INTERVENTION DE M. CLAUDE BELOT,
SÉNATEUR DE CHARENTE-MARITIME,
CO-RAPPORTEUR DE LA LOI D'ORIENTATION AU SÉNAT

M. Claude Belot, sénateur de Charente-Maritime .- Il est intéressant de voir ce qu'est devenue une intention et, au-delà de l'intention, une volonté politique forte, qui s'est exprimée il y a un peu plus d'un an dans cette maison et à l'Assemblée nationale.

Le président François-Poncet nous avait prévenus d'emblée -et je l'avais confirmé en tant que rapporteur du budget des charges communes depuis un certain nombre d'années- qu'il n'y aurait pas de " boulets ", au moins dans les caisses de l'Etat, pour mener la bataille du Luxembourg. Il faudra donc faire sans, mais il faudra le faire !

En effet, il nous semble qu'une partie de la solution des problèmes financiers de la Nation se trouve précisément dans la résorption du déséquilibre du territoire. Ce n'est pas la peine de chercher très loin : tout le monde en ce moment porte son regard sur les déficits de la SNCF, et l'on constate bien que le train du Massif central n'a pas de voyageurs et coûte cher ! Les voyageurs seraient plus nombreux si la population était plus importante ; de ce fait, il y aurait moins de déficit à la SNCF et ainsi le Ministre du Budget aurait moins à lui donner.

Ce raisonnement, on peut le tenir dans tous les domaines sans exception : une route, une autoroute, qu'elle transporte 3.000 véhicules par jour ou 30.000, coûte le même prix. Et si le territoire était mieux équilibré au niveau de ses territoires et de sa population, il est vraisemblable qu'il y aurait moins à investir dans la région parisienne ! Nous vous ferions économiser beaucoup de " boulets " si le territoire était mieux équilibré. Dans notre esprit, il convenait de conduire le combat pour une grande cause, également financière. Il n'y avait pas prioritairement de volonté de redistribution, au nom d'une justice immanente. Il s'agissait surtout d'un calcul dans l'intérêt de la Nation, car il ne s'agissait pas seulement de gagner la bataille du Luxembourg, mais également de remporter une victoire pour la France !

Je vous ai entendu évoquer les munitions : je crois qu'elles seraient beaucoup plus importantes dans les années suivantes, si le territoire est mieux équilibré ! Je ne veux pas mener à nouveau le débat passionné que nous avons eu avec Daniel Hoeffel, qui savait que nous défendions une bonne cause...

Quant à la péréquation, elle existe partout en France, mais il y a, du fait de l'inégalité des bases de taxe professionnelle, des différences de ressources considérables entre les collectivités. Les plus riches n'ont pas le sentiment d'avoir trop d'argent ; les plus pauvres essaient de faire comme elles peuvent.

Dans notre esprit toutefois, la péréquation constituait un moyen de donner aux pays, aux intercommunalités, aux districts, aux départements, une capacité à entreprendre qui leur manque cruellement ! Ce ne sont pas les idées qui manquent mais les moyens de les mettre en oeuvre ! Il s'agissait donc dans notre esprit de donner à ces espaces organisés une capacité d'entreprendre qu'elles avaient perdu. Tout le débat sur l'aménagement du territoire sera vain si les acteurs locaux n'ont pas les moyens de mettre en oeuvre leurs idées et leurs projets.

Nous savons que la péréquation est une chose difficile, mais nous l'avons voulue comme une longue marche. Nous savons fort bien que ce n'est pas en un an ou deux que tout cela va changer, mais, en vingt ans, il faut impérativement -si l'on veut que ce pays trouve dans tous ses territoires la force de vivre- que nous arrivions aux objectifs fixés : c'est impératif !

Si nous commençons dès 1996, dans vingt ans, du chemin aura été parcouru ! Nous vivons dans une conjoncture qui n'est pas facile, mais il y a urgence dans certaines banlieues, dans certaines zones, et c'est la raison pour laquelle il ne faut pas atermoyer trop longtemps pour la création de ce fonds pour le développement des entreprises.

Ce fonds, nous l'avons conçu et voulu comme une mesure d'urgence. Si les règles de création ou de développement d'entreprises sont les règles de droit commun dans telle ou telle zone que nous connaissons bien, il est inutile d'en parler et de faire un fonds : elles ne se créeront point ! Il faut prioritairement des zones à fiscalité dérogatoire, des zones particulières. Il faut que l'Etat intervienne dans ce domaine, qu'il trouve des solutions avec ses propres moyens, avec ceux des régions ou des départements, mais qu'il les trouve !

Je sais qu'il y a beaucoup de réticences à la direction du Trésor. Dans la France jacobine, uniforme, il est un peu choquant que des entreprises puissent se créer différemment de ce qui se passe en région parisienne. Mais si cela ne se fait pas, il ne se passera rien, et la direction du Trésor -qui siège dans des conseils d'administration de banques ou d'assurances où l'on a trouvé des milliards pour les bureaux en région parisienne- devrait considérer qu'il y a urgence ailleurs !

Deux cents milliards ont été ou seront ainsi provisionnés, ce qui représente une perte d'impôt sur les sociétés de 70 milliards ! Lorsqu'on parle d'un chiffre de 7 milliards pour le FNADT, on est bien au-dessous de la mesure. Il aurait été plus judicieux que la volonté s'exprime en faveur des territoires en difficulté ! Mais c'est le passé, et vous n'y pouvez rien, Monsieur le Ministre. Cela s'est passé il y a un certain nombre d'années, et nous en payons aujourd'hui les conséquences, ce qui prouve que les moyens existaient et qu'ils existent sans doute encore...

Enfin, je voudrais évoquer l'état d'esprit dans lequel tout cela est mis en oeuvre. Certes, à Paris, on a le sentiment que beaucoup de choses ont changé depuis cette loi, dont tout le monde a commencé par rire. Vous disiez que l'an dernier, les crédits n'avaient pas été utilisés. En Charente-Maritime, le préfet du département a consenti -malgré de nombreuses requêtes de ma part et de celle des autres parlementaires- à réunir la Commission du Fonds départemental d'aménagement de l'espace rural le 12 ou le 13 décembre ! Comment voulez-vous qu'il ait été engagé un centime avant le 31 décembre ? On gèle donc les crédits et le préfet prétend qu'il ne peut réunir ce comité avant d'avoir des crédits notifiés -et il a sans doute raison ! Il faut cesser ce petit jeu !

Je voudrais dire à Dominique Perben que l'absence de débat avec les préfectures de région constitue une pratique surprenante, et à coup sûr contraire à l'esprit de la loi et de ceux qui l'on portée... En effet, la seule préoccupation des SGAR -et eux seuls- est de trouver les moyens de renforcer la capitale régionale, allant ainsi à l'encontre de l'esprit de la loi ! Ce n'est pas ce que nous avions voulu faire ! Il faut donc demander aux préfets de région et aux SGAR de consulter les présidents de conseils généraux, les maires et tous ceux qui peuvent parler au nom du territoire, et qui ne sont pas sans idées !

Nous avons vécu cette loi comme un texte important et un acte de foi dans l'avenir de notre pays, comme un moyen de changer à coup sûr des processus cumulatifs qui étaient en train de tuer notre pays ! Faites en sorte, Messieurs les Ministres, que ces textes restent dans l'esprit dans lequel ils ont été conçus. Il en va de l'intérêt de la France !

(Applaudissements).

M. Jean François-Poncet, président .- Comme vous avez pu le constater, nous n'avions pas l'intention de nous limiter à des monologues ! Le débat est déjà largement engagé, dans la plus grande liberté d'expression, ce dont je me félicite. Ce que Claude Belot a dit, d'autres, sans doute, auraient pu le dire !

La parole est maintenant à Patrick Ollier, puis au sénateur Laffitte...

M. Patrick Ollier, député des Hautes-Alpes .- Je félicite M. Lamassoure de tous ce qu'il fait pour mettre la loi en place. J'imagine la complexité de l'indice synthétique, mais il est important pour nous, afin d'arriver à cheminer dans les arcanes de la fiscalité locale et des ressources locales.

Ma question portera sur ce qui me semble être un énorme malentendu entre nous -et j'y vois là une relation de cause à effet facile à établir. Vous avez dit que le Gouvernement gelait cette année 375 millions du FNADT parce qu'une partie n'a pas été consommée.

Je comprends cette démarche, et je me suis moi aussi trouvé par le passé de l'autre côté de la barrière, et j'ai pratiqué cette sorte de suggestion, pour aller vers l'économie. Mais si l'on recourt à cette politique, nous retirons tous les moyens à la loi ! Nous avons eu trois mois pour mettre en place les projets, qui ne pouvaient être que des projets de développement. Dans certains départements, cela n'a pas dépassé le mois et demi ! Nous n'avons pas pu le faire et les crédits n'ont donc pas été consommés ! Je voudrais donc que vous regardiez vers l'administration de l'Etat et vers vos services !

Par ailleurs, vous avez parlé du saupoudrage. Nous avons voulu l'empêcher, en le qualifiant même de "saupoudrage-copinage", et nous avons donc gelé les fonds. Le saupoudrage n'est pas le fait de donner de petites subventions à des projets de développements, mais d'attribuer des subventions inutiles, qui ne sont pas fondées sur le développement. Je voudrais donc qu'on revoie le critère d'attribution.

Pour moi, le seul critère qui vaille, quel que soit le montant de la subvention, c'est le fait de recréer de la richesse, de l'emploi et du dynamisme économique ! Nous savons le faire dans nos départements, mais si on nous explique qu'on ne peut nous aider parce que notre projet n'est pas assez important, on inverse alors totalement la procédure qui a été créée pour soutenir ces créations d'emplois ! Pour nous, il s'agit du fondement même des réformes que nous avons créées dans la loi !

(Applaudissements).

M. Pierre Laffitte, sénateur des Alpes-Maritimes .- Les fonctionnaires parisiens -j'ai moi-même fait partie d'un des grands corps de l'Etat- ont pour habitude de concevoir des relations économiques colbertistes. Or, on sait que ce ne sont pas les grandes entreprises qui créent les emplois, mais les petites entreprises et les entreprises naissantes.

Pour ma part, je considère qu'un millier de petites entreprises qui créeraient des unités de télé-services ou de télé-travail dans un millier de petites localités, voire dans des quartiers difficiles de grandes villes, constituent une perspective plus intéressante que le fait de dépenser un demi-milliard pour une grande infrastructure...

A priori, il faudrait donc privilégier les petits projets par rapport aux grandes masses. En effet, le FNADT n'est pas fait pour les grandes masses. Je comprends que les fonctionnaires des finances cherchent à éviter des dépenses multiples, mais il existe des études sérieuses de la DATAR...

Il faut certainement privilégier la masse de petits projets répartis sur l'ensemble du territoire, conformément à l'esprit même de la loi. Les nouvelles technologies de l'information et de la communication nous y aident d'ailleurs, et il est important que ceci puisse être diffusé et mieux expliqué à tous les élus locaux. C'est la seule véritable source de créations d'emplois !

On a évalué l'entrée dans la société de l'information à 3 millions d'emplois directs en Europe avant l'an 2000. Avec les emplois induits, cela représente 10 millions d'emplois. Il s'agit pour la France une somme considérable d'emplois potentiels : il y a donc urgence à ce nous ayons, dans ce domaine, une volonté très forte !

(Applaudissements).

M. Jean François-Poncet, président .- Le saupoudrage pose le problème des compétences. Est-il vraiment nécessaire que le même projet puisse être financé par l'Etat aux niveaux national et régional et, en même temps, par la région et le conseil général, lorsqu'il s'agit d'un petit projet ?

Je partage tout à fait l'avis selon lequel les petits projets sont souvent la seule chose que l'on puisse faire dans les zones fragiles. Pour autant, faut-il être trois ou quatre pour financer 100.000 francs ? ... Je n'en suis pas totalement persuadé !

Il y a là un problème de compétences. La clarification est donc essentielle, et le "chef-de-filat" ne doit pas être décidé au coup par coup par les collectivités. Il y a là des principes généraux que nous avions cherché à définir. A trois heures du matin, nous avions capitulé : ce n'est pas une raison pour ne pas reprendre le sujet !

La non-consommation des crédits suscite quelques ricanements cyniques, comme vous avez pu le constater. En effet, souvent, on organise cette non-consommation pour s'en prévaloir ! Lorsqu'il n'y a pas de boulets, il faut bien trouver les différentes façons de gagner quand même la guerre ! De ce point de vue, nous sommes derrière vous dans la bataille !

Un mot sur la péréquation : l'exercice demandé au ministère est à mes yeux la dernière chance de la péréquation en France : ne la laissez pas sombrer ! Or, rien n'est plus facile...

