Bilan d'application de la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire


Jean FRANÇOIS-PONCET


commission des Affaires économiques et du Plan - Rapport 475 - 1995 / 1996

Table des matières






I. AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Désertification rurale, banlieues malades, congestion parisienne, fracture opposant régions en développement et régions en déclin : tels sont les symptômes alarmants d'une évolution du territoire que la loi d'orientation sur l'aménagement et le développement du territoire du 4 février 1995 s'est donné pour but d'inverser.

Ambition démesurée ? Nullement. Mais objectif à long terme, qui ne s'inscrira dans la réalité que si l'aménagement du territoire demeure, de gouvernement en gouvernement, une grande priorité nationale, quels que soient les aléas de l'actualité.

Il revenait au Sénat, dont les travaux sur l'espace rural, les banlieues et l'aménagement du territoire ont largement contribué au lancement et à l'élaboration de la loi d'orientation, d'être, en étroite concertation avec l'Assemblée nationale, un des garants de cette nécessaire continuité.

Telle est la raison pour laquelle la Commission des Affaires économiques a pris l'initiative d'organiser, sous le haut patronage de M. le Président du Sénat, un colloque au Palais du Luxembourg le 26 mars dernier, pour un premier bilan d'application de la loi d'orientation, un an après sa promulgation.

L'objectif était double. Il s'est agit, d'une part, de faire le point avec chaque membre du gouvernement concerné, à commencer par le ministre de l'Aménagement du Territoire, de la Ville et de l'Intégration, de la mise en oeuvre de la loi. Texte d'orientation, celle-ci n'est en effet appelée à ne valoir que ce que vaudront les 5 lois, les 10 schémas, les dix rapports et les nombreux décrets d'application nécessaires pour lui donner vie.

Le colloque avait, d'autre part, pour objet d'obtenir du gouvernement des précisions, concernant l'avenir des dotations budgétaires et des fonds créés par la loi, ainsi que les perspectives de la péréquation des charges entre collectivités riches et collectivités pauvres.

Les actes rassemblés dans le présent rapport permettront de disposer de l'intégralité des réponses apportées par M. le Premier ministre et les membres du Gouvernement concernés aux interrogations des sénateurs et des députés, sur les premières mesures intervenues et la volonté de poursuivre l'action entreprise.

Le Colloque a fait ressortir que, si un pas important avait été franchi, beaucoup restait encore à faire. Par cette journée, le Sénat a entendu marquer sa détermination et sa vigilance pour que l'aménagement du territoire ne soit pas un simple thème de discours dominicaux, mais entre rapidement et réellement dans les faits.

(La séance est ouverte à 9 heures 35 sous la présidence de M. Monory).

II. ALLOCUTIONS D'OUVERTURE

ALLOCUTION DE M. RENÉ MONORY,
PRÉSIDENT DU SÉNAT

M. René Monory .- Monsieur le Ministre, Monsieur le Président de la Commission des affaires Economiques, Chers Collègues, Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, Chers amis,

C'est un grand plaisir pour moi de participer ce matin à votre colloque, d'abord parce que l'aménagement du territoire est un sujet sur lequel les Sénateurs ont beaucoup travaillé, ensuite parce que représentant les communes de France, ils sont très attachés au développement de leurs provinces ainsi qu'à l'aménagement de la région parisienne, car l'un ne peut être dissocié de l'autre.

En ce qui concerne la méthode, je tiens à remercier l'ancien ministre de l'Aménagement du territoire qui a accepté le débat et les propositions du Sénat et le nouveau ministre qui, par sa présence aujourd'hui, prouve qu'il souhaite poursuivre dans la même direction.

Si la loi sur l'aménagement du territoire a vu le jour, c'est aussi grâce à Daniel Hoeffel qui en a été l'un des artisans et qui nous a soutenus dans nos projets de péréquation financière.

Je me félicite surtout du travail préparatoire qui a été fait par le Sénat avant le vote de la loi sur l'aménagement et le développement du territoire.

Des rapports ont été publiés : Rapport sur l'espace rural (1990) ; Rapport sur la Ville et les Banlieues (1992) ; Rapport sur l'aménagement du territoire (1994)

Un important travail a été réalisé par la mission d'information sur l'aménagement et le développement du territoire qui a suivi tout le déroulement du débat national et fait des propositions concrètes que le Gouvernement a bien voulu retenir.

Une convention nationale sur l'aménagement du territoire a enfin permis de débattre avec plus de 1.500 élus locaux et personnalités qualifiées, sur l'avenir de notre espace.

Aujourd'hui, les Sénateurs souhaitent faire le point sur l'application d'une loi à laquelle ils tiennent et dont ils espèrent pouvoir dire, à l'aube du 3ème millénaire, qu'elle a fait avancer les idées et qu'elle a contribué au développement de notre territoire et au bien-être de nos concitoyens.

Nous voulons, Monsieur le Ministre, voir où en sont les réalisations concrètes, car il est dans le rôle du Parlement de veiller à la bonne application des textes qu'il a votés. Il s'agit avant tout, comme avec un observatoire, de constater ce qui va bien et de s'en féliciter ou de réorienter ce qui va mal.

Je souhaite qu'il y ait des réunions régulières sur ce point et je veux remercier mon ami Jean François-Poncet d'avoir pris l'initiative de ce colloque.

(Applaudissements).

ALLOCUTION DE M. JEAN FRANÇOIS-PONCET, PRÉSIDENT DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES DU SÉNAT

M. Jean François-Poncet .- Quelques mots de remerciements et d'explications sur les raisons de ce colloque et les espérances que nous plaçons en lui.

Evidemment, je remercie le président du Sénat d'être ici aujourd'hui, de bien vouloir nous accueillir à déjeuner tout à l'heure. Sur un sujet qu'il connaît mieux que personne, auquel il a, dans la région qui est la sienne, contribué d'une façon exemplaire, sa présence allait de soi, mais elle est pour nous très importante.

Je remercie aussi Jean-Claude Gaudin. Comment aurait-il pu échapper à notre invitation ? Nous l'entendrons avec tout le plaisir avec lequel nous écoutons toujours les ministres de l'Aménagement du territoire. Quand ils sont, en plus, issus du Sénat, c'est avec une sympathie spéciale.

Par anticipation, je remercie tous les ministres qui vont venir. Vous comprenez pourquoi. L'aménagement du territoire est un sujet partagé entre tous les départements ministériels. Il faut rendre chaque ministre attentif -si c'est nécessaire- à la partie de la loi qui le concerne, en tout cas faire le point de la mise en oeuvre de ses dispositions.

Je remercie aussi Charles Pasqua qui viendra cet après-midi -comment n'aurait-il pas été invité ?- et le Premier ministre clôturera, par son intervention, nos débats.

Je veux aussi remercier François-Michel Gonnot et Patrick Ollier.

Cette préoccupation ne peut pas être celle du Sénat seul. Pour l'élaboration de la loi, nous avons travaillé en étroite concertation avec l'Assemblée nationale, plus qu'à aucun autre moment pour aucun autre texte.

Je n'aurais pas imaginé une seconde qu'on puisse tenir un colloque de ce type sans avoir une participation active de l'Assemblée nationale et cet après-midi, la session sera présidée par mon collègue président de la Commission de la production et des échanges.

Je remercie le grand rapporteur du texte à l'Assemblée nationale, Patrick Ollier.

Deux séries de commentaires : pourquoi ce colloque ? Qu'en attend le Parlement ?

Pourquoi ce colloque ? Parce que le Sénat ne pouvait pas, étant donné le rôle qu'il a joué et l'intérêt que tous les sénateurs portent au sujet de l'aménagement du territoire, ne pas se préoccuper de la mise en oeuvre de cet instrument qu'est la loi du 4 février dernier.

Je n'ai pas besoin de rappeler -le président vient de le faire- le rôle que nous avons joué dans la résurrection de ce sujet qui, dans les années 80, était passé tout à fait à la marge des préoccupations nationales.

Les trois rapports que nous avons établis sur l'espace rural, sur les banlieues, sur l'aménagement du territoire, les deux conventions nationales que nous avons organisées à Bordeaux et au Futuroscope à Poitiers ont joué un rôle significatif dans le fait que le sujet de l'aménagement du territoire est redevenu un grand sujet national et, bien entendu, avec l'Assemblée nationale, nous avons beaucoup contribué à l'élaboration du texte quand il est venu devant le Sénat. C'était donc une première raison majeure pour qu'il prenne cette initiative.

Ensuite -et c'est la deuxième raison- le caractère et l'importance de cette loi. C'est une loi-cadre. Par conséquent, elle ne vaudra que par ce que l'on mettra dans ce cadre. La loi ne sera pleinement applicable et appliquée que quand les cinq lois d'application prévues, les dix schémas, les treize décrets en Conseil d'Etat et les dix rapports d'application auront été confectionnés et seront parus au Journal Officiel ou auront été communiqués aux assemblées. Je vais vous rendre attentifs à cela. Il y a là un travail de vigilance qui découle de la nature même de cette loi.

Ensuite, c'est une loi qui innove, elle se heurte à des obstacles : psychologiques, politiques, administratifs.

Laissez-moi vous rappeler les quatres innovations principales.

La loi dit : "Il n'y aura pas d'aménagement du territoire sans un réseau de grandes infrastructures". Elle prévoit que celles-ci doivent, dans les dix-huit mois, figurer dans des schémas sectoriels et dans un schéma national d'aménagement du territoire en cours d'élaboration.

Deuxième grand principe : pas d'aménagement du territoire sans péréquation des ressources entre collectivités riches et collectivités pauvres -c'est plus facile à dire qu'à faire, nous le savons tous- mais c'est fondamental. Nous avons, dans la loi, posé un principe nouveau -en France, pas à l'étranger- qui prévoit entre les grands espaces régionaux une fourchette au-delà de laquelle des versements de compensations doivent s'opérer. Ce texte, ô combien difficile à concevoir, est à mettre en oeuvre. Mais la loi le prévoit.

Troisième principe : pas de développement local sans privilèges fiscaux dérogatoires. Nous nous posions la question de savoir si le Conseil constitutionnel entérinerait ce principe. Il l'a fait et la loi prévoit toute une série de dispositions qui le mettent en oeuvre.

Quatrième principe : pas de différence ou plutôt une parité de traitement entre l'espace urbain et l'espace rural. C'est un principe tout à fait fondamental et nouveau.

Voilà les raisons pour lesquelles le Sénat, à cause de ce texte, de son caractère, de son importance, se devait de s'interroger sur sa mise en oeuvre.

Qu'attendons-nous de ce colloque ? Je suis heureux que le ministre et délégué à l'Aménagement du Territoire nous rejoigne. Nous en attendons une information. Où en sont les textes d'application, les crédits ? Ceux de cette année, nous les connaissons, mais après les vaches maigres, pouvons-nous dire que nous aurons les vaches grasses et que nous échapperons aux vaches folles ? Je me permets de poser la question. Où en est le schéma national d'aménagement du territoire ? Pouvons-nous espérer que le gouvernement l'envisage avec suffisamment de précision ? Car un schéma national pourrait se contenter de pieuses généralités, étant donné qu'il est soumis au Parlement, renvoyant tout ce qui est concret et précis à des schémas sectoriels arrêtés par décret. Il y a là une préoccupation que vous trouverez sûrement sur les bancs du Sénat.

Deuxièmement, nous en attendons la confirmation que la priorité de l'aménagement du territoire reste au premier rang des préoccupations du gouvernement. Nous n'avons pas de doutes, mais nous si en avions eu, vous les auriez, cher Jean-Claude, depuis longtemps dissipés, cependant, nous vivons des temps difficiles.

Nous approuvons les efforts que le gouvernement accomplit pour rétablir la santé de nos finances publiques. Par conséquent, dans ces périodes de temps difficiles où les urgences s'accumulent, nous pouvons évidemment être préoccupés et penser qu'une priorité à long terme comme l'aménagement du territoire passe après celles à court terme qui sollicitent l'attention quotidienne du gouvernement.

Enfin, monsieur le ministre de l'Aménagement du Territoire, je mentirais si je ne vous disais pas que nous avons certaines inquiétudes. Je les mentionne rapidement. J'ai déjà parlé des crédits, ceux du budget de 1996, ceux du budget de 1997 que nous ne connaissons pas. Le gel des crédits est différent. Nous entendons des rumeurs sur un gel de l'ordre de 25 % du fonds national d'aménagement du territoire, de la prime d'aménagement du territoire. Il ne suffit pas d'avoir connaissance des décisions prises au moment de la loi de finances, il faut aussi connaître la façon dont elles s'appliquent. Il y a là de très sérieuses interrogations.

Nous sommes à la fois heureux, monsieur le ministre, et un peu préoccupés de la loi sur les villes que vous avez fait passer. Elle est excellente, mais il nous semble qu'elle pourrait porter atteinte au principe de la parité entre l'espace rural et l'espace urbain.

Y aura-t-il, pour l'espace rural, l'équivalent de ces 5 milliards de crédits annuels prévus pour les villes ? Y aura-t-il des zones franches dans l'espace rural où elles sont tout aussi utiles et indispensables que dans l'espace urbain ? C'est une question que j'ai déjà posée à la réunion du Conseil national de l'aménagement du territoire, mais nous serons sûrement amenés à la reposer.

Un mot d'explication. Quand on parle de l'espace rural, on commet souvent un contresens. On a dans l'esprit les critères de l'INSEE, c'est-à-dire qu'on voit les communes de moins de 2.000 habitants. En réalité, dans l'espace national, il y a trois grandes catégories de territoires : l'agglomération parisienne dans toute sa largeur, qui regroupe plusieurs régions administratives ; il y a les métropoles régionales et il y a le reste de la France. Quand je parle de l'espace rural, je pense à ce dernier, c'est-à-dire aux villes moyennes, aux petites, aux agglomérations qui maillent cet espace rural et on ne peut pas imaginer qu'il se développe sans que son réseau de villes se développe avec lui. Donc, il y a là une deuxième interrogation.

Une troisième a été suscitée très largement par le troisième aéroport de la région parisienne, non pas qu'il ne soit pas utile et je ne me permettrai pas de le critiquer en tant que tel, mais nous avons dans l'esprit le sentiment qu'une des grandes priorités nationales est de développer des plates-formes internationales dans un ou deux grands aéroports de province. Je pense à Lyon et volontiers à Marseille ou Toulouse. La France est le seul pays européen où il n'y a qu'une plate-forme. Il y a donc là une priorité qui nous aurait semblé devoir passer avant le troisième aéroport.

Nous entendons aussi beaucoup parler de déconcentration et de réforme de l'Etat. Qui ne les approuverait ? Nous entendons moins parler de décentralisation. Or, nous pensons qu'elle n'est pas achevée, qu'elle doit aller de pair avec la déconcentration.

J'avais ces interrogations dans l'esprit, il me revenait, monsieur le ministre, de vous les poser, car nous voulons être informés et vous faire part des préoccupations des élus. Ce que j'ai dit n'est animé par aucun esprit de critique, mais par une certaine dose de vigilance qu'il est normal de trouver dans notre assemblée.

Monsieur le ministre, vous avez tiré, me semble-t-il, une conclusion : le Sénat est votre allié. Vous pouvez vous appuyer sur lui pour la mise en oeuvre de vos objectifs de ministre de l'Aménagement du Territoire, vous le trouverez à vos côtés. N'oubliez pas que l'aménagement du territoire est un combat, très long ; en réalité, il ne s'arrête jamais.

(Applaudissements).

Monsieur le ministre, vous avez la parole.

III. BILAN GÉNÉRAL

ALLOCUTION DE M. JEAN-CLAUDE GAUDIN,
MINISTRE DE L'AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE,
DE LA VILLE ET DE L'INTÉGRATION

M. Jean-Claude Gaudin .- Monsieur le Président du Sénat, Messieurs les Présidents, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs, mes chers amis, le Sénat a pris l'heureuse initiative, un peu plus d'un an après le vote de la loi d'orientation du 4 février, d'organiser ce colloque destiné à faire le point sur l'application de ce que nous avons tous fini par appeler la "loi Pasqua".

Je profite de cette occasion pour rendre hommage à Charles Pasqua et à Daniel Hoeffel, comme le président du Sénat vient de le faire, ainsi que le président Jean François-Poncet, qui ont porté ce projet de loi, ensuite enrichi et voté par le Parlement, à l'issue d'un long débat.

Le rôle qui m'est assigné aujourd'hui consiste à faire un bilan général. Je me prête bien volontiers à cet exercice, sans doute aussi nécessaire qu'il risque cependant d'être un peu fastidieux. Aussi, pour corriger ce que la longue énumération de décrets intervenus, des fonds créés et des conseils mis en place pourrait avoir de rébarbatif, n'ai-je pas hésité, ne respectant peut-être pas exactement le cadre prévu, à compléter mon propos par l'exposé de quelques perspectives.

Mon intervention sera donc organisée en deux parties : le bilan un an après et quelles perspectives pour les années à venir ?

D'abord, le bilan. Il m'est d'autant plus facile de dire que beaucoup a été fait depuis le 4 février de l'année dernière que chacun sait que je ne suis en charge de l'aménagement du territoire que depuis un peu plus de quatre mois.

La plupart des textes réglementaires nécessaires à la mise en application directe de la loi ont été publiés. Dix-huit décrets, dont dix après avis du Conseil d'Etat, ont été pris. C'est ainsi que les instances créées ou rénovées par le législateur, notamment pour animer la réflexion collective et éclairer les choix du gouvernement, sont en place, qu'il s'agisse du Conseil national de l'aménagement et du développement du territoire, des conférences régionales, du Comité interministériel, des Comités de gestion des fonds d'intervention, de l'Observatoire des finances locales.

Le dernier décret des dix-huit publiés délimite les zones de revitalisation rurales dans lesquelles s'appliquent désormais exonérations fiscales et mesures concernant le logement.

Ces fortes incitations au développement de l'emploi et à l'installation des personnes dans les zones rurales les plus fragiles seront prochainement complétées par l'exonération des cotisations de Sécurité Sociale à la charge de l'employeur dans les zones de redynamisation urbaines et de revitalisation rurales pour les nouveaux emplois jusqu'au cinquantième salarié de l'entreprise. Il y a bien entendu équité, équilibre.

Je précède une objection qui ne manquera pas d'être faite tôt ou tard dans la journée : il est vrai que, du fait de la contrainte budgétaire, le fonds national de développement des entreprises, dont l'objet est de favoriser la création et le développement des entreprises dans les zones prioritaires d'aménagement du territoire n'a pu, jusqu'à présent, être mis en place.

En revanche, le fonds national d'aménagement et de développement du territoire, le fonds de gestion de l'espace rural, le fonds de péréquation des transports aériens, le fonds d'investissement des transports terrestres et des voies navigables ont bien, eux, été créés. Ce dernier, en augmentation de plus de 50 % par rapport à 1995, est doté de 3 milliards de francs en 1996. Voilà qui répond à une des premières préoccupations du président Jean François-Poncet et, j'imagine, du Sénat et de vous tous.

Au total, ces différents fonds mobilisent plus de 5 milliards de francs en faveur de l'aménagement du territoire. Alors, certes, il y a des diminutions ou des gels qui affectent certains d'entre eux. Mais globalement, les moyens sont là, dans une période où le gouvernement doit pourtant réduire les déficits budgétaires. Cela méritait d'être souligné.

Quant à la société chargée d'achever, d'ici à 2010, le canal à grand gabarit entre la Saône et le Rhin, elle est désormais constituée, à parité entre Electricité de France et la Compagnie Nationale du Rhône.

Le Premier ministre a récemment confirmé que les modalités de réalisation de cette liaison devaient, certes, être arrêtées dans la plus grande concertation, mais que cela ne saurait avoir pour effet de retarder le démarrage des premiers travaux.

Deuxième idée concernant la mise en application de la loi : toutes les procédures et les études prévues dans les domaines où la loi renvoie à des rapports, à des propositions ou à des projets de loi ultérieurs, sont engagées.

L'élaboration, monsieur le président, du schéma national d'aménagement et de développement du territoire a commencé dès l'automne dernier par la préparation de synthèses régionales, le recueil des propositions de chacun des départements ministériels et la conduite d'études prospectives sous l'égide du Commissariat général du Plan. Cinq commissions thématiques, présidées chacune par un membre du Conseil national de l'aménagement du territoire, ont engagé leurs travaux sur la base de ces contributions. Leur synthèse par la DATAR constituera l'avant-projet de schéma national qui fera ensuite l'objet de nombreuses consultations avant sa mise en forme définitive.

Pour nombreuses que soient, dans un souci de large concertation, les phases de la démarche, mon objectif est bien de présenter un projet de loi approuvant ce schéma avant la fin de cette année.

Parallèlement, les études préalables à l'établissement des schémas sectoriels de l'enseignement supérieur et de la recherche, des équipements culturels, des infrastructures de transport, des télécommunications et de l'organisation sanitaire, ont été engagées par les ministres responsables.

Je ne crois pas inutile de préciser que ces schémas seront définitivement arrêtés dans le respect des orientations retenues, bien évidemment, par le schéma national.

Avec les directives territoriales d'aménagement, l'Etat dispose par ailleurs d'un nouvel instrument lui permettant d'afficher clairement ses objectifs en matière d'aménagement, de développement et de protection des territoires présentant des enjeux d'intérêt national.

Le caractère novateur de cette procédure m'a conduit à proposer au gouvernement, en accord avec mes collègues chargés de l'urbanisme, des collectivités locales et de l'environnement, de conduire une expérimentation sur cinq sites : la Côte-d'Azur, l'estuaire de la Seine, les Alpes du Nord, l'aire métropolitaine de Marseille et l'estuaire de la Loire.

Chaque projet de directive est préparé par un préfet coordonnateur, sous la direction d'un Comité de pilotage interministériel dont le secrétariat est assuré par la DATAR.

Un plan pour le développement rural, destiné à compléter le dispositif s'appliquant dans les zones de revitalisation rurales -dont la préparation fait actuellement l'objet d'une consultation- sera présenté à l'automne.

Raymond-Max Aubert, délégué à l'aménagement du territoire et à l'action régionale, vous en parlera cet après-midi. Là encore, nous y tenons, vous voulons arriver à cette proposition de loi, de manière qu'il y ait toujours équilibre entre les efforts que nous faisons pour la France rurale et ceux en faveur des cités urbaines.

La notion de pays inscrite dans la loi fera l'objet d'une évaluation à l'issue de la période d'expérimentation qui s'achèvera en juillet prochain. J'ai déjà répondu à plusieurs questions sur les pays devant la Haute Assemblée.

La définition de la politique d'organisation du service public sur le territoire est, elle aussi, engagée. Des discussions sont en cours avec les grandes entreprises publiques aux fins de formaliser, notamment au travers des contrats prévus par loi, les objectifs d'aménagement du territoire qu'elles doivent prendre en compte.

Au plan local, les Commissions départementales sont progressivement mises en place en vue de l'élaboration des schémas départementaux de modernisation et d'amélioration des services publics locaux. Cela rejoint l'idée et la notion de pays que j'évoquais à l'instant.

Le Premier ministre a adressé des instructions en ce sens aux préfets et je rappelle ce que j'ai déjà dit devant la Haute Assemblée : ce ne sont pas les préfets qui font les pays, ils aident, ils conseillent, ils mettent à disposition ; les pays sont l'affaire des élus. Si vous avez besoin que je le leur dise moi-même, je le ferai. C'est effectivement à l'initiative des élus et des acteurs économiques et sociaux que les pays doivent se mettre en marche. Comme le Parlement est roi, le Parlement dispose.

(Applaudissements).

Les études nécessaires à l'engagement prochain dans quelques régions volontaires de l'expérimentation, qui doit conduire à confier aux régions la compétence de l'organisation des transports régionaux en matière ferroviaire, sont terminées. Mon collègue Bernard Pons doit rencontrer prochainement les présidents de conseils régionaux pour envisager concrètement le lancement de cette expérimentation, l'affaire est engagée.

Je parle avec la liberté de langage que j'ai apprise au Sénat : on ne refera pas aux régions "le même coup" que pour les lycées. Il y a dix ans, on leur a donné les lycées, mais dans un état de délabrement et de vétusté avancé. Il leur aura fallu dix ans pour rétablir le retard des vingt-cinq années précédentes. Il va de soi que les régions seront, pour certaines, favorables à la mise en place et à l'animation des réseaux de transports ferroviaires, pour autant que la question financière aura été préalablement réglée et qu'on ne leur fasse pas supporter des déficits.

L'une des orientations majeures de la loi, qui consiste à développer fortement la solidarité financière entre les collectivités locales, a reçu un début d'application. Le fonds national de péréquation permettant de conforter les ressources des communes, dont parlait le président Jean François-Poncet -celles-ci souffrant d'une insuffisance de recette de taxe professionnelle- a en effet été créé dès 1995. Il est doté de 615 MF en 1996. La suppression de la dotation globale de fonctionnement de l'Ile-de-France est engagée depuis 1995.

Les études nécessaires à l'établissement du rapport que le gouvernement doit déposer devant le Parlement, concernant la réduction des écarts de ressources entre les collectivités territoriales, sont, par ailleurs, en cours.

L'analyse des critères des charges des communes est pratiquement achevée. De même que celle des liens existant entre la richesse et la pression fiscale.

Des propositions relatives à la réforme du financement des collectivités locales seront formulées dès l'achèvement de ces travaux.

Enfin, le législateur a invité le gouvernement à lui faire des propositions pour simplifier l'intercommunalité et clarifier les compétences entre l'Etat et les collectivités territoriales. Un prérapport relatif à l'intercommunalité sera prochainement remis aux élus dans la perspective d'une concertation courant avril 1996 et le rapport définitif pouvant servir de fondement à des modifications législatives sera pris avant l'été.

De tous ces sujets et de la clarification des compétences entre l'Etat et les collectivités territoriales qui entrent dans les objectifs de la réforme de l'Etat, Dominique Perben et Alain Lamassoure vous entretiendront plus longuement dans la journée ; c'est de leur responsabilité.

Vous le voyez, monsieur le président du Sénat, messieurs les présidents, mesdames et messieurs, l'effort des différents départements ministériels concernés est rien moins qu'intense, même si la phase de mise en application actuelle est moins spectaculaire que celle des débats qui ont précédé et accompagné le vote de la loi.

Maintenant, nous en arrivons aux perspectives. Voilà tout le bilan d'une année, ce n'est déjà pas mal. Il reste encore beaucoup à faire. La loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire a aussi ouvert des perspectives de réformes plus ambitieuses, qui ne pouvaient être sérieusement concrétisées en une seule fois.

En outre, à l'intérieur du cadre et du programme de travail définis par la loi, des choix politiques restent à opérer. C'est ce contenu, pour l'avenir, qui m'importe maintenant.

S'agissant d'aménagement, mais aussi, ne l'oublions pas, de développement du territoire, deux aspects indispensables l'un et l'autre doivent être, selon moi, distingués : les politiques curatives à effet immédiat et les politiques d'anticipation à plus long terme.

Sur le premier plan, celui des politiques curatives immédiates, le gouvernement a fait ce qu'il fallait ; à la mise en place des mesures prévues dans les zones de revitalisation rurales ont correspondu des mesures fortes, prises en faveur des quartiers en difficulté, dont Eric Raoult vous entretiendra.

Le gouvernement a, par ces mesures, commencé de donner corps aux exigences d'équité territoriale et d'égalité des chances posées par l'article 1er de la loi d'orientation.

Il nous faut maintenant aborder une deuxième phase, celle des politiques à long terme, celle de l'anticipation.

S'agissant du long terme, je crois indispensable de dresser d'abord un constat des tendances en oeuvre, puis de caractériser les différents scénarios possibles. Je vous ferai part ensuite de mes propres convictions.

D'abord, s'agissant du constat de ce qui influera sur l'organisation du territoire, je voudrais rappeler une évidence, quelques tendances et tenter de repérer avec vous les prochaines ruptures.

L'évidence : le temps n'est plus où l'Etat faisait ce qu'il voulait, comme il voulait, quand il voulait. L'aménagement du territoire est désormais une compétence partagée avec les collectivités territoriales et notamment les régions. La politique régionale européenne pèse, quant à elle, de tout son poids.

Il faut donc s'assurer que ces trois principaux intervenants : l'Etat, l'Europe et les régions, ont bien une vision si possible commune, au minimum compatible du devenir du territoire de l'Europe, des États nations et de chaque région. Cette vision commune n'existe pas en soi, il faut y travailler, il faut l'élaborer.

Les tendances : le 21ème siècle sera marqué par la mobilité, celle des hommes, des capitaux, des entreprises, des marchandises, des informations. La nécessité d'aller plus vite, plus loin, plus fréquemment rendra perméables les frontières et fragiles les souverainetés. Localisations et délocalisations s'accéléreront.

Le 21ème siècle sera marqué aussi, j'en suis sûr -bien que je n'ignore pas qu'il y ait discussion sur ce point- par l'amplification du mouvement de métropolisation et de concentration urbaine.

En 1950, mes chers amis, il n'existait dans le monde que deux métropoles de plus de 10 millions d'habitants ; en 1990, 17 ; en 2015, selon les experts, il y en aura une trentaine.

La multiplication des autoroutes, des TGV, des liaisons aériennes intercontinentales favorise la polarisation des activités dans les lieux privilégiés d'articulation avec l'économie mondiale. L'Allemagne envisage l'émergence de sept à huit noeuds intercontinentaux ; l'Amérique une douzaine. En Allemagne, plusieurs villes déjà millionnaires en habitants sont susceptibles d'accueillir ces mutations : Berlin, Munich, Francfort, Hambourg, Düsseldorf. De même en Italie : Milan, Turin, Naples, Rome peuvent fixer cette évolution.

En France, pour l'instant, seuls Paris et l'Ile-de-France sont capables d'absorber cette vague de concentration et d'attirer, mais en les monopolisant, les flux internationaux. Il nous faut donc créer, sur le territoire, plusieurs aires de métropolisation attractives, pôles stratégiques d'articulation avec l'économie mondiale, de façon à soulager la pression démographique excessive qui s'exerce sur l'Ile-de-France, afin de capter une part plus importante des flux de développements économiques internationaux.

Maintenant, les ruptures : l'émergence des nouvelles technologies de l'information et de la communication constitue une révolution. L'information est déjà -et sera plus encore demain- la principale source de valeur ajoutée. Tout processus de production ira puiser de l'information à distance. Nul ne pourra y échapper, au risque de décliner. Nous devrons, au moindre coût pour l'usager, dans tous les territoires, développer les possibilités qu'offre la télématique et accompagner la révolution culturelle qu'induira inéluctablement l'apprentissage du télé-travail.

J'observe par ailleurs qu'une relation dialectique unit le mondial et le local. Plus la sphère de l'économie mondiale se développera, plus la sphère du local voudra, en réaction, s'organiser. C'est ainsi qu'il faut interpréter les demandes de décentralisation et d'identification locales.

Ce mouvement en faveur de l'organisation d'espaces de dimension modeste est fort. Il nous reviendra d'en tirer le meilleur parti pour structurer le territoire de façon polycentrique.

Enfin, les systèmes hiérarchiques où les instructions descendent du sommet vers la base me paraissent condamnés par les aspirations à plus d'interactivité et de décentralisation. Les réseaux de pouvoirs, de compétences de toutes sortes -systèmes complexes en train d'émerger- se multiplieront. Nous devrons faciliter et accélérer ce passage d'une géographie trop hiérarchisée à une France davantage en réseaux.

Compte tenu de ces tendances et de ces aspirations, quels sont les scénarios possibles pour l'évolution de notre territoire ? C'est bien cela qui nous intéresse.

Trois possibilités pourraient, me semble-t-il, s'affirmer.

La première : le retour à une France fermée sur elle-même, centralisée et hiérarchisée, régulée quasi exclusivement par la loi et l'autorité administrative. Cette tendance existe, elle conduirait à la rupture avec l'Europe et, en termes d'aménagement du territoire, au retour à Paris et au désert français, ce qui est bien connu.

Une France centralisée sous l'autorité de Paris, de la technocratie et de réseaux de savoirs et de pouvoirs qui aboutissent et partent de la capitale. Une France vieillissante en province, surtout au sud de la Loire, et dont les forces vives émigrent vers Paris et l'Ile-de-France pour tenter d'y trouver un emploi.

Nous devons lutter contre ce scénario -tout aussi inacceptable pour la capitale que pour la province- prendre le contre-pied en préconisant un renforcement de la décentralisation, de l'intégration à l'Europe et en mettant en place pour les espaces les plus démunis les aides nécessaires, comme ce qui a été fait pour les zones de revitalisation rurales et pour les zones de redynamisation urbaines sur lesquelles nous reviendrons cet après-midi.

Le deuxième scénario est celui de l'hégémonie de l'économie et de la dérégulation. Il conduirait à l'éclatement du tissu social et à la dislocation du territoire national. Un petit nombre de métropoles, grossissant en tache d'huile autour de quelques villes les plus importantes, se constitueraient sans solidarités avec le respect des territoires. Des villes-États comme le furent Gênes, Venise, Rotterdam apparaîtraient.

Le rêve de certains aménageurs américains n'est-il pas de constituer chez eux une douzaine de mégalopoles de 20 millions d'habitants et de laisser tomber le reste du territoire ? Ce scénario catastrophe est celui du "fil de l'eau" ; ne rien faire serait le choisir.

Reste le troisième, celui d'une France intégrée et maillée ; celui de l'ouverture externe et de la cohésion interne. Une France privilégiant, sur quelques grands espaces qui s'y prêtent, une organisation urbaine polycentrique, avec des villes nombreuses à taille humaine, séparées par des espaces de respiration fortement protégés. Une France possédant des provinces à forte identité, une France de solidarités entre territoires riches et pauvres, une France qui concilie impératif de compétitivité et cohésion nationale.

Pour parvenir à cette France plus polycentrique, que j'appelle de tous mes voeux, trois actions déterminées sont, à mon avis, nécessaires.

D'abord, il nous faut en vingt ans, de 1996 à 2015, redresser l'armature urbaine de notre territoire pour organiser plusieurs aires métropolitaines susceptibles de capter les flux internationaux.

Les projections démographiques, pour 2015, montrent que la population du quart sud-est de la France, avec les régions de Rhône-Alpes, Provence-Alpes-Côte-d'Azur, Languedoc-Roussillon qui pourraient croître de 3 millions d'habitants, Lyon, Saint-Etienne au Nord, Marseille au Sud, mais aussi les villes que sont Grenoble, Montpellier, Clermont-Ferrand et Nice peuvent former une aire de métropolisation polycentrique qui constituerait un nouvel espace fort pour la France. En vingt ans, c'est possible.

De même de Toulouse à Bordeaux, dans le Val de Garonne, pourrait émerger un autre axe fort d'équilibre du territoire.

Dans l'Ouest : Rennes, Nantes, Angers peuvent créer, avec 3 millions d'habitants en 2015, une capitale à plusieurs têtes.

Dans l'Est : Nancy, Metz, Strasbourg peuvent constituer un quatrième pôle et Lille, Roubaix, Tourcoing, Arras, Calais, Dunkerque pourraient former un cinquième ensemble.

Cette organisation permettrait de constituer, de consolider un socle dynamique de PME-PMI qui trouveraient dans ces aires les services de haut niveau dont elles ont besoin pour être compétitives à l'échelle européenne, si ce n'est même mondiale.

Elle permettrait aussi d'entraîner les territoires environnants dans une dynamique de développement et de revitalisation par une meilleure irrigation des territoires ruraux.

Outre la constitution de quelques grandes aires métropolitaines, il faudra, dans un même temps, encourager l'émergence d'espaces pertinents de développement du territoire, c'est-à-dire d'espaces qui, par leur dimension et leur organisation, seraient susceptibles de ne pas freiner et même de porter le développement et de créer des emplois.

La France doit admettre que son organisation, avec 36.000 communes auxquelles nous sommes très attachés, ne fournit pas le meilleur support au développement de son territoire. L'organisation efficace pour ce développement, ce sont désormais les agglomérations dans les zones de forte densité et les pays dans les zones de plus faible densité. C'est un fait. Nous devons l'admettre et accélérer en conséquence l'organisation de ces nouveaux espaces, sauf à vouloir épuiser nos forces à contrer des évolutions de toute façon inéluctables.

Cette nouvelle organisation du territoire qui, je le précise, ne remet en cause dans mon esprit ni les communes, ni les départements, doit nous permettre de compléter la politique d'aménagement du territoire reposant trop exclusivement sur des zonages, avec les problèmes de frontières qu'ils posent, par une politique de promotion de projets de développement, projets concernant des espaces économiques qui dépassent le plus souvent nos actuelles frontières administratives.

Mon souhait le plus cher, c'est donc que les Commissions thématiques d'élaboration du schéma national d'aménagement et de développement du territoire, puis le gouvernement et enfin le Parlement, retiennent l'idée d'organiser en communautés de villes les 100 plus grandes agglomérations.

Le Général de Gaulle avait innové en créant 6 communautés urbaines en 1966. Nous devrions, en 1996, étendre l'idée aux 100 plus grandes agglomérations, les doter de pouvoirs et de compétences accrus leur permettant de lutter efficacement contre l'apparition de ghettos et de créer collectivement des emplois, de l'unité et de l'organisation.

A côté de ces agglomérations, il faudra créer, au cours des vingt années, de l'ordre de 4 à 500 pays pour mieux structurer l'espace rural.

Si, en vingt ans, d'ici à 2015, nous pouvions doter la France de quelques grandes aires métropolitaines bien organisées, de 100 agglomérations disposant d'un véritable pouvoir et de 500 pays coordonnés, notre projet "France 2015" constituerait une des grandes réformes accomplies dans notre pays. L'efficacité économique au service de l'emploi y gagnerait, la vie quotidienne en serait améliorée.

Voilà pour ce qui concerne ma vision de l'armature à long terme nécessaire au pays.

Une deuxième action me paraît vitale à engager, elle consiste, dans un contexte où les préoccupations concernant le plein emploi et la maîtrise des finances publiques seront durables, à concilier la nécessaire égalité des différentes parties du territoire avec la non moins nécessaire constitution de pôles de développement internationalement compétitifs.

La solidarité nationale est constitutive de la nation. Voilà pourquoi, dans le cadre de la réforme de la fiscalité, il faudra impérativement organiser une péréquation qui transfère automatiquement des crédits budgétaires des régions riches vers les régions pauvres et à l'intérieur de chacune des régions, des pays et des agglomérations riches vers les pays et les agglomérations pauvres. La cohésion territoriale doit contribuer à la cohésion sociale, même -comme le faisait remarquer Jean François-Poncet tout à l'heure- si c'est plus facile à dire qu'à mettre en oeuvre.

La politique d'aménagement est aussi, il ne faut pas l'oublier, une politique de développement du territoire. Elle doit certes assurer -ceci passe sans doute par des zonages- une discrimination positive en faveur des territoires les plus défavorisés, de façon à assurer à leurs habitants l'égalité territoriale. Mais elle doit aussi, dans un contexte de compétition économique internationale exacerbée et de sous-emploi qui ne disparaîtra pas à court terme, favoriser le développement des atouts spécifiques des différents territoires qui composent le pays et qui ne peuvent tous avoir la même vocation. Egalité ne signifie pas uniformité, encore moins nivellement par le bas.

Enfin, troisième idée qui m'est chère : il nous faudra aussi entre dix et vingt ans pour arriver à des documents de planification stratégique établis par pays et par agglomération et non plus au niveau communal.

Promouvoir le développement durable passe en effet par l'élaboration, par exemple, de documents d'urbanisme à l'échelle des espaces pertinents que sont ces pays et ces agglomérations.

Voilà quelles sont, à grands traits, mes conceptions de l'organisation du territoire pour le 21ème siècle.

C'est toutefois, mes chers amis, aux cinq Commissions thématiques d'élaboration du schéma national présidée par des élus qu'il appartiendra de présenter, lors de ce printemps 1996, des propositions au gouvernement.

Il reviendra à la DATAR d'en faire la synthèse qui sera soumise à l'avis du Conseil national d'aménagement et de développement du territoire et de présenter un projet global, cohérent et prospectif pour 2015, puis, au cours de l'été et de l'automne 1996, les régions et les autres collectivités territoriales exposeront leurs avis et formuleront leurs amendements.

Pour finir, c'est le Parlement qui tranchera au nom de la nation et définira les options pour 2015, qui trouveront leur application dans les schémas sectoriels et schémas régionaux.

L'enjeu, allez-vous me dire, est considérable. C'est dire que les grandes formations politiques de la majorité et de l'opposition devront s'exprimer très clairement sur ces sujets. L'aménagement du territoire ne peut, en effet, s'accommoder d'ambiguïtés ou d'improvisations. L'Union européenne, l'Etat et les collectivités locales devront tirer dans le même sens, certes à des niveaux différents, mais forts, et pendant longtemps.

Soyez assurés que, pour sa part, l'Etat fera les choix difficiles, mais nécessaires, qu'exigent les importantes réformes de l'organisation de notre territoire que nous devons impérativement entreprendre.

Je me suis peut-être laissé aller, sans doute, monsieur le président du Sénat, mes chers amis, parce que nous sommes là au Sénat, à communiquer mon sentiment un peu personnel sur cette affaire. Je répète aux membres éminents de la Haute Assemblée, à Daniel Hoeffel, que j'ai pris un texte tel que vous l'avez voulu, préparé, façonné. C'était sous les regards de la France entière par l'intermédiaire des médias.

Depuis douze mois -et moi depuis quatre mois- nous ne nous sommes pas croisé les bras. Nous avons fait le maximum pour mettre en place cette loi du 4 février. Il reste encore beaucoup à faire. Ma détermination, ma volonté, je les mets au service, en particulier, de la Haute Assemblée, même si j'ai toujours un regard amical sur l'Assemblée nationale, mais ici, comme le disait le président, "on prend son temps, mais on travaille et on ne le fait pas sous la pression extérieure et quelquefois, il faut savoir s'en dégager".

Voilà, monsieur le président, même si j'ai été un peu long -mais c'est la première fois que je m'exprime dans un colloque sur l'aménagement du territoire- ce que je voulais vous dire.

(Applaudissements).

M. Jean François-Poncet .- Monsieur le ministre, mille mercis. Vous n'avez pas été trop long, bien au contraire. Vous avez été particulièrement clair et, m'a-t-il semblé, convaincu. J'ai cru sentir une flamme dans votre discours. Nous y avons tous été extrêmement sensibles, nous avons besoin de savoir qu'à la tête de ce dossier difficile, parce qu'il concerne la plupart des ministres, nous avons un ministre qui y croit et qui se bat. C'est le double sentiment que vous nous avez donné.

Pour commencer à vous questionner, je me tourne vers le rapporteur de la loi, M. Ollier, à qui je vais donner la parole.

Je voudrais toutefois vous dire que mon collègue, le président Gonnot, fera au début de l'après-midi, au nom de l'Assemblée nationale, une déclaration analogue à la mienne ce matin pour vous exprimer les interrogations du Sénat. C'est lui qui présidera la séance.

RÉPONSE DE M. PATRICK OLLIER,
DÉPUTÉ DES HAUTES-ALPES,
RAPPORTEUR DE LA LOI D'ORIENTATION À L'ASSEMBLÉE NATIONALE

M. Patrick Ollier .- Monsieur le Président, Messieurs les Ministres, chers amis, permettez-moi d'abord de saluer ici ceux avec qui nous avons effectivement travaillé pendant près de huit mois pour construire cette loi. Ce fut un travail d'équipe. Je voudrais tout particulièrement, monsieur le président du Sénat, rendre hommage au président Jean François-Poncet et à mes collègues rapporteurs et co-rapporteurs M. Larcher, M. Belot et M. Girault, avec un hommage tout particulier à M. Hoeffel qui, en tant que ministre à l'époque, a subi les attaques "en piqué" de l'ensemble des rapporteurs et des parlementaires. Je suis heureux qu'il soit là.

Ce que vous avez dit est très positif. J'ai constaté, en tant que rapporteur, mais toujours très actif dans l'aménagement du territoire, que depuis que vous êtes en place, vos services n'avaient pas chômé. M. Perben a également engagé des travaux correspondant parfaitement à nos souhaits.

Il est vrai que si nous faisons le bilan de l'application de la loi par rapport aux 88 articles, en nombre de décrets aujourd'hui promulgués, en nombre de rapports engagés, en nombre de chantiers mis en oeuvre, vous avez parfaitement rempli le contrat et nous sommes là pour vous en donner acte et vous en remercier.

Nous avons voulu, lorsque nous avons soutenu cette loi, faire en sorte qu'il y ait des instruments à la disposition d'une politique. Aujourd'hui, au-delà des décrets d'application, nous voulons être bien certains que cette politique est mise en place pour les vingt ans à venir, que les instruments créés vont évoluer au fur et à mesure de sa mise en oeuvre.

Vous l'avez dit tout à l'heure, monsieur le ministre, nous ne faisons que commencer. C'est une loi d'orientation qui regarde vingt ans devant elle et ce genre de colloque doit avoir à se reproduire très souvent. On ne peut pas dire que parce qu'une loi est votée, vingt ans de politique d'aménagement du territoire sont engagés. Elle est évolutive en fonction des circonstances et on doit être capable de la faire évoluer.

Monsieur le ministre, vous inscrivez-vous bien dans cette évolution ? J'ai cru comprendre tout à l'heure que vous le souhaitiez. Nous avons quelques inquiétudes, il faut les dire.

Tout d'abord, nous avons le sentiment que pour ce qui concerne l'application de la loi votée, dont les décrets sont sortis, il y a des réticences sur le terrain et, au niveau des administrations de terrain, des interrogations et des délais beaucoup trop longs pour mettre en oeuvre les dispositions prises.

Je voudrais rendre hommage à la DATAR, parce que sa charge n'est pas facile. Je salue un délégué qui est aussi un homme de terrain, ce qui rend la situation plus efficace.

Dans les départements, il faudrait que les responsables administratifs sur place se sentent beaucoup plus motivés pour que la mise en oeuvre des décrets d'application soit plus rapide.

Nous sommes confrontés à des discussions très dures sur le terrain, sur la mise en place, par exemple, des schémas départementaux des services publics qui se télescopent avec la préparation de l'ensemble des dispositions que nous devons prendre, notamment dans le monde rural, pour préserver la présence des services publics et, bien souvent, les solutions ne sont pas faciles à trouver. Il y a là, peut-être, un peu plus de dynamisme à mettre en place.

Une autre question concerne les crédits. M. Jean François-Poncet vous en a parlé. Vous avez ouvert des perspectives parfaitement suffisantes, nous les approuvons et nous vous soutenons. Mais comment pouvons-nous nous engager si, au même moment, il n'y a pas une autorité qui, au niveau de l'Etat, doit être celle du Premier ministre -et il sera interrogé cet après-midi sur ce point précis- qui tranche dans les choix d'aménagement du territoire et peut permettre à cette politique de disposer des moyens financiers dont elle a besoin ? Car au moment où nous nous engageons dans cette perspective, nous avons fixé des objectifs, monsieur le ministre, et les vôtres nous donnent totale satisfaction.

Si, sur le terrain, nous sommes privés des fonds nécessaires pour la mettre en oeuvre, il est bien évident que parmi les élus locaux, il y aura dans les prochains mois quelques sentiments de frustration.

Alors, j'appelle l'attention du gouvernement et du Premier ministre qui doit arbitrer en la matière. Il doit bien faire attention que les crédits nécessaires au déroulement normal de la politique que nous avons engagée ensemble puissent être libérés et surtout ne soient pas gelés. A partir de là, nous nous heurterons à des contraintes insurmontables sur le terrain.

Ensuite, vous avez parlé de la responsabilité des élus. J'estime que cette loi est une loi de responsabilisation des élus et nous sommes tout à fait d'accord pour l'assumer.

Au fur et à mesure de l'accélération de la décentralisation, autre question : est-ce que la loi va jusqu'au bout de ce qu'il aurait fallu faire pour achever la décentralisation ?

Au moment où on s'engage dans une déconcentration plus forte, il faut que l'Etat garde son rôle prioritaire au niveau de l'harmonisation, de l'incitation et de la coordination. L'équité entre les territoires, c'est le rôle de l'Etat.

Quid de la mécanique nationale mise en place à travers le plan, la DATAR et la répartition des compétences des ministères ? Nous souhaiterions que celui de l'Aménagement du Territoire voie s'élargir le champ de ses compétences, afin d'avoir les véritables moyens de préserver ses équilibres indispensables.

Nous parlions à l'instant de l'achèvement de la décentralisation. Nous avons manqué de courage -j'assume totalement la responsabilité du côté Assemblée nationale- j'ai manqué de courage en tant que rapporteur, parce que je n'ai pas pu ou je n'ai pas su aller plus loin en matière de clarification des compétences.

Nous n'avons pas su ou pas pu aller plus loin non plus en matière d'équilibre financier et de justice. Je rends hommage au sénateur président Jean François-Poncet qui a pu mettre en place le système de péréquation à travers cette fourchette 80-120.

Je vous pose une question, monsieur le ministre. J'ai, pour ma part, créé l'indice synthétique qui permet d'évaluer les richesses et les ressources et l'écart entre les deux.

Dans l'année qui vient, allons-nous véritablement savoir si toutes les mesures prises, si toutes les lois aux discussions desquelles nous avons participé très récemment s'inscrivent dans la fourchette 80-120 et dans quel délai serons-nous en mesure de proposer aux collectivités territoriales un dispositif qui, véritablement, permettra de respecter cet objectif fixé ?

C'est très important et la péréquation riches-pauvres ne peut pas se faire par un coup de baguette magique, mais il faut fixer des objectifs aux élus locaux et un calendrier de travail. C'est une question supplémentaire que je vous pose.

Pour terminer -pas parce que je suis élu des zones de montagne, on sait ici que je les défends et le sénateur Jean François-Poncet défend avec beaucoup d'autres le monde rural, ce n'est pas un plaidoyer pro domo- je voudrais qu'on soit bien sûr, monsieur le ministre, que les objectifs que vous avez fixés s'inscrivent bien dans cette perspective de rétablissement des équilibres, de compensation des handicaps, de telle sorte que les deux parties des territoires soient traitées d'une manière réellement équitable.

Nous approuvons la politique en faveur de l'avenir, nous soutenons les décisions que vous avez prises. D'ailleurs, je les ai votées en assemblée avec mes collègues avec enthousiasme. Bravo !

Nous voudrions au même moment, en termes d'affichage mais aussi de réalisation, être bien certains que tout n'est pas fondé sur les zonages. Nous sommes parfaitement conscients qu'une politique de soutien à la revitalisation rurale n'est pas seulement une politique de zonage, ce n'est qu'un moyen. Nous en avons inventé un autre, révolutionnaire : la fiscalité dérogatoire. Nous voudrions que la combinaison de ces moyens -renforcés par d'autres que vous aller nous aider à inventer pour les consolider- et cette complémentarité soient préservées.

Une question : n'est-il pas possible de lancer dans les zones rurales de revitalisation des zones franches ? M. Jean François-Poncet l'a proposé au Conseil national de l'aménagement du territoire. 600.000 personnes sont prises en charge dans le cadre des zones franches urbaines. Pourquoi ne pas tenter les mêmes expériences dans le cadre des zones franches rurales ?

Vous avez terminé sur trois propositions pour l'avenir. J'ai le souvenir d'une proposition tenace issue du fin fond de l'administration française. En 1985, l'INSEE proposait de créer de grandes mégalopoles et des regroupements urbains avec, à côté, des territoires écologiquement protégés. C'est une tendance qui existe, elle est réelle. Nous nous heurtons, dans le rural profond, en permanence à elle.

Le jour où on aura saisi -c'est le principe de la loi, vous l'avez compris, monsieur le ministre, et je vous en remercie- que ce que nous voulons, ce n'est pas développer le monde rural pour le plaisir, mais casser le principe ou le processus des migrations internes et faire en sorte que soient proposées -dans l'activité qui crée la richesse et qui met en oeuvre le développement- les mêmes possibilités dans le monde rural que dans le monde urbain, afin d'aider les maires des grandes villes à éviter la surabondance de population dans les banlieues, on aura bien avancé.

Ce que vous avez dit en choisissant la troisième proposition nous convient : "France intégrée et maillée". D'accord. "Une solidarité des territoires riches et pauvres". Parfait.

Un espace de respiration : je voudrais que nous soyons bien d'accord pour que le monde rural dispose des moyens nécessaires à son développement -nous sommes capables de l'assumer. Nous voulons que les instruments créés soient renforcés et faire en sorte qu'à Paris, au gouvernement -nous vous faisons confiance pour cela- les choix opérés soient toujours parfaitement équilibrés, afin que la confiance qui, depuis une dizaine d'années, a disparu au niveau des élus, soit rétablie.

Monsieur le ministre, est-ce bien le troisième schéma ? Le respect des équilibres que vous avez assuré vouloir défendre et enfin un calendrier que l'Assemblée et le Sénat, bien sûr, s'engagent à soutenir pour vous aider à réussir dans cette nouvelle politique d'aménagement du territoire.

Je vous remercie du fond du coeur, en quatre mois, avec le gouvernement d'Alain Juppé, d'avoir réalisé ce travail considérable. Nous vous soutenons.

Il y a des questions à poser, je ne les ai peut-être pas toutes évoquées, mais je souhaiterais maintenant pouvoir ouvrir le débat. Merci.

(Applaudissements).

M. Jean François-Poncet .- Monsieur le ministre, je vous propose, avant de répondre aux questions de Patrick Ollier, de voir s'il y en a d'autres dans la salle.

Un intervenant . - Créer d'autres aires de métropolisation, cela m'amène à vous poser la question suivante : faut-il laisser des espaces interstitiels qui seront un autre poumon ? Est-ce que ces aires ne sont pas en contradiction avec l'équilibre vis-à-vis monde rural ?

M. Jacques Larché Président de la Commission des lois du Sénat.- Une remarque sur le principe d'une loi qui, dans son essence, est évidemment positive. Il restera le problème de sa mise en oeuvre, bien sûr.

Toute bonne mesure, à un moment quelconque, peut avoir des effets pervers. Nous sommes en train de vivre un système qui se manifeste dans bon nombre de parties du territoire ; il est en train de transformer la mentalité des entreprises. Actuellement, pas une seule ne cherche à s'installer quelque part sans aller, au préalable, à la chasse aux primes, avec comme ligne directrice de comparer les avantages acquis, d'obtenir le maximum d'aide de la puissance publique, sans pour autant qu'elle soit toujours strictement nécessaire et absolument justifiée.

C'est un système que nous vivons, dont nous voyons le développement avec une certaine inquiétude, car l'entreprise qui, normalement, doit fonder son avenir sur un projet strictement économique, est en train de se transformer, à certains égards -je ne veux pas généraliser- en mécanisme à la recherche d'une assistance. Je ne sais pas si, économiquement, ceci sera positif à long terme.

(Applaudissements).

M. Pierre Laffitte. - Comme tout le monde, monsieur le ministre, j'ai apprécié votre engagement et votre compétence, en particulier en ce qui concerne l'entrée dans la société d'information, ce qui est probablement la meilleure des réponses à la question : "Ne va-t-on pas fabriquer cinq micro-bananes bleues ? "J'aimerais avoir des précisions sur vos intentions, notamment en ce qui concerne la politique des sites numériques pour laquelle la DATAR a pris quelques indications sur certaines régions, voire même certains départements.

M. Jean François-Poncet .- Je donne tout de suite la parole au ministre. Je veux simplement dire à Patrick Ollier que je m'associe à ses questions, ainsi qu'aux suivantes de nos collègues sénateurs.

Je voudrais faire une observation sur la métropolisation. C'est une peu une "tarte à la crème". Je mets en garde, notamment le délégué à l'aménagement du territoire, parce qu'à mon avis, cette tendance ne tient pas compte des toutes dernières indications venant des Etats-Unis. On assiste au contraire -pour diverses raisons dont quelques-unes n'ont rien d'économique, elles tiennent à la sécurité, l'immigration, etc.- au début d'un retour du pendule qui quitte les grandes agglomérations pour aller vers des zones beaucoup moins habitées.

Ce n'est pas l'espace rural au sens où on l'entendait, il est hyper-moderne, c'est celui de Pierre Laffitte, mais pas celui de nos grands-parents. Je sais qu'en disant cela, on heurte les credo fixés. Quand on met en discussion les arguments contraires, ils sont en général balayés.

Par conséquent, je ne suis pas sûr que la métropolisation indéfinie -sauf dans le tiers-monde où elle provoque les conséquences que nous connaissons- soit aussi évidente que certains l'affirment.

Je partage quelques-unes des inquiétudes, en vous entendant décrire cette France métropolisée avec, entre les métropoles, des espaces de respiration. Il y a là, me semble-t-il, une interrogation.

Si je peux me permettre une observation à mon collègue Larché, qui rejoint nos constatations : si on veut attirer dans les zones fragiles, par opposition aux zones attractives, il faut bien des discriminations positives ou alors, on abandonne tout esprit de volontarisme.

Par ailleurs, dans le monde entier, ces pratiques existent. Si, dans sa grandeur, la France traçait une croix sur les siennes, elle ne serait pas suivie par les autres.

Aujourd'hui, la première question que pose une entreprise japonaise ou américaine qui veut s'installer en France, c'est : "Ne ferais-je pas mieux d'aller en Irlande, en raison des privilèges fiscaux ou en Ecosse, en raison de telle ou telle disposition sociale plus avantageuse ?".

M. Jean-Claude Gaudin, ministre de l'aménagement du territoire, de la ville et de l'intégration. - Monsieur le Président, toutes ces questions sont très intéressantes. J'ai employé un terme peut-être provocateur, mais je ne le regrette pas, car cela nous permet un débat très au fond sur toutes ces questions.

Concernant les crédits, je répondrai à M. Ollier que nous sommes quand même à 6 milliards d'engagements dans l'année 1996. Bien entendu, on peut toujours demander plus, mais, dans le contexte budgétaire et économique qui est le nôtre, avec la ligne directrice fixée par le Président de la République et le Premier ministre sur la monnaie unique à l'horizon 1999, il est certain que tous les ministères doivent faire un effort financier. Nous y sommes prêts aussi !

En échange de la demande qui nous est formulée, nous voudrions avec la DATAR bien cerner tous les projets. Souvent, par facilité, par habitude, les gouvernements successifs -personne n'y échappe, et les collectivités territoriales pas davantage- vont quelquefois vers le saupoudrage. Je prends l'engagement que nous allons éviter cela ! Sur le FNADT, nous ne retiendrons que des projets d'importance, des projets sérieux. Je serai donc amené à répondre positivement quelquefois. Quand ce sera négatif, c'est le délégué à la DATAR qui le fera...

Il faut donc savoir à la fois faire une chose et le dire en même temps. Nous devons faire un effort, et nous allons le faire dans ce domaine. Six milliards constituent malgré tout une somme importante. Néanmoins, le président Jean François-Poncet et Patrick Ollier pourront en toucher un mot à Alain Lamassoure. Cela m'aidera ! J'ai compris que tel était votre état d'esprit. Bien entendu, la solidarité gouvernementale existe, mais quand les messages sont répétés, ils finissent par être entendus !

S'agissant des compétences, Dominique Perben vous en parlera tout à l'heure. Quant à notre texte sur le monde rural, Raymond-Max Aubert y reviendra bien évidemment.

Patrick Ollier a posé une question très franche et très loyale : créerez-vous des zones franches dans les zones de revitalisation rurale, à l'instar des quartiers urbains ? La réponse est non. La volonté du Gouvernement est de traiter avec équité les parties les plus fragiles du territoire, qu'elles soient urbaines ou rurales.

La problématique n'est cependant pas la même dans les deux cas. Les zones franches urbaines concerneront des espaces géographiques très restreints et moins de 1 % de la population française.

Néanmoins, nous sommes sensibles à votre argumentation et nous pensons que le Parlement -aussi bien l'Assemblée nationale que le Sénat- y reviendra. Notre projet de loi sur le monde rural doit donc offrir les mêmes garanties, les mêmes possibilités, les mêmes avantages. Déjà, dans les zones de revitalisation rurale, il y a exonération des charges fiscales et sociales.

Nous ferons en sorte, si c'est nécessaire, d'établir complètement la parité. Il n'est pas dans notre intention de faire des zones franches dans les zones de revitalisation rurale, mais, par contre, de donner d'une autre manière les mêmes avantages, de façon à ce qu'il y ait effectivement équité.

(On dit : "C'est insuffisant !").

M. Jean-Claude Gaudin .- Commençons par là ! Il faut faire des efforts et nous les ferons ! Six milliards, ce s'est pas si mal ! Vous me l'avez déjà dit au Sénat : je ne partage pas votre sentiment ! Je vous réponds avec toute la courtoisie qui sied à un membre de la haute Assemblée ! Attendez de voir comment cela fonctionne dans les zones de revitalisation rurale, attendez de voir tous les avantages. S'ils ne sont pas suffisants, vous me le direz, et s'il y a inégalité de traitement, je prends l'engagement que nous rétablirons l'égalité !

Je réponds à M. Gerbaud, qui a parlé de "banane bleue", qu'il faut organiser les aires métropolitaines pour rééquilibrer les choses par rapport à Paris. Il faut les créer pour irriguer le monde rural. C'est mieux si nous les contrôlons que si nous n'arrivons pas à les contrôler ! Or, organiser les aires métropolitaines ne signifie pas favoriser la concentration urbaine : c'est composer avec elle pour en tirer le meilleur parti. Voilà dans quel esprit nous sommes actuellement. Tout cela va mériter échanges et débats.

Le Président Larché, suivant son habitude, nous met en garde. Il a raison : aider une entreprise qui veut créer des emplois, supporter la pression des gens qui vous demandent des créations d'emplois, engager les ressources des collectivités locales, et arriver où ? A Gigastorage ! ... Je me permettrai de conseiller aux élus locaux -et j'en suis un- de faire effectivement très attention à la façon dont on procède.

Puisque j'ai cité cet exemple, qui est d'actualité, j'y reviens, avec l'autorisation de Jean François-Poncet. Le 7 novembre dernier, un conseil interministériel accorde une prime d'aménagement du territoire de 13,5 millions à l'entreprise Gigastorage. Je m'en rappelle bien, car c'est le jour où Alain Juppé m'a demandé d'entrer au Gouvernement !

Le 20 décembre, j'ai signé cette prime d'aménagement du territoire. Mais, comme vous le savez tous, la prime d'aménagement du territoire n'est donnée que pour autant qu'il y ait la création d'emplois. Or, quel n'a pas été mon étonnement lorsque, le 22 décembre, j'apprends que, tout d'un coup, arrivent dans un avion 50 Malais, pour aller travailler dans cette entreprise ! Je téléphone au ministre de l'intérieur, qui me répond : "De toute manière, les Malais ne resteront pas ici. Ils descendent de l'avion prendre l'air, reprennent l'avion et repartent dans leur pays. Parce que la prime d'aménagement du territoire était plutôt faite pour les Belfortains que pour les Malais !".

Bien que la DATAR ne soit pas un juge d'instruction, nous nous sommes renseignés et nous avons appris que ce chef d'entreprise, à Belfort, avait rencontré pas mal de difficultés et de problèmes. Etant donné qu'on ne créait pas les emplois et que nous avions des doutes, nous n'avons pas versé un centime. Pas un franc de l'Etat n'a été versé dans cette entreprise !

Bien entendu, j'ai rencontré le député-maire de Belfort. Lui-même insistait beaucoup -et de bonne foi- pour pouvoir créer des emplois dans cette ville. On me dit que c'est sur la foi de la lettre annonçant la prime d'aménagement du territoire que j'ai signée que le conseil général de Belfort a aidé cette entreprise. Il l'aidait, en fait, depuis 1994 ! C'était son droit de le faire, mais c'était alors de sa seule responsabilité, et le Gouvernement n'y est pour rien.

Néanmoins, il faut être extrêmement prudent, car, sous la pression locale, on peut accepter d'engager des financements de nos collectivités territoriales, et nous retrouver dans la situation dans laquelle se trouve le président du conseil général du territoire de Belfort !

(Applaudissements)

M. Jean François-Poncet, président .- Je remercie le ministre qui, a avec une grande liberté et un grand feu, a réagi à nos différentes interrogations.

Je donne tout de suite la parole à Daniel Hoeffel, qui était avec, Charles Pasqua, aux commandes au moment de l'élaboration de la loi. Nous avons beaucoup travaillé avec lui et nul mieux que lui ne pourra introduire les propos qui font venir maintenant sur la coopération intercommunale d'une part et sur le problème de la péréquation et des fonds d'autre part, qu'Alain Lamassoure traitera devant nous...

IV. COMPÉTENCES ET FINANCES

A. introduction

INTRODUCTION DE M. DANIEL HOEFFEL,
ANCIEN MINISTRE, SÉNATEUR DU BAS-RHIN

M. Daniel Hoeffel, sénateur du Bas-Rhin .- Monsieur le Président, Messieurs les ministres, Mesdames et Messieurs, deux observations liminaires avant de formuler mes questions sur le volet des compétences et des finances...

En premier lieu, il convient de rappeler que, dans l'esprit de la loi du 4 février, aménagement du territoire et décentralisation vont de pair et ne sont pas incompatibles. En effet, l'aménagement du territoire -et nous l'avons entendu tout à l'heure- ne saurait être un quelconque prétexte pour une recentralisation sur le terrain.

L'article premier de la loi dit bien que "la politique d'aménagement du territoire est conduite par l'Etat, en association avec les collectivités territoriales, dans le respect de leur libre administration et des principes de la décentralisation".

L'aménagement du territoire suppose une volonté de l'Etat, mais aussi, parallèlement, une mobilisation forte de l'ensemble des niveaux des collectivités territoriales.

Seconde observation liminaire, cela a déjà été rappelé, mais il faut le répéter : la loi d'aménagement du territoire suppose une volonté interministérielle fondée sur la continuité. Elle a été préparée au Sénat au cours de quatre années de travail de fond, et je tiens à rendre hommage au président Jean François-Poncet et à sa commission. Cette volonté, qui s'est exprimée avant la discussion de la loi, doit s'exprimer sans discontinuité sur l'application de la loi. Tout relâchement de cet effort, sous quelque prétexte que ce soit, mettrait en péril la volonté d'aménagement du territoire !

C'est sous cet aspect que je poserai quatre séries de questions...

La nécessité de la clarification des compétences et des finances à été une exigence forte qui s'est exprimée tout au long du grand débat qui a eu lieu dans les régions en 1993 et 1994. De toutes parts, les observations faites au cours du grand débat nous ont rendus attentifs à la nécessité de considérer clarification des compétences et réforme des finances comme deux préalables nécessaires à une politique d'aménagement du territoire efficace.

C'est sous cet angle que je pose les questions au niveau des compétences...

Nous le savons, les lois de décentralisation sont parties du principe que des blocs de compétence nettement délimités étaient une exigence forte.

Les contraintes budgétaires, la crise économique, qui n'ont épargné aucun niveau d'administration depuis l'Etat jusqu'aux communes, ont entraîné progressivement des confusions des compétences et, souvent, les financements croisés représentent le seul moyen pour réaliser, sur le terrain, un certain nombre de grands équipements.

Comment revenir vers une clarification des compétences ? C'est une des questions posées dans la loi, dans son article 65, qui souhaite par ailleurs que, en le faisant par étape, on commence par la définition de la notion de collectivité " chef de file " pour chaque grand projet.

La deuxième série de questions concerne le volet des finances, lui aussi omniprésent tout au long du grand débat, et présent -ô combien !- dans les discussions parlementaires, à l'Assemblée nationale comme au Sénat.

La question qui se pose là est de savoir comment l'on peut concilier l'ambition forte que représente l'aménagement du territoire sur le plan financier, avec les contraintes budgétaires que nous connaissons à tous les niveaux, et que, probablement, nous connaîtrons encore longtemps !

La loi a dégagé un certain nombre de pistes à ce propos. La réduction de l'écart des ressources apparaît comme un objectif fondamental, et il convient de rendre hommage au Sénat, qui en a fait un des points forts du débat devant la haute Assemblée, en demandant que soit retenue la notion de péréquation financière entre les espaces régionaux, une péréquation qui doit atteindre son objectif entre 1997 et l'an 2010, pour qu'aucune région ne se situe à moins de 80 % d'une moyenne nationale, ni au-delà de 120 %.

Je me remémore bien ce débat, qui a finalement permis de dégager une très nette majorité en faveur de la péréquation, les uns y adhérant avec beaucoup de conviction -c'était le cas du président et des rapporteurs- d'autres l'adoptant avec une certaine résignation, d'autres encore votant parce qu'on ne pouvait faire autrement, avec des sentiments plutôt dubitatifs !

Mais, au Sénat, les convaincus l'ont largement emporté. Reste à savoir maintenant comment cet objectif ambitieux peut être traduit dans les faits. Ce fut un volet novateur, voire révolutionnaire -le mot était tombé au Sénat, ce qui n'est pas évident tous les jours ! Où en sommes-nous, Monsieur le Ministre dans cette volonté d'atteindre cet objectif -sans compter les deux autres, celui d'une réforme des finances locales, et particulièrement de la taxe professionnelle, et celui de la mise en oeuvre des mesures financières et fiscales dérogatoires ?

Enfin, avant dernière série d'observations : il est bien clair -et cela a été rappelé- que s'il faut une volonté forte de l'Etat, il faut aussi une mobilisation forte de l'ensemble des collectivités territoriales, avec un renforcement d'un certain nombre de principes : la coopération intercommunale, la coopération interrégionale, la coopération transfrontalière, l'émergence de la notion de pays.

Combien de débats passionnés, au Sénat en particulier, pour essayer de définir sans équivoque cette notion de pays. Que les choses soient bien claires : tout le monde était d'accord pour affirmer que jamais le pays ne devrait être un niveau de collectivité territoriale supplémentaire, dans un Etat où, probablement -j'ose le dire !- nous en avons peut-être plutôt trop que pas assez !

Où en est la concrétisation de cette notion de pays, sachant que la loi a voulu que, dans un délai de 18 mois, des propositions soient faites pour constater l'émergence spontanée des pays sur le terrain, et non pas des pays imposés par le haut, ce qui serait la négation même de la conception de l'aménagement du territoire, qui a été celle du Gouvernement et du législateur ?

Où en sont ces pays-tests, en particulier pays-tests préludes et non pas pays-tests sources ou prétextes pour un enlisement ?

Je terminerai par une dernière observation générale, pour rappeler que la loi d'aménagement du territoire poursuit un double objectif. Le premier est de réduire les inégalités sur le territoire national. La loi d'aménagement du territoire y contribue. La réforme de la DGF y contribue. La politique européenne des fonds structurels interfère de plus en plus, et lorsque l'on sait que 30 % du budget européen vont vers les fonds structurels, on se rend compte que le poids de l'Europe dans la concrétisation d'une politique d'aménagement du territoire va peser de plus en plus lourdement.

Mais n'oublions pas que la politique d'aménagement du territoire recherche également un second objectif : celui de préparer l'insertion de notre territoire national dans l'espace européen environnant. Cela doit nous amener à constater que la réduction des inégalités financières en particulier sur notre territoire -et j'approuve totalement Jean-Claude Gaudin- ne saurait être interprétée comme une volonté de nivellement.

Si nous voulons tenir notre place dans l'espace européen, les points forts du territoire doivent pouvoir s'affirmer face aux points forts dans l'espace européen environnant.

Concilier la volonté de réduire les inégalités au plan national avec le souci de nous insérer avec nos points forts dans l'espace européen, telle est la conception que, tout au long du débat, nous avons voulu préserver. C'est aussi sous cet angle, Monsieur le Ministre, qu'avec beaucoup d'intérêt, nous attendons vos réponses à ces questions relatives aux compétences et aux finances.

(Applaudissements).

M. Jean François-Poncet, président .- Je remercie Daniel Hoeffel qui, avec la vigueur exceptionnelle qui lui est propre, a rappelé un certain nombre des principes que j'évoquais ce matin, qui sont en effet au coeur de la loi.

Je donne tout de suite la parole à M. Dominique Perben...

B. coopération intercommunale, pays, clarification des compétences

INTERVENTION DE M. DOMINIQUE PERBEN, MINISTRE DE LA FONCTION PUBLIQUE, DE LA RÉFORME DE L'ETAT ET DE LA DÉCENTRALISATION

M. Dominique Perben, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation .- Je voudrais tout d'abord évoquer l'intercommunalité pour faire le point de la situation et évoquer les perspectives dans lesquelles se situe le Gouvernement en cette année 1996.

Les enjeux, sur ce sujet, vont bien au-delà des modalités techniques d'intervention des collectivités territoriales. La question qui se pose est de savoir si la poursuite ou non de l'intercommunalité sous ces formes actuelles va permettre une amélioration de l'action administrative, et en particulier sa simplification.

En effet, ce qui est en cause, ce n'est pas le bien-fondé de la coopération intercommunale. Tout le monde est d'accord sur son intérêt. Il n'est pas une seule commune qui ne soit membre d'au moins un syndicat de communes, et plus de 13.000 communes, correspondant à 28 millions d'habitants, ont aujourd'hui choisi de participer à des groupements à fiscalité propre.

Il faut en même temps reconnaître que le succès de la formule a contribué à rendre encore plus complexe notre système d'administration locale. C'est sur ce point que nous devons porter notre réflexion.

Pourquoi avons-nous un tel foisonnement intercommunal ? C'est bien sûr du fait de la diversité extrême de nos communes, fruit de l'histoire de notre pays. De cette diversité est née une prise de conscience de l'intérêt -voire de la nécessité- de mettre en commun des moyens pour gérer des services publics ou des équipements.

Puis, prolongeant cette dimension, la coopération intercommunale est devenue progressivement un instrument de politique solidaire d'aménagement, de développement économique et de répartition de charges et de ressources.

Aussi, l'intercommunalité permet-elle d'assurer une certaine solidarité entre communes rurales, et, de manière souvent intéressante, un élément de solidarité entre communes rurales et urbaines.

Par ailleurs, le développement de ce qu'il est convenu d'appeler l'intercommunalité intégrée ou de projet est un élément assez novateur, sur lequel nous aurons intérêt à réfléchir, à l'occasion du rapport que j'évoquerai dans quelques instants. Il me semble qu'elle peut constituer un facteur décisif de maillage du territoire, en encourageant la contribution des acteurs publics locaux à la vitalité du tissu administratif, mais aussi social et économique.

Je voudrais, en réponse à Daniel Hoeffel, aborder la question du pays... Le pays, comme cela a été dit avec force par Daniel Hoeffel, n'est pas une institution nouvelle : il est une échelle d'actions autour d'un projet de développement.

La phase d'expérimentation en cours et l'évaluation de ses potentialités pour le développement local se poursuit sous l'impulsion de la DATAR. Il nous faudra, le moment venu, en tirer un certain nombre de conclusions quant au renforcement des capacités de mobilisation et d'initiatives des services publics. C'est un des enjeux importants au niveau local, qu'il s'agisse de l'Etat, mais aussi des collectivités locales.

Selon des expériences concrètes que je connais personnellement, il semble que cette dynamique de pays soit, là où elle est tentée, assez enrichissante. En tout état de cause, elle mobilise les élus, les socio-professionnels, en particulier dans le tissu rural, et je suis convaincu qu'on pourra en tirer des enseignements intéressants sur le mode de fonctionnement de nos services publics et la manière de travailler sur un espace donné, en s'y mettant tous ensemble d'une façon suffisamment coordonnée.

Je crois qu'il faudra néanmoins, s'agissant de l'intercommunalité, que les règles en vigueur ne se traduisent pas par une complexité et par des coûts croissants. C'est la raison pour laquelle j'envisage de mettre au point le rapport prévu dans la loi Pasqua, qui doit être remis au Parlement avant l'été prochain. Nous sommes en train d'en réaliser une première écriture. Lorsque ce projet sera prêt, je le ferai connaître aux grandes associations d'élus, et nous pourrons ainsi ensemble réfléchir à la forme définitive de ce rapport.

Au vu de l'analyse de ce qui s'est passé depuis quatre ans, un effort de simplification de l'intercommunalité apparaît possible. La diversité des formes d'organisation, des mécanismes de fonctionnement, de représentation des communes sont excessives. Nous devrions définir avec les différentes associations qui connaissent bien ces sujets, dans ce qui pourrait prendre la forme d'un projet de loi pour l'automne, des éléments de simplification de ces structures, voire de réduction du nombre de formules intercommunales.

Je voudrais également évoquer l'environnement financier de l'intercommunalité. Les mécanismes applicables en matière de fiscalité doivent permettre un réel renforcement des solidarités, et la mise en commun véritable des compétences au sein des groupements. Cette phrase, qui paraît anodine, encore faut-il que nous la respections dans l'esprit et concrètement. La fiscalité doit évidemment en même temps garantir un traitement neutre et homogène des entreprises.

C'est pourquoi, malgré la difficulté de l'exercice, j'accorde une priorité à l'examen des moyens permettant de développer, notamment en agglomération, le régime de mise en commun de la taxe professionnelle. Ces instruments financiers doivent être considérés comme de vrais outils de la politique d'aménagement du territoire, et c'est pourquoi il nous faut avancer sur ce terrain.

Parallèlement, il nous faut approfondir l'évaluation des critères actuels de mesure de l'intégration des groupements, sur la base desquels sont calculées les dotations de l'Etat. Mon objectif est de privilégier toutes les formes d'intercommunalité qui traduisent une véritable mobilisation des communes représentées.

Aussi, l'intégration fiscale doit-elle être en adéquation avec l'intégration des compétences. C'est un sujet sur lequel le Comité des finances locales a attiré mon attention. Il faudra que nous l'intégrions également dans le texte législatif que j'envisage pour l'automne.

Un rapport sera disponible dans les prochaines semaines, dont nous discuterons avec les grandes associations d'élus concernées, pour mettre au point sa forme définitive permettant de déboucher sur un texte ayant deux objectifs. Le premier est un objectif de simplification du système intercommunal, avec subsidiairement, un objectif déontologique, afin d'éviter la poursuite de l'intercommunalité d'aubaine, dont chacun a quelques exemples en tête.

Le second objectif est celui de la taxe professionnelle dans sa dimension spatiale. Je laisse Alain Lamassoure évoquer éventuellement des évolutions de la taxe professionnelle quant à ses mécanismes de calcul et à sa relation avec le monde économique.

Pour ce qui me concerne, je crois que nous renforcerons l'intercommunalité dans la durée si nous donnons aux différentes formes de coopération intercommunale la possibilité de mettre en oeuvre une harmonisation progressive des taux sur un espace économique homogène.

Le second volet de mon intervention concernera les compétences. C'est un sujet extrêmement difficile dans sa dimension politique.

Toute entreprise de clarification des compétences devrait au moins respecter deux principes simples : d'une part rechercher pour chaque catégorie de collectivités des compétences claires et homogènes, et d'autre part accompagner les transferts de compétences des ressources et des personnels correspondants.

Nous sommes en effet dans une situation financière globale de gêne, et tout transfert devient encore plus difficile. Lorsqu'il y a contrainte financière généralisée, aussi bien pour un partenaire que pour un autre, toute hypothèse de transfert devient un problème extrêmement difficile. Il faut que nous en soyons conscients, car cela peut peser lourdement sur toutes les idées que nous avons les uns ou les autres.

Rechercher des compétences claires et homogènes implique qu'elles soient adaptées à la nature, à la taille et aux objectifs de chaque collectivité. Sur ce dernier point, le Gouvernement ne fera pas abstraction des souhaits et des préoccupations des collectivités et des associations qui les représentent.

Il existe trois grandes catégories de compétences. La première regroupe les compétences qui font intervenir les collectivités locales en tant que financeurs. Ces compétences se traduisent par la répartition de crédits et l'instruction de demandes de financement. C'est le cas des interventions économiques qu'évoquait Jean-Claude Gaudin, ou des domaines comme l'animation culturelle ou l'action touristique, qui, souvent, se résument à instruire des dossiers et à répartir des crédits.

L'effort de rationalisation, dans ce premier cas de figure, devrait être assez simple à mettre en oeuvre, à condition qu'on le décide et qu'on le veuille. Sur ce type de compétences, on pourrait appliquer le concept de collectivité locale " chef de file ". Une piste pourrait être la délégation à une seule collectivité, pour instruire le dossier et déclencher les cofinancements, si on estime qu'on ne peut se passer de ceux-ci. Ce pourrait être une première étape.

Une convention pourrait par exemple confier l'instruction au service régional. Les départements apporteraient leur cofinancement sur déclenchement de l'instruction au niveau régional. Cette piste me paraît pouvoir éviter certains gaspillages budgétaires et surtout gagner du temps, qui, comme chacun sait, vaut de l'argent !

Seconde catégorie de compétences où les choses se compliquent : celles qui correspondent aux domaines où la collectivité ne se contente pas seulement de financer mais gère des équipements nécessitant la mise en place de moyens budgétaires et de personnels. Tel est le cas des compétences que les conseils généraux assument en matière de routes ou d'équipements scolaires. C'est sans doute dans ce cas de figure qu'il nous faut raisonner de façon rigoureuse en termes de bloc de compétences homogènes.

Enfin, troisième cas de figure -de loin le plus complexe : celui où l'exercice de la compétence se traduit également dans le respect de la législation nationale, par la définition de politiques locales particulières. Il s'agit bien évidemment pour l'essentiel du domaine de l'action sociale.

Il faut éviter dans ce domaine les dispositifs de cogestion, et je sais que c'est une de vos préoccupations. Mais il est des domaines, comme l'action sociale, qui ne peuvent être, pour au moins un certain temps, financés exclusivement par un seul niveau de collectivité. Je citerai le RMI, ou un certain nombre de modalités d'attribution d'allocations, dont les caractéristiques ne peuvent être que nationales.

L'évolution constatée ces dix dernières années a montré la limite de la clarification opérée en 1983. Il faut incontestablement faire l'effort d'avancer sur ces sujets, en tenant compte des trois types de compétences que j'ai énumérées.

La seconde exigence est évidemment celle de la compensation financière. Nous avons atteint un équilibre entre dotations et ressources fiscales des collectivités territoriales, et il me paraît bien difficile de continuer d'aller au-delà. Pourra-t-on parler d'autonomie de gestion des collectivités territoriales si l'on dépasse la barre des 50 % de dotation ? La compensation d'éventuels nouveaux transferts pose ce problème, l'autre hypothèse étant le transfert d'impôts. Or, on sait aujourd'hui qu'en matière d'impôts localisables, on a atteint la limite de ce qui est disponible. Nous buterons donc incontestablement sur cette difficulté en cas de transfert de compétences.

La clarification des compétences est indispensable, en particulier dans le domaine social, où nous avons à faire aux populations les plus en difficulté, qui vivent le plus mal la complexité administrative.

Il nous faudra avancer sur ces sujets, sous peine de voir apparaître -un peu comme est née depuis quelques années une critique assez sévère de l'opinion quant à l'efficacité de l'Etat- un sentiment critique à l'égard de la gestion superposée des collectivités territoriales.

Le paradoxe serait que cette réforme toute neuve à l'échelle de l'histoire devienne assez rapidement un motif de critiques quant à l'efficacité de nos institutions. Un des moyens de l'éviter consiste à faire au plus vite un effort de clarification des compétences.

(Applaudissements).

M. Jean François-Poncet, président .- Il me semble que nous n'avons pas abordé le sujet de la poursuite de la décentralisation, mais nous aurons d'autres occasions. La parole est maintenant au sénateur Jean-Marie Girault...

RÉPONSE DE M. JEAN-MARIE GIRAULT,
SÉNATEUR DU CALVADOS,
CO-RAPPORTEUR DE LA LOI D'ORIENTATION AU SÉNAT

M. Jean-Marie Girault, sénateur du Calvados .- Je parlerai tout d'abord de la clarification des compétences. L'idéal eût été de la faire au moment des lois de décentralisation. Il y a beaucoup de richesses dans ces lois, mais il y manquait l'essentiel, et pendant longtemps on a bien vu que le jacobinisme continuait à faire vivre la France. On l'a constaté à travers les initiatives que nous prenions et à la façon dont nous n'étions pas entendus.

Il aurait peut-être été plus facile de déterminer les compétences à une époque où les moyens financiers étaient plus importants. Les choses sont devenues ce qu'elles sont, les tiroirs tendent à se vider, mais on constate qu'à l'occasion d'un dossier qui peut profiter à une région, à un département ou à une ville en matière d'équipements majeurs, c'est la collectivité qui a les plus gros moyens qui tire les marrons du feu.

On assiste ainsi à des concurrences entre collectivités territoriales, et celles qui ont le plus de revenus ont la chance de pouvoir obtenir telle ou telle implantation. J'espère que, de ce côté, le schéma national voté par le Parlement et que les services préparent, créera certaines règles et certaines normes, car l'Etat a le devoir de préparer l'organisation interne de la Nation.

Cela provoque en effet des concurrences, au-delà des problèmes de compétences. On a vu comment les choses ont évolué en matière universitaire : il a bien fallu que les départements, les régions, les villes, viennent compléter l'effort de l'Etat.

Je souhaite beaucoup de volonté à M. Perben pour mettre au point ce projet de loi, et je rappelle que vous avez dépassé le délai d'un an conféré par la loi de 1995.

(Protestations du ministre).

M. Jean-Marie Girault .- ... Ce n'est pas grave, car le sujet est difficile... Je ne veux pas insister, mais il va falloir y mettre beaucoup d'ordre. Il faut, de la part du Parlement, beaucoup de volonté politique, car on oublie quelquefois les intérêts généraux et on se trouve ramené à nos intérêts territoriaux et particuliers !

Je me suis beaucoup battu au Sénat à propos de la notion de " pays ". Je comprends bien ce qui peut se passer à la base. Mettons de côté les interventions intempestives de préfets pour essayer de gérer ce genre d'affaires. Je crois que la crainte était la naissance d'une nouvelle institution s'ajoutant à tant d'autres, notamment à l'intercommunalité. Ce n'est pas l'esprit du " pays " : il s'agit de rassembler des élus, des partenaires de toute nature, autour de problèmes qui visent un coin de France, où une certaine communauté d'intérêt peut exister sur différents plans -économique, démographique, historique, géographique, culturel, touristique.

C'est une façon de monter un projet de grande agglomération par exemple, et le rapprochement des bonnes volontés peut précéder l'intercommunalité. Il ne s'agit donc pas de créer une nouvelle institution -et je pense que c'est ainsi que les choses sont vues au ministère- mais si le résultat pouvait amener ces pays à institutionnaliser leur collaboration, nous n'y verrions tous que des avantages ! C'est une façon de prendre le problème et de répondre à une institution nouvelle...

D'autre part, on a beaucoup parlé de l'évolution des agglomérations et de la métropolisation. J'ai insisté pour éventuellement associer la ville-centre et l'espace rural au pays. En effet, pour beaucoup, lorsqu'on parle de pays, on pense d'abord aux zones rurales. J'en parle d'ailleurs d'expérience, bien qu'on n'ait pas engagé une procédure de pays dans la région de Caen. Néanmoins, l'interférence entre la ville-centre et l'espace rural doit faire partir des préoccupations majeures en matière d'aménagement du territoire.

Nous avons évité au Parlement un débat qui aurait pu créer des antagonismes entre l'espace rural et les villes, chacun ayant besoin de l'autre. On a là un très bon terrain de réflexion, et je souhaite que les directives qui pourront être données par le ministère ou la délégation de la DATAR tiennent compte de cette réalité.

Dans les années 1960, nous avons assisté au grand exode rural. Les villes-centres ont construit leurs nouveaux quartiers pour y faire face, et n'ont rien demandé à personne. Aujourd'hui, elles souffrent d'être trop denses. Dans certains milieux, on ne fait bien souvent que constater ces problèmes. Or, nous avons aussi nos coeurs de ville dans les grandes cités ou les cités moyennes, et ceux-ci sont en péril. Soixante complexes cinématographiques se préparent dans différentes agglomérations de France. Va-t-on assister, après l'exode rural, à un exode vers des périphéries américanisées ? Il y a un danger considérable, et je souhaite que le Gouvernement en prenne conscience à travers telle ou telle disposition, car on peut casser un " pays " en laissant prendre certaines initiatives. Détruire les coeurs de ville serait dramatique, et je souhaite que les réflexions des ministère tiennent compte de cette réalité !

Enfin, quelques mots encore à propos de l'intercommunalité. J'en suis un militant, et je souhaite beaucoup que la simplification aille à son maximum. Vous connaissez le code Dalloz qui rend compte de l'intercommunalité institutionnelle en France : c'est une petite catastrophe ! Deux cents pages de textes !

On ajoute une intercommunalité à une autre. Il faut aujourd'hui tenir compte d'une réalité. L'intercommunalité doit comporter une stratégie qui ne consiste pas uniquement à mettre des réseaux en commun. Si nous voulons avoir une bonne politique d'intercommunalité, je crois qu'il faut que nous vivions de pragmatisme et que nous laissions les élus prendre progressivement conscience des compétences qu'ils peuvent mettre en commun. Ce qui a souvent gêné l'intercommunalité, c'est l'obligation d'assumer un certain nombre de compétences d'entrée de jeu, alors que, selon les régions de France et les agglomérations, les préoccupations ne sont pas forcément celles du législateur. Et, si on n'accepte pas toutes les compétences imposées par la loi, on ne peut se réunir en communauté de villes ou de communes, même si je dois reconnaître de ce côté beaucoup de vertus au district, qui n'a comme compétence obligatoire que le service incendie. A Caen, nous avons pris les dossiers que nous voulions traiter ensemble, en modifiant à chaque fois nos statuts. Cela s'accompagne d'une pédagogie interne à l'institution, mais les maires des plus petites communes, à côté des maires des grandes communes, finissent par trouver des terrains d'entente, au-delà des clivages politiques. Aussi souhaiterais-je que le rapport que vous êtes en train de rédiger, qui sera suivi d'un projet de loi, tienne compte de cette réalité.

Enfin, je souhaite que le Gouvernement nous propose une taxe professionnelle d'agglomération unique, là où l'intercommunalité existe. C'est essentiel, car il est insupportable que les communes les plus riches soient celles qui partagent le moins. Cela n'a rien avoir avec la politique, mais avec les hommes comme ils sont !

Si l'on veut atténuer les coûts de centralité de la ville, l'une des solutions passe par la mise au point maximum des ressources d'une agglomération, non seulement pour la solidarité, mais aussi pour les implantations d'activités, qui se feront alors de façon plus rationnelle. A l'heure actuelle, on va là où la taxe professionnelle est la moins chère, mais non là où il faut aller, dans le cadre de la politique d'aménagement du territoire !

Je vous souhaite bonne chance, Monsieur le Ministre !

(Applaudissements).

M. Jean François-Poncet, président .- L'intervention d'Alain Lamassoure est l'une des plus attendues, ce qui ne veut pas dire que ce soit une des plus faciles ! Le sujet de la péréquation, qui est au coeur de l'aménagement du territoire est, chacun le sait, le sujet le plus délicat. C'est un vrai barbelé, qu'on s'efforce de manipuler sans le faire vraiment progresser depuis de nombreuses années !

Chacun comprend la nécessité pour le pays de remettre ses finances d'aplomb. Dans ces conditions, chacun doit accepter des sacrifices. Va pour 1996, mais qu'est-ce qui nous guette en 1997 ? Les rumeurs qui circulent sur un gel de crédits de l'ordre de 25 % pour le FNADT et pour la prime d'aménagement du territoire auraient-elles un quelconque fondement ?

C. péréquation, fonds, aides

INTERVENTION DE M. ALAIN LAMASSOURE,
MINISTRE DÉLÉGUÉ AU BUDGET

M. Alain Lamassoure, ministre délégué au budget .- Monsieur le Président, c'est avec beaucoup de plaisir et surtout de modestie que j'ai accepté votre invitation, car je suis un élu local de très fraîche date, étant adjoint d'une commune et président d'un petit district urbain...

Je voudrais évoquer comme vous m'y invitez les aspects financiers de la réforme, et notamment ses trois volets : la mise en place de la création de nouveaux instruments financiers, tels qu'ils étaient prévus notamment par la loi du 4 février 1995 ; la mise en place des aides fiscales prévues pas la même loi et le problème essentiel et délicat de la péréquation des ressources entre les collectivités locales...

Le point de départ des réflexions du Quai de Bercy est évidemment la situation budgétaire de notre pays, qui conditionne tout le reste.

C'est à la bataille de Marengo que Bonaparte avait failli perdre, l'artillerie ne s'étant pas déclenchée à temps. Après la bataille, Bonaparte demande à Drouot pourquoi l'artillerie n'a pas donné. Drouot répond : "Pour plusieurs raisons. La première, c'est que nous n'avions pas de boulets !". Naturellement, cette seule raison dispensait d'en donner d'autres !

Notre premier problème, c'est que nous n'avons pas de boulets ! En 1990, le déficit des administrations publiques au sens large -Etat, collectivités locales et Sécurité sociale- était de 95 milliards de francs, soit 1,5% de notre production nationale, et un petit quart des besoins d'investissements de nos entreprises. C'était donc supportable.

C'est à cette époque que la délégation française a proposé qu'un critère de déficit public soit introduit parmi les instruments de mesure permettant d'évaluer la capacité des Etats membres de la Communauté européenne d'entrer, le moment venu, dans l'Union monétaire.

Quatre ans après, nous avions dévalé la pente et nous nous sommes retrouvés en 1993 à un total de déficit public -essentiellement Etat et Sécurité sociale- de 450 milliards de francs, représentant l'équivalent de 90 % des besoins d'investissements des entreprises.

Dans ces conditions, il ne faut pas s'étonner que les taux d'intérêt soient élevés. Le phénomène que les économistes qualifient d'effet d'éviction a joué à plein : l'Etat, obligé d'emprunter pour financer des frais de fonctionnement et de personnels, assèche le marché financier, qui a ainsi moins de disponibilités pour contribuer au financement de nos entreprises. Bien entendu, nous travaillons sur le marché mondial ; néanmoins, nous avons connu une période de dégradation extraordinairement rapide !

Un dernier chiffre : dans le budget 1996, nous sommes obligés de consacrer près de 230 milliards de francs aux seuls frais financiers de la dette de l'Etat. C'est un ordre de grandeur comparable à ce que rapporte aux collectivités locales l'ensemble des quatre recettes fiscales majeures, et cela représente dix fois le fonds de compensation de la TVA.

Enfin, en dépit de cette difficulté financière de base, nous avons, dans le cadre des travaux préparatoires au budget 1996, proposé aux collectivités locales un pacte de stabilité qui garantit pour trois ans que l'ensemble des concours de l'Etat aux collectivités locales évoluera au moins à un rythme comparable à celui des prix, et, à l'intérieur de cette enveloppe, que la DGF progressera à un rythme comparable aux dépenses de l'Etat lui-même.

Ce cadre général exige malheureusement de l'ensemble des collectivités publiques un effort de rigueur qui n'a pas eu de précédents, malgré des progrès incontestables dans les dernières années.

En dépit de cette situation, nous avons tenu, en 1995, dès la loi de finances, et en 1996, à mettre en place -à une exception près- les moyens financiers de la loi sur l'aménagement et le développement du territoire.

Il s'agit du fonds national d'aménagement et développement du territoire, avec 2 milliards de francs d'autorisations de programmes et 410 millions de crédits de paiement, du fonds de péréquation des transports aériens, du fonds d'investissement des transports terrestres et des voies navigables, du fonds de gestion de l'espace rural et du fonds de péréquation.

Pour tous ces fonds, les textes d'application ont été pris et les procédures mises en place. Certains ont un statut de compte d'affectation spécial.

Ainsi, le fonds national d'investissement des transports terrestres et des voies navigables a vu l'engagement de 1,7 milliards de crédits l'an dernier, qui permettront d'engager de nombreuses actions, en matière autoroutière par exemple, dans le Massif central.

En 1996, en dépit des gels inévitables, même sur ces sujets prioritaires, l'ensemble des crédits routiers et autoroutiers devrait s'accroître de 22 % par rapport à l'année précédente.

Sur le même fonds sont financées de grandes opérations fluviales : éléments de la liaison Rhin-Rhône, jonction de la Seine avec les canaux du Nord, ou de la Seine avec le canal de la Moselle.

En matière ferroviaire, sont financées sur ce fonds la poursuite du TGV-Méditerranée, l'opération dite "coulée verte", liée à l'interconnexion des liaisons TGV en Ile-de-France, et un certain nombre de liaisons ferroviaires régionales.

S'agissant du fonds de péréquation des transports aériens, le comité de gestion qui s'est réuni il y a un peu plus d'un mois a déclaré éligibles 21 lignes. Les critères adoptés favorisent des liaisons de région à région.

Quant au fonds de gestion de l'espace rural, il a déjà engagé un certain nombre d'actions correspondant à sa vocation, notamment l'entretien et la protection des berges des fleuves et des rivières et des chemins, la restauration des haies, la remise en état de friche et l'entretien de zones humides.

Au total, l'ensemble de ces fonds disposera en 1996 de 6 milliards de francs, contre 5,6 milliards en 1995, avec 115 millions pour le fonds de péréquation des transports aériens, plus de 3 milliards pour le fonds d'investissement des transports terrestres, 400 millions pour le fonds de gestion de l'espace rural, un peu moins de 600 millions pour le fonds national de péréquation.

Ces chiffres, qui correspondent donc à l'addition des fonds créés par la loi de 1995, n'épuisent pas -loin de là- l'ensemble des efforts financiers de l'Etat en faveur du développement régional.

Si l'on ajoute l'action des divers ministères principalement concernés par le développement régional, on aboutit dans le budget 1996 à uns enveloppe de 54 milliards de francs. Enfin, la part des crédits d'Etat consacrée en 1996 à l'exécution des contrats Etat-régions représente un total de 81 milliards de francs, en augmentation sensible sur la période quinquennale précédente.

Ces fonds sont donc en activité et ces moyens financiers à la disposition de la politique d'aménagement et de développement du territoire.

Je voudrais maintenant évoquer la solidarité financière entre collectivités locales et la péréquation...

La réforme de la dotation globale de fonctionnement opérée en 1993 et le fonctionnement du fonds national de péréquation sont déjà applicables. Le Sénat et l'Assemblée ont voté récemment la loi sur la solidarité financière des communes...

On peut d'ores et déjà relever quatre points positifs. Tout d'abord, la réforme de la DGF a permis un développement très rapide de l'intercommunalité. En 1993, on comptait 469 établissements publics de coopération intercommunale : en 1996, on en compte 1.243. Il s'agit presque d'un triplement, pour une population regroupée de 25 millions d'habitants, alors qu'il y en avait moins de la moitié il y a quatre ans.

J'ai été très intéressé par ce qui a été dit dans la discussion précédente à propos du rôle que doit jouer prioritairement la taxe professionnelle dans l'encouragement de l'intercommunalité. Je crois en effet, à la fois en tant que président d'un regroupement intercommunal et ministre du budget, que la taxe professionnelle doit être cet instrument, et c'est dans cet esprit que nous travaillons sur ce dossier essentiel.

Second enseignement intéressant : l'effort en faveur des collectivités rurales s'est amplifié avec la création de la dotation "solidarité rurale", dont le montant était de 1,3 milliard en 1995, et qui a atteint 1,6 milliard en 1996.

De même, l'effort en direction des collectivités urbaines en difficulté particulière s'est accru avec la réforme de la DSU. La DSU moyenne par habitant est passé de 54,93 francs à 61,95 francs. A ceci va s'ajouter l'effet de la réforme que le Parlement vient de voter, qui va accroître la DSU de 50 %. Le mode de répartition de cette dotation va être amélioré : les communes de moins de 10.000 habitants vont pouvoir entrer dans le champ du mécanisme, dont les moins peuplées étaient de facto exclues, faute de respecter le critère de 1.100 logements sociaux.

Au total, d'ores et déjà, les mécanismes de péréquation actuellement en vigueur ont permis de réduire les inégalités qui existaient entre collectivités. En incluant les effets du fonds de péréquation de la taxe professionnelle, on constate, en comparant 1993 et 1995, que les écarts d'attribution sont passés de 1 à 1,8.

D'autre part, tous les décrets d'application du volet d'exonération fiscale contenus dans la loi Pasqua ont été pris ou vont l'être dans les prochains jours. Il s'agit d'un volet d'envergure considérable, d'un coût budgétaire annuel de 50 milliards de francs en année pleine. C'est un dispositif qui s'attaque au coeur du problème, sa logique consistant à opposer au cumul de handicaps dont souffrent un certain nombre de collectivité, de région ou de pays, un cumul d'avantages fiscaux.

Au dispositif déjà existant prévu pas la loi de 1995 va s'ajouter prochainement un complément important de la prochaine loi sur l'intégration urbaine, qui prévoira notamment des allégements extrêmement sensibles dans trois douzaines de zones franches.

En revanche, certains points ne sont pas encore réglés, et je voudrais vous dire quelles sont les difficultés que nous rencontrons. Je citerai la mise en place du FNDE et l'application de l'article 68 de la loi Pasqua s'agissant de la péréquation.

La loi avait prévu une demi-douzaine de fonds, dont un fonds national de développement des entreprises, susceptible être alimenté par des sources nationales, communautaires, budgétaires ou par l'emprunt, et destiné à subventionner les investissements dans certaines zones jugées prioritaires au sens de l'aménagement du territoire.

Les difficultés budgétaires font que nous avons de très grandes difficultés pour donner une dotation significative à ce fond. En outre, le nouveau Gouvernement s'est engagé dans un politique ambitieuse, d'une part en faveur des petites et moyennes entreprises et, d'autre part, dans une politique de relance de la ville, dont certaines dispositions donneront lieu à une loi qui sera soumise prochainement au Parlement.

La question se pose pour nous de savoir comment nous coordonnons cet instrument prévu par la loi de 1995, mais qui n'a pas encore été créé, avec les éléments politiques nouveaux, souvent très novateurs, qui comportent des dispositions financières considérables, que représente le plan PME et le plan de relance de la ville.

Lorsque nous avons fait réaliser le bilan de nos mécanismes d'aide au développement régional, nous avons constaté qu'il y avait encore trop de saupoudrage et de crédits inutilisés, malgré les efforts de tous -administration d'Etat, notamment préfectorale, DATAR, collectivités locales à tous les niveaux.

Ainsi, au titre du FNADT, on a consacré l'année dernière 2 millions de francs pour une maternité collective de truies dans les Hautes-Pyrénées, 2 millions de francs pour une sculpture monumentale dans une vieille ville historique d'Indre-et-Loire, un million de francs pour aménager la terrasse d'un hôtel de ville en Auvergne, 2 millions de francs pour un centre de vacances d'un comité d'entreprise dans une île du littoral atlantique, 1,5 million pour un gîte d'étape dans les Cévennes...

Chacun de ces investissements est utile, mais avons-nous besoin d'un fonds national d'aménagement et de développement du territoire -et donc du concours de l'ensemble des contribuables français- pour financer des équipements de ce genre à ce niveau-là ? Personnellement, je réponds non, et je considère que c'est probablement du gaspillage financier, et plus encore un gaspillage de temps et une complication de procédure inutile ! Ayons donc le courage de concentrer l'action sur quelques opérations régionales importantes, plutôt que de faire du saupoudrage !

Le complément logique du saupoudrage est la sous-consommation des crédits. En matière de primes d'aménagement du territoire, l'année dernière, un tiers des crédits à peu près n'a pas été consommé !

Nous avons donc été amenés à procéder à des gels, sur ces crédits comme sur les autres. Le chiffre disponible reste très supérieur au chiffre consommé en 1995. C'est absurde et cela nous fait perdre aussi de l'argent européen, dans la mesure où le principe d'additionnalité ne peut être débloqué que si les aides nationales sont à la clé.

Je signale ce point non pour éluder les responsabilités du Gouvernement ou les miennes. Mais pour essayer de faire en sorte que les moyens financiers que nous pourrons y consacrer soient utilisés dans des conditions meilleures que par le passé pour un certain nombre de fonds.

Enfin, s'agissant de la péréquation un calendrier prévoit de mesurer la situation actuelle et les écarts à corriger, de définir les instruments de mesure correspondant aux normes de réduction des écarts par collectivité que nous souhaitons nous fixer, et d'assurer la réduction de réduire ces écarts.

L'article 68 prévoit de faire disparaître les écarts de ressources calculés par habitant, compte tenu des charges, celui-ci ne devant pas être supérieur ou inférieur à 20 % de la moyenne régionale.

Cette démarche repose sur la construction d'un ou de plusieurs indices synthétiques des ressources et des charges pour les collectivités locales d'une part et pour les groupements d'autre part.

Nous avons engagé des études avec le concours d'universitaires, et une première série de résultats pour les communes nous laissent perplexes. Ils démontrent qu'au sein d'une même région, les écarts de ressources sont contenus dans une fourchette allant de 1 à 1,5. Ils sont inférieurs par rapport à la moyenne.

Ces données sont encore incomplètes. Pour ces calculs, nous avons tenu compte, côté ressources, d'une partie des dotations de l'Etat et uniquement de la fiscalité directe. Pour des raisons de comptabilité, nous nous heurtons à des difficultés méthodologiques, que nous n'avons pas encore surmontées, dans la prise en compte la totalité des taxes indirectes et des produits domaniaux.

En outre, alors qu'au départ nous avions pensé que nous pourrions nous mettre d'accord sur un seul indice synthétique permettant de mesurer les écarts, il apparaît qu'il va en falloir plusieurs. En effet, là où les charges ne sont pas les mêmes, il est très difficile d'avoir un seul instrument de mesure.

En tout état de cause, nous devrions, dans les deux ou trois mois qui viennent, disposer d'instruments nous permettant de mesurer ces écarts, de manière à pouvoir en disposer et appliquer pleinement l'article 68 de la loi, dont l'objectif est de parvenir à une réduction, afin de faire en sorte qu'à la fracture sociale dont pâtit hélas notre pays ne s'ajoute pas cette fracture géographique dont nous avons trop longtemps souffert, et contre laquelle a été conçue toute la politique d'aménagement et de développement du territoire.

(Applaudissements).

M. Jean François-Poncet, président .- Je mentirais si je disais à Alain Lamassoure qu'il m'a totalement convaincu sur tous les points, et je ferai une ou deux observations après que Claude Belot aura pris la parole...

INTERVENTION DE M. CLAUDE BELOT,
SÉNATEUR DE CHARENTE-MARITIME,
CO-RAPPORTEUR DE LA LOI D'ORIENTATION AU SÉNAT

M. Claude Belot, sénateur de Charente-Maritime .- Il est intéressant de voir ce qu'est devenue une intention et, au-delà de l'intention, une volonté politique forte, qui s'est exprimée il y a un peu plus d'un an dans cette maison et à l'Assemblée nationale.

Le président François-Poncet nous avait prévenus d'emblée -et je l'avais confirmé en tant que rapporteur du budget des charges communes depuis un certain nombre d'années- qu'il n'y aurait pas de " boulets ", au moins dans les caisses de l'Etat, pour mener la bataille du Luxembourg. Il faudra donc faire sans, mais il faudra le faire !

En effet, il nous semble qu'une partie de la solution des problèmes financiers de la Nation se trouve précisément dans la résorption du déséquilibre du territoire. Ce n'est pas la peine de chercher très loin : tout le monde en ce moment porte son regard sur les déficits de la SNCF, et l'on constate bien que le train du Massif central n'a pas de voyageurs et coûte cher ! Les voyageurs seraient plus nombreux si la population était plus importante ; de ce fait, il y aurait moins de déficit à la SNCF et ainsi le Ministre du Budget aurait moins à lui donner.

Ce raisonnement, on peut le tenir dans tous les domaines sans exception : une route, une autoroute, qu'elle transporte 3.000 véhicules par jour ou 30.000, coûte le même prix. Et si le territoire était mieux équilibré au niveau de ses territoires et de sa population, il est vraisemblable qu'il y aurait moins à investir dans la région parisienne ! Nous vous ferions économiser beaucoup de " boulets " si le territoire était mieux équilibré. Dans notre esprit, il convenait de conduire le combat pour une grande cause, également financière. Il n'y avait pas prioritairement de volonté de redistribution, au nom d'une justice immanente. Il s'agissait surtout d'un calcul dans l'intérêt de la Nation, car il ne s'agissait pas seulement de gagner la bataille du Luxembourg, mais également de remporter une victoire pour la France !

Je vous ai entendu évoquer les munitions : je crois qu'elles seraient beaucoup plus importantes dans les années suivantes, si le territoire est mieux équilibré ! Je ne veux pas mener à nouveau le débat passionné que nous avons eu avec Daniel Hoeffel, qui savait que nous défendions une bonne cause...

Quant à la péréquation, elle existe partout en France, mais il y a, du fait de l'inégalité des bases de taxe professionnelle, des différences de ressources considérables entre les collectivités. Les plus riches n'ont pas le sentiment d'avoir trop d'argent ; les plus pauvres essaient de faire comme elles peuvent.

Dans notre esprit toutefois, la péréquation constituait un moyen de donner aux pays, aux intercommunalités, aux districts, aux départements, une capacité à entreprendre qui leur manque cruellement ! Ce ne sont pas les idées qui manquent mais les moyens de les mettre en oeuvre ! Il s'agissait donc dans notre esprit de donner à ces espaces organisés une capacité d'entreprendre qu'elles avaient perdu. Tout le débat sur l'aménagement du territoire sera vain si les acteurs locaux n'ont pas les moyens de mettre en oeuvre leurs idées et leurs projets.

Nous savons que la péréquation est une chose difficile, mais nous l'avons voulue comme une longue marche. Nous savons fort bien que ce n'est pas en un an ou deux que tout cela va changer, mais, en vingt ans, il faut impérativement -si l'on veut que ce pays trouve dans tous ses territoires la force de vivre- que nous arrivions aux objectifs fixés : c'est impératif !

Si nous commençons dès 1996, dans vingt ans, du chemin aura été parcouru ! Nous vivons dans une conjoncture qui n'est pas facile, mais il y a urgence dans certaines banlieues, dans certaines zones, et c'est la raison pour laquelle il ne faut pas atermoyer trop longtemps pour la création de ce fonds pour le développement des entreprises.

Ce fonds, nous l'avons conçu et voulu comme une mesure d'urgence. Si les règles de création ou de développement d'entreprises sont les règles de droit commun dans telle ou telle zone que nous connaissons bien, il est inutile d'en parler et de faire un fonds : elles ne se créeront point ! Il faut prioritairement des zones à fiscalité dérogatoire, des zones particulières. Il faut que l'Etat intervienne dans ce domaine, qu'il trouve des solutions avec ses propres moyens, avec ceux des régions ou des départements, mais qu'il les trouve !

Je sais qu'il y a beaucoup de réticences à la direction du Trésor. Dans la France jacobine, uniforme, il est un peu choquant que des entreprises puissent se créer différemment de ce qui se passe en région parisienne. Mais si cela ne se fait pas, il ne se passera rien, et la direction du Trésor -qui siège dans des conseils d'administration de banques ou d'assurances où l'on a trouvé des milliards pour les bureaux en région parisienne- devrait considérer qu'il y a urgence ailleurs !

Deux cents milliards ont été ou seront ainsi provisionnés, ce qui représente une perte d'impôt sur les sociétés de 70 milliards ! Lorsqu'on parle d'un chiffre de 7 milliards pour le FNADT, on est bien au-dessous de la mesure. Il aurait été plus judicieux que la volonté s'exprime en faveur des territoires en difficulté ! Mais c'est le passé, et vous n'y pouvez rien, Monsieur le Ministre. Cela s'est passé il y a un certain nombre d'années, et nous en payons aujourd'hui les conséquences, ce qui prouve que les moyens existaient et qu'ils existent sans doute encore...

Enfin, je voudrais évoquer l'état d'esprit dans lequel tout cela est mis en oeuvre. Certes, à Paris, on a le sentiment que beaucoup de choses ont changé depuis cette loi, dont tout le monde a commencé par rire. Vous disiez que l'an dernier, les crédits n'avaient pas été utilisés. En Charente-Maritime, le préfet du département a consenti -malgré de nombreuses requêtes de ma part et de celle des autres parlementaires- à réunir la Commission du Fonds départemental d'aménagement de l'espace rural le 12 ou le 13 décembre ! Comment voulez-vous qu'il ait été engagé un centime avant le 31 décembre ? On gèle donc les crédits et le préfet prétend qu'il ne peut réunir ce comité avant d'avoir des crédits notifiés -et il a sans doute raison ! Il faut cesser ce petit jeu !

Je voudrais dire à Dominique Perben que l'absence de débat avec les préfectures de région constitue une pratique surprenante, et à coup sûr contraire à l'esprit de la loi et de ceux qui l'on portée... En effet, la seule préoccupation des SGAR -et eux seuls- est de trouver les moyens de renforcer la capitale régionale, allant ainsi à l'encontre de l'esprit de la loi ! Ce n'est pas ce que nous avions voulu faire ! Il faut donc demander aux préfets de région et aux SGAR de consulter les présidents de conseils généraux, les maires et tous ceux qui peuvent parler au nom du territoire, et qui ne sont pas sans idées !

Nous avons vécu cette loi comme un texte important et un acte de foi dans l'avenir de notre pays, comme un moyen de changer à coup sûr des processus cumulatifs qui étaient en train de tuer notre pays ! Faites en sorte, Messieurs les Ministres, que ces textes restent dans l'esprit dans lequel ils ont été conçus. Il en va de l'intérêt de la France !

(Applaudissements).

M. Jean François-Poncet, président .- Comme vous avez pu le constater, nous n'avions pas l'intention de nous limiter à des monologues ! Le débat est déjà largement engagé, dans la plus grande liberté d'expression, ce dont je me félicite. Ce que Claude Belot a dit, d'autres, sans doute, auraient pu le dire !

La parole est maintenant à Patrick Ollier, puis au sénateur Laffitte...

M. Patrick Ollier, député des Hautes-Alpes .- Je félicite M. Lamassoure de tous ce qu'il fait pour mettre la loi en place. J'imagine la complexité de l'indice synthétique, mais il est important pour nous, afin d'arriver à cheminer dans les arcanes de la fiscalité locale et des ressources locales.

Ma question portera sur ce qui me semble être un énorme malentendu entre nous -et j'y vois là une relation de cause à effet facile à établir. Vous avez dit que le Gouvernement gelait cette année 375 millions du FNADT parce qu'une partie n'a pas été consommée.

Je comprends cette démarche, et je me suis moi aussi trouvé par le passé de l'autre côté de la barrière, et j'ai pratiqué cette sorte de suggestion, pour aller vers l'économie. Mais si l'on recourt à cette politique, nous retirons tous les moyens à la loi ! Nous avons eu trois mois pour mettre en place les projets, qui ne pouvaient être que des projets de développement. Dans certains départements, cela n'a pas dépassé le mois et demi ! Nous n'avons pas pu le faire et les crédits n'ont donc pas été consommés ! Je voudrais donc que vous regardiez vers l'administration de l'Etat et vers vos services !

Par ailleurs, vous avez parlé du saupoudrage. Nous avons voulu l'empêcher, en le qualifiant même de "saupoudrage-copinage", et nous avons donc gelé les fonds. Le saupoudrage n'est pas le fait de donner de petites subventions à des projets de développements, mais d'attribuer des subventions inutiles, qui ne sont pas fondées sur le développement. Je voudrais donc qu'on revoie le critère d'attribution.

Pour moi, le seul critère qui vaille, quel que soit le montant de la subvention, c'est le fait de recréer de la richesse, de l'emploi et du dynamisme économique ! Nous savons le faire dans nos départements, mais si on nous explique qu'on ne peut nous aider parce que notre projet n'est pas assez important, on inverse alors totalement la procédure qui a été créée pour soutenir ces créations d'emplois ! Pour nous, il s'agit du fondement même des réformes que nous avons créées dans la loi !

(Applaudissements).

M. Pierre Laffitte, sénateur des Alpes-Maritimes .- Les fonctionnaires parisiens -j'ai moi-même fait partie d'un des grands corps de l'Etat- ont pour habitude de concevoir des relations économiques colbertistes. Or, on sait que ce ne sont pas les grandes entreprises qui créent les emplois, mais les petites entreprises et les entreprises naissantes.

Pour ma part, je considère qu'un millier de petites entreprises qui créeraient des unités de télé-services ou de télé-travail dans un millier de petites localités, voire dans des quartiers difficiles de grandes villes, constituent une perspective plus intéressante que le fait de dépenser un demi-milliard pour une grande infrastructure...

A priori, il faudrait donc privilégier les petits projets par rapport aux grandes masses. En effet, le FNADT n'est pas fait pour les grandes masses. Je comprends que les fonctionnaires des finances cherchent à éviter des dépenses multiples, mais il existe des études sérieuses de la DATAR...

Il faut certainement privilégier la masse de petits projets répartis sur l'ensemble du territoire, conformément à l'esprit même de la loi. Les nouvelles technologies de l'information et de la communication nous y aident d'ailleurs, et il est important que ceci puisse être diffusé et mieux expliqué à tous les élus locaux. C'est la seule véritable source de créations d'emplois !

On a évalué l'entrée dans la société de l'information à 3 millions d'emplois directs en Europe avant l'an 2000. Avec les emplois induits, cela représente 10 millions d'emplois. Il s'agit pour la France une somme considérable d'emplois potentiels : il y a donc urgence à ce nous ayons, dans ce domaine, une volonté très forte !

(Applaudissements).

M. Jean François-Poncet, président .- Le saupoudrage pose le problème des compétences. Est-il vraiment nécessaire que le même projet puisse être financé par l'Etat aux niveaux national et régional et, en même temps, par la région et le conseil général, lorsqu'il s'agit d'un petit projet ?

Je partage tout à fait l'avis selon lequel les petits projets sont souvent la seule chose que l'on puisse faire dans les zones fragiles. Pour autant, faut-il être trois ou quatre pour financer 100.000 francs ? ... Je n'en suis pas totalement persuadé !

Il y a là un problème de compétences. La clarification est donc essentielle, et le "chef-de-filat" ne doit pas être décidé au coup par coup par les collectivités. Il y a là des principes généraux que nous avions cherché à définir. A trois heures du matin, nous avions capitulé : ce n'est pas une raison pour ne pas reprendre le sujet !

La non-consommation des crédits suscite quelques ricanements cyniques, comme vous avez pu le constater. En effet, souvent, on organise cette non-consommation pour s'en prévaloir ! Lorsqu'il n'y a pas de boulets, il faut bien trouver les différentes façons de gagner quand même la guerre ! De ce point de vue, nous sommes derrière vous dans la bataille !

Un mot sur la péréquation : l'exercice demandé au ministère est à mes yeux la dernière chance de la péréquation en France : ne la laissez pas sombrer ! Or, rien n'est plus facile...

Vous avez dit que l'exercice avait été conduit entre communes et avait montré que les écarts allaient de 1 à 1,5 dans la même région. Nous avons inscrit dans la loi une fourchette extrêmement large. En Allemagne, le même principe s'applique avec une fourchette qui va de - 5 à + 5. Mais, dans ce pays de grande inégalité qu'est la France, nous n'avons pas osé aller aussi loin et, pour rassurer, nous avons fixé + 20 et - 20. Autant dire que, dans notre esprit, cette fourchette est appelée à évoluer ! Elle est fixée pour qu'au moins au stade des calculs, on ne recule pas. Au stade de l'application, le législateur restera souverain...

Il ne s'agit pas d'établir des inégalités entre catégories de communes, mais entre les espaces les uns par rapport aux autres. C'est ce qui se passe en Allemagne. Personne n'a jamais cherché une péréquation entre communes d'une part et régions de l'autre, ou entre départements.

Par conséquent, je vous demande d'imposer à vos services un examen attentif de la loi et de conserver à l'esprit qu'avec le temps, nous espérons bien que les fourchettes se rétréciront !

Monsieur le Ministre, vous avez la parole...

M. Alain Lamassoure .- Très souvent, en zone rurale, ce sont les petits investissements qui sont créateurs de richesses et d'emplois. Toutefois, s'il s'agit d'un investissement en Lozère, il est absurde que la décision soit prise à Paris ! Politiquement, il faut se poser la question de savoir si c'est au contribuable national de financer un investissement de 100.000 francs en Lozère... C'est un débat politique qui débouche sur la péréquation. Mais, à partir du moment où c'est un contribuable national ou européen, il est très difficile d'éviter que la décision ne remonte Paris ou à Bruxelles.

Nous avons en ce domaine un effort très important à faire pour clarifier nos propres idées et réaliser nos propres choix politiques.

Je suis d'accord pour dire qu'on ne peut pas vous opposer des règles qu'on s'applique à soi-même. Nous veillerons donc à ce que l'on ne vous impose pas un gel fondé sur des non-consommations de crédits organisées par le ministère du budget !

Cela dit, beaucoup de dossiers de demandes d'aides du FNADT sont mauvais ! Ainsi, le trésorier payeur général de la façade atlantique indique que plus de la moitié des projets qui lui sont soumis s'écartent des principes directeurs fixés par le Premier ministre. Un autre, plus au nord de la France, indique qu'en raison de la médiocre qualité des opérations subventionnées et de leur caractère non-prioritaire, les crédits délégués à son département pourraient à son avis être réduits. Un troisième, dans un département les plus importants de France -que je connais personnellement et qui ne peut être suspecté d'avoir une vue trop étroitement comptable des problèmes- explique que le contenu des dossiers est insuffisant, qu'ils sont consommés à hauteur du tiers des crédits délégués jusqu'à présent.

Je suis prêt à faire mon mea-culpa, mais j'ai le sentiment qu'il y a des progrès à faire également dans les dossiers qui sont déposés. Je constate que les vrais créateurs d'emplois sont ceux qui ne demandent pas d'aides ! Bien entendu, nous sommes des élus, nous aimons beaucoup distribuer des aides; Cela nous donne bonne conscience et nous avons le sentiment qu'ainsi, nous aidons au développement de notre région... C'est souvent vrai, mais j'observe que les patrons de PME vraiment imaginatifs et créatifs sont des gens qu'on ne voit jamais, mais qui créent les emplois et exportent !

Le précédent ministre de l'économie et des finances avait recensé 1.453 systèmes d'aides à la création d'entreprises. Je ne suis pas persuadé qu'on en a supprimé depuis beaucoup...

Enfin, je tiens à vous rassurer quant à l'esprit dans lequel nous avons engagé les travaux sur la péréquation, et à prendre l'engagement devant vous de vous tenir informés à intervalles réguliers de ce que nous faisons. Vous avez eu raison de rappeler l'esprit de la loi, qui ne consiste pas à harmoniser au niveau des communes et des départements, mais simplement à réduire les écarts entre grandes régions.

Nous avons fait un certain nombre de progrès, mais nous nous heurtons à certaines difficultés méthodologiques. Nous allons naturellement les surmonter, et je puis vous assurer que tous mes services, ainsi que les autres ministères compétents, feront tout pour que le Sénat et l'Assemblée nationale disposent des éléments dont ils ont absolument besoin pour mettre en oeuvre l' article 68 de la loi de 1995 !

(Applaudissements).

M. Jean François-Poncet, président .- Merci.

La séance est suspendue à 13 heures 05.

La séance est reprise à 14 h 45.

V. AMÉNAGER LES ZONES FRAGILES : ESPACE RURAL ET VILLE

A. la préparation du projet de loi sur l'aménagement rural

INTERVENTION DE M. FRANÇOIS-MICHEL GONNOT, PRÉSIDENT DE LA COMMISSION DE LA PRODUCTION ET DES ÉCHANGES DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE

M. François-Michel Gonnot, président .- Mesdames, Messieurs, je voudrais en tant que Président de la commission de la production et des échanges de l'Assemblée Nationale vous remercier d'avoir à travers le rapporteur Patrick Ollier ce matin, et à travers votre invitation, voulu associer l'Assemblée Nationale à votre réflexion d'aujourd'hui.

Notre réflexion est importante. Nous allons le voir plus en détail cet après-midi, à travers un balayage des différents secteurs et en essayant à chaque fois de faire le bilan d'application ou de non-application de la loi d'orientation de 1995. Il est vrai que cette loi, nous l'avons faite à deux. Le Parlement, c'est l'Assemblée et le Sénat. Le rôle de la haute assemblée a été particulièrement important. D'abord vous avez procédé sous votre initiative à une mission et un rapport d'information qui ont posé les grands termes de la future loi. L'apport des sénateurs au débat a été déterminant et vous avez eu, à travers l'initiative de ce colloque, la bonne idée de regarder plus précisément où nous en étions un an après. Alors je tenais monsieur le Président François-Poncet à vous remercier au nom de l'Assemblée Nationale.

Le rôle qui est le mien cet après-midi n'est néanmoins pas un rôle très facile. Nous avons beaucoup de choses à balayer ensemble. Nous avons aussi l'honneur de recevoir des personnalités éminentes et notamment plusieurs membres du gouvernement, et nous avons la chance d'avoir nos travaux ce soir conclus par le Premier Ministre, dont bien sûr l'emploi du temps et l'agenda nécessitent beaucoup de discipline. Je vais essayer de ne pas me rendre impopulaire dans la haute assemblée, mais vous ne m'en voudrez pas d'être l'observateur très attentif du chronomètre et de rappeler tout le monde à la nécessité d'essayer de respecter les horaires afin que nous puissions ce soir entendre dans les conditions qui étaient prévues le Premier Ministre pour la clôture de nos travaux.

Nous pouvons passer à la première partie de cet après-midi et regarder le problème des zones fragiles dans l'espace rural et le grand problème de la ville. Nous attendons le délégué à l'aménagement du territoire et à l'action régionale qui doit nous rejoindre. Il aura pour discutant, c'est-à-dire pour contradicteur, interrogateur, le sénateur du Maine et Loire, M. Huchon, à qui je cède tout de suite la parole en attendant de retrouver M. Aubert qui va nous rejoindre dans quelques minutes.

INTERVENTION DE M. JEAN HUCHON, SÉNATEUR DU MAINE-ET-LOIRE

M. Jean Huchon .- Merci. Je suis un peu gêné parce que mon rôle était de rebondir sur les propos du délégué à l'aménagement du territoire. J'espère néanmoins vous tenir quelques propos cohérents sur ce problème de l'aménagement du territoire qui nous tient à coeur et qui, depuis quelques années, à la commission des affaires économiques, nous a beaucoup occupés.

Je ne rappellerai que pour mémoire le dépôt du premier rapport sur l'avenir de l'espace rural, et les congrès ou les conventions de Bordeaux et du Futuroscope où 1 500 à 1 800 maires ont écouté et ont clamé à la fois leur détresse et leur espoir. Je ne rappellerai que pour mémoire la campagne menée à travers villes et champs par M. Balladur et M. Pasqua sur ces problèmes d'aménagement du territoire. Ils ont passionné les maires ruraux et l'ensemble du territoire. Nous avons élaboré cette loi d'aménagement du territoire en 1995 et nous fondons nos plus grands espoirs sur le déroulement normal de l'application de cette loi qui est compliquée, qui a des aspects et des facettes diverses, mais qui je crois permet de traiter en profondeur ce problème très important de l'aménagement du territoire.

Le sujet qui m'était imparti et que va sans doute traiter M. Aubert tout à l'heure, c'est sur le plan de l'aménagement de la future loi sur l'espace rural. Cela me pose quelques questions que je pourrais reposer, parce que la préparation de ce projet de loi, qui découle des dispositions de la loi d'orientation, fait que nous nous interrogeons sur la vraie politique de l'aménagement rural. L'équilibre des mesures en faveur de l'espace rural et celles de l'espace urbain est une idée force de la loi d'orientation. Or, la création de zones franches et la modification récente de la dotation globale de fonctionnement amorcent une rupture d'équilibre entre le monde rural et le monde urbain. Le renforcement des incitations fiscales en faveur des zones franches urbaines (nouvelle exonération de taxe professionnelle) est sans équivalent pour les zones rurales.

En outre, des mesures résultent également du plan de relance et du pacte de relance pour la ville : majoration de l'aide de l'Etat aux chômeurs créateurs d'entreprise, implantations de services de proximité. De telles mesures fiscales seraient tout autant utiles dans les zones rurales les plus défavorisées.

J'en viens aux modifications des mécanismes de répartition de la dotation globale de fonctionnement qui résultent de la loi relative au mécanisme de la solidarité financière entre collectivités locales. L'accroissement de la dotation de solidarité urbaine est beaucoup plus favorable que celui de la dotation de solidarité rurale, et je ne manquerai pas de poser ces questions à M. Aubert.

Alors là encore je me permets de dire que j'étais un maire d'une commune rurale de mille habitants et je ne peux m'empêcher devant vous, qui êtes un auditoire raffiné, de répéter ce que je dis chaque semaine face aux auditeurs que j'ai dans mon pauvre pays. Je gère ma commune de mille habitants avec 2 500 francs par habitant. Mon chef-lieu de canton, qui a une belle taxe professionnelle, a 4 000 francs par habitant. Ma sous-préfecture a 8 000 francs par habitant pour son budget de fonctionnement, et ma préfecture a 11 000 francs par habitant. Et je ne me risquerais à citer des chiffres de la région parisienne.

Comment voulez-vous qu'il y ait un aménagement du territoire quand de tels chiffres marquent une disparité de moyens qui fait que nous ne jouons pas dans la même cour ? A partir de là, pour l'aménagement du territoire, la première chose à faire est de mettre en route un système qui régule des injustices aussi patentes et flagrantes.

Alors voilà ce que j'aurais voulu dire à M. Aubert. Et je pense qu'évidemment il y a des problèmes financiers, les problèmes des services publics, de la création d'entreprises, de la taxe professionnelle. On a longuement parlé ce matin de toutes ces choses.

M. François-Michel Gonnot .- M. Aubert nous fait l'amitié de nous rejoindre. Il n'a pas entendu les questions de M. Huchon, mais si vous voulez les répéter, monsieur le délégué pourra y répondre dans la foulée.

M. Jean Huchon .- J'ai évoqué le problème des nouvelles mesures qui sont prises de dotation de solidarité. Nous, les ruraux, nous trouvons difficiles à supporter que la dotation de solidarité urbaine soit conséquente, que la dotation de la solidarité rurale soit relativement mineure.

M. François-Michel Gonnot .- En clair, le sénateur se faisait le reflet d'un sentiment qu'on continuait à faire davantage pour la ville que pour les campagnes, et à quoi rimait une politique d'aménagement du territoire dans la mesure où les campagnes n'ont pas les moyens d'influer sur leur environnement et qu'il n'y avait pas encore des systèmes de régulation pour réparer cette inégalité et ces injustices entre les villes et les campagnes.

M. Raymond-Max Aubert .- Est-ce que vous me permettez de poursuivre sur l'ensemble des dispositions que nous envisageons en faveur du monde rural ou est-ce que M. Huchon souhaiterait lui-même développer ce sujet ?

M. François-Michel Gonnot .- Nous sommes partis sur le monde rural, donc vous avez officiellement la parole.

RÉPONSE DE M. RAYMOND-MAX AUBERT,
ANCIEN MINISTRE, DÉLÉGUÉ À L'AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE ET À L'ACTION RÉGIONALE

M. Raymond-Max Aubert .- Je vous présente toutes mes excuses pour ce retard.

D'abord je relève qu'il y a eu peut-être des interrogations sur la volonté de mettre en vigueur les dispositions relatives au monde rural. Au fond, les interrogations qui se sont fait jour sur la priorité accordée à l'aménagement du territoire résultent essentiellement du fait que nous avons mis très longtemps à publier le décret sur les zones de revitalisation rurale, qui était quand même le dispositif central prévu par la loi d'orientation pour donner une impulsion au développement économique et social des zones rurales.

Si vous le permettez, de ce point de vue je rappelle que, et je suis tout à fait sincère en le disant, ce n'est pas le fait du gouvernement. Ces dispositions concernant les zones de revitalisation rurale nécessitaient une concertation des autorités de Bruxelles et de la commission de Bruxelles, et cette concertation a été beaucoup plus complexe que nous ne l'imaginions au départ. Il a fallu que dans un premier temps M. Pons, qui était en charge de l'aménagement du territoire, puis M. Gaudin, se rendent à Bruxelles pour obtenir un accord technique et un accord politique au-delà même des dispositions techniques, pour faire admettre la nécessité de cette délimitation rapide des zones de revitalisation rurale.

Aujourd'hui le décret est paru et il est très difficile d'en mesurer les effets.

Je voudrais faire deux observations : d'abord le gouvernement a eu très peu de latitude d'action pour définir ces zones de revitalisation rurale. Il s'est contenté d'appliquer les critères très précisément définis par le législateur, et donc la carte des zones de revitalisation rurale résulte de manière presque automatique des dispositions de la loi d'orientation. Naturellement, dès qu'on met en place un zonage, il peut y avoir des problèmes de frontière. Je crois que malheureusement il faudra s'y faire et peut-être trouver des dispositions qui permettront une meilleure continuité des actions incitatives lorsqu'on passera d'une zone de revitalisation rurale à des cantons proches qui ne bénéficieraient pas des mêmes mesures. Il me paraît hors de question aujourd'hui de retourner devant les autorités de la commission de Bruxelles pour renégocier une cartographie qui a été très difficilement acquise.

La deuxième observation est qu'on ne sait pas quels seront les effets de ces mesures incitatives qui sont très larges. Il s'agit d'exonérations fiscales, d'allégements des charges sociales, de différentes mesures facilitant notamment la vie des entreprises dans les zones de revitalisation rurale, mais quand j'ai entendu ce matin un haut responsable des finances de la France évoquer, le cas échéant, un coût de 50 milliards pour ces mesures, je dirais que ce serait aller au-delà de nos espoirs. Si ces mesures coûtent véritablement 50 milliards, c'est qu'elles auront été extraordinairement efficaces. Le système mis en place a cet avantage de ne rien coûter s'il ne marche pas, mais de coûter de l'argent s'il est très incitatif et s'il provoque une revitalisation des zones rurales.

Voilà la première observation que je souhaitais faire. Parallèlement, je rappelle que, malgré tout, le gouvernement avait mis en place certaines dispositions de la loi qui ont joué en faveur du monde rural. On les a évoquées ce matin. Il s'agissait de la définition des pays et en particulier de l'opération de préfiguration retenant 42 pays pilote. J'y reviendrai tout à l'heure.

Il y a aussi cette action très importante pour le maintien des services publics dans en milieu rural. Un moratoire a été arrêté début 1993 interdisant toute suppression de service public en zone rurale. On ne sortira de ce moratoire que quand les schémas départementaux d'organisation et d'amélioration des services publics auront été définis. Et c'est évidemment un élément essentiel pour le maintien de la vie en zone rurale.

La loi elle-même avait prévu une loi complémentaire pour le développement rural dans son article 61. Si le législateur de l'époque et les parlementaires avaient annoncé cette loi, c'est que probablement ils considéraient que malgré l'aspect très impressionnant de cette loi sur l'aménagement et le développement du territoire, les mesures spécifiques en faveur des zones les plus fragiles n'avaient pas été suffisantes.

Naturellement il n'était pas nécessaire qu'une loi annonce une autre loi pour que nous nous lancions dans une réflexion sur le développement rural. Quoi qu'il en soit la loi était annoncée et le gouvernement, le Premier Ministre et M. Gaudin ont confirmé la volonté de l'élaborer et de la soumettre au Parlement dans les meilleurs délais, probablement au tout début de la rentrée parlementaire de septembre.

Pour ce qui concerne la mise en oeuvre de ces dispositions, elles ne seront pas toutes de nature législative. C'est un véritable plan pour le monde rural que nous sommes en train d'étudier, sous la coordination du Ministre Jean Claude Gaudin, et ce plan part d'un constat de la situation que je voudrais rappeler rapidement.

Le monde rural a connu de profondes mutations depuis 50 ans, inséparables des transformations de notre société : l'exode rural, l'urbanisation, la croissance de la productivité, l'émergence d'une société de services. Tous ces éléments ont transformé la composition du monde rural et son mode de vie. Les agriculteurs ne représentent aujourd'hui que 20 % des actifs dans des communes de moins de 2 000 habitants.

Cette transformation se caractérise par quatre évolutions majeures que je voudrais rappeler rapidement :

· D'une part la convergence des aspirations entre le monde rural et le monde urbain. Ces deux mondes se sont rapprochés par l'action conjuguée de l'urbanisation, l'équipement des ménages, l'accroissement de leur mobilité et peut-être aussi de la présence toujours plus insistante de la télévision dans la vie sociale et culturelle. Les aspirations des populations rurales et urbaines sont devenues plus homogènes, même si les modes de vie -et je crois que le président François-Poncet le souligne volontiers- sont restés distincts, et c'est plutôt un atout du monde rural pour l'avenir.

· Le deuxième constat qu'on peut faire, c'est que le monde rural s'est différencié. L'évolution des différents territoires consacre aujourd'hui un véritable éclatement du monde rural ; il n'existe pas un espace rural, mais des territoires ruraux, les uns en crise profonde, d'autres en phase de mutation difficile et d'autres aussi en forte croissance, cela existe.

Si on devait affiner ces distinctions, on pourrait évoquer les communes rurales péri-urbaines qui restent sous l'influence des villes dont elles sont proches. Des besoins spécifiques s'y manifestent, des besoins en services de qualité, de vie culturelle et de coordination avec la ville. Les activités économiques traditionnelles y sont souvent fragiles, insuffisamment diversifiées, et parfois même en crise profonde. Les villes moyennes ont perdu 50 % de leurs emplois industriels sur les dix dernières années et malheureusement ces pertes d'emploi n'ont pas été toujours compensées par des créations d'emplois, notamment dans le secteur des services.

La solidarité entre ville et campagne n'est pas toujours satisfaisante. Le déséquilibre des ressources et des charges n'est pas compensé par une péréquation intercommunale suffisante. Au total, ces communes péri-urbaines sont étroitement dépendantes du centre ville. Il existe de vrais problèmes d'urbanisme et d'organisation de l'espace en liaison avec le développement urbain.

Autre type de territoires ruraux, les territoires ruraux en mutation ou en développement. Ils sont nombreux, ils disposent souvent d'une activité portant l'économie ou la vie locale, qu'il s'agisse de l'agriculture, du tourisme, de PME ou de services, je pense aux services à l'intention des personnes âgées par exemple. Nombre souffrent de la monoproduction et tout accident ou incident (chute des cours agricoles, absence de neige, fermeture d'entreprise) révèle la fragilité de leur base économique. Parmi eux d'ailleurs les territoires touristiques, qui sont urbains trois mois de l'année et ruraux les neuf mois restants, et qui surdimensionnent souvent leurs investissements et leurs services, posent des problèmes spécifiques.

Les territoires en déclin démographique ou à faible densité qui correspondent aux zones de revitalisation rurale que nous évoquions à l'instant. Ils cumulent handicap démographique, retrait des services publics, difficultés pour entretenir les infrastructures, le patrimoine et l'espace. Ces territoires connaissent des problèmes liés à l'arrivée de nouvelles populations : il s'agit aussi bien des résidences secondaires que des étrangers attirés par le faible prix du foncier.

Cette brève analyse des différents types de territoires montre que les problèmes à résoudre ne sont pas les mêmes selon les logiques et les développements constatés dans les différentes parties de notre territoire national.

· Troisième constat : la diversification des activités dans le monde rural. Certaines évolutions majeures qui s'expriment dès à présent permettent de penser que le rôle des territoires ruraux ira en s'accroissant dans les prochaines décennies. L'accroissement de la difficulté de la vie dans les villes doit y contribuer. La diminution du temps de travail et de la durée de la vie active qui entraîne un certain nomadisme des Français, nomadisme dans la semaine, nomadisme dans l'année avec le phénomène de l'élargissement des périodes de vacances, et puis un nomadisme dans le cadre de la vie avec les retraites de plus en plus longues prises par nos concitoyens.

D'une manière générale, l'accroissement de la mobilité et des moyens de communication renforcent ces différentes tendances. Cette mobilité peut contribuer à vider les territoires les plus fragiles en favorisant la polarisation des activités le long des axes de communication, comme elle peut constituer aussi pour eux une nouvelle chance.

Au regard des évolutions constatées, il est légitime de penser qu'à échéance brève les territoires ruraux seront porteurs d'activités diversifiées, qu'il s'agisse d'activités éducatives, de santé ou de service quittant les centres villes, ou d'activités nouvelles créées dans un environnement plus favorable.

Enfin les territoires ruraux seront de plus en plus des lieux de vie où les citoyens passeront une partie de leur vie, de leur année, ou de leur semaine, mais ils ne le feront que s'ils trouvent des services appropriés.

· Dans ce contexte, le dernier constat concerne la multiplication des initiatives locales. La décentralisation a fait émerger de nouveaux acteurs institutionnels, les communes, les groupements de commune, les départements, les régions, l'ensemble des collectivités territoriales ; l'Europe elle-même s'est dotée d'une politique régionale. Dans le même temps, les entreprises et le mouvement associatif se sont révélés des partenaires actifs du développement rural, tout comme les organisations socioprofessionnelles. L'Etat n'est plus considéré comme le détenteur de l'ensemble des solutions.

Au cours des trois dernières années, les structures intercommunales se sont multipliées, elles regroupent aujourd'hui plus de vingt millions d'habitants. Cet essor de l'intercommunalité montre que les maires ruraux ont compris la nécessité de s'unir pour vivre et survivre. Beaucoup de ces initiatives se groupent autour d'un projet de développement. A travers ces initiatives, les acteurs locaux ont su trouver une solution au problème de l'emploi (la solidarité, la vie commune) et cela conduit au développement actif de nombreux territoires.

Le plan pour le monde rural que j'évoquais, et qui a été confirmé par le Premier Ministre, pourrait s'articuler autour de quatre objectifs :

- Renforcer l'organisation des territoires afin de valoriser les initiatives et les potentialités locales.

- Répondre aux besoins des différents types de territoire par des politiques adaptées afin d'assurer aux habitants des espaces ruraux des chances égales.

- Préserver et valoriser l'espace et le patrimoine du monde rural.

- Permettre aux territoires ruraux de devenir des lieux de vie attractifs et offrir ainsi des alternatives crédibles à la concentration urbaine.

Des dizaines de mesures sont envisagées et je les évoquerai par objectif.

L'objectif concernant le renforcement de l'organisation et structuration des territoires pourra prendre appui sur deux démarches conjointes : les pays, tout d'abord. On a évoqué les pays, on s'est interrogé sur leur devenir. Le Ministre de l'Aménagement du Territoire a fixé pour objectif la création de 500 pays. C'est un objectif qui est tout à fait possible sur la base d'ailleurs d'initiatives locales et du volontariat. C'est un objectif qui ne doit pas être imposé. Pour l'atteindre plus facilement, nous réfléchissons à des formes de partenariat, à une idée de charte de pays qui pourrait porter ces projets de développement économique et social initiés dans de nouveaux espaces cohérents.

L'autre démarche concerne l'appui aux projets locaux, et de ce point de vue, il faut remarquer que ces projets locaux sont essentiels pour l'animation du monde rural. Je dirais, pour rejoindre l'interrogation qui s'est développée ce matin sur l'opportunité de l'affectation des crédits du Fonds national d'aménagement et de développement du territoire, qu'il serait peut-être trop facile de railler les initiatives locales à travers deux ou trois exemples malheureux. De ce point de vue souvent les élus locaux sont porteurs de projets de développement, de projets de création d'activités et d'emplois beaucoup plus pertinents que ne peuvent peut-être l'imaginer certains administrateurs du quai de Bercy. Je le dis tout à fait gentiment.

M. François-Michel Gonnot .- Ou certains ministres.

M. Raymond-Max Aubert . - Le deuxième objectif, la diversification des activités, suppose l'émergence d'une économie équilibrée en milieu rural. Trois mesures à mon avis principales pourraient consister en le renforcement de la pluriactivité, sur la base du rapport Gaymard qui était très bien conçu de ce point de vue. L'encouragement aux services de proximité, l'appui à l'artisanat et au commerce. Il faudra d'ailleurs approfondir peut-être la question de l'adaptation des normes et des règlements souvent conçus pour la vie urbaine et malheureusement inadaptés parfois aux réalités du monde rural. Il y a là un important chantier à ouvrir, qui d'ailleurs prolonge la réflexion sur la pluri-activité.

Troisième objectif : la valorisation de notre espace. La gestion de l'espace est un problème qui se pose très différemment selon les territoires. Les priorités ne sont pas partout les mêmes. La stabilisation des plans d'occupation des sols et la préservation des espaces non artificialisés deviennent pour les territoires soumis à une concurrence forte dans l'usage des sols des priorités fortes.

Enfin, dernier objectif, faire des territoires ruraux des lieux de vie attractive. Quatre actions sont envisagées. Concernant l'habitat, la réhabilitation des logements anciens et la mobilisation des logements vacants pour favoriser le développement d'un habitat locatif, y compris social et touristique. L'égal accès au service public. C'est une notion centrale de la loi d'orientation. Les textes sont parus. Je crois que la réflexion qui doit avoir lieu au sein des commissions départementales et qui doit aboutir à des schémas départementaux pourrait s'inspirer d'abord des travaux qui ont été menés dans le cadre des pays expérimentaux, et en tout cas pourrait faire avancer des idées qui paraissent porteuses pour l'avenir, même si elles sont souvent difficiles à mettre en oeuvre, comme la polyvalence des services publics, la mobilité des services publics ou encore le partenariat pour assurer ces prestations sur l'ensemble du territoire.

Enfin les services culturels de proximité qui correspondent à une demande forte.

La lutte contre l'exclusion parce que, contrairement aux idées reçues, la fracture sociale comprend une dimension rurale souvent occultée d'ailleurs par les difficultés urbaines. De nombreux jeunes sont contraints de rester aides familiaux ou chômeurs à la maison. Certains territoires constatent l'arrivée de chômeurs ou RMistes et les territoires périurbains connaissent des problèmes liés à l'endettement des ménages, au chômage et à l'exclusion.

Les pistes sont nombreuses ; elles relèvent souvent d'une logique interministérielle et leur discussion nécessitera donc une concertation interministérielle poussée. Je crois qu'au fond l'objectif, pour aller à l'essentiel, consiste à gommer progressivement l'aspect un peu passéiste et nostalgique qui reste attaché à l'image du monde rural. Aujourd'hui au contraire il faut faire valoir, et tout nous y encourage, les moyens sont à notre disposition, il faut encourager l'émergence d'une idée de modernité du monde rural qui offre une alternative à la concentration urbaine.

Nous faisons en sorte avec le Ministre Jean-Claude Gaudin que le projet de loi que nous envisageons ainsi que les mesures d'accompagnement, contribuent à l'émergence de cette modernité du monde rural. En tout cas, si d'aventure le projet de loi que nous vous soumettrons aussi bien à l'Assemblée Nationale qu'au Sénat, devait se révéler insuffisant, nous savons que les parlementaires ont beaucoup d'imagination, et le précédent de la loi d'orientation prouve que le cas échéant les mesures proposées par le gouvernement seront très opportunément enrichies par le débat parlementaire.

M. François-Michel Gonnot .- Est-ce que ces quatre objectifs sont de nature à rassurer un sénateur que nous avons senti résigné ?

M. Jean Huchon .- Non, mais si je ne peux que partager toutes les pistes proposées par M. le Ministre, je souhaite surtout qu'on s'y engage tous ensemble, les élus et le gouvernement, et que les moyens soient rassemblés pour mener à bien la tâche.

J'ai déjà pris une partie de mon temps, mais je voudrais vous faire quelques remarques et poser quelques questions. Pour un homme qui a pratiqué l'aménagement du territoire depuis vingt ans en tant qu'élu, qui est président de pays depuis vingt ans, qui a été un peu hérissé ce matin par l'emploi de termes "métropolisation", "éviter le saupoudrage", "pratiquer la politique des pôles" et une "politique ciblée". En termes technocratiques, cela veut dire faire de l'assèchement du territoire et renforcer ceux qui sont forts au détriment de ceux qui sont faibles.

Alors, je vous le dis tout de suite, cela ne me convient pas. Je pense que l'aménagement du territoire, c'est la répartition des flux financiers et des moyens sur l'ensemble du territoire. Un habitant de petit bourg de campagne doit disposer de la même somme de crédit public qu'un habitant du centre de Paris.

La politique de pays ? Je préside un pays de cent mille habitants et de six cantons et de soixante cinq communes depuis une vingtaine d'années. Nous en sommes à la cinquième génération de contrat de pays, c'est positif et très bien, mais j'ai mon ami Maurice Ligot, maire de Cholet, qui est là, et je frémis quand je fais le total de tous les budgets de 65 communes, je n'arrive qu'à la moitié de la somme du budget de Cholet avec ses 57 000 habitants. C'est cela le problème de la justice et de l'équité.

Je ne suis pas figé sur des positions sectaires. Il y a probablement des aménagements à faire et des choses à adapter, notamment la polyvalence des services. Je dois dire que quand on parle polyvalence vis-à-vis des services, ce sont les services qui sont les plus réticents. Il n'est pas facile de faire cohabiter les services de l'Etat et on a des problèmes pour faire collaborer des gens qui devraient pourtant être faits pour s'entendre.

Les zones de revitalisation, d'accord, mais pourquoi ne pas avoir mis à l'égal des villes des zones franches. Là, il y a une disparité de traitement qui nous choque. L'intercommunalité, nous la pratiquons. Cela peut faire des choses, mais cela ne fera pas tout. L'appui aux projets locaux, nous le connaissons bien. Le FNAT, on en a parlé longuement ce matin et il y a eu un échange entre mon collègue Belot et monsieur le Ministre du budget. Nous avons été obligés l'année dernière de monter rapidement des projets pour les présenter parce qu'on nous a donné les possibilités trop tard et les délais étaient trop courts pour constituer valablement les dossiers. Il faut éviter ces dysfonctionnements.

L'égalité devant les services publics, polyvalence des services publics culturels. Il faut qu'on sorte du dilemme actuel au terme duquel les deux tiers des crédits du ministère de la culture se dépensent à l'intérieur du périphérique. En dehors du périphérique, il y a la France, et même au plus profond. Il faut qu'on sorte de ce phénomène de l'urbanisme et de l'agglutination. C'est un cercle qu'il faut briser.

(Applaudissements).

M. François-Michel Gonnot .- Monsieur le délégué à l'aménagement du territoire, je crois que vous avez encore un peu à faire pour convaincre notre ami sénateur.

M. Raymond-Max Aubert .- D'abord, je voudrais souligner que les préoccupations exprimées par le sénateur Huchon sont nos préoccupations. Il a évoqué les difficultés de l'exercice, et nous en sommes tout à fait conscients. Nous souhaiterions aller dans le sens de ces suggestions.

Concernant la métropolisation, je comprends ce que ce néologisme peut provoquer comme réticence de la part d'élus de départements ruraux. Il faut admettre quand même que notre exercice d'aménagement du territoire s'inscrit dans une économie ouverte sur le monde et on ne peut pas non plus négliger l'atout que représente pour la France l'émergence de métropoles à l'échelle européenne et même mondiale. Pour nuancer cette affirmation, nous parlons volontiers à la DATAR de métropolisation atténuée. Je ne sais pas si cela vous rassurera totalement, mais nous mesurons les limites et les risques de l'exercice.

Concernant le saupoudrage, nous sommes d'accord avec vous. Le saupoudrage est une présentation inutilement caricaturale de ce qui est fait. La vie dans le monde rural est préservée grâce à l'initiative des acteurs locaux, et encore une fois je reste persuadé que les élus qui sont au contact des réalités du territoire sont porteurs de projets souvent beaucoup plus intéressants et beaucoup plus ouverts au développement et à la création d'emplois que ce qui pourrait être imaginé à un niveau national.

Pour les contrats de pays, et pour les pays, c'est une notion qui n'est pas nouvelle. Elle a été un peu entérinée par la loi, légalisée, ce qui est bien naturel, par le texte d'orientation. C'est une notion ancienne qui montre bien qu'elle reflète une réalité locale. Ces espaces de réflexion cohérents sont souvent très pertinents pour porter un projet de développement. Quand nous disons que nous nous orienterons peut-être vers des chartes de pays pour marquer un aspect un peu novateur par rapport à ce qui a pu exister dans le passé, cela supposera en particulier que des moyens spécifiques leur soient attribués, et nous sommes en train d'explorer la possibilité d'introduire des lignes spécifiques en faveur des pays dans les contrats de plan Etat/région pour les négociations vis-à-vis du douzième plan.

Il me semble que les mesures incitatives au sein des zones de revitalisation rurale sont fortes. Il y a là un éventail très complet de mesures. Quoi qu'il en soit et puisqu'on a évoqué la parité nécessaire de l'effort entre zones urbaines et zones rurales, je vous indique simplement que les zones de revitalisation couvrent une population de l'ordre de 4,5 millions de Français, et c'est une mesure comparable à celle qui concerne les zones les plus défavorisées dans les milieux urbains.

Voilà quelques éléments de réponse que je pouvais donner rapidement.

Une intervenante .- Monsieur le Ministre, si vous le permettez je voulais intervenir et donner mon sentiment. D'abord pour vous remercier pour les propositions que vous venez de faire en ce qui concerne l'espace rural, mais je voudrais exprimer un sentiment d'inquiétude. Depuis ce matin nous entendons des propos et jamais n'a été évoquée la reconquête du territoire. Les zones rurales, il ne suffit pas de les maintenir, mais il s'agit de les développer. Et pour les développer, il faudra des moyens et des moyens financiers. Alors si j'ai bien entendu ce matin ce qu'on nous a dit, ne serait-ce que sur le fonds national d'aménagement du territoire, je crois qu'il faudra que nous trouvions chez nous, dans nos espaces, les moyens de nous développer. C'est tout à fait contraire à l'aménagement du territoire.

C'était une loi ambitieuse. C'était une loi qui a fait lever beaucoup d'espoir dans ces zones rurales, et quelquefois nous avons l'impression que nous sommes nous, espaces ruraux, un peu à côté de cette loi. On a parlé ce matin du TGV et c'est tout à fait normal, mais l'espace rural est un milieu vivant ; il ne faut pas le voir non plus comme un milieu négatif. Il y a beaucoup de ressources dans le milieu rural à condition qu'on nous en donne les moyens.

Ce qui m'a un peu choquée ce matin de la part de M. Lamassoure, c'est quand il dit que quand il faut 100 000 francs, il faut les trouver dans le département ou la région, mais ce n'est pas chez le contribuable au plan national. Ce n'est pas tout à fait cela. Les départements et les régions font déjà beaucoup d'efforts. C'est peut-être aussi une autre façon d'avoir un autre regard qu'il faut porter sur ces régions qui sont dites défavorisées, qui ont quand même des richesses : la sécurité, le paysage, etc. Nous ne voulons pas, je le dis en ce qui concerne la Lozère, être seulement un espace de respiration, nous voulons être tout à fait autre chose.

M. Raymond-Max Aubert .- Madame le sénateur, je suis tout à fait d'accord avec vous. Votre question me fait penser à ce qui a été dit ce matin sur la décentralisation. Plus personne ne conteste la décentralisation, elle est entrée dans nos moeurs, mais on peut reconnaître que la décentralisation a eu des effets peut-être moins positifs dans certains secteurs que dans d'autres. En particulier la décentralisation peut entraîner l'amplification des procédures d'appauvrissement de certaines régions, alors qu'au contraire elle va dans le sens de l'enrichissement des régions riches d'une manière générale.

Ce contexte de la décentralisation rend à mes yeux encore plus nécessaire une politique d'aménagement du territoire. Et de ce point de vue, je vois l'aménagement du territoire comme une politique d'accompagnement qui exprime une solidarité nationale en faveur des espaces les plus fragiles. On ne peut pas imaginer que les seuls moyens locaux suffiront pour cette reconquête de l'espace qui sera bénéfique pour tous. Pour réussir une politique d'aménagement du territoire, il faut mobiliser un minimum de moyens, y compris au plan national.

M. François-Michel Gonnot .- Nous allons maintenant quitter un peu l'espace rural pour retrouver les villes et nous pencher sur la politique de la ville.

Monsieur Raoult, ministre délégué à la ville et à l'intégration, avant de nous présenter les efforts que le gouvernement va engager pour la ville, peut-être pouvez-vous nous donner votre sentiment sur ce que vous venez d'entendre. N'avez-vous pas le sentiment qu'il y a quand même un message très fort qu'il faut que le gouvernement lance vis-à-vis des problèmes spécifiques que rencontrent nos villes et certains de leurs quartiers, mais il y a aussi quand même tout un discours qu'il faut continuer du monde rural où, semble-t-il, on vit en termes de concurrence la politique de la ville par rapport à la politique en faveur du milieu rural.

B. la politique de la ville

INTERVENTION DE M. ÉRIC RAOULT,
MINISTRE DÉLÉGUÉ À LA VILLE

M. Eric Raoult .- Je crois, d'une part, que si on proposait aujourd'hui de mettre les villes à la campagne, toutes les campagnes ne seraient peut-être pas tout à fait d'accord.

D'autre part, pour un certain nombre de collectivités, elles ont déjà compris qu'on ne pouvait pas opposer les villes et les zones rurales, et je vais vous citer une anecdote : j'ai dans mon ancienne circonscription une commune proche de Monfermeil appelée Clichy-sous-bois. C'est un très beau nom, mais il n'y a plus de bois. Aujourd'hui se tient une rencontre entre les jeunes de plusieurs groupes scolaires de la commune de Clichy-sous-bois (Seine-Saint-Denis) avec les jeunes de la commune de Grécy (Seine-et-Marne). Nous avons pensé qu'un jumelage entre les jeunes de 63 nationalités différentes de Clichy-sous-Bois et ceux de Grécy, qui n'étaient venus à Clichy-sous-Bois que rarement, peut-être par l'autoroute ou par la bretelle B3, pouvait être un rapprochement entre les mômes des campagnes et les mômes des villes. Au début, on a cru que ce serait explosif. Ceux de Clichy étaient très contents d'aller à Grécy ; pour ceux de Grécy, dire aux parents que leurs enfants allaient venir à Clichy-sous-Bois rencontrer les 63 nationalités dont j'ai parlé, n'était pas tout à fait évident. Et je crois que le couple s'est plutôt bien passé et en l'occurrence les rencontres entre ces deux communes ont montré qu'à quelques kilomètres on pouvait à la fois mener une politique de la ville et aérer ces jeunes en leur montrant qu'à Grécy on plante des arbres qu'ils n'ont plus dans leur commune, et à Grécy on leur a montré que, quand ils réclament des choses au maire, ceux de Clichy-sous-Bois ont peut-être encore moins de possibilités d'animation. La solidarité s'est faite.

L'intérêt de la loi sur l'aménagement du territoire a été de rapprocher dans la démarche qu'avait proposée M. Pasqua, ceux des villes, qui réclament beaucoup, et ceux des campagnes qui réclament aussi et qui, bien souvent, ne s'étaient pas aperçu que les difficultés qu'ils pouvaient connaître en matière d'exclusion -parce qu'il y a aussi bien des ZEP dans des zones rurales que dans des zones urbaines-, que l'effort de solidarité pouvait être mieux compris.

Ce n'est pas toujours facile à organiser. Quand on envoie des jeunes des villes à la campagne en été, il faut bien leur faire comprendre qu'ils doivent représenter les villes et qu'ils doivent bien les représenter. Je crois que l'effort de solidarité a été de montrer qu'entre la revitalisation rurale et la revitalisation urbaine, il y avait des démarches semblables et que tout reposait sur les relations privilégiées entre les collectivités locales.

Je ne dis pas que je suis prêt à échanger Monfermeil contre Cholet, mais il y a là, je crois, une piste pour voir que nous avons un certain nombre de difficultés communes et c'est quand les maires des villes très urbanisées comprennent que dans les campagnes il y a des ronces, qu'eux ils ont plutôt des tags sur leur mur, mais que ce sont les mêmes difficultés, que des efforts de solidarité peuvent être menés.

Pendant des années nous avions eu plutôt une démarche de perfusion sociale ou une démarche qui mettait beaucoup plus d'argent dans les villes. La loi sur l'aménagement du territoire a ramené la ville et la campagne à niveau, sur une même réflexion, sur une démarche de solidarité et sur une démarche d'aides spécifiques, non pas simplement sur des politiques qui s'accumulaient les unes sur les autres, au fur et à mesure des remaniements ministériels, mais sur des territoires à définir, sur des cohérences à établir, et sur des publics à privilégier : des actions en direction des jeunes, de l'activité économique, de l'entreprise, du commerce.

C'est pour cela qu'un an après la loi sur l'aménagement du territoire, la politique de la ville, telle que le nouveau gouvernement souhaite la définir, tient compte de l'esprit Pasqua, elle tient compte des lois Pasqua, et quand on est ministre de la Ville et de l'Intégration, et comme on n'est pas en ce moment très nombreux à le dire, on a envie de dire : vivent les lois Pasqua ! (Applaudissements).

M. François-Michel Gonnot .- Monsieur le Ministre Pasqua, nous sommes très heureux de vous accueillir à cette tribune et que vous puissiez un an après sentir les échos et questions qui restent posées autour de la loi dont tout le monde est d'accord qu'elle mérite bien de porter votre nom.

Monsieur Raoult, vous êtes ministre de la Ville et de l'Intégration, avez-vous le sentiment à travers le pacte de relance pour la ville, de faire une action qui vise non seulement à une meilleure intégration, non seulement à éviter un certain nombre d'explosions, mais aussi de contribuer à ce qu'on peut appeler l'aménagement du territoire ?

M. Eric Raoult .- Je crois que d'abord la politique de la ville que M. Gaudin et M. Juppé ont présentée à Marseille le 18 janvier dernier, a tenu compte de trois priorités.

· La première : ne pas refaire ce que parfois on avait déconseillé aux autres de faire. La particularité de l'action publique, c'est qu'elle a une mémoire et elle a eu aussi une précision. La mémoire, c'est toute l'action que depuis quasiment 5 ans les différents ministères avaient menée. C'était une action politique très ciblée. On faisait beaucoup pour le logement, on faisait beaucoup pour l'animation. On avait repris un peu l'esprit des fondateurs, de M. Bonnemaison, de M. Schwartz et de M. Dubedou, et pendant une dizaine d'années on a quasiment exclusivement ciblé les actions sur ces domaines-là.

Nous avons essayé avec M. Gaudin d'établir un constat, un état des lieux grâce au remarquable rapport de F. Idrac et JP. Duport, qui nous a permis de voir le bilan des actions passées et les nécessités de renforcement sur un certain nombre de domaines.

Quand nous sommes critiqués de créer des zones urbaines sensibles, je répète que ces zones urbaines étaient incluses dans la loi d'orientation sur la ville que, comme député d'opposition, je n'avais pas votée. Aujourd'hui, nous avons essayé de mettre de la revitalisation économique là où on s'était contenté de faire du social. Nous avons essayé d'allier l'urbain et l'humain et de tenir compte des capitaux d'expérience et de compétence qui avaient pu être tracés dans un certain nombre de domaines, notamment pour le commerce et l'emploi social.

Nous avons essayé de reprendre, avec l'acquis des années passées et avec l'effort de simplification que Mme Veil avait mené à la tête de son ministère en redéfinissant les contrats de ville, les critiques apportées par le passé : ne pas stigmatiser les quartiers, faire un contrat de confiance avec les élus, essayer de globaliser dans le cadre du onzième plan une nouvelle politique urbaine. Donc, tenir compte de ce qui s'était passé auparavant.

· Deuxième priorité : ne pas simplement intervenir quand cela brûle, faire du curatif lourd, mais tenir compte de toutes les possibilités d'intervention dans les villes moyennes. C'est ainsi que les zones urbaines sensibles et les zones de redynamisation urbaine prévues dans la loi sur l'aménagement du territoire essaient de diffuser au maximum les lieux d'intervention urbaine et les territoires sur lesquels nous souhaitons apporter une réponse.

Et là où le débat n'avait pas permis d'aller aussi loin, le président de la République a souhaité qu'on développe la logique de l'expérimentation, et c'est l'idée des zones franches urbaines dont le mot n'est peut-être pas approprié. Ne faudrait-il pas parler de quartiers de développement ? Nous voulons avoir une logique sur la base de quartiers d'habitat social, une logique d'intervention dans des lieux où l'urbanisation a entraîné une polarisation de l'exclusion.

· Et puis troisième priorité de ce texte : nous avons voulu un pacte, nous avons voulu une relance, nous avons voulu une ville. Le pacte, c'est que pour la première fois une très large concertation, reprenant un peu l'idée de la loi du 4 février, a permis d'élaborer un texte qui ne soit pas simplement la cogitation d'un certain nombre d'experts. Grâce à la base du travail du rapport de F. Idrac et JP. Duport, nous avons pu négocier et rencontrer un grand nombre de présidents d'associations et d'élus. C'est une centaine de personnalités que nous avons interrogées sur ce pacte.

D'autre part, ce pacte est une base de négociations sur lesquelles nous pourrons apporter un certain nombre de compléments. La relance, c'est la remarque simple que nous n'avons pas voulu déchirer la page que nos prédécesseurs avaient écrite en matière de politique de la ville. Chacun a apporté quelque chose. Depuis une période relativement récente, cinq ans, les événements qui avaient conduit à la création du ministère de la ville et au discours de Bron du président Mitterrand, avaient au total élaboré un certain nombre d'orientations, mais il s'agit d'une relance à partir d'un acquis non négligeable.

Et puis aussi la ville, puisqu'en grande partie les interrogations, qui ont été celles durant des années des chercheurs et sociologues, ont conduit à un capital de réflexions qui méritait d'être mis en oeuvre rapidement et dont la finalité devait être essentiellement de réamarrer les quartiers dans les villes, et les villes dans le cadre d'agglomérations dans lesquelles elles peuvent continuer à vivre.

A travers ce pacte de relance pour la ville que M. Gaudin et M. Juppé ont présenté à Marseille le 18 janvier, nous avons souhaité aussi tenir compte également de ce qui s'était passé il y a quelques années. Eviter la lenteur : un pacte annoncé le 18 janvier a vu sa première formulation législative sous la forme d'un amendement créant les emplois de ville sur la loi sur l'apprentissage, et l'adoption le 14 février d'un projet de loi portant réforme d'un certain nombre de dispositions de l'ordonnance de 45 sur la justice des mineurs.

Et puis nous souhaitons cheminer le plus rapidement. Il y a souvent une différence entre la durée des gens des quartiers qui y vivent et la durée des responsables qui décident des politiques à leur endroit, mérite une accélération ; et dans ce domaine il est important d'apporter une plus grande attention sur l'annonce et sur la concrétisation de l'annonce.

Pour conclure, Monsieur le Président, je crois que la politique de la ville a d'abord largement tenu compte des précisions, et parfois des critiques, que l'ancienne opposition avait pu formuler à la majorité d'alors, parce qu'il est vrai que dans le domaine urbain ce sont tous les problèmes de la société qui sont rencontrés et qui s'accumulent.

C'est la raison pour laquelle d'ailleurs le rapport Larcher en 1992 avait été un peu un pacte de relance pour la ville embryonnaire et nous avons tenu compte des réflexions qui dans ce rapport étaient orientées vers l'éducation, vers le bâti, vers la délinquance, et ce n'était pas seulement une réponse urbaine en matière de logements, mais M. Larcher dans son rapport avait balayé l'ensemble des sujets.

Nous avons essayé aussi de privilégier les priorités qui sont souvent celles de la politique de la ville réclamée, et non pas de la politique de la ville annoncée, c'est-à-dire l'effort de sécurité. C'est plutôt souvent le nom de M. Pasqua qui est applaudi dans les quartiers plutôt que celui de Harlem Désir. C'est une constatation qu'il m'a été donné de faire. Et nous avons largement oublié que, malheureusement, l'insécurité des quartiers est une insécurité intérieure endogène, qui finit bien souvent par s'attaquer à la voiture du voisin plutôt qu'au pavillon du bourgeois de la ville d'à-côté.

Il y a aussi une très forte demande d'activités. Vous avez comme moi parcouru un certain nombre de quartiers et le soir, quand on finit sa visite et qu'on a rencontré pendant la journée une ribambelle de jeunes, on se demande ce qu'on va pouvoir trouver comme travail demain à tous ces mômes. Et, ayant parcouru avec M. Gonnot dans sa circonscription un certain nombre de cités, j'ai pu faire la même appréciation. La priorité donnée aux activités a été introduite dans le pacte, non pas d'une façon idéologique, il ne s'agissait pas d'être tout libéral et tout social, on a essayé de faire du Cardo et du Madelin, c'est-à-dire faire en sorte qu'il y ait un effort important en matière d'emplois de ville, mais aussi en matière de revitalisation des quartiers au travers des dispositions que, de 1986 à 1987, Alain Madelin avait mises en oeuvre dans trois zones d'intervention, dans ce qui était à l'époque plutôt des zones franches que des quartiers de développement.

Enfin, il y a un effort important afin de positiver l'identité des quartiers. Parce que, aussi bizarre que cela puisse paraître, on est très heureux d'y habiter, on est très content lorsqu'on parle des associations qui l'animent, et je vous conseille de regarder une émission qui doit passer ce soir à la télévision, qui montre qu'on peut faire du positif dans ces quartiers, que les couleurs, qui y sont très diverses, sont souvent des couleurs de générosité et de diversité. La sécurité, l'activité et l'identité, ce n'est pas du tout "réac", cela ressemble bien souvent aux idées républicaines de liberté-égalité-fraternité. C'est la raison pour laquelle la politique de la ville que le nouveau gouvernement a présentée avec son pacte de relance pour la ville n'est pas un énième plan, n'est pas un retour en arrière, mais un ensemble de propositions qui sont encore à débattre et qui s'inscriront dans un texte que nous présenterons au Parlement au mois de juin. Sur le terrain, l'Etat et l'ensemble de ses instruments, du préfet au sous-préfet à la ville, qui bien souvent devront reprendre en mains, avec peut-être plus d'autorité les différents intervenants et acteurs.

Il y a, bien entendu, les maires et les élus locaux. Vous étiez peut-être à l'Hôtel de Ville samedi dernier avec un très grande nombre d'élus pour parler d'intégration et applaudir à tout rompre un jeune élu qui s'appelle Taheb Doizi, qui est maire adjoint de Dreux ; cela montre que le débat sur les problèmes d'intégration et de ville a beaucoup changé.

Et enfin, aujourd'hui, la priorité de ce débat sur la politique de la ville tourne en grande partie autour d'une idée simple. Il faudra un jour que la politique de la ville soit biodégradable, qu'il y ait un retour sur investissement, et quand François Mitterrand annonçait en 1991 qu'il devait y avoir un politique de la ville concentrée sur 350 quartiers, quand nous quitterons le ministère de la ville, qu'il n'y ait pas 1 700 quartiers, mais qu'on puisse dire à nos successeurs : on vous en laisse simplement 800, à vous de faire.

(Applaudissements).

M. François-Michel Gonnot .- Pour vous interpeller, vous avez quelqu'un à qui vous venez de rendre hommage il y a quelques instants, M. Larcher, sénateur des Yvelines, et qui a joué un rôle important dans l'adoption et la procédure législative sur la loi d'orientation de 1995 puisqu'il a été rapporteur de la loi d'orientation au Sénat.

RÉPONSE DE M. GÉRARD LARCHER,
SÉNATEUR DES YVELINES,
RAPPORTEUR DE LA LOI D'ORIENTATION AU SÉNAT

M. Gérard Larcher .- Depuis ce matin, j'ai l'impression que la campagne envie la ville et que depuis ce matin l'ensemble des mesures additionnelles annoncées en régime " light " semblent plutôt être destinées à l'espace rural tandis que la ville se serait taillée depuis quelques mois une part importante des moyens budgétaires limités mis à la disposition de la politique d'aménagement du territoire.

Je voudrais rappeler dans quel état d'esprit nous avons abordé ce texte dans le cadre de la mission que le président Francois-Poncet a engagée au niveau du Sénat. Tout d'abord ne pas faire de l'opposition Ile-de-France/province le basic de nos réflexions. Deuxièmement, ne pas faire de l'opposition ville/campagne l'exégèse de notre pensée. Et à partir de cela, nous avons essayé de conduire, à partir d'une observation.

J'étais jeudi dernier dans le département des Hautes Alpes. Et que vois-je à la mairie de Saint-Chaffret ? Enquête Le Point : "Le département où on vit le mieux en France, ce sont les Hautes Alpes". C'est une enquête réalisée et c'est écrit. Et je n'ai pas vu que la Seine-Saint-Denis soit parmi ces premiers départements.

Il faut se rendre compte d'une chose : nous avons souhaité conduire parallèlement la réflexion sur les zones fragiles, mais en même temps prendre en compte un certain retard qui a été pris dans le domaine de la politique de la ville. Ce rééquilibrage-là doit être conduit en direction de l'espace rural dans les temps qui viennent, d'où l'importance du texte qui va être préparé, conduit et déposé et discuté par le Parlement.

Ce parallélisme-là nous a conduits, avec le gouvernement, à proposer un certain nombre de mesures qui ont un parallélisme des formes dans leur réalité. Ce sont des mesures d'abord à caractère fiscal et à caractère de coût social du travail. Ce sont des mesures en direction de l'implantation d'entreprises. Des mesures en direction du service public. Des mesures en direction de l'éducation, qui s'appellent ZEP ici, ou une idée qui a du mal à faire son chemin qui s'appelle : l'implantation d'université thématique de troisième cycle sur le territoire. Voilà ce que nous avons proposé.

Bien sûr, il y a des différences entre ces territoires dans le domaine de la sécurité où, quand nous aborderons le texte de lutte contre l'exclusion, le problème d'urbanisme, des logements vacants dans le territoire rural, des logements squattés dans la ville.

Les problèmes de désenclavement existent dans les deux territoires : désenclavement dans l'espace rural, mais enclavement de certains quartiers qui ne sont desservis que par des rocades de nationales ou de départementales qu'on a greffées par hasard, sans plan urbain global et sans schéma de cheminement qui conduit au coeur de la ville.

C'est vrai, avec 5 milliards supplémentaires, il y a l'engagement d'une politique de la ville. La ville est nécessaire parce qu'elle est une tête de réseau des services publics mais la ville a une responsabilité vis-à-vis de son arrière-pays, et ce matin on a parlé de métropole et un ange est passé puisque finalement nous n'avons qu'une seule métropole de niveau international, qui est Paris et sa petite couronne. Et quand M. Gaudin évoquait la possibilité de cinq petites bananes bleues, la formule n'est pas de lui mais de Gerbeau, j'ai pensé que c'étaient des bananes figues à la dimension de l'Europe, et qu'il ne fallait pas nous faire des frayeurs de cette nature parce qu'il y avait la nécessité de pôles de développement qui prennent leur responsabilité beaucoup plus qu'elles ne l'ont prise au cours des vingt dernières années.

Enfin, et ce sera sans doute une des réflexions de la commission que j'ai l'honneur de présider : la ville, c'est autre chose que la politique de la ville et il est temps de recoudre la ville ensemble, pour que derrière le mot ville on ne voie que le mot difficulté. La ville dans notre histoire, mais aussi aujourd'hui, est une chance pour l'ensemble du territoire.

Je disais tête de réseau du service public, mais aussi centre de rencontres, de développement culturel et intellectuel. Centre de responsabilités vis-à-vis de l'armature des bourgs ou des petites villes qui l'entourent.

Aujourd'hui la politique de la ville me conduit monsieur le Ministre à vous poser trois questions par rapport au pacte de relance :

- Tout d'abord, on a senti à un moment dans une partie des réflexions qui conduisaient au rapport du délégué, qu'une partie des problèmes de la ville en difficulté devait être traitée par autre chose que les élus, c'est-à-dire qu'il fallait une dimension législative d'exception et qu'elle devait ressembler quelque part à la politique qui avait été conduite dans le cadre des villes nouvelles. Peut-on imaginer une politique de la ville qui clairement soit d'abord une politique assumée pleinement avec les élus locaux et territoriaux ?

- Dans le pacte de relance, et c'est très intéressant pour l'espace rural, qu'entendez-vous par les plates-formes de service public ? Dans les quartiers en difficulté, le service public a des maillons indispensables, il est parfois en régression, parfois en difficulté.

- Enfin, vous avez annoncé sur quatre années cent mille emplois de ville. Vous offrez deux options, mais je vais prendre la plus simple. 45 % du financement de ces emplois sont assurés par la collectivité locale. Or la plupart du temps, pour les collectivités locales qui ont ces quartiers en difficulté, toutes n'auront pas les moyens de financer ces 45 % d'emplois de ville. Et là encore on appelle au financement des collectivités qui elles-mêmes sont en difficulté.

Voilà les trois questions que j'avais envie de vous poser à la suite de votre intervention, mais en même temps les réflexions qui sont les miennes, parce qu'il ne faudrait pas aujourd'hui, dans le cadre de la mise en place progressive, parce que la loi d'orientation sur l'aménagement et le développement du territoire n'est qu'une loi d'orientation, il ne faudrait pas que soient traités à des vitesses par trop différentes l'espace de la ville et l'espace rural. Si tel était le cas, je crois que nous aurions raté ce que nous avons réussi entre l'Assemblée Nationale et le Sénat en décembre 94, c'est-à-dire éviter qu'on revienne sur des schémas dépassés, l'opposition Paris/province ou l'opposition ville/espace rural.

Voilà trois questions et quelques-unes des préoccupations que nous avons dans le domaine de la ville, même si je sens que le domaine est envié au moins à titre transitoire depuis ce matin, dans la dimension financière en tout cas du traitement.

M. Eric Raoult .- Première question. Un rapport de préfets, MM. Idrac et Duport, deux experts tout au fait remarquables ; l'un est délégué interministériel à la ville, il connaît aussi bien que le Ministre les problèmes des quartiers. Un préfet de la Seine Saint-Denis, ancien délégué à l'aménagement du territoire. Ils sont libres tous les deux pendant les vacances, ils travaillent, ils font un rapport tout à fait remarqué dont un certain nombre de bonnes pages retirées de leur contexte sont publiées par un grand quotidien du soir et dès lors on hurle à la recentralisation.

Le pacte de relance pour la ville, tel que présenté par le Premier Ministre, a montré que pour nous le couple qui est au coeur de toute intervention en matière de ville c'est l'Etat et le maire. Que parfois le président d'association puisse être utile comme poil à gratter et comme possibilité de contre-pouvoir, mais il est clair que les lignes qui ont été définies à l'intérieur de ce pacte de relance pour la ville ne prévoient en aucun cas une recentralisation parce que le maire connaît mieux que le préfet ou que le délégué interministériel à la ville le nombre de jeunes qui posent des difficultés en bas des cages d'escalier de la cité des Meurisiers à Trappes ou du Val-Fourré à Mantes-la-Jolie.

Les plates-formes de services publics : dans beaucoup de quartiers il y a une très forte demande de services publics par une population précarisée qui ne connaît pas toujours l'ensemble des adresses pour trouver les allocations familiales, l'ANPE, la Poste et France Télécom, et bien souvent mettre dans un même lieu l'ensemble de ces services publics, sous la forme d'une plate-forme, d'un pôle ou d'un centre, peut être une réponse appropriée au désenclavement social d'un bon nombre de ces publics.

Enfin, nous avons tenu compte avec Jean Claude Gaudin de toutes les demandes qui nous étaient faites par les maires et les présidents d'association. Nous avons une cible que nous ne savons pas traiter, ce sont les 18/25 ans, trop jeunes pour percevoir le RMI et trop vieux pour rester dans le système scolaire. Notre proposition, ce sont des emplois de ville qui doivent être des pieds à l'étrier, des mises en activité. L'Etat prendra en charge 55 %, et les 45 % peuvent être divisés entre la municipalité et d'autres collectivités territoriales (nous avons été contactés par plusieurs départements et plusieurs régions) et peuvent être aussi partagés avec des délégataires de service public et des présidents d'association. C'est ainsi que même une grande entreprise comme EDF GDF est tout à fait prête à étudier dans un certain nombre de sites une coparticipation au financement de ces emplois de ville.

Gérard connaît les réussites des emplois consolidés dans un certain nombre de villes, et des deux dispositifs que Pierre Cardot a montés avec le Conseil général des Yvelines, et dans un autre site que Jean-Louis Borloo a monté.

M. François-Michel Gonnot .- Merci de ce témoignage, de cette conviction et de cette foi dans une politique de la ville qui, à l'évidence, reste nécessaire si nous voulons équilibrer le territoire et lui permettre de se développer. Il est évident que, outre les zones fragiles, nous avons parlé des zones rurales et de la ville, ce qui contribue à l'aménagement du territoire et ce qui est indispensable à son développement, ce sont les grands équipements, les équipements publics. Là, je crois qu'il faut remercier François Bayrou, ministre de l'Education Nationale, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, et M. Douste-Blazy, ministre de la Culture, d'être venus nous dire très précisément de quelle façon, un an après, ils apprécient, dans le domaine de compétence qui est le leur, la meilleure façon d'équilibrer le territoire et lui permettre, grâce à loi d'orientation mais aussi dans la gestion quotidienne, de se développer.

Monsieur Bayrou, merci d'être là et, pouvez-vous peut-être de nous dire comment le ministre responsable de l'enseignement, de l'enseignement supérieur et de la recherche, c'est-à-dire celui qui peut utilement à travers l'implantation des universités, leur décentralisation, peut-être avec de nouveaux schémas de responsabilisation au sein des universités en province, à travers les pôles de recherche qui sont autour, comment peut-il contribuer, à travers cet aménagement du territoire qui est attendu, et qui doit contribuer à un meilleur équilibre entre Paris qui a monopolisé dans le passé un peu trop le savoir, et cette province qui aspire légitimement à voir se rééquilibrer ce pouvoir, cette recherche et ce savoir que représente l'université ?

VI. ÉQUIPER LE TERRITOIRE : LES SCHÉMAS SECTORIELS

A. enseignement suprieur, recherche, culture

INTERVENTION DE M. FRANÇOIS BAYROU, MINISTRE DE L'ÉDUCATION NATIONALE, DE L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR ET DE LA RECHERCHE

M. François Bayrou .- Après vous avoir salués tous, mesdames et messieurs, et singulièrement monsieur le préfet des Pyrénées-Atlantiques que j'aperçois au sixième rang, et vous dire le plaisir qui est le mien à me retrouver à cette tribune à côté de M. Pasqua, M. François-Poncet, M. Douste-Blazy et M. Gouteyron, je vais m'efforcer de poser en termes non diplomatiques les problèmes qui sont évoqués à propos de l'aménagement du territoire et de l'éducation (Education nationale primaire, secondaire, enseignement supérieur) et vous dire comment je vois la résolution de ces problèmes posés.

Tout le monde désormais a compris, c'est même l'objet de la loi, que l'éducation, comme la culture d'une autre manière, était une composante essentielle du développement et qu'il n'y avait pas de développement sans offre d'éducation, sans réseau suffisant d'éducation, et sans capacité à offrir une éducation qui aille jusqu'à l'enseignement supérieur. Tout le monde a compris, c'est un lieu commun des campagnes électorales, que lorsque l'on veut attirer des entreprises, il faut naturellement que celles-ci découvrent à proximité de quoi rencontrer la culture, la scolarisation, l'offre universitaire, qui leur permettent d'avoir le sentiment qu'eux-mêmes et leur famille rencontreront toutes les chances d'épanouissement possible.

D'un autre côté, chacun voit bien que par exemple la présence d'organismes de recherche, de laboratoires, est absolument capitale pour ce développement. Tout le monde a compris cela. Reste ensuite à le mettre en place.

Je vais vous dire quelles sont les principales difficultés que nous rencontrons. La première est la gestion de la carte scolaire. Cela touche au primaire et au secondaire et cela vaut au pauvre ministre chargé de l'Education nationale des cataractes d'interpellations devant le Parlement. Sur le thème : Monsieur le Ministre, vous avez décidé de sacrifier nos enfants, nos cours moyens, nos cours élémentaires, les boulangeries ferment, le dernier bar est parti, l'église est menacée. Je cite une question quasiment in verbis qui a été posée lors d'une de vos dernières sessions. Mais c'est le thème de ces interrogations. Généralement d'ailleurs le parlementaire saisit l'occasion à la sortie de vous dire : c'est une question un peu démago, mais j'ai été obligé de la poser pour mon pays. Ce que tout le monde comprend. Mais cela représente une vision juste de ce qu'est le traumatisme de l'utilisation des décisions, des moyens de l'Education nationale dans les zones rurales, dans les zones d'éducation prioritaire. M. Raoult aurait pu vous le dire à l'instant, il me parle à chaque conseil des ministres des moyens de l'Education nationale.

Je n'aurais pas la démagogie de vous dire qu'un temps pourrait venir où ces questions ne se poseraient plus. Ce serait mentir. Les mêmes parlementaires, au moment de la discussion budgétaire, montent à la tribune avec des trémolos dans la voix et le geste ample pour dire : mais comment se fait-il que l'Education nationale soit à ce point dévoreuse de deniers publics et soit incapable, alors que le nombre des élèves baisse, de faire baisser le nombre des enseignants à proportion ?

Je vais vous mettre en face des chiffres : si la baisse des élèves, de la démographie scolaire, était identiquement répartie sur l'ensemble du territoire, nous n'aurions aucun problème. Mais, manque de chance, 80 départements français baissent beaucoup, on a perdu cette année cinquante mille élèves dans l'enseignement primaire, mais 20 départements français augmentent beaucoup. Et si l'on veut maintenir les moyens, cela signifie qu'il faut ouvrir chaque année pour ces vingt départements français deux mille classes de plus.

Et donc si vous êtes en stagnation du nombre des enseignants, il faut fermer deux mille classes ailleurs et cela vous donne la dimension des problèmes que nous avons à gérer. C'est la croissance d'un certain nombre de départements français qui oblige à ouvrir deux mille classes de plus et donc à fermer deux mille classes ailleurs. Ce phénomène ne disparaîtra pas. Moi-même, mon successeur, et toute la suite de mes successeurs auront à gérer des problèmes de moyens à l'Education nationale.

Une question maintenant : peut-on les gérer mieux ? Ma certitude est que oui. Mais il y faut du temps, cela ne se fait pas d'un claquement de doigts, mais on peut les gérer mieux de deux manières différentes et le Sénat a été à l'origine d'une amélioration majeure. On peut les gérer mieux en termes d'utilisation de moyens. Par exemple le pourcentage du nombre des remplaçants dans l'enseignement primaire est important. Ce n'est pas du tout les mises à disposition des associations. Il y en a quelques-unes, mais ce n'est pas à la dimension du problème. En revanche il y a beaucoup de remplaçants, ce qu'on appelle des "îliens". Et je crois qu'on peut améliorer cette gestion-là de manière notable. J'y travaille, mais cela prend trois ou quatre ans.

Deuxièmement, je pense que l'on peut gérer de manière différente la carte scolaire. Les méthodes arrêtées dans les inspections académiques peuvent être largement améliorées. Je prends un exemple qui est familier à tous les élus locaux : que font une grande partie des inspecteurs d'académie ? Ils ferment en février plus de classes primaires qu'ils ne devront en rendre définitivement et ils les réouvrent en septembre pour faire taire les contestations les plus bruyantes. Je suis certain qu'on peut faire autrement et qu'il faut associer les élus locaux à la carte scolaire. Il faut rendre les élus locaux co-responsables de la carte scolaire, conseils généraux, association de maires. Vous ne pouvez pas vouloir à la fois la responsabiliser et vouloir le contraire.

Vous le demandez, je crois que vous avez raison ; moi, cela m'arrangera parce que cela ouvrira le regard de la représentation nationale sur la réalité des problèmes qui se posent. Le Sénat a suggéré, et j'ai aussitôt décidé de mettre en place un observatoire des flux qui pourra permettre de prendre en amont les décisions qui s'imposent au mieux des intérêts du terrain, qui ne sont pas toujours respectés et beaucoup d'entre vous me l'ont dit.

Donc, amélioration de la gestion des cartes scolaires. C'est vrai pour les zones rurales et pour les zones d'éducation prioritaire qui devront évoluer.

J'aborde maintenant le deuxième chapitre principal qui est celui de l'enseignement supérieur. J'aurais pu parler de l'enseignement secondaire, je le ferai en répondant à des questions. Pour l'enseignement supérieur, la loi du 4 février 1995 nous fait trois obligations, et j'en parle devant ses auteurs, en termes de principes :

· l'égalité des chances,

· l'égal accès à la formation

· et l'utilisation de l'enseignement supérieur en termes d'aménagement du territoire, avec une obligation, celle de créer deux universités thématiques.

Je respecterai la loi. Vous l'avez votée et je considère indiscutable de respecter cette loi.

Je voudrais en venir au fond pour traiter d'une question qui agite beaucoup l'université et qui vous agite beaucoup, et je la pose dans le contexte des états généraux de l'université. Je viendrai naturellement devant les commissions et devant le Sénat pour en parler. Tout le monde constate qu'il n'y a de développement que s'il y a une offre d'enseignement supérieure présente, accessible, qui mette à égalité avec d'autres zones du territoire. Mais la question est celle-ci : peut-on disséminer l'université ? Et comme l'université n'est pas seulement de l'enseignement mais de la recherche, ce n'est pas seulement de la distribution de savoir, mais aussi de la création de savoir. Est-ce qu'on ne se heurte pas à un problème de taille critique, de seuil critique au-dessous duquel l'université n'existe pas ?

J'invite à poser ce problème en termes de recherche autant qu'en termes d'enseignement. Je le dis d'autant plus que, si mon information est exacte, les unités délocalisées qui s'occupent uniquement d'enseignement obtiennent de bons résultats. Mais à terme, la mise en question ou l'absence de recherche est naturellement quelque chose qui atteint au principe même d'une université, de son fonctionnement, de son équilibre, de son rayonnement dans le futur.

Alors il y a deux réponses possibles et je vous livre les deux.

1) La première est celle que vous avez avancée dans la loi, qui est celle de créer des unités suffisamment circonscrites, focalisées sur un problème suffisamment étroit pour qu'on puisse crédiblement avoir une recherche de haut niveau dans ces universités. Cela ne peut être évidemment qu'un problème extrêmement circonscrit pour qu'une ville moyenne ait la capacité de montrer qu'elle peut développer une recherche crédible sur le plan national et international sur le domaine considéré. D'où beaucoup de discernement dans le choix du sujet retenu. Il faut que le sujet soit assez clos pour être crédible quand on a une petite unité.

2) Je suis frappé de voir qu'on n'a pas suffisamment creusé en France ou en tout cas pas suffisamment théorisé le principe des universités en réseaux, des campus de réseaux appartenant à la même université. Je voudrais vous rappeler, en ayant conscience que l'échelle n'est pas la même, que l'université de Californie est organisée en huit campus différents. Alors sans vouloir prétendre d'emblée au rayonnement de cette immense université, il y a là peut-être une idée à creuser. Non plus des antennes délocalisées, ce qui a toujours un air péjoratif et qui tend à secondariser une unité par rapport à une autre, mais des réseaux reconnus comme à part entière et ayant vocation à exister au même titre dans une université.

J'inaugurais l'autre jour le pôle universitaire de Quimper et il n'y a aucune raison que Quimper soit très secondarisé par rapport à Brest ou inversement. On peut très bien imaginer d'avoir des unités appartenant à la même université, qui simplement organise en réseau des implantations universitaires différentes, ce qui assurera la pluridisciplinarité et le contact entre chercheurs.

C'est d'autant plus important que je suis persuadé que l'université française est en situation d'infirme. Elle a considérablement développé le côté intellectuel et général. Elle a fait de brillante université générale, elle n'a absolument pas développé comme il devrait l'être le pôle technologique qui aurait dû être une composante essentielle du développement de la France. Nous avons de ce point de vue-là un manque majeur. Si je réussis à convaincre la communauté universitaire au terme des états généraux, il y aura des dispositions prises pour construire en France une grande université technologique, ce qui ne signifie pas nécessairement des universités technologiques distinctes des universités générales, mais qui peuvent, nous en discuterons, être des unités technologiques, des filières technologiques dans des établissements technologiques à l'intérieur de l'établissement général.

De ce point de vue, je suis persuadé que l'aménagement du territoire peut trouver matière à un maillage différent du territoire national et ainsi les objectifs de la loi seront remplis. En tout état de cause nous ne devons pas, y compris dans l'aménagement du territoire, considérer les universités uniquement comme des lieux d'enseignement. Il n'existe dans le monde de grandes universités ou d'universités moyennes que celles qui sont capables de rayonner par leur recherche autant qu'elles rayonnent par leur enseignement, et cela doit être une dimension majeure du sujet que vous allez traiter ensemble à l'occasion de la discussion de la loi dans ce colloque et que nous traiterons dans les schémas régionaux, le schéma national et les échéances devant nous pour appliquer la loi votée en février 1995.

(Applaudissements).

M. François-Michel Gonnot . - Merci monsieur le Ministre. Vous l'avez dit dans votre propos introductif, pour retenir et attirer les entreprises dans nos cantons, nos départements, partout, il faut des universités, des écoles, des lycées, des routes, des infrastructures de transport, des réseaux de télécommunication, mais aussi une politique culturelle.

Monsieur Douste-Blazy, nous avons entendu ce matin ce que vous entendez souvent : il y a toujours dans la politique culturelle et les moyens que l'Etat y consacre, un déséquilibre entre les crédits consommés par la capitale et l'Ile de France et les crédits en régions. Pourriez-vous nous apporter quelques mises au point sur cette question ?

INTERVENTION DE M. PHILIPPE DOUSTE-BLAZY, MINISTRE DE LA CULTURE

M. Philippe Douste-Blazy .- Je voudrais d'abord remercier, à mon tour, le président Jean François-Poncet de nous avoir invités à parler d'un sujet aussi important que celui-là. Je vais m'efforcer de dire en quelques mots les problèmes qui existent aujourd'hui dans la politique culturelle en région. Je dois faire face à plusieurs problèmes. Quand je vais à Bercy, j'ai l'impression de tomber parfois sur des personnes qui ne voient pas très bien pourquoi la politique culturelle de l'Etat est importante.

M. François Bayrou .- Tu n'es pas le seul.

M. Philippe Douste-Blazy . - Quand je vois les élus locaux et que je vais en province, je me rends compte qu'il y a une très importante vie culturelle, un épanouissement culturel des régions et de nos provinces, qui a été décuplée durant les vingt dernières années.

Après l'action de fondation d'André Malraux, après les efforts de déconcentration de Jacques Duhamel, après les efforts de décentralisation de Jack Lang et Jacques Toubon, il y a aujourd'hui probablement une nouvelle réflexion à avoir sur le ministère de la Culture. Nous sommes pratiquement le seul pays au monde à avoir organisé depuis 35 ans un ministère de la Culture ; je crois que nous devons, aujourd'hui, y réfléchir.

Il y a deux sortes de personnes qui rentrent dans le bureau du ministre de la Culture : des hommes et des femmes de culture, qui ont des projets très techniques sur le plan culturel ; ils vous demandent une subvention ; ou bien elle est importante et vous l'accordez, et vous êtes un grand ministre ; ou la subvention que vous accordez est inférieure à ce que qu'ils veulent et vous êtes un mauvais ministre. Pour les élus locaux, c'est souvent la même chose. Il faut que nous sortions de cette dérive, qui est une dérive de subvention, qui est d'ailleurs beaucoup trop souvent une dérive redondante. On s'aperçoit que la région, le département, la commune et l'Etat finissent aussi souvent par payer les mêmes choses.

Vous qui êtes des parlementaires, des élus locaux, des membres du Conseil économique et social ; en premier lieu, vous êtes les acteurs de la vie culturelle de ce pays. Cela remonte au 19ème siècle. Aujourd'hui, on peut dire que depuis trente ans, l'Etat fait un effort très important dans la politique d'investissement culturel.

Je vous donne deux chiffres : les collectivités territoriales consacreront cette année pour l'action culturelle 38 milliards de francs. Les seules communes donneront 30 milliards de francs. Le ministère de la culture disposera de 15 milliards. En 1981, les communes donnaient 15 milliards. Nous ne sommes pas arrivés, pendant ce même temps, à organiser une réflexion commune entre les communes, les départements, les régions et l'Etat. Et cela manque.

Nous devons, aujourd'hui, bâtir une nouvelle politique culturelle qui prend en compte le fait que ce sont les collectivités territoriales qui font le plus gros effort et qui, ensuite, permettent de mieux coordonner l'effort de l'Etat. Il faut donc un schéma national des équipements culturels pour lutter, à la fois, contre l'exclusion sociale et l'exclusion géographique.

Pour répondre directement à la question, je crois qu'il faut raisonner sur le plan des équipements. Il y a aujourd'hui beaucoup plus d'équipements à Paris qu'en province. Le ministère de la culture est resté beaucoup trop longtemps un ministère parisien, en oubliant l'épanouissement culturel de nos provinces depuis quatorze ans. Il y a beaucoup plus d'équipements culturels au centre ville que dans les périphéries, beaucoup plus dans les villes que dans les campagnes. Je crois qu'aujourd'hui nous devons faire porter la réflexion sur une une carte d'équipements culturels qui couvre tout le territoire.

C'est la raison pour laquelle, pour la première fois, le ministère de la culture s'est lancé dans une politique très offensive dans les banlieues et les quartiers périphériques de nos villes. Il y a 19 projets de quartier, plus une cinquantaine qui vont être développés, qui visent à considérer les habitants de ces quartiers plus comme des acteurs que comme des spectateurs. Ce n'est pas la peine d'arriver à 22 heures avec un magnifique spectacle, si c'est pour repartir à deux heures du matin ; on n'aura réglé aucun problème de fond et ce n'est pas ainsi qu'il faut dépenser l'argent de l'Etat en termes culturels.

De même, nous avons des projets quant à la lecture, la lutte contre l'illettrisme, nous avons des projets sur l'expression corporelle, le théâtre et la musique qui, au bout d'un an ou deux, transforment véritablement les habitants de ces quartiers. En termes d'offre culturelle, nous pensons qu'elle doit être une offre de proximité et c'est la raison pour laquelle nous souhaitons mettre en place un véritable réseau culturel, avec les scènes nationales, avec de la musique avec la mise en place de cafés-musique dans les départements, avec les centres dramatiques nationaux.

Je souhaite tout simplement que l'on défende le service public culturel. Je souhaite qu'avec vous, avec les élus locaux, nous puissions signer des conventions entre l'Etat et les communes, l'Etat et les départements, l'Etat et les régions.

J'ai commencé il y a cinq mois avec les orchestres nationaux, avec les scènes nationales, avec les centres dramatiques nationaux. De quoi s'agit-il ? Il s'agit, par exemple, d'un orchestre national, que l'Etat subventionne. C'est l'orchestre national de Toulouse ; mais il doit aussi irriguer les villes de moins de 50 000 habitants de la Région Midi-Pyrénées. Toulouse, Lyon, Marseille et Lille ne peuvent pas se considérer comme Paris l'a fait pendant longtemps vis-à-vis de la province. Je souhaite qu'il existe un grand orchestre national de Toulouse, mais je voudrais qu'on le voie à Cahors ou Mazamet ; c'est comme cela qu'on défendra, véritablement, un réseau culturel et un aménagement culturel du territoire.

Il ne faut pas refaire au niveau régional les erreurs faites au niveau national. On met en place des cahiers des charges. Le véritable rendez-vous, c'est le jour ou ce cahier ces charges ne sera pas respecté. Ce jour-là, il faudra diminuer les subventions de l'institution culturelle en question.

Un mot sur l'enseignement artistique : on ne pourra pas développer l'aménagement culturel du territoire si on ne développe pas l'enseignement artistique. Là aussi, il faut une politique de convention. Tout le monde dira que l'Etat diminue ses prestations ou son financement des écoles de danse, des conservatoires et des écoles de musique. Je ne demande pas mieux que de consacrer plus d'argent aux conservatoires, aux écoles de musique et aux écoles de danse dans la mesure où, en contrepartie, je suis sûr que tous les enfants de la commune ou du département puissent être initiés à un instrument.

