Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. Je n’ai pas de leçon à recevoir de M. Jadot ! Ça suffit !

M. Yannick Jadot. J’en reviens pour finir à la présente proposition de loi : oui, nous soutenons que la collégialité est le moyen de résister au clientélisme ; oui, nous soutenons que l’objectivité des critères est le moyen de répondre à la discrimination. Nous nous opposerons donc à ce texte ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe SER. – Huées sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Stéphane Piednoir et Bruno Belin frappent sur leur pupitre.)

M. le président. La parole est à M. Fabien Gay.

M. Fabien Gay. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’objectif annoncé de cette proposition de loi est de renforcer les pouvoirs du maire en matière d’attribution de logements sociaux. Cette thématique est en effet au cœur des préoccupations des édiles, car 80 % des audiences sollicitées en mairie portent sur la question du logement.

Cela dit, nous pensons que cette proposition de loi ne répond pas au principal problème qui se pose en ce domaine, c’est-à-dire à la pénurie de logements – seule, en tout cas, elle n’y répond pas. Pourtant, la tendance à la pénurie s’amplifie en France, touchant en premier lieu les ménages les plus précaires : on dénombre actuellement 2,4 millions de demandeurs en attente d’un logement social.

Quelque 20 % des demandes de logements sociaux sont satisfaites en France chaque année, et 10 % seulement en Île-de-France, en zone tendue ! On constate en outre que la file d’attente s’allonge chaque année ; le délai moyen nécessaire pour obtenir un logement est actuellement de trois ans minimum en Île-de-France.

Compte tenu en effet de la paupérisation de la société française, les personnes occupant un logement social le quittent moins qu’auparavant. Dans le même sens, l’accession à la propriété s’est complexifiée pour nombre de personnes et le parcours résidentiel est devenu un parcours du combattant : petits salaires et taux d’intérêt élevés conjuguant leurs effets, une majeure partie de la population est tout simplement privée d’accession à la propriété.

Surtout, on ne construit plus assez de logements sociaux, alors même que le nombre de demandeurs augmente chaque année : si l’on comptait, pour l’année 2017, environ 105 000 logements mis en chantier, on n’en recense que 85 000 pour l’année 2022, quand le besoin est estimé à 200 000, soit au moins deux fois plus.

Cette situation tient notamment au fait que les moyens alloués sont insuffisants, à commencer par ceux des bailleurs, affaiblis par la réduction de loyer de solidarité, qui n’est pas compensée par l’État.

Tel est, madame la ministre, le résultat de votre politique : en six ans, 10 milliards d’euros ont été ponctionnés aux bailleurs, ce qui signifie moins de rénovations et moins de constructions.

C’est pourquoi nous considérons que ce texte frappe à côté du principal problème : si les maires sont mis en difficulté pour répondre aux besoins de logement social, c’est non parce que les pouvoirs dont ils disposent dans le cadre des commissions d’attribution seraient insuffisants, mais parce qu’ils doivent composer avec cette pénurie.

En ce sens, l’adoption de la présente proposition de loi n’aura aucun effet sur les difficultés de fond et créera l’illusion d’un renforcement du pouvoir du maire, quand celui-ci reste en réalité tributaire d’un nombre insuffisant de places à allouer dans le parc social.

Il y a dix ans, on attribuait 500 000 logements sociaux par an en France ; ce nombre est tombé à 400 000. Les maires veulent non pas gérer la pénurie, mais répondre aux besoins de leur population !

Plus encore, nous nous opposons au droit de veto qui a été introduit en commission. Une telle mesure aurait pour effet non seulement de casser les parcours d’accès au logement de certains ménages, mais également de rendre les maires responsables de l’échec de la politique du logement menée depuis de nombreuses années par le Gouvernement, madame la ministre. Tout le monde devrait pouvoir accéder à un habitat digne, qu’il soit public ou privé !

Si nous sommes favorables à l’idée de confier davantage de pouvoirs aux maires, nous considérons que cela doit se faire en conservant une collégialité permettant notamment de se prémunir contre certaines dérives, qui sont certes marginales parmi nos élus.

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. Heureusement !

Mme Sophie Primas. Merci de le rappeler !

M. Fabien Gay. Nous proposons donc tout d’abord de généraliser l’obligation d’anonymiser les demandes de logements sociaux.

La commission des affaires économiques a par ailleurs décidé de confier aux maires l’intégralité des attributions des logements sociaux neufs. En agissant ainsi, mes chers collègues, vous excluez de fait toutes les personnes reconnues comme prioritaires en application du droit au logement opposable, les personnes en situation de handicap, les familles entassées dans un logement, les femmes victimes de violences ou encore les enfants souhaitant la décohabitation.

Mme Sophie Primas. C’est faux ! C’est l’inverse.

M. Fabien Gay. Voilà qui n’est pas acceptable !

Cette proposition de loi constitue donc un cadeau empoisonné fait aux maires : il s’agit d’un transfert de compétence qui ne s’accompagne d’aucun transfert de ressources budgétaires et qui n’apporte aucune solution au fond du problème.

Sous couvert d’honorer les maires et de leur marquer sa confiance, l’État est ainsi en passe de se défaire de la politique du logement, ces annonces intervenant, rappelons-le, dans un contexte médiatique très chargé autour du logement social, à la suite des révoltes liées à la mort du jeune Nahel.

Nous proposons donc ensuite, madame la ministre, qu’au lieu de vous en tenir à ce texte vous agissiez en réunissant d’urgence le comité interministériel des villes, et ce afin de répondre à l’urgence sociale dans toutes ses dimensions.

Pour toutes ces raisons, le groupe CRCE-Kanaky s’opposera à cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et sur des travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Henri Cabanel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cet après-midi, le ton est donné au Sénat sur deux priorités, maires et logement, qui ont coutume d’animer notre hémicycle.

C’est un signe fort qui est envoyé aux élus de nos collectivités locales, lesquels vivent un malaise sans précédent.

Après un débat sur l’accession à la propriété et avant l’examen de la proposition de loi renforçant la sécurité des élus locaux et la protection des maires, nous examinons la proposition de loi de notre collègue Sophie Primas.

Ce texte résume les contours du mandat du maire : son utilité, sa responsabilité et son éthique. Il marque le « top départ » d’une réflexion qui doit être globale sur le logement : il est en effet nécessaire et urgent, cela a été dit à plusieurs reprises, d’élaborer un texte général portant sur tous les enjeux.

Dans un contexte qui est celui de crises à répétition, nous ne pouvons plus gérer les problèmes en découpant les politiques publiques en silos, car celles-ci sont interconnectées.

Derrière ce texte, en filigrane de nos débats, le sujet est celui de la nécessité d’une mixité sociale. C’est là tout l’enjeu de notre politique du logement, laquelle recouvre des enjeux plus larges relatifs à la politique urbaine et à la politique sociale.

Le Président de la République avait annoncé aux 220 maires qu’il recevait le 4 juillet dernier à l’Élysée sa volonté de « remettre dans leurs mains l’attribution des logements sociaux ». Le chantier était censé avancer d’ici à la fin de l’été, l’objectif étant d’éviter une France de sociétés vivant « dos à dos ». Or point de texte gouvernemental à l’horizon !

Cette proposition de loi déposée en avril est non une réponse aux émeutes, mais une proposition de renforcement du rôle du maire dans l’attribution de logements sociaux.

Le contexte, il est vrai, semble déséquilibré : si le maire dispose d’un rôle central, tant politique que juridique, en matière de développement des logements sociaux sur son territoire, cette importance n’a pas de traduction au sein de la commission d’attribution des logements et d’examen de l’occupation des logements.

Le maire est en effet le garant du respect de la loi SRU : il a la responsabilité d’accorder les permis de construire et exerce le droit de préemption qui favorise l’émergence de projets garantissant l’accès à un logement abordable pour tous ainsi que la mixité sociale. Mais il est isolé et ne dispose que de peu de poids au sein de la Caleol.

Cette proposition de loi a donc pour objet de redonner du poids au maire dans la décision. Notons qu’il détient déjà, parmi les six membres de la commission, une voix prépondérante en cas d’égalité des voix.

Les auteurs du texte proposaient initialement deux évolutions : que le maire devienne président de la Caleol et que cinq membres de son conseil municipal le rejoignent afin d’équilibrer sa composition globale.

Un amendement adopté en commission est venu compléter le dispositif en octroyant au maire un droit de veto ; et c’est là, pour ce qui me concerne, que le bât blesse. En effet, ce droit de veto renforce non pas son pouvoir d’attribution, mais son droit de refus, et le rend seul décisionnaire au sein de la commission.

Dans un monde parfait, le mot « clientélisme » n’existerait pas ! Mais, vous le savez, mes chers collègues, ce monde parfait n’existe pas ; et depuis des années certains maires se servent du levier locatif comme d’un instrument – précisément – de clientélisme et de préservation de l’entre-soi.

N’oublions pas que l’héritage des inégalités sociales entre communes s’est transmis sous la responsabilité de ceux qui préfèrent, par exemple, payer des pénalités plutôt que de construire des logements sociaux…

Les chiffres sont éclairants : 1 100 communes, sur les 2 091 de plus de 3 500 habitants situées en territoires SRU, ne respectent pas leurs obligations en matière de logement social.

Si elles sont certes en majorité engagées, sous l’effet de l’application de la loi SRU, dans un rattrapage de leur retard, 631 d’entre elles sont soumises à prélèvement pour un montant total de 85,4 millions d’euros, qui sert à financer le logement locatif social.

En conséquence, si ce texte a le mérite d’ouvrir le débat plus large sur le logement, mon groupe reste assez mitigé.

Au-delà du risque créé par le droit de veto, on imagine mal une équipe municipale de six personnes se présenter en Caleol… Compte tenu des agendas chronophages des uns et des autres, l’organisation à mettre en place semble complexe et le quorum sera parfois difficilement atteint.

M. Jean-Baptiste Lemoyne. Vous avez raison !

M. Henri Cabanel. C’est pourquoi nous proposons une limitation du nombre de sièges dévolus aux membres du conseil municipal, qui pourrait être de trois.

Ma conviction est que pour garantir le maintien d’une impartialité et d’une éthique dans le choix des locataires il ne faut surtout pas de droit de veto.

Il faut néanmoins que les arguments du maire et de son équipe soient entendus et respectés pour que demain ceux-ci soient motivés par la perspective de construire des logements sociaux. C’est donc un contrat gagnant-gagnant qu’il faut inventer.

Le logement constituera l’une des crises majeures que nous allons traverser au cours des prochains mois. Du fait de l’inflation, de la hausse des prix de l’énergie, de la précarité grandissante, mais aussi de l’augmentation des prix de l’immobilier, qui ont été multipliés par trois depuis l’an 2000, le logement est le poste de dépenses le plus tendu pour les foyers.

La prochaine étape sera un texte d’ampleur sur le logement ; nous espérons tous qu’elle adviendra urgemment et sans tabou. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Buis. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Bernard Buis. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la présente proposition de loi vise à renforcer le rôle des maires dans l’attribution des logements sociaux. Ce texte est le premier que le Sénat examine en séance au cours de cette nouvelle session ordinaire, ce qui démontre l’importance fondamentale du logement, et plus particulièrement du logement social.

Je salue le travail de notre collègue Sophie Primas et de notre rapporteure et nouvelle présidente de la commission des affaires économiques, Dominique Estrosi Sassone, dont nous connaissons tous l’expertise et l’engagement sur ce sujet.

Cependant, le travail effectué en commission sur cette proposition de loi a radicalement transformé le dispositif initialement prévu.

En adoptant l’amendement de réécriture de l’article unique de la rapporteure, la commission a substitué le droit de veto du maire à la volonté de mieux représenter la commune. Autrement dit, nous sommes passés d’une logique de renforcement de la représentation de la commune au sein des commissions d’attribution des logements et d’examen de l’occupation des logements à une logique de veto du maire en matière d’attribution des logements.

Par ailleurs, et sous l’effet de l’adoption du même amendement, la présidence de cette commission d’attribution a été confiée au maire de la commune ou à son représentant, sauf lorsque l’établissement public de coopération intercommunale est à l’origine de sa constitution, auquel cas c’est son président ou son représentant qui exercera la présidence.

L’adoption de cet amendement a en outre supprimé la voix prépondérante du maire en cas d’égalité des voix et systématisé la délégation au maire des droits de réservation de l’État lors de la première location d’un programme neuf.

Bien entendu, notre groupe adhère à l’esprit initial du texte et à l’objectif d’un renforcement effectif du rôle des maires dans l’attribution des logements sociaux.

Confier au maire la présidence de la commission d’attribution des logements et d’examen de l’occupation des logements est selon nous une bonne chose, tout comme l’était le renforcement du contingent communal et comme l’est la délégation des droits de réservation de l’État au maire.

Nous comprenons quelle difficulté relative aux quorums a motivé la solution finalement retenue par la commission. Néanmoins, la logique du veto nous pose un problème. En effet, donner au maire le pouvoir de refuser des locataires équivaut à nos yeux à un renforcement du pouvoir d’exclusion, et non d’attribution, du logement social. Pour parler simplement, il y a là un renforcement du pouvoir de non-attribution des maires.

Par conséquent, si, je le rappelle, nous adhérons à la visée initiale de cette proposition de loi, il nous semble que la solution retenue a conduit à s’en éloigner un peu.

Le groupe RDPI privilégie la voie d’un renforcement du contingent communal via l’intégration au sein de la commission de deux représentants supplémentaires de la commune, dont un issu de l’opposition.

Leurs voix, comme celle du maire, compteraient double, ce qui porterait à six voix le poids du bloc communal, soit autant que celui des organismes d’habitations à loyer modéré. Nous souhaitons de surcroît conserver au maire une voix prépondérante en cas d’égalité, puisque dans cette nouvelle structure ce cas de figure se présenterait plus souvent.

Nous partageons également l’idée qu’il est nécessaire de confier au maire la présidence de la commission d’attribution des logements et d’examen de l’occupation des logements.

Si nous comprenons les difficultés de quorum, nous considérons que notre position est équilibrée et permet de les contourner.

Notre groupe propose par ailleurs d’intégrer au sein de la commission d’attribution des logements et d’examen de l’occupation des logements un représentant du conseil départemental, avec voix consultative. Mes chers collègues, vous le savez tous, dans le monde du logement social le département est tout sauf un inconnu !

Si les situations varient d’un département à un autre, je peux citer l’exemple du Fonds unique logement et habitat, dans la Drôme, qui permet aux publics fragilisés d’obtenir une aide financière pour couvrir leurs frais d’accès au logement, comme la garantie des loyers impayés pour ceux qui entrent dans le logement social.

Dans la construction aussi les départements jouent un rôle important.

M. Bernard Buis. Je pense notamment à la délégation des aides à la pierre pour ce qui est du parc locatif social et du parc privé.

Ces aides permettent de financer la construction, l’acquisition ou la réhabilitation de logements locatifs sociaux, ou encore l’amélioration de l’habitat privé, qu’il soit question des bailleurs, des propriétaires ou des occupants.

Enfin, reconnaissons que le département, acteur essentiel de la solidarité, dispose d’une connaissance solide et complémentaire de celle des maires sur les populations fragilisées et sur les problématiques spécifiques qui sont les leurs. Il nous apparaît donc opportun de lui permettre de partager son expertise sur ce sujet au sein des commissions d’attribution des logements et d’examen de l’occupation des logements.

Plus largement, mes chers collègues, le ministre chargé du logement a annoncé travailler sur une loi de décentralisation de la politique du logement.

Nous considérons qu’une décentralisation de la politique du logement ne peut se faire sans vérifier au préalable que les compétences qui seraient transférées aux élus locaux sont bien des compétences qu’ils ont la capacité d’exercer, du point de vue tant de leurs moyens financiers, évidemment, que de leurs ressources d’ingénierie.

Pour ce qui est de ce dernier point, force est de constater que, si l’Agence nationale de la cohésion des territoires n’est pas encore assez connue ni assez sollicitée par les maires, les résultats sont bien souvent satisfaisants lorsqu’elle l’est.

Bien sûr, tout n’est pas parfait et chacun d’entre nous reçoit des témoignages faisant état de difficultés, mais la dynamique en cours me semble positive. À mesure qu’elle sera mieux connue et mieux reconnue, l’Agence pourra mieux adapter ses méthodes de travail aux réalités concrètes de ce qu’en attendent les élus. Les choses, en la matière, vont dans les deux sens.

Nous serons donc particulièrement attentifs sur un point : pour chaque compétence déléguée, un travail préalable devra être réalisé afin de vérifier que cette compétence est bien applicable et mobilisable par les élus locaux. Face à la crise du logement et au renchérissement du prix de l’argent, nous ne pouvons pas nous permettre plusieurs années d’adaptation.

Mes chers collègues, sur un sujet comme celui-ci, nous sommes, pour beaucoup d’entre nous, d’accord sur l’essentiel, mais non sur le chemin choisi.

Notre groupe reste ouvert au compromis dans l’intérêt des Français et se prononcera sur le texte en fonction des débats et de l’examen des amendements. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à Mme Viviane Artigalas. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Viviane Artigalas. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce texte, même s’il a été enregistré au Sénat en avril dernier, s’inscrit en définitive dans la lignée du discours du Président de la République qui, après les émeutes, avait annoncé plus de décentralisation et plus de simplification, s’engageant à redonner du pouvoir aux élus locaux dans les attributions de logements sociaux.

Emmanuel Macron avait promis des réponses : nous les attendons toujours, comme nous attendons toujours le pacte de confiance entre l’État et l’Union sociale pour l’habitat.

Son article unique ayant été réécrit en commission, cette proposition de loi introduit finalement un droit de veto motivé du maire dans les commissions d’attribution des logements, conserve le principe d’une présidence de ces mêmes commissions par le maire et permet que cette fonction puisse être déléguée au président d’un EPCI.

Le texte de la commission prévoit également que les conventions de réservation prévoient systématiquement la délégation des droits de réservation de l’État au maire lors de la première location d’un programme neuf.

Tout d’abord, le droit de veto accordé aux maires introduit un risque de pouvoir arbitraire, qui pourrait faire reculer les politiques de développement de la mixité sociale mises en œuvre ces dix dernières années.

M. Jean-Marc Boyer. Ce n’est pas vrai !

Mme Viviane Artigalas. Il risque ensuite de menacer l’indépendance des organismes d’HLM, qui collaborent, certes, avec les élus et l’État, mais doivent répondre en toute impartialité aux problématiques suivantes : mettre en œuvre la politique du « Logement d’abord » et du logement des personnes prioritaires ; procéder aux relogements rendus nécessaires par les programmes de rénovation urbaine ; assurer l’atteinte des objectifs de mixité sociale.

Par ailleurs, il existe déjà des outils ; ils sont certes perfectibles, mais ils gagneraient à être développés et améliorés. En effet, ils permettent aux maires de mieux orienter les attributions de logements sociaux sur leur territoire. Les collectivités peuvent ainsi mettre en place des plans partenariaux de gestion de la demande et d’information des demandeurs ; définir des priorités formalisées dans la cotation de la demande ; éclairer les commissions d’attribution sur l’équilibre des résidences ; définir un cadre commun d’orientation des attributions au travers des conventions intercommunales d’attribution.

Alors que les règles actuelles protègent les élus locaux des recours contre une décision de refus d’attribution – les plaintes sont intentées contre les organismes d’HLM, jamais contre la collectivité locale membre de la commission d’attribution –, le rôle central qu’il est prévu d’accorder aux maires dans cette proposition de loi risque au contraire de les exposer à ce type de poursuites.

Pour rendre aux maires leur pouvoir d’agir, il nous semble qu’il faudrait surtout chercher à développer la concertation et la coopération entre l’État et les élus. Telle était d’ailleurs l’une des propositions formulées le 6 juillet dernier par le groupe de travail du Sénat sur la décentralisation, piloté par le président Larcher : permettre aux EPCI à fiscalité propre de conclure des pactes territoriaux avec l’État ou des conventions territoriales de coopération avec l’État et des bailleurs sociaux, qui seraient annexées au programme local de l’habitat.

Dernière critique, mais non des moindres, puisqu’elle concerne le calendrier et le cadre législatifs : cette proposition de loi risque fort d’être incompatible avec la généralisation de la gestion en flux des droits de réservation des logements sociaux, qui aboutira à ce que la désignation des candidats à l’attribution soit décidée soit par le réservataire soit par le bailleur. Y ajouter un troisième intervenant, en la personne du maire, paraît être une complexification contraire à l’objectif de simplification ambitionné par les auteurs de ce texte.

Face au problème du logement, la réponse n’est pas tant à trouver dans les conditions d’attribution que dans la nécessaire hausse de la production de logements. Or, madame la ministre, c’était sur ce point que les bailleurs sociaux en particulier vous attendaient ; las, en dépit des annonces positives que vous avez formulées jeudi dernier lors du congrès de l’USH, cette demande demeure lettre morte cette année, et aucune perspective de long terme n’a été engagée.

La énième annulation du comité interministériel des villes, qui devait se tenir le 9 octobre, et la tenue à la dernière minute, jeudi dernier, d’un Conseil national de la refondation, qui n’a débouché sur aucune annonce du Gouvernement, ont accru l’exaspération des élus des quartiers populaires.

Même si nous partageons les constats qui fondent ce texte et reconnaissons que la question du peuplement est centrale, cette proposition de loi ne résoudra pas les véritables problèmes, à savoir le manque d’accompagnement social du plan Logement d’abord, la baisse de la construction et l’insuffisance de l’offre de logements sociaux. La belle affaire que d’obtenir un pouvoir d’attribution accru si les logements ne sont pas là !…

Ce que nous réclamons inlassablement, sur ces travées, c’est un véritable travail global engagé sur la question du logement. L’urgence, c’est également de rendre leurs ressources aux organismes d’HLM pour relancer la production de logements sociaux.

Le groupe socialiste ne votera pas cette proposition de loi. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Laurence Garnier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Laurence Garnier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, sous des apparences assez techniques, cette proposition de loi visant à renforcer le rôle des maires dans l’attribution des logements sociaux est un véritable levier pour répondre au sentiment d’impuissance des maires ; pour redonner de la clarté au processus d’attribution de logements, qui est mal compris par nos concitoyens ; pour mieux prendre en compte les besoins des habitants de ces logements.

Les maires sont les premiers acteurs de la construction de logements sociaux au sein de leurs communes. Ce sont eux qui accordent les permis de construire et beaucoup de communes françaises sont concernées par la loi SRU, qui leur impose des quotas de logements sociaux.

Malgré ces missions essentielles, leur rôle dans l’attribution des logements est aujourd’hui restreint ; et nous constatons tous les jours les conséquences de cette difficulté.

Tout d’abord, pour ce qui est de l’efficacité, les maires sont ceux qui connaissent le mieux leur commune : ils sont donc les plus qualifiés pour garantir l’équilibre des attributions en faveur des nouveaux habitants qui intégreront les logements sociaux. Leur unique objectif est de permettre à chacun une arrivée réussie au sein de leur commune.

En Loire-Atlantique, le maire de Mesquer, commune littorale de 2 000 habitants, me parlait l’autre jour d’un habitant imposé par le bailleur social au sein de la commission d’attribution des logements. Le maire, quant à lui, avait défendu le dossier d’un homme qui dormait depuis plusieurs semaines dans sa voiture sur le territoire de sa commune ; ce dossier a été rejeté et l’homme est décédé quinze jours plus tard.

Mme Sophie Primas. Et voilà !

Mme Laurence Garnier. On mesure ici combien les maires doivent être remis au cœur de ce processus et à quel point leur légitimité et leur crédibilité auprès de leurs administrés sont en jeu.

Nos concitoyens ne connaissent pas le fonctionnement de ces commissions d’attribution des logements. Ils pensent – c’est bien normal – que c’est le maire qui décide et ils lui en veulent lorsqu’un habitant qu’ils connaissent et qui est en difficulté n’obtient pas de logement social. Ces situations engendrent incompréhension et colère. Une élue du vignoble nantais me parlait récemment des reproches que lui avait adressés sa population à la suite du rejet d’un dossier en commission. En d’autres circonstances, il arrive que les reproches se muent en agressions verbales, voire en agressions physiques – nous ne le savons que trop bien.

Bien sûr, rien ne doit jamais excuser de telles attitudes. En tout état de cause, redonner sa place au maire revient aussi à crédibiliser son action auprès de nos concitoyens.

En confiant au maire la présidence de ces commissions d’attribution, en renforçant la place et le nombre des élus locaux qui y siègent et en accordant au maire un droit de veto, cette proposition de loi répond à ces enjeux.

Je tiens à préciser qu’il s’agit non pas, au travers de ce droit de veto, dont l’exercice devra être argumenté et justifié, de trier les bons ou les mauvais habitants, mais de mettre à profit la connaissance que les maires ont de leur commune pour savoir quels profils d’habitants pourront être accompagnés et quels habitants pourront trouver chez eux un équilibre de vie, en fonction de la typologie de leur commune.

Les évolutions techniques auxquelles il est procédé dans ce texte vont donc permettre en réalité d’améliorer le fonctionnement de notre démocratie, d’augmenter la capacité d’action des communes, de mieux intégrer les habitants des logements sociaux à la vie des communes.

Pour conclure, je salue l’auteur de cette proposition de loi, notre collègue Sophie Primas, qui a traduit dans ce texte beaucoup d’attentes et d’intentions exprimées et partagées par les élus, en particulier à la suite des émeutes que notre pays a connues au mois de juillet dernier.

Je remercie également la rapporteure du texte, la présidente Dominique Estrosi Sassone, pour le travail qu’elle a réalisé afin d’affiner encore ce texte, que le groupe Les Républicains votera avec enthousiasme. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)