II. DE FORTES MAIS NÉCESSAIRES CONTRAINTES PESANT SUR LES ENTREPRISES

La directive CSRD et les ESRS constituent une obligation de transparence et non une exigence de comportement. L'entreprise doit dire ce qu'elle fait mais n'a pas d'obligation à faire ce qui est listé si cela n'est pas mis en place. Ainsi, ils ne prescrivent pas la mise en place d'un plan de transition pour l'atténuation du changement climatique, mais exigent des informations détaillées et spécifiques à ce sujet dès lors qu'un tel plan est en place.

A. UN TRIPLE ENJEU POUR LES ENTREPRISES

1. Accéder au financement

« La directive CSRD consiste à apporter de la rigueur dans ce que les entreprises doivent dire aux financiers pour que ceux-ci puissent effectuer leur travail d'allocation du capital dans la direction de la durabilité », selon Thierry Philipponnat, chef économiste à Finance Watch, organisation non-gouvernementale européenne dont la vocation est de favoriser une industrie financière responsable et durable, entendu lors de la table ronde organisée par la délégation aux Entreprises le 14 décembre 2023.

En effet, selon BlackRock, l'un des premiers fonds d'investissement au monde : « de nombreux clients institutionnels ont pris des engagements en la matière, que ce soit au travers de coalitions d'investisseurs ou de manière indépendante. Ces clients cherchent à comprendre comment mettre en oeuvre ces engagements, par exemple par des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre liées à leur portefeuille d'investissement. Ils se demandent également comment investir dans la transition ».

La finance responsable prend une place croissante dans le financement des entreprises. Elle recouvre l'ensemble des initiatives et réglementations visant à favoriser des investissements dits socialement responsables (ISR).

La définition du caractère socialement responsable se fait selon une grille de critères ESG : environnementaux (E), sociaux (S) et de gouvernance (G). La finance socialement responsable repose donc sur une épargne investie sur des projets qui concilient conjointement, d'une part, la performance financière, d'autre part, le respect de l'environnement (E), la considération et le bien-être des salariés (S : dialogue social, formation des salariés, emploi de personnes en situation de handicap, prévention des risques, conformité réglementaire, etc.), enfin les bonnes pratiques de gouvernance (G : transparence de la rémunération des dirigeants, lutte contre la corruption, féminisation des conseils d'administration, etc.).

Les stratégies d'investissements responsables peuvent revêtir plusieurs formes :

• des stratégies d'exclusion : certaines entreprises sont exclues, partiellement ou totalement, en raison de la nature de leur activité (par exemple : énergies fossiles, armes controversées, tabac).

• des stratégies positives : l'investissement est privilégié dans des secteurs particuliers comme les énergies renouvelables, la captation du carbone.

• des stratégies d'incitation des entreprises afin de les informer de leur score ESG et les inciter à améliorer leurs pratiques.

La finance verte recouvre les initiatives et réglementations qui visent à faciliter les investissements avec impact positif sur l'environnement (milieux, écosystèmes) en favorisant la transition énergétique et la lutte contre le réchauffement climatique. Il s'agit de pratiques financières ayant une thématique plus ciblée car concentrées exclusivement sur le pilier environnemental.

L'investissement socialement responsable applique les principes du développement durable à l'investissement. Créé en 2016, le label ISR est un label d'État qui permet d'investir dans des supports d'épargne intégrant dans leur gestion des principes environnementaux, sociaux et de gouvernance. Ainsi, les fonds labélisés ISR ne prennent pas uniquement en compte des critères financiers de performance et de rendement.

Une nouvelle version du label ISR entre en vigueur à partir du 1er mars 2024 et fait de l'impact climatique un principe clef du label afin de mieux répondre aux attentes des épargnants et à l'urgence climatique. Désormais, les fonds ISR excluront les entreprises qui :

i) exploitent du charbon ou des hydrocarbures non conventionnels,

ii) lancent de nouveaux projets d'exploration, d'exploitation, de raffinage d'hydrocarbures (pétrole et gaz).

Pour accompagner les entreprises dans leur transition écologique, 15 % des portefeuilles des fonds ISR devront, dès 2026, être investis dans les secteurs à fort impact avec des plans de transition alignés sur les accords de Paris. Ce seuil sera progressivement relevé année après année. L'intérêt du label étant de labelliser des fonds, il a aussi un impact sur les entreprises.

« Nous avons intégré la double matérialité. Ce sujet n'existait pas en 2015-2016. D'une manière générale, nous avons essayé d'utiliser le plus possible les textes européens. La double matérialité signifie que nous demandons aux fonds d'expliciter les incidences négatives des entreprises qui sont dans le fonds. À mesure que les entreprises exprimeront leurs indicateurs d'incidence négative (PAI)20(*), les fonds les rendront publics. Il s'agit d'un premier pas. Dans un second temps, nous mettrons des obligations et des exigences en matière de résultat. Les fonds labellisés doivent déjà désigner deux indicateurs, dont l'un d'incidence négative, sur lesquels ils doivent être meilleurs que leur univers de départ » a indiqué Michèle Pappalardo, présidente du comité de réforme du label ISR, lors de la table ronde du 14 décembre 2023.

2. Accéder à la commande publique

La commande publique constitue un levier de transformation au service des politiques publiques, et représente chaque année plus de 200 milliards d'euros pour 130 000 acheteurs publics qui passent 800 000 marchés publics en France.

Les PME françaises couvrent 60 % des contrats en nombre mais seulement 30 % en valeur. Ainsi, la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets (loi « Climat et résilience ») érige en principe de la commande publique, à l'instar de la liberté d'accès, de l'égalité de traitement et de la transparence des procédures, la « participation à l'atteinte des objectifs de développement durable ».

Désormais, les Schémas de Promotion des Achats Socialement et Écologiquement Responsables (SPASER) doivent inclure des « indicateurs précis [...] sur les taux réels d'achats publics relevant des catégories de l'achat socialement et écologiquement responsable » et fixer « des objectifs cibles en matière d'achats réalisés auprès des entreprises solidaires d'utilité sociale [...] ou auprès des entreprises employant des personnes défavorisées ou appartenant à des groupes vulnérables ». La loi n° 2023-973 du 23 octobre 2023 relative à l'industrie verte, prévoit ainsi deux nouveaux motifs généraux d'exclusion à l'appréciation de l'acheteur, applicables aux procédures de passation pour lesquelles une consultation a été engagée ou un avis d'appel à la concurrence a été envoyé à compter de la publication de la loi. L'exclusion est possible lorsqu'une entreprise n'a pas satisfait à son obligation :

- d'établir le bilan de ses émissions de gaz à effet de serre (BEGES)21(*), prévue par l'article L.229-25 du code de l'environnement, pour l'année qui précède l'année de publication de l'avis d'appel à la concurrence ou d'engagement de la consultation. Cette obligation impose d'élaborer un diagnostic précis des émissions de gaz à effet de serre, accompagné d'un plