INTRODUCTION

I. L'UNION EUROPÉENNE DOIT MIEUX PRÉVENIR LA CORRUPTION

A) LA CORRUPTION, FLÉAU MAJEUR POUR L'UNION EUROPÉENNE

1. L'appel de la Présidente de la Commission européenne

Depuis l'appel de la Présidente de la Commission européenne à combattre la corruption « avec toute la force du droit », le 14 septembre 2022, l'Union européenne semble mobilisée dans ce combat, d'autant plus qu'elle a été ouvertement fragilisée, politiquement et institutionnellement, par le scandale du « Qatargate » qui a éclaté en décembre 2022 en raison d'allégations de corruption de certains députés européens par des pays tiers, par l'intermédiaire d'une organisation non gouvernementale dont les responsables avaient un accès facilité au Parlement européen.

Pour répondre à l'appel de sa Présidente, la Commission européenne a ainsi présenté au printemps 2023 trois textes importants afin de prévenir et de combattre la corruption, et de rétablir la confiance des citoyens dans les institutions européennes. Ces textes font l'objet de la présente proposition de résolution européenne. Il s'agit :

- de la proposition de directive COM(2023) 234 final35(*), relative à la lutte contre la corruption, présentée le 3 mai 2023 ;

- de la communication COM(2023) 311 final portant la proposition relative à un organisme éthique interinstitutionnel, présentée le 8 juin 202336(*) ;

-de la proposition de directive COM(2023) 637 final établissant des règles harmonisées dans le marché intérieur en matière de transparence de la représentation d'intérêts exercée pour le compte de pays tiers et modifiant la directive (UE) 2019/1937, présentée le 12 décembre dernier ;

On peut néanmoins déplorer que cette prise de conscience soit très tardive, intervenant alors que le mandat des actuels Commission européenne et Parlement européen arrivent à leur terme, fragilisant le calendrier d'examen de ces textes et faisant courir le risque à l'Union européenne d'adopter à la hâte des réformes inabouties, alors même que les signaux d'alarme sur le niveau préoccupant de la corruption dans l'Union européenne se multiplient.

Certes, la corruption n'est pas nouvelle : ainsi, sous l'Antiquité, elle faisait partie intégrante des techniques de campagne électorale lors des élections aux magistratures de la République romaine. Selon l'homme politique et avocat Cicéron, qui gagna de fameux procès contre des faits de corruption à la fin de la République romaine, le roi Philippe II de Macédoine affirmait qu'il pouvait « s'emparer de n'importe quelle forteresse pourvu qu'un âne chargé d'or puisse y accéder »37(*). La corruption n'est pas non plus spécifique à l'Union européenne. Ainsi, aux États-Unis, en 2019, un scandale retentissant éclatait avec la mise à jour par le FBI d'un réseau de familles fortunées ayant versé des pots de vin à des intermédiaires et examinateurs pour garantir l'entrée de leurs enfants dans les plus prestigieuses universités du pays par des tests d'entrée falsifiés. Certains parents auraient payé jusqu'à 6,5 millions de dollars.

Il faut même constater, au regard des indicateurs internationaux, qui demeurent toutefois partiels, que la corruption est moins présente dans les États membres de l'Union européenne que dans le reste du monde38(*). Ainsi, en 2023, 11 des 27 États membres de l'Union européenne se retrouvent parmi les 20 premiers États dans le classement de l'indice de perception de corruption publié annuellement par l'organisation non gouvernementale de lutte contre la corruption Transparency international39(*). La France y occupe le 20ème rang.

Cependant, la corruption demeure un phénomène massif dans l'Union européenne : son coût annuel pour les économies de l'Union européenne représenterait 120 milliards d'euros40(*).

Comme le résume l'exposé des motifs (p 1) de la proposition de directive relative à la lutte contre la corruption précitée41(*), la corruption est un phénomène extrêmement préjudiciable à la société, à nos démocraties, à l'économie et aux personnes. En effet, « la corruption a un coût, qui n'est pas réservé aux pays notoirement corrompus. [Elle] accroît le coût des biens et services, favorise les investissements improductifs, conduit à un déclin de la qualité des services publics, ralentit le développement économique et social, détourne les richesses nationales au profit d'une oligarchie, promeut des élites incompétentes, encourage des pratiques discriminatoires, cultive l'arbitraire, porte atteinte aux droits de l'homme. »42(*)

Car son résultat est toujours le même : « il est admis que la corruption fausse les règles du jeu - celles de la concurrence ou de la « compétition méritocratique » - en usant de voies détournées pour obtenir des avantages sociaux. »

Rappelons à ce stade que la corruption comprend deux dimensions indissociables : la corruption active (qui désigne le fait de proposer une faveur, un don ou un avantage quelconque à une personne afin que cette dernière accomplisse un acte ou s'abstienne d'agir dans le cadre de ses fonctions) et la corruption passive (qui correspond au fait, pour la personne investie de la fonction déterminée, d'accepter le don ou l'avantage proposé).

Le code pénal français la réprime au sein des atteintes à la probité (trafic d'influence ; prise illégale d'intérêts ; abus de droit...), qui visent les mêmes objectifs.

2. Tentative d'évaluation de l'ampleur des faits de corruption dans l'Union européenne

Dans sa stratégie sur l'Union de la sécurité43(*) et dans celle visant à lutter contre la criminalité organisée pour la période 2021-202544(*), l'Union européenne a reconnu la vulnérabilité spécifique à l'égard des faits de corruption, des secteurs de la santé, des transports, de la construction, du traitement des déchets, de l'aérospatial et de la défense, de l'agriculture et de l'agroalimentaire, du travail et de la protection sociale.

Mais elle est souvent « invisible » et n'est repérée que parce qu'elle est souvent une infraction accessoire à un autre délit ou à un crime.

À titre d'exemple, on peut citer la procédure d'accusation lancée par le Parquet européen en mai 2022 contre 10 citoyens croates, dont 2 maires, pour corruption passive et active et abus de fonction. En septembre et novembre 2022, cinq d'entre eux ont été reconnus coupables de favoritisme illégal et de tentative d'abus de fonction par le tribunal du comté de Zagreb, parce qu'ils avaient manipulé des procédures de passation de marchés publics, afin de s'assurer l'attribution de projets de construction d'une centrale solaire et d'une installation de traitements des eaux usées cofinancés, à hauteur de 22,6 millions d'euros par le Fonds de cohésion de l'Union européenne et le Fonds européen de développement régional (FEDER)45(*).

La corruption est également une « arme » largement utilisée, non seulement par des puissances étrangères souhaitant influencer les décisions des États membres et de l'Union européenne, mais aussi et surtout par les réseaux de criminalité organisée. Dans un rapport récent, Europol a ainsi décrypté l'influence des réseaux de trafic de drogue sur les ports d'Anvers, d'Hambourg/Bremerhaven et de Rotterdam et leur action massive de corruption des différents « métiers du port », afin de pouvoir y débarquer et y faire transiter la drogue arrivée du Maghreb et d'Amérique latine par voie maritime46(*).

Selon Europol, 60% des réseaux de criminalité organisée usent ainsi de la corruption pour infiltrer le secteur public et les entreprises privées et mener des activités légales47(*). Ce faisant, ces organisations peuvent procéder au blanchiment des capitaux issus de leurs activités criminelles et exercer une influence sur certains secteurs économiques et sur les décisions des administrations publiques en leur faveur.

De plus, si les processus de corruption sont connus, les outils à la disposition des « corrupteurs » leur offrent de nouvelles perspectives. Europol mentionne ainsi l'importance croissante de l'usage des « crypto-monnaies » par les organisations criminelles pour corrompre les agents publics. Elle souligne également que la numérisation généralisée des formalités administratives dans les États membres de l'Union européenne va conduire ces organisations à « cibler » particulièrement les personnes qui, dans les institutions publiques et les entreprises, sont en capacité de manipuler les procédures, les décisions et les données personnelles.

