N° 345

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 14 février 2024

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires européennes (1) sur la lutte contre la corruption dans l'Union européenne,

Par MM. Claude KERN, Didier MARIE et Jean-François RAPIN,

Sénateurs

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-François Rapin, président ; MM. Alain Cadec, Cyril Pellevat, André Reichardt, Mme Gisèle Jourda, MM. Didier Marie, Claude Kern, Mme Catherine Morin-Desailly, M. Georges Patient, Mme Cathy Apourceau-Poly, M. Louis Vogel, Mme Mathilde Ollivier, M. Ahmed Laouedj, vice-présidents ; Mme Marta de Cidrac, M. Daniel Gremillet, Mmes Florence Blatrix Contat, Amel Gacquerre, secrétaires ; MM. Pascal Allizard, Jean-Michel Arnaud, François Bonneau, Mme Valérie Boyer, M. Pierre Cuypers, Mmes Karine Daniel, Brigitte Devésa, MM. Jacques Fernique, Christophe-André Frassa, Mmes Annick Girardin, Pascale Gruny, Nadège Havet, MM. Olivier Henno, Bernard Jomier, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Ronan Le Gleut, Mme Audrey Linkenheld, MM. Vincent Louault, Louis-Jean de Nicolaÿ, Teva Rohfritsch, Mmes Elsa Schalck, Silvana Silvani, M. Michaël Weber.

L'ESSENTIEL

Le scandale dit du « Qatargate », déclenché en décembre 2022 par l'ouverture d'une enquête de la justice belge sur des allégations de corruption de députés européens par des pays tiers, a mis au jour la vulnérabilité de l'Union européenne à l'égard des acteurs utilisant la corruption pour l'affaiblir ou en détourner les décisions.

Quelques semaines auparavant, sur la base des informations recueillies par ses services dans le cadre du cycle annuel de suivi de l'État de droit dans les 27 États membres et en cohérence avec les alertes lancées par l'agence européenne de coopération policière, Europol, la Présidente de la Commission européenne, Mme Ursula von der Leyen, avait sonné l'alarme à ce sujet : « Aujourd'hui, je voudrais attirer l'attention sur la corruption, sous tous les visages. Qu'elle prenne le visage d'agents étrangers qui tentent d'influencer notre système politique. Ou celui de sociétés ou fondations écrans qui détournent les fonds publics.

« Si nous voulons être crédibles quand nous demandons aux pays candidats de renforcer leur démocratie, nous devons aussi éradiquer la corruption sur notre sol. »1(*)

I) LA CORRUPTION : UN DÉFI D'AMPLEUR POUR L'UNION EUROPÉENNE, Y COMPRIS AU COEUR DE SES INSTITUTIONS

A) L'UNION EUROPÉENNE A FAIT DE LA LUTTE CONTRE LA CORRUPTION UNE PRIORITÉ

La corruption n'est ni nouvelle (ainsi, sous l'Antiquité, elle faisait partie intégrante des techniques de campagne électorale lors des élections aux magistratures de la République romaine) ni spécifique à l'Union européenne

Il faut même constater, au regard des indicateurs internationaux, qui demeurent toutefois partiels, que la corruption est moins présente dans les États membres de l'Union européenne que dans le reste du monde2(*). Ainsi, en 2023, 11 des 27 États membres de l'Union européenne, dont la France (20ème) se retrouvent parmi les 20 premiers États dans le classement de l'indice de perception de corruption publié annuellement par l'organisation non gouvernementale de lutte contre la corruption Transparency international3(*), qui classe, par ordre décroissant, les pays du monde entier à l'aune de leurs législations et pratiques anticorruption

Plus spécifiquement, la France dispose d'un cadre juridique précis et de moyens notables pour prévenir la corruption, avec des obligations déclaratives imposées aux responsables publics, l'enregistrement obligatoire des représentants d'intérêts sur un répertoire national, l'action de conseil, d'information et de contrôle de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) et la mise en place d'une stratégie nationale anticorruption par l'agence française anticorruption (AFA).