Vous avez dit que l'exercice avait été conduit entre communes et avait montré que les écarts allaient de 1 à 1,5 dans la même région. Nous avons inscrit dans la loi une fourchette extrêmement large. En Allemagne, le même principe s'applique avec une fourchette qui va de - 5 à + 5. Mais, dans ce pays de grande inégalité qu'est la France, nous n'avons pas osé aller aussi loin et, pour rassurer, nous avons fixé + 20 et - 20. Autant dire que, dans notre esprit, cette fourchette est appelée à évoluer ! Elle est fixée pour qu'au moins au stade des calculs, on ne recule pas. Au stade de l'application, le législateur restera souverain...

Il ne s'agit pas d'établir des inégalités entre catégories de communes, mais entre les espaces les uns par rapport aux autres. C'est ce qui se passe en Allemagne. Personne n'a jamais cherché une péréquation entre communes d'une part et régions de l'autre, ou entre départements.

Par conséquent, je vous demande d'imposer à vos services un examen attentif de la loi et de conserver à l'esprit qu'avec le temps, nous espérons bien que les fourchettes se rétréciront !

Monsieur le Ministre, vous avez la parole...

M. Alain Lamassoure .- Très souvent, en zone rurale, ce sont les petits investissements qui sont créateurs de richesses et d'emplois. Toutefois, s'il s'agit d'un investissement en Lozère, il est absurde que la décision soit prise à Paris ! Politiquement, il faut se poser la question de savoir si c'est au contribuable national de financer un investissement de 100.000 francs en Lozère... C'est un débat politique qui débouche sur la péréquation. Mais, à partir du moment où c'est un contribuable national ou européen, il est très difficile d'éviter que la décision ne remonte Paris ou à Bruxelles.

Nous avons en ce domaine un effort très important à faire pour clarifier nos propres idées et réaliser nos propres choix politiques.

Je suis d'accord pour dire qu'on ne peut pas vous opposer des règles qu'on s'applique à soi-même. Nous veillerons donc à ce que l'on ne vous impose pas un gel fondé sur des non-consommations de crédits organisées par le ministère du budget !

Cela dit, beaucoup de dossiers de demandes d'aides du FNADT sont mauvais ! Ainsi, le trésorier payeur général de la façade atlantique indique que plus de la moitié des projets qui lui sont soumis s'écartent des principes directeurs fixés par le Premier ministre. Un autre, plus au nord de la France, indique qu'en raison de la médiocre qualité des opérations subventionnées et de leur caractère non-prioritaire, les crédits délégués à son département pourraient à son avis être réduits. Un troisième, dans un département les plus importants de France -que je connais personnellement et qui ne peut être suspecté d'avoir une vue trop étroitement comptable des problèmes- explique que le contenu des dossiers est insuffisant, qu'ils sont consommés à hauteur du tiers des crédits délégués jusqu'à présent.

Je suis prêt à faire mon mea-culpa, mais j'ai le sentiment qu'il y a des progrès à faire également dans les dossiers qui sont déposés. Je constate que les vrais créateurs d'emplois sont ceux qui ne demandent pas d'aides ! Bien entendu, nous sommes des élus, nous aimons beaucoup distribuer des aides; Cela nous donne bonne conscience et nous avons le sentiment qu'ainsi, nous aidons au développement de notre région... C'est souvent vrai, mais j'observe que les patrons de PME vraiment imaginatifs et créatifs sont des gens qu'on ne voit jamais, mais qui créent les emplois et exportent !

Le précédent ministre de l'économie et des finances avait recensé 1.453 systèmes d'aides à la création d'entreprises. Je ne suis pas persuadé qu'on en a supprimé depuis beaucoup...

Enfin, je tiens à vous rassurer quant à l'esprit dans lequel nous avons engagé les travaux sur la péréquation, et à prendre l'engagement devant vous de vous tenir informés à intervalles réguliers de ce que nous faisons. Vous avez eu raison de rappeler l'esprit de la loi, qui ne consiste pas à harmoniser au niveau des communes et des départements, mais simplement à réduire les écarts entre grandes régions.

Nous avons fait un certain nombre de progrès, mais nous nous heurtons à certaines difficultés méthodologiques. Nous allons naturellement les surmonter, et je puis vous assurer que tous mes services, ainsi que les autres ministères compétents, feront tout pour que le Sénat et l'Assemblée nationale disposent des éléments dont ils ont absolument besoin pour mettre en oeuvre l' article 68 de la loi de 1995 !

(Applaudissements).

M. Jean François-Poncet, président .- Merci.

La séance est suspendue à 13 heures 05.

La séance est reprise à 14 h 45.

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