En conséquence, la corruption est un sujet de réelle préoccupation pour les citoyens et les entreprises des États membres de l'Union européenne. Elle nourrit même leur méfiance à l'égard des partis au pouvoir voire des institutions démocratiques : ainsi, en 2023, 70% des citoyens des États membres de l'Union européenne estimaient que la corruption était répandue dans leur pays. Plus de quatre citoyens sur dix (45 %) considéraient que le niveau de corruption avait augmenté dans leur pays depuis trois ans48(*).


* 35 Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à la lutte contre la corruption, remplaçant la décision-cadre 2003/568/JAI du Conseil et la convention relative à la lutte contre la corruption impliquant des fonctionnaires des Communautés européennes ou des fonctionnaires des États membres de l'Union européenne, et modifiant la directive (UE) 2017/1371 du Parlement européen et du Conseil, COM(2023) 234 final.

* 36 Communication de la Commission européenne au Parlement européen, au Conseil européen, au Conseil, à la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), à la Banque centrale européenne (BCE), à la Cour des comptes de l'Union européenne, au Comité économique et social européen et au Comité des régions.

* 37 Cicéron, lettres à Atticus, I, XVI, 12.

* 38 Étude « Strengthening the fight against corruption : assessing the EU legislative and policy framework », élaborée par les cabinets EY (I. Gaglio ; J. Guzzon ; K. Bartz ; L. Marcolin ; R. Kryeziu) et RAND Europe (E. Disley ; J. Taylor ; S. Hulme) pour la direction générale « Affaires intérieures » de la Commission européenne, 15 décembre 2022.

* 39 Selon ce classement, qui liste les pays du monde entier par ordre décroissant en fonction de leurs efforts dans la lutte contre la corruption, les onze États membres figurant parmi les vingt pays les moins corrompus sont les suivants : Danemark (1er) ; Finlande (2) ; Suède (6ème) ; Pays-Bas (8ème) ; Allemagne (9ème) ; Luxembourg (10ème) ; Irlande (11ème) ; Estonie (12ème) ; Belgique (16ème) ; Autriche et France (20èmes ex aequo).

* 40 Cette estimation, avancée par la Commission européenne depuis 2014 et encore dans l'exposé des motifs de la proposition de directive relative à la lutte contre la corruption (p 1), n'est malheureusement jamais détaillée. Elle est fondée sur les analyses de diverses institutions et organes (Chambre de commerce internationale ; Transparency international ; Pacte mondial des Nations unies ; Forum économique mondial).

* 41 Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à la lutte contre la corruption, remplaçant la décision-cadre 2003/568/JAI du Conseil et la convention relative à la lutte contre la corruption impliquant des fonctionnaires des Communautés européennes ou des fonctionnaires des États membres de l'Union européenne, et modifiant la directive (UE) 2017/1371 du Parlement européen et du Conseil, COM(2023) 234 final.

* 42 « Montesquieu ou les infortunes de la vertu », article de Mme Céline Spector, professeur à l'université Michel-de-Montaigne, Bordeaux-III, revue Esprit, 2014/2.

* 43 COM(2020) 605 final, en date du 24 juillet 2020.

* 44 COM(2021) 170 final, en date du 14 avril 2021.

* 45 Cet exemple est détaillé dans le rapport d'activité 2022 du Parquet européen (p 63).

* 46 Rapport conjoint d'Europol et du comité de suivi de la sécurité des ports d'Anvers, Hambourg/Bremerhaven et Rotterdam (2023) « Réseaux criminels dans les ports de l'Union européenne, risques et défis pour l'application de la loi ».

* 47 Rapport SOCTA 2021 précité.

* 48 Eurobaromètre 2023.

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