En outre, pour réprimer la corruption, le code pénal prévoit des sanctions claires pour punir la corruption active (qui désigne le fait de proposer une faveur, un don ou un avantage quelconque à une personne afin que cette dernière accomplisse un acte ou s'abstienne d'agir dans le cadre de ses fonctions), la corruption passive (qui correspond au fait, pour la personne investie de la fonction déterminée, d'accepter le don ou l'avantage proposé) et, plus généralement, les atteintes à la probité (trafic d'influence ; prise illégale d'intérêts ; abus de droit...). Pour enquêter sur ces infractions et les poursuivre, la France bénéficie en outre de l'action efficace de services spécialisés tels que l'Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales de la police judiciaire (OCLCIFF) ou Tracfin, la cellule de renseignement financier du ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

La lutte contre la corruption est une obligation internationale et une exigence européenne.

Au plan international, la Convention des Nations unies contre la corruption4(*), à laquelle les États membres de l'Union européenne ont tous adhéré, impose l'adoption de stratégies nationales contre la corruption. En complément, l'Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE) a pris des initiatives contre la corruption d'agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales5(*).

La lutte contre la corruption est également une priorité du Conseil de l'Europe. Il a ainsi constitué en son sein le Groupe d'États contre la corruption (GRECO) en 1999, qui a pour objet d'améliorer la capacité de ses membres à lutter contre la corruption en organisant une évaluation (et une pression) par les pairs afin de les inciter à reprendre les normes du Conseil de l'Europe en la matière. Son dernier document d'évaluation sur la France est paru le 30 janvier 20246(*).

Pour l'Union européenne, la lutte contre la corruption fait partie intégrante de l'État de droit, valeur de l'Union posée à l'article 2 du traité sur l'Union européenne (TUE)7(*).

C'est en effet au nom de cette valeur de l'État de droit que, depuis 2020, la Commission européenne évalue annuellement la situation de chaque État membre au regard de plusieurs critères : indépendance de la justice ; lutte contre la corruption ; indépendance de la presse et pluralisme des médias ; questions institutionnelles.

La lutte contre la corruption fait ainsi partie de « l'acquis communautaire » que doivent reprendre les pays candidats à l'adhésion à l'Union européenne.

Elle est aussi intégrée aux stratégies de l'Union européenne pour l'union de la sécurité et visant à lutter contre la criminalité organisée8(*).

Sur cette base, l'Union européenne a tenté de bâtir une réponse européenne harmonisée aux défis de la corruption. Elle a ainsi :

- obtenu des États membres qu'ils prennent les mesures nécessaires pour ériger la corruption en infraction pénale, et la punir par des « sanctions pénales efficaces, proportionnées et dissuasives », qu'elle concerne les agents publics9(*), ou le secteur privé10(*) ;

- mis en place des mesures visant à prévenir tout détournement du système financier aux fins de blanchiment de capitaux11(*) et+ geler ou confisquer les avoirs criminels12(*) ;

- garanti un contrôle effectif de la bonne utilisation des fonds européens, à la fois par une réglementation exhaustive13(*) et par les pouvoirs d'enquête de l'Office européen de lutte anti-fraude (OLAF), de la Cour des comptes de l'Union européenne et du Parquet européen14(*), dont la mission première est de protéger les intérêts financiers de l'Union européenne ;

- prévu les mesures nécessaires pour protéger les lanceurs d'alerte15(*) ;

- érigé la lutte contre la corruption au rang des priorités de sa politique étrangère et de sécurité communes (PESC) et imposé des sanctions aux pays tiers réticents à appliquer les standards internationaux en la matière16(*).

B) MAIS LA CORRUPTION PROFITE DES DIVERGENCES DE LÉGISLATIONS ENTRE ÉTATS MEMBRES ET DES LACUNES DES 17(*)INSTITUTIONS EUROPÉENNES

Malgré tout, la corruption demeure un phénomène massif dans l'Union européenne : son coût annuel pour les économies de l'Union européenne est évalué à 120 milliards d'euros selon une estimation de la Commission européenne, qu'elle qualifie elle-même de « prudente »18(*). Pourquoi ?

Tout d'abord parce que cette infraction est souvent « invisible », servant aux réseaux criminels ou aux pays tiers hostiles à commettre d'autres infractions graves : trafic de drogue ; espionnage ; captation de marchés publics ; détournements de fonds européens...

Ainsi, selon Europol, 60 % des réseaux du crime organisé usent de la corruption et 70 % d'entre eux mènent des actions de blanchiment de capitaux. L'agence a également alerté à plusieurs reprises les États membres et la Commission européenne sur l'emprise des réseaux de trafic de drogue sur les grands ports européens par l'existence d'une « chaîne de corruption » dans les métiers du port.

Cette persistance des faits de corruption profite également des divergences de législations entre les États membres et, parfois, de leur absence de volonté politique pour combattre la corruption. Dans son rapport d'évaluation de l'État de droit 2023, la Commission européenne vise même notre pays : tout en le félicitant globalement pour ses règles éthiques et pour la capacité des services compétents à enquêter sur les affaires de corruption, elle l'appelle ainsi à mettre en oeuvre rigoureusement son cadre juridique relatif aux représentants d'intérêts19(*). D'autres États membres sont incités à prévoir des règles de prévention des conflits d'intérêts20(*).

La corruption a pu enfin être facilitée par les carences préoccupantes des institutions de l'Union européenne (Commission européenne ; Parlement européen ; Conseil de l'Union européenne...) dans l'adoption et l'application de « cadres éthiques » s'appliquant à elles-mêmes. Cet état de fait a été illustré par le scandale du « Qatargate » et par plusieurs enquêtes récentes de la Médiatrice de l'Union européenne, tant sur l'absence de contrôle du « pantouflage » des personnels de la Commission européenne21(*), que sur l'opacité persistante des liens existant entre la direction générale Santé de la Commission européenne avec l'industrie du tabac22(*), ou sur les voyages aériens offerts par le Qatar à l'ancien directeur général Transports de la Commission européenne alors que ce dernier négociait, pour l'Union européenne, un accord de « Ciel ouvert » avec ce pays23(*). Ces faits ont démontré la nécessité de réformes ambitieuses afin de garantir la pérennité du débat démocratique européen et de restaurer la confiance des citoyens des États membres, à l'heure où l'Union européenne n'a jamais eu autant de pouvoir.

L'urgence est là : en effet, en 2023, 70% des citoyens des États membres de l'Union européenne estimaient que la corruption était répandue dans leur pays. Et plus de quatre citoyens sur dix (45%) considéraient que le niveau de corruption avait augmenté dans leur pays depuis trois ans24(*).

II) MIEUX PRÉVENIR LA CORRUPTION

A) REVOIR À LA HAUSSE L'AMBITION DE L'ORGANISME ÉTHIQUE INTERINSTITUTIONNEL EUROPÉEN DONT LA COMMISSION EUROPÉENNE PROPOSE LA CRÉATION

Dans sa communication COM(2023) 311 final, présentée le 8 juin 202325(*), la Commission européenne a proposé, par la voie d'un accord interinstitutionnel, la création d'un organisme éthique interinstitutionnel commun à neuf institutions de l'Union européenne26(*), qui aurait pour mission de servir de f+orum d'échange de bonnes pratiques et de définir, sur une base consensuelle, des lignes directrices éthiques minimales pour les membres de ces institutions.

Estimant que cet organisme a minima était la seule réponse possible en l'état du droit de l'Union européenne (à savoir les principes de l'équilibre institutionnel et de l'autonomie institutionnelle, qui enjoignent chaque institution européenne à assumer totalement les pouvoirs que lui confient les traités et lui confèrent une grande marge d'appréciation pour mener « souverainement » ses politiques internes), la Commission européenne considère qu'il doit être considéré comme un « premier pas ».

Dans la résolution européenne qu'elle propose au terme de ce rapport, la commission des affaires européennes fait une autre analyse, observant que la « mise à niveau éthique » de l'Union européenne ne peut pas attendre.

Elle relève, d'une part, que l'initiative de proposer la création d'un organisme éthique, qui avait été envisagée par la Présidente de la Commission européenne dès fin 2019, n'a été présentée que très tardivement par cette dernière, en juin 2023, conduisant les négociateurs européens à se presser au risque de sceller un « accord au rabais » avant la fin du mandat du Parlement européen et, d'autre part, que la création d'un nouvel organisme européen est inutile s'il doit être cantonné à des missions aussi inconsistantes.

Constatant, avec la Médiatrice de l'Union européenne, que l'autorégulation des institutions européennes n'a pas donné les résultats escomptés dans le domaine de la prévention de la corruption et que, contrairement à l'interprétation qu'en fait la Commission européenne, les traités européens n'interdisent pas la création d'un organisme indépendant doté de pouvoirs de contrôle27(*), la commission des affaires européennes préconise de créer un véritable « comité d'éthique européen » qui serait indépendant à l'égard des institutions participantes et qui :

- serait compétent, non seulement à l'égard des membres des institutions participantes mais aussi de leurs personnels. Simultanément, il ne fixerait pas de normes pour les délégations nationales siégeant au Conseil afin de ne pas faire « doublon » avec les règles déontologiques nationales qu'elles doivent déjà respecter ;

- bénéficierait d'une faculté d'auto-saisine sur les potentielles atteintes à l'éthique et d'un pouvoir d'enquête, afin de pouvoir rendre des avis (individuels et confidentiels) et des recommandations (publiques et ayant valeur d'orientations générales) à destination des institutions. En pratique, ces enquêtes bénéficieraient de l'appui des autorités nationales compétentes, de la Médiatrice de l'Union européenne, de la Cour des comptes de l'Union européenne et de l'Office européen de lutte antifraude (OLAF) ;

- devrait contrôler les mobilités des membres et personnels des institutions européennes vers le secteur privé ou vers des structures liées à un pays tiers (« pantouflage ») ;

- serait responsable de la collecte, de la publication et du contrôle des déclarations d'intérêts des membres des institutions européennes. En complément, de telles déclarations d'intérêts devraient être imposées aux directeurs généraux et directeurs de ces institutions et une réflexion sur l'opportunité de mettre en oeuvre une obligation de déclaration de patrimoine pour les intéressés, en début et en fin de fonction, devrait être menée ;

- assurerait désormais le secrétariat du registre commun de transparence (qui recense les représentants d'intérêts souhaitant influencer les décisions de l'Union européenne) 28(*), registre qui, à l'heure actuelle, est tenu par un secrétariat commun à la Commission européenne et au Parlement européen et n'est pas véritablement contrôlé ;

- enfin, établirait chaque année, dans le cadre du cycle de suivi de l'État de droit, un rapport de vérification du respect de l'État de droit par les institutions de l'Union européenne elles-mêmes, en particulier en matière de lutte contre la corruption et de prévention des conflits d'intérêts.

B) SOUTENIR LES RÉFORMES INTERNES MENÉES PAR LE PARLEMENT EUROPÉEN POUR TIRER LES LEÇONS DU « QATARGATE »

La commission des affaires européennes constate tout d'abord que le scandale du « Qatargate » a constitué une « déflagration » démocratique », semant le doute sur l'intégrité de l'ensemble des responsables publics dans l'Union européenne.

En conséquence, elle salue les réformes éthiques internes adoptées rapidement par le Parlement européen au cours de l'année 2023, sur la base des « 14 points » définis par sa Présidente, Mme Roberta Metsola, en janvier 2023. À cet égard, elle souligne l'importance de la transparence accrue des déclarations d'intérêts des parlementaires, de l'introduction d'une déclaration de patrimoine pour ces mêmes parlementaires et de l'instauration d'un régime interne de protection des « lanceurs d'alerte ».

C) MIEUX ENCADRER À L'ÉCHELLE EUROPÉENNE L'ACTIVITÉ DES REPRÉSENTANTS D'INTÉRÊTS AGISSANT POUR LE COMPTE DE PAYS TIERS

Au titre des mesures de prévention de la corruption, la commission des affaires européennes relève également la proposition de directive COM(2023) 637 final destinée à mieux encadrer l'activité des représentants d'intérêts travaillant pour le compte de pays tiers, qui s'inscrit dans la même logique que le projet d'accord interinstitutionnel visant à créer un organisme éthique interinstitutionnel, déjà évoqué, et que la proposition de directive de lutte contre la corruption, examinée ci-après. Elle constate en effet que la transparence de l'activité de représentation d'intérêts, qui a pour but de peser sur l'élaboration ou la mise en oeuvre des politiques européennes, doit être garantie pour préserver un fonctionnement satisfaisant du débat démocratique. En effet, cette activité présente le risque, par nature, de pouvoir être instrumentalisée par des pays tiers désireux de fragiliser l'Union européenne et ses États membres.

À cet égard, la commission des affaires européennes confirme la pertinence de la mise en place, en 2021, d'un registre commun de transparence et d'un code de conduite pour l'enregistrement des représentants d'intérêts souhaitant rencontrer les membres et personnels du Parlement européen, du Conseil et de la Commission européenne. En revanche, comme déjà indiqué, elle s'interroge sur la réalité des contrôles effectués sur la base de ce registre, ce qui explique sa proposition de confier ce contrôle au futur comité d'éthique européen.

Elle prend acte de la nouvelle proposition de directive COM(2023) 637 mais constate que, loin de renforcer le contrôle des représentants d'intérêts agissant pour le compte de pays tiers, cette réforme semble amoindrir ces contrôles en introduisant une procédure d'enregistrement unique pour l'Union européenne, tout en laissant aux représentants d'intérêts le choix de leur État membre d'inscription (ce qui engendre le risque qu'ils s'inscrivent tous dans l'État membre le « moins disant ») et en interdisant aux États membres les plus avancés (dont la France fait partie) de maintenir des dispositions nationales plus strictes. Elle constate également que les entreprises de corruption ne proviennent pas toujours de pays tiers mais également d'acteurs européens.

Elle rejette donc « l'uniformisation par le bas » prévue par la réforme envisagée et souhaite lui substituer une réforme ambitieuse et pragmatique basée sur les principes suivants : mise en oeuvre, par les États membres, des recommandations du rapport annuel sur l'État de droit relatives aux représentants d'intérêts ; intégration pleine et entière des institutions européennes et de leur registre de transparence dans le champ de la réforme visant à mieux encadrer l'activité des représentants d'intérêts travaillant pour le compte de pays tiers ; suppression de la disposition interdisant à un État membre d'aller plus loin dans la régulation des représentants d'intérêts ; insertion d'une exception d'ordre public ou de sécurité nationale permettant à un État membre de refuser la reconnaissance d'un représentant d'intérêts enregistré dans un autre État membre ; affirmation du principe de coopération loyale et de l'échange d'informations entre autorités nationales compétentes au sein du réseau européen d'éthique publique, constitué par la HATVP.

D) REVOIR LE FINANCEMENT DES PARTIS POLITIQUES EUROPÉENS

La commission des affaires européennes constate que la prévention de la corruption et des ingérences étrangères au niveau européen passe également par un renforcement des dispositions encadrant le financement des partis politiques européens et des fondations politiques européennes, et rappelle à ce titre les préconisations qu'elle a faites au Gouvernement dans sa proposition de résolution européenne devenue résolution du Sénat n°122 le 21 mars 2022, à savoir :

- marquer son opposition au dispositif de la proposition de règlement relatif au statut et au financement des partis politiques européens et des fondations politiques européennes COM(2022) 734 final, présentée le 25 novembre 2021 et toujours en discussion29(*), qui autoriserait les partis politiques européens à bénéficier, dans la limite de 10% des contributions totales versées par leurs partis membres, de contributions financières versées par des partis membres ayant leur siège dans un pays appartenant au Conseil de l'Europe, puisque ce dispositif favoriserait les ingérences étrangères dans leur fonctionnement ;

- s'interroger de nouveau sur l'opportunité de maintenir la possibilité actuelle pour les partis politiques européens d'être financés par des personnes morales, au regard de la nécessaire préservation de l'intégrité des élections européennes contre toute tentative de manipulation.

III) MIEUX LUTTER CONTRE LA CORRUPTION

A) SOUTENIR LA PROPOSITION DE DIRECTIVE DE LUTTE CONTRE LA CORRUPTION

La proposition de directive COM(2023) 234 final30(*), relative à la lutte contre la corruption, présentée le 3 mai 2023 par la Commission européenne, est sans doute l'une des réformes les plus importantes préparées par l'actuel collège des commissaires européens.

Ce texte vise en effet à harmoniser, au niveau européen, les infractions pénales liées aux atteintes à la probité et leur sanction pénale, avec une réelle ambition. Elle pose également des bases solides pour accroître les efforts de prévention de la corruption, en imposant à chaque État membre, comme c'est déjà le cas dans notre pays, de se doter d'un organisme spécialisé dans cette prévention.

C'est pourquoi, tout en déplorant le calendrier tardif de dépôt de cette réforme et l'absence d'analyse d'impact pour en justifier les dispositions, la commission des affaires européennes souhaite apporter un soutien de principe à ce texte majeur.

En complément, la présente proposition de résolution européenne :

- demande que les organismes spécialisés dans la prévention de la corruption bénéficient bien d'une indépendance statutaire ou fonctionnelle, comme la HATVP ou l'agence française anticorruption (AFA), et que soit préservée la possibilité d'une « harmonisation par le haut » des dispositifs des États membres dans le domaine de la lutte contre la corruption ;

- estime que l'obligation d'information imposée aux organismes de répression de la corruption doit être conciliée avec le maintien de l'efficacité de leurs enquêtes et poursuites ;

- prend acte de l'extension de la responsabilité pénale des personnes morales en cas de défaut de surveillance et de contrôle mais demande, dans ce cadre, la préservation des spécificités de la responsabilité pénale des collectivités territoriales (responsabilité pénale « conditionnée ») et du régime applicable aux élus locaux en cas de délit non intentionnel (« Loi Fauchon »), actuellement prévus en droit français, dans l'hypothèse où une collectivité territoriale serait mise en cause pénalement pour défaut de surveillance ou de contrôle ;

- souhaite l'harmonisation des délais de prescription proposés sur une durée de six ans, comme en droit français.

B) RENFORCER « L'ARSENAL » JURIDIQUE ET OPÉRATIONNEL CONTRE LA CORRUPTION

En complément du soutien exprimé au dispositif de la proposition de directive de lutte contre la corruption, la commission des affaires européennes souhaite conforter les dispositifs opérationnels européens visant à combattre les réseaux criminels, qui sont à l'origine d'un grand nombre de faits de corruption, et rappeler que les exigences de la lutte contre la corruption font partie de l'acquis communautaire. Sur ce point, elle :

- préconise une action plus ferme contre les réseaux de criminalité qui usent massivement de la corruption pour commettre d'autres infractions graves, ce qui implique : soutien au renforcement des moyens d'Europol et, en France, de l'office central pour la répression de la délinquance financière de la police judiciaire et de Tracfin ; appui à la feuille de route de l'Union européenne en matière de lutte contre le trafic de drogue, adoptée le 18 octobre 2023, qui préconise en particulier de « suivre l'argent » des réseaux criminels pour faciliter leur démantèlement ; demande de déploiement rapide de « l'alliance des ports européens » annoncée le 24 janvier dernier, qui doit mobiliser autorités politiques, services répressifs, grands acteurs portuaires et compagnies maritimes contre le trafic de drogue et les « chaînes de corruption » que ces réseaux y ont implantées ;

- approuve l'accord intervenu le 12 décembre 2023, sur l'actualisation de la proposition de directive relative au recouvrement et à la confiscation d'avoirs, qui renforce les dispositifs de recouvrement de ces avoirs31(*) et étend le champ possible des confiscations, ainsi que l'accord obtenu, le 13 décembre 2023, sur la révision de la réglementation européenne de lutte contre le blanchiment de capitaux32(*). En cette matière, elle soutient la candidature de Paris pour héberger le siège de la nouvelle autorité européenne de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (ALBC) ;

- souhaite que la réforme envisagée préserve les compétences du Parquet européen, qui agit contre les infractions de corruption et de blanchiment liées à des atteintes aux intérêts financiers de l'Union européenne, et encourage l'approfondissement de sa coopération opérationnelle avec les autorités et services compétents des États membres 33(*) ;

- salue la communication conjointe de la Commission européenne et du Haut-représentant de l'Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité du 3 mai 202334(*) qui confirme que la lutte contre la corruption est l'un des objectifs de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) ;

- prend note avec satisfaction de l'engagement répété des institutions européennes pour donner la priorité à la lutte contre la corruption dans les politiques européennes d'élargissement et de voisinage, et confirme que les pays candidats à l'adhésion à l'Union européenne (Ukraine ; Moldavie ; Bosnie-Herzégovine et autres pays des Balkans occidentaux ; Géorgie) doivent, comme les autres, respecter intégralement l'acquis communautaire dans ce domaine.


* 1 Discours sur l'état de l'Union 2022, prononcé le 14 septembre 2022.

* 2 Étude « Strengthening the fight against corruption : assessing the EU legislative and policy framework », élaborée par les cabinets EY (I. Gaglio ; J. Guzzon ; K. Bartz ; L. Marcolin ; R. Kryeziu) et RAND Europe (E. Disley ; J. Taylor ; S. Hulme) pour la direction générale « Affaires intérieures » de la Commission européenne, 15 décembre 2022.

* 3 Danemark (1er) ; Finlande (2) ; Suède (6ème) ; Pays-Bas (8ème) ; Allemagne (9ème) ; Luxembourg (10ème) ; Irlande (11ème) ; Estonie (12ème) ; Belgique (16ème) ; Autriche et France (20èmes ex aequo).

* 4 Résolution 58/4 de l'Assemblée générale des Nations unies du 31 octobre 2003.

* 5 Convention du 21 novembre 1997.

* 6 Deuxième addendum au Deuxième rapport de conformité (France) ; Quatrième cycle d'évaluation (prévention de la corruption des parlementaires, des juges et des procureurs), 30 janvier 2024.

* 7 « L'Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d'égalité, d'État de droit ainsi que de respect des droits de l'homme (...). »

* 8 Communications COM(2020) 605 final du 24 juillet 2020 et COM(2021) 170 final du 14 avril 2021.

* 9 Acte du Conseil du 26 mai 1997 établissant la convention établie sur la base de l'article K.3 paragraphe 2 point c) du traité sur l'Union européenne, relative à la lutte contre la corruption impliquant des fonctionnaires des Communautés européennes ou des fonctionnaires des États membres de l'Union européenne.

* 10 Décision-cadre 2003/568/JAI du Conseil du 22 juillet 2003 relative à la lutte contre la corruption dans le secteur privé.

* 11 Directive (UE) 2018/843 du 30 mai 2018.

* 12 Directive 2014/42/CE du 3 avril 2014 et règlement (UE) 2018/1805 du 14 novembre 2018. Ce cadre juridique est en cours de modification (proposition de directive COM(2022) 245 final).

* 13 À cet égard, il faut mentionner la directive (UE) 2017/1371 du 5 juillet 2017 relative à la lutte contre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union au moyen du droit pénal (directive « PIF »), le règlement relatif aux règles financières applicables au budget général de l'Union européenne (règlement (UE) 2018/1046 ; ce texte comprend des dispositions destinées à minimiser les risques de corruption dans les marchés publics et l'attribution des financements européens), la stratégie anti-fraude présentée par la Commission européenne pour protéger le budget de l'Union européenne (communication COM (2019) 196 final du 29 avril 2019) et les règlements (UE) 2021/1060 et 2021/2116 relatifs au contrôle des fonds européens.

* 14 Les prérogatives de ce dernier ont été posées par le règlement (UE) 2017/1939 du 12 octobre 2017.

* 15 Directive (UE) 2019/1937 du 23 octobre 2019

* 16 Voir les règlements du Conseil (UE) 2021/1275 du 30 juillet 2021 et (UE) 2023/888 du 28 avril 2023 imposant des mesures restrictives au Liban et à la Moldavie.

* 17 Exposé des motifs de la proposition de directive relative à la lutte contre la corruption COM(2023) 234 final, p1.

* 18 Cette estimation, avancée par la Commission européenne depuis 2014 et à nouveau dans l'exposé des motifs de la proposition de directive relative à la lutte contre la corruption (p 1), n'est malheureusement jamais détaillée. Elle est fondée sur les analyses de diverses institutions et organes (Chambre de commerce internationale ; Transparency international ; Pacte mondial des Nations unies ; Forum économique mondial).

