notamment par le sport, l’art et la culture.

Ma détermination, c’est de faire réussir la jeunesse, de faire réussir toutes les écoles de notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. Max Brisson, pour la réplique.

M. Max Brisson. Madame la ministre, drôle de zigzag que le Président de la République fait subir à notre école !

Jean-Michel Blanquer parlait laïcité, autorité et confiance, avant de constater, impuissant, malgré une avalanche de circulaires, la dégringolade de notre école.

Pap Ndiaye passait par-dessus bord les principes chers à son prédécesseur. Sous couvert de mixité sociale, il a sapé les derniers espaces d’excellence de notre école.

Enfin, Gabriel Attal, pendant cinq mois et vingt jours, nous a offert une ode quotidienne à l’école, dont nous attendons toujours la traduction en actes.

Au lieu de zigzag, ne serait-il pas temps de fixer un cap et de s’y tenir dans la durée, avec, pour valeurs cardinales, la liberté, l’autorité, le mérite, l’excellence et la performance ?

M. Bernard Jomier. Comme à Stanislas ? (Sourires sur les travées du groupe SER.)

M. Max Brisson. Telle est la mère des batailles à mener. Toutefois, avec un tel portefeuille, madame la ministre, cette mère des batailles ne risque-t-elle pas, sous le poids de vos responsabilités, de finir noyée ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Catherine Morin-Desailly applaudit également.)

suite du cyclone belal à la réunion

M. le président. La parole est à Mme Audrey Bélim, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Audrey Bélim. Monsieur le Premier ministre, La Réunion a connu pour la première fois depuis trente ans le passage de l’œil d’un cyclone. Je profite de ce moment pour exprimer ma solidarité aux Mauriciens, également durement touchés.

À l’heure où nous parlons, le bilan humain fait état de quatre décès. Sur le plan matériel, de nombreux Réunionnais sont sinistrés. Les récoltes des agriculteurs ont été fortement atteintes par le cyclone.

Je salue l’action des élus locaux, qui ont ouvert dans des délais contraints 158 centres d’hébergement d’urgence pour les populations les plus fragiles, mais aussi celle du préfet et du Gouvernement. Vendredi devrait être annoncée la reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle, demandée par l’Association des maires du département de La Réunion, que j’ai soutenue.

Pour l’instant, La Réunion a tenu, mais Belal n’est qu’un avertissement de plus. La prévention des risques et la préparation face aux crises doivent être renforcées.

À court terme se pose la question de l’accompagnement des collectivités. Par exemple, à Saint-Denis, les dépenses post-cyclones s’élèvent à 6 millions d’euros, et ce sans les travaux sur le bâti.

À moyen terme se pose la question de la résilience de notre territoire. De nombreux Réunionnais n’ont plus accès à l’électricité ni à l’eau. Les budgets liés aux réseaux de distribution d’électricité sont-ils à la hauteur des besoins ? Comment se fait-il que les fils électriques ne soient pas enterrés, alors que La Réunion est une terre de cyclones ?

Ce n’est pas une surprise, ce n’est pas imprévisible ! Une succession de cellules de crise ne pourra pas faire une politique.

Se pose aussi la question de notre lutte contre le dérèglement climatique. Nous l’avons vu dans le Pas-de-Calais, nous le voyons aujourd’hui à La Réunion, les tempêtes et cyclones se multiplieront et s’aggraveront. Qu’allez-vous faire pour accélérer en matière de transition énergétique, alors même que le ministère de plein exercice a été supprimé ? La question n’est donc pas de savoir ce qui a été fait, mais bien ce que vous allez faire ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement.

Mme Prisca Thevenot, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, madame la sénatrice Audrey Bélim, à mon tour, au nom du Gouvernement, je me permets de saluer la résilience et la force de capacité d’engagement, aussi bien des habitants de l’île de La Réunion que des forces de secours et de sécurité, ainsi que des nombreux secouristes engagés auprès des associations et des élus locaux.

Je me permets également de saluer, dans un geste de solidarité, les habitants de l’île Maurice, qui ont également été frappés par ce cyclone.

Permettez-moi de répondre très rapidement, mais avec précision, aux éléments importants que vous avez évoqués. L’alerte rouge a en effet été levée par le préfet hier à treize heures, heure locale. Les actions de reconnaissance se poursuivent et le déblaiement des voiries a débuté. Les coupures d’électricité, d’eau et de réseaux téléphoniques fixes comme mobiles ont été importantes, mais sont en cours de réparation. Les principaux réseaux routiers ont été rouverts à la circulation. Seuls les réseaux secondaires et la voie d’accès à Cilaos doivent encore faire l’objet de travaux de déblaiement. Sur le plan humain, nous déplorons quatre victimes.

Le Président de la République a décidé l’engagement de moyens nationaux. Des sapeurs-pompiers, des sapeurs-sauveteurs, des gendarmes et des agents d’Enedis sont partis de métropole et de Mayotte pour apporter leur renfort. L’aide de l’État va se poursuivre avec une procédure accélérée de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle, dont la commission devrait se réunir dès demain, madame la sénatrice.

Avec le concours du préfet, l’ensemble des dispositifs d’appui aux populations exploitantes du monde agricole ou industriel touchées par ce cyclone seront activés, tels que le dispositif de calamité agricole ou le fonds d’aide outre-mer.

Par ailleurs, vous soulevez un point important. Nous devons en effet être en mesure d’anticiper. Pour ce faire, il convient de travailler sur ces enjeux climatiques, qui sont de plus en plus forts et fréquents. Bien évidemment, la France prend toute sa part à cette tâche. À l’échelon européen, un groupe a été mis en place pour travailler sur ces enjeux. La France y aura une voix particulière, au regard du témoignage de ses territoires d’outre-mer. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

politique familiale

M. le président. La parole est à Mme Anne Chain-Larché, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Anne Chain-Larché. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, en 2023, la France a enregistré seulement 678 000 naissances. En un an, c’est une baisse de 7 % ; en treize ans, une chute de 20 %.

Ce crash de la natalité est destructeur pour notre économie et notre système social. Il constitue une menace existentielle pour notre pays, puisque le renouvellement des générations n’est plus assuré.

Le recours à une immigration massive pour compenser ce déficit de naissances serait une très grave erreur. Cela risquerait de détruire la cohésion nationale.

Le nombre d’enfants désirés par les familles reste largement supérieur aux naissances. À cet égard, la responsabilité du Gouvernement est immense.

Que s’est-il passé ces dernières années ? Le quotient familial a été rogné, les allocations ont été rabotées, les coûts de garde d’enfant ont augmenté, la prestation d’accueil du jeune enfant a diminué… et j’en passe !

C’est une véritable guerre contre les familles qui a été menée et nous en payons le prix.

L’annonce d’un « congé de naissance » de six mois, sans que nous connaissions les moyens qui y seront alloués, est encore une mesure « à côté de la plaque », d’autant que ce congé de naissance entraînerait la suppression du congé parental actuel de deux ans. Ainsi, cela aggraverait, pour de nombreuses familles, les problèmes de garde d’enfant.

Ma question est donc simple : quelle est votre politique familiale ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement.

Mme Prisca Thevenot, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie de bien vouloir excuser Catherine Vautrin, retenue en ce moment même à l’Assemblée nationale.

En effet, madame la sénatrice, la France accuse cette année une baisse de natalité sans précédent, dont les raisons sont multiples : baisse de la fertilité liée à l’arrivée plus tardive du premier enfant, difficulté d’accès aux modes de garde et baisse de la fertilité liée à des facteurs exogènes.

Des mesures ont d’ores et déjà été annoncées et mises en œuvre en 2023 : allongement du congé de paternité à vingt-cinq jours, mise en place de l’entretien prénatal et postnatal précoce, investissement massif dans la recherche contre l’infertilité dans le cadre de France Relance. Il est important de le rappeler, l’infertilité touche aussi bien les femmes que les hommes.

Nous avons par ailleurs levé le tabou de l’endométriose, qui est la première cause d’infertilité féminine et qui touche une femme sur dix.

Il faut aller plus loin dans l’accompagnement des parents : 200 000 nouvelles solutions de garde doivent être trouvées d’ici à la fin du quinquennat. La nouvelle convention d’objectifs et de gestion qui lie l’État à la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) prévoit près de 6 milliards d’euros supplémentaires consacrés à la petite enfance d’ici à 2027.

Nous allons également accélérer la lutte contre la pénurie de professionnels de la petite enfance et renforcer l’attractivité des métiers. Tel est l’enjeu des revalorisations salariales annoncées, que nous allons mettre en œuvre en lien avec les branches et les communes.

Enfin, le Président de la République a annoncé hier la mise en place d’un nouveau congé de naissance. Plus court, mieux rémunéré que le congé parental actuel, il permettra d’augmenter le temps de présence auprès des enfants sur les 1 000 premiers jours de la vie sans pénaliser les ménages d’un point de vue financier et en rééquilibrant la charge dans le couple. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à Mme Anne Chain-Larché, pour la réplique.

Mme Anne Chain-Larché. Je m’adresse à ce nouveau gouvernement : arrêtez de dépenser de l’argent public à coups de chèques et de subventions bidon, mais investissez pour la petite enfance et le pouvoir d’achat, soutenez financièrement et fiscalement toutes les familles, faites coexister congé parental court bien rémunéré et congé long moins rémunéré, soutenez la création de places de crèche et redonnez un ministère à la famille !

Ce sont les familles d’aujourd’hui qui préparent la France de demain. Il faut leur redonner espoir et confiance. Agissez vite et agissez fort, ou notre pays disparaîtra ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

protection des maires et sanctions contre leurs agresseurs

M. le président. La parole est à Mme Sylvie Vermeillet, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Sylvie Vermeillet. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, au matin de Noël, puis au matin du Nouvel An, Gabriel Bremond, maire d’Eclans-Nenon, dans le Jura, découvre des tags partout dans le village et sur les murs de sa mairie : « Sale PD », « Travelot », « Le maire s’envoie en l’air », « Nik ta mère le maire », « Gabriel en porte-jarretelles », « Bremond tête de con ».

Ces injures homophobes, attaques personnelles d’une violence inouïe, ont choqué et choquent encore tout un village, mais aussi bien au-delà du Jura.

Gabriel Bremond est un maire sans histoires, apprécié de ses administrés. Il est solide. Il a déposé plainte et il fait face. Mais comment ?

Les témoignages de sympathie de ses administrés lui apportent un réconfort salutaire, comme ceux des maires de toute la France, qui témoignent de la solidarité des membres de cette grande famille républicaine qu’il a choisi de servir et qui n’en finit pas d’être maltraitée : 2 600 agressions l’an passé, 50 % de plus qu’il y a deux ans !

Malgré les indignations, malgré les textes votés, la dérive est implacable, insupportable.

Monsieur le Premier ministre, vous avez déclaré, à Dijon, le week-end dernier : « Nous sommes un gouvernement qui va continuer d’agir contre les discriminations, contre l’homophobie et en faveur des droits de tous. »

Mais – le voyez-vous ? – ces attaques démontrent que leurs auteurs n’ont ni peur des forces de l’ordre ni peur de la justice ! Notre République ne sait pas protéger ses maires. Monsieur le Premier ministre, qu’allez-vous changer pour qu’ils soient respectés ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe INDEP.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, madame la sénatrice Sylvie Vermeillet, nous sommes tous unis, en cet instant, dans la même indignation, dans la même colère, dans la même révolte, face à cette agression doublement infâme en ce qu’elle est homophobe et vise un élu.

Je dis au maire d’Eclans-Nenon qu’il a tout le soutien du gouvernement auquel j’appartiens.

Vous le savez, madame la sénatrice, dès mon arrivée à la Chancellerie, j’ai pris un certain nombre de circulaires claires pour demander expressément à tous les procureurs de notre pays une réponse systématique, une réponse ferme, une réponse rapide. Les trois budgets que le Sénat a votés – je l’en remercie – nous permettent de mobiliser désormais des effectifs supplémentaires, magistrats, greffiers, contractuels devenus attachés de justice. À Besançon, dans une cour d’appel dont je sais, madame la sénatrice, qu’elle vous est chère, cinquante-huit de ces personnels vont arriver.

J’ai par ailleurs demandé à tous les procureurs de ce pays de dire à chaque élu concerné quelle était l’issue de la plainte qu’il avait déposée.

Nous avons de surcroît mis en place, grâce aux contractuels devenus attachés de justice, un lien qui doit être privilégié entre les élus locaux et les parquets.

Pour vous rassurer totalement, même si l’on déplore, bien sûr, le nombre d’agressions, je veux vous donner quelques chiffres. En 2022, mesdames, messieurs les sénateurs, le taux de réponse pénale s’élève, pour les infractions commises contre des élus, à 98 %. À gravité égale, pour des faits de violences, le taux de prononcé d’un emprisonnement ferme est de 51 % lorsque la victime est un élu, de 25 % lorsque la victime n’est pas un élu. Le taux de défèrement est cinq fois plus élevé, le taux de délivrance d’un mandat de dépôt quatre fois plus élevé, lorsque la victime est un élu.

Soyez assurée, Madame la sénatrice, Mesdames, Messieurs les sénateurs, que le combat continue et que notre engagement dans la défense des élus est total, car s’attaquer à un élu, c’est s’attaquer à la République. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP, RDSE, UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Sylvie Vermeillet, pour la réplique.

Mme Sylvie Vermeillet. Je vous remercie, monsieur le garde des sceaux, de vos propos.

Toutefois, tous ici nous continuons de constater qu’énormément de plaintes sont classées sans suite. La clé, c’est la fermeté ! Toute agression doit donner lieu à une sanction. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe UC.)

transition écologique dans le secteur du logement

M. le président. La parole est à Mme Laurence Muller-Bronn, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Laurence Muller-Bronn. Monsieur le président, monsieur le ministre de la transition écologique, mes chers collègues, le Conseil d’analyse économique (CAE), rattaché au Premier ministre, a révélé la semaine dernière que l’étiquette énergie des logements, notée de A à G, qui définit leur valeur et les autorise ou non à être loués, repose en réalité sur des calculs purement théoriques et sur une modélisation très approximative.

Ainsi, le fameux « diagnostic de performance énergétique », ou DPE, transformé en quête du Graal climatique, pour lequel l’État investit des milliards d’euros, ne reflète pas la consommation réelle des logements ni les gains énergétiques réellement obtenus à l’issue de travaux.

Or c’est bien ce même DPE qui aggrave aujourd’hui une crise du logement sans précédent, notamment pour les locataires et propriétaires les plus modestes. Depuis le 1er janvier 2023, tous les logements classés G+ sont interdits à la location, et cette décision repose sur un algorithme biaisé. Que dites-vous, monsieur le ministre, aux propriétaires et aux locataires qui en font d’ores et déjà les frais ?

Si l’on persiste dans les échéances annoncées, 11 millions de logements classés F et G vont être interdits à la location dans les dix années à venir, sans véritable raison.

Une fois de plus, cette machine à exclure retombera sur les maires, eux-mêmes dépassés par la pénurie de logements et par les contraintes liées à la construction.

Monsieur le ministre, qu’allez-vous faire pour supprimer et remplacer cet outil défaillant, qui paralyse le secteur du logement ? (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, madame la sénatrice Muller-Bronn, c’est à grands traits que vous avez résumé le rapport du Conseil d’analyse économique publié le 10 janvier dernier, car ce n’est pas exactement ce qu’il dit.

Il souligne une différence entre la consommation théorique et la consommation réelle. Pour faire simple, plus les gens vivent dans des passoires, moins ils chauffent ; à l’inverse, les gens qui vivent dans des logements très isolés peuvent avoir tendance, par « effet rebond », à se chauffer à des températures moyennes plus élevées, donc à payer des factures plus élevées. En d’autres termes, compte tenu des effets d’une rénovation sur les factures, il peut arriver que la baisse des émissions soit moins forte qu’attendu.

J’ajoute que l’étude porte sur un échantillon de 170 000 logements.

Le CAE conclut que les étiquettes sont cohérentes : A, c’est mieux que B, qui est mieux que C, qui est mieux que D, etc. Je vous invite à lire le rapport lui-même et non les articles de presse qui sont parus à l’occasion de sa publication.

Tout en quantifiant un biais de mesure de la consommation par le DPE ainsi qu’un effet d’ajustement des comportements, les auteurs du rapport précisent que l’analyse de cet outil, dont le mode de calcul a été révisé en 2021, ne s’en trouve pas modifiée.

Premièrement, nous avons besoin de faire des travaux de rénovation pour répondre à des enjeux climatiques, mais aussi de pouvoir d’achat.

Vous parlez des propriétaires et des locataires, madame la sénatrice : la facture d’un locataire qui vit dans une passoire énergétique est en moyenne deux fois plus lourde que celle d’un locataire qui vit dans un bien classé comme performant.

Deuxièmement, les chiffres que vous évoquez mélangent logements occupés par leurs propriétaires, logements vacants – plus de 10 % des passoires énergétiques –, résidences secondaires et logements locatifs, ces derniers étant les seuls à être concernés par un calendrier d’interdiction.

Troisièmement, vous évoquez des marges d’amélioration. Il y en a plusieurs, à commencer par la formation des diagnostiqueurs. Je m’apprête par ailleurs à faire des annonces en vue de corriger les biais induits par les DPE pour ce qui concerne les petites surfaces, c’est-à-dire les biens de moins de quarante mètres carrés, ceux pour lesquels en effet il y a matière, sur la base, entre autres, du rapport du CAE, à améliorer le dispositif. Je préciserai dans quelques jours – le Premier ministre m’y a autorisé – les nouvelles règles qui vont s’appliquer. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées du groupe INDEP.)

M. le président. La parole est à Mme Laurence Muller-Bronn, pour la réplique.

Mme Laurence Muller-Bronn. Monsieur le ministre, ce n’est pas la première fois que l’on fonde une politique majeure sur des modélisations un peu fumeuses…

Les Français perdent une nouvelle fois confiance dans cet État qui s’appuie sur un dispositif qui n’est bienveillant ni pour eux ni pour la planète.

Hier, comme beaucoup d’entre nous, j’ai entendu le Président de la République s’inquiéter de la baisse de la natalité. Or la première des sécurités, quand on veut élever des enfants, c’est bien le logement ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

enseignement public et privé

M. le président. La parole est à Mme Colombe Brossel, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)

Mme Colombe Brossel. Madame la ministre de l’éducation nationale, vos propos ont choqué, heurté, blessé la communauté éducative.

Parlons école !

Parlons de l’école de la République, l’école publique, laïque, gratuite et obligatoire. Cette école, c’est celle qui scolarise 80 % des élèves de ce pays, d’où qu’ils viennent. C’est vers elle que votre énergie devrait être tournée, afin de garantir la réussite de tous, élèves comme personnel, car les défis sont immenses et vous êtes au pouvoir depuis plus de six ans.

Vous avez, de fait, posé la question des « parts de marché » respectives de l’enseignement public et de l’enseignement privé. Or cette mise en concurrence, puisque c’est de cela qu’il s’agit, n’est même pas libre et non faussée : aucun contrôle des fonds publics qui financent l’école privée n’est effectué par l’État, et ce alors que l’enseignement privé est financé à plus de 70 % par l’État. La Cour des comptes, très récemment, vous rappelait à vos obligations en la matière.

Madame la ministre, quels moyens allez-vous enfin donner à l’école publique pour la renforcer ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse, des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques.

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre de léducation nationale, de la jeunesse, des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques. Madame la sénatrice, je crois vraiment que l’on ne doit pas opposer l’école publique et l’école privée. (Rires et applaudissements sarcastiques sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)

M. Pierre Ouzoulias. C’est une autocritique !

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre. Depuis la loi Debré du 31 décembre 1959, adoptée sous la présidence du général de Gaulle, qui établit la liberté d’enseignement dans notre pays, celui-ci vit et vit bien avec des écoles publiques et avec des écoles privées. Les premières accueillent 10 millions d’élèves, les autres 2 millions, soit un élève sur six, et toutes deux concourent au service public de l’éducation.

Dans les établissements privés, je le rappelle, les programmes et les volumes horaires sont ceux du public.

Une voix sur les travées du groupe SER. Même en matière de lutte contre l’homophobie et le sexisme ?

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre. Dans l’ensemble des établissements sous contrat, les enseignants sont rémunérés par l’État et recrutés avec les mêmes exigences de qualification que dans le public. La moitié des familles ont eu recours au moins une fois à l’enseignement privé pour au moins un de leurs enfants ; il faut respecter ces choix de scolarisation et non pas les stigmatiser (Exclamations ironiques sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.),

M. Hussein Bourgi. Répondez sur les moyens !

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. C’est vous qui les stigmatisez !

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre. … non pas forcer les parents d’élèves à se justifier, mais comprendre ce qu’il y a derrière leur décision et faire en sorte que le choix d’une école publique ou d’une école privée ne soit pas la résultante de déceptions ou de frustrations, mais qu’il soit, pour chacun, un véritable choix d’adhésion, le choix du libre arbitre. (Ce nest pas la question ! sur les travées du groupe SER.)

Pour l’école publique, madame la sénatrice, j’ai la plus grande des ambitions, d’abord celle de l’exigence : choc des savoirs, autorité renforcée de nos professeurs. Je poursuivrai à cet égard toutes les réformes dont Gabriel Attal a donné l’impulsion en matière de revalorisation des carrières, d’amélioration des conditions de travail et d’organisation des remplacements.

M. Hussein Bourgi et Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Avec quels moyens ?

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre. Quant à l’école privée, je veux veiller à ce qu’elle soit toujours et partout au rendez-vous des principes et des valeurs de la République,…

M. Mickaël Vallet. Répondez à la question !

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre. … que l’on y renforce aussi souvent que nécessaire le contrôle pédagogique (Brouhaha sur les travées du groupe SER.),…

Mme Audrey Linkenheld. Et les moyens de l’école publique ?

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre. … et que, partout dans notre service public de l’enseignement, l’on assure la cohérence de l’offre éducative et la mixité sociale et scolaire.

Mmes Émilienne Poumirol et Laurence Rossignol. Ce n’est pas vraiment la priorité de l’école privée !

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, réussir l’école avec toute la communauté éducative, c’est-à-dire faire réussir toutes les écoles de notre pays, nous allons le faire. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Max Brisson. Langue de bois !

M. le président. La parole est à Mme Colombe Brossel, pour la réplique.

Mme Colombe Brossel. Madame la ministre, peut-être n’est-ce pas l’usage de parler avec son cœur dans un hémicycle, mais excusez-moi de vous dire combien il est troublant que vous soyez incapable de répondre à la question simple que je vous ai posée.

Vous vous êtes mise toute seule dans une situation faite de polémiques et de mensonges. L’impuissance que vous projetez aujourd’hui est délétère pour l’école, alors que les enfants, les enseignants, l’ensemble des personnels, les parents, ont besoin de force et de confiance.

Les solutions existent : recrutez des professeurs remplaçants pour pallier les absences de courte durée dans le primaire ! Annulez toutes les suppressions de postes qui ont été votées ici même pendant l’examen du budget pour 2024 !

La mixité ? Nous la faisons vivre, dans nos territoires, en définissant des secteurs multi-collèges ou en adossant le financement du privé au respect de critères de mixité sociale et scolaire !

M. Max Brisson. Toujours les mêmes recettes !

Mme Colombe Brossel. Prenez vos responsabilités et faites vivre enfin l’école de la République ! L’école de la confiance, c’est la confiance dans l’école et c’est la confiance dans l’école publique ! (Applaudissements prolongés sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)

filière pêche

M. le président. La parole est à M. Jean-François Rapin, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-François Rapin. À partir du 22 janvier et pour une durée d’un mois, des centaines de pêcheurs français seront empêchés d’exercer leur activité dans le golfe de Gascogne – 600 navires sont concernés.

Ce mois sans pêche, qui concerne les Français, mais non leurs collègues de l’Union européenne, a été proposé par le Gouvernement et durci par le Conseil d’État sous la pression des associations environnementales. Il s’agit de préserver les populations de petits cétacés des prises accidentelles.

Ce mois sans pêche, c’est un nouveau coup porté à toute une filière qui, depuis des années, tente de surmonter un à un les obstacles qui se dressent devant elle. Entre les conséquences du Brexit, notamment la mise en place d’un plan de sortie de flotte, l’envolée des prix du gazole, des quotas de plus en plus restrictifs et des importations en hausse constante, c’est bien la pêche française qui est désormais en voie de disparition.

Nos marins, leurs familles et, demain, toute la filière halieutique vont continuer de souffrir, malgré tous les efforts consentis depuis trente ans. Ils s’équipent progressivement pour pallier toutes les contraintes qu’on leur impose. L’incompréhension les gagne : ne veut-on pas valoriser le travail ? Ils sont empêchés de travailler !

Et, paradoxe naissant, en Bretagne, on réfléchit à importer par avion du poisson pêché à 8 000 kilomètres de nos côtes !

La plateforme d’indemnisation qui a été mise en place pour compenser le manque à gagner subi par les pêcheurs atténuera partiellement la douleur : elle ne concernera pas toute la filière ni ne guérira la maladie. Compenser n’est pas une perspective d’avenir.

Monsieur le Premier ministre, après l’industrie et l’agriculture, voilà encore, avec la pêche, un fleuron français – garant de notre autonomie – qui souffre. Il est grand temps de changer de cap ! Qu’avez-vous à dire aux pêcheurs et à leurs familles ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC. – Mme Annick Girardin et M. Philippe Grosvalet applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Monsieur le sénateur Rapin, l’émotion dont vous faites part est née d’une décision du Conseil d’État, en date du 22 décembre dernier. Vous êtes en train de commenter non pas une décision gouvernementale, mais au contraire la censure par le Conseil d’État d’une tentative du Gouvernement pour concilier la préservation de la biodiversité, d’un côté, face à un risque de disparition du dauphin et du marsouin commun et, de l’autre, la possibilité de poursuivre une activité de pêche qui fait partie intégrante de notre souveraineté.

Le compromis avait consisté à prendre un arrêté établissant des mesures de fermeture spatiotemporelles tout en prévoyant des dérogations pour certains équipements. L’impact desdits équipements a néanmoins donné lieu à une controverse scientifique, certains répulsifs sonores étant accusés d’attirer les dauphins près des bateaux équipés au lieu de les en éloigner, compte tenu de l’intelligence de l’espèce.

Les chiffres, monsieur le sénateur, sont préoccupants : plus de 1 000 échouages sont recensés chaque année et il y a consensus pour dire que les activités de pêche dans le golfe de Gascogne provoquent la mort de 5 000 à 10 000 cétacés par an. À ce niveau de mortalité, les risques sont réels et avérés pour la viabilité et tout simplement la survie d’une espèce (Mme Annick Girardin le conteste.) qui contribue à l’équilibre de cet écosystème.

Face à cette situation et compte tenu de la décision du 22 décembre, la question est de savoir comment accompagner la filière et comment, dans les semaines et les mois qui viennent, construire et trouver un équilibre : comment à la fois défendre la biodiversité et répondre à la préoccupation de ces hommes et de ces femmes dont je n’ignore pas que, pour eux, la pêche est non seulement un gagne-pain, mais une philosophie, une vocation, une façon de vivre ? C’est l’ambiance des ports qui est en jeu – je pense évidemment à tous ceux que vous connaissez bien, mesdames, messieurs les sénateurs, je pense à la Vendée et au golfe de Gascogne de manière générale. Ce sont des centaines de bateaux de plus de huit mètres qui sont concernés.

Nous nous battons en ce moment même et nous allons continuer de nous battre sur le volet des compensations, mais nous aurons très vite à nous retrouver avec les représentants des filières, car il est nécessaire, au-delà de ce mois de fermeture spatiotemporel, d’examiner cette question de façon plus posée et plus constructive, en vue du moyen terme. (MM. Jean-Baptiste Lemoyne et François Patriat applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Jean-François Rapin, pour la réplique.

M. Jean-François Rapin. Monsieur le ministre, vous avez répondu techniquement à ma question ; je vous en remercie.

Néanmoins, au-delà de ce que vous avez exposé, reste à traiter l’enjeu des familles, sur tous les territoires littoraux. La question de la pêche se pose aujourd’hui dans le golfe de Gascogne, mais demain, Brexit oblige, elle sera de nouveau un sujet d’actualité prégnant sur la façade Manche Est-mer du Nord ainsi que sur les côtes de la Bretagne.

Monsieur le ministre, les enjeux liés à la mer n’ont-ils pas aujourd’hui valeur suffisante pour mériter un ministère de plein exercice ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Franck Montaugé et Mickaël Vallet applaudissent également.)

retraites agricoles

M. le président. La parole est à Mme Nadia Sollogoub, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Nadia Sollogoub. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ma question s’adresse à M. le ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.

Voilà un an exactement, un texte était adopté à l’unanimité des deux chambres. Ici, au Sénat, au cours de la discussion générale précédant son adoption, Olivier Dussopt, alors ministre du travail, avait dit, au nom du Gouvernement : « Nos agriculteurs et nos agricultrices, plus largement les Français et les Françaises, nous attendent sur cet horizon de justice sociale. »

Ce texte, c’était la proposition de loi visant à calculer la retraite de base des non-salariés agricoles en fonction des vingt-cinq années d’assurance les plus avantageuses, et non plus sur l’ensemble de la carrière.

La loi en question, promulguée le 13 février 2023, comporte un article unique, qui dispose que, dans un délai de trois mois à compter de sa promulgation, le Gouvernement remet au Parlement un rapport précisant les modalités de sa mise en œuvre. Le rapport ainsi prévu doit présenter notamment « le détail des scénarios envisagés et des paramètres retenus pour [son] application […] ainsi que, le cas échéant, les dispositions législatives et réglementaires qu’il convient de modifier ».

Bref, ce rapport doit donner tous les éléments qui permettront à la Mutualité sociale agricole (MSA) de commencer cet énorme chantier.

Or, à ce jour, un an après, toujours aucun rapport ! Dès lors, les associations professionnelles agricoles et la MSA alertent sur le fait que, dans ces conditions, le dispositif ne sera probablement pas opérationnel dans le délai prévu par la loi.

Monsieur le ministre, je relaie aujourd’hui cette alerte : où en est ce rapport tant attendu ? Quand sera-t-il remis au Parlement ? (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.

M. Marc Fesneau, ministre de lagriculture et de la souveraineté alimentaire. Madame la sénatrice Sollogoub, je vous remercie de votre question. Elle me permet de faire un point sur un sujet qui, vous l’avez dit, est important : un sujet de justice, de reconnaissance, mais aussi d’attractivité, au moment où nous parlons de renouvellement des générations.

Je veux commencer par vous dire ce qui a été fait – grâce à vous, d’ailleurs : les lois Chassaigne 1 et 2, le relèvement du minimum de pension agricole de 75 % à 85 % du Smic – soit 115 euros de plus par mois pour près de 200 000 pensionnés. Nous avons rendu plus équitable le calcul de la pension minimale : 200 000 retraités agricoles sont concernés, dont 70 % de femmes, et l’on sait à quel point la situation des femmes était en la matière très défavorable.

La réforme des retraites, défendue par Olivier Dussopt, a permis de revaloriser un certain nombre de pensions. Je pense aux exploitants qui sont partis à la retraite au titre de l’invalidité ou du handicap – 45 000 retraités sont concernés.

Nous avons donc avancé collectivement : l’occasion m’est donnée ce soir de le dire.

Pour ce qui concerne la proposition de loi du député Julien Dive, à propos de laquelle vous attendez un certain nombre de réponses, je dois à la vérité de dire que le ministère de l’agriculture, interrogé, à l’époque, sur le délai dans lequel nous pourrions rendre le rapport prévu à l’article unique, avait répondu qu’il était envisageable de le faire dans les trois mois suivant la promulgation du texte. Tenir ce délai s’est révélé très difficile : un certain nombre de données étaient manquantes et l’on sait très bien – la MSA l’a dit – qu’il est complexe de reconstituer les carrières.

Je suis toutefois en mesure de vous dire que nous allons pouvoir rendre public le rapport au début du mois de février 2024 – il fallait du temps ! Nous allons faire, dans ce cadre, un certain nombre de propositions.

C’est évidemment, je l’ai dit, un sujet très complexe : à modifier à ce point les règles de calcul, en retenant désormais pour référence les vingt-cinq meilleures années, on prend le risque qu’il y ait beaucoup de perdants et des gagnants mal identifiés. C’est pour cette raison que l’élaboration du rapport a pris autant de temps : j’assume que nous ayons pris tout le temps nécessaire pour faire les choses sérieusement et en bon ordre.

Deux pistes peuvent être envisagées, mais nous en reparlerons et vous serez associés à ce travail, mesdames, messieurs les sénateurs.

Première piste : appliquer la réforme aux seuls nouveaux entrants.

Seconde piste : procéder à une double liquidation. Le cas échéant, la liquidation se ferait sur la base des règles actuellement en vigueur pour les périodes d’assurance antérieures à 2026 et en fonction des vingt-cinq meilleures années pour les périodes postérieures.

C’est sur ces pistes que nous travaillons et que nous allons échanger : nous approchons du but, qui est de rendre justice aux agriculteurs. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à Mme Nadia Sollogoub, pour la réplique.

Mme Nadia Sollogoub. Monsieur le ministre, je suis très contente ! Je m’apprêtais, dans ma réplique, à râler très fort, mais tout va bien : vous annoncez une remise du rapport début février ; je ne m’attendais pas à une réponse aussi favorable.

Vous l’avez compris, nous serons très attentifs. Nous avons déjà perdu beaucoup de temps par rapport à l’échéance qui avait été fixée – je rappelle que le texte initial prévoyait que la réforme s’applique au 1er janvier 2024 (M. le ministre le concède.) –, et chaque semaine qui passe sans que le rapport soit remis va manquer à la MSA, s’agissant d’un dossier extrêmement complexe dont les enjeux sont d’une très grande importance. Nous attendons désormais que les choses aboutissent très vite. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures vingt-cinq, est reprise à seize heures trente, sous la présidence de Mme Sophie Primas.)

PRÉSIDENCE DE Mme Sophie Primas

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

4

Communication d’un avis sur un projet de nomination

Mme la présidente. En application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, ainsi que de la loi organique n° 2010-837 et de la loi ordinaire n° 2010-838 du 23 juillet 2010 prises pour son application, la commission des lois a émis, lors de sa réunion de ce jour, un avis favorable, par 31 voix pour et 2 voix contre, à la nomination de Mme Marie-Laure Denis à la présidence de la Commission nationale de l’informatique et des libertés.