Nous devons apprendre à travailler ensemble. Vous donnez encore plus que l'Etat, vous, les collectivités locales, et c'est maintenant à nous d'organiser une politique de contrats et de conventions.

Un mot sur les grands projets en région. Cette année le budget du ministère de la Culture montre que 2/3 des investissements iront en province. C'est la première fois depuis longtemps. Nous avons profité du fait de l'extinction des grands projets parisiens, et nous avons gardé la même somme pour investir en province. C'est ainsi que cette année il y aura un grand auditorium à Dijon, le centre de Reims des archives de la cinquième République et aussi le musée d'art contemporain de Toulouse.

M. Charles Pasqua .- Bravo.

M. Philippe Douste-Blazy .- Je voudrais ajouter un dernier mot puisque j'ai la chance de vous avoir devant moi.

Demain, au Sénat, je vais présenter un projet de loi qui me paraît très important pour l'aménagement culturel du territoire. En France, il existe 40 000 monuments historiques qui sont rénovés et entretenus par l'Etat. A côté, il existe 400 000 monuments ou sites non protégés, non inscrits, non classés, qui sont aujourd'hui une richesse considérable patrimoniale pour notre pays. Il n'y a pas un seul village dans ce pays qui n'ait pas une église, une chapelle, un rempart, un lavoir qui doit être entretenu ou rénové. Aujourd'hui, le budget des petites communes ne permet pas la rénovation et l'entretien de ces monuments. Nous fondons, dès demain au Sénat, la Fondation du Patrimoine. C'est une véritable révolution culturelle dans ce pays, car c'est une fondation privée, comme les Anglais l'ont fait avec le National Trust, où toutes les grandes entreprises publiques, privées, et tous nos concitoyens pourront participer avec des avantages fiscaux identiques à ceux que l'on a pour la Fondation de France.

Nous allons proposer des conventions, département par département, en faisant d'un côté la liste de tous les monuments et sites non protégés du département, en face la liste des entreprises de travaux publics spécialisées dans ce type de métier, et nous allons demander aux entreprises, en contrepartie, de l'augmentation du volume de travaux, l'embauche de chômeurs qui pourront être formés à des emplois de rénovation après six mois de formation.

Nous avons là une réponse à la question : un aménagement culturel du territoire, en pensant à tous les villages de ce pays, en faisant un programme national d'entretien et de restauration du patrimoine, et en montrant que la culture et l'emploi sont deux notions qui ne sont pas contradictoires, mais au contraire complémentaires.

M. François-Michel Gonnot .- Pour vous interpeller, M. Gouteyron, Sénateur de la Haute Loire et Président de l'importante commission des Affaires culturelles du Sénat.

RÉPONSE DE M. ADRIEN GOUTEYRON,
SÉNATEUR DE LA HAUTE-LOIRE,
PRÉSIDENT DE LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES DU SÉNAT

M. Adrien Gouteyron, sénateur de la Haute-Loire .- Je veux tout d'abord donner acte au ministre de la culture de l'action importante de rééquilibrage qu'il a engagée entre Paris et la province. Les chiffres des crédits affectés à son ministère et leur répartition le montrent facilement. L'objectif, certes, n'est pas encore atteint, mais on peut penser qu'il le sera au terme des dix ans prévus par la loi. L'objectif est que deux-tiers des crédits de l'Etat soient affectés aux régions autres que l'Ile-de-France.

Monsieur le Ministre, ne pensez-vous pas qu'il est nécessaire de bien définir les principes selon lesquels s'opérera le rééquilibrage entre Paris et la province, faute de quoi celui-ci risque de cacher un déséquilibre profond à l'intérieur de la province ?

Je ne veux pas reprendre ici les termes de métropolisation ou de mégapolisation, mais, la province connaît effectivement aussi certaines mégalopoles ! Il faut donc que ce rééquilibrage s'accompagne d'une définition de la culture -et je reprends votre expression- qui soit une culture de proximité, une culture modeste. Cela ne signifie pas une culture au rabais : cela peut même être exactement le contraire !

Quels sont donc les principes selon lesquels ce rééquilibrage s'accompagnera d'un équilibre à l'intérieur de la province ?

M. Philippe Douste-Blazy, ministre de la culture .- Bien évidemment, il n'existe pas de culture au rabais ! Il y a deux réponses à votre question. Tout d'abord, il faut éviter de faire les mêmes erreurs en province que celles qu'on a commises à Paris pendant trente ans. Il est hors de question de penser que les grandes villes de France vont absorber l'ensemble des crédits, sans penser aux villes ou aux campagnes autour d'elles.

Pour cela, il y aura une politique de conventionnement. Il existe un cahier des charges très strict, que ce soit au niveau de la musique ou le théâtre. Fin 1996, le cahier des charges que nous aurons définis avec l'ensemble des collectivités devra être tenu, sinon, pour la première fois dans ce pays, les subventions ne seront pas reconduites.

En effet, le drame de ce ministère est que, dès l'instant où quelqu'un a eu une subvention, il estime qu'il a droit à la même subvention, majorée de 10 % ! Nous avons commencé à le faire il y a plus de six mois...

Ma seconde réponse est la seule qui vaille en matière de politique culturelle : on ne peut faire croire qu'on va saupoudrer, en permanence, les différents festivals et associations culturelles. On arrivera à appauvrir notre tissu culturel. Oui, il faut soutenir les festivals d'Aix et d'Avignon, mais cela veut dire donner moins à des festivals qui n'apportent pas de véritable réponse aux attentes culturelles de nos concitoyens. Cette politique a été ouverte lors du budget 1995 ; elle sera poursuivie dans le budget 1996.

M. Adrien Gouteyron .- Par ailleurs, nous avons tous en tête les débats qui ont eu lieu et l'effort de définition qui a été fait autour la notion d'université thématique.

Or, j'ai eu un peu le sentiment, en entendant le ministre de l'éducation nationale, qu'il respecterait certes la loi, mais sans conviction. La fin de votre propos a corrigé cette impression, car la définition que vous avez donnée des universités -dont le champ doit être restreint et qui doivent être couplées avec des programmes de recherche de haut niveau- correspond très exactement à celle que le Sénat s'est efforcé de donner.

La loi précise qu'il faudra profiter de la croissance des effectifs à accueillir dans nos universités pour créer d'autres universités de ce type dans les années qui viennent. Quelle est votre intention pour que cela se réalise dans les cinq ou six années qui viennent ? Ce point est fondamental pour nous !

M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche .- Je crois que nous essayons de dire les mêmes choses, chacun à notre manière...

Il n'y a pas d'université sans recherches. Deux de choses l'une : ou bien l'on circonscrit le sujet de ces universités pour qu'elles puissent entretenir une recherche de haut niveau, ou l'on installe ces pôles dans une université où existe une recherche de haut niveau pour que le développement puisse en profiter.

J'ai dit que je respecterai la loi : je la respecterai parce que je la crois juste, vraie, parce que c'est la loi. Mais je ne la respecterai pas pour la raison que tu as dite ! Je crois fort heureusement que nous sommes en limite de croissance du nombre d'étudiants dans les universités. Ce n'est pas une croissance exponentielle : on peut en prévoir les éléments. Aujourd'hui, selon nos prévisions nous atteignons un plateau. Heureusement !

En revanche, nous savons qu'un très grand nombre d'étudiants se trouvent dans certaines filières par erreur d'orientation, et ce pour deux raisons, soit parce qu'ils n'ont pas eu les informations suffisantes, soit parce que les filières vers lesquelles ils auraient pu s'orienter n'existaient pas.

D'où mon insistance sur le point de la création d'un autre visage de l'université française, qui est le visage technologique, d'où l'importance des réseaux, d'où l'obligation dans laquelle nous sommes de penser de manière complètement différente le développement des universités, notamment à l'égard de la professionnalisation -car nous vivons dans une espèce d'ambiguïté que nous entretenons, en faisant croire aux étudiants, après avoir constaté que le chômage grandissait, que notre seule obligation était de leur fournir un diplôme, comme si diplôme valait emploi, alors que nous savons que ce n'est plus le cas !

Nous sommes donc obligés de poser la question de l'élargissement du champ universitaire vers des activités qui, pour l'instant n'y sont pas prises en compte. Sans doute une des raisons de l'effondrement d'une partie de notre tissu industriel est venue du peu de dignité que les disciplines fondamentales qui auraient dû l'animer possédaient dans le champ universitaire.

Nous continuons à vivre dans un système de castes dans lequel c'est la tête qui commande et la main qui obéit. La France ne s'occupe pas de la main, comme si c'était déroger que de s'occuper de cette partie pourtant essentielle ! C'est la grande grandes différence avec l'Allemagne...

Nous avons donc le devoir d'appliquer la loi, non parce qu'il s'agit d'une obligation, mais parce que notre aspiration à voir l'université française changer dans son organisation et dans sa quête d'égalité des chances est la principale raison qui nous y oblige.

M. François-Michel Gonnot, président .- François Bayrou nous a dit avec conviction combien une école, un lycée, une université, un pôle de recherche pouvaient contribuer à la structuration du territoire ; Philippe Douste-Blazy nous a également convaincus de la nécessité d'une politique culturelle pour attirer et retenir des entreprises, notamment en matière économique. L'un et l'autre ont témoigné des possibilités que permettra la loi d'orientation et des actions déjà engagées.

Mais que dire, Bernard Pons, en matière de structuration du territoire, lorsqu'il s'agit d'une route, d'une voie ferrée ou d'un aéroport ? ... Si nous sommes, nous, élus, toujours très friands de ces infrastructures, peut-être François Fillon pourrait-il nous affirmer qu'un réseau de fibres optiques est tout aussi structurant. Nous entrons là dans une dimension du futur, que certains élus n'ont peut-être pas toujours apprécié dans toute leur importance.

La France se prépare à la déréglementation en matière de télécommunications. Comment votre ministère, François Fillon, peut-il contribuer à cette nouvelle politique d'aménagement du territoire que tracent les lois Pasqua ?

B. transports et télécommunications

INTERVENTION DE M. FRANÇOIS FILLON,
MINISTRE DÉLÉGUÉ À LA POSTE,
AUX TÉLÉCOMMUNICATIONS ET À L'ESPACE

M. François Fillon, ministre délégué à la poste, aux télécommunications et à l'espace .- La loi du 4 février a prévu que le Gouvernement rendrait en 1996 un schéma des télécommunications.

Je crois que le législateur et son inspirateur ont été visionnaires -mais est-il nécessaire de rappeler que l'inspirateur de la loi est visionnaire ?- s'agissant des télécommunications. Ils ont en effet compris que, si le XX ème siècle avait été celui la société industrielle, le XXI ème serait celui de la société de l'information.

Les nouvelles technologies, grâce au numérique et aux progrès de l'informatique, vont en effet être des instruments déterminants pour l'éducation, pour le développement économique, ainsi que pour l'intégration culturelle et sociale.

Cette prévision que plusieurs font depuis quelques années est aujourd'hui confirmée par de très nombreux indicateurs, que ce soient les créations d'emplois dans l'industrie et les services en matière de télécommunications, que ce soit l'attention que portent désormais les marchés financiers aux sociétés qui maîtrisent ces nouvelles technologies, que ce soient les batailles de titans auxquelles se livrent les géants de la communication pour maîtriser les marchés de demain en matière de services en ligne ou encore les efforts des grands pays industrialisés -et en particulier de leurs leaders politiques- pour gagner cette nouvelle bataille. Je pense à l'élection présidentielle américaine où ce sujet avait été au coeur du débat, ou encore à la nouvelle structure gouvernementale allemande...

Les études préliminaires de ce schéma sont très avancées, mais je me réjouis qu'elles ne soient pas complètement achevées, puisqu'elles vont devoir intégrer deux éléments nouveaux, l'ouverture à la concurrence et la politique que conduit le Gouvernement dans le domaine des inforoutes.

L'ouverture à la concurrence va être l'élément déterminant du calibrage de cette politique de l'Etat en matière de télécommunications. Cette ouverture est programmée pour le 1er janvier 1998, dans le cadre de l'Union européenne. C'est l'aboutissement d'un processus de décisions qui a commencé en 1984, et qui a reçu depuis l'adhésion -souvent enthousiaste- de tous les gouvernements français successifs les uns après les autres.

Comment le Gouvernement prépare-t-il cette ouverture à la concurrence ? Tout d'abord, il proposera au Parlement dans quelques semaines une nouvelle loi en matière de réglementation des télécommunications. Il favorisera également la modernisation et l'évolution de France Télécom.

La nouvelle loi va être l'élément déterminant du paysage des télécommunications pour les quinze ou vingt années à venir. La France a choisi dans ce domaine une voie originale. Elle est d'ailleurs la seule à l'avoir choisie. Il s'agit d'une voie médiane entre une ouverture à la concurrence totale et une volonté de défendre le service public.

Le projet de loi de réglementation, qui sera présenté au Conseil des ministres dans une semaine, prévoit en effet un service public garanti par l'Etat, dont la définition est donnée pour la première fois dans un texte législatif. Le service universel de la téléphonie vocale tel que vous le connaissez fonctionnera selon les principes du service public "à la française" -c'est-à-dire l'universalité, l'égalité, l'adaptabilité et la continuité. La péréquation tarifaire reprendra le principe actuel de la péréquation géographique : le coût des télécommunications sera le même où que l'on soit sur le territoire. La définition du service public intégrera dans le service universel de la téléphonie vocale les obligations qui y sont liées, comme les appels d'urgence, les cabines téléphoniques, les annuaires, etc.

Enfin, l'ensemble sera confié à l'opérateur historique France Télécom, car il est dit clair que ce service universel doit être offert sur l'ensemble du territoire national et qu'aujourd'hui -et pour longtemps encore- seule France Télécom est capable d'offrir ce service sur l'ensemble du territoire.

Ce service public sera financé par une redevance d'interconnexion et par un fonds de service universel. Redevance et fonds seront acquittés par tous les opérateurs qui rentreront sur le marché et qui auront besoin de s'interconnecter au réseau de l'opérateur historique.

Ce service universel est défini de manière évolutive : il est prévu que tous les cinq ans, on puisse y rajouter des éléments que permettront les progrès de la technologie.

Le service public ne comprend pas seulement le service universel de la téléphonie vocale. Ce sont aussi souvent des obligations de service public qui s'ajoutent au service universel : liaisons louées, services avancés de téléphonie vocale ou encore liaisons numériques, qui sont des obligations que France Télécom devra respecter, en particulier celle de mettre à la disposition de tous les Français, sur l'ensemble du territoire, ces services qui viennent compléter la définition du service public.

Les préoccupations d'aménagement du territoire sont présentes dans le projet de lois qui vous sera soumis, d'abord à travers la péréquation géographique, qui est une notion que la France est un des seuls pays européens à avoir conservée, et à travers le cahier des charges de nouveau opérateurs. En effet, ceux-ci devront obtenir une licence qui sera délivrée par l'Etat. Les cahiers des charges comporteront un certain nombre d'éléments en matière d'aménagement du territoire, des obligations en termes de zones de couverture des services, en termes de calendrier de déploiement, ou encore dans le domaine du respect des règles d'urbanisme. Enfin, une redevance de passage, qui n'existe pas aujourd'hui pour France Télécom, mais qui existe pour les autres opérateurs de réseaux, sera introduite dans la loi.

Ma conviction est que, plus que la loi, c'est la concurrence qui connaîtra les effets bénéfiques les plus importants, tant pour le consommateur que pour l'aménagement du territoire.

Partout, la libéralisation s'est traduite par une augmentation de l'offre de services, par des tarifs plus bas, y compris pour les services de base, et en particulier pour la téléphonie vocale locale. Elle s'est traduite également par une meilleure réponse aux besoins des entreprises et globalement par des créations d'emplois dans le secteur télécommunications.

Il suffit de prendre l'exemple du téléphone mobile en France : tant que la concurrence n'existait pas dans ce secteur, le service était inexistant ; il est apparu à partir du jour où la concurrence a été introduite.

Si nous voulons demain développer le télé-travail sur l'ensemble du territoire, les services en lignes -Internet ou ceux de demain- la condition sine qua non est que le coût des communications soit beaucoup plus bas qu'aujourd'hui. Sans baisse du coût des communications, il n'y aura jamais de développement de ces services, qui sont des instruments d'aménagement du territoire.

Dans ce contexte, le Gouvernement n'oublie pas de d'accompagner l'évolution de l'opérateur historique France téléphone. Cette évolution devra se faire progressivement, dans le sens d'une modification de la structure juridique de l'entreprise vers une structure de société. Il n'y a pas un autre opérateur de téléphone en Europe qui n'ait pas aujourd'hui une structure de société ou qui ne soit pas en train de s'en doter !

Par ailleurs, l'article 20 de la loi sur l'aménagement du territoire prévoit qu'en 2015, la France devra être couverte en réseaux à haut débit. Grâce à l'ouverture la concurrence, nous allons aller plus vite. Nous avons donc décidé, pour hâter le mouvement, d'engager une grande campagne d'expérimentation, pour tester les technologies et les services. 250 expérimentations ont été labelisées par l'Etat. 270 millions de francs y ont été affectés en 1996 contre 50 millions en 1995.

Nous avons par ailleurs, depuis le 15 mars, accès sur tout le territoire français au service d'Internet pour le prix d'une communication locale. Dans quelques instants, je rejoindrai l'Assemblée nationale pour la seconde lecture -et j'espère la dernière- de la loi permettant les expérimentations en matière d'autoroutes de l'information, notamment dans le domaine des télécommunications sur les réseaux câblés, qui nécessitent une modification législative.

Nous venons de mettre en place un fonds d'aide à l'édition des services en lignes, notamment destinés à aider les éditeurs de logiciel et de CD Rom. Enfin, j'annoncerai au Conseil des ministres de demain un certain nombre de mesures supplémentaires dans le domaine de l'éducation, de la stimulation du marché des ordinateurs et dans le domaine du commerce électronique, avec l'allégement radical de la législation française en matière de cryptage, qui était jusqu'à aujourd'hui un vrai handicap pour le développement de ce secteur.

Enfin, la France a décidé de prendre une grande initiative qui sera proposé à nos partenaires européens dans quelques jours, à l'occasion d'une réunion informelle à Bologne, afin que l'Europe prenne les devants pour organiser une conférence internationale dans le domaine du droit de la communication, pour tenter de résoudre de manière internationale les problèmes de contrôle des contenus sur les réseaux en lignes et de droit à la propriété intellectuelle.

On ne doit pas avoir peur de ces nouvelles technologies, mais au contraire saisir les opportunités et tout faire pour mettre ces nouvelles technologies au service de nos valeurs. L'égalité entre tous les Français est une de nos valeurs : c'est même une valeur fondatrice de la République !

(Applaudissements).

M. François-Michel Gonnot, président .- Merci de nous avoir mieux permis de mesurer les formidables enjeux industriels et en termes d'aménagement que représente la déréglementation en matière de télécommunications. Un seul regret : vous n'avez pas parlé de la Poste...

M. François Fillon .- ... Un mot sur la Poste : le Gouvernement tient les engagements pris par son prédécesseur s'agissant du gel de toutes les restructurations internes et des suppressions de bureaux ou de diminution d'effectifs dans les petits bureaux. Nous maintiendrons cette politique aussi longtemps que l'Union européenne nous le permettra, et c'est pourquoi le Gouvernement français se bat à Bruxelles, afin que la libéralisation du secteur postal ne soit pas inscrite à l'ordre du jour. Autant, dans le domaine des télécommunications, cette libéralisation est synonyme d'améliorations de services pour le consommateur, autant, compte tenu de notre densité de population, elle n'est pas synonyme d'amélioration de services pour la Poste.

Dans le prochain contrat de plan, nous prévoyons de maintenir l'obligation pour la Poste de conserver l'ensemble de son réseau tel qu'il existe aujourd'hui. En 1997 ou 1998, il faudra toutefois se poser la question du financement du maintien de ce réseau. Ma conviction est que nous n'échapperons pas à une intervention publique si nous voulons que la Poste puisse continuer à développer des services modernes et n'accuse pas des déficits excessifs.

M. François-Michel Gonnot, président .- Je me tourne maintenant vers Bernard Pons. Monsieur le Ministre, vous êtes sans doute celui à qui la loi d'orientation a donné le plus d'obligations, notamment en matière de réflexions et de programmations à long terme...

INTERVENTION DE M. BERNARD PONS,
MINISTRE DE L'ÉQUIPEMENT, DU LOGEMENT,
DES TRANSPORTS ET DU TOURISME

M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme .- Effectivement, si, pour François Fillon, la loi un schéma, pour moi, elle en prévoit cinq : un schéma directeur routier national, un schéma directeur des voies navigables, un schéma ferroviaire, un schéma des ports maritimes et enfin un schéma des infrastructures aéroportuaires.

Le ministère dont j'ai la responsabilité bénéficie déjà d'une certaine expérience en la matière, puisqu'il a élaboré trois schémas au cours des dernières années et, à la lumière de cette pratique, on peut voir l'intérêt, mais aussi la limite de ces instruments.

Tel qu'il est défini par la loi, l'objectif des schémas directeurs est d'assurer la cohérence à long terme des réseaux définis par les différents modes de transport. Cet objectif ne peut que rencontrer l'adhésion de tout le monde.

Mais ces documents, pour être opérationnels, doivent obligatoirement demeurer sélectifs, tout en restant transparents dans les choix publics. L'exemple du schéma directeur national du réseau ferroviaire à grande vitesse illustre les risques d'une planification trop optimiste, dans un contexte très évolutif.

C'est pourquoi j'ai demandé une mission de réflexion sur la mise en oeuvre de ce schéma. Ses conclusions seront disponibles avant l'été et nous éclaireront très utilement dans l'élaboration du futur schéma directeur...

S'agissant de transparence, j'ai demandé à la direction des routes de lancer des études sur l'intérêt économique et social d'éventuelles nouvelles liaisons pour compléter l'ensemble de notre armature autoroutière à l'horizon de 2015. Des débats publics seront engagés sur la base de ces études, au deuxième semestre de l'année 1996.

Ces débats, qui porteront sur les enjeux et fonctions, et non sur le détail des tracés, seront, en amont des décisions, un des éléments fondamentaux d'éclairage des choix du Gouvernement.

De manière générale, je veillerai à ce que les prochains schémas directeurs recherchent un juste équilibre entre un volontarisme utile -à condition de ne pas devenir incantatoire- et un réalisme indispensable, sans pour autant vouloir engager ce qu'on pourrait appeler une programmation prématurée.

J'en viens à ce qui constitue à mes yeux l'apport le plus novateur sur ce point de la loi : il s'agit de la nécessité d'inscrire chaque schéma dans une approche intermodale. Pour moi, l'intermodalité est à la fois l'expression d'une volonté politique, d'un choix économique et d'une exigence financière.

La volonté politique consiste à répondre aux attentes de l'usager, car ce qui compte pour l'usager, c'est en effet la chaîne de transport complète, porte à porte : la prise en charge, l'information, la correspondance, doivent désormais être conçues et organisées dès l'origine dans une véritable optique intermodale.

Le choix économique, c'est de raisonner en termes de service. On n'aménage pas les transports pour le plaisir, ni pour le plaisir de créer des infrastructures, mais pour améliorer l'efficacité économique et sociale du pays dans son ensemble. Il faut donc rechercher le meilleur service au meilleur coût. Pour cela, il convient de comparer les solutions alternatives, par exemple une ligne ferroviaire à grande vitesse et une ligne aérienne à forte fréquence, l'autoroute et la voie fluviale, l'autocar ou le service régional ferroviaire.

Je veillerai à ce que cette démarche, par niveau de services, soit respectée dans l'élaboration des cinq schémas directeurs.

Enfin, l'exigence financière naît de la rareté des financements. Pour ma part, je ne connais que deux sources de financement : l'usager et le contribuable. On a longtemps laissé croire que l'emprunt constituait une troisième source de financement, mais chacun sait que l'emprunt doit être remboursé, et lorsque les trafics ou les tarifs sont inférieurs aux prévisions, ce n'est plus l'usager qui rembourse, mais le contribuable !

La contrainte budgétaire de l'Etat et de l'ensemble des collectivités territoriales sera durable, compte tenu de la dette accumulée, de la limitation des prélèvements obligatoires et, surtout, du poids croissant des dépenses publiques d'éducation et de santé.

De leur côté, les ressources commerciales des grands opérateurs de transport ne permettent plus de répondre aux besoins de financements des investissements nouveaux, dont une part important est aujourd'hui financée par surendettement. Les schémas directeurs devront donc être très sélectifs, ce qui renforce encore l'intérêt d'une approche intermodale.

Priorité à l'usager, approche en termes de services, sélectivité des choix liés à la contrainte globale des financements publics, tels sont les trois piliers de l'approche intermodale des schémas directeurs que j'entends promouvoir.

Ces schémas devront également s'inscrire dans le cadre d'un enjeu national et européen et conforter la position de la France dans la concurrence européenne, en renforçant par des liaisons de bonne qualité les potentialités de nos territoires et la compétitivité de nos régions. Il ne s'agit pas pour la France d'être un pays de transit, mais plutôt de favoriser, par le biais de la qualité de nos infrastructures, l'implantation d'activités économiques sur notre propre territoire.

L'enjeu régional et interrégional devrait par ailleurs permettre le développement de liaisons interurbaines pour assurer le désenclavement des bassins d'activités, favoriser un développement économique et social plus équilibré et permettre l'accès de tous aux services de niveau supérieur.

Enfin, l'enjeu de préservation de l'environnement et de développement durable implique des infrastructures plus respectueuses de l'environnement, une tarification des transports prenant en compte les coûts de pollution, d'insécurité et de congestion et le développement des modes de transports alternatifs à la route, comme le transport combiné- là où ils peuvent apporter une réponse économique en termes de qualité de service, d'efficacité et de respect de l'environnement.

C'est dans cet esprit que j'ai demandé à mes services de préparer la mise en place de ces schémas... Les premiers projets pourront je pense être soumis à l'automne aux procédures de concertation avec le Conseil national d'aménagement et de développement du territoire et avec les régions. Je m'emploierai à organiser un débat ouvert, sans préjugés ni tabous, mais aussi lucide et responsable que possible, dès lors que la situation financière de notre pays, comme les enjeux de l'aménagement du territoire et de développement durable, nous contraignent à des choix difficiles.

(Applaudissements).

M. François-Michel Gonnot, président .- La parole est à Jean-Paul Delevoye, sénateur du Pas-de-Calais et également président de l'Association des maires de France...

INTERVENTION DE M. JEAN-PAUL DELEVOYE, SÉNATEUR DU PAS-DE-CALAIS,
PRÉSIDENT DE L'ASSOCIATION DES MAIRES DE FRANCE

M. Jean-Paul Delevoye, sénateur du Pas-de-Calais .- Il ne faudrait jamais oublier me semble-t-il qu'un des aspects fondamentaux de la loi Pasqua a été de lancer dans ce pays un formidable débat. Socrate disait que la démocratie était le meilleur système politique, à condition d'éduquer le peuple. Lorsqu'on associe le peuple aux enjeux, je crois qu'on réalise une grande avancée dans le maintien de nos structures républicaines.

Monsieur le Ministre, vous avez lancé un certain nombre de débats, et on aurait pu ouvrir avec vous un débat sur le calendrier, les objectifs, les moyens, les outils. On aurait peut-être pu aussi s'engager sur de faux débats, comme le mythe du tout-TGV, du tout-autouroute, le fait de laisser croire qu'il convient d'homogénéiser la totalité du territoire, la notion d'égalitarisme...

Chacun comprend bien aujourd'hui -nul ne peut le contester- que les arbitrages seront difficiles. La réflexion et la volonté du Gouvernement en matière d'aménagement du territoire ne seront-elles pas soumises à un débat terrible entre l'urgence et le moyen terme ? La DATAR ne va-t-elle pas essayer d'atténuer les problèmes posés par la loi militaire, ou la déstructuration de pans industriels textiles ? Cela ne va-t-il pas compromettre l'objectif que vous êtes assigné pour 2015 ?

Déjà, les contrats de plan connaissent un certain ralentissement et les gels de crédits nous font entrer dans le débat que vous évoquiez entre le contribuable et l'usager...

Je voudrais vous rendre hommage, Monsieur le Ministre, d'avoir su modifier un décret qui faisait en sorte que les parlementaires étaient plutôt considérés comme une caisse d'enregistrement que comme une instance de coordination et de concertation !

Cependant, nul n'ignore que si ce fonds est augmenté de deux à trois milliards, c'est pour permettre la débudgétisation de certains autres. Comment avez-vous l'intention de garder un arbitrage entre les trois modes -route, fer et eau- qui sont alimentés par ce fonds ?

Par ailleurs, nous sommes d'accord avec votre approche sur l'analyse qualitative. Comment allez-vous mettre en place les instances d'évaluations objectives qui permettent de choisir en fonction du meilleur rapport qualité-prix ? Comment allez-vous intégrer la notion de sélectivité ? Allez-vous faire en sorte que l'Etat soit un formidable péréquateur ou, au contraire, cette notion de sélectivité incitera-t-elle l'Etat à demander aux régions défavorisées des contributions supérieures ?

Enfin, la concurrence aérienne modifiant considérablement le temps de retour des investissements, notamment ceux du TGV, ferez-vous en sorte, lors de la CIG, que les incidences américaines ne viennent pas perturber la sélectivité que vous souhaitez proposer ?

(Applaudissements).

M. Bernard Pons .- Les contraintes qui apparaissent ne vont-elles pas nous obliger à des révisions ? Je répondrai avec franchise que la nécessité fera loi ! Il y aura donc effectivement des conséquences, c'est évident...

Quant au fonds d'investissement des transports terrestres et des voies navigables, j'ai effectivement demandé une modification du décret pris avant mon arrivée au Gouvernement.

Je me réjouis de la participation des parlementaires. Il est vrai que la répartition entre les trois modes, au début, a été très orientée vers la route, et on a pu penser à une certaine débudgétisation. Pour avoir présidé la seconde réunion du fonds -à laquelle vous participiez, Monsieur le Président- je me suis rendu compte de la vigilance des parlementaires. Je suis persuadé que dès que la vitesse de croisière sera prise, la présence des parlementaires sera une garantie suffisante pour que ce fonds ne soit pas un élément de débudgétisation. Bien entendu, il faudra y veiller, car c'est une tendance normale, et c'est effectivement préoccupant.

S'agissant des problèmes relatifs aux régions, ma conception est effectivement celle d'un Etat péréquateur, et je crois que c'est dans l'esprit de la loi.

Enfin, concernant l'Europe et la concurrence aérienne, vous avez vu que, ces derniers jours, les Américains ont voulu montrer leur puissance. Cela ne nous a pas beaucoup troublés. Cet après-midi, le secrétaire d'Etat aux transports rencontre son homologue américain, non pour négocier, mais pour l'écouter et lui demander quelles sont les orientations suivies. Nous avons des moyens de défense loin d'être négligeables...

Cette concurrence aérienne est importante, mais je pense que l'on va insister sur ce point, dans le cadre des prochaines réunions européennes.

M. François-Michel Gonnot, président .- Le temps est venu de rendre la parole à celui qui m'a fait l'honneur de me confier la présidence de ces travaux, M. Jean François-Poncet...

(Applaudissements).

VII. CONCLUSION ET SYNTHÈSE DES TRAVAUX

M. Jean François-Poncet, président .- J'ai, à l'issue de cette journée, un regret et un sujet de satisfaction...

Je regrette en effet de n'avoir pu faire en sorte que chacun prenne la parole, et je sais qu'un certain nombre partiront déçus. Je voulais m'en excuser. Lors de nos prochaines réunions, nous ferons ce qu'il faut pour qu'il en soit autrement !

Par ailleurs, j'ai un sujet de grande satisfaction, qui d'ailleurs, constitue un peu l'excuse que je peux invoquer au fait qu'il n'y ait pas eu de débat. En effet, l'objectif que le Sénat poursuivait à été atteint. Quel était-il ? Il consistait à s'assurer qu'un an après la loi Pasqua, celle-ci ne reste pas dans les cartons !

S'agissant de l'aménagement du territoire, c'est un danger omniprésent. Il n'y a pas de sujet pour lequel l'aménagement du territoire se prête davantage aux discours du dimanche, et peu de sujets rentrent plus difficilement dans la réalité !

Nous tenions donc à ce que tous les membres du Gouvernement que ce sujet concerne puissent venir s'expliquer devant nous et nous dire ce qu'ils avaient fait ou ce qu'ils avaient l'intention de faire.

Laissez-moi vous dire que cet exercice ne sera pas le dernier. Le Sénat organisera tous les ans une réunion comme celle-ci au Palais du Luxembourg, soit une grande convention nationale quelque part en France, à laquelle tous les maires seront invités, comme nous l'avons fait à Bordeaux d'abord, à Poitiers ensuite, de façon à ce que ce sujet ne meure pas. Le Sénat ne cessera pas de faire, à intervalles réguliers, des piqûres de rappel aux gouvernements successifs !

Voilà quel était l'objectif, et si nous l'avons atteint, c'est parce que le Gouvernement s'y est prêté -et je voudrais l'en remercier- mais aussi parce que vous étiez présents. Je voudrais vous en remercier et vous demander de prendre rendez-vous d'ores et déjà pour l'année prochaine, sous une forme ou sous une autre.

Merci d'avoir été là !

(Applaudissements).

M. François-Michel Gonnot, président .- Avant de passer la parole à Charles Pasqua, et en attendant l'arrivée du Premier ministre, la parole est à Gérard Larcher...

M. Gérard Larcher, sénateur des Yvelines .- A la fin de cette journée, on s'aperçoit que beaucoup reste à faire, et nous voyons que le Parlement doit être vigilant.

La première des exigences nous a été présentée ce matin par Daniel Hoeffel, qui a parlé de la nécessité d'approfondir encore la décentralisation. Dans quelques semaines, le Sénat prendra une initiative qui m'apparaît importante.

Pourquoi faut-il attendre des catastrophes du type Air France ou Crédit lyonnais pour mobiliser des fonds importants et définir une politique ? En matière d'aménagement du territoire, il faut que ces fonds soient dégagés avant même que la catastrophe n'arrive ! La politique d'aménagement du territoire ne pourra pas uniquement se satisfaire de discipline budgétaire. Il s'agit aujourd'hui d'une impérieuse et urgente nécessité !

Par ailleurs, il ne faut pas opposer Paris et l'Ile-de-France à la province, ni avoir peur de mots comme "métropolisation" !

Enfin, quoi que vous en ayez dit, si la zone franche donne quelques résultats, pourquoi ne pas l'appliquer à l'espace rural ? C'est un rat des villes qui le propose au rat des champs !

(Applaudissements).

M. François-Michel Gonnot, président .- Y a-t-il une question ?

Un intervenant .- Nous allons discuter demain d'une loi sur le patrimoine qui concerne les 400.000 objets patrimoniaux non-protégés. Je voudrais insister sur la nécessité de prendre en compte la capacité contributive des communes qui comptent sur leurs territoires des monuments très importants et qui ne disposent que de petits moyens.

Lorsque je passe sur le boulevard Saint-Michel et que je vois l'abbaye de Cluny, je me dis que si les thermes d'Arles étaient à Paris, ils seraient mieux entretenus ! Cette capacité contributive devrait peut-être être prise en compte par un système de péréquation, comme pour les villes touristiques...

M. François-Michel Gonnot, président .- La question étant très spécialisée, on pourra la transmettre à Philippe Douste-Blazy...

M. Paul Blanc, sénateur des Pyrénées-Orientales .- Monsieur le Ministre, à quand la sortie des derniers décrets concernant les zones de revitalisation rurale ?

M. Jean-Claude Gaudin .- Le décret a été signé, et, je le répète, pour une fois, le Gouvernement pouvait être à l'aise, puisque ce décret est issu directement du vote des amendements du Sénat, repris par l'Assemblée nationale ! Cependant, nous y sommes très attentifs. C'est le couperet de la démographie qui a motivé le Parlement, et nous pouvons, par le FNADT et d'autres moyens, essayer d'appuyer telle ou telle initiative...

M. Paul Blanc, sénateur des Pyrénées-Orientales .- Ce n'est pas la question ! Il manque un décret concernant l'exonération des charges...

M. Jean-Claude Gaudin .- Il est en cours de préparation. Il sera signé rapidement, et s'appliquera en outre du premier au cinquantième employé...

La seule chose qu'on n'arrive pas à faire bouger, c'est le FNDE. Nous voudrions -même symboliquement- obtenir de Bercy que la ligne budgétaire soit abondée, quitte à faire des efforts de sélectivité ailleurs.

M. Jean François-Poncet, président .- Monsieur le Premier ministre, le Sénat est heureux de pouvoir vous accueillir à propos d'un sujet qui, de tous ceux dont il a à débattre, est probablement celui qui concerne le plus grand nombre d'entre nous. Tous les sujets qui nous sont soumis nous concernent, mais celui-ci, à travers l'écho qu'il a dans nos provinces, est un sujet auquel le Sénat s'est historiquement toujours très intéressé.

S'il y a une loi sur l'aménagement du territoire, le Sénat y est pour quelque chose, car il a beaucoup contribué à son élaboration, et votre présence le comble. J'ajoute qu'elle est en elle-même une réponse à une question que nous nous posons...

Celle-ci porte sur le degré de priorité que le Gouvernement accorde à ce grand sujet. Ce n'est pas une question mal intentionnée, car dans la conjoncture actuelle, compte tenu des différents problèmes qui assiègent tout gouvernement -le nôtre, mais aussi ceux des pays voisins- il est normal que l'actualité immédiate l'emporte sur les préoccupations à long terme, et l'aménagement du territoire est une préoccupation à long terme.

Nous souhaitions donc connaître la façon dont vous envisagez la situation dans les années qui viennent...

On ne pouvait mieux introduire votre intervention qu'en demandant à Charles Pasqua de ne nous dire comment il voit les choses, quel est l'esprit dans lequel la loi a été rédigée et surtout quelles étaient les ambitions qu'y plaçait le ministre chargé de son élaboration et qui l'a fait voter par le Parlement.

Monsieur le ministre d'Etat, vous avez la parole...

LA LOI D'ORIENTATION, ESPOIRS ET RÉALITÉS.
INTERVENTION DE M. CHARLES PASQUA,
SÉNATEUR DES HAUTS-DE-SEINE,
ANCIEN MINISTRE DE L'AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE

M. Charles Pasqua, sénateur des Hauts-de-Seine .- Monsieur le Premier ministre, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, chers collègues et amis, je voudrais d'abord remercier Jean François-Poncet, président de la commission des affaires économiques et du plan du Sénat d'avoir eu l'idée d'organiser cette réunion, afin de faire le point sur l'application de la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire, un an environ après son adoption par le Parlement, le 4 février 1995.

Un an, c'est le terme qu'avait fixé la loi elle-même pour l'élaboration de certaines de ses principales dispositions, celles qui devaient donner à la réforme toute son ampleur et tout son sens, dessiner la France de 2015 telle que nous la voulons, et non plus telle que le modèlent sans ménagement les évolutions brutales qu'impose l'économie moderne.

Fallait-il en effet laisser le marché décider seul du visage de la France et de son organisation géographique, humaine et sociale ? Fallait-il se résigner à voir notre pays devenir un espace non-identifié, un vague territoire sur lequel cohabiteraient tant bien que mal des collectivités et des communautés aux destins séparés, et bientôt antagonistes ? Fallait-il se résoudre à voir 90 % de notre population s'agglutiner sur 10 % de notre territoire, délaisser l'espace rural, accélérer la concentration urbaine ? Fallait-il moins de services publics, moins de solidarité et davantage de chacun pour soi ?

C'est à l'ensemble de ces questions que la loi d'orientation, après plus d'un an de débats dans l'ensemble du pays, a entendu répondre. En présentant cette loi le 7 juillet 1994 à l'Assemblée nationale, je la qualifiais de loi de développement économique et social, en ajoutant : "Il s'agit en effet de renouer avec l'un des principes fondamentaux du pacte social -je préfère dire du pacte républicain". L'expression, par la suite, a fait du chemin !

Le principe républicain rejoint là à mon sens l'impératif économique. Certes, il se suffirait à lui-même. L'égalité des chances entre les citoyens, l'égal accès au savoir, à l'emploi, à la culture, à la sécurité, à la santé, à l'information, sont bien des objectifs en eux-mêmes, mais qui ne comprend qu'ils sont aussi des atouts maîtres dans la compétition mondiale, tant nous pressentons bien que les activités les plus créatrices de richesses et de valeur ajoutée se situeront dans les pays à forte cohésion sociale et à forte attractivité territoriale !

Il s'agit ainsi -Jean François-Poncet le sait mieux que quiconque- de replacer la France tout entière au centre du développement européen, afin d'éviter qu'elle ne se retrouve au pire à l'écart, au mieux en déséquilibre, inconfortablement adossée à l'axe lotharingien, laissant peu à peu les deux-tiers de son territoire se marginaliser.

Restaurer le pacte républicain, relever le double défi de la mondialisation et de la construction européenne : la politique de développement- du territoire est une réponse de notre temps à des enjeux de notre temps !

La loi qui a été votée l'an dernier a voulu ouvrir toutes les pistes. Elle porte en germe un véritable projet de société, celui d'une France déconcentrée, une France qui se décontracte au lieu de se contracter, une France au sein de laquelle l'habitat, l'enseignement, la production, les services, l'administration, la culture, seront plus harmonieusement répartis, où chacun pourra disposer d'un cadre de vie meilleur, tout en ayant accès à l'information, à la connaissance et à l'emploi, sur un marché désormais étendu aux dimensions du monde.

C'est à ce projet que loi a voulu donner toutes ses chances en ouvrant un champ plus large aux ambitions des Français et à celles de leurs collectivités territoriales. C'est ainsi une loi de développement, car l'objectif est bien de créer de la richesse partout où il en manque, d'enclencher le développement local partout où c'est nécessaire, et pas seulement de redistribuer, c'est-à-dire de prendre aux uns pour donner aux autres, dans un absurde jeu à somme nulle, qui n'aurait d'autre effet que de répartir la pénurie. Le cadre existe désormais.

Si j'ai tenu à revenir assez précisément sur la genèse et l'esprit de la loi d'orientation pour souligner son caractère global et volontariste, c'est qu'il me semble qu'il nous était imposé par la gravité de la situation de notre pays, qui a dicté l'ampleur de nos ambitions. Cette situation n'a pas changé depuis. C'est pourquoi tout recul ou toute hésitation suscite évidemment mes regrets.

Or, Monsieur le Premier ministre, les moyens aujourd'hui mis en oeuvre ne sont pas encore à la hauteur de ces ambitions et ne correspondent pas encore aux exigences de l'élan majoritaire qui a redressé le pays à partir de 1993. Je connais les impératifs de rigueur qui s'imposent au Gouvernement, mais la rigueur budgétaire ne doit pas être antagoniste en matière d'investissements productifs.

La question qui se pose est donc de savoir si notre Gouvernement fait toujours sienne cette politique, qu'avaient délaissée tous les gouvernements depuis vingt ans, jusqu'à ce que nous lui rendions toute sa dimension, de 1993 à 1995, avec l'approbation -remarquée à l'époque- de celui qui est aujourd'hui Président de la République.

Si tel est le cas -et je n'ai pas de raisons d'en douter, connaissant par ailleurs l'ardeur et les compétences de mes amis Jean-Claude Gaudin et Eric Raoult, que vous avez chargés de ces dossiers- et si l'application de la loi ne souffre que d'un retard contingent dû aux difficultés de l'heure, permettez-moi de plaider pour que le premier levier que vous aurez à actionner soit celui du fonds national pour la création et le développement des entreprises.

Les fonds d'intervention, de péréquation, de gestion prévus par la loi sont en effet autant d'instruments grâce auquel l'Etat pourra influencer la gestion de l'espace et la répartition des activités. Mais ces instruments ne prendront toute leur signification que si, par ailleurs, est engagée une politique vigoureuse en faveur de la création d'activités nouvelles, à laquelle il faut donner la priorité sur la délocalisation des entreprises existantes. Il faut parier sur les entrepreneurs pour mener à bien la reconquête du territoire. Il faut que tous nos départements renouent avec l'esprit d'entreprise, pour que la France renoue avec la croissance.

Dans mon esprit -est-il besoin de le souligner ?- le fonds national de développement des entreprises n'avait rien d'un dispositif complémentaire aux autres. Il a une importance stratégique. Ce qui manque à la France, et vous le savez, ce sont des entreprises nouvelles, qui créent dès richesses nouvelles, ce qui manque aux entreprises qui se créent, ce sont des fonds propres pour se développer. Nous avons deux fois moins d'entrepreneurs qu'en Italie, deux fois moins de PME qu'en Allemagne : voilà où le bât blesse et où se trouve le déficit d'emplois !

Que l'on consacre ne serait-ce que 10 % des aides à l'emploi à l'aide à la création d'entreprises, cela ferait trente milliards, qui représentent plus de 100.000 entreprises nouvelles chaque année, et deux ou trois fois plus d'emplois nouveaux. L'adaptation et l'amélioration des mesures existantes au profit des PME-PMI ne suffisent pas aux nécessités du développement local. Aujourd'hui plus encore qu'hier, une des tâches essentielles de l'Etat est de mobiliser du capital-risque pour permettre aux 3 millions de Français -si j'en juge par les renseignements des instituts de sondages- qui souhaitent créer leur entreprise d'engager ainsi notre pays sur la voie d'une croissance, inattendue celle-là !

Puisque les incertitudes écartent les épargnants de la création d'entreprises, il faudrait que l'Etat abaisse le risque et organise la liquidité. Pour un franc de capital privé, l'Etat apporterait un franc de fonds publics, tandis que la plus-value réalisée et tous les dividendes versés serviraient à rémunérer les investisseurs privés. L'Etat récupérerait sa mise grâce à l'élargissent de l'assiette des impôts et des cotisations qu'entraîneraient la création et le développement d'entreprises nouvelles.

Tel fut le débat qui se déroula au Parlement, et notamment au Sénat, et telles étaient les idées que nous présentions.

Cette mise en oeuvre d'une véritable politique de capital risque doit être financée grâce à l'emprunt. Pour renouer avec la croissance, il faut susciter la confiance. Elle naît quand sont proposés de grands projets, qui savent mobiliser une richesse qui existe dans ce pays, mais qui reste encore mal employée. Le chantier est immense. Si nous voulons que notre pays soit un des leaders du XXI ème siècle et que tous les Français bénéficient du progrès général de la Nation. C'est très précisément par là que passe la restauration du pacte républicain souhaité par le chef de l'Etat et par l'immense majorité des Français.

Mais nous ne devons pas pour autant tout attendre de l'Etat. La mobilisation de l'épargne des Français pourrait se traduire concrètement par de grands emprunts régionaux, que la loi permet désormais et qui susciteraient d'autant plus d'adhésion du public que celui-ci aurait la certitude de voir son épargne investie au plus près des besoins qu'il ressent, qu'il s'agisse d'infrastructures de transports et de communication, d'équipements solaires, universitaires ou de formation professionnelle, ou de l'aide en capitaux propres à tous ceux qui ont des projets, mais que notre système bancaire néglige -le Président de la République le rappelait récemment avec force.

On me dira que je propose un pari. C'est vrai, oui : celui de la confiance en la créativité et l'esprit d'entreprise des Français, à condition de leur en donner les moyens. Cette confiance repose sur des siècles d'histoire, et sur la force de notre Nation. Je ne crois pas qu'il s'agisse de réalités hasardeuses. Les impératifs de la mondialisation et de l'exportation ne sont en rien contradictoires avec cette réalité. Le coeur de l'économie est à l'intérieur même du pays, et l'essentiel se joue sur cette nouvelle frontière.

Créer un surplus de croissance, un surcroît de développement, tel est, tel était et tel demeure le ressort profond de la loi d'orientation du territoire. Elle vise ainsi à recréer les conditions d'une réelle égalité des chances entre les citoyens et les collectivités territoriales, et d'abord -parce que c'était l'urgence- à traiter vigoureusement notre territoire à ces deux extrêmes : la désertification rurale et la ghettoïsation urbaine.

La loi a ainsi consacré le principe de la fiscalité dérogatoire en permettant création de véritables zones franches, les zones de revitalisation rurale et les zones de rénovation urbaine. Votre Gouvernement, Monsieur le Premier Ministre, a encore élargi la dérogation proposée, et je m'en réjouis. Il est de bon ton, ici ou là, de se moquer de ce zonage. Reconnaissons que le terme n'est peut-être pas le mieux choisi, mais qu'importe !

En reconnaissant la constitutionnalité de cette discrimination positive, le Conseil constitutionnel en a consacré le principe républicain, qui est d'exempter de certaines charges, en vertu de l'intérêt général, les catégories de population les plus défavorisées. Tel est bien le cas de nombreux territoires, ceux que délaissent les hommes et les activités, comme ceux où s'agglomèrent les populations, mais pas les emplois.

C'est là la condition d'une nouvelle mobilité des activités des hommes, qu'il faudra bien songer à étendre un jour à la fiscalité des personnes physiques, ce qui constituerait un levier d'une tout autre puissance.

Il est clair que l'association des deux leviers dont je viens de parler, la création d'activités nouvelle par la mobilisation de l'épargne, la mobilité par la fiscalité dérogatoire, aurait pour effet de remettre la France en mouvement par elle-même, et notre pays se mettrait ainsi en position de bénéficier davantage des grands courants internationaux.

Surtout, elle permettrait que ces courants irriguent l'ensemble du territoire, et profitent à tous les Français.

Il existe enfin un troisième levier dans la loi d'orientation, et rien ne s'oppose à mon sens à que nous l'actionnions sans délai. Il s'agit de passer à une nouvelle étape de la décentralisation, qui verrait l'Etat confier aux collectivités territoriales de nouvelles compétences, lui-même adaptant enfin son organisation politique et administrative aux réalités de cette France décentralisée et déconcentrée.

Je pense pour ma part qu'en sus des compétences dont la loi prévoit expressément le transfert, comme celui des transports régionaux, l'environnement, l'emploi, la formation professionnelle et l'enseignement supérieur, pourraient être progressivement dévolus aux collectivités territoriales après une nouvelle répartition des compétences entre les régions, les départements et les communes.

Cet approfondissement de la décentralisation doit en effet être conçu de façon à favoriser les grands objectifs de la politique d'aménagement du territoire, le développement économique et l'égalité des chances. Je rappelle que lors du débat sur la loi, le Gouvernement s'était engagé à présenter dans un délai d'un an une loi concernant une nouvelle dévolution des compétences.

La perspective de cette France décentralisée, où l'Etat se serait volontairement dessaisi de la mise en oeuvre de politiques qui était jusqu'alors son apanage devrait nous inciter aussitôt à établir une claire distinction entre les grandes fonctions exécutives à la tête d'une collectivité territoriale, et celle de membre du Gouvernement. Que mon ami Gaudin m'excuse : il n'est pas particulièrement visé, mais je parle d'expérience, et je crois que les fonctions exécutives de président de région et celles de président de conseil général ne devraient pas pouvoir être détenues pendant que l'on est au Gouvernement. A charge pour le président de faire assurer l'exécutif par un de ses vice-présidents. Je ne demande pas la mort du pêcheur -d'autant que j'en ai été un moi-même- mais, ainsi, les choses seraient plus claires !

Cette interdiction du cumul des fonctions me semble de plus fort effet que celle du cumul des mandats, qui verrait le Parlement et notamment le Sénat coupé des collectivités locales. Il me semble qu'elle garantirait davantage l'impartialité de l'Etat et l'on verrait par conséquent grandir son rôle d'arbitre, au fur et à mesure que diminuerait sa fonction sur le terrain, dans les domaines qu'il aurait confiés aux collectivités.

Aussi, la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire forme-t-elle un tout, au sein duquel chaque disposition étaye la suivante. Il en va ainsi des fonds de péréquation et d'investissement pour les transports aériens, pour les transports terrestres, pour les voies navigables, dont les premiers bénéfices se font sentir sur l'équipement de notre pays. Il en va tout autant du maintien des services publics, dont l'abandon est stoppé depuis le moratoire et dont la notion même retrouve aujourd'hui jusque et y compris à Bruxelles une nouvelle jeunesse.

Il en va enfin de la péréquation et de la réforme des finances locales. Il en va surtout du schéma national, pièce maîtresse du projet, puisqu'il permettra de territorialiser les politiques dans les domaines de l'éducation, de la santé, de la recherche, de la culture, de la communication, pour ne citer que ceux-là. Je ne doute pas que ce schéma soit soumis au Parlement au cours de la session qui s'ouvrira à l'automne de cette année. Ce schéma doit en effet exprimer la synthèse des aspirations de l'ensemble des régions françaises, telles que l'Etat entend les favoriser. A ce titre, c'est là le canevas indispensable à tout l'ouvrage.

Telles sont, Monsieur le Premier ministre, Messieurs les ministres, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, les réflexions que m'inspire un an après l'état d'avancement de ce que j'avais qualifié de "grande affaire". La renaissance d'une politique d'aménagement du territoire avait suscité dans le pays un espoir véritable, dont le Parlement s'était largement fait l'écho.

Je voudrais une fois encore remercier les rapporteurs de la loi -Patrick Ollier à l'Assemblée nationale et Jean François-Poncet- qui ont apporté une contribution décisive au débat et à l'élaboration de la loi.

Cette politique que nous avons voulu ensemble et que vous connaissez bien, Monsieur le Premier ministre, puisque nous l'avons défini au sein du Gouvernement auquel vous apparteniez, est toujours à même de mobiliser les énergies de notre pays, car elles offrent des repères familiers à l'initiative, à l'effort, à l'investissement de chacun des Français, auxquels semble de plus en plus en plus échapper la maîtrise de leur avenir.

Notre majorité -votre majorité aujourd'hui- attend de notre Gouvernement qu'il s'approprie cette grande réforme, cette "grande affaire", afin que nous puissions en tirer ensemble tout le bénéfice quand nous présenterons -bientôt, il ne faut pas l'oublier- notre bilan aux Français.

(Applaudissements).

M. Jean François-Poncet, président .- Monsieur le Premier ministre, vous avez la parole...

ALLOCUTION DE CLÔTURE DE M. ALAIN JUPPÉ, PREMIER MINISTRE

M. Alain Juppé, premier ministre .- Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les sénateurs, Mesdames et Messieurs, c'est avec un grand et réel plaisir que je participe à la conclusion de votre colloque consacré à la loi sur l'aménagement et le développement du territoire.

Je voudrais tout d'abord remercier le Président du Sénat de son hospitalité et adresser à Jean François-Poncet mes félicitations pour avoir eu l'idée de cette journée et avoir assumé la lourde tâche de son organisation.

Conclure une journée de débats intenses -je le sais- me donne l'occasion d'intervenir sur un sujet qui va droit au coeur des sénateurs, compte tenu notamment de leur rôle auprès de nos élus locaux.

En installant le Conseil national pour l'aménagement et le développement du territoire, le 5 février 1996, aux côtés d'Olivier Guichard, un an jour pour jour après la promulgation de la loi pour l'aménagement et le développement du territoire, j'avais eu l'occasion de rappeler la filiation entre cette loi et la politique mise en place il y a trente ans par le général de Gaulle. S'il ne devait y avoir pour mon Gouvernement qu'une seule raison de s'intéresser à ce sujet, ce serait déjà celle là, et elle serait à soit seule suffisante. Mais le bilan qui vous a été présenté au cours de cette journée vous a montré que nous nous y étions engagés avec beaucoup d'ardeur, au point que votre question, tout à l'heure, Monsieur le Président, m'a paru un peu oratoire. C'est la règle du jeu...

Nous avons pu vous montrer tout au long de la journée l'importance du travail mené depuis un an par Bernard Pons, puis par Jean-Claude Gaudin, pour mettre en oeuvre les différents outils d'aménagement du territoire prévus par la loi, qu'il s'agisse des mesures fiscales dérogatoires en faveur des zones de redynamisation urbaines et des zones de revitalisation rurale, ou des fonds de péréquation, notamment dans le domaine des transports.

Je ne vais pas reprendre ici en détail le bilan. Je voudrais malgré tout souligner que la tâche accomplie a déjà été importante et souvent difficile.

Dès la prise de fonctions du Gouvernement, je me suis personnellement soucié de négocier avec la Commission européenne, pour qu'elle autorise les dispositifs fiscaux dérogatoires, ce qui était une condition sine qua non de la mise en application de la loi que vous aviez votée.

Bernard Pons est allé personnellement à Bruxelles plaider notre cause auprès du commissaire européen chargé de la concurrence, pour le convaincre d'accepter une dérogation aux règles habituelles d'analyse de ces services. Dieu sait si cela n'a pas été facile ! Il a fallu de longs mois de négociation, et c'est finalement le 27 décembre 1995, six mois après, que le Gouvernement a obtenu une décision favorable, ce qui lui a permis de publier, le 15 février, le décret relatif aux zones de revitalisation rurale.

Ainsi, les mesures fiscales destinées à aider la création et le développement d'entreprises sont en place dans les zones rurales et elles précèdent de quelques mois les mesures en faveur des quartiers en difficultés, prévues dans le cadre du pacte de relance pour la ville.

Le 4 août 1995, deux mois à peine après la constitution du Gouvernement, nous avons engagé l'opération de préfiguration relative aux pays. Fin août, j'ai lancé personnellement la démarche d'élaboration du schéma national pour l'aménagement et le développement du territoire, à laquelle j'ai souhaité associer très largement les parlementaires.

Le 23 octobre, Bernard Pons a réuni pour la première fois le comité de gestion du fonds d'investissement des transports terrestres et des voies navigables, après avoir modifié le décret correspondant, afin de mieux associer les parlementaires à la gestion de ce fonds.

J'ai donné là quelques exemples de notre volonté de mettre la loi en oeuvre. Cette volonté a rythmé toute l'action gouvernementale depuis un an, d'abord sous l'impulsion d'Edouard Balladur, puis sous la mienne.

Quant à l'évolution du fonds national pour l'aménagement et le développement du territoire, elle fera l'objet d'un suivi attentif tout au long de cette année, dans un contexte budgétaire que vous connaissez, et dont je ne peux vous dissimuler la difficulté, même si j'en mesure les conséquences pour certains projets de collectivités locales...

De nombreux chantiers restent ouverts devant nous, car la loi est fort ambitieuse, et prévoyait de nombreux autres dispositifs. Ces chantiers, nous allons les attaquer ensemble, Gouvernement et Parlement, et je sais pouvoir compter sur votre soutien face à des réformes difficiles et complexes, et surtout sur votre capacité de propositions.

Le dossier que je souhaite traiter par priorité avec vous est celui de la situation des collectivités locales. Je l'ai rappelé hier à Bordeaux. Je souhaite mettre en oeuvre au 1er janvier 1998 la révision des valeurs locatives qui servent de base aux taxes directes locales.

De même, il est indispensable de procéder à une réforme de la taxe professionnelle, que nous appelons tous de nos voeux. Elle est inscrite dans l'article 74 de la loi. Le ministère des finances a reçu commande de propositions en ce sens.

Dans cette réflexion sur les finances locales, je compte m'appuyer sur la commission consultative d'évaluation des charges, qui n'a pas été réunie depuis longtemps et qui sera très prochainement saisie par Dominique Perben d'un rapport sur l'évolution des charges transférées -en avance sur le calendrier fixé par la loi- combiné avec la prévisibilité des dotations de l'Etat aux collectivités, assurée par le pacte de stabilité. Voilà qui permettra de procéder, thème par thème, à une clarification des compétences pour améliorer l'efficacité de l'Etat et des collectivités locales, dans le but d'améliorer la vie quotidienne de nos concitoyens.

C'est dans ce même état d'esprit que j'ai souhaité que l'ensemble des parlementaires soient associés à toutes les étapes de l'élaboration du schéma national d'aménagement et de développement du territoire, à travers les commissions régionales et nationale thématiques.

Ce schéma constitue en effet la clef de voûte de notre ambition d'une meilleure cohésion républicaine. C'est lui qui doit permettre, par une approche décloisonnée, de fixer à tous les acteurs de l'aménagement du territoire un cap pour les années à venir ; c'est lui qui doit permettre de concrétiser l'impression si juste de Charles Pasqua : il ne peut y avoir d'aménagement du territoire sans développement des territoires.

C'est lui qui montrera que l'on ne peut opposer des investissements culturels réalisés à Paris et qui contribuent à renforcer l'image internationale de notre pays à des projets culturels réalisés à travers tout le territoire, et qui visent à donner à tous l'accès à la culture, sans oublier les habitants de bourgs ruraux, ni les jeunes de quartiers en difficulté.

C'est également lui qui permettra de faire prévaloir une approche intermodale des transports, qui s'appuiera sur une analyse objective des besoins de déplacement des Français, sans a priori sur le choix entre tel ou tel mode de transport, sans dupliquer mécaniquement des solutions adaptées à une région et non à une autre.

A travers l'élaboration du schéma national et de l'ensemble des schémas sectoriels prévus par la loi, c'est tout le Gouvernement qui veillera à inscrire son action dans cette ambition d'un pays plus solidaire et plus compétitif.

Jean-Claude Gaudin, dans son intervention de ce matin, a lancé le débat sur ces mesures. Je souhaite qu'il soit intense et vivant. Je souhaite y associer particulièrement les présidents des grandes associations d'élus, l'association des maires de France, celle des présidents de conseils généraux, celle des présidents de conseils régionaux, car les communes, les départements, les régions ont un rôle irremplaçable à jouer dans la définition des grandes orientations de notre politique d'aménagement du territoire, qui doit être par excellence une politique concertée.

Cette ambition nous permettra d'aller au-delà de ce qui a déjà été prévu par la loi, comme le Gouvernement a déjà commencé à le faire, et je voudrais en donner deux ou trois exemples...

Tout d'abord, s'agissant de la nécessité de soutenir la création d'entreprises, nous sommes allés beaucoup plus loin que bien des points évoqués par Charles Pasqua. Ainsi, le plan pour les PME, que j'ai rendu public le 27 novembre, complète et amplifie considérablement une véritable politique des PME-PMI. Qu'il s'agisse de leurs financements, de leur fiscalité ou des conditions de concurrence qu'elles subissent vis-à-vis de la grande distribution en particulier, nous avons encore amélioré les dispositifs.

On a parlé de renforcement des fonds propres. La disposition fiscale votée dans le dernier DDOEF, qui, pour la première fois dans notre système fiscal, introduit la notion d'un impôt progressif sur les sociétés, en taxant à 19 % la part des bénéfices des PME-PMI mise en réserve pour améliorer les fonds propres, cette disposition est tout à fait originale. Elle est votée et entrera en application au 1er janvier 1997. C'est une réponse à cette recherche de fonds propres et à l'amélioration du capital-risque.

Il en va de même des dispositions que nous avons prises dans le cadre de ce plan destiné à renforcer les interventions de la SOFARIS, ou de la réforme du crédit d'équipement aux PME, dont j'ai souhaité faire une véritable banque des PME-PMI. Cette nouvelle initiative du Gouvernement est donc venue compléter fort opportunément ce qui était déjà inscrit dans la loi au titre de la création d'entreprise.

Charles Pasqua évoquait l'intérêt de s'endetter par les temps qui courent pour financer de grands projets de développement. J'ai interprété cela comme un hommage rendu à la politique du Gouvernement, qui a permis une détente historique des taux d'intérêt. Quelle n'a pas été ma stupéfaction, à Bordeaux, alors que je présidais le Conseil de communauté, d'entendre un membre communiste de mon opposition me dire qu'il fallait s'endetter, l'argent n'ayant jamais été aussi bon marché ! C'est vrai, et c'est une bonne chose pour le développement de nos collectivités et de nos entreprises...

Je ne citerai pas le pacte de réforme pour la ville, dont j'imagine que Jean-Claude Gaudin a abondamment parlé tout à l'heure.

Troisième exemple, encore en gestation : la réforme de l'Etat, qui comportera des simplifications dans les relations entre l'usager et l'administration, mais aussi un pas décisif sur la voie de la déconcentration. Notre ambition est de faire ce qui a été fait pour la décentralisation dans les années 1980, et ce sera, j'en suis sûr, en termes d'aménagement du territoire, une nouvelle avancée extrêmement significative.

C'est d'une certaine manière être fidèle à l'esprit de la loi d'orientation que de chercher au-delà de la lettre de la loi, à adapter nos réponses aux enjeux de l'aménagement du territoire. Des défis nouveaux se présentent d'ores et déjà à nous -je pense à la réforme de notre défense et à la modification du format de nos armées, qui, en termes d'aménagement du territoire, vont avoir des implications extrêmement importantes.

Le Président de la République m'a demandé de faire de cette réforme une opération exemplaire au regard de l'aménagement du territoire. C'est dans cet esprit que, dès demain, je proposerai au Conseil des ministres la création d'un comité interministériel pour les restructurations de défense et la nomination d'un délégué interministériel qui en sera le rapporteur et l'animateur.

Dans le même temps, les fonds d'accompagnement prévus pour la reconversion de notre dispositif seront très sensiblement majorés. Il s'agit là aussi pour notre pays d'une très grande affaire d'aménagement du territoire, bien perçue par les jeunes et par leurs parents, qui suscite souvent l'inquiétude des élus, notamment dans les villes moyennes. Je mesure cette inquiétude. Le Gouvernement fera tout pour que les décisions prises en ce domaine n'aboutissent pas à remettre en cause les objectifs de la politique d'aménagement du territoire, mais les confortent !

Voilà un nouveau défi, qui était -et pour cause- ignoré par la loi du 4 février 1995, et qu'il nous faut aussi relever.

C'est en adaptant nos réponses aux évolutions économiques et institutionnelles que nous pourrons réussir dans notre ambitieux projet d'une France plus juste et plus solidaire, ensemble, car, je le répète, le Gouvernement fait toujours de cette politique une de ses priorités.

Parce que les élus que vous êtes y sont passionnément attachés, parce qu'elle peut être une parfaite expression du voeu du Président de la République de construire la France pour tous, nous aurons à coeur de donner à la politique d'aménagement du territoire et à la loi du 4 février 1995 -à laquelle s'attache désormais pour l'éternité le nom de Charles Pasqua- la dimension d'une réalité forte, perçue en tant que telle par nos concitoyens !

(Applaudissements).

M. Jean François-Poncet, président .- Avec le discours du Premier ministre se termine notre colloque. A toutes et à tous, je donne rendez-vous au printemps de l'année prochaine. Où et comment ? Nous le verrons d'ici là !

La séance est levée à 18 heures 20.

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