* 19 D'autres États membres sont appelés à adopter ou à renforcer leur encadrement du lobbying : Allemagne ; Autriche ; Belgique ; Croatie ; Espagne ; Hongrie ; Irlande ; Italie ; Lettonie ; Luxembourg ; Pays-Bas ; Pologne ; Roumanie ; Slovaquie.

* 20 Autriche ; Chypre ; Danemark ; Espagne ; Estonie ; Irlande ; Italie ; Hongrie ; Pologne ; Portugal ; République tchèque ; Slovaquie.

* 21 Enquête ouverte le 3 février 2021. Décision du 16 mai 2022.

* 22 Enquête ouverte le 26 novembre 2021.

* 23 Enquête ouverte le 3 mars 2023.

* 24 Eurobaromètre 2023.

* 25 Communication de la Commission européenne au Parlement européen, au Conseil européen, au Conseil, à la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), à la Banque centrale européenne (BCE), à la Cour des comptes de l'Union européenne, au Comité économique et social européen et au Comité des régions.

* 26 L'organe d'éthique européen qui doit remédier à cette faiblesse serait institué par un accord interinstitutionnel, applicable au Conseil européen, au Conseil, au Parlement européen, à la Commission européenne, à la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), à la Banque centrale européenne (BCE), à la Cour des comptes de l'Union européenne, au Comité économique et social européen, au Comité des régions, et, si elle en manifeste le souhait, à la Banque européenne d'investissement (BEI).

* 27 À cet égard, voir l'étude (EN) « Strengthening transparency and integrity via the new Independent Ethics body (IEB) » (Renforcer la transparence et l'intégrité par la création d'un nouvel organisme éthique indépendant), rédigée par le professeur Markus Frischuutn L.L.M., chaire Jean Monnet « Valeurs européennes et numérisation au service de notre communauté », MCI, The entrepreneurial school, Innsbrück, Autriche, pour le département des droits des citoyens et des affaires constitutionnelles de la direction générale des études internes du Parlement européen , octobre 2020.

* 28 Selon l'article 18-2 de la loi n°2023-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique (ou « loi Sapin »), « Sont des représentants d'intérêts (...) les personnes morales de droit privé, les établissements publics ou groupements publics exerçant une activité industrielle et commerciale (...) dont un dirigeant, un employé ou un membre a pour activité principale ou régulière d'influer sur la décision publique, notamment sur le contenu d'une loi ou d'un acte réglementaire en entrant en communication avec » une liste exhaustive de responsables publics (membres du Gouvernement ; parlementaires ; collaborateurs du Président de la République , personnes dirigeant une autorité administrative indépendante ou une commission administrative dotée d'un pouvoir de sanction ; maires et présidents de collectivités territoriales et de leurs groupements) ou des agents publics. »

* 29 Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif au statut et au financement des partis politiques européens et des fondations politiques européennes du 25 novembre 2021, COM(2022) 734 final.

* 30 Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à la lutte contre la corruption, remplaçant la décision-cadre 2003/568/JAI du Conseil et la convention relative à la lutte contre la corruption impliquant des fonctionnaires des Communautés européennes ou des fonctionnaires des États membres de l'Union européenne, et modifiant la directive (UE) 2017/1371 du Parlement européen et du Conseil, COM(2023) 234 final.

* 31 COM (2022) 245 final.

* 32 Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant l'Autorité de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme et modifiant les règlements (UE) n°1093/2010, (UE) n°1094/2010 et (UE) n°1095/2010 du 20 juillet 2021, COM(2021) 421 final ; proposition de règlement relatif à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment des capitaux ou du financement du terrorisme du 20 juillet 2021, COM(2021) 420 final ; proposition de directive relative aux mécanismes à mettre en place par les États membres pour prévenir l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme et abrogeant la directive (UE) n°2015/849 du 20 juillet 2021, COM(2021) 423 final.

* 33 Au 31 décembre 2022, le Parquet européen avait ouvert 1 117 enquêtes, dont 116 sur des dossiers de blanchiment et 87 sur des faits de corruption.

* 34 JOIN(2023) 12 final.

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