5

Candidatures à une commission d’enquête

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la désignation des vingt-trois membres de la commission d’enquête portant sur la production, la consommation et le prix de l’électricité aux horizons 2035 et 2050.

En application de l’article 8 ter, alinéa 5, de notre règlement, les listes des candidats présentés par les groupes ont été publiées.

Ces candidatures seront ratifiées si la présidence ne reçoit pas d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.

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Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, visant à condamner l'offensive militaire de l'Azerbaïdjan au Haut-Karabagh et à prévenir toute autre tentative d'agression et de violation de l'intégrité territoriale de la République d'Arménie, appelant à des sanctions envers l'Azerbaïdjan et demandant la garantie du droit au retour des populations arméniennes au Haut-Karabagh
Discussion générale (suite)

Intégrité territoriale de la République d’Arménie

Adoption d’une proposition de résolution

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, visant à condamner l'offensive militaire de l'Azerbaïdjan au Haut-Karabagh et à prévenir toute autre tentative d'agression et de violation de l'intégrité territoriale de la République d'Arménie, appelant à des sanctions envers l'Azerbaïdjan et demandant la garantie du droit au retour des populations arméniennes au Haut-Karabagh
Discussion générale (fin)

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe Les Républicains, l’examen de la proposition de résolution visant à condamner l’offensive militaire de l’Azerbaïdjan au Haut-Karabagh et à prévenir toute autre tentative d’agression et de violation de l’intégrité territoriale de la République d’Arménie, appelant à des sanctions envers l’Azerbaïdjan et demandant la garantie du droit au retour des populations arméniennes au Haut-Karabagh, présentée, en application de l’article 34-1 de la Constitution, par MM. Bruno Retailleau, Gilbert-Luc Devinaz et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 157).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Bruno Retailleau, auteur de la proposition de résolution (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Bruno Retailleau, auteur de la proposition de résolution. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a plus d’un siècle, les mots suivants ont été prononcés tout près d’ici, à la Sorbonne : « C’était notre sœur d’Orient qui mourait, et qui mourait parce qu’elle était notre sœur et pour le crime d’avoir partagé nos sentiments, d’avoir aimé ce que nous aimons, pensé ce que nous pensons, cru ce que nous croyons. » Ces phrases si justes, si émouvantes, ont été prononcées, quelques mois après le génocide arménien, par Anatole France. C’était en avril 1916.

Aujourd’hui, ces phrases si belles trouvent malheureusement un écho dans l’actualité, avec le nettoyage ethnique qui a eu lieu dans le Haut-Karabagh voilà quelques mois à peine.

Le Haut-Karabagh a été assiégé, coupé de la terre qui est sa mère, l’Arménie, et il a vu sa population affamée. En trois jours seulement, plus de 120 000 personnes – femmes, enfants, hommes et vieillards – ont été jetées sur les routes d’un exode peut-être définitif. C’est évidemment, à n’en pas douter, une opération de nettoyage ethnique.

Trois mille ans d’histoire, trois mille ans de présence arménienne sur cette terre ont été effacés en trois jours seulement ! C’est la raison pour laquelle nous avons décidé de déposer cette résolution, que j’ai coécrite notamment avec Gilbert-Luc Devinaz, à qui je veux rendre hommage.

Comme vous avez pu vous en rendre compte, mes chers collègues, cette résolution est transpartisane : elle a été signée par l’ensemble des groupes de notre hémicycle – c’est suffisamment rare pour être souligné. Derrière ce symbole, il y a une réalité : la cause arménienne est aussi une cause française, et nous la défendons quelles que soient nos origines géographiques ou nos préférences partisanes.

Bien sûr, monsieur le ministre, nous avons déposé cette résolution avec un objectif, nous étant aperçus, avec d’autres collègues, que ce processus d’éradication pouvait malheureusement être la première étape d’un autre processus, plus grave : la remise en cause de la souveraineté territoriale de l’Arménie.

Notre objectif est de crier haut et fort notre opposition. Il est de dire que nous n’accepterons pas l’inacceptable, que nous n’admettrons pas l’inadmissible. Notre objectif est de ne rien céder. Notre objectif est de ne rien croire des mots de M. Aliev. Bien sûr, celui-ci déclare vouloir la paix, mais, le connaissant, nous savons désormais que ces mots sont des mensonges !

Comment peut-on d’ailleurs le croire, alors qu’il a renié sa propre signature ? Je pense aux accords de cessez-le-feu de novembre 2020, des accords tripartites signés sous l’égide d’une Russie qui, là encore, a joué double jeu.

Comment peut-on le croire, alors que ces accords prévoyaient la libre circulation des populations à travers le couloir de Latchine, notamment entre le Haut-Karabagh et l’Arménie ?

Ces accords de cessez-le-feu ne prévoyaient bien évidemment aucune violation de la souveraineté de la nation et de l’État d’Arménie. Or tout cela a été balayé ! Ce sont donc des mensonges.

« Là où le mensonge prolifère, la tyrannie se perpétue. » Cette très belle phrase est de Camus. Ce lien intrinsèque entre le mensonge et la tyrannie, que Soljenitsyne avait lui aussi rappelé, a toujours existé, dans notre histoire et dans le monde entier.

Mes chers collègues, nous ne devons pas être dupes et nous ne devons pas accepter le fait accompli. C’est d’ailleurs grâce à son mensonge que M. Aliev a – en quelque sorte, car, s’il avançait ses pions, certains ont été complaisants – « berné » la communauté internationale.

Monsieur le ministre, vous étiez député au Parlement européen quand nous avons tous désapprouvé le voyage de Mme von der Leyen, qui est allée signer un accord gazier à Bakou.

On sait parfaitement que cet accord gazier visait, en réalité, à contourner les sanctions pourtant décidées par l’Union européenne à la suite de la transgression commise par la Russie, de son agression de l’Ukraine et des violences qu’elle y commet.

On ne peut pas croire ce que dit M. Aliev. On ne peut accorder le moindre crédit ni la moindre vérité à sa signature !

Néanmoins, si le régime de Bakou n’a pas de parole, il a un projet : le négationnisme et l’expansionnisme.

En particulier, il n’admet pas le génocide arménien de 1915, qu’une grande partie du monde reconnaît pourtant aujourd’hui. Pis, il affirme haut et fort que la ville d’Erevan a été volée par les Arméniens. Pis encore, il a baptisé la capitale du Haut-Karabagh, Stepanakert, des noms des génocidaires. (Mme Valérie Boyer sexclame.) Rendez-vous compte, c’est du négationnisme !

Au-delà du cousinage que j’évoquais entre la tyrannie et le mensonge, il en existe un autre : les liens qu’entretiennent le négationnisme et l’expansionnisme, avec le projet de création, avec l’aide et l’appui constant de la Turquie, d’un espace commun néo-ottoman, qui irait de la mer Égée à la mer Caspienne. D’où cette idée d’un couloir de Zanguezour, qui permettrait d’assurer une continuité territoriale pour cet espace. D’où aussi l’expression de M. Erdogan, qui, parlant de ces deux pays, emploie cette formule : « Deux pays, mais une seule nation. »

Pouvez-vous penser, monsieur le ministre, que M. Aliev s’arrêtera là ? J’espère que non ! Il faut évidemment être extrêmement ferme.

Outre Mme von der Leyen, ce sont de nombreuses nations occidentales qui se sont déshonorées. Je me félicite que la France ait été l’une des rares nations à protester – peut-être timidement, sans doute tardivement.

M. Jean-Baptiste Lemoyne. Elle est néanmoins toujours au rendez-vous !

M. Bruno Retailleau. Le Président de la République s’est manifesté. Je suis prêt à le reconnaître à cette tribune, d’autant plus volontiers que, en règle générale, je ne suis pas un opposant complaisant à l’égard du chef de l’État.

M. Patrick Kanner. Pas comme Rachida Dati…

M. Bruno Retailleau. Je souhaite simplement, monsieur le ministre, que cette fermeté et cette détermination soient durables et totales, et qu’elles s’exercent sur chaque violation de l’Azerbaïdjan, même si cet État dispose de pétrole, de gaz, de certaines richesses – dans tous les sens du terme. Ce que je souhaite, c’est que toutes les violations soient punies. Tel est l’objet de la résolution que j’ai corédigée avec mon collègue Gilbert-Luc Devinaz.

Je pense aux violations du droit de la guerre, lors des quarante-quatre jours de la guerre de 2020. Je pense aux violations des droits de l’homme et du droit au juste retour des populations arméniennes. Je pense encore aux violations commises à l’égard des dirigeants politiques du Haut-Karabagh, dont on sait qu’ils sont aujourd’hui détenus dans les geôles de Bakou. Ces dirigeants doivent être libérés. Une voix française doit porter ce message de libération. On ne peut accepter cette situation.

Je pense, enfin, aux violations commises à l’encontre de cette culture. Il y a un trait commun à tous les régimes autocratiques totalitaires : ils s’en prennent à la présence humaine et jusqu’à la trace de celle-ci, la culture !

Ce que nous demandons solennellement, monsieur le ministre, c’est notamment que l’Unesco, qui a son siège à Paris et dont la directrice générale a été ministre de la culture en France, dépêche une délégation d’experts internationaux pour contrôler l’état de ce patrimoine multiséculaire, multimillénaire, qui appartient non seulement à la nation arménienne, mais à l’humanité tout entière.

J’espère du reste – je l’imagine bien volontiers –, que la ministre de la culture de ce gouvernement aura à cœur de ne pas ménager ses efforts pour encourager l’Unesco à faire son travail. C’est fondamental !

M. François Bonhomme. Ce n’est pas gagné…

M. Bruno Retailleau. Je parlais tout à l’heure de détermination et de fermeté. Elles doivent être durables et totales, parce que ce qui se joue dans le Caucase, c’est ce combat toujours renouvelé entre David et Goliath, entre la brutalité et la loi, entre les nations et les empires, entre la démocratie et les démocratures !

Ce qui se joue, aussi, au travers de l’existence de cette petite nation – petite par le nombre, mais grande par la culture et par ce qu’elle a apporté à la France, au travers de sa diaspora –, c’est une culture, c’est une civilisation, qui porte quelque chose qui la dépasse : une part de nous-mêmes. C’est un éclat et peut-être l’une des meilleures parts de ce que nous sommes.

Mes chers collègues, je vous remercie de soutenir cette résolution pour l’Arménie, mais aussi pour ces liens multiséculaires qui nous unissent à ce grand peuple et à cette belle nation courageuse ! (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Valérie Boyer.

Mme Valérie Boyer. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, après l’offensive éclair des forces de l’Azerbaïdjan le 19 septembre dernier, pour la première fois depuis plus de deux mille ans, la quasi-totalité des habitants de la république d’Artsakh a fui l’Arménie. Les seuls qui restent sont dans leurs tombes, d’ailleurs profanées dans des mises en scène absolument odieuses et lamentables, sans aucune protestation de la communauté internationale.

Cet exode, vécu comme une nouvelle tragédie par tous les Arméniens, s’inscrit dans le conflit séculaire marqué par le génocide de 1915.

Cette tragédie aurait pu être évitée. Le New York Times a récemment écrit, à propos de ce drame, que « presque personne ne l’avait vu venir ». Quelle hypocrisie ! Quelle contre-vérité !

Les Arméniens, ainsi que ceux qui, comme nous, dans cet hémicycle ou dans celui de l’Assemblée nationale, ont suivi le conflit avaient prévenu depuis longtemps que cela arriverait. C’était même le projet que l’Azerbaïdjan et la Turquie avaient en tête.

Monsieur le ministre, pas une année je n’ai cessé, à vos côtés ou aux côtés des députés et des sénateurs, d’alerter sur ce massacre annoncé.

Nous connaissons tous la situation géopolitique de cette région, qui vit avec les attaques, les résolutions et des négociations qui s’enlisent depuis des dizaines d’années.

Nous avons tous vu le conflit, que certains croyaient gelé, regagner de la vigueur en 2020.

Nous avons tous été témoins de l’escalade, dans la solitude et l’indifférence pour les Arméniens. Aujourd’hui, nous voyons le drame qui se joue dans le Caucase.

Nous avions d’ailleurs alerté, dans cet hémicycle, notamment à l’occasion de nos résolutions pour l’Arménie et l’Artsakh, en novembre 2020 et en 2022. À cet égard, je veux saluer et remercier l’engagement exceptionnel du président de notre Haute Assemblée, Gérard Larcher, dans le processus d’adoption de ces résolutions.

Je veux aussi souligner l’investissement de l’ancien président de notre commission, Christian Cambon, du président du groupe d’amitié France-Arménie, Gilbert-Luc Devinaz, à qui je veux rendre hommage, des présidents de l’ensemble des groupes, au premier rang desquels, bien sûr, figure Bruno Retailleau, qui s’est investi personnellement, avec beaucoup d’énergie, de courage et de conviction.

Le 7 juillet 1923 naissait la république autonome d’Artsakh, peuplée essentiellement d’Arméniens chrétiens, au sein de la République socialiste soviétique d’Azerbaïdjan, dont la population était principalement azérie, turcophone et chiite.

Un siècle plus tard, le 28 septembre 2023, les dirigeants de l’Artsakh annonçaient la dissolution de l’entité indépendante de fait depuis 1991, avant d’être arrêtés par les forces azerbaïdjanaises.

Pourtant, à l’été 2022, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, s’était rendue à Bakou afin de signer un accord honteux sur la livraison du gaz de l’Azerbaïdjan à l’Europe. Par la suite, elle a plusieurs fois loué ce pays comme un « partenaire énergétique fiable » de l’Union européenne. Quelle déroute morale, quelle honte et quelle infamie pour l’Europe et tous les pays qui l’ont soutenue !

Quelques mois plus tard, encouragé par ce soutien, l’Azerbaïdjan a lancé une attaque, non sur le Haut-Karabagh, mais sur plusieurs zones à l’intérieur même de l’Arménie, du territoire souverain de ce pays reconnu par la communauté internationale, avec des frontières bien définies. Depuis lors, l’Azerbaïdjan occupe plus 100 kilomètres carrés de territoires incontestés et internationalement reconnus.

En décembre 2022, il a imposé un blocus sur le couloir de Latchine, l’unique passage entre l’Artsakh et l’Arménie.

En février 2023, la Cour internationale de justice de La Haye a émis une ordonnance contraignante, selon laquelle l’Azerbaïdjan devait immédiatement permettre la libre circulation des personnes et des marchandises dans le couloir : l’Azerbaïdjan l’a ignorée, méprisée.

Durant l’été 2023, la situation a empiré pour les 120 000 Arméniens du Haut-Karabagh, avec de graves pénuries de nourriture, de combustibles et de médicaments.

La malnutrition a sévi et la situation est devenue si critique que plusieurs organisations ont mis en garde contre un possible génocide par la faim et par le manque de soins.

En août 2023, Luis Moreno-Ocampo, ancien procureur de la Cour pénale internationale, a déclaré que les agissements de l’Azerbaïdjan devaient être considérés comme un génocide au regard de la convention sur ce crime. Pendant les plus de neuf mois qu’a duré le blocus, plusieurs dirigeants l’ont condamné et ont demandé à l’Azerbaïdjan d’y mettre un terme.

J’ai encore en tête les images du président de notre groupe, Bruno Retailleau, sur place, aux côtés de plusieurs élus et de camions humanitaires bloqués par les forces azerbaïdjanaises, aux portes de l’Artsakh.

Toutefois, contrairement à nos demandes, il n’y a eu ni sanctions ni même commencement de menace de sanctions. Là encore, quelle déroute morale !

Le gouvernement azéri a bien retenu le message : oui, il est possible de provoquer une crise humanitaire envers plus de 100 000 personnes, jusqu’à frôler le génocide, sans rien subir d’autre que des communiqués de presse timides des instances internationales ! Oui, il est possible de pratiquer la diplomatie du chantage. Oui, il est possible d’être un État corrupteur et corrompu. Tout est possible et tout se passe bien…

Malheureusement, ce qui est valable pour l’Ukraine, à juste titre, ne l’a jamais été pour l’Arménie.

Or, nous le savons tous, les mots n’ont jamais suffi à stopper les plans agressifs, génocidaires et barbares des États autoritaires. Des mesures beaucoup plus fermes étaient et seront nécessaires.

L’Azerbaïdjan considère qu’elle n’a jamais forcé les populations à fuir, mais ces exodes expéditifs s’expliquent par la crainte justifiée de vivre sous le régime autocratique de M. Ilham Aliev, dont la famille règne à Bakou depuis 1993. Ce dictateur n’a jamais caché ses intentions génocidaires.

Après le blocus du corridor de Latchine, après avoir éprouvé les populations locales, après les bombardements – au moyen, d’ailleurs, d’armes non conventionnelles –, quel choix avaient ces gens, si ce n’est la fuite, la prison ou la mort ? La valise ou le cercueil ? Certains ont même emporté leur cercueil de peur qu’il ne soit profané !

Voilà désormais l’Arménie qui a la lourde tâche d’accueillir, de soigner et de rassurer seule 100 000 personnes ayant quitté leur pays, leur terre, leur foyer, dans une indifférence presque générale, après avoir vécu le pire.

Je tiens à évoquer ici la mémoire des prisonniers torturés. Et je veux avoir une pensée pour Anouch Apetian, violée, démembrée, filmée, dont personne n’a parlé. Je n’ai entendu aucune association féministe parler du sort de cette femme ni d’autres, elles aussi victimes de l’indifférence…

Dans ce contexte, alors qu’il cherchait à se rendre en Arménie, Ruben Vardanian, humanitaire arménien et ancien ministre d’État, a été illégalement arrêté. Il fait partie des derniers habitants d’Artsakh récemment arrêtés de manière arbitraire pour des raisons politiques et détenus illégalement.

C’est également le cas de trois anciens présidents – Arayik Haroutiounian, Bako Sahakian, Arkadi Ghoukassian –, mais aussi d’autres hommes politiques, comme David Babayan, Levon Mnatsakanian, David lchkhanian et Davit Manoukian.

De nombreux autres Arméniens continuent d’être illégalement détenus dans les geôles de Bakou. Le peu d’informations accessibles sur leur état de santé et leur bien-être est profondément inquiétant. On sait qu’ils subissent tortures et menaces.

Ces personnes sont détenues en violation flagrante du droit international. Les conditions de leur détention sont particulièrement préoccupantes.

Mme la présidente. Il faut conclure, ma chère collègue.

Mme Valérie Boyer. Chaque jour compte pour la vie de ces prisonniers !

Je veux aussi insister sur les destructions de monuments. J’espère que la France interviendra pour défendre ces derniers.

À l’heure où nous allons célébrer l’entrée de Manouchian au Panthéon et le centenaire de la naissance de Charles Aznavour, la France doit encore être au rendez-vous et, surtout, emmener la communauté internationale ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et INDEP. – M. Gilbert-Luc Devinaz applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Ravier.

M. Stéphane Ravier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, avec Bakou, « nous partageons les mêmes valeurs » et « l’énergie n’est que l’un des domaines dans lesquels nous pouvons renforcer notre coopération avec l’Azerbaïdjan et j’ai hâte d’exploiter tout le potentiel de notre relation ».

Voilà des propos insupportables, que la France aurait dû dénoncer ! Monsieur le ministre, ils auraient pu être tenus par votre collègue ministre de la culture, Mme Dati, qui siège dans des associations affiliées à l’Azerbaïdjan, mais ce sont ceux de la présidente de votre Commission européenne, Mme Ursula von der Leyen.

L’an dernier, par sa faute, le contribuable européen a versé près de 16 milliards d’euros à l’Azerbaïdjan, en vertu d’un contrat gazier signé en 2021 avec un autocrate qui, à l’époque, avait déjà le sang de 6 000 Arméniens sur les mains.

Voilà dix jours, les montagnes d’Artsakh sont restées silencieuses. Les cloches des églises n’ont pas tinté dans la nuit de Noël, comme elles le faisaient pourtant depuis 1 700 ans.

Une épuration ethnique, culturelle et religieuse a eu lieu : 120 000 Arméniens d’Artsakh ont été déplacés, laissant derrière eux leurs maisons, leurs cimetières, leurs montagnes, leur terre. Ils ont été « chassés comme des chiens », comme l’avait promis Aliev.

Depuis 2016, de graves heurts se succédaient déjà aux frontières de l’Artsakh et de l’Arménie, sans aucune réaction de notre part.

En 2020, nous avons laissé passer la première agression armée massive de l’Azerbaïdjan. En 2022, impuni et même promu au rang de partenaire, celui-ci a bloqué le corridor de Latchine, sans que qui que ce soit ait eu la volonté de débloquer la situation.

Personne n’a finalement été surpris de voir Aliev envahir l’Artsakh en 2023. Le 1er janvier de cette année 2024, la République d’Artsakh a cessé d’exister, et notre gouvernement, malgré un timide soutien de dernier instant à l’Arménie, semble avoir accepté cet Anschluss.

Déjà, en décembre 2022, Aliev, le complice et bras armé du sultan Erdogan, ne cachait pas son but, en affirmant : « Aujourd’hui, l’Arménie est notre territoire. »

La suite de l’engrenage mortel est l’ouverture du corridor du Zanguezour entre l’Azerbaïdjan et le Nakhitchevan, qui n’est rien d’autre que l’invasion du sud de l’Arménie.

En découleront l’isolement de l’Arménie dans l’étau panturc et son affaiblissement, avant sa disparition finale. Plus nous attendons, plus nous la rendons inéluctable.

C’est pourquoi la France doit boycotter la COP21 prévue à Bakou en décembre prochain et interrompre officiellement le processus d’adhésion de la Turquie à l’Union européenne.

Les signaux diplomatiques doivent être clairs, en attendant que nous rompions les contrats gaziers et que nous affichions un soutien inconditionnel à l’Arménie, à l’instar de celui que nous témoignons par ailleurs à l’Ukraine.

Cette terre arménienne, monsieur le ministre, je vous en ai rapporté un peu de mon voyage dans ce pays. (M. Stéphane Ravier brandit une fiole contenant de la terre.) Je l’ai ramassée dans un trou d’obus !

Les envahisseurs azerbaïdjanais ont bombardé la périphérie d’un village situé non loin de Goris. Un verger planté par les bénévoles de SOS Chrétiens d’Orient, auxquels je veux rendre hommage, a également été la cible de cette attaque. Ce bombardement a fait de nombreuses victimes parmi les civils arméniens.

Il ne tient qu’à vous, monsieur le ministre, que cette terre arménienne, terre chrétienne martyre, ne soit plus maculée d’éclats d’obus, de larmes et de sang ! (M. Stéphane Ravier quitte la tribune et apporte la fiole à M. le ministre.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Jean Rochette. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. Pierre Jean Rochette. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en pleine période de vœux, on peut dire que 2024 commence sous de tragiques auspices. La guerre entre Israël et le Hamas se poursuit et pourrait conduire à un embrasement de la région.

La guerre d’agression que la Russie de Poutine livre à l’Ukraine ne faiblit pas non plus. Malgré la résistance héroïque du peuple ukrainien, l’incertitude du soutien international fait redouter une victoire de la Russie. Celle-ci serait un drame pour les Nations démocratiques.

Les élections américaines risquent de fragiliser encore davantage la paix mondiale. Aucun pays ne dispose plus des moyens de préserver la paix. Ce morcellement des puissances semble raviver les conflits.

Cette succession de guerres ne doit pas nous faire oublier celle qui a été menée par l’Azerbaïdjan contre l’Arménie pour le contrôle du Haut-Karabagh.

En 2020, une première agression de l’Azerbaïdjan, soutenue par la Turquie, s’est achevée par un accord de cessez-le-feu sous l’égide de la Russie.

Alors que la Russie s’est embourbée en Ukraine, l’Azerbaïdjan a repris l’offensive en 2023 pour prendre le contrôle total du Haut-Karabagh, conduisant à l’exode des populations.

Ces actions contreviennent gravement au droit international. Nous ne pouvons que les condamner. Malheureusement, l’Europe n’a pas encore su faire entendre sa voix ni assurer la paix.

Alors que les conflits continuent de proliférer, nous devons lutter pour défendre nos valeurs et nos principes. Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, le multilatéralisme, la recherche de solutions négociées ne doivent pas devenir des vœux pieux. Ces valeurs sont au fondement d’un ordre international qui favorise la discussion plutôt que la coercition. Sans elles, il ne reste plus que le rapport de force.

Bien sûr, l’Europe doit tenir compte de ses propres intérêts. La guerre en Ukraine et le soutien que nous apportons à Kiev mettent en exergue nos vulnérabilités, notamment énergétiques. Avec moins de gaz russe, nous avons besoin du gaz azerbaïdjanais, mais cela ne doit nous contraindre ni au silence ni à l’inaction.

Aujourd’hui comme hier, nos compatriotes ont montré qu’ils étaient déterminés à contribuer à la souveraineté énergétique de notre pays et à renforcer notre indépendance.

Collectivement, nous sommes parvenus à réduire notre consommation d’énergie primaire : voilà quatre ans que nous consommons moins qu’en 2019. C’est autant d’argent de moins pour les forces de l’obscurantisme !

Nous voulons nous donner les moyens de peser sur le cours de l’Histoire : nous devons bâtir maintenant notre autonomie stratégique.

Nous ne devons pas reconnaître le résultat du coup de force de l’Azerbaïdjan.

L’Arménie vit toujours sous la menace. Les regards se portent vers la Siounie, région qui fait figure de nouvelle cible. L’Azerbaïdjan pourrait tenter de s’y créer de force une continuité territoriale.

Nous devons absolument éviter que de nouvelles atteintes ne soient portées à l’intégrité territoriale de l’Arménie. À cet égard, nous tenons à saluer l’action du Gouvernement, qui s’est notamment traduite par la livraison de matériel de défense.

La proposition de résolution que nous examinons cette après-midi a pour but de permettre à notre assemblée de s’exprimer sur cette condamnation. Elle doit être votée unanimement. Je m’associe d’ailleurs aux propos qu’a tenus le président Retailleau.

Cette proposition vise aussi à appeler à mieux protéger l’Arménie contre les menaces qui pèsent sur elle. Elle tend enfin à permettre le retour des populations et la préservation du patrimoine culturel inestimable du Haut-Karabagh. Plus que jamais, il est indispensable que l’Union européenne s’implique dans la résolution de ce conflit. L’Arménie ne doit pas être abandonnée. Nous le disons avec force et vigueur.

Le groupe Les Indépendants soutiendra bien évidemment l’adoption de cette proposition de résolution. Ensemble, nous souhaitons que l’Arménie retrouve son intégrité et sa liberté. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées des groupes RDPI et Les Républicains. – MM. Pierre Ouzoulias et Lucien Stanzione applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Folliot.

M. Philippe Folliot. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais commencer par saluer l’initiative des présidents Bruno Retailleau et Gilbert-Luc Devinaz, car elle nous permet d’évoquer aujourd’hui un sujet éminemment important, essentiel même.

Il faut noter le caractère transpartisan de cette initiative : l’ensemble des présidents de groupe s’y sont associés, ce qui honore le Sénat et marque la spécificité, à certains égards, de notre assemblée.

« Vers l’Orient compliqué, je volais avec des idées simples » : ainsi s’exprimait le général de Gaulle en 1941, alors qu’il se rendait en Syrie. Assurément, la situation dans le Caucase est historiquement compliquée, car cette région s’est trouvée à la confluence de trois empires – russe, ottoman et perse. Il n’a cessé d’y avoir au cours des siècles des mouvements de population, avec tout ce que cela entraîne.

La révolution soviétique, la création d’un État de Transcaucasie, puis la division de ce dernier en trois entités – Azerbaïdjan, Arménie, Géorgie –, avec des sous-entités, n’ont pas manqué de compliquer encore les choses. Nous héritons aujourd’hui de cette histoire.

Nous devons aussi, je le crois, garder en mémoire que tout n’est pas blanc d’un côté et noir de l’autre. Si l’on analyse la situation dans sa profondeur historique, on constate que des transferts de population forcés ont eu lieu dans un sens comme dans un autre.

Toutefois, les événements les plus récents, ceux qui nous concernent aujourd’hui, doivent être examinés à l’aune du droit international : principe de l’intangibilité des frontières, du respect de l’intégrité territoriale, mais aussi droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Pour parvenir à ses fins, c’est-à-dire recouvrer l’intégralité de son territoire, l’Azerbaïdjan a agi au mépris de l’accord international qui avait été conclu.

Dans cette affaire, à quoi devons-nous faire face ? À un mécanisme qui, malheureusement, se répète régulièrement dans le domaine des relations internationales. Lorsqu’il y a un puissant et un faible, le puissant s’assoit sur le droit et sur les accords internationaux pour imposer son point de vue. C’est ce qui se passe en Ukraine, avec l’action menée par la Russie contre ce pays, mais également dans d’autres endroits du monde, où nous observons des signaux inquiétants.

Ainsi, monsieur le ministre, la semaine dernière, avec mon collègue François Bonneau, je me suis rendu au Guyana, dans la province de l’Essequibo. Un autocrate, M. Maduro, veut lancer une opération spéciale contre ce pays indépendant aux frontières internationalement reconnues. Nous assistons ainsi à la triste répétition d’un certain nombre d’événements lorsque les mêmes enjeux sont en cause.

J’en viens à la situation spécifique de l’ex-république autonome du Haut-Karabagh, en humanitaire.

La France doit tout d’abord s’engager à demander la libération de tous les prisonniers politiques retenus par l’Azerbaïdjan, notamment les anciens dirigeants du Haut-Karabagh.

Ensuite, comme plusieurs orateurs l’ont souligné, il y a un enjeu culturel. Des précédents ont montré la volonté de l’Azerbaïdjan d’engager des actions visant à effacer la mémoire arménienne.

Or nous savons qu’il sera a priori très difficile pour les Arméniens de revenir s’installer au Haut-Karabagh, puisque, sur les 120 000 personnes qui y vivaient, 100 000 ont fui ; il ne reste donc plus que 20 000 personnes. La meilleure façon d’arrêter cette volonté d’effacer la mémoire, c’est de permettre à l’Unesco de dresser un inventaire de l’ensemble des biens historiques – pour certains multiséculaires –, afin de faire en sorte qu’ils puissent être protégés.

De cette façon, si l’Azerbaïdjan continue à mettre en œuvre ses actions d’effacement – elles ont déjà commencé ! –, le problème concernera non pas seulement l’Arménie, mais l’ensemble de la communauté internationale. Cet enjeu est important.

Enfin, nous devons poser des limites à M. Aliev. Si l’Arménie n’est pas une démocratie parfaite – elle est classée au quatre-vingtième rang mondial dans le classement des démocraties –, l’Azerbaïdjan, qui est au-delà de la cent quarantième place, est sans aucun doute une autocratie.

Il faut fixer des limites à la volonté de l’Azerbaïdjan, dont l’allié est la Turquie, laquelle joue un rôle qui n’est pas conforme à celui qui devrait être le sien dans le cadre des instances internationales – je pense notamment à l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (Otan), au sein de laquelle nous sommes alliés à la Turquie.

Face à la volonté de l’Azerbaïdjan de relier le territoire du Nakhitchevan par le couloir de Zanguezour, nous devons rester très fermes quant à notre volonté de faire respecter les frontières et la souveraineté de l’Arménie. Cet objectif n’est pas négociable et ne peut être négocié. La France et la communauté internationale sont attendues sur cette ambition.

Le groupe Union Centriste votera cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes SER et CRCE-K.)

Mme la présidente. La parole est à M. Akli Mellouli. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. Akli Mellouli. Madame la présidente, monsieur le ministre, messieurs les présidents Retailleau et Devinaz – vous avez été, avec les autres présidents de groupe, à l’initiative de ce débat –, mes chers collègues, dans un mois, nous allons célébrer le quatre-vingtième anniversaire de l’exécution de Missak Manouchian, survivant du génocide arménien, mort en soldat régulier de l’Armée française de la Libération.

Manouchian symbolise à lui seul l’apport immense de la diaspora arménienne à notre pays. Peut-être son entrée prochaine au Panthéon amènera-t-elle la majorité sénatoriale et le Gouvernement à jeter à l’avenir un regard moins caricatural et plus réaliste sur l’apport inestimable de l’immigration à notre pays ? Ainsi, nombre de membres de la communauté arménienne, à l’image de Manouchian, ont contribué très largement à faire rayonner la France, sa culture et ses valeurs.

La singularité du lien qui nous unit à l’Arménie fait que l’injustice et l’horreur qui s’abattent sur les Arméniens du Haut-Karabagh nous touchent particulièrement.

Dans ce territoire, deux logiques s’affrontent : d’un côté, nous avons l’Azerbaïdjan, qui estime que tout soutien aux Arméniens du Haut-Karabagh est une violation de son intégrité territoriale ; de l’autre, nous avons l’Arménie, qui appelle légitimement au respect du droit des peuples à l’autodétermination. Deux principes qui s’affrontent, comme nous l’avons vu au Kosovo ou en Crimée.

Toutefois, bien que deux logiques s’affrontent en droit, il y a un agresseur et un agressé. Depuis 2016 et la guerre des Quatre jours, Bakou n’a de cesse d’attaquer de façon périodique le peuple arménien du Haut-Karabagh. L’offensive du 27 septembre 2020 a eu pour conséquence le massacre de 4 000 Arméniens en quarante-quatre jours. Le 19 septembre dernier, une nouvelle offensive azérie a une nouvelle fois fait couler le sang dans le Caucase.

Je citerai Charles Aznavour :

« La mort les a frappés sans demander leur âge

« Puisqu’ils étaient fautifs d’être enfants d’Arménie. »

L’objectif derrière toutes ces attaques est tristement limpide : forcer les populations arméniennes à fuir leur terre pour survivre, ce qui s’apparente ni plus ni moins à un nettoyage ethnique.

Malgré la tragédie qui s’abat sur ce territoire arménien ancestral, la communauté internationale peine à défendre les victimes du Haut-Karabagh et à imposer une paix durable qui ne porterait pas préjudice au peuple arménien.

La recherche d’une solution politique juste à ce conflit est rendue encore plus complexe par le jeu des différentes puissances régionales, lesquelles cherchent à étendre leur influence sur ce qu’elles considèrent comme leur pré carré. Il faut ajouter que la dépendance des pays européens aux énergies fossiles tend, par la force des choses, à aller de pair avec une dépendance politique vis-à-vis des pays qui nous fournissent ces énergies.

En effet, la guerre en Ukraine a considérablement modifié la politique énergétique de l’Union européenne au bénéfice de l’Azerbaïdjan. En juillet 2022, la présidente de la Commission européenne s’est rendue à Bakou, afin de signer un protocole d’accord pour un partenariat stratégique dans le domaine de l’énergie. Les exportations de gaz vers l’Union européenne depuis Bakou ont augmenté de 40 % entre 2021 et 2022.

Au regard de ce contexte et de notre dépendance énergétique, notre gouvernement sera-t-il libre demain de dénoncer les crimes commis contre le peuple arménien par l’Azerbaïdjan ? Je l’espère et le souhaite, monsieur le ministre.

Pour que la France retrouve sa voix singulière sur la scène internationale, il est important qu’elle garde comme boussole la défense des droits de l’homme. L’odeur du gaz ne doit pas nous aveugler au point d’oublier de dénoncer les atteintes à la dignité humaine et à la vie du peuple arménien.

M. Pierre Ouzoulias. Très bien !

M. Akli Mellouli. Enfin, mes chers collègues, ne tombons pas dans le piège de ceux qui voient ce conflit sous le prisme religieux et veulent nous entraîner dans une logique de guerre de civilisation !

Alors que les liens religieux, linguistiques, culturels et historiques de l’Iran avec l’Azerbaïdjan sont criants, l’Iran soutient pourtant l’Arménie. De l’autre côté, nous voyons Israël faire alliance avec Bakou, qui fournit à l’État hébreu près de 55 % de son gaz. Vous le voyez bien, il ne s’agit pas d’un conflit religieux : c’est un conflit de territoires et d’intérêts particuliers. La France doit porter une voix singulière, pour remettre l’hôtel de ville au centre du village. (Sourires.)

M. Michel Savin. L’église !

M. Akli Mellouli. Nous sommes dans un espace laïc, je n’utiliserai donc pas d’autre métaphore !

Monsieur le ministre, pour nous, écologistes, il n’y a pas de double standard et d’indignation sélective en fonction de nos émotions, de nos origines ou de nos affinités. Nos valeurs ne sont pas à géométrie variable. Nous pleurons avec les mêmes larmes la mort d’un enfant à Kiev, dans le Haut-Karabagh, à Tel-Aviv ou à Gaza.

Nous dénoncerons toujours avec la même vigueur toutes les injustices, où qu’elles se produisent et d’où qu’elles viennent. Et nous déplorons de ne pas voir la même cohérence chez l’ensemble des responsables politiques.

C’est pour toutes ces raisons que le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires a cosigné et votera cette proposition de résolution, qui, je l’espère, redonnera dignité et respect au peuple arménien. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER, CRCE-K et RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Ouzoulias.

M. Pierre Ouzoulias. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame l’ambassadrice de l’Arménie en France, qui êtes présente dans nos tribunes, mes chers collègues, « lorsque le Sultan voit que, pendant trois années, il a pu, grâce au sommeil complaisant de l’Europe, conduire impuni des massacres qui n’ont peut-être pas de précédents dans les derniers siècles de l’histoire humaine, lorsqu’il voit l’Europe, se levant dans le premier sursaut de ce réveil tardif, au lieu de se tourner vers les victimes du Sultan pour guérir leurs blessures, au lieu de se tourner vers les populations opprimées, pour les aider à conquérir leur indépendance, se faire d’abord, pour première démarche, pour première politique, la servante de ses intérêts à lui, il se dit qu’il tient l’Europe dans ses mains, qu’il peut, à son gré, jouer d’elle. […] Dès maintenant, vous l’avez investi de l’impunité de l’Europe. »

Ainsi parlait Jean Jaurès le 15 mars 1897, depuis la tribune de la Chambre des députés, pour dénoncer l’indifférence coupable de l’Europe à la suite des massacres hamidiens.

Vingt-cinq lustres plus tard, poursuivant l’œuvre exterminatrice du Sultan rouge, l’Azerbaïdjan a envahi le territoire de la République d’Artsakh et réduit toute sa population à l’exil. En trois jours, un État a disparu. En trois jours, des Arméniens ont tout quitté, pour ne laisser derrière eux que des infirmes et leurs morts. En trois jours, de nouveau dans l’indifférence générale, l’Azerbaïdjan s’est octroyé le droit de redessiner des frontières internationales et de procéder à un nettoyage ethnique qui a fait 120 000 victimes.

De toute antiquité, le Haut-Karabagh a été peuplé quasi exclusivement par des Arméniens. C’est un général britannique qui, le premier, en confia l’administration à un Azéri.

Staline, par calcul, fragmenta davantage cette région, en rattachant à l’Azerbaïdjan les deux régions autonomes du Haut-Karabagh et du Nakhitchevan. Néanmoins, la loi soviétique du 3 avril 1990 donnait la possibilité aux républiques et aux régions autonomes de faire sécession. C’est dans ce cadre juridique que la République d’Artsakh a proclamé son indépendance, qui a été ratifiée par référendum le 10 décembre 1991.

Mes chers collègues, les frontières de la République d’Artsakh sont des frontières internationales. En acceptant leur violation, nous avons consenti à la primauté de la force sur le droit et de facto fragilisé l’intégrité territoriale de la République d’Arménie. Forte de son impunité, l’Azerbaïdjan exige maintenant une forme de souveraineté sur le Bas-Karabagh, donc sur la province arménienne du Syunik, pour progressivement établir une continuité territoriale avec le Nakhitchevan et la Turquie.

Si l’Union européenne et les instances internationales laissent impunie l’agression contre la République d’Artsakh, le Syunik sera annexé par l’Azerbaïdjan comme l’a été le Haut-Karabagh. Pour protéger l’Arménie, il faut sanctionner l’Azerbaïdjan.

Monsieur le ministre, il est du devoir de la France de tout mettre en œuvre auprès de ses alliés, des pays membres de l’Union européenne et de la Commission européenne pour qu’ils condamnent l’absorption de l’Artsakh et obligent l’Azerbaïdjan au respect intangible des frontières de l’Arménie.

Par ailleurs, il est inacceptable qu’Israël, l’Italie, la Bulgarie, l’Espagne, la République tchèque, la Slovaquie et même l’Ukraine continuent de fournir à l’Azerbaïdjan des armes que ce pays retourne contre le peuple arménien.

Ne vendons pas notre honneur contre un plat de lentilles en achetant le gaz et le pétrole azéris en échange de notre silence sur l’asservissement du peuple arménien !

Le Parlement européen, par sa résolution du 5 octobre 2023, a demandé à une très large majorité la suspension du protocole d’accord sur un partenariat stratégique dans le domaine de l’énergie. La France doit maintenant tout mettre en œuvre pour que cette suspension soit effective et pour que les avoirs des dirigeants azéris soient saisis, comme le prévoit la présente proposition de résolution.

Mes chers collègues, en entrant dans cet hémicycle, vous pouvez passer devant le buste d’Auguste Scheurer-Kestner, qui a été sénateur de 1875 à 1899. Pendant près de vingt-cinq ans, il a été au sein de notre assemblée le représentant d’une Alsace annexée par l’empire allemand. Jusqu’à sa mort, il a entretenu l’espoir du retour, comme ces nombreux Alsaciens et Lorrains qui préférèrent l’exode pour garder leur nationalité française.

Cette résolution doit être pour tous les Artsakhiotes un message de fraternité et d’espoir. Rien n’est jamais définitif, et les exils peuvent être provisoires. Sachez que nous demeurerons à vos côtés pour préserver votre droit, celui qu’a un peuple de disposer de lui-même et de refuser l’asservissement ! (Applaudissements.)

M. Max Brisson. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Noël Guérini. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Jean-Noël Guérini. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme l’a dit le président Retailleau, nous sommes réunis pour condamner l’offensive militaire de l’Azerbaïdjan au Haut-Karabagh et prévenir toute autre tentative d’agression et de violation de l’intégrité territoriale de la République d’Arménie – sans doute avec retard, hélas !

L’inquiétude que nous partagions dans cet hémicycle le 25 novembre 2020 lors du débat sur la nécessité de reconnaître la République du Haut-Karabagh a été confirmée par une offensive sanglante de l’Azerbaïdjan.

Pour cette séance publique qui nous rassemble, j’aurais pu me contenter de reprendre le discours que j’avais alors prononcé. Je n’y ôterais aucun mot, aucune remarque, rien ! Je parlais d’urgence à agir, de devoir moral et d’exigence. Ces mots d’ordre gardent leur force plus que jamais, alors que le contexte international a changé et que l’Arménie se retrouve isolée, sous surveillance de la Russie et de la Turquie.

Je rappelais la fierté qui était la nôtre quand la France avait su reconnaître le génocide arménien du 24 avril 1915. Que reste-t-il, mes chers collègues, de cette fierté ? Elle est aujourd’hui submergée par la honte. Oui, la honte !

En effet, depuis le 1er janvier 2024, la République du Haut-Karabagh, après une trentaine d’années d’existence, n’est plus, ce qui a entraîné l’exil des dizaines de milliers de réfugiés fatigués par la guerre – une fois encore, une fois de trop.

La République d’Arménie et le Haut-Karabagh ont été victimes du cynisme de leurs voisins et – pardonnez-moi par avance de la dureté de l’expression – de la lâcheté collective. Je l’affirme, le Haut-Karabagh et ses habitants ont été sacrifiés dans un silence assourdissant de la communauté internationale.

Oui, ils ont été sacrifiés sur l’autel d’intérêts économiques et géopolitiques. En premier lieu, évidemment, ceux qui sont liés à la crise de l’énergie et au jeu subtil de l’Azerbaïdjan, qui a su faire miroiter les avantages de ses réserves de gaz, alors que l’Europe tentait d’afficher sa condamnation de l’évasion de l’Ukraine par Moscou. Devrai-je aussi regretter le jeu trouble d’Ankara, d’Erdogan, ravi d’affaiblir toujours plus Erevan ?

Aussi, j’avoue ma honte, notre honte collective, la honte de la communauté internationale et – il faut le dire aussi – celle de l’ONU.

Honte à l’ONU, laquelle, chaque jour qui passe, ressemble toujours plus à sa grande sœur, la fameuse Société des Nations, impuissante, engoncée dans ses principes, ne bénéficiant comme seuls moyens de contrainte sur les États que de la confiance et du droit international. Confiance et droit qui sont foulés aux pieds par des dirigeants sans scrupule !

De fait, vous me concéderez, monsieur le ministre, que désormais la confiance et le droit international ne semblent pas peser d’un grand poids face à la volonté expansionniste de dirigeants qui oscillent entre agressivité, bellicisme et populismes en tous genres. Rassurez-vous, je ne m’engagerai nullement dans la lecture d’une liste exhaustive de ces personnalités. Je laisse aux juristes et aux diplomates aguerris le soin et la responsabilité de l’établir.

Toutefois, devrions-nous aussi laisser aux historiens la sinistre possibilité d’égrener la longue liste– permettez-moi d’employer ce mot – de nos lâchetés ? Évitons-leur ce triste travail, en portant avec fermeté et volonté notre message pour l’intégrité de l’Arménie. Car, mes chers collègues, si nous sommes comptables de ce fiasco aux lourds tributs humanitaires, pour les soldats, d’abord, et pour la jeunesse arménienne, ensuite, qui ont payé de leur sang les assauts de l’Azerbaïdjan, sachons aussi faire entendre notre voix.

Loin d’être purement symbolique, cette résolution permet de réaffirmer le soutien de la France à ce pays qui fait battre le cœur de la démocratie aux marges du Caucase. Dans un monde qui se fracture, où les haines attisent les conflits, notre voix doit se faire entendre pour accompagner, aider et soutenir un peuple qui marche sur le chemin du progrès – le peuple arménien, dont on connaît les souffrances, mais dont on sait aussi la richesse.

Parce que nous respectons ce pays, parce que nous l’aimons et parce que nous savons ce qu’il nous a apporté et continuera à nous offrir, soyons à ses côtés, sans états d’âme. C’est pour cela que le groupe RDSE, à l’unanimité, votera cette résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, UC et Les Républicains. – M. Gilbert-Luc Devinaz applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Duranton.

Mme Nicole Duranton. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour évoquer un conflit international douloureux, aux répercussions dévastatrices, dont les racines s’enfoncent dans un passé lourd et complexe.

La première guerre du Haut-Karabagh, achevée en 1994 après plus de six années de conflit, a été suivie par une seconde guerre en 2020, qui a duré un mois. En décembre 2022, les forces armées azerbaïdjanaises ont créé un blocus total dans la région du Haut-Karabagh. Elles ont pris le contrôle du corridor de Latchine et ont progressivement pris en étau la population du Haut-Karabagh, privée d’importation de produits alimentaires et de médicaments, puis faisant face à une pénurie d’essence.

Le 19 septembre 2023, l’Azerbaïdjan a violé le cessez-le-feu, conclu avec l’Arménie en 2020, en lançant une offensive militaire qui a pris fin le lendemain, le 20 septembre. La rapidité de ce conflit éclair ne doit pas minimiser l’ampleur de ses conséquences désastreuses, notamment géopolitiques. N’oublions pas que l’Arménie et l’Azerbaïdjan sont géographiquement très proches de la Russie et de l’Iran, deux États qui occupent déjà des rôles de premier plan dans d’autres conflits mondiaux.

Très courte, cette guerre d’un jour a poussé l’Arménie à ratifier son adhésion à la Cour pénale internationale, une décision prise pour un affront par Moscou. Même si les combats sur le terrain ont cessé, nous devons rester vigilants. L’attaque azerbaïdjanaise a ravivé de vieilles tensions dans le Caucase, une région peuplée d’anciennes entités soviétiques.

Par son offensive militaire, l’Azerbaïdjan a bafoué le droit à l’autodétermination du peuple arménien, principe garantissant son intégrité et sa sécurité.

Par son agression, il a également révélé des intentions génocidaires et une volonté d’épuration ethnique. Outre ses velléités de conquêtes territoriales, il s’en est pris au riche patrimoine culturel et religieux arménien, comme pour effacer toute trace de l’existence du peuple arménien dans la région du Haut-Karabagh.

La présente proposition de résolution rappelle que toutes ces atteintes au peuple arménien constituent un crime contre l’humanité au regard du droit international.

Ces atteintes à l’intégrité du peuple arménien sont intolérables. Nous condamnons unanimement l’offensive militaire menée par l’Azerbaïdjan dans la région du Haut-Karabagh. Nous demandons tous que le droit international et l’intégrité du peuple arménien soient respectés. C’est en vertu de ces principes et au regard de la tragédie qui s’est déroulée au Haut-Karabagh que cette proposition de résolution transcende les clivages partisans.

Dans un contexte où l’attention internationale est captivée par des crises majeures au Proche-Orient, en mer Rouge ou encore en Ukraine, il est impératif de rappeler le déroulé des événements tragiques du Haut-Karabagh et de mettre en lumière le soutien continu de la France à la population arménienne touchée par ce conflit. En toute situation, la France s’engage aux côtés des populations injustement affectées par les conflits armés.

En raison de l’opération militaire azerbaïdjanaise, près des deux tiers des 120 000 habitants du Haut-Karabagh ont été contraints de fuir. Parmi eux, 30 000 enfants ont subi la guerre. Ces personnes sont devenues, du jour au lendemain, des réfugiés dans une situation de grande détresse. La majorité d’entre elles trouve refuge en Arménie, laquelle est débordée par cet afflux massif et dépassée par la tragédie humanitaire qui l’accable.

La France va continuer de la soutenir, notamment grâce à l’aide d’urgence de 15 millions d’euros votée par le Parlement le 30 novembre 2023.

Ce nouvel effort porte la contribution française à 27,5 millions d’euros pour l’année 2023. Il s’accompagne d’actions de solidarité de la part de la société civile et des collectivités territoriales françaises en faveur de la population arménienne et des réfugiés pris au piège dans l’enclave du Haut-Karabagh, où ils ont enduré des souffrances inimaginables.

Les populations déplacées doivent pouvoir retourner chez elles en toute sécurité. Dans cette perspective, il est essentiel de respecter strictement l’intégrité territoriale et la souveraineté de l’Arménie, comme le dispose clairement la proposition de résolution.

Nous exigeons également la libération inconditionnelle des prisonniers de guerre. Nous pensons notamment aux autorités politiques démocratiquement élues du Haut-Karabagh, injustement détenues.

Il est temps que les responsables azerbaïdjanais, après avoir bafoué le droit international et l’intégrité du peuple arménien, répondent de leurs actes devant la justice et se confrontent aux sanctions appelées par cette résolution.

Ce texte vise à réclamer une réponse robuste de la France, de l’Union européenne et de la communauté internationale. Il nous invite collectivement à défendre les principes du droit international, du droit humanitaire et du droit à l’autodétermination des peuples.

Ces droits et toutes les valeurs qu’ils expriment sont des fondements essentiels de nos démocraties, qui contribuent à la stabilité de l’Union européenne et de son voisinage. Leur respect est la seule voie possible vers une paix durable entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie.

Pour toutes ces raisons, le groupe RDPI votera en faveur de cette proposition de résolution. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Kanner.

M. Patrick Kanner. Madame la présidente, mes chers collègues, ce débat, inscrit à l’ordre du jour sur l’initiative de MM. Retailleau et Devinaz, pourrait paraître décalé au vu des négociations qui ont été récemment entamées.

Pourtant, cette avancée diplomatique ne doit pas cacher les tensions qui restent prégnantes dans la région. Le risque d’invasion du sud de l’Arménie ne s’est pas évaporé, et le sort réservé aux intérêts arméniens reste préoccupant. La préservation de la souveraineté nationale de ce petit pays du Caucase doit rester notre priorité.

Le traumatisme de la Seconde Guerre mondiale a conduit à la mise en place collective d’instances internationales de régulation permettant en principe de favoriser la résolution pacifique des conflits, y compris territoriaux, voire de la garantir. Quarante ans plus tard, à la fin de la guerre froide, lorsque résonnaient les notes de Bach sur le violoncelle de Rostropovitch à Checkpoint Charlie, l’espoir de l’apaisement nous animait !

Ce moment fut bref. Les tensions ont repris ; à présent, elles prennent une forme extrêmement douloureuse. Depuis quelques années, nous assistons à une escalade délétère. Mes chers collègues, je nous exhorte à ne pas nous y habituer ! Je nous souhaite de toujours porter haut l’étendard de la paix face à une sorte de fatalisme belliqueux.

L’élimination ethnique est, rappelons-le, la forme extrême de violence entre humains. Celle qui a eu lieu en Arménie ne peut être tolérée. La solution monstrueuse qui a été imaginée par l’Empire ottoman doit être dénoncée et l’indolence occidentale lors du génocide arménien de 1915 reconnue.

Cette proposition de résolution permet aussi cela : nommer les choses et mettre en exergue un conflit qui est depuis trop longtemps invisible, qui s’est transformé dans le Haut-Karabagh en épuration ethnique territoriale.

Madame l’ambassadrice, on dit du peuple arménien qu’il est résilient. Souvent, il est comparé à un phénix qui renaît de ses cendres.

Cette image est cependant sujette à caution, dans la mesure où elle nous donnerait trop facilement bonne conscience. En effet, lorsqu’elles ne sont pas sous le feu des médias et que la communauté internationale ne s’élève pas contre elles, les puissances belligérantes, portant souvent une vision impérialiste, peuvent avoir le sentiment que leurs actions se feront en toute impunité.

C’est le cas dans de trop nombreuses régions du monde. Par exemple, les menaces sur Taïwan ou l’instabilité politique au Yémen n’ont pas suscité de grands émois médiatiques ; quant à l’Ukraine, elle s’efface peu à peu de nos informations devant le nouveau conflit israélo-palestinien ou au profit des événements internes. Pourtant, l’actualité de notre pays est nécessairement influencée par le reste du monde, et réciproquement.

La montée des nationalismes est inquiétante. Elle favorise les revendications territoriales et l’extrémisme, qui est le vecteur naturel de la conflictualisation des relations. Les tendances nationalistes sont en train de submerger notre pays, ces idées mortifères n’étant plus réservées à l’extrême droite. En effet, monsieur le ministre, le Gouvernement en reprend parfois les éléments de langage pour alimenter ses choix politiques. Je pense au projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration.

Or, à l’aube des élections européennes, ces phénomènes de division, de fracturation et d’attisement des tensions devraient être dénoncés par l’ensemble de nos États. La banalisation des phénomènes violents doit être refusée, ce qui interroge la capacité de nos organisations européennes, mais aussi internationales à peser pour résoudre pacifiquement les conflits de ce monde.

Les élections européennes doivent être l’occasion de réaffirmer notre responsabilité en ce domaine. Notre conception du droit international doit primer les nouveaux rapports de force qui nous sont imposés dans une logique d’impunité.

Mes chers collègues, le débat qui nous anime aujourd’hui doit n’avoir qu’un seul but : rendre possible l’avènement d’une humanité réconciliée.

Aussi, permettez-moi de vous livrer une pensée de l’écrivain arménien William Saroyan : « Essayez donc de détruire l’Arménie. […] Il suffirait que deux Arméniens se rencontrent, n’importe où dans le monde, pour qu’ils [en] créent une nouvelle. »

Nous voterons en faveur de cette proposition de résolution. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Allizard.

M. Pascal Allizard. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, au carrefour des civilisations, le Caucase, « montagne des langues », est riche de sa diversité culturelle, religieuse, linguistique et ethnique. La région a connu au fil des siècles une histoire mouvementée, qui n’est pas sans lien avec les événements récents que nous condamnons.

La période soviétique a garanti une certaine stabilité, mais au prix d’un verrouillage sécuritaire strict. Je rappelle qu’Heydar Aliev, premier président de l’Azerbaïdjan indépendant, avait été général du KGB ! Cette ère a néanmoins complexifié la situation locale et n’a pas pu empêcher les premières tensions entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, lesquelles ont ensuite dégénéré en conflit gelé, ponctué d’escarmouches et d’affrontements ouverts.

L’effondrement brutal de l’Union soviétique a laissé des séquelles. La Russie réalise en force un lent retour dans des États indépendants qu’elle considère toujours comme son étranger proche. La Géorgie a connu cette situation, puis l’Ukraine. Après 2008, l’Azerbaïdjan, qui s’était rapidement rapproché des Occidentaux et enrichi par le pétrole et par le gaz de la Caspienne, a bien reçu le message russe en revenant à de meilleurs sentiments à l’égard de Moscou.

À qui voulait l’entendre, les Azerbaïdjanais n’ont jamais fait mystère de leur volonté de mettre à profit cette richesse pour améliorer le sort de leurs déplacés et pour récupérer, au besoin militairement, les territoires considérés comme perdus en 1994. Ce pari de long terme a été gagnant face à l’Arménie : privée de ressources naturelles et lâchée par les Russes, celle-ci s’enfonçait dans la crise économique, exclue de fait du boom énergétique de la Caspienne.

Le retour en force des ex-empires comme la Turquie, liée culturellement à Bakou, et la Russie, en quelque sorte désinhibés dans l’usage de la force et dans la violation du droit, a facilité les récentes actions militaires azerbaïdjanaises. Cette guerre instrumentalisée devient une nouvelle zone de friction entre les Occidentaux que nous sommes et les partisans d’un nouvel ordre mondial fondé sur la dictature.

Que faire alors face à un tel conflit où les belligérants s’opposent à coups d’études historiques censées démontrer l’antériorité d’une présence sur une autre ? Il faut condamner les exactions, juger inacceptables ces comportements adoptés par des États qui ont des obligations au regard du droit international et humanitaire, soutenir les populations victimes de la guerre et faire cesser la destruction méthodique du patrimoine historique. Tel est l’objet du texte de la résolution débattue aujourd’hui.

Rappelons-nous que, depuis longtemps, la France n’a pas ménagé sa peine. Je souligne notamment la forte implication personnelle – je reviens quelques années en arrière ! – du président Chirac et de la diplomatie française, ainsi que les travaux du groupe de Minsk, créé par l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) pour un règlement pacifique du conflit.

Au Sénat, le président Poncelet avait lui aussi multiplié les initiatives avec ses homologues des parlements du Sud-Caucase. À cette époque, la France pouvait encore parler à tout le monde et avoir une position équilibrée. Depuis lors, les choses ont changé, me semble-t-il, au Caucase comme ailleurs : notre capacité d’action s’est restreinte. Nous ne sommes plus vraiment audibles.

Au cours d’un récent déplacement à Erevan, j’ai pu assister à la présentation aux membres de l’assemblée parlementaire de l’OSCE du plan de paix du Premier ministre arménien. Je me suis aussi entretenu avec l’ambassadeur de France et avec l’attaché de défense, dont le poste – il convient de le souligner – vient tout juste d’être créé, pour marquer le nouveau soutien de la France à l’Arménie dans le domaine des armées. Cet appui a un but défensif : coopération militaire, livraison de matériel, etc.

Évidemment, les relations avec l’Azerbaïdjan se sont passablement dégradées. Les présidents de ce pays, Heydar Aliev, puis son fils, Ilham Aliev, avaient pourtant choisi la France pour leur première visite officielle à l’étranger.

L’Azerbaïdjan est membre du Partenariat oriental de l’Union européenne, dont les parties se sont notamment engagées à défendre les valeurs fondamentales qu’elles partagent : renforcement de la démocratie et de l’État de droit, protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales…

Comme la Russie, ce pays est un État participant à l’OSCE, organisation dont la raison d’être est la diplomatie préventive, la résolution pacifique des différends et le désarmement. Pourtant, à l’heure actuelle, les diplomates sont réciproquement expulsés. Avec le temps, chacun constate le décalage entre les discours et les actes.

Les exportations des produits énergétiques azerbaïdjanais vers l’Union européenne devraient se maintenir, voire croître. Certains énergéticiens européens ont des intérêts directs dans la Caspienne ; leurs concurrents russes ou chinois ne seraient pas fâchés de les remplacer.

Quelles seraient les solutions de substitution en matière d’approvisionnement pour les Européens, alors qu’ils sont déjà coupés d’une partie de la production russe ? Se mettre davantage entre les mains de l’Algérie, du Qatar ou des États-Unis ? Aucune solution n’est idéale.

Enfin, nous savons par l’expérience d’autres conflits le peu de portée pratique des sanctions européennes habituelles.

Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Pascal Allizard. Mes chers collègues, au-delà de la seule condamnation des actions azerbaïdjanaises, je soutiens vaillamment, vous l’aurez compris, la proposition de résolution qui est présentée. Je vous appelle à voter en sa faveur. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à M. Gilbert-Luc Devinaz, dont je rappelle qu’il est le président du groupe interparlementaire d’amitié France-Arménie. (Vifs applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et Les Républicains.)

M. Gilbert-Luc Devinaz. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame l’ambassadrice, mes chers collègues, la diplomatie parlementaire est précieuse. Elle permet à des élus d’échanger en toute bienveillance, ainsi que de partager leurs espoirs, leurs doutes et leurs angoisses.

Je pense que mes collègues du Sénat et moi y contribuons activement au sein du groupe interparlementaire d’amitié France-Arménie, que j’ai l’honneur de présider. Notre groupe est l’un des plus actifs de la Haute Assemblée grâce à l’engagement extraordinaire de tous ses membres. Je veux leur rendre hommage.

Je souhaite aussi remercier tout particulièrement le président Gérard Larcher, qui a toujours soutenu nos initiatives.

Je salue également l’engagement sincère et l’aide efficace de Bruno Retailleau.

J’exprime enfin ma reconnaissance aux présidents de l’ensemble des groupes politiques du Sénat. Ils ont accepté de cosigner ce texte, faisant la démonstration, par cette belle unanimité, que la cause arménienne dépasse les clivages politiques.

En effet, cette cause renvoie à l’universel. Elle se rapporte à la défense des droits de l’Homme, par opposition au funeste projet génocidaire de l’Azerbaïdjan et de la Turquie ; elle a trait à la défense de la démocratie contre la dictature, ainsi qu’à la défense de l’ordre international et de la diplomatie contre l’emploi de la force et le retour des logiques de puissance.

Comme je l’indiquais il y a un instant, la diplomatie parlementaire a parfois une longueur d’avance sur la diplomatie officielle, grâce aux liens de confiance et de fraternité qui se tissent entre parlementaires.

Grâce à ces liens, nos amis députés arméniens nous ont livré avec une grande franchise leurs réflexions sur la situation de leur pays. À plusieurs reprises, notamment en 2019, ils nous ont alertés sur les risques d’une agression militaire. Leurs craintes étaient fondées. Nous les avons relayées auprès des autorités françaises, mais elles n’ont pas toujours été entendues, en tout cas pas assez tôt.

Par conséquent, je défends cette proposition de résolution avec une certaine solennité et avec le devoir moral de témoigner du sentiment d’urgence absolue exprimé par nos collègues parlementaires arméniens.

Cette proposition fait suite à l’offensive militaire menée par l’Azerbaïdjan en septembre dernier, en violation de l’accord de cessez-le-feu.

En apparence, le contexte a évolué ces dernières semaines, avec la libération de trente-deux prisonniers et la volonté affichée des deux pays de trouver une voie de conciliation. Nous soutiendrons bien sûr toute initiative allant dans le sens d’une paix équitable et sincère.

Il n’en demeure pas moins absolument nécessaire de dénoncer ce qu’ont vécu et que vivent encore les 120 000 Arméniens d’Artsakh. Après plus de dix mois d’un blocus qui les a privés de tout, tous ont été contraints de quitter leur terre et leur maison. Ce que notre ancienne ministre des affaires étrangères a qualifié d’« épuration ethnique » a, en réalité, toutes les caractéristiques d’un véritable projet génocidaire.

Comme l’exode contraint des populations n’était pas suffisant, le président Aliev est venu piétiner leur drapeau et effacer toute trace de leur présence à Stepanakert, en détruisant le patrimoine arménien et en rebaptisant les rues du nom des auteurs du génocide de 1915. Ces actes odieux nous ont glacé le sang.

Aujourd’hui, souhaitant faire acter une position acquise illégitimement par la violence, l’Azerbaïdjan assure vouloir faire la paix. Cette intention revient à entériner l’annexion du Haut-Karabagh et l’épuration ethnique qui s’est ensuivie. Nous ne pouvons nous y résoudre.

Tel est le sens de la résolution qui vous est présentée, mes chers collègues.

Premièrement, elle vise à condamner l’offensive militaire de septembre dernier, condamnation dont il devrait logiquement résulter l’application d’un régime de sanctions au niveau européen et international.

Deuxièmement, elle tend à appeler à la libération immédiate des autorités politiques démocratiquement élues du Haut-Karabagh ainsi que de tous les prisonniers de guerre.

Troisièmement, elle a pour objet de souligner l’impérieuse nécessité de garantir aux populations arméniennes du Haut-Karabagh un droit au retour en toute sécurité.

Quatrièmement, la résolution vise à alerter sur les menaces qui pèsent sur le patrimoine arménien du Haut-Karabagh.

Cinquièmement, et enfin, l’Arménie doit avoir les moyens de se défendre pour prévenir toute nouvelle tentative d’agression et de violation de son intégrité territoriale. La coopération militaire mise en place cet automne entre nos deux pays va dans ce sens.

Il faut ne rien lâcher et résister, malgré les menaces, les peurs et le désespoir. Alors que Missak Manouchian entrera dans quelques semaines au Panthéon pour avoir défendu les valeurs de notre pays et de notre république, nous nous devons à notre tour de défendre la République d’Arménie et les valeurs démocratiques qu’elle incarne dans cette région tourmentée du Caucase, voisine de l’Europe.

Mes chers collègues, je vous remercie de soutenir cette résolution. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Stéphane Séjourné, ministre de lEurope et des affaires étrangères. Madame la présidente, messieurs Retailleau et Devinaz, mesdames, messieurs les sénateurs, madame l’ambassadrice – j’ai plaisir à vous voir dans cette tribune –, la proposition de résolution examinée aujourd’hui par le Sénat porte sur un enjeu vital pour la France et pour l’Europe : assurer une paix durable et juste dans le Sud-Caucase, dans le respect des principes du droit international.

L’engagement en la matière de la France aux côtés de l’Arménie est « inconditionnel, entier et constant », selon les termes du Président de la République.

Mesdames, messieurs les sénateurs, au travers de cette proposition de résolution transpartisane, vous vous interrogez sur la concrétisation de notre solidarité à l’égard de l’Arménie. Comme vous l’indiquiez les uns et les autres, aucun autre pays que la France ne fait autant pour cet État. Nous assumons nos responsabilités.

Nous avons condamné l’exode forcé des Arméniens du Haut-Karabagh, provoqué par l’Azerbaïdjan sous le regard complice de la Russie. Notre condamnation s’est accompagnée d’une action résolue, à la mesure de l’émotion suscitée par cette tragédie. Permettez-moi d’en rappeler les grandes lignes.

Premièrement, nous avons apporté un soutien humanitaire renforcé à l’Arménie et aux réfugiés du Haut-Haut-Karabagh, en triplant notre assistance financière entre le 19 septembre dernier et les jours suivants. Nous avons ainsi porté son montant à 29 millions d’euros en 2023. Je salue d’ailleurs le vote par le Parlement d’une aide d’urgence supplémentaire de 15 millions d’euros.

Nous appuyons de ce fait l’action du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), de la Croix-Rouge arménienne et des agences des Nations unies. Ces moyens permettent également d’accueillir la population et d’assurer la prise en charge d’une aide particulière, sociale et médicale, pour les plus vulnérables face à cette crise. De plus, une aide médicale d’urgence a été fournie aux autorités arméniennes, et les hôpitaux français se sont occupés de plusieurs grands brûlés.

Grâce à la société civile, l’État ne contribue pas seul à ce soutien. Ici, au Sénat, je tenais à remercier l’ensemble des collectivités territoriales, qui, il faut le dire, ont été au rendez-vous de cette cause. Je salue devant vous leur mobilisation humanitaire et financière.

Deuxièmement, nous avons apporté une réponse politique. La France a été aux avant-postes de la mobilisation internationale. Nous avons agi aux Nations unies ; trois réunions du Conseil de sécurité se sont tenues sur notre initiative. La première a d’ailleurs eu lieu au lendemain de l’offensive azerbaïdjanaise.

Nous l’affirmons clairement, la force et la menace ne doivent pas définir l’avenir de l’Arménie et des négociations de paix.

Le 5 octobre dernier, à Grenade, en marge du sommet de la Communauté politique européenne (CPE) et aux côtés du Premier ministre arménien, du chancelier allemand et du président du Conseil européen, le Président de la République a signifié notre soutien indéfectible à l’indépendance, à la souveraineté, à l’intégrité territoriale et à l’inviolabilité des frontières de l’Arménie. J’indique de nouveau ici notre extrême vigilance s’agissant de leur respect.

Le Président de la République a reçu le Premier ministre Pashinyan le 9 novembre dernier à Paris, pour marquer sa solidarité, sa détermination et la solidité de notre engagement plein et entier aux côtés des Arméniens et du peuple arménien. L’objectif était également d’évoquer la manière d’accroître notre assistance.

Troisièmement, nous renforçons notre relation bilatérale. Les actes très concrets sont là. Ainsi, la France a donné son accord à la conclusion de contrats pour livrer du matériel militaire. L’Arménie doit pouvoir protéger sa population et son territoire, et notre pays continuera à agir dans ce domaine dans un esprit de responsabilité et sans aucun esprit d’escalade.

Dans la même logique politique, nous renforcerons notre présence dans la région par l’ouverture prochaine d’une agence consulaire et nous continuerons à appuyer le développement de projets d’infrastructures dans les domaines stratégiques, tels que les transports, l’énergie et l’eau.

Quatrièmement, notre soutien passe aussi par l’Europe. Même si elle a été tardive, une prise de conscience a eu lieu au cours de ces derniers mois. Il existe désormais un consensus pour bâtir un plan de soutien à l’Arménie indépendante, souveraine et démocratique.

Lors de ses réunions des 26 et 27 octobre, le Conseil européen a demandé aux institutions de travailler au renforcement des relations entre l’Union européenne et l’Arménie dans toutes leurs dimensions. À la demande de la France, le Conseil des affaires étrangères a décidé d’accroître les effectifs de la mission civile de l’Union européenne en Arménie. Il s’agit de renforcer pour nous la présence européenne sur les points sensibles de la frontière entre ce pays et l’Azerbaïdjan.

De plus, des discussions sont en cours pour que l’Arménie bénéficie d’un soutien au titre de la Facilité européenne pour la paix. Là encore, espérons que cette proposition, à l’initiative de laquelle était la France, puisse progresser.

Ces avancées sont essentielles. Nous nous en félicitons. Vous pouvez compter sur notre détermination pour continuer à faire bouger les lignes.

Mesdames, messieurs les sénateurs, la conviction de la France reste inchangée : seul un processus négocié apportera la paix aux populations du Sud-Caucase. La France souhaite que les négociations se poursuivent pour normaliser les relations entre les deux États. Elle apporte tout son soutien aux discussions et aux efforts de médiation, à la fois européens et américains.

Il est important que l’Azerbaïdjan lève toute ambiguïté sur le respect de l’intégrité territoriale de l’Arménie. Nous souhaitons que le Caucase et le Sud-Caucase soient un espace de paix et de coopération, où les frontières sont ouvertes. Ce serait un signal très fort, y compris pour nos relations avec les pays de la région.

Des gestes de bonne volonté réciproque ont été consentis par les deux États en décembre dernier, notamment la libération de certains prisonniers. Ce signal est positif, mais insuffisant. Espérons que de telles annonces constituent un premier pas pour résoudre la situation des autres détenus, que vous avez tous évoquée.

Ma conviction est aussi qu’une paix juste et durable se trouve possible uniquement dans le respect du droit international, de la souveraineté, de l’intégrité territoriale et de l’inviolabilité des frontières des deux États. Nous serons intransigeants sur ces grands principes.

En outre, l’Azerbaïdjan doit prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher et pour punir les actes de dégradation et de profanation du patrimoine culturel, religieux et funéraire arménien.

Les graves événements de l’automne ont permis de réveiller les consciences de nombreux Européens, qui voyaient le confit du Sud-Caucase comme lointain. Or il nous concerne tous, interrogeant le respect du droit et nous mettant face à des déplacements entiers de population et à des menaces sur un État souverain. Une démocratie est menacée !

Mesdames, messieurs les sénateurs, telle est la ligne de conduite de la France. Avec constance et exigence, nous œuvrerons pour la paix, soutiendrons tous les efforts sincères en faveur de cette dernière, défendrons le droit international et nous tiendrons aux côtés du peuple arménien et des Arméniens du Haut-Karabagh. Notre action continuera et prendra de l’ampleur dans les prochains mois. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Nous allons procéder au vote sur la proposition de résolution.

proposition de résolution visant à condamner l’offensive militaire de l’azerbaïdjan au haut-karabagh et à prévenir toute autre tentative d’agression et de violation de l’intégrité territoriale de la république d’arménie, appelant à des sanctions envers l’azerbaïdjan et demandant la garantie du droit au retour des populations arméniennes au haut-karabagh

Le Sénat,

Vu l’article 34-1 de la Constitution,

Vu la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution,

Vu le Chapitre XVI du Règlement du Sénat,

Vu la Charte des Nations unies du 26 juin 1945, le traité de l’Atlantique Nord du 4 avril 1949, l’acte final d’Helsinki du 1er août 1975 et la déclaration d’Alma-Ata du 21 décembre 1991,

Vu la Déclaration universelle des droits de l’Homme du 10 décembre 1948, la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale du 4 janvier 1969, les Conventions de Genève et leurs protocoles ultérieurs, le Statut de Rome de la Cour pénale internationale du 17 juillet 1998, la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 et la résolution 60/1 de l’Assemblée générale des Nations unies du 16 septembre 2005 sur la responsabilité de protéger les populations contre le génocide, les crimes de guerre, le nettoyage ethnique et les crimes contre l’humanité,

Vu la Convention de La Haye de 1954 pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé, à laquelle l’Arménie et l’Azerbaïdjan sont parties, et ses deux protocoles, la Convention de l’Unesco du 16 novembre 1972 concernant la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel, la déclaration de l’Unesco du 17 octobre 2003 concernant la destruction intentionnelle du patrimoine culturel et l’arrêt Ahmad Al Faqi Al Mahdi de la Cour pénale internationale (CPI) rendu le 27 septembre 2016,

Vu l’accord de cessez-le-feu du 9 novembre 2020 et la déclaration commune trilatérale signée le 11 janvier 2021 par la Russie, l’Arménie et l’Azerbaïdjan,

Vu les ordonnances de la Cour internationale de justice (CIJ) du 22 février 2023 et du 6 juillet 2023 relatives à la demande en indication de mesures conservatoires en vue de l’application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale,

Vu la déclaration, signée le 13 octobre 2023 par le président de la République d’Arménie Vahagn Khachaturyan, portant sur la ratification du Statut de Rome de la Cour pénale internationale du 17 juillet 1998, et portant sur l’adoption d’une déclaration « Sur la reconnaissance rétroactive de la compétence de la Cour pénale internationale par la République dArménie », conformément à l’article 12, partie 3 du même Statut,

Vu les résolutions du Parlement européen du 20 mai 2021 sur les prisonniers de guerre à la suite du dernier conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan (2021/2693(RSP)), du 10 mars 2022 sur la destruction du patrimoine culturel au Haut-Karabakh (2022/2582(RSP)), et du 5 octobre 2023 sur la situation au Haut-Karabagh après l’attaque menée par l’Azerbaïdjan et la persistance des menaces contre l’Arménie (2023/2879(RSP)),

Vu les résolutions du Sénat n° 26 (2020-2021), adoptée le 25 novembre 2020, portant sur la nécessité de reconnaître la République du Haut-Karabagh, et n° 19 (2022-2023) adoptée le 15 novembre 2022, visant à appliquer des sanctions à l’encontre de l’Azerbaïdjan et exiger son retrait immédiat du territoire arménien, à faire respecter l’accord de cessez-le-feu du 9 novembre 2020, et favoriser toute initiative visant à établir une paix durable entre les deux pays,

Considérant l’agression militaire conduite par l’Azerbaïdjan les 19 et 20 septembre 2023 dans la région du Haut-Karabagh, en violation de l’accord de cessez-le-feu du 9 novembre 2020 et du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ;

Considérant l’inaction et l’incapacité des forces d’interposition russes de maintien de la paix à faire respecter l’accord de cessez-le-feu du 9 novembre 2020 ;

Considérant les violations répétées de l’intégrité territoriale de l’Arménie par l’Azerbaïdjan et ses ambitions affichées de créer un couloir de transport qui traverse le massif du Zanguezour, situé au Sud de l’Arménie, pour relier l’Azerbaïdjan à la République autonome du Nakhitchevan, et d’offrir ainsi une continuité terrestre jusqu’à sa frontière avec la Turquie ;

Considérant les risques inhérents aux manœuvres militaires d’ampleur annoncées le 23 octobre 2023 et menées conjointement par l’Azerbaïdjan et la Turquie dans le Nakhitchevan ;

Considérant que le conflit du Haut-Karabagh et celui entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie se déroulent dans une région particulièrement instable, proche de l’Union européenne, et comportent un risque d’embrasement impliquant potentiellement des puissances régionales ;

Considérant l’exode forcé des populations arméniennes du Haut-Karabagh, du fait de cette agression militaire après dix mois de blocus imposé par les autorités azerbaïdjanaises, reconnu comme une opération annoncée et planifiée de nettoyage ethnique ;

Considérant la situation humanitaire dramatique qui en résulte sur le plan de l’alimentation en eau et en nourriture, de la santé et de l’hébergement pour les plus de 100 000 Arméniens déplacés et de l’éducation pour les quelque 30 000 enfants concernés ;

Considérant que la population arménienne du Haut-Karabagh, lorsqu’elle était placée sous administration azerbaïdjanaise, a été soumise de façon répétée à des massacres organisés ; considérant que les rapports de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance du Conseil de l’Europe (ECRI) et du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale de l’ONU (CERD) attestent de l’impossibilité des populations arméniennes à vivre librement en Azerbaïdjan et que, par conséquent, la sécurité et la liberté des populations arméniennes du Haut-Karabagh ne sont pas garanties ;

Considérant les menaces avérées de dégradation irréversible qui pèsent sur le patrimoine culturel et religieux arménien du Haut-Karabagh, dont les occupants voudraient effacer toute trace, dans leur dessein génocidaire ; considérant que dans la lecture de la Cour pénale internationale une telle dégradation constituerait un crime contre l’humanité ;

Considérant les conditions dans lesquelles les autorités démocratiquement élues du Haut-Karabagh et ses anciens dirigeants ont été arrêtés de façon arbitraire et placés en détention ;

Considérant que la France a déployé des efforts actifs depuis 1994, dans le cadre du Groupe de Minsk, dont elle assure la co-présidence aux côtés de la Russie et des États-Unis, pour aboutir à une solution pacifique dans le conflit du Haut-Karabagh ; considérant que le conflit ukrainien affecte la faculté du Groupe de Minsk à remplir sa mission ; considérant, par ailleurs, que ce processus est durablement entravé par le recours de l’Azerbaïdjan à la solution militaire ;

Considérant que la France soutient la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’Arménie, qu’elle se mobilise en faveur d’une paix juste et durable dans le Caucase ;

Considérant que les pourparlers de paix sous l’égide de l’Union européenne subissent les conséquences tant du conflit né de l’agression de la Russie contre l’Ukraine que des enjeux stratégiques liés à l’autonomie énergétique de l’Union européenne ;

Condamne avec la plus grande fermeté l’offensive militaire des 19 et 20 septembre 2023 menée par l’Azerbaïdjan, avec l’appui de ses alliés, dans le Haut-Karabagh, qui a contraint à l’exode la quasi-totalité des populations arméniennes qui y vivaient ;

Rappelle que le respect du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, qui s’applique aux populations arméniennes du Haut-Karabagh, est la seule voie possible vers une paix durable entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie et qu’il incombe aux États de respecter et de protéger ce droit et que, par conséquent, il est du devoir la communauté internationale d’exiger de l’Azerbaïdjan de tout mettre en œuvre pour garantir le droit au retour des populations arméniennes au Haut-Karabagh dans des conditions de nature à assurer leur sécurité et leur bien-être ;

Salue l’initiative du Gouvernement français de renforcer l’aide humanitaire apportée à l’Arménie pour répondre aux besoins élémentaires des populations civiles du Haut-Karabagh réfugiées sur son sol, et l’invite à appeler ses partenaires européens à faire de même ;

Réaffirme l’inviolabilité de l’intégrité territoriale de l’Arménie, et demande le retrait immédiat et inconditionnel, sur leurs positions initiales, des forces azerbaïdjanaises et de leurs alliés du territoire souverain de l’Arménie ;

Alerte le Gouvernement français, l’Union européenne et la communauté internationale sur les ambitions hégémoniques de l’Azerbaïdjan et de la Turquie ainsi que sur le danger qu’elles représentent pour la République d’Arménie, son intégrité territoriale et la paix dans le Caucase ;

Fait valoir le droit de l’Arménie à défendre son intégrité territoriale et de disposer des moyens d’assurer sa sécurité, y compris par la voie militaire ; accueille par conséquent favorablement la décision du Gouvernement français de livrer du matériel militaire à l’Arménie et soutient toute initiative visant à défendre au niveau de l’Union européenne le recours à la Facilité européenne pour la paix (FEP) en faveur de l’Arménie ;

Réprouve l’arrestation arbitraire des responsables politiques de la République du Haut-Karabagh, représentants légitimes du peuple de ce territoire, et demande leur libération sans délai ;

Invite le Gouvernement à exiger de la République d’Azerbaïdjan, sous peine de sanctions, la libération sans délai des prisonniers civils et militaires qu’elle détient et la restitution immédiate des corps des soldats arméniens tués au combat ;

Appelle au respect de l’intégrité du patrimoine culturel et religieux, conformément aux obligations qui incombent à l’Azerbaïdjan et à l’Arménie en vertu de leurs engagements internationaux, et condamne vigoureusement les atteintes portées aux bâtiments, vestiges, collections et biens culturels arméniens du Haut-Karabagh ;

Fait valoir l’urgence à inscrire la protection du patrimoine du Haut-Karabagh à l’ordre du jour du Comité intergouvernemental pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé et appelle à la suspension de l’Azerbaïdjan de ce Comité ;

Souligne la nécessité de constituer sans délai un groupe international d’experts auprès de l’UNESCO et de l’envoyer en mission dans le Haut-Karabagh pour établir un rapport d’information sur l’état du patrimoine culturel et religieux ;

Invite le Gouvernement à tirer toutes les conséquences diplomatiques des agressions répétées de l’Azerbaïdjan envers l’Arménie et à envisager, avec ses partenaires européens, un réexamen complet des relations de l’Union européenne avec l’Azerbaïdjan ainsi que les réponses les plus fermes appropriées – y compris la saisie des avoirs des dirigeants azerbaïdjanais et un embargo sur les importations de gaz et de pétrole d’Azerbaïdjan – pour sanctionner l’agression militaire menée par l’Azerbaïdjan ;

Invite le Gouvernement à tout mettre en œuvre pour que l’Azerbaïdjan s’engage instamment et pacifiquement dans un processus de négociation par la voie diplomatique, afin d’aboutir à l’établissement d’une paix durable dans le Caucase Sud.

Mme la présidente. Mes chers collègues, je rappelle que la conférence des présidents a décidé que les interventions des orateurs valaient explication de vote.

Je mets aux voix la proposition de résolution.

J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 110 :

Nombre de votants 339
Nombre de suffrages exprimés 337
Pour l’adoption 336
Contre 1

Le Sénat a adopté. (Applaudissements.)

Mes chers collègues, je tiens à vous féliciter pour ce débat passionnant et digne.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, visant à condamner l'offensive militaire de l'Azerbaïdjan au Haut-Karabagh et à prévenir toute autre tentative d'agression et de violation de l'intégrité territoriale de la République d'Arménie, appelant à des sanctions envers l'Azerbaïdjan et demandant la garantie du droit au retour des populations arméniennes au Haut-Karabagh
 

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Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, invitant le Gouvernement à ériger la santé mentale des jeunes en grande cause nationale
Discussion générale (suite)

Ériger la santé mentale des jeunes en grande cause nationale

Discussion d’une proposition de résolution

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, invitant le Gouvernement à ériger la santé mentale des jeunes en grande cause nationale
Discussion générale (interruption de la discussion)

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle l’examen, à la demande du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, de la proposition de résolution invitant le Gouvernement à ériger la santé mentale des jeunes en grande cause nationale, présentée, en application de l’article 34-1 de la Constitution, par Mme Nathalie Delattre et plusieurs de ses collègues (proposition n° 602 rectifié [2022-2023]).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme Nathalie Delattre, auteure de la proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme Nathalie Delattre, auteure de la proposition de résolution. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le 29 mars dernier, lors de la séance de questions d’actualité au Gouvernement, j’ai appelé l’attention sur l’état alarmant de la santé mentale des jeunes, un sujet qui est au cœur de la proposition de résolution que j’ai déposée et que nous étudions aujourd’hui.

L’actualité nous rappelle brutalement, souvent, hélas ! à la suite du tragique suicide d’un jeune, la souffrance psychique de nombreux enfants, adolescents et étudiants. Chanel, Lindsay, Nicolas, Lucas : ces vies brisées reflètent une réalité dure ; ces décès sont insurmontables pour les familles concernées.

Oui, de plus en plus de jeunes connaissent un état dépressif. Si les causes du mal-être sont propres à chaque individu et parfois complexes à établir, les études sur la santé mentale recensent plusieurs marqueurs.

L’adolescence est bien entendu une période difficile, la puberté supposant l’acceptation plus ou moins facile des changements corporels. En outre, on est rarement indifférent au regard des autres durant cette période de la vie.

L’isolement concerne plus particulièrement les étudiants, qui sont souvent coupés de leurs proches. C’est très anxiogène, en particulier en milieu urbain. Nous l’avons mesuré durant la pandémie de la covid-19.

Les violences morales, physiques ou sexuelles au sein de la famille, ou en dehors de celle-ci, sont également à l’origine de drames et de nombreux troubles psychiques.

Concernant les violences extrafamiliales, la question du harcèlement scolaire tourmente des milliers d’enfants et hante des parents souvent impuissants face à ce phénomène, quand ils ne sont pas tout simplement ignorants de la tragédie qui s’immisce sournoisement dans leur foyer.

La semaine dernière encore, un jeune Toulousain, victime de harcèlement scolaire, s’est poignardé en plein cours.

On le constate et on le déplore, le harcèlement scolaire a pris une tournure encore plus dramatique depuis son irruption sur les réseaux sociaux. Longtemps cantonné aux cours d’école, il trouve une audience démultipliée et extrascolaire sur les réseaux, qui ne fait qu’aggraver le phénomène pour les victimes.

Parmi les autres maux contemporains susceptibles d’affecter la santé mentale, je n’oublie pas la violence visuelle à laquelle sont exposés les adolescents du fait de leur addiction aux écrans, source d’isolement et d’accès sans filtre à des informations difficiles, voire effrayantes.

Quant au changement climatique, il provoque aujourd’hui ce que l’on appelle l’éco-anxiété, un mélange de peur, de colère et de tristesse pouvant déboucher aussi sur des états dépressifs.

À ce sombre tableau, il faut ajouter les inégalités qui affectent les jeunes différemment selon leur milieu social ou même leur genre.

À l’évidence, la précarité est un facteur de dégradation de la santé mentale, les difficultés financières constituant une préoccupation qui peut tourner à l’anxiété et, en parallèle, constituer un handicap pour l’accès aux soins. En Nouvelle-Aquitaine, par exemple, un jeune sur quatre n’a pas de médecin traitant.

Concernant les inégalités de genre, les études sur les troubles psychiques soulignent que, en raison de la prévalence des violences faites aux femmes, la dépression touche davantage les jeunes filles.

Tous ces facteurs aboutissent à un constat clinique dramatique : troubles du sommeil, phobie scolaire, anorexie, troubles obsessionnels compulsifs, dépression, schizophrénie, consommation abusive d’alcool, drogue, agressivité et actes suicidaires dans les cas les plus tragiques.

Mes chers collègues, les chiffres fournis par Santé publique France sont glaçants.

En 2021, près de 43 % des étudiants ont déclaré s’être retrouvés en situation de détresse psychologique, contre 29 % l’année précédant la pandémie de covid-19. Alors que la dépression touchait déjà 11,7 % des 18-24 ans en 2017, en 2021, ce sont 21 % des jeunes, soit le double, qui sont tristement concernés.

En septembre 2023, soit près de deux ans après les difficiles périodes de confinement, les passages aux urgences pour gestes et idées suicidaires, troubles de l’humeur et anxiété ont nettement augmenté chez les enfants de moins de 18 ans, avec un corollaire inquiétant, l’augmentation de la consommation médicamenteuse : près de 5 % d’enfants ingèrent des psychotropes.

Depuis 2014, la prescription d’antipsychotiques, d’hypnotiques, de sédatifs et d’antidépresseurs ne cesse d’augmenter.

Face à cette situation, quelles réponses apporter ?

Au regard de son ampleur, ce fléau nécessite une prise de conscience collective et une action publique volontaire et ambitieuse.

Tel est d’ailleurs le sens d’une déclaration en juin 2022 de la Défenseure des droits, qui invitait le Gouvernement à mettre en place un plan d’urgence pour la santé mentale des jeunes face à la gravité de la situation. Dans cet hémicycle, en réponse à la question d’actualité que j’évoquais au début de mon propos, le ministre de la santé et de la prévention d’alors rappelait que « la santé mentale, particulièrement celle des jeunes, doit être une priorité pour ce gouvernement ».

Aujourd’hui, je souhaite voir se concrétiser cette déclaration d’intention. Tel est le sens de ma proposition de résolution, soutenue par le groupe du RDSE.

Nous savons qu’une telle action publique suppose une remobilisation des moyens. En 2021, l’ensemble de la communauté pédopsychiatrique française indiquait d’ailleurs dans une tribune : « Les besoins pour assurer la santé mentale de la jeunesse de notre pays sont criants. » Il est vrai que le secteur de la psychiatrie apparaît souvent comme le parent pauvre de la médecine.

Les familles sont désemparées lorsqu’on leur annonce qu’il leur faudra attendre deux ans pour obtenir une place dans un centre médico-psycho-pédagogique (CMPP). Pourquoi ces délais ? Parce que nous comptons seulement 600 pédopsychiatres pour près de 10 millions d’enfants et 800 médecins scolaires, soit un médecin pour 15 000 élèves.

En outre, l’offre d’équipements ambulatoires et hospitaliers du secteur infantojuvénile est répartie de façon inégalitaire sur le territoire. Ces établissements sont dépassés par les demandes, d’autant plus que les familles n’y avancent pas les frais.

Au manque de professionnels de santé spécialisés et de places en milieu médical s’ajoute le problème de l’inadaptation des soins pour les jeunes patients, faute de moyens pour une approche globale. Ce défaut de prise en charge peut conduire à des situations de surmédication pour des milliers d’enfants, qui sont traités avec des produits normalement destinés aux adultes.

Sans vouloir diaboliser le recours aux médicaments, qui, dans nombre de cas, est nécessaire pour soutenir les jeunes patients, il apparaît indispensable qu’un effort soit entrepris pour renforcer le déploiement des pratiques psychothérapeutiques et de prévention, afin de constituer une offre robuste de soins de première ligne et d’éviter la médication.

Je ne dis pas bien sûr, madame la ministre, que rien n’a été réalisé, et les quelques dispositifs qui ont fait leurs preuves au cours de ces dernières années doivent être poursuivis et renforcés.

Je pense à MonParcoursPsy pour les moins de 18 ans, aux maisons des adolescents, aux points santé dans les missions locales, au Fil Santé Jeunes d’aide à distance, aux campagnes nationales de sensibilisation, telles que « En parler, c’est déjà se soigner », ou au dispositif de recontact VigilanS, qui vise à prévenir les tentatives de suicide.

Je pense également à l’expérimentation pionnière en Gironde d’un dispositif né en Australie, qui consiste à former des étudiants sentinelles. Je pense enfin aux formations de premiers secours en santé mentale mis en œuvre au sein de la faculté de Bordeaux. Cet outil est étendu depuis 2019 aux autres campus du territoire.

Parce que les troubles mentaux apparaissent très tôt dans la vie – la moitié des pathologies s’installe avant l’âge de 18 ans –, j’attire également votre attention, madame la ministre, sur le rôle de la médecine scolaire.

En raison des objectifs de dépistage obligatoire des élèves de 6 ans qui lui sont fixés, la médecine scolaire est un outil décisif de prévention et d’orientation des enfants vers un parcours de soins adapté. Mais, pour être efficace, le secteur doit avoir les moyens de remplir ses missions. Or on observe partout sur le territoire une pénurie de médecins, de psychologues et d’infirmiers scolaires. Cette situation est regrettable.

Je n’ignore rien des problèmes de démographie médicale, mais il est urgent de repenser les missions et de renforcer les moyens du service de santé scolaire pour le rendre plus performant et plus attractif pour les médecins et les infirmiers.

Revaloriser les salaires permettrait certainement de perdre moins de personnels de santé lorsqu’ils manifestent le souhait de se reconvertir en les orientant vers la médecine scolaire.

Mes chers collègues, promouvoir dans les discours la nécessité d’une France résiliente est vaine si, dans le même temps, on ne donne pas à chaque enfant le moyen de forger sa propre résilience et de faire respecter ses droits élémentaires.

Aussi, au travers de cette proposition de résolution, nous invitons le Gouvernement à ériger la santé mentale des jeunes en grande cause nationale, à donner de la visibilité à ce fléau et à briser ce tabou.

Nos jeunes en difficulté ont besoin d’une prise en charge précoce et de qualité, de meilleures capacités d’accueil en soins de psychiatrie et d’accès aux psychologues, d’une médecine scolaire à la hauteur des besoins et d’une prise en charge psychothérapeutique autant que cela leur est nécessaire.

Nous faisons face à un défi immense, mais nous avons surtout une lourde responsabilité : celle d’être au rendez-vous pour notre jeunesse, afin qu’elle puisse se construire et bâtir une société plus sereine. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, INDEP, UC et Les Républicains.)

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, invitant le Gouvernement à ériger la santé mentale des jeunes en grande cause nationale
Discussion générale (suite)

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Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire

Mme la présidente. Mes chers collègues, j’ai le plaisir de saluer, dans notre tribune d’honneur, une délégation conduite par Mme Annita Demetriou, présidente de la Chambre des représentants de Chypre. Elle est accompagnée par notre collègue Pascale Gruny, en remplacement de Samantha Cazebonne, présidente du groupe interparlementaire d’amitié France-Chypre. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que Mme la ministre, se lèvent.)

La délégation a été entendue ce matin par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, puis elle a été reçue en audience par le président du Sénat, Gérard Larcher.

La France entretient d’excellentes relations bilatérales avec Chypre, fruit de notre histoire, mais aussi au sein de l’Union européenne, que ce pays a rejointe en 2004.

Nous nous réjouissons de la perspective du renforcement de nos coopérations en matière de défense et en Méditerranée orientale.

Mes chers collègues, en votre nom à tous, permettez-moi de souhaiter à Mme Annita Demetriou et à la délégation chypriote la plus cordiale bienvenue au Sénat, ainsi qu’un excellent et fructueux séjour ! (Applaudissements.)

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Discussion générale (interruption de la discussion)
Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, invitant le Gouvernement à ériger la santé mentale des jeunes en grande cause nationale
Discussion générale (suite)

Ériger la santé mentale des jeunes en grande cause nationale

Suite de la discussion et adoption d’une proposition de résolution

Discussion générale (suite)
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Discussion générale (fin)

Mme la présidente. Nous reprenons la discussion de la proposition de résolution invitant le Gouvernement à ériger la santé mentale des jeunes en grande cause nationale.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Laure Darcos. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

Mme Laure Darcos. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le suicide est l’une des premières causes de mortalité chez les 15-24 ans. Entre 2020 et 2021, une explosion des syndromes dépressifs a été observée chez les jeunes, ainsi qu’une augmentation du nombre des tentatives de suicide, notamment chez les moins de 15 ans.

Nous ne pouvons pas accepter que des personnes à l’aube de leur vie en arrivent à perdre, à ce point, toute confiance en l’avenir.

Bien sûr, la crise sanitaire a eu un effet désastreux sur l’équilibre psychologique des jeunes et ses conséquences sont encore bien réelles aujourd’hui, les addictions liées au manque de perspectives, au stress ou au désespoir se multipliant.

Cependant, il serait imprudent de justifier les difficultés de la jeunesse par la seule persistance des effets des confinements successifs et de la désocialisation qui en a résulté. Les causes de la dégradation de leur état de santé psychique sont multiples et complexes et s’enchevêtrent parfois.

Le passage à l’adolescence peut être une période particulièrement difficile et cette longue transition vers l’âge adulte peut sembler insurmontable pour certains jeunes.

Les violences intrafamiliales, qui ont explosé durant la crise sanitaire, ont aussi eu un rôle prépondérant dans l’évolution de la santé psychique des jeunes. Que l’enfant en soit victime directement ou indirectement, elles représentent un traumatisme qui aura de très lourdes répercussions sur sa vie et sur son équilibre.

C’est un sujet qui me tient à cœur et sur lequel j’ai eu l’occasion de travailler dans le cadre de la réalisation d’un rapport d’information par la délégation sénatoriale aux droits des femmes.

J’évoquerai par ailleurs la précarité des étudiants, dont nous avons débattu, il y a quelques semaines encore, lors de l’examen de la proposition de loi visant à lutter contre la précarité de la jeunesse par l’instauration d’une allocation autonomie universelle d’études.

Le nombre croissant et alarmant d’étudiants ayant recours à l’aide alimentaire ne peut nous laisser indifférents. La précarité, qui mène souvent à l’isolement, est un facteur indéniable de troubles psychologiques.

Je rappellerai également les effets des réseaux sociaux, dont la nocivité n’est plus à démontrer depuis l’avènement des smartphones, qui permettent aux jeunes d’être connectés en permanence, bien souvent avec des amis virtuels.

Toutes les études sur le sujet en attestent : plus un jeune passe de temps sur certaines applications, plus les conséquences délétères sur sa santé mentale sont importantes.

Il faut enfin citer le harcèlement scolaire, lourdement aggravé par les réseaux sociaux, dont 800 000 à 1 million d’enfants sont victimes chaque année. Notre groupe est d’ailleurs très investi sur ce sujet, sur lequel notre ancienne collègue Colette Mélot avait publié un excellent rapport d’information en 2021.

J’espère que la ministre de l’éducation nationale nouvellement nommée saura poursuivre ce combat prioritaire, afin que nous n’ayons plus à déplorer de suicides liés au harcèlement scolaire, de tels drames étant épouvantables.

L’école a un rôle majeur à jouer dans la détection des altérations de la santé mentale chez les jeunes. Plus les troubles sont détectés tôt, plus les chances de guérison augmentent.

Cependant, la médecine scolaire est en très grande difficulté. Le nombre de médecins scolaires a baissé de 20 % en dix ans, et seuls 20 % des élèves ont eu accès à la visite médicale obligatoire de la sixième année, selon un récent rapport d’information de l’Assemblée nationale.

La détection des troubles de santé mentale n’est pas à la hauteur des enjeux, et le risque est qu’un certain nombre d’enfants et d’adolescents ayant échappé aux actions de prévention ne se retrouvent dans un parcours de soins psychiatriques quelques années plus tard.

Le Gouvernement nous explique que les moyens ne manquent pas : les postes existent, mais ils ne sont pas pourvus, le taux de couverture étant d’à peine 50 %.

Ce problème d’attractivité dissimule une question de revalorisation de la fonction, même s’il faut admettre que le manque de médecins concerne effectivement la majeure partie du territoire, et non pas seulement le secteur de la santé scolaire.

Nous devons malheureusement dresser le même constat s’agissant de la psychiatrie des enfants et des adolescents, la situation de ce secteur étant particulièrement alarmante.

Chaque année, le Défenseur des droits dénonce dans son rapport l’insuffisance du nombre de places. De ce fait, des enfants, quand ils parviennent à être pris en charge, se retrouvent parfois hospitalisés avec des adultes, dans les mêmes conditions qu’eux.

L’Essonne n’est pas épargnée par la désertification médicale. Le manque de personnels dans le secteur psychiatrique est criant, comme me l’a confirmé le chef du pôle psychiatrie de groupe hospitalier Nord-Essonne.

Allouer des moyens supplémentaires à la prise en charge au long cours des jeunes est indispensable. Cela passe par le recrutement de médecins, y compris étrangers, d’infirmiers formés en psychiatrie et de psychologues. Cela suppose également de favoriser l’internat dans la discipline et de rendre le métier plus attractif. En un mot, il s’agit de redonner du sens à ces métiers.

La prise en charge en psychiatrie infante juvénile est également l’une des missions de l’établissement public de santé Barthélemy Durand dans l’Essonne. Celui-ci offre un ensemble de structures de soins réparties territorialement permettant d’articuler actions de prévention et actes de soins au plus près de l’environnement familial et social des personnes.

Pour conclure, je rappelle que nos jeunes méritent que l’on traite les causes de leurs difficultés, autant que leurs symptômes.

La santé mentale reste le parent pauvre de notre politique de santé, et les nombreux rapports sénatoriaux sur le sujet, notamment celui de notre collègue Alain Milon, n’ont guère été suivis d’effets. Nous le déplorons, mais nous espérons que cette proposition de résolution sera prise en considération et donnera lieu, enfin, à des mesures concrètes.

Nous remercions notre collègue Nathalie Delattre d’avoir pris l’initiative de déposer cette proposition de résolution, que le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera bien évidemment. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et RDSE. – M. Marc Laménie applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Nadia Sollogoub. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et INDEP.)

Mme Nadia Sollogoub. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je veux, au nom du groupe Union Centriste et de mon collègue Olivier Henno, que je remplace aujourd’hui, saisir l’occasion de cette proposition de résolution pour formuler quelques observations et remarques sur l’accès aux soins dans notre pays et, plus largement, sur la prise en charge en psychiatrie.

Préalablement, je tiens, comme Olivier Henno, à saluer l’initiative de Nathalie Delattre d’ériger la santé mentale des jeunes en grande cause nationale. C’est un fait avéré et indiscutable que les jeunes Français sont de plus en plus anxieux.

Les causes sont multiples. Il est impossible de ne pas évoquer la crise du covid-19 et le confinement. Des jeunes isolés, enfermés et privés de relations sociales peuvent légitimement revendiquer une souffrance psychologique et une santé mentale déficiente. Dans une société en crise, certains jeunes sont aussi les victimes collatérales de situations de rupture sociale ou familiale.

Toutefois, il ne s’agit pas là des seules causes de l’anxiété dont souffre une partie de la jeunesse française. Les guerres en Ukraine et en Israël participent également de ce malaise, sans compter l’éco-anxiété et les lourdes interrogations que suscitent le réchauffement climatique et ses conséquences sur le devenir de la planète et de la biodiversité, donc forcément de l’humanité et de notre civilisation.

Nous n’ignorons pas non plus les effets des réseaux sociaux sur les jeunes générations. Ces derniers, qui sont au cœur de leur fonctionnement social, peuvent être les vecteurs de stigmatisations et des situations de harcèlement dramatiques que l’on connaît.

La santé mentale des jeunes est effectivement un enjeu de santé publique majeur. La détection et l’accompagnement doivent former un écosystème efficient et justement dimensionné autour de nos jeunes. C’est tout l’enjeu de la prévention.

Alors que notre système de soins peine à répondre à l’ampleur des souffrances psychiques et psychologiques, permettez-moi de souligner que c’est vrai sur tout le territoire national, mais plus encore dans les zones rurales.

J’en profite pour, une fois de plus, enfoncer le clou : notre pays manque partout de médecins et de soignants, donc de psychiatres.

Remettre en cause le numerus clausus semble être une évidence, mais je rappelle que le numerus apertus est loin d’être la panacée. La réalité est terrible. Le nombre de médecins formés en France reste largement insuffisant. Le temps médical fourni en moyenne par chaque praticien diminue. La progression de 15 % du nombre des médecins formés est insuffisante pour répondre aux aspirations nouvelles, légitimes et très ancrées des jeunes médecins, comme un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle.

Il est nécessaire de donner du sens aux métiers de la santé et de les rendre attractifs, en psychiatrie comme dans toutes les autres spécialités. Attirer le personnel médical soignant vers la psychiatrie et le fidéliser sont des préalables indispensables pour ériger la santé mentale des jeunes en grande cause nationale. Sans augmentation du nombre de soignants, tout objectif d’amélioration de la santé publique est un leurre ou, pis, de la démagogie.

Sur le fond, nous souscrivons à l’objectif de mieux détecter les symptômes de dépression, d’anxiété chronique, de bipolarité, de phobies ou encore, parfois dramatiquement, de pensées suicidaires.

Le constat est en effet alarmant : 40 % des 18-24 ans souffrent de troubles d’anxiété généralisée, un jeune sur cinq connaît des symptômes dépressifs et près de 25 000 jeunes ont tenté de mettre fin à leurs jours. Ce chiffre insupportable nous interpelle. Et je ne parle pas des addictions diverses…

Pour ces raisons, le groupe Union Centriste approuve l’objectif d’ériger la santé mentale des jeunes en grande cause nationale. Nous sommes toutefois perplexes sur notre capacité à mettre en pratique et en œuvre cet objectif, faute de moyens suffisants ; Mme Delattre en a longuement parlé.

Pour conclure, j’insiste sur l’objectif primordial que constitue la détection précoce des troubles mentaux.

Permettez-moi également d’évoquer la proposition de loi de notre collègue Jocelyne Guidez, qui nous sera soumise très prochainement, laquelle vise à prévoir des moyens supplémentaires pour le dépistage précoce des troubles du déficit de l’attention et de tous les troubles du neurodéveloppement. La prévention reste le meilleur des outils ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Anne Souyris. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme Anne Souyris. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, au 1er janvier 2023, notre pays comptait plus de 14 millions d’enfants et d’adolescents, qui représentent 21 % de la population.

Les troubles psychiques toucheraient 13 % des enfants et adolescents, soit plus de 1,6 million de personnes.

Selon l’étude Global Burden of Disease, les troubles mentaux étaient en 2019 la première cause de perte d’années de vie en bonne santé pour les 5-24 ans dans les pays de l’OCDE.

La crise du covid-19 a entraîné une dégradation de la santé mentale des jeunes. L’enquête EpiCov a montré que la part des grands adolescents, âgés de plus de 16 ans, et des jeunes adultes présentant un syndrome dépressif a doublé entre 2019 et mai 2020. À Paris, le nombre de tentatives de suicide a augmenté de 40 % après 2020.

Pour toutes ces raisons, la santé mentale des jeunes doit être une priorité de l’action publique.

J’insisterai sur deux points en particulier.

Tout d’abord, il est nécessaire de renforcer le repérage des troubles pour accompagner les jeunes le plus tôt possible. Les médecins généralistes doivent davantage être formés en ce sens. Les services de santé scolaire et les psychologues de l’éducation nationale doivent être renforcés de manière significative.

Ensuite, le secteur de la pédopsychiatrie doit être soutenu. La Cour des comptes, dans son rapport de mars 2023, rappelait l’intérêt de ces soins, non seulement, pour leur dimension thérapeutique immédiate, mais également pour leur bénéfice préventif en santé à long terme.

En effet, 48 % des pathologies psychiatriques des adultes commenceraient avant l’âge de 18 ans. Les maladies psychiques représentent un coût économique de 81,3 milliards d’euros pour la France, soit 3,7 % du PIB. Pourtant, la Cour estime les dépenses consacrées à la prise en charge psychiatrique en établissement à seulement 10,4 milliards d’euros, dont 1,8 milliard d’euros pour le secteur infante juvénile.

Malheureusement, nous manquons de personnels. Selon l’Ordre des médecins, il y aurait 2 039 pédopsychiatres en France en 2022, soit 34 % de moins qu’en 2010. Cela représente un praticien pour 294 à 392 besoins de prise en charge.

La situation ne va pas aller en s’améliorant : 47 % des médecins habilités à exercer en pédopsychiatrie sont âgés de plus de 60 ans. À continuer ainsi, on comptera moins de 1 000 praticiens d’ici à 2035.

Des réformes doivent être entreprises pour accroître les effectifs et rendre l’offre des soins accessible. La Cour des comptes en a brossé les grandes lignes ; nous attendons qu’elles soient mises en œuvre.

La santé mentale des jeunes nécessite un effort collectif de notre société. Nous partageons les observations et les conclusions des auteurs de ce texte. Aussi, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera cette proposition de résolution, qu’il remercie le groupe du RDSE d’avoir déposée et inscrite à l’ordre du jour de nos travaux.

Cependant, nous ne sommes pas dupes. Les grandes causes nationales n’ont malheureusement pas eu d’effets apparents lors du quinquennat précédent et ne semblent pas en avoir davantage au cours de celui qui est en cours. J’en veux pour preuve que l’égalité entre les femmes et les hommes, grande cause nationale lors du premier quinquennat, n’est manifestement plus une priorité de l’action gouvernementale depuis le dernier remaniement…

Si la santé mentale des jeunes mérite d’être érigée en grande cause nationale, elle nécessite surtout, comme le soulignent les auteurs de la proposition de résolution, un effort global pour rétablir les droits et un investissement massif pour former et recruter des psychiatres et des psychologues, pour les rendre accessibles. Enfin, elle suppose une réforme de la santé scolaire pour qu’elle redevienne attractive et présente pour les enfants.

À cet égard, le Gouvernement va-t-il réellement agir ? Je vous laisse, madame la ministre, le bénéfice du doute, et j’espère que vous allez me répondre sur ce point.

Par ailleurs, comme cela est souligné dans l’exposé des motifs de cette proposition de résolution, la précarité, en particulier celle des étudiants, est un facteur de dégradation de la santé mentale. D’une part, elle est une cause d’anxiété ; de l’autre, elle freine l’accès aux soins. Il va falloir agir pour résoudre ce problème.

En conclusion, comme la Cour des comptes l’a indiqué, il y a un manque de pilotage et de coordination des politiques de santé mentale dans notre pays. Nos collègues Alain Milon et Michel Amiel l’avaient déjà souligné en 2017.

À cet égard, le Gouvernement serait bien inspiré de se doter d’un ou d’une secrétaire d’État à la santé mentale, en complément du délégué ministériel, qui devrait être interministériel. Qui d’autre peut piloter une grande cause nationale ?

Mme la présidente. La parole est à Mme Céline Brulin.

Mme Céline Brulin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de résolution de Nathalie Delattre et du RDSE permet d’ouvrir le débat sur un sujet fondamental et préoccupant : la santé mentale des jeunes.

Des études récentes confirment, s’il en était besoin, une augmentation significative des troubles de santé mentale, particulièrement chez les jeunes, avec une prévalence croissante de symptômes comme l’insomnie, le stress post-traumatique, la dépression ou l’anxiété. C’est une tendance que l’on observe depuis environ cinq ans, mais qui a été accentuée par la pandémie de covid-19, les confinements et les « distanciations sociales », comme nous les appelions, décidés alors.

Au mois de novembre 2021, l’hôpital Robert-Debré lançait un cri d’alarme : les admissions aux urgences pour tentatives de suicide chez les moins de 15 ans avaient augmenté de 300 % en deux ans.

La santé mentale doit donc être une priorité absolue, qui se traduit non seulement en paroles et résolutions, mais également par des actions concrètes, des politiques publiques efficaces et des moyens adéquats pour les services de santé.

Or, malgré les discours gouvernementaux sur la nécessaire prévention, les moyens alloués aux centres médico-sociaux manquent, l’accès aux centres médico-psycho-pédagogiques est difficile, le remboursement des séances chez les psychologues insuffisant, la médecine scolaire indigente, les équipes médico-sociales dans les établissements démunies, et les psys de l’éducation nationale réduits à la portion congrue.

Ainsi que cela a été rappelé, en dix ans, le nombre de médecins scolaires a chuté de 20 %. En 2023, il n’y avait que 900 médecins scolaires pour 60 000 établissements et plus de 12 millions d’élèves ! Et près de huit enfants sur dix n’ont jamais vu un médecin scolaire.

En Seine-Maritime, département dont je suis l’élue, quatre postes d’enseignants dans les CMPP de Rouen, du Havre et à Dieppe ont été supprimés l’an passé.

Tout cela a des conséquences directes sur la prise en charge de la santé mentale des jeunes et peut avoir des répercussions sur l’ensemble de la société, puisque l’état de santé psychique des enfants et des adolescents est l’un des principaux déterminants de leur santé future.

Le dispositif MonParcoursPsy était censé apporter une réponse. Mais moins de 10 % des psychologues s’y sont engagés, faute, notamment, de concertation avec l’ensemble de la profession. Nombre de praticiens nous disent que les 50 millions d’euros investis seraient plus utiles pour créer des postes de psychologues pérennes dans le service public ou pour ouvrir des structures d’accompagnement.

Au regard de la santé mentale des jeunes, et pas seulement d’ailleurs, il est indispensable de « réarmer » – c’est visiblement un terme très à la mode (Mme la ministre sourit.) – les secteurs psychiatriques et pédopsychiatriques, notamment en formant des praticiens et en rouvrant des structures et des lits d’hospitalisation.

Il est également crucial d’aborder le contexte contribuant à la progression de tels troubles mentaux et comportementaux chez les jeunes.

Le caractère inégalitaire de notre système scolaire et la compétition engendrée par Parcoursup, qui va sans doute s’accroître dès le plus jeune âge avec les classes de niveaux annoncées, sont de nature à créer un stress inutile.

La précarité – cela a été évoqué – est aussi en cause. Voilà quelques jours, Santé publique France publiait une étude montrant que les enfants vivant sous le seuil de pauvreté sont trois fois plus souvent hospitalisés pour des problèmes psychiatriques.

Les étudiants sont confrontés à la précarité, jonglant entre travail et études pour subvenir à leurs besoins, confrontés à la crise du logement, surtout pour ceux qui doivent suivre des études loin de chez eux, et parfois contraints de solliciter l’aide alimentaire. Il est regrettable que vous ayez refusé d’adopter la proposition de loi visant à créer une allocation autonomie en leur faveur, mes chers collègues.

L’anxiété s’accroît également en raison des préoccupations croissantes, telles que le dérèglement climatique ou les guerres à nos portes.

Je pourrais également évoquer les inquiétudes relatives à l’emploi et à l’avenir, au sens du travail et à ses conditions d’exercice, qui brisent souvent les aspirations de la jeunesse à une vie épanouissante, ou encore les discriminations sociales, de milieu ou de genre.

Tout cela nécessite prévention et accompagnement, mais également un environnement et une qualité de vie sains dans les différents espaces sociaux que sont l’école, le travail, la famille et, plus largement, toute la société. Il importe de donner espoir et confiance dans l’avenir et dans la société.

Nous sommes profondément convaincus que la santé mentale doit mobiliser l’ensemble de notre société. Nous voterons donc en faveur de la présente proposition de résolution, qui vise à en faire une grande cause nationale, et nous souhaitons, madame la ministre, que cela soit suivi d’un véritable plan d’action accompagné de moyens concrets visant à améliorer la santé mentale des jeunes. (Mme Nathalie Delattre applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. Ahmed Laouedj. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Ahmed Laouedj. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, chère Nathalie Delattre, la santé mentale des jeunes est une préoccupation croissante dans la société contemporaine.

Les jeunes sont confrontés à de nombreux défis et pressions constants, qui peuvent avoir un impact dévastateur sur leur bien-être psychologique.

Un autre phénomène se développe particulièrement à l’adolescence, période propice à l’expérimentation de comportements à risques : la consommation de substances psychoactives. Aucun adolescent n’est à l’abri et tous les milieux socioéconomiques peuvent être touchés.

Les jeunes qui se tournent vers les drogues et les stupéfiants le font souvent pour échapper à leurs problèmes et fuir leur réalité. Mais, au lieu de les aider, de telles substances peuvent avoir des conséquences très graves sur leur santé mentale. Elles créent une addiction extrêmement difficile à surmonter.

L’utilisation de drogues peut entraîner des troubles anxieux, des problèmes de comportement, comme l’agressivité. Elle peut également altérer la capacité de concentration, la mémoire et les fonctions cognitives, conduisant à des difficultés scolaires et académiques, ainsi qu’à des problèmes d’apprentissage pouvant aboutir à une déscolarisation.

La consommation de stupéfiants chez les jeunes utilisateurs peut avoir des répercussions profondes sur le fonctionnement du cerveau et causer de graves problèmes de santé mentale, notamment la survenue de pathologies, comme la schizophrénie ou la dépression.

Récemment, c’est l’usage détourné du protoxyde d’azote, dit gaz hilarant, qui a fait la une de l’actualité. La recrudescence de cet usage chez les jeunes avec des consommations répétées, voire quotidiennes, peut entraîner d’importantes séquelles. Plusieurs cas graves ont d’ailleurs été rapportés au cours des deux dernières années.

Nous devons donc nous attaquer aux racines du problème en identifiant le mal-être des jeunes qui les pousse à consommer ces stupéfiants pour fuir la réalité et en leur permettant d’être accompagnés par des professionnels de santé compétents.

J’ai été alerté par le Syndicat national des psychologues : à ses yeux, le dispositif Mon soutien psy, mis en place par le Gouvernement au mois d’avril 2022, est un échec.

Mme Nathalie Delattre. Non ! Ce n’est pas vrai !

M. Ahmed Laouedj. Neuf psychologues sur dix considèrent que ce dispositif ne répond pas aux besoins grandissants du public, et notamment du jeune public. Il n’y a ni accès direct aux psychologues ni respect du rythme de chacun, et le choix de professionnels est très restreint.

Il convient également de mettre en place un véritable dispositif de consultation auprès des psychologues, sans passage préalable par un médecin et sans restriction des motifs de consultation.

Les psychologues nous alertent sur l’urgence de faire de la santé mentale des Français, et notamment des jeunes, une cause nationale. Le public concerné mérite une véritable politique publique d’envergure, coconstruite en concertation avec les professionnels de terrain.

Madame la ministre, les conditions de travail dans les structures de soin sont tellement difficiles qu’il est extrêmement compliqué de recruter dans certains secteurs. Quelles sont les mesures concrètes envisagées par le Gouvernement pour renforcer les services publics dans le domaine de la santé mentale ? Une revalorisation salariale des métiers de soin dans ces structures, et notamment des psychologues, profession peu revalorisée depuis une trentaine d’années, est-elle prévue ?

Le RDSE votera évidemment à l’unanimité la proposition de résolution invitant à ériger la santé mentale des jeunes en grande cause nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Bernard Buis applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Théophile. (M. Bernard Buis applaudit.)

M. Dominique Théophile. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de résolution de Nathalie Delattre invite donc le Gouvernement à ériger la santé mentale des jeunes en grande cause nationale.

Elle s’inscrit dans un contexte particulier, marqué à la fois par la crise de la covid-19, qui a provoqué – on le sait – une dégradation importante de la santé mentale des Français, et par la multiplication des travaux sur la question.

Après la lutte contre les violences faites aux femmes en 2018 et la promotion de l’activité physique et sportive cette année, il est donc proposé au Gouvernement d’accroître ses efforts en faveur de la santé mentale des plus jeunes par le biais d’un label dont on connaît la portée médiatique : la grande cause nationale.

Le constat que vous dressez, chère Nathalie Delattre, est en effet sans appel. Les jeunes souffrent. Et ils souffrent la plupart du temps en silence. La crise sanitaire de la covid-19, conjuguée à d’autres phénomènes, dont l’éco-anxiété, fait qu’ils n’ont jamais été aussi nombreux.

Les chiffres sont éloquents : un jeune sur cinq souffrirait de troubles dépressifs. Près de 43 % d’entre eux ont ainsi déclaré en 2021 s’être retrouvés en situation de détresse psychologique. C’est quatorze points de plus que l’année précédant la pandémie de la covid-19 et la tendance ne semble pas vouloir s’inverser.

Une étude de Santé publique France a par ailleurs révélé au mois de juin dernier que les enfants n’étaient pas épargnés, puisque 13 % des 6-11 ans présenteraient « au moins un trouble probable de santé mentale ».

Dans ce contexte, le manque de personnel médical, notamment de pédopsychiatres et de médecins scolaires, et de places en milieu médical a des conséquences directes sur la détection et la prise en charge des plus jeunes, avec les effets et les drames que l’on connaît parfois.

Face à ce constat alarmant, vous proposez plusieurs pistes pour mieux accompagner ces jeunes : augmentation du nombre de psychologues et de psychiatres disponibles sur l’ensemble du territoire ; réforme des missions et renforcement des moyens du service de santé scolaire, qui souffre – nous le savons – d’un terrible manque d’attractivité ; soutien aux centres médico-psycho-pédagogiques et médico-psychologiques, etc.

Vous suggérez également de mettre en place des campagnes de sensibilisation sur les dispositifs de prévention existants et les offres sanitaires. Car beaucoup a été fait ces dernières années, à mesure que nous prenions, collectivement, conscience de l’ampleur du phénomène et de la tâche à accomplir.

Au mois de juin 2018, en cohérence avec les objectifs de la stratégie nationale de santé, le Gouvernement a ainsi adopté sa feuille de route de la santé mentale et de la psychiatrie. Organisée autour des trois piliers que sont la prévention, le parcours de soins et l’insertion sociale, celle-ci fixait le cap d’une transformation structurelle et systémique du champ de la santé mentale et de la psychiatrie.

Le Ségur de la santé et les Assises de la santé mentale et de la psychiatrie sont venus compléter cette feuille de route en 2020 et 2021, la crise de la covid-19 faisant office – il faut le reconnaître – de révélateur.

Parmi ces mesures figurent l’organisation d’une communication grand public, l’amplification du déploiement du secourisme en santé mentale ou la création des maisons de l’enfant et de la famille.

Citons également la création du dispositif MonParcoursPsy, qui permet à tous de bénéficier du remboursement de huit séances d’accompagnement psychologique par an, le renforcement du réseau des maisons des adolescents, l’augmentation des effectifs des centres médico-psychologiques et du nombre de psychologues dans les maisons et les centres de santé.

Ces mesures restent pourtant insuffisantes au regard de l’ampleur de la situation et méritent d’être approfondies. C’est là tout l’objet de votre proposition de résolution.

En matière de santé mentale, la question des inégalités sociales et de l’accès aux soins est omniprésente. Les territoires d’outre-mer ne font pas exception à la règle. C’est par eux que je terminerai.

Au mois de novembre dernier, l’Unicef a produit un rapport, remarqué, consacré aux droits de l’enfant dans ces territoires.

Les auteurs y constatent « une situation globalement plus défavorable en matière de respect des droits de l’enfant » et soulignent que le défi de la prise en charge de la santé mentale y est particulièrement difficile à relever alors que l’accès aux soins primaires n’est pas toujours assuré.

Je pense notamment à la Guyane et à Mayotte, mais le phénomène est évidemment vérifiable dans l’ensemble des territoires ultramarins, qui souffrent, plus que les autres, d’un déficit d’accès aux soins.

Je rappellerai pour finir tout l’intérêt que le groupe RDPI porte depuis des années à la question de la santé mentale, en particulier celle des plus jeunes. Il votera évidemment en faveur de cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marion Canalès.

Mme Marion Canalès. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, un Français sur cinq – cela représente près de 12 millions de personnes – est touché par des problèmes de santé mentale. Le coût économique et humain direct et indirect des problèmes de santé mentale est évalué à 110 milliards d’euros dans notre pays.

Quatre ans après le début de la crise sanitaire, la santé mentale des enfants, adolescents et jeunes adultes, c’est-à-dire les publics concernés par la présente proposition de résolution, reste dégradée. C’est ce que confirment divers travaux présentés aux Congrès français de psychiatrie. Pourtant, en 2021, la Défenseure des droits appelait à prendre la mesure de cet enjeu. En 2022, l’Unicef a placé la santé mentale des enfants comme l’un des défis majeurs du IIIe millénaire. En 2018 et 2021, cet enjeu majeur de santé publique figurait au cœur de deux feuilles de route du Président de la République sans que ces appels reçoivent de réponses à la hauteur de l’urgence.

Entre 2018 et 2021, les passages aux urgences pour des épisodes dépressifs ou des idées suicidaires ont augmenté de 23 % chez les 18-24 ans et de 58 % chez les 11-17 ans. Certes, beaucoup des chiffres ont été avancés depuis le début de cette discussion, mais ils sont très éclairants… Les consultations chez les 18-24 ans ont augmenté de 60 %.

Plusieurs éléments – cela a été souligné – expliquent cette hausse massive : d’abord, la libération et la déstigmatisation de la parole s’agissant des problèmes de santé mentale ; ensuite, le covid-19, qui a durement frappé et déstabilisé les jeunes alors en pleine période de construction personnelle ; enfin, la situation internationale, économique et sociale complexe. Les jeunes sont aujourd’hui dans un étau, tiraillés entre les angoisses de fin du monde et de fin du mois.

À l’occasion du Congrès français de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent de 2023, les professionnels ont constaté que 13 % des enfants et adolescents – cela représente 1,6 million de mineurs, selon un rapport de la Cour des comptes – présentent un trouble psychique, mais que seulement 750 000 à 850 000 d’entre eux bénéficient des soins nécessaires.

Cela m’amène à un constat, qui est partagé : l’offre de soins est insuffisante aujourd’hui ! Partout en France, les sonnettes sont tirées par les services de pédopsychiatrie, débordés. Partout, les institutions sont sous l’eau, confrontées à un manque de moyens financiers, humains, bâtimentaires.

À l’hôpital, 30 % des postes de psychiatres à l’hôpital public sont vacants, tandis que le temps d’attente pour un rendez-vous en centre médico-psychologique (CMP) est, en moyenne, de dix-huit mois.

Les délais de prise en charge s’allongent pour une première consultation, ce qui aggrave les pathologies de manière considérable.

J’en viens à la prévention et à l’accompagnement des enfants. En l’occurrence, l’offre de soins est également à mille lieues des besoins. Rendez-vous compte : alors que l’on assiste à un vrai virage générationnel dans la prise en charge d’enfants de plus en plus jeunes, puisque – l’une de mes collègues l’a rappelé – 5 % des enfants consomment des médicaments, on ne compte que 600 pédopsychiatres pour 10 millions d’enfants de 15 ans, avec une moyenne d’âge de 60 ans ; une dizaine de départements ne comptent plus aucun pédopsychiatre libéral à ce jour. Le nombre de pédopsychiatres a été divisé par deux entre 2007 et 2016.

L’Association nationale des maisons des adolescents alerte sur la situation d’embolie de toutes ces maisons, partout en France.

En moyenne, une faculté de médecine sur cinq n’a pas de professeur d’université en pédopsychiatrie.

La dégradation de la santé mentale des enfants et des adolescents appelle une réponse rapide et forte, mais les moyens ne sont pas plus au rendez-vous à l’hôpital, à l’école ou dans les universités.

Si l’école a pris une part prépondérante dans les déclarations du Président de la République du 16 janvier dernier, on compte un médecin pour 15 000 élèves ! Le temps d’un véritable tournant structurel dans l’organisation de la santé à l’école est-il arrivé ? La réponse doit être : oui !

Pourquoi ne pas former la communauté éducative aux premiers gestes de secours en santé mentale ?

Un cours spécifique d’éducation à la santé mentale dans les premier et second degrés existe dans certains pays, comme l’Australie, et les écoles accompagnent le développement psychique, ainsi que la gestion des émotions des enfants.

Pourquoi ne pas acter la création de postes de psychologues dans l’éducation nationale ? Laisser évoluer un état mental dégradé pendant plusieurs mois nécessitera forcément une hospitalisation à temps plein et plus longue, alors même qu’il faut également accroître – nous le savons – l’offre de soins ambulatoires.

À l’université également, il faut renforcer la prévention et l’accès aux soins. Au début du mois de février auront lieu les élections des représentants étudiants dans les centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires (Crous). Une quarantaine de présidents d’université, médecins, représentants de syndicats et d’associations étudiantes alertaient déjà en 2022, dans une tribune du journal Le Monde, sur l’ampleur de la détresse psychologique des étudiants depuis la pandémie, réclamant une « stratégie nationale ». Il faut poursuivre ce qui a été engagé et développer les bureaux d’aide psychologique universitaires.

La santé mentale des jeunes est également une question de territoires.

Face à la complexité d’accès aux dispositifs et structures sanitaires et médico-sociaux, face à la longueur des délais pour l’accès aux soins, en ville, à l’hôpital, en service d’éducation spéciale et de soins à domicile (Sessad), en CMP, les collectivités partenaires sont de plus en plus sollicitées. S’il faut penser le sujet dans sa globalité, c’est bien à l’échelon local qu’il faut agir.

Dans les départements, le report se fait sur les services de protection maternelle et infantile.

Dans les villes, les contrats locaux de santé mentale se multiplient depuis leur création, associant les élus locaux, la psychiatrie publique, les usagers et les aidants. Il en existe 260 en France, couvrant environ 20 millions de Français, mais principalement sur les territoires urbains ; seuls 5 % d’entre eux concernent des territoires ruraux. Leurs financements sont disparates. Il ne peut pas y avoir de différences d’accès aux soins selon le territoire. C’était également le sens de l’appel d’élus locaux lors de la 7e journée nationale des conseils locaux de santé mentale.

Je veux également rappeler le lien fort, qui a déjà été souligné, entre santé mentale des jeunes et addictions. La corrélation entre les deux est fréquente. Il s’agit non pas de rencontres accidentelles, mais bien de comorbidités. Je pense aux addictions aux jeux vidéo, reconnues par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) comme une maladie à part entière depuis 2018, ce qui nous renvoie à la question des addictions aux écrans, mais aussi aux paris sportifs, aux jeux d’argent. Je rappelle à ce titre l’amendement adopté dans cet hémicycle sur l’initiative de notre groupe pour renforcer la lutte contre ce fléau. Aujourd’hui, 35 % des joueurs ont entre 15 ans et 17 ans. Je ne peux que nous inciter à poursuivre notre action contre les addictions lors de l’examen du prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Dans un monde qui va vite, avec une course effrénée à la performance, nos jeunes doivent – je le disais – gérer les angoisses de fin du monde et de fin du mois.

Angoisses de fin du monde d’abord, avec l’éco-anxiété. Ainsi, 75 % des jeunes jugent l’avenir effrayant, et 45 % des jeunes sont touchés par cette éco-anxiété, détresse d’un nouveau genre, qui n’est pas pour rien dans la baisse de la natalité que nous avons constatée. Car dans un monde aux ressources finies, voire un monde parfois perçu comme fini, la jeune génération ne se projette plus avec des enfants, et l’injonction à la natalité ne fonctionnera pas.

Angoisses de fin du mois ensuite, avec la précarité. La question des inégalités affecte les jeunes différemment selon leur niveau social. À l’heure de l’appel des milliardaires de Davos à être plus taxés, cela ne doit pas seulement nous faire réfléchir ; cela doit nous faire agir.

Les auteurs de la présente proposition de résolution soulignent que la précarité est un facteur de dégradation de la santé mentale. Parce que les jeunes d’aujourd’hui construisent la société de demain, ils doivent disposer de ressources pour pouvoir aborder l’avenir avec sérénité.

Notre groupe partage évidemment très largement un tel constat. C’est pour cela que nous avions souscrit à la proposition de loi de nos collègues écologistes visant à lutter contre la précarité de la jeunesse par l’instauration d’une allocation autonomie universelle d’études, texte qui n’avait malheureusement pas fait l’unanimité. C’est également pour cela que nous souhaitons l’élargissement du revenu de solidarité active (RSA) aux moins de 25 ans : refuser d’étendre les minima sociaux aux moins de 25 ans, c’est enfermer une partie de la jeunesse dans la précarité.

En cette année de jeux Olympiques, je me permets de rappeler la devise de l’olympisme, « Plus vite, plus haut, plus fort », aux allures d’injonction à la performance, ce qui pèse énormément sur les jeunes et leur santé mentale. Une jeunesse qui va mal est l’assurance d’une société qui se dégradera.

En réponse à une question d’actualité posée par l’une de mes collègues le 29 mars 2023, le ministre de la santé de l’époque avait affirmé que la santé mentale, en particulier celle des jeunes, était une priorité de son gouvernement.

Samedi 13 janvier dernier, le Premier ministre a rappelé, au centre hospitalier universitaire (CHU) de Dijon, la nécessité d’avancer sur la santé mentale des adolescents.

L’initiative de nos collègues du RDSE nous donne ce soir l’occasion de passer de la parole aux actes. Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain soutiendra évidemment la présente proposition de résolution. (Mme Maryse Carrère applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Pascale Gruny. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Pascale Gruny. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, près de quatre ans après l’épidémie de covid-19, les effets délétères de celle-ci sur la santé mentale des Français sont toujours palpables, comme ceux d’une onde de choc.

Les enfants et les jeunes font indéniablement partie des catégories les plus fragilisées sur le plan psychologique, entre dépression, anxiété chronique, bipolarité, phobies ou pensées suicidaires.

Pour eux, il y a clairement eu un avant et un après covid-19 : entre 2019 et 2021, les admissions aux urgences pédiatriques ont augmenté de 40 %, avec une saturation des lits en pédopsychiatrie. La prévalence des troubles psychiques a doublé parmi les 15-24 ans. La part des étudiants en situation de détresse psychologique est passée de 29 % à 43 %.

L’impact de la covid-19 et des confinements successifs sur ces publics vulnérables a fait l’objet, dès le printemps 2020, d’alertes par des professionnels de santé, dont la prise en compte par les pouvoirs publics a cependant été tardive. Rappelons que la campagne nationale de prévention n’a été lancée qu’au printemps 2021, soit un an après le début de la pandémie !

La crise sanitaire, par son ampleur inédite, a surtout mis en lumière les difficultés bien connues de notre modèle de prise en charge que sont le manque de lisibilité, les cloisonnements, les disparités territoriales et les inégalités d’accès ou encore le déficit chronique de financement.

Il est grand temps d’y prêter toute notre attention, comme le Sénat a d’ailleurs commencé à le faire dès 2021, avec le rapport d’information de nos collègues Victoire Jasmin et Jean Sol, qui contenait de premières propositions concrètes.

Il est tout d’abord indispensable de pouvoir détecter les troubles psychiques dès le plus jeune âge. Pour cela, la médecine scolaire doit être confortée, car elle est un outil décisif de prévention et d’orientation des enfants vers un parcours de soins adapté. Les actions de soutien à la parentalité doivent aussi être érigées en priorité, afin d’améliorer l’accompagnement et le repérage précoce des troubles chez l’enfant et l’adolescent.

La méconnaissance et, par voie de conséquence, les préjugés qui entourent la santé mentale chez les jeunes retardent l’accès à une prise en charge, voire entraînent un non-recours aux soins. La prévention primaire est encore trop sous-développée en France, à défaut notamment de statut spécifique pour les métiers qui s’y consacrent ou de structure adaptée.

Il est aujourd’hui nécessaire de renforcer le rôle des psychologues, acteurs clés de la prise en charge de premier niveau en santé mentale. La profession s’estime, à raison, mal reconnue et insuffisamment valorisée dans le système de soins. Si la loi de financement de la sécurité sociale pour 2022 a généralisé la prise en charge par l’assurance maladie des séances réalisées avec un psychologue dès l’âge de 3 ans, les conditions financières restent cependant peu attractives et la condition de prescription médicale peut encore constituer un frein.

La psychiatrie est également le parent pauvre de la médecine. Chacun peut imaginer le désarroi dans lequel se trouvent les familles quand on leur annonce qu’il faut attendre parfois jusqu’à deux ans pour obtenir une place dans un centre médico-psycho-pédagogique, comme c’est le cas chez moi, au CMPP de Gauchy, dans l’Aisne.

Il convient aussi de promouvoir de nouveaux métiers en santé facilitant l’orientation des patients dans le système de soins et œuvrant en faveur de la prévention. Je pense en particulier aux infirmiers en pratique avancée, qui peuvent, depuis 2019, obtenir une mention en santé mentale et psychiatrie.

Pour faciliter l’accès aux soins des adolescents et des jeunes, qui restent un public très difficile à capter, il faut soutenir la pratique de l’« aller vers », une démarche proactive qui permet d’aller à la rencontre des jeunes, là où ils se trouvent, afin de les sensibiliser et de les orienter vers des professionnels de santé.

Dans l’espace numérique, sur les lieux de vie des jeunes ou encore dans la rue pour les mineurs en errance, des initiatives intéressantes méritent d’être encouragées. La médecine universitaire ne doit pas non plus être oubliée, car elle contribue fortement à rassurer et à aider les étudiants en pleine incertitude quant à leur avenir.

L’approche de jeune à jeune, de pair à pair, offre aussi une solution de remplacement efficace aux prises en charge classiques. Elle crée un nouveau rapport fondé sur la confiance et la dimension communautaire de l’accompagnement.

Mes chers collègues, quand la société ne va pas bien, nos jeunes ne vont pas bien. Se préoccuper de la santé mentale de nos jeunes, c’est se prémunir contre la délinquance de plus tard ; c’est leur donner une chance de s’insérer dans la vie professionnelle. Pour grandir, nos jeunes ont besoin de savoir où ils sont et où ils vont.

Pour ces raisons, nous soutiendrons évidemment la proposition de résolution déposée par notre collègue Nathalie Delattre. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Nathalie Delattre applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Do Aeschlimann. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Marie-Do Aeschlimann. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, dans la France de 2024, la psychiatrie est anxieuse ; la psychiatrie est troublée ; la psychiatrie est déprimée. Décrite, à juste titre, comme le parent pauvre du système de soins, la psychiatrie médicale dédiée à la santé mentale figure aujourd’hui parmi les spécialités les moins attractives et les moins choisies par les étudiants en médecine.

Cette crise de la psychiatrie, qui touche aussi la psychiatrie infanto-juvénile, se traduit fatalement par une insuffisante prise en charge de la santé mentale des jeunes.

Est-il juste d’ériger cette dernière en grande cause nationale ? Oui, cela va sans dire. Néanmoins, est-ce suffisant ? Non, évidemment !

La dégradation continue de la santé mentale n’est pas spécifique aux jeunes. Mais il faut rappeler, à la suite de Freud et de la plupart des psychiatres, que c’est dans l’enfance et l’adolescence que se construit la psychologie du futur adulte. C’est là que se joue toute la dramaturgie de la vie psychique de l’individu.

C’est donc bien en amont de l’âge adulte que les politiques publiques doivent intervenir, non seulement pour les soins somatiques, mais également pour les soins psychiatriques.

Or elles en sont bien loin, et les chiffres sont alarmants ! Depuis 2020, en France, la santé mentale des jeunes ne cesse de se dégrader. Toutes les études tirent la sonnette d’alarme. En 2023, le rapport du Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge alerte sur l’augmentation de la consommation de médicaments psychotropes par les enfants et les adolescents. D’après la Cour des comptes, 1,6 million de mineurs souffrent d’un trouble psychique.

L’acuité de ce problème dans ma région, l’Île-de-France, a même suscité une question d’intérêt majeur, qui débouche sur un vaste programme de recherche. Ainsi, 78 % des jeunes Franciliens déclarent des signes de dépression modérée ou sévère. Et 25 % ont pensé au suicide !

Ce fléau repose sur des causes multifactorielles, amplifiées par la crise sanitaire : délitement de la sphère familiale ; difficile accès aux soins, accentué par les inégalités sociales ; emprise des réseaux sociaux ; violence croissante et harcèlement scolaire. Tout cela est aggravé par la stigmatisation sociale persistante des maladies mentales, bien mise en évidence par Maria Melchior, spécialisée dans la santé mentale.

Il est plus que temps de neutraliser cette évolution ravageuse. Il faut davantage former les professionnels qui travaillent auprès des enfants au repérage de leurs fragilités.

De réels moyens doivent être consacrés à la prévention. Le rapport Les 1 000 premiers jours le souligne, les trois premières années de l’enfant constituent « les prémisses de la santé et du bien-être de l’individu tout au long de la vie ».

Il faut mettre fin au désengagement de l’État en matière de médecine scolaire, qui est laissée à la charge des communes sans les moyens financiers correspondants. L’État doit recruter des médecins et des infirmiers dans les écoles, des assistantes sociales dans les collèges et les lycées et des accompagnants d’élèves en situation de handicap en nombre suffisant au lieu de mutualiser ces professionnels. L’offre de soins médico-psychologiques et psychiatriques doit également être renforcée. Il faut en outre mieux lutter contre le harcèlement, en régulant l’usage des réseaux sociaux chez les plus jeunes et en responsabilisant les parents.

Enfin, il est impératif de mieux soutenir les familles et de renforcer la fonction parentale. Rappelons-le, les territoires où la parentalité est la moins accompagnée sont ceux dans lesquels la santé mentale des adolescents s’est le plus dégradée ; c’est particulièrement le cas des territoires d’outre-mer. Le soutien à la politique familiale passe aussi par le développement d’équipes d’intervention à domicile spécialisées en santé mentale, afin d’accompagner les jeunes mères ou encore par l’allongement et la meilleure valorisation du congé parental.

Ériger la santé mentale en grande cause nationale est une bonne chose, mais, madame la ministre, en l’absence d’un ministre de plein exercice chargé de la famille, nous risquons de dénoncer les conséquences sans en attaquer véritablement les causes… (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Béatrice Gosselin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Béatrice Gosselin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous le savons tous, la pandémie de covid-19, avec ses multiples impacts dans différentes sphères de la vie, a nui à la santé mentale, notamment celle des adolescents et des étudiants ; de nombreuses études nationales et internationales l’ont démontré.

Quels que soient les indicateurs considérés, les profils les plus en difficulté sont majoritairement les 18-24 ans. Les recours aux soins d’urgence pour troubles de l’humeur, idées et gestes suicidaires restent en effet à un niveau élevé chez nos jeunes. Ces derniers étaient plus de 20 % à être concernés par la dépression en 2021, contre moins de 12 % en 2017.

À cela, s’ajoute le fait que ces jeunes se préoccupent moins de leur santé mentale ou de leur bien-être – comme d’ailleurs de leur santé en général – que leurs aînés. Les récentes données recueillies témoignent donc d’une dégradation de leur équilibre psychologique, mais également d’un tabou encore perceptible autour de ces problématiques.

Ces résultats avaient conduit Santé publique France à renforcer la surveillance et la mise en œuvre d’actions ciblées pour libérer la parole autour du mal-être. Aujourd’hui, un nouvel axe a été abordé, qui consiste à sensibiliser les jeunes aux activités et aux comportements bénéfiques à leur santé mentale.

Par ailleurs, chez les 18-24 ans, les principaux freins à la consultation d’un psy sont le coût, la difficulté à se confier, la crainte de ce qu’ils pourraient découvrir sur eux ou encore celle que l’entourage ne l’apprenne.

Le programme Santé psy étudiant, mis en place pendant la pandémie de covid-19, a constitué un début de réponse, mais la limitation à huit séances remboursées et la liste réduite de psychologues ayant accepté le dispositif – seulement 1 100 –, n’a permis d’accompagner que 58 000 étudiants.

Promouvoir la santé mentale, prévenir l’apparition de troubles psychiques et lutter contre la stigmatisation sont des enjeux de santé publique sur lesquels nous devons nous engager pleinement pour accompagner les adultes de demain.

Pour appuyer mon propos, je souhaite maintenant évoquer la situation alarmante de l’offre de soins et d’accompagnement en santé mentale de nos enfants les plus jeunes. En effet, les enjeux de la santé mentale de ces enfants sont d’autant plus importants qu’ils affectent tous les aspects de la vie : émotions, rapport au langage, au corps, aux savoirs, à soi-même et aux autres, liens familiaux et sociaux.

Mise en exergue par le Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA) dans son rapport de mars 2023, la consommation de médicaments psychotropes par des enfants et adolescents est devenue très importante. La consommation d’antidépresseurs a augmenté de 62 %, celle des psychostimulants de 78 % et celle des hypnotiques et sédatifs de 155 % !

De plus, l’enfant en souffrance psychique pâtit d’un effet ciseaux, avec la baisse de l’offre de soin conjuguée à l’augmentation de la demande ; cela a pour conséquence un déficit de prise en charge, au détriment de l’enfant et de sa famille. Faute de spécialistes, les consultations pour enfant sont en majorité réalisées par des médecins généralistes. Seuls 30 % des enfants sont reçus par un pédiatre, spécialité habituellement concentrée sur les moins de 2 ans.

La situation de la médecine scolaire est également très altérée, ce qui ne permet pas aux médecins et infirmiers scolaires d’assurer leurs missions d’accueil, de dépistage et de suivi individuel de l’ensemble des enfants qui le demanderaient. Il paraît nécessaire, la Cour des comptes l’indique dans son rapport sur la pédopsychiatrie de mars 2023, d’améliorer l’organisation de l’offre de soins psychiques infanto-juvéniles, et de remédier à une gouvernance peu opérationnelle.

Certes, le ministère de la santé a manifesté récemment sa volonté de renforcer l’accès à cette offre de soins, avec la feuille de route de la santé mentale. Cependant, ce programme ne se fixe pas d’objectifs clairs, du point de vue tant quantitatif que qualitatif ; surtout elle ne prévoit pas de programmation calendaire pour sa mise en œuvre. L’adoption d’objectifs nationaux de santé mentale infanto-juvénile associés à un calendrier précis et à des indicateurs permettrait une évaluation de l’organisation des soins de pédopsychiatrie. Ces objectifs aideraient à mieux structurer et planifier cette politique. C’est indispensable. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Catherine Vautrin, ministre du travail, de la santé et des solidarités. Madame la présidente, madame la sénatrice Nathalie Delattre, auteure de la présente proposition de résolution, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de votre engagement sur ce débat.

Nous le savons tous, la psychiatrie, c’est l’intime, l’intime des malades et des familles.

La psychiatrie, c’est également le temps de l’écoute, mais ce débat nous rappelle immédiatement à une réalité : si le temps de la psychiatrie est le temps long, il y a également urgence à apporter des réponses concrètes à certaines situations.

Le Président de la République l’a indiqué hier soir lors de sa conférence de presse, la santé mentale, en particulier celle des plus jeunes, sera une priorité de ce gouvernement.

Samedi dernier – Mme Canalès l’a rappelé –, j’accompagnais le Premier ministre à Dijon, où nous avons rencontré les professionnels des urgences, de la pédiatrie et de la psychiatrie. Nos échanges avec les professionnels ont notamment porté sur la diversité des réponses que nous devions apporter, qui vont de l’accueil d’un jeune ayant besoin de décompenser pendant quelques heures aux soins de long terme d’une autre personne.

Plusieurs d’entre vous ont évoqué les causes de ces situations. Elles sont nombreuses : la crise du covid-19 – crise sans équivalent en Europe et dans le monde depuis la Seconde Guerre mondiale –, les réseaux sociaux, le harcèlement scolaire, l’isolement des étudiants, les violences en tous genres ou encore l’addiction aux écrans.

Madame la sénatrice Delattre, nous partageons ce constat : la santé mentale des jeunes est en effet un enjeu sociétal majeur.

Vous avez tous rappelé dans vos interventions, mesdames, messieurs les sénateurs, les chiffres relatifs à ce sujet. Vous avez également évoqué la question des moyens, du nombre de lits, du nombre insuffisant de maisons des adolescents, de soignants – l’effectif des professeurs des universités-praticiens hospitaliers (PU-PH) et des internes a légèrement augmenté, mais encore trop peu –, d’infirmiers en pratique avancée formés spécifiquement – la démarche est intéressante – et de centres médico-psychiatriques. L’offre de soins se construit, mais reste encore insuffisante sur le territoire.

La feuille de route de la santé mentale et de la psychiatrie a été lancée par Agnès Buzyn. Elle a eu le grand mérite d’ouvrir la voie. Les Assises de la santé mentale et de la psychiatrie ont débouché sur des engagements qui s’étendent jusqu’en 2026. Cela dit, Mme Gruny le rappelait, le projet de loi de financement de la sécurité sociale a apporté des réponses nouvelles, notamment pour les financements.

Au-delà de ces moyens, je mesure la nécessité d’aller plus loin, dans différents domaines. Il convient d’abord d’engager une politique ambitieuse de prévention, nombre d’entre vous l’ont dit. Mesdames Souyris, Darcos et Delattre, vous m’avez interpellée au sujet de la médecine scolaire et des tout-petits. Évidemment, nous commencerons par les mille premiers jours, mais si l’on considère le fait que des enfants en très bas âge, dès 3 ans, ont déjà des habitudes d’écran, on mesure bien la nécessité de traiter ce sujet. Je signale également l’enjeu que représente la visite médicale lors de la sixième année.

Je veux aborder maintenant un domaine sur lequel, à la demande du Premier ministre, la ministre de l’éducation nationale et moi-même allons travailler : celui de la médecine scolaire. C’est crucial, car il s’agit de notre premier outil de prévention ; il permet en effet de toucher l’ensemble des élèves ainsi que, d’une certaine manière, leurs parents.

Madame Gosselin, le programme Mon Parcours psy, destiné aux étudiants, constituait une première réponse. Elle est peut-être insuffisante, mais ces huit consultations remboursées permettent d’avancer.

Au-delà, sans contester l’utilité d’une augmentation des moyens, nous devons aussi relancer l’attractivité de ces métiers. Nous avons certes remplacé le numerus clausus par le numerus apertus, mais quel est le sens d’une augmentation du nombre d’étudiants si les internes ne se tournent pas vers la psychiatrie ? Il faut traiter ce problème. Sans doute, phénomène assez rare dans notre pays, le nombre de PU-PH en psychiatrie a augmenté, mais, je vous l’accorde, il n’est pas encore suffisant, puisqu’il n’y en a pas partout sur le territoire.

Nous devons en outre adapter notre organisation, via des outils comme les projets territoriaux de santé, pour agir dans tous les bassins de vie. Le Ségur de la santé a permis de financer la hausse de la rémunération des gardes de week-end ; c’est une première étape. Toute la population est en effet concernée.

Madame Aeschlimann, vous avez également souligné l’absence de ministre de la famille. Pour ma part, j’entends souvent dire que l’effectif du Gouvernement est trop important. Or il est impossible d’avoir un gouvernement resserré tout en ayant un ministre consacré à chaque politique publique.

Toutefois, je vous l’affirme solennellement, le ministère que j’ai l’honneur de diriger a comme pivot la santé de nos concitoyens, des mille premiers jours au tout dernier, en passant par le handicap et le vieillissement, sans oublier le travail, notamment la santé au travail. La santé est donc, en quelque sorte, le fil rouge de mon portefeuille.

La feuille de route devra comprendre beaucoup d’éléments et prévoir une réponse adaptée aux bassins de vie. En effet, monsieur Théophile, la question de l’outre-mer est prégnante ; cela dit, le sujet de la santé en métropole ne doit pas être négligé non plus.

Nous travaillerons avec tous les acteurs – le public, le privé, le médico-social, les élus, les éducateurs –, sans oublier les familles et les aidants. Ces derniers sont, vous y avez insisté, monsieur le sénateur, très seuls ; or c’est avec eux que nous pourrons coconstruire une démarche.

Ma méthode consistera à rassembler et à écouter ; cela peut démarrer par un Conseil national de la refondation, mais nous pouvons dès maintenant nous appuyer sur les travaux existants ; je pense à l’excellent rapport de la Fédération hospitalière de France sur la question. Car mon objectif, c’est agir concrètement, dans le respect, l’écoute, le dialogue.

C’est dans cet esprit que, après vous avoir remerciée de nouveau de nous avoir permis de travailler sur le sujet, madame la sénatrice Delattre, je m’en remets, au nom du Gouvernement, à la sagesse du Sénat sur cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, UC et Les Républicains.)

Mme la présidente. Avis de « sagesse bienveillante » ?

Mme Catherine Vautrin, ministre. Tout à fait !

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Nous allons procéder au vote sur la proposition de résolution.

proposition de résolution invitant le gouvernement à ériger la santé mentale des jeunes en grande cause nationale

Le Sénat,

Vu l’article 34-1 de la Constitution,

Vu la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE), signée à New York le 20 novembre 1989,

Vu le Plan d’action global pour la santé mentale 2013-2020, adopté le 27 mai 2013 par l’Organisation mondiale de la santé (OMS),

Vu le rapport de la Cour des comptes « Les médecins et les personnels de santé scolaires », publié le 27 mai 2020,

Vu le rapport de la Cour des comptes « La pédopsychiatrie : Un accès et une offre de soins à réorganiser », publié le 21 mars 2023,

Vu le rapport du Haut Conseil de la Famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA) « Quand les enfants vont mal, comment les aider ? », publié le 13 mars 2023,

Vu la synthèse du bilan de la feuille de route des Assises « Santé mentale et psychiatrie », état d’avancement au 3 mars 2023,

Vu l’étude de Santé publique France de février 2023,

Vu le rapport du Défenseur des droits « Santé mentale des enfants : le droit au bien-être », rendu public le 20 novembre 2021,

Vu le rapport d’information n° 843 (2020-2021) de Mme Colette Mélot, fait au nom de la mission d’information « Harcèlement scolaire et cyberharcèlement : mobilisation générale pour mieux prévenir, détecter et traiter », déposé le 22 septembre 2021,

Vu la réponse du ministre chargé de la santé à la question d’actualité de Mme Nathalie Delattre, publiée au Journal officiel des débats du Sénat du 30 mars 2023,

Considérant que la santé mentale des jeunes s’est dégradée au cours de ces dernières années ;

Estimant qu’une prise en charge précoce et de qualité d’un enfant atteint de troubles psychiques est le gage d’une meilleure stabilisation ou guérison de sa maladie à l’âge adulte ;

Rappelant que le droit des enfants à être bien soignés est garanti par les conventions internationales ;

Observant que les capacités d’accueil en soins de psychiatrie et d’accès aux psychologues sont insuffisantes face aux besoins ;

Déplorant que la médication des jeunes constitue, dans certains cas, une réponse par défaut de prise en charge psychothérapeutique sur le long cours ;

Souligne la nécessité de déployer une politique globale et ambitieuse d’accompagnement des jeunes dont la santé mentale est affectée ;

Invite à renforcer les effectifs de psychologues et de psychiatres tout en veillant à ce que ces spécialistes soient financièrement abordables par les familles et accessibles sur l’ensemble du territoire ;

Suggère de repenser les missions et de renforcer les moyens du service de santé scolaire pour le rendre plus performant et plus attractif pour les médecins et les infirmiers ;

Rappelle l’importance de soutenir les centres médico-psycho-pédagogiques (CMPP) et les centres médico-psychologiques (CMP) ;

Souligne l’intérêt de développer les campagnes de sensibilisation aux dispositifs de prévention existants et aux offres sanitaires de première ligne ;

Propose d’ériger la santé mentale des jeunes en grande cause nationale.

Mme la présidente. Mes chers collègues, je rappelle que la conférence des présidents a décidé que les interventions des orateurs valaient explication de vote.

Je mets aux voix la proposition de résolution.

J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 111 :

Nombre de votants 339
Nombre de suffrages exprimés 339
Pour l’adoption 339

Le Sénat a adopté à l’unanimité. (Applaudissements.)

Mes chers collègues, l’ordre du jour de cet après-midi étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures quinze, est reprise à vingt et une heures, sous la présidence de M. Pierre Ouzoulias.)

PRÉSIDENCE DE M. Pierre Ouzoulias

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, invitant le Gouvernement à ériger la santé mentale des jeunes en grande cause nationale
 

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Violences associées au football, dans et hors des stades

Débat organisé à la demande du groupe Union Centriste

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Union Centriste, sur les violences associées au football, dans et hors des stades.

Dans le débat, la parole est à M. Pierre-Antoine Levi, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Pierre-Antoine Levi, pour le groupe Union Centriste. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens à exprimer ma vive satisfaction quant à l’inscription de ce débat à l’ordre du jour du Sénat.

Le groupe Union Centriste a pris cette initiative avec une grande conviction. Aux côtés de mes collègues Laurent Lafon, Claude Kern et Jean Hingray, je combats ardemment les violences dans les stades de football et alentour. Elles constituent une préoccupation majeure qui doit nous conduire à nous interroger.

La tenue de ce débat est d’autant plus opportune qu’elle coïncide avec l’officialisation récente du sport dans le nom de notre commission, traduisant clairement la reconnaissance de la place que celui-ci occupe dans notre société.

En tant que parlementaire, mais aussi et surtout en tant que citoyen passionné par le sport, notamment par le football, je m’alarme de l’escalade de la violence qui sévit dans nos stades et à leurs abords.

Ces actes d’une grande violence, parfois meurtriers – ce fut le cas à Nantes voilà quelques semaines – menacent la sécurité de nos concitoyens et ternissent l’image du sport. Il est vrai que notre pays a été, ces dernières années et plus récemment encore, le théâtre d’événements dramatiques qui ont choqué notre conscience collective.

L’attaque brutale du bus de l’Olympique lyonnais à Marseille et la blessure de l’entraîneur Fabio Grosso ne sont que la partie émergée de l’iceberg.

Des incidents similaires se sont produits à Nice, à Saint-Étienne, à Lyon, à Paris, à Montpellier, à Ajaccio, ailleurs encore. Ils témoignent de l’ampleur et de la gravité du phénomène.

Ces actes de violence sont non pas de simples débordements isolés, mais les symptômes d’un malaise profond, qui ronge le cœur de notre football.

Madame la ministre, le Gouvernement doit prendre des mesures immédiates et efficaces.

Il est urgent d’assurer la sécurité lors des événements footballistiques. La seule interdiction de déplacement des supporters des clubs visiteurs lors des matchs à risques n’est pas la solution.

La collaboration renforcée entre les clubs, les forces de l’ordre et les autorités locales doit être impérative et limpide. Or nous avons vu, à de très nombreuses reprises, que les différents acteurs se renvoyaient le ballon, à défaut de la balle, quant à leurs responsabilités, personne ne voulant visiblement prendre les siennes.

Souvenons-nous de l’imbroglio entre la Ligue de football professionnel (LFP) et la préfecture lors de l’arrêt du match entre l’Olympique de Marseille et l’Olympique lyonnais.

À moyen terme, il est crucial de renforcer la collaboration entre tous les acteurs du football. La communication et la coordination entre les clubs, les associations de supporters, les forces de l’ordre et les autorités locales doivent être optimales.

Certes, il existe une Instance nationale du supportérisme (INS). Vous l’avez réunie voilà quelques semaines, madame la ministre, mais pour quel résultat ?

Mon propos ne vise pas – je le souligne – à stigmatiser les clubs de supporters qui, pour la plupart, jouent un rôle très positif dans l’animation des stades, dans la vie des clubs et, parfois, dans l’action sociale auprès de la jeunesse. Ils incarnent l’âme du football et doivent être considérés comme des partenaires clés dans la lutte contre la violence.

À long terme, nous devons envisager des réformes structurelles pour transformer radicalement la culture du football français.

Ainsi, la promotion d’un environnement sportif sûr et respectueux, débarrassé de toute forme de violence, est indispensable. Cela implique des initiatives éducatives fortes, des programmes de sensibilisation ciblés et des sanctions plus sévères pour les fauteurs de troubles.

Madame la ministre, le temps est venu d’agir avec fermeté et sans langue de bois. Le football est une source de joie et de fierté nationale. Il doit rester un sport populaire, accessible à tous, dans un environnement sécurisé.

Il est crucial de préserver l’aspect social et fédérateur du football. Les soirs de match à Marseille, à Saint-Étienne ou à Sochaux – des villes populaires – sont des moments de communion et, d’un certain côté, de défoulement essentiels pour la population, tant qu’ils restent canalisés.

Il est vital de maintenir cet esprit, tout en imposant le respect et la dignité. Je pense notamment aux insultes à caractère sexiste ou raciste. (Mme Cécile Cukierman sexclame.) Pour autant, nous ne voulons pas de ces stades aseptisés, où l’ambiance est souvent fade et l’accès limité par des barrières financières, comme c’est le cas dans certains pays.

J’espère que de ce débat et des échanges entre les sénateurs et Mme la ministre émergeront de nouvelles idées et solutions pour répondre à cette crise de violence.

Ensemble, nous devons agir pour garantir que le football français reste un symbole de fraternité, de passion et de paix. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – MM. Michel Savin et Didier Rambaud applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Claude Kern, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Claude Kern, pour le groupe Union Centriste. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ultras, hooligans ou supporters sont autant de vocables désignant autant de mouvements aux logiques propres, qui, bien que vivant leur soutien différemment, se sont retrouvés sous le feu des projecteurs à la suite de débordements dans les tribunes et en dehors des stades.

Ce type de violences a toujours existé. Ont-elles empiré ? À tout le moins et à bien des égards, la situation a évolué.

Ces événements, qui actent dorénavant la délocalisation des actions violentes, entachent gravement la réputation de notre pays et menacent sa capacité à organiser de grandes manifestations. Ils s’inscrivent dans le cadre d’une recrudescence des violences, au moment où plusieurs centaines de milliers de spectateurs s’apprêtent à nous rendre visite pour assister, en 2024, aux compétitions de grande ampleur que nous organisons.

Depuis les années 1990, nous disposons d’un cadre légal étoffé, que nous avons su inscrire à la fois dans une approche répressive, par le truchement d’infractions pénales définies spécifiquement dans le code du sport, mais aussi dans une approche préventive au sens strict qui, depuis la loi du 10 mai 2016 renforçant le dialogue avec les supporters et la lutte contre le hooliganisme, reconnaît les supporters comme des acteurs responsables du sport.

Or, force est de constater que ces violences s’accroissent de manière inédite. Les tout derniers événements vous ont d’ailleurs poussée, madame la ministre, à proposer un moratoire sur les déplacements de supporters. Pour rappel, ces derniers peuvent être interdits par voie réglementaire, s’ils présentent un risque réel et sérieux d’affrontement.

Quelle est la conclusion de ces échanges ? Des mesures concrètes seront-elles mises en œuvre sans délai ? Un bilan doit être dressé, madame la ministre, une ligne directrice claire doit être envisagée !

À ce sujet, permettez-moi de souligner la nécessité de sortir de l’impasse que représentent les interdictions de déplacement. En réalité, elles constituent une solution de facilité par rapport à l’encadrement de ces derniers.

La multiplication des arrêtés, pris sans réel discernement, a abouti à des actions contre-productives engendrant des situations ubuesques. Nous aimerions connaître votre position sur ce sujet.

Qu’en est-il par ailleurs de l’individualisation des peines ? Ces dernières années, la France s’est focalisée sur les mesures d’interdiction collectives, beaucoup moins sur les interdictions individuelles. Ainsi, selon un expert du supportérisme, on ne comptait en France que 218 personnes interdites de stade en juillet 2023, contre quelque 1 600 en Angleterre et 1 300 en Allemagne.

En matière d’organisation, et dans la mesure où les débordements ont aussi lieu en dehors des stades, il est nécessaire de s’assurer des capacités des pouvoirs publics à encadrer les foules.

Sans être évidemment la cause de ces débordements, le rôle des réseaux sociaux dans la diffusion de ces actes au plus grand nombre est un autre problème sur lequel nous devons nous attarder.

Lors de la discussion au Parlement de la loi du 19 mai 2023 relative aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 et portant diverses autres dispositions, dite loi JOP, nous avons proposé des mesures pragmatiques visant à lutter efficacement contre les violences qui gangrènent le sport.

Sur notre initiative – j’étais moi-même rapporteur –, l’arsenal juridique a été complété, afin de renforcer l’effet dissuasif de ces dispositions tout en respectant le principe de proportionnalité des peines.

L’objectif est de modifier l’existant pour répondre à ces nouvelles formes de violences toujours trop prégnantes, en empruntant deux directions.

Premièrement, nos propositions visent à faire suite à la recommandation n° 1 du rapport d’information de MM. François-Noël Buffet et Laurent Lafon sur les incidents survenus au Stade de France le 28 mai 2022, publié le 13 juillet dernier. Il s’agirait de rendre obligatoire le recours à une billetterie infalsifiable pour les grands événements sportifs. À cet égard, je vous remercie, madame la ministre, pour nos échanges et votre écoute, qui ont permis de pérenniser cette expérimentation.

Deuxièmement, nous avons proposé de sanctionner plus sévèrement les primo-délinquants isolés qui tentent de s’introduire dans les enceintes sportives ou sur les aires de compétition.

Ces débats ont paradoxalement mis en exergue l’absence de consensus sur ce sujet. Je le regrette d’autant plus que les violences dans le sport au sens large se multiplient et qu’il ne me semble pas envisageable de baisser la garde, à quelques mois du début des jeux Olympiques.

Cela fait des années que nous luttons contre les violences qui prolifèrent dans nos stades en général et contre le hooliganisme en particulier.

Madame la ministre, nous aimerions nous enorgueillir de résultats plus probants et constater que l’État accomplit sa tâche, celle d’identifier, interpeller et sanctionner. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre de léducation nationale, de la jeunesse, des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais d’abord remercier M. le président de la commission de la culture, de l’éducation, de la communication et du sport d’avoir fait modifier l’intitulé de sa commission. Cette évolution est lourde de sens.

Je tiens ensuite à remercier le groupe Union Centriste d’avoir pris l’initiative de ce débat sur une question majeure, dans laquelle je me suis beaucoup investie depuis mon arrivée à la tête du ministère des sports.

Mon cap est double et il est clair : d’une part, ne rien éluder des enjeux ; d’autre part, rassembler les acteurs autour d’une cause commune, qu’il s’agisse de faire vivre la passion du supportérisme dans toutes les disciplines, en s’appuyant sur un dialogue franc et transparent avec les groupes de supporters, ou de lutter inlassablement contre toutes les dérives qui pénalisent les rencontres.

Il était donc important pour moi d’être présente ce soir devant vous pour débattre sans ambages des violences associées au football professionnel.

En effet, notre sport doit être en mesure d’offrir ce qu’il a de plus beau tout au long de cette année 2024. Nous n’en sommes qu’aux premiers jours et elle s’annonce belle, « impactante » et importante pour le sport dans notre pays.

Ce débat intervient – chacun le sait – après une année 2023 dont les derniers mois ont été marqués par une succession d’incidents aussi graves qu’intolérables, dans le cadre de rencontres de football, professionnel comme amateur.

Si les violences de ces deux mondes n’ont pas tout à fait les mêmes ressorts, elles présentent, évidemment, la même gravité.

Dans le monde du football professionnel, les violences ne sont plus cantonnées aux stades. Elles s’expriment désormais en dehors des enceintes, abîmant des lieux, notre réputation et – c’est encore plus problématique et dramatique – des personnes. Le point culminant de ces violences a été la mort d’un supporter à Nantes, le 2 décembre dernier, dans des circonstances que la justice doit encore éclaircir.

Gardons-nous, pour autant, de caricaturer le football et ses supporters. Évitons plusieurs écueils, dont le premier serait de faire l’amalgame entre, d’une part, le supportérisme en général, y compris la mouvance ultra, et, d’autre part, les violences commises par une minorité d’individus radicaux.

Il n’y a rien de commun – jamais ! – entre, d’un côté, l’amour des siens, de son équipe et du maillot et, de l’autre, la haine des autres, celle de délinquants, pour qui le sport n’est qu’un prétexte pour se défouler et se noyer dans la masse, en espérant la protection d’un lâche anonymat.

Je rappelle que ces phénomènes de violences ne sont pas propres à la France. Plusieurs pays européens, dont certains proches de nous – les Pays-Bas, l’Italie ou l’Allemagne – ont connu en effet également la résurgence de tels actes.

Prenons du recul et remettons en perspective les faits récents, qu’il faut bien sûr regarder en face, qu’ils relèvent de l’homophobie, du racisme ou de la délinquance.

Sur le temps long, des progrès ont été réalisés, notamment lors des dernières saisons. Rappelons-nous que, il y a trente ans, chaque week-end ou presque était ponctué de graves incidents.

Ramenons donc les violences récentes aux 12,9 millions de spectateurs cumulés en Ligue 1 et en Ligue 2 la saison dernière.

Pour ne pas caricaturer, il faut d’abord bien comprendre, sans quoi guette toujours le spectre de la relativisation, qui, à son tour, fait le lit du fatalisme et donc de l’inaction.

Il faut comprendre les enjeux, les axes d’amélioration, avant, pendant et après les rencontres. Et, pour ce faire, commencer par établir le diagnostic précis de la situation.

C’est précisément ce que nous avons fait au sein l’Instance nationale du supportérisme, où s’inscrit, depuis 2016, le dialogue avec les supporters.

Certes, ce travail a été quelque peu perturbé ces dernières années par la crise du covid-19 qui, disons-le, nous a fait du mal dans la préparation des rencontres de football comme dans la maîtrise des débordements lors des déplacements des supporters.

Nous avons néanmoins su rebondir, dès l’été 2022, en relançant les travaux de cette instance et nous l’avons d’ailleurs prouvé, à l’automne dernier, avec l’organisation de la Coupe du monde de rugby, qui, rappelons-le, est la troisième plus grande compétition sportive au monde.

M. Philippe Folliot. Très bien ! (Sourires.)

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre. À la fin de l’année 2023, devant l’enchaînement de faits dramatiques et après un moratoire de courte durée destiné à envoyer un signal fort, j’ai souhaité remettre tous les acteurs autour de la table : État – ministères des sports, de l’intérieur, de la justice –, fédérations, ligue nationale de football, clubs, groupes de supporters ou encore élus.

Le 18 décembre dernier, lors de la séance plénière de l’INS, nous avons pu ainsi revenir sur les événements et les débordements récents. Nous nous sommes dit franchement les choses et sommes tombés d’accord pour avancer ensemble, pour construire cette initiative globale et collective sans laquelle rien n’est possible.

Cette démarche s’appuie sur un plan d’action ambitieux comportant plusieurs phases, que j’annoncerai prochainement avec Gérald Darmanin et Éric Dupond-Moretti, à l’occasion d’un événement organisé avec la Ligue de football professionnel réunissant l’ensemble des acteurs impliqués, y compris la Fédération française de football (FFF).

Certaines mesures étant en cours de discussion et d’arbitrage, je ne pourrai vous en dévoiler tous les contours. Au cours de nos échanges, j’exposerai néanmoins ses grands axes et ses pistes principales.

Nous souhaitons d’abord faire jouer à plein les dispositifs existants et nous appuyer sur un arsenal juridique qui me paraît d’autant plus complet que – M. le sénateur Kern l’a rappelé –, nous l’avons encore renforcé, ensemble, en y intégrant, dans la loi du 19 mai 2023, plusieurs mesures.

Parmi elles figurent un meilleur encadrement des interdictions administratives de stade et le renforcement significatif des interdictions judiciaires de stade, rendues systématiques pour un certain nombre d’infractions.

Nous avons aussi tiré les conclusions qui s’imposaient après les incidents survenus en 2022 lors de la finale de la Ligue des Champions, en créant deux infractions nouvelles : l’entrée dans un stade par force ou par fraude et le délit d’intrusion sans motif légitime sur l’aire de jeu.

Comme le Sénat nous y invitait dans son utile et précieux rapport du 13 juillet 2022, nous avons rendu obligatoire, pour les événements sportifs les plus importants, une billetterie nominative, dématérialisée et infalsifiable.

Dans un deuxième temps, notre exigence sera de clarifier les responsabilités, rôles et compétences de chacun des acteurs, ainsi que les différentes étapes de préparation et de gestion des rencontres, y compris en préfecture.

Ensuite, nous mobiliserons tous les acteurs pour éviter les trous dans la raquette et les passagers clandestins. Nous ne pouvons pas rester au milieu du gué et nous contenter de critiquer. Chacun doit prendre part à l’effort collectif.

Par ailleurs, nous embarquerons le monde du football professionnel, plus médiatisé que le football amateur, sans négliger pour autant ce dernier, que j’évoquais précédemment et qui connaît, vous le savez, des difficultés.

Enfin, nous associerons étroitement les associations de supporters et leur donnerons – c’est attendu – une véritable représentation nationale.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le sport est un espace où la violence ne saurait avoir sa place, pas plus dans les stades que dans les tribunes ou les vestiaires.

Mon cap est le suivant : éradiquer les violences et les combattre, pied à pied, à vos côtés. Elles peuvent parfois, à la manière d’une hydre, donner l’impression de repousser sans cesse, mais à la fin de l’histoire, l’hydre est vaincue. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Claude Kern applaudit également.)

Débat interactif

M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.

Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question et son éventuelle réplique.

Le Gouvernement dispose pour répondre d’une durée équivalente. Il aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de répondre à la réplique pendant une minute supplémentaire. L’auteur de la question disposera alors à son tour du droit de répondre pendant une minute.

Dans le débat interactif, la parole est à M. Pierre Jean Rochette.

M. Pierre Jean Rochette. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, bagarres, envahissements, caillassages de bus sont autant d’exemples de violences dans les stades et à leurs abords que nous ne voulons plus voir.

Nous devons envoyer un signal de fermeté : ceux qui assistent aux matchs doivent pouvoir s’y rendre en famille, en toute tranquillité, avec comme seul objectif la volonté de soutenir et de pousser leur équipe afin de l’emmener vers la victoire.

Je suis donc favorable à des mesures visant à apaiser ce climat et à éradiquer ces violences. En tant que Stéphanois (Sourires.), j’essaierai néanmoins de porter une voix différente dans ce débat.

Il ne s’agit pas de durcir les règles au détriment des festivités.

M. Pierre-Antoine Levi. Allez les Verts !

Mme Cécile Cukierman. Ce sont les meilleurs ! (Nouveaux sourires.)

M. Pierre Jean Rochette. Les supporters le savent : ils sont le douzième homme. Ils se vouent bruyamment au soutien de leur club. C’est aussi cela les valeurs du sport.

Interdire radicalement les fumigènes, par exemple, n’est pas forcément la bonne solution, non plus que sanctionner les clubs pour leur utilisation, les fumigènes faisant, aussi, partie du spectacle.

À Saint-Étienne, pour ne citer que mon club de cœur – je dirai même, avec Cécile Cukierman, « notre » club de cœur –, le spectacle n’est pas que sur la pelouse : il est assuré également par deux groupes de supporters principaux, les Magic Fans et les Green Angels.

Le mythe d’un club se construit aussi grâce à son public. C’est le cas à Saint-Étienne, où l’on trouve, vous le savez tous, le meilleur public de France… (On feint den douter sur quelques travées.)

Mme Cécile Cukierman. Cela ne se discute pas !

M. Pierre Jean Rochette. Nous vous invitons d’ailleurs, madame la ministre, à venir goûter à la ferveur du chaudron stéphanois. Vous êtes venue pour la Coupe du monde de rugby, mais pas encore pour un match de football ; nous vous y attendons.

Quand les clubs traversent une mauvaise passe sportive – malheureusement, cela arrive à tout le monde, même à Saint-Étienne –, seuls les ultras savent rester fidèles à leur équipe et à son histoire.

Sur ce point précis – c’est important –, nous devons au contraire encourager le spectacle offert par les supporters et les laisser librement exprimer leur attachement à leur identité locale. C’est aussi cela le piment du sport.

Dès lors, madame la ministre, pouvez-vous nous indiquer la feuille de route de votre ministère pour empêcher ces violences et ces débordements intolérables sans nuire à l’esprit festif et sportif du football ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre de léducation nationale, de la jeunesse, des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques. Monsieur le sénateur Rochette, vous qui venez de ce territoire de passion et connaissez bien ce chaudron d’ambiance où le football se vit à plein, vous savez combien il est important de ne pas faire d’amalgame entre, d’un côté, ce supportérisme passionnel et exacerbé et, de l’autre, les actes de violence que rien ne justifie.

Pour autant, j’y insiste, je suis convaincue que les auteurs de violences n’ont rien de supporters. Ils ne font que profiter des matchs pour exprimer leur haine.

Les agressions physiques sur fond de rivalité entre clubs, les chants homophobes, les cris de singes, ce n’est pas cela, être supporter.

Dès lors, nous agissons. Nous avons fait en sorte de donner au supportérisme la place qu’il mérite, dans le respect des lois de la République. Nous avons construit cette réponse dans le cadre d’un dialogue, au sein de l’INS, avec les associations de supporters.

Plusieurs initiatives concrètes ont été prises : l’expérimentation des tribunes debout, la généralisation des référents supporters, la mise en place de policiers référents auprès des supporters visiteurs pour améliorer l’organisation des déplacements, ou encore l’instauration d’un usage encadré de la pyrotechnie.

À cet égard, Gérald Darmanin et moi-même avons publié le décret d’application relatif à la pyrotechnie et demandé aux préfets, dans une instruction datée du mois d’octobre 2023, de s’emparer de ce dispositif expérimental.

Oui, monsieur le sénateur, nous voulons un supportérisme total, y compris pendant les jeux Olympiques et Paralympiques – nous préparons d’ailleurs un dispositif dédié avec le Comité d’organisation des jeux Olympiques et Paralympiques (Cojop) et le Comité national olympique et sportif français (CNOSF) –, mais nous voulons un supportérisme respectueux de l’autre et des valeurs du sport. (MM. Didier Rambaud et Claude Kern applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Jean Hingray. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Jean Hingray. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, notre collègue Pierre Jean Rochette vient d’évoquer les Stéphanois, j’évoquerai pour ma part mon département des Vosges.

Il en est question dans un reportage qui fait référence aux violences dans le football et qui sera diffusé – j’en fais la promotion, on n’est jamais mieux servi que par soi-même – le 3 février prochain, à dix-huit heures, sur Public Sénat, puis sur France 3 et Canal+.

Vous y découvrirez notamment les clubs de Moriville, Nomexy, Épinal, Mirecourt ou Vincey et entendrez le président du district, mon ami Bruno Herbst, poser des questions simples.

Ignorant, madame la ministre, si vous avez répondu à ces questions à l’occasion de ce reportage, je me permets de vous les poser ce soir.

Dans la mesure où les violences dans le football ont des répercussions sur l’attribution des droits télévisuels, que comptez-vous faire pour sauvegarder ces derniers, dont dépendent directement les finances de nos clubs amateurs ?

Quelles mesures envisagez-vous par ailleurs en matière de formation des dirigeants et des bénévoles ? À l’exception des clubs évoluant dans les divisions les plus élevées, en Régional 1 par exemple, nos clubs amateurs en sont quasi dépourvus.

Comptez-vous rendre obligatoire la signature de chartes éthiques prônant par exemple la laïcité ?

Projetez-vous, comme cela fut le cas en 2014 contre le racisme, de diffuser un spot publicitaire contre les violences dans le football, qui ferait intervenir des joueurs professionnels ?

J’espère que ces questions trouveront un écho ce soir. En tout état de cause, nous nous retrouverons lors des assises du football. Nous comptons bien, en effet, continuer à prendre part à ce débat.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre de léducation nationale, de la jeunesse, des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques. Monsieur le sénateur Hingray, je vous remercie tout d’abord pour votre précieuse implication sur cette thématique, dans un contexte récent marqué par l’exacerbation des violences.

Je partage vos propos. La valeur de notre championnat dépend en effet des valeurs de ceux qui l’entourent, notamment de ses supporters.

J’ai évoqué les pistes sur lesquelles nous avançons à grands pas. L’une d’entre elles me paraît cruciale, il s’agit de la manière dont nous préparons les rencontres de football en préfecture, avec les directeurs de la sûreté et de la sécurité des clubs, les référents supporters et les policiers référents supporters visiteurs.

On le voit : chaque fois que le dialogue se noue dans ces instances avec suffisamment d’anticipation, nous trouvons quasi systématiquement les solutions pour éviter les interdictions de déplacement de supporters et mettre au point, au contraire, leur encadrement.

Cet encadrement est beaucoup plus constructif, partagé et attendu par les acteurs.

Nous y travaillons avec l’autorité préfectorale, en nous appuyant également, pour l’analyse des matchs considérés comme « à risque », sur la division nationale de lutte contre le hooliganisme (DNLH), dont le chef, Thibaut Delaunay, est présent à nos côtés.

Soyez assurés que ces risques, parfois aggravés par la consommation de stupéfiants, sont pris en compte dans notre réflexion globale.

Enfin, je souhaite mentionner la formation des stadiers, qui est parfois insuffisante pour gérer les débordements en tribunes lors des matchs de football. Il s’agit d’un point capital sur lequel nous travaillons avec la Ligue de football professionnel.

M. le président. La parole est à M. Thomas Dossus.

M. Thomas Dossus. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je remercie le groupe Union Centriste pour l’organisation de ce débat.

Le début de la saison de Ligue 1 a été émaillé de nombreux incidents d’une extrême gravité, depuis le caillassage du bus lyonnais à Marseille, qui a mis en danger les joueurs et blessé l’entraîneur, jusqu’au drame qui a coûté la vie à un supporter nantais, le 2 décembre dernier lors d’une rixe, en passant par les actes racistes de la part des supporters lyonnais.

Huit épisodes d’une extrême violence ont ainsi mis en danger la vie de plusieurs personnes. Nul ne peut aujourd’hui minimiser la gravité de la situation.

Cela a été dit : il n’y a pas de football populaire sans supporters dans les stades.

Chaque week-end, le football surmobilise néanmoins nos forces de sécurité. Si l’approche sécuritaire est nécessaire, elle ne peut manifestement prévenir, à elle seule, la récurrence des flambées de violence à l’intérieur et à l’extérieur des stades.

Les interdictions préfectorales de déplacement, qui sanctionnent collectivement des supporters par le biais d’arrêtés pris parfois à la veille des matchs, sur la base de motifs abscons qui entraînent une multiplication des contentieux, sont souvent tout autant sources de désordre et porteuses de risques pour les supporters eux-mêmes.

Si l’on veut sortir de cette impasse, la solution à moyen terme ne peut résider que dans le renforcement du dialogue entre les clubs, les supporters et les autorités publiques. Développer la confiance renforcera la responsabilité de chacun.

Le 18 décembre dernier, madame la ministre, vous avez réuni l’Instance nationale du supportérisme afin de la réactiver. Cette structure est utile : elle mériterait d’avoir un fonctionnement plus régulier.

Toutefois, puisque nous sommes ici au Sénat, dans la chambre des territoires, nous pensons qu’il pourrait être judicieux de décliner ce type d’instance de dialogue au niveau local.

Envisagez-vous, madame la ministre, dans le plan d’action dont vous nous avez donné les très grands traits de renforcer les espaces de dialogue locaux, qui associent les préfets, les collectivités, les clubs et les associations de supporters pour anticiper et préparer, en amont de la saison, les matchs à risques, au plus près des territoires concernés.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre de léducation nationale, de la jeunesse, des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques. Monsieur le sénateur Dossus, l’idéal serait en effet que les déplacements de supporters puissent avoir lieu le plus souvent possible et que nous n’ayons plus besoin d’avoir recours à des mesures d’interdiction : celles-ci sont, au fond, la défaite du supportérisme et du sport. Elles ne doivent être utilisées qu’en dernière hypothèse, mais elles sont parfois indispensables.

En lien avec la DNLH, sous son autorité, nous travaillons ainsi à identifier les rencontres qui nécessitent ces mesures d’interdiction, parfois pour des causes structurelles – l’existence de rivalités particulièrement fortes, de conflits ancrés et enkystés entre des groupes, ou la présence identifiée d’individus particulièrement violents –, parfois pour des raisons plus conjoncturelles, liées au contexte à un moment donné, qui sont plus complexes parfois à anticiper.

En Ligue 1, la moitié des rencontres ont été classées à risques par la DNLH depuis le début de la saison, et on observe, comme je l’indiquais dans mon propos liminaire, une hausse des violences, en dépit souvent des mesures d’encadrement qui avaient été prises, de préférence aux interdictions.

Comme vous, monsieur le sénateur, j’appelle de mes vœux la mise en place d’une démarche d’anticipation collective, collégiale. Celle-ci a pour lieu naturel les préfectures. Il faut que nous anticipions. Ce dialogue est très attendu par les référents supporters et par les associations de supporters. Il est important que la période de moratoire que nous avons connue en décembre ne nous empêche pas de reprendre vite la voie du dialogue, de la coconstruction. Nous devons veiller avec la plus grande fermeté et la plus grande exigence au respect des mesures d’encadrement, lorsque ce sont ces dernières, et non des mesures d’interdiction, qui ont été édictées.

M. le président. La parole est à M. Gérard Lahellec.

M. Gérard Lahellec. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, bien subtil est l’exercice qui consiste à concilier l’attractivité populaire du football et le besoin légitime de sécurité.

Des violences s’exercent, comme cela a été dit, à la fois dans les stades et dans leurs alentours, dans le football professionnel comme dans le football amateur.

Face à ces violences, nous pourrions être tentés de légiférer de nouveau, pour renforcer une énième fois les sanctions à l’égard des clubs. Mais si nous alourdissons les contraintes, nous prenons le risque d’altérer la discipline. Nous devons au contraire permettre aux clubs d’exercer pleinement leurs missions.

Nous pourrions aussi être tentés par le modèle anglo-saxon, dont on connaît les travers : celui-ci consiste à faire évoluer la sociologie des supporters, en jouant, par exemple, sur le prix des places. Or le football doit demeurer populaire.

Ayant moi-même le privilège de côtoyer le Kop rouge des supporters de l’En Avant de Guingamp, je puis vous assurer que cette association populaire n’est pas étrangère à la qualité réputée du public, qui fait que nous disposons d’un stade de plus de 17 000 places dans une ville de 7 800 habitants ! Il s’agit d’un petit club, me direz-vous, mais il a tout de même remporté deux fois la Coupe de France ! Le Kop rouge est « l’âme du stade » ; il entretient une relation fusionnelle avec l’équipe… Il convient donc, à mes yeux, d’encourager cette culture.

C’est pourquoi nous souhaitons favoriser l’ouverture des fédérations sportives aux associations de supporters, lesquelles jouent un rôle stabilisateur fondamental, y compris du point de vue de la sérénité et de la sécurité.

Madame la ministre, pouvez-vous nous assurer que les dispositions visant à lutter contre les violences seront mises en œuvre avec le souci de préserver le caractère populaire du football français ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre de léducation nationale, de la jeunesse, des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques. Monsieur le sénateur, Lahellec, je suis, comme vous, attachée à un football populaire, car c’est cette dimension qui constitue sa force fédératrice, capable de rassembler une ville, un territoire, voire tout un pays derrière une équipe, autour des valeurs de solidarité et de respect.

Le football doit être un exemple pour tous, notamment pour notre jeunesse, pour les 2,2 millions de licenciés qui pratiquent le football dans notre pays, dans 13 000 clubs amateurs, ou pour les dizaines de milliers de spectateurs qui animent chaque semaine les tribunes.

C’est pourquoi je suis optimiste : je pense résolument qu’il y a un chemin pour conjuguer une ambiance totale dans nos stades et un public nombreux, jeune, familial, populaire, avec des enfants. Notre but est qu’un papa ou une maman n’ait plus de réticence, parfois de peur, à emmener son enfant au stade, où qu’il se trouve dans notre beau pays.

M. le président. La parole est à M. Ahmed Laouedj.

M. Ahmed Laouedj. Madame la ministre, la violence dans le sport est présente à tous les niveaux et peut entraîner des conséquences dévastatrices pour les personnes qui en sont victimes.

Elle peut prendre différentes formes : des insultes et des menaces verbales aux agressions physiques, en passant par le harcèlement et l’intimidation.

Elle peut venir des spectateurs, des coéquipiers, des entraîneurs, des officiels. Elle peut se produire sur le terrain, dans les vestiaires ou en dehors du stade.

Chaque jour, le sport est dénaturé par la violence. Le milieu du football est particulièrement touché par ce phénomène.

Le 29 octobre dernier, les joueurs lyonnais subissaient une violente attaque des supporters marseillais. Un groupe de supporters lyonnais a répondu par des actes racistes à l’encontre des joueurs marseillais : imitations de singes et saluts nazis ont ainsi été aperçus dans les gradins.

Cette réaction est révélatrice d’un autre phénomène qui semble s’intensifier dans les stades ces dernières années : la montée du racisme. En avril dernier, le club des Girondins de Bordeaux dénonçait des attaques à caractère raciste contre son défenseur Malcom Bokele lors d’une rencontre contre le Sporting Club de Bastia.

Ces actes ne sont pas réservés au milieu du football. L’importante médiatisation de ce sport place ces agissements au cœur de l’actualité, mais ils ne sont pas propres à ce milieu.

Madame la ministre, plusieurs mesures ont été prises ces dernières années pour lutter contre les violences dans le sport et endiguer le racisme dans les stades, mais elles restent insuffisantes. Certains experts considèrent qu’il ne faut pas sous-estimer ces comportements et que des sanctions plus fortes doivent être prises. Que comptez-vous faire concrètement pour accentuer la lutte contre les violences dans le milieu sportif ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre de léducation nationale, de la jeunesse, des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques. Monsieur le sénateur Laouedj, vous avez totalement raison, il n’y a aucune place dans le sport, comme d’ailleurs dans le reste de notre société, pour la violence, le racisme, la haine ou les discriminations !

Dans le football comme dans les autres disciplines, cela doit être la tolérance zéro !

Face au racisme, notre plan d’action est ferme.

Il faut d’abord agir dans le champ de la prévention, par la formation de tous les acteurs, à commencer par celle des éducateurs sportifs, qu’ils soient professionnels ou bénévoles. C’est pour cette raison que j’ai souhaité que 100 % d’entre eux soient spécifiquement formés sur le sujet de la lutte contre les discriminations et le racisme, et nous avons commencé dès la fin de l’année 2023 à mettre en œuvre les premiers modules de formation obligatoire.

Il convient aussi que les sanctions individuelles soient fermes, qu’elles soient disciplinaires, sous l’égide de la Ligue de football professionnel et de la Fédération française de football – ces dernières sont, je le sais, investies sur ces sujets –, ou pénales : l’implication des clubs doit être totale pour identifier chaque auteur de tels propos et engager les poursuites nécessaires.

J’ai d’ailleurs souhaité inscrire dans la loi du 19 mai 2023 le caractère obligatoire de la peine complémentaire d’interdiction judiciaire de stade (IJS) pour tous les agissements racistes, discriminatoires ou homophobes. Cela fut fait grâce à vous, mesdames, messieurs les sénateurs.

En ce qui concerne les saluts nazis et les cris racistes du 29 octobre dernier, le parquet de Marseille a requis trois mois de prison ferme et trois ans d’interdiction de stade à l’encontre des deux prétendus supporters de l’Olympique lyonnais. Les auteurs de tels actes doivent être durablement éloignés de nos stades.

Soyez sûr, monsieur le sénateur, que le garde des sceaux et moi-même sommes totalement mobilisés pour apporter une réponse pénale ferme, et pour procéder, en amont, à une démarche, indispensable, de sensibilisation, aux côtés des instances sportives, afin de mettre fin au racisme, à l’antisémitisme, mais aussi aux actes anti-LGBT+, dans tous nos stades.

M. le président. La parole est à M. Didier Rambaud.

M. Didier Rambaud. Madame la ministre, si le sport permet de transmettre des valeurs, reconnaissons que, en matière de respect, il reste encore fort à faire dans le football. Depuis plusieurs mois, nous constatons en France, comme chez nos voisins européens, une multiplication et une aggravation des actes violents lors de rencontres, dans les stades ou à leurs abords.

À l’ère des réseaux sociaux, on pourrait se dire que la violence dans le football est plus facilement visible de tous. Celle-ci n’est pas nouvelle, certes. Toutefois, les données dont nous disposons montrent qu’elle connaît une recrudescence.

La division nationale de la lutte contre le hooliganisme observe ce phénomène et produit régulièrement des rapports sur les débordements et les interpellations lors des rencontres de Ligue 1 et de Ligue 2.

Ses dernières études montrent que la tendance est alarmante. Lors de l’exercice 2022-2023, le nombre d’interpellations a ainsi augmenté globalement de 15 %, toutes infractions et toutes compétitions confondues. Certaines interpellations sont liées à des faits de pyrotechnie, mais il convient d’évoquer aussi des épisodes de violences particulièrement graves : je pense notamment à l’attaque du bus de l’Olympique lyonnais ou encore à la mort récente d’un supporter nantais, qui ont déjà été évoquées.

Ces violences constituent une véritable gangrène pour le sport professionnel. Malheureusement, elles touchent aussi le football amateur, y compris dans les zones rurales et dans les petits clubs. Là encore, les exemples récents sont nombreux : agression d’un éducateur d’enfants de la catégorie U9 du club de Linas-Montlhéry, cris de singe pendant un match à Vierzon, agression de jeunes du club de Montrésor et dégradation de leur minibus, etc.

Si les causes de ces violences peuvent être d’ordre sociologique ou organisationnel, toujours est-il que nous devons agir collectivement pour que le football de demain soit synonyme de respect de l’adversaire et de l’autre en général.

Le 18 décembre dernier, vous avez présidé, madame la ministre, la douzième séance plénière de l’Instance nationale du supportérisme – une instance que vous avez relancée en 2022, en lui donnant un nouveau souffle. Quelles sont les perspectives de travail de cette instance dans la lutte contre les violences associées au football ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre de léducation nationale, de la jeunesse, des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques. Je vous remercie, monsieur le sénateur Rambaud, pour votre ambition en la matière.

Comme je l’ai indiqué rapidement dans mon propos liminaire, l’INS avait été créée par la loi Larrivé du 10 mai 2016. Elle s’était par la suite un petit peu repliée, voire délitée, fonctionnant au ralenti. Nous l’avons relancée, vous l’avez dit, en menant un certain nombre de travaux ; je pense notamment à l’encadrement de la pyrotechnie à titre expérimental, à la mise en place de policiers référents auprès des supporters visiteurs, ou encore à l’expérimentation des tribunes debout.

Le 18 décembre dernier, nous avons préparé l’initiative globale, collective, que j’évoquais précédemment, et que nous annoncerons dans les toutes prochaines semaines : nous voulons améliorer la préparation des déplacements de supporters, progresser dans l’individualisation des sanctions, en utilisant notamment l’arsenal de mesures que nous fournit la loi du 19 mai 2023 en matière de systématisation des IJS. Il s’agit par exemple de travailler sur la durée effective de ces interdictions. La loi nous permet aujourd’hui de prononcer des interdictions pour une durée pouvant aller jusqu’à cinq ans, mais fréquemment nous n’allons que jusqu’à deux ou trois années, alors qu’il est possible d’aller jusqu’à huit ans en Allemagne, et jusqu’à dix ans au Royaume-Uni.

Parallèlement, nous souhaitons continuer à faire le meilleur usage possible des interdictions administratives de stade, qui ont l’avantage de pouvoir être prises rapidement, mais dont nous avons aussi voulu, dans un esprit de justice, d’efficacité et d’équilibre, améliorer certaines modalités, notamment en matière de pointage et d’articulation avec les IJS.

Il nous reste quelques axes de travail. Ils concernent notamment le rôle du policier référent auprès des supporters visiteurs, dont la création semble très prometteuse, ou la manière de faire pleinement usage des possibilités que nous offrent les textes existants.

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Lozach.

M. Jean-Jacques Lozach. Les exactions commises ces dernières années, dans le football professionnel comme amateur, qu’elles soient spontanées ou préméditées – actes de vandalisme, affrontements entre supporters rivaux, outrages aux forces de l’ordre, injures à caractère raciste, propos discriminatoires, banderoles outrancières, jets de projectiles… – ne constituent en rien des moyens d’action et d’expression acceptables.

Ces actes, dont le nombre est en recrudescence, doivent être fermement combattus, afin de laisser place à un environnement footballistique serein et à des tribunes pacifiées.

La doctrine qui est prônée depuis près de quarante ans n’est que partiellement dissuasive. Celle-ci est fondée essentiellement sur la répression et la restriction des libertés pour répondre aux comportements les plus graves ; elle est articulée autour du « principe de précaution », de la « tolérance zéro » et de l’« éradication de la violence ». Nos politiques publiques et sportives doivent évoluer.

L’approche partenariale, le dialogue collaboratif et constructif engagés depuis 2016 au sein de l’Instance nationale du supportérisme doivent s’intensifier. Il faut rompre avec la logique des mobilisations ponctuelles en réaction à des incidents graves et offrir un cadre propice à un travail de fond plus régulier.

Les supporters deviennent des interlocuteurs et des acteurs incontournables du football. Il faut que leur engagement dans la vie des clubs soit mieux reconnu, que leur rôle soit institutionnalisé, et qu’une place plus grande leur soit accordée dans la gouvernance de ces structures.

Pourquoi, par exemple, ne pas revaloriser le statut des référents supporters ? Ces derniers pourraient siéger au conseil d’administration des clubs. En contrepartie, la puissance publique est en droit d’exiger de certains mouvements ultras qu’ils se dépouillent de leur radicalité et cessent d’assumer certaines formes de violences.

Madame la ministre, les actions de prévention sociale et pédagogique, combinées avec le volet répressif, sont-elles suffisamment mises en œuvre ?

Notre corpus législatif relatif à la sécurité des manifestations sportives doit-il être assoupli ?

En ce qui concerne les supporters déviants, les mesures éducatives et individuelles de réparation ou les travaux d’intérêt collectif constituent-ils des peines de substitution efficaces à l’interdiction administrative de stade ou aux sanctions pénales ?

Enfin, dans quelle mesure pourrions-nous clarifier le rôle des associations de supporters, ainsi que leurs relations avec les clubs, les instances du football et les collectivités territoriales ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre de léducation nationale, de la jeunesse, des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques. Monsieur le sénateur Lozach, je crois que vous avez apporté toutes les réponses dans votre question ! (Sourires.)

Vous exprimez exactement l’esprit du plan d’action, de l’initiative globale que nous sommes en train de formaliser. Il s’agit au fond de faire émerger une sorte de réponse à la française pour éradiquer ces violences. Celle-ci ne sera pas celle des Grecs, ni celle des Turcs, ni celle des Anglais, même si nous avons beaucoup à apprendre d’eux – nous nous rendrons d’ailleurs en Grande-Bretagne, comme le garde des sceaux l’avait proposé, pour y puiser un certain nombre d’enseignements, comme c’est souvent utile en ce qui concerne le sport.

En tout cas, monsieur le sénateur, je vous remercie pour tous les éléments que vous avez bien ordonnés, et je fais mien le plan d’action que vous proposez.

M. le président. La parole est à M. François Bonhomme.

M. François Bonhomme. Madame la ministre, la DNLH, qui est placée sous la tutelle du ministère de l’intérieur, a constaté que le nombre d’interpellations avait augmenté de 15 % durant la saison 2022-2023 des championnats de Ligue 1 et de Ligue 2. On assiste donc à une multiplication des actes violents, aussi bien dans les stades qu’à l’extérieur de ceux-ci.

Les pouvoirs publics et les organisateurs rencontrent des difficultés à répondre à ces violences protéiformes : affrontements à l’extérieur des enceintes sportives, avant ou après des matchs, slogans racistes ou homophobes, attaques de bus, etc.

Parmi les infractions ayant donné lieu au plus grand nombre d’interpellations figure l’utilisation de matériels pyrotechniques, tels que les pétards, les mortiers et les fumigènes, à laquelle sont confrontées nos forces de l’ordre lors des violences urbaines. Ces engins, qui sont pourtant interdits, constituent un réel danger pour l’ensemble du public présent dans les stades et à l’extérieur. Des joueurs ont aussi été visés durant certains matchs.

Certes, les sanctions peuvent être importantes pour le club organisateur – matchs à rejouer à huis clos, pertes immédiates ou avec sursis de points –, mais ne serait-il pas opportun de renforcer les sanctions contre les individus qui se livrent à de tels actes ?

En outre, il est effarant de constater que des pétards de stade peuvent être commandés sur internet en quelques clics, alors qu’il est précisé sur ces mêmes sites que leur usage est interdit dans les stades et sur la voie publique !

Madame la ministre, ne faudrait-il pas interdire la commercialisation de tels engins sur le Net ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre de léducation nationale, de la jeunesse, des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques. Monsieur le sénateur, vous abordez un sujet qui est pour moi très important.

Nous avons en effet veillé, dans les décrets que nous avons pris en application de la loi du 2 mars 2022 visant à démocratiser le sport en France, à créer un régime expérimental d’autorisation, sous certaines conditions et selon certaines modalités, de l’utilisation de la pyrotechnie.

Or, et je m’en suis un peu offusquée auprès des acteurs concernés lors de nos discussions à l’INS, on se rend compte que ces dispositifs légaux ne sont en réalité souvent pas utilisés et qu’ils sont même contournés. On observe en effet une légère augmentation de l’usage illégal de la pyrotechnie.

J’ai donc interpellé les membres de l’INS à ce sujet : à quoi bon travailler ensemble, en effet, si, alors que mon ministère se bat pour faire évoluer les textes dans le sens de leur vision du supportérisme, afin de permettre l’usage de la pyrotechnie, les nouvelles possibilités qu’ils offrent sont contournées par des pratiques illégales ! Je leur ai donc demandé d’avancer avec nous.

M. le président. La parole est à M. François Bonhomme, pour la réplique.

M. François Bonhomme. Je ne suis pas sûr que leur demander simplement « d’avancer avec vous » suffise à les convaincre de le faire !

En outre, madame la ministre, combien y a-t-il eu de condamnations pour violences dans les stades et à proximité de ces derniers ? Il est légitime de se poser la question. La Belgique, par exemple, qui a été confrontée au même problème, a pris des mesures très fortes pour alourdir son arsenal législatif contre les supporters artificiers.

On ne peut pas non plus se contenter de simples lamentations ou, parfois, de pleurnicheries. Il faut prendre des mesures un peu plus coercitives pour mettre un terme à ces dérives qui se reproduisent tous les week-ends dans les stades de France.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre. Les interpellations pour usage illicite d’engins pyrotechniques ont augmenté de 15 %, monsieur le sénateur.

Le nombre d’interdictions administratives de stade est passé de 63 à 148. Le nombre d’interdictions judiciaires de stade s’est légèrement réduit, passant de 226 à 215.

Mais la statistique importante, que je ne peux pas vous donner aujourd’hui, est celle des interdictions commerciales de stade. J’espère qu’elles se développeront : ce serait le signe que les clubs eux-mêmes prennent toute la mesure de la nécessité d’éloigner de nos terrains les supporters qui ne respectent pas les règles.

M. le président. La parole est à M. Pierre-Antoine Levi.

M. Pierre-Antoine Levi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comme je l’ai évoqué dans mon propos introductif, je souhaiterais, au regard des récents événements tragiques qui ont ébranlé le monde du football, aborder la question de l’efficacité des mesures mises en place pour endiguer les violences.

Je fais référence notamment à l’interdiction de déplacement des supporters, une mesure qui est largement débattue et qui est appliquée dans des circonstances variées. Toutefois, malgré son adoption de manière répétée, force est de constater que les incidents violents, aussi bien à l’intérieur des stades que dans leurs alentours, continuent de se produire avec une régularité alarmante.

Dans ce contexte, madame la ministre, j’aimerais connaître votre position sur l’efficacité réelle de ces interdictions. Pensez-vous qu’elles constituent une solution durable et efficace pour réduire la violence, ou ne sont-elles qu’un pansement temporaire sur une plaie plus profonde ?

En outre, j’aimerais attirer votre attention sur une proposition récente du président du Stade Lavallois,…

M. Stéphane Piednoir. Excellent club !

M. Pierre-Antoine Levi. … Laurent Lairy, qui suggère de mettre fin aux « parcages » des supporters visiteurs.

Selon lui, ces espaces réservés aux supporters visiteurs ne font qu’exacerber les tensions et contribuent à l’escalade de la violence. Il préconise plutôt de disperser les supporters dans les stades pour atténuer cette excitabilité collective.

Cette proposition soulève plusieurs questions importantes. Tout d’abord, comment évaluez-vous l’impact potentiel d’une telle mesure sur la réduction de la violence dans les stades de football ?

Est-il envisageable de repenser l’organisation des espaces dans nos stades pour favoriser une meilleure cohabitation entre les supporters des équipes rivales ?

Enfin, quelle pourrait être la position du ministère des sports sur cette proposition novatrice ?

Ces questions sont cruciales, madame la ministre. L’enjeu est, je l’espère, de trouver des solutions plus efficaces et durables pour garantir la sécurité et l’intégrité de tous les participants aux événements sportifs.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre de léducation nationale, de la jeunesse, des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques. Monsieur le sénateur Levi, nous avons connu, vous en souvenez, durant les derniers mois de 2023, dans un court laps de temps, un enchaînement d’incidents particulièrement graves : il a déjà été question du match entre l’Olympique lyonnais et l’Olympique de Marseille, mais je pourrais aussi citer celui entre Montpellier et Brest, où un bus a été caillassé, ou encore ce tragique Nantes-Nice.

Il fallait donc absolument taper du poing sur la table et envoyer un signal très fort de notre détermination à faire en sorte que cette situation ne se prolonge pas. Nous avons ainsi décidé de durcir les interdictions de déplacement de supporters, et de les prononcer de manière plus récurrente. Ces mesures relèvent de la compétence du ministère de l’intérieur.

Globalement, dans le cadre du moratoire à visée temporaire, nous avons été conduits, pour les matchs les plus à risques, durant trois journées de championnat, à prendre des mesures d’interdiction de déplacement de supporters pour moins de 50 % des matchs de Ligue 1, pour un match de Ligue 2, pour trois matchs sur quarante-six de la Coupe de France, et pour un match européen, le Lens-Séville.

Certes, notre décision n’a pas été entièrement validée par le juge, mais, je le dis sans ambages, je préfère la casse juridique à la casse humaine !

Finalement, l’objectif qui était visé a été atteint. Le signal que j’évoquais dans mon propos liminaire a été perçu : le dialogue a été renoué, les positions ont commencé à bouger de nouveau, et nous avons la volonté de mettre en place l’initiative globale dont je vous parlais et que nous dévoilerons très bientôt.

Le moratoire a pris fin avec la trêve hivernale. Nous ne souhaitons pas prolonger cette fermeture des parcages, sauf dans le cas des matchs qui sont, selon la DNLH, particulièrement à risques.

M. le président. La parole est à M. Pierre-Antoine Levi, pour la réplique.

M. Pierre-Antoine Levi. Madame la ministre, vous n’avez pas répondu sur la proposition du président du Stade Lavallois, qui préconise de supprimer les parcages des supporters visiteurs. Qu’en pensez-vous ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre. Le problème, c’est que les supporters aiment bien être ensemble…

Une voix à droite. Surtout les Marseillais et les Parisiens !

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre. J’aimerais que cela soit vrai et que l’on ne voie plus se reproduire le quart d’heure d’horreurs qui avait eu lieu au Parc des Princes…

Je vous promets, monsieur le sénateur, que nous mettrons cette proposition à l’étude. Elle ne figure pas à l’heure actuelle dans le plan d’action, mais je pense qu’elle mérite qu’on en parle. Les membres de mon cabinet en discuteront avec l’Association nationale des supporters, et je reviendrai ensuite vers vous.

M. le président. La parole est à Mme Laurence Harribey, qui sera la première femme à intervenir dans ce débat. (Sourires.)

Mme Laurence Harribey. Je vous remercie de le souligner, monsieur le président !

Madame la ministre, après la mort, le 2 décembre dernier, d’un supporter nantais, vous avez parlé d’un « électrochoc », estimant que celle-ci devait constituer un coup d’arrêt. Vous l’avez très bien dit lors de la séance plénière du 18 décembre dernier de l’INS, où je représente le Sénat. Je peux témoigner de la gravité des propos et de l’esprit de responsabilité qui a prévalu de la part de tous les acteurs.

Vous avez multiplié les arrêtés d’interdiction de déplacement, mais ceux-ci ont souvent été pris au dernier moment, ce qui a empêché quelquefois les associations de supporters et les clubs de s’organiser.

Le Conseil d’État, comme vous venez de le reconnaître avec honnêteté, a désavoué cette approche punitive collective. Celle-ci ne risque-t-elle pas, en effet, de fragiliser l’ensemble du système et de mettre en difficulté les acteurs qui essaient de faire en sorte de responsabiliser les supporters ?

Une approche individuelle, assortie de sanctions individuelles, ne serait-elle pas plus appropriée ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre de léducation nationale, de la jeunesse, des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques. Madame la sénatrice Harribey, je veux d’abord vous remercier pour votre implication précieuse dans les travaux de l’INS. Vous avez tout à fait raison de souligner combien l’anticipation est un enjeu majeur.

On a quelque peu progressé dans la manière dont ces moratoires se déroulent. Je pense notamment à la première interdiction de déplacement prononcée en 2024 : le décret a été pris le mardi 9 janvier pour le match Brest-Montpellier du dimanche 14 janvier suivant.

Cependant, il est bien vrai que rien ne vaut la capacité à analyser en amont les facteurs de risque et la détermination à les traiter avant d’interdire les déplacements. Ces mesures d’interdiction doivent néanmoins demeurer dans notre panoplie : il faut n’y recourir qu’en toute dernière hypothèse, privilégier le dialogue, la coconstruction et les mesures d’encadrement – celles-ci doivent être parfaitement respectées, à la lettre –, mais il est nécessaire de conserver l’interdiction de déplacement dans notre arsenal.

Le travail que nous allons mener avec la DNLH, qui est plus que jamais engagée à nos côtés sur ces enjeux, nous permettra à mon sens de bien réguler les choses à l’avenir. De la même manière, une implication plus forte des directeurs de la sûreté et de la sécurité des clubs sportifs dans le dialogue mené, en préfecture, avec les référents supporters doit permettre de construire des solutions anticipées, beaucoup plus partagées et plus collectives, qui sont en effet une alternative préférable aux interdictions de déplacement.

Enfin, je conviens avec vous de la nécessité d’individualiser le plus possible les sanctions ; vous savez que c’est tout à fait la philosophie que je porte, au cœur de l’INS, avec la LFP.

M. le président. La parole est à Mme Laurence Harribey, pour la réplique.

Mme Laurence Harribey. Merci pour cette réponse, madame la ministre : il faut vraiment que les interdictions deviennent l’exception plutôt que d’être systématiques.

L’enjeu du supportérisme est si important pour notre groupe que nous nous proposons d’organiser un colloque au mois de mars sur ces questions ; ce sera l’occasion de proposer un certain nombre de solutions, comme le renforcement du rôle des groupes de supporters, l’organisation des déplacements de ces derniers en train, à l’instar de l’expérience allemande, ou encore – vous avez évoqué cette piste dans votre réponse à mon collègue Ahmed Laouedj – accélérer le temps disciplinaire pour que les clubs puissent généraliser les interdictions commerciales, qui permettent de résoudre un certain nombre de problèmes.

En tout cas, nous serons à vos côtés pour progresser dans ce domaine.

M. le président. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet.

M. Jean-Raymond Hugonet. Madame la ministre, avec 4 milliards de fans dans le monde, dont 12 millions dans notre pays, le football est, de très loin, le sport le plus populaire en France et sur le globe.

Un stade de football de 15 000 à 80 000 places est un échantillon extrêmement représentatif de notre société ; il n’y a donc rien d’étonnant à ce que le football souffre des mêmes maux que celle-ci. Or, depuis longtemps déjà, à l’instar de notre vie quotidienne, les gouvernants, qu’ils soient politiques ou sportifs, sont incapables d’enrayer ces maux, que ce soit par lâcheté, par idéologie ou, tout simplement, par incompétence.

Pourtant, ce ne sont pas les rapports administratifs, diagnostics techniques et autres analyses sociologiques pertinentes qui manquent dans notre pays. Au contraire, ils foisonnent ! Ce qui manque, c’est une vision, du courage et une volonté à la hauteur des enjeux !

Aussi, plutôt que d’essayer d’attirer honteusement le siège de la Fédération internationale de football association (Fifa) à Paris à coups d’exonérations fiscales scandaleuses, plutôt que d’accuser les supporters de Liverpool au lendemain du fiasco de l’organisation de la finale de la Ligue des champions au Stade de France,…

M. François Bonhomme. Merci Gérald !

M. Jean-Raymond Hugonet. … il est selon moi urgent de méditer ce que disait déjà, avec justesse, Albert Camus en 1957, alors qu’on lui remettait le prix Nobel de littérature : « Ce que je sais de la morale, c’est au football que je le dois. »

Si le football est aujourd’hui à l’image d’une société qui véhicule des valeurs d’individualisme et de course à l’argent facile, il reste intimement lié aux valeurs collectives et demeure un puissant vecteur intergénérationnel de nos valeurs fondamentales.

Ce n’est pas pour rien que Bill Shankly, manager emblématique du Liverpool FC, disait : « Le football, ce n’est pas une question de vie ou de mort, c’est bien plus important que cela. » Le football est une alchimie humaine qui peut produire un ciment extrêmement solide, mais aussi devenir une très puissante dynamite.

Alors, madame la ministre, qu’entendez-vous faire concrètement pour manier la truelle et écarter le détonateur ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre de léducation nationale, de la jeunesse, des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques. Merci pour cette interpellation constructive, monsieur le sénateur Hugonet. Je partage beaucoup des remarques que vous avez faites, bien sûr, notamment quant aux challenges que nous devons selon vous relever. Je pense que nous avons pu, que ce soit par mes réponses précédentes ou dans nos différentes allocutions, exposer la panoplie des leviers au moyen desquels nous agissons aujourd’hui et que nous sommes en train d’assembler dans cette initiative globale.

Mais je veux rebondir sur une dimension qui me paraît capitale : l’exemplarité, à laquelle vous avez appelé en invoquant les valeurs éducatives et citoyennes.

N’oublions pas que le football, c’est 2,2 millions de licenciés et plus de 13 000 clubs, partout en France. Le sport, mais plus particulièrement le football, est le troisième lieu d’éducation dans notre pays, après la famille et l’école. D’où cet enjeu d’exemplarité, d’où le caractère impératif de ne rien lâcher sur la violence dans le football, professionnel comme amateur, a fortiori si l’on veut s’inscrire dans une dynamique d’éducation et de citoyenneté. Les récents événements violents au cœur du football amateur doivent donc absolument nous faire réagir fermement ; je l’évoquais encore récemment avec le président de la ligue de Paris Île-de-France de football.

M. le président. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet, pour la réplique.

Vous avez cinq secondes pour marquer un but, mon cher collègue… (Sourires.)

M. Jean-Raymond Hugonet. C’est plus qu’il n’en faut, monsieur le président, même si je suis plutôt défenseur ! (Nouveaux sourires.)

Je bois vos paroles, madame la ministre, car le football est beaucoup plus important dans notre pays qu’on ne le croit : il est un symbole pour notre société. Je me tiens donc à votre disposition pour y travailler.

M. le président. La parole est à M. Adel Ziane.

M. Adel Ziane. Nous sommes réunis ce soir en amoureux du football, sport que certains d’entre nous ont pratiqué ; pour ma part, j’étais plutôt milieu offensif, monsieur le président !

Madame la ministre, la violence dans le monde du football n’est ni une fatalité ni un phénomène récent. Ceux qui connaissent le football savent qu’il s’agit d’une problématique récurrente, parce que ces jeux du cirque modernes peuvent être un lieu d’expression des tensions et, parfois, des haines qui traversent notre société.

Il a déjà été rappelé ce soir que d’autres nations ont été confrontées à des violences similaires, voire plus graves encore. L’Angleterre a dû faire face dans les années 1970 et 1980 à une montée de violence autour des rencontres de football ; je ne reviendrai pas sur les drames qui ont causé de nombreux morts dans plusieurs stades et qui ont mis les clubs anglais au ban des compétitions européennes pendant un certain nombre d’années.

On pourrait en revanche s’inspirer de certaines actions entreprises en Angleterre, qui a pris ce sujet à bras-le-corps, avec des approches très spécifiques : je pense notamment aux interdictions individuelles d’accès aux stades et aux places assises dans les tribunes. Vous avez évoqué un prochain déplacement dans ce pays, madame la ministre. Mais je voudrais aussi rappeler une des approches retenues par les Anglais à l’époque : des prix prohibitifs, qui avaient cassé ce football populaire, ce qui aboutit aujourd’hui à une forme de gentrification des stades anglais.

La France a besoin de trouver son cheminement, par une politique cohérente. De nombreux collègues ont souligné que les punitions collectives, les interdictions de déplacement décrétées la veille pour le lendemain, ou encore la fermeture de tribunes pour des rencontres télévisées nuisaient au spectacle dans les tribunes. Il me semble que les supporters jouent un rôle prépondérant et constituent une part essentielle du patrimoine des clubs, dont ils sont un atout spécifique et inestimable.

Dans ce contexte, on ne saurait déconnecter les violences constatées dans le football professionnel de celles qui frappent le football amateur, qui joue un rôle important dans la consolidation du lien social au sein de nos populations. Les agressions verbales comme physiques et les atteintes aux biens sont nombreuses. Les clubs amateurs sont dépassés par des violences auxquelles les clubs professionnels ont les moyens financiers de répondre.

Madame la ministre, ma question est donc très simple : comment pouvons-nous enrayer cette spirale de violence dans le monde du football amateur et restaurer le caractère amical et fair-play de celui-ci ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre de léducation nationale, de la jeunesse, des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques. Monsieur le sénateur Ziane, merci beaucoup pour la richesse de votre question.

À mon sens, un élément de réponse se trouve dans les éducateurs, les parents et la prise de distance entre ces deux groupes : les uns ne doivent pas se mettre à la place des autres. Quand on est un éducateur, on ne doit pas avoir une emprise totale sur un enfant ; quand on est un parent, on ne doit pas s’improviser coach sportif, à moins d’en avoir réellement l’expertise et l’expérience.

Il me semble crucial de maintenir cette distinction claire des rôles et des responsabilités, mais aussi de rappeler à nos jeunes qu’il y a des étapes, que pour devenir un champion il faut d’abord se construire. En essayant de brûler les étapes, on cède parfois à l’agressivité, à l’envie et à la jalousie, mauvais accélérateurs de très court terme qui jamais ne permettent de prospérer, qui jamais n’emmènent au but. Les plus grands champions sont des cœurs nobles, des personnes très éduquées, fortifiées par leur environnement, par un entourage qui a su donner du temps au temps et prendre soin d’eux, par-dessus tout.

M. le président. La parole est à M. Didier Mandelli.

M. Didier Mandelli. Madame la ministre, ma question porte sur la responsabilité disciplinaire des clubs de football dans l’organisation des rencontres sportives.

En application des règlements généraux de la Fédération française de football et du règlement administratif de la Ligue de football professionnel, le club organisateur et le club invité sont soumis à une même obligation de résultat en matière de sécurité et de bon déroulement des rencontres. Qu’ils soient invités ou organisateurs, les clubs sont ainsi responsables des actions de leurs supporters. Le moindre incident engage, par principe et automatiquement, la responsabilité disciplinaire du club, peu importe les mesures mises en œuvre.

Cette obligation de résultat est intenable pour les clubs. Qui est capable de prévenir l’acte d’une personne isolée, a fortiori en matière de propos injurieux ?

Certes, dans son avis du 29 octobre 2007, le Conseil d’État a bien exigé que les mesures mises en œuvre et les démarches entreprises par le club soient prises en compte dans le choix de la sanction infligée.

Mais, en pratique, les sanctions sont lourdes, sans cohérence et difficilement contestables par des clubs dépendants de la Fédération et de la Ligue.

À l’évidence, cette obligation de résultat dédouane, de façon injustifiée, ces dernières de toute responsabilité dans l’accompagnement des clubs en matière de sécurité.

Il est essentiel d’adapter la sanction à la gravité des manquements et non pas uniquement à la gravité des faits, et ainsi d’inciter les organisateurs à consentir en amont un maximum d’efforts, sachant qu’ils seront pris en compte le cas échéant.

À l’occasion de l’examen du projet de loi visant à démocratiser le sport en France, le Gouvernement s’était montré favorable à la mise en œuvre d’une obligation de moyens à l’égard des clubs. Madame la ministre, est-ce toujours votre position ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre de léducation nationale, de la jeunesse, des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques. Monsieur le sénateur Mandelli, en matière de préparation comme de gestion des rencontres, il faut absolument prévenir toutes les formes de dérives et d’incidents.

À cette fin, un rôle clair est assigné à chacun des acteurs : l’exploitant de l’enceinte doit assurer la sécurité du stade ; le club qui reçoit, compétent pour organiser la manifestation sportive, se voit pour sa part imposer, dans le cadre du règlement disciplinaire adopté par la LFP, une obligation de résultat en matière de sécurité et de bon déroulement de la rencontre.

Pour ma part, je souhaite en la matière – ce point a été très débattu au sein de l’INS – que notre objectif soit non pas de demander in abstracto un durcissement des sanctions disciplinaires de la Ligue, mais de faire en sorte que les sanctions disciplinaires soient en relation directe avec les éventuels manquements du club et non avec la gravité constatée in fine, y compris d’un point de vue médiatique, des violences qui se seraient produites.

Mme Laurence Harribey. Tout à fait !

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre. Ce que nous voulons, c’est nous donner, dans l’absolu, une obligation de moyens ; l’obligation de résultat suivra naturellement. N’exigeons pas une obligation de résultat déconnectée de l’analyse que nous ferons des manquements en matière de moyens et d’action !

Mme Laurence Harribey. Très juste !

M. le président. La parole est à M. Didier Mandelli, pour la réplique.

M. Didier Mandelli. Madame la ministre, vous avez parfaitement répondu. Pour ma part, je souhaite évidemment que l’obligation de moyens soit mise en œuvre ; l’obligation de résultat existe aujourd’hui, mais seuls certains clubs font des efforts. Il est important que la Fédération et la Ligue accompagnent ceux qui font des efforts, mais aussi et surtout ceux qui n’en font pas.

M. le président. La parole est à M. Michel Savin.

M. Michel Savin. Madame la ministre, dans notre pays, trois quarts des interdictions administratives de stade (IAS) sont annulés par les tribunaux. L’application de ces arrêtés demeure aléatoire et arbitraire. Ainsi, comme vous l’avez rappelé, nous comptons aujourd’hui en France seulement 215 interdits de stade, contre cinq à six fois plus en Angleterre ou en Allemagne. En effet, les infractions commises tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des enceintes où se déroulent des événements sportifs sont parfois jugées par des magistrats manquant de connaissances sur les véritables enjeux auxquels les clubs sportifs sont confrontés.

S’ensuit une autre difficulté. Aux termes de l’article R. 332-2 du code du sport, le préfet reçoit des tribunaux les informations relatives aux personnes condamnées, puis les communique aux fédérations sportives agréées, qui elles-mêmes doivent les transmettre sans délai aux ligues professionnelles intéressées.

Or, actuellement, une très grande majorité des clubs concernés disent ne pas recevoir ce fichier en temps et en heure. Cette absence de régularité dans la transmission de ces informations cruciales prive les clubs de la possibilité de prendre des mesures de sécurité adaptées lors des manifestations sportives.

Afin d’y parvenir, ne faudrait-il pas, d’une part, mettre en place une formation spécifique des magistrats, afin de leur permettre d’obtenir une compréhension plus approfondie des situations auxquelles les clubs sportifs sont confrontés ?

D’autre part, ne faudrait-il pas simplifier l’envoi par le préfet du fichier des interdictions de stades, en le destinant directement à la LFP, qui serait alors responsable de sa diffusion à l’ensemble des clubs professionnels ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre de léducation nationale, de la jeunesse, des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques. Monsieur le sénateur Savin, vous avez absolument raison de mettre le doigt – on ne le fait pas suffisamment – sur la manière dont, en réalité, notre système judiciaire utilise toutes les précautions, préparations et modalités nécessaires pour mieux garantir la sécurité juridique des mesures qui sont prises.

J’ai sur ce sujet des discussions avec le garde des sceaux. Vous connaissez notre attachement commun au travail que nous avons entrepris il y a plusieurs mois pour constituer et animer un réseau de magistrats référents du sport, pour créer les conditions d’une culture bien mieux partagée. Nous avons aussi la volonté de développer les visites de stades par les magistrats. Travailler à cette acculturation est absolument essentiel.

Mais les textes eux-mêmes doivent nous y aider ; le garde des sceaux y est très attentif. S’agissant par exemple des interdictions administratives de stade, nous avons fait en sorte qu’elles soient mieux proportionnées et que, en parallèle au mouvement de renforcement des interdictions judiciaires de stade (IJS), on puisse modifier le régime des IAS afin de mieux préciser les critères de motivation, qui étaient auparavant trop flous.

Nous avons notamment remplacé la notion de « comportement d’ensemble » par celle d’« agissements répétés portant atteinte à la sécurité des personnes et des biens ». De même la notion de « menace », qui n’était auparavant pas qualifiée, est désormais remplacée par la notion plus précise de « menace grave pour l’ordre public ». Ce nouveau soubassement permet de valider juridiquement les IAS qui sont prises.

Je voudrais également revenir sur la proportionnalité de ces mesures. Nous avons réduit la durée maximale de ces IAS de vingt-quatre à douze mois, sauf récidive, auquel cas la durée maximale est réduite de trente-six à vingt-quatre mois. Il faut continuer en ce sens, pour la sécurité juridique et la qualité des décisions que nous prenons. Tout cela est absolument essentiel pour la crédibilité de notre dispositif.

M. le président. La parole est à M. Michel Savin, pour la réplique.

M. Michel Savin. Madame la ministre, je crois que les présidents de clubs attendent aujourd’hui une réponse claire. Quand ils déposent des plaintes pour des comportements agressifs, à l’intérieur ou à l’extérieur des stades, il faut que les tribunaux les suivent ; autrement, les présidents de clubs se retrouveront dans la situation que subissent aujourd’hui les maires qui déposent des plaintes pour des infractions sans que les tribunaux les suivent. Cela risquerait de décourager ces présidents de club de continuer à assurer la sécurité des stades.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre. Je suis d’accord avec vous. Je veillerai à ce que le garde des sceaux adresse aux parquets une instruction en ce sens, car ce type de dispositif est absolument nécessaire pour renforcer cette réponse.

M. le président. La parole est à M. Francis Szpiner.

M. Francis Szpiner. Madame la ministre, il y aurait encore beaucoup de sujets à aborder dans ce débat, mais je pense que le plus important est celui qui concerne le football amateur. Si le football professionnel existe, c’est parce qu’il y a tout ce vivier, et les valeurs du sport commencent dans les petits clubs de football amateur.

Or je dois dire que c’est là, loin des caméras, qu’il y a le plus de violence, de propos homophobes, de non-respect, d’agressions contre les arbitres et de bagarres. De fait, parce que cela n’apparaît pas dans les médias, nous en parlons moins et nous agissons moins.

Je souhaiterais donc savoir, madame la ministre, si vous entendez, comme l’a déjà demandé un de nos collègues, que chaque club sportif amateur soit soumis à une charte, laquelle respectera les valeurs de la République et bannira le racisme et l’homophobie ; rappelons que ceux-ci ne sont pas des opinions : ce sont des délits !

Une fois cette charte signée, j’aimerais savoir quels moyens vous entendez donner aux clubs amateurs pour faire respecter la loi. Deux conceptions s’opposent : pour ma part, au vu de la travée où je siège dans cet hémicycle, je crois à la responsabilité individuelle. À mon sens, si, à un certain âge, on ne sait pas que c’est mal de pousser des cris de singe ou de faire des saluts nazis, je doute que les commissions de prévention ou autres comités soient de quelque utilité.

Il faut prendre le mal à la racine, dans le football amateur. Je voudrais donc savoir quels moyens, financiers et juridiques, vous entendez mettre à la disposition des clubs amateurs, et quelle assistance des parquets et de la police pourra leur être offerte.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre de léducation nationale, de la jeunesse, des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques. Monsieur le sénateur Szpiner, vous avez raison : l’élimination de la violence dans le football amateur est un enjeu absolument capital pour notre jeunesse. En effet, si l’on commence ainsi, l’on finit encore plus mal.

Je suis plutôt contente aujourd’hui de ressentir une vraie dynamique au cœur de la FFF pour s’emparer de cette question, tant à l’échelle nationale que dans les territoires.

Au niveau national, la FFF a présenté, le 19 octobre dernier, un plan d’engagement comportant une série de mesures concrètes : ainsi, en trois ans, 100 % des encadrants seront formés à ces questions et 75 % des licenciés y seront sensibilisés.

Surtout, le réseau des référents est renforcé dans les territoires, au niveau des ligues, des districts et des clubs, mais aussi au sein des associations de supporters.

Une sanction immédiate de toutes les dérives est en outre prévue ; il s’agira de sanctions sportives, disciplinaires, administratives et pénales. Je relève notamment la constitution systématique de partie civile de la part de la FFF en cas de procédure pénale.

Une protection systématique sera enfin apportée aux victimes, par des mesures conservatoires administratives ou disciplinaires, chaque fois que cela est nécessaire.

Par ailleurs, lors de mes échanges récents avec la ligue d’Île-de-France, j’ai pu me persuader que la démarche d’élaboration d’une charte compte parmi les initiatives que nous pouvons encourager. Cette prise de conscience, qui doit s’arrimer en même temps sur des mesures inscrites dans le dur, est absolument indispensable pour progresser culturellement et faire en sorte, par exemple, de réduire l’écart que l’on constate en la matière entre le football et le rugby, afin que notre football amateur soit rayonnant et protecteur de nos enfants.

M. le président. La parole est à M. Francis Szpiner, pour la réplique.

M. Francis Szpiner. Madame la ministre, d’une manière générale, je pense que notre pays souffre d’un déficit d’autorité : il faut rétablir l’autorité de l’État, y compris dans le domaine sportif. Quand vous pénalisez collectivement des supporters, vous faites une erreur : c’est chaque supporter qui commet une infraction qui doit être poursuivi et jugé.

M. Claude Kern. Tout à fait !

M. Francis Szpiner. Or le nombre d’interdits de stade qui est cité – à peine plus de 200 – est dérisoire par rapport aux actes constatés. N’ayez pas peur d’aller vers la répression individuelle : je vous assure que notre pays s’en porterait beaucoup mieux !

M. le président. La parole est à Mme Marie Mercier. (M. Francis Szpiner et M. Claude Kern applaudissent.)

Mme Marie Mercier. Madame la ministre, vous êtes ministre des sports, mais aussi de la jeunesse.

Au mois de septembre dernier, au stade de la Beaujoire, à Nantes, lors d’un match entre le FC Nantes et l’Olympique de Marseille, un homme de 39 ans a été agressé par des supporters nantais alors qu’il tentait de protéger son fils de 6 ans, qui portait un maillot de l’OM. Ce père de famille se serait interposé face à des supporters nantais pour protéger son petit garçon. Victime d’un infarctus, il a été placé en soins intensifs.

Quelques mois plus tôt, en juin, un jeune enfant malade, supporter de l’OM, et sa famille avaient été invités par ce club qu’il aime tant à assister à un match ; ils ont été agressés et ce qui devait être une fête pour ce petit garçon s’est transformé en cauchemar.

Malheureusement, je pourrais citer d’autres exemples encore. Loin des valeurs du sport que sont la fraternité, le partage, ou encore la solidarité, nos jeunes se retrouvent témoins et, de plus en plus souvent, victimes de comportements inadmissibles à l’occasion de manifestations sportives. Quelle image et quel exemple leur sont donnés !

Ces événements tragiques nous inquiètent particulièrement à moins de 200 jours des jeux Olympiques et Paralympiques, alors que le football est un sport olympique. Le respect et l’amitié sont au cœur de l’olympisme.

Comment le Gouvernement entend-il faire porter une parole publique forte quand nos jeunes sont les victimes collatérales d’affrontements barbares ? Ils sont éduqués dans l’idée, cruciale, que le sport, c’est l’exemplarité, le courage et la grandeur. Comment peuvent-ils le croire et en être des vecteurs ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre de léducation nationale, de la jeunesse, des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques. Madame la sénatrice Mercier, vous comprendrez que je suis particulièrement touchée par ce que vous exprimez. Je suis à vrai dire heureuse de pouvoir conclure mes réponses dans ce débat sur ces mots.

À mon sens, la place de nos enfants dans nos stades, dans le football professionnel, c’est au fond notre ambition ultime, c’est là que nous mesurerons que nous aurons réussi. Être un papa, être une maman, avoir envie d’emmener ses enfants au stade, et y vivre une ambiance familiale, voilà in fine l’objectif ! Nous avions commencé notre débat par des réflexions sur la valeur de ce championnat ; eh bien, cette ambiance, notre volonté de faire émerger dans les stades une identité à la française, c’est bien la valeur première.

Comme vous, j’ai été révoltée par ce qui s’est passé à Ajaccio, puis à Nantes. À Ajaccio, les auteurs de ces faits innommables ont été interpellés. J’avais pu échanger avec le petit Kenzo, cet enfant, malade de surcroît, qui avait été violenté, ainsi qu’avec ses parents. Sa maman m’expliquait qu’il n’avait plus envie de retourner dans un stade ; eh bien, j’ai voulu faire en sorte qu’il ait envie de retourner dans une enceinte sportive, et je lui ai dit : « Tu viendras aux jeux Olympiques et Paralympiques, j’en prends l’engagement ! » C’est ainsi que, grâce à la billetterie populaire de l’État, qui permettra de faire venir plus de 200 000 jeunes de notre pays dans les enceintes sportives pour cet événement olympique, marqué par des valeurs de respect, d’amitié et d’excellence, le petit Kenzo aura sa place parmi nous ; nous veillerons à ce qu’il en soit de même pour l’autre petit garçon que vous avez évoqué.

M. le président. La parole est à Mme Marie Mercier, pour la réplique.

Mme Marie Mercier. Madame la ministre, vous êtes à la tête d’un ministère extraordinaire pour la protection de nos enfants. Or « éducation » vient du latin ex ducere, « conduire hors » ; on dit à l’enfant : « Je te prendrai par la main pour t’emmener en dehors, avec des valeurs solides. » C’est ainsi que l’on forme des hommes et des femmes solides.

Conclusion du débat

M. le président. La parole est à M. Laurent Lafon, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDPI.)

M. Laurent Lafon, pour le groupe Union Centriste. Monsieur le président, madame la ministre, nous arrivons au terme de ce débat sur les violences associées au football à l’intérieur et à l’extérieur des stades. Je tenais en premier lieu à remercier Pierre-Antoine Levi d’avoir demandé son inscription à notre ordre du jour.

L’ampleur des phénomènes de violence, leur caractère répétitif et, il faut bien le reconnaître, l’absence de réponse efficace pour y mettre fin, justifie pleinement que nous nous emparions du sujet et que nous interrogions l’exécutif, comme nous l’avons fait ce soir, pour comprendre sa perception du problème et les réponses qu’il entend y apporter.

Il me revient de tirer quelques conclusions de notre débat de ce soir. Sans avoir la prétention d’être exhaustif, il me semble que nous pouvons en faire ressortir quatre éléments conclusifs.

Tout d’abord, alors que la France s’inscrit clairement dans une stratégie d’accueil des grands événements sportifs – coupe du monde de rugby l’année dernière, jeux Olympiques et Paralympiques cette année et jeux Olympiques d’hiver en 2030, pour ne citer que les plus connus –, nous ne pouvons laisser s’instaurer un phénomène d’amplification et de multiplication des actes de violence liés à des événements sportifs, dans les stades, mais aussi en dehors.

Il y a comme un paradoxe à investir dans les équipements sportifs, à développer un savoir-faire dans l’organisation des grands événements sportifs et à miser sur le fort impact en termes de rayonnement de ces grands événements, tout en subissant de manière régulière des actes de violence inacceptables, qui nuisent à l’image du sport et sont en totale contradiction avec ses valeurs.

Par ailleurs, deuxième élément conclusif, même si les autres sports ne sont pas épargnés par la violence, il y a bien un problème spécifique dans le football. Face à cette spécificité peu enviable, les instances du football – fédération, ligues ou clubs – n’ont sans doute pas pris la juste mesure d’un phénomène, qui, pourtant, pénalise leur sport.

Comme le notait Pierre-Antoine Levi dans son propos préalable, elles en sont encore à « se renvoyer le ballon », pour reprendre les termes qu’il a utilisés, plutôt que de traiter le problème avec détermination, en s’en donnant réellement les moyens. Pourtant, c’est bien leur sport qui est pénalisé. Une récente enquête d’Odoxa, de novembre dernier, montrait que 70 % des Français ont une mauvaise image des supporters de football.

Troisième élément conclusif, la violence dans le football français n’est pas une fatalité. L’absence de phénomènes comparables dans les autres pratiques sportives ou la façon dont le football anglais a résolu le problème du hooliganisme montrent bien qu’il est possible de prévenir et juguler les phénomènes de violence. Nous avons certainement, comme vous l’avez dit, madame la ministre, des enseignements à retenir des mesures prises en Angleterre.

Quatrième élément de conclusion, la réponse ne peut venir des seules instances du football. Les pouvoirs publics ont une responsabilité, qui ne peut reposer uniquement sur des mesures d’interdiction des déplacements de supporters lors des matchs identifiés à risques. Certes, il y a eu des avancées ces derniers mois, comme le rappelait Claude Kern. Ainsi, le dernier projet de loi relatif aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024, que vous nous aviez présenté, madame la ministre, prévoit le développement de la billetterie infalsifiable, ainsi que le renforcement des sanctions, notamment pour les primo-délinquants.

Après ce que nous avons dit les uns et les autres ce soir, il me semble que des pistes complémentaires peuvent être étudiées.

D’abord, il convient, comme le demandent à peu près tous les groupes, de renforcer le dialogue avec les associations de supporters, qui se sont elles-mêmes, depuis quelques années, structurées et responsabilisées par rapport à ces problèmes.

Certes, l’Instance nationale du supportérisme existe, mais elle ne semble jamais avoir réellement fonctionné de manière totalement satisfaisante, même si, depuis votre prise de fonction, madame la ministre, vous avez souhaité, nous l’avons bien noté, la réactiver et la positionner sur ces sujets.

Ensuite, il est nécessaire de travailler à une identification plus fine des auteurs de violences et d’accroître les sanctions individuelles, qui sont nombreuses en Allemagne et en Angleterre, mais relativement marginales en France.

Par ailleurs, il faut préparer en amont les matchs à risques au niveau des préfectures, en impliquant les responsables des clubs et les associations de supporters, afin d’anticiper les difficultés plutôt que de les subir, et d’accompagner plutôt qu’interdire.

Enfin, il est impératif d’impliquer la justice dans la nécessité de sanctionner de manière rapide les auteurs de violences.

Madame la ministre, vous nous avez annoncé ce soir, dans le cadre de votre intervention liminaire, la présentation d’un plan d’action, que vous élaborez actuellement avec vos collègues Gérald Darmanin et Éric Dupond-Moretti.

Nous serons bien entendu très attentifs à ce que vous nous annoncerez dans quelques semaines. J’espère que les échanges de ce soir auront utilement alimenté votre réflexion. Tel était en tout cas le but du groupe Union Centriste en proposant ce débat ce soir. (Applaudissements.)

M. le président. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur les violences associées au football, dans et hors des stades.

11

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, jeudi 18 janvier 2024 :

À dix heures trente :

Questions orales.

À quatorze heures trente :

Débat sur la mise en application de la loi du 20 juillet 2023 visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de lutte contre l’artificialisation des sols et à renforcer l’accompagnement des élus locaux.

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt-deux heures trente.)

nomination de membres dune commission denquête

Aucune opposition ne sétant manifestée dans le délai dune heure prévu par larticle 8 du règlement, la liste des candidatures préalablement publiée est ratifiée.

Commission denquête portant sur la production, la consommation et le prix de lélectricité (vingt-trois membres)

Mme Martine Berthet, MM. François Bonneau, Henri Cabanel, Guillaume Chevrollier, Vincent Delahaye, Stéphane Fouassin, Fabien Gay, Fabien Genet, Daniel Gremillet, Daniel Gueret, Mmes Nadège Havet, Christine Herzog, Christine Lavarde, MM. Victorin Lurel, Didier Mandelli, Pierre Médevielle, Jean-Jacques Michau, Franck Montaugé, Alexandre Ouizille, Cyril Pellevat, Stéphane Piednoir, Mme Denise Saint-Pé et M. Daniel Salmon.

 

Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,

le Chef de publication

FRANÇOIS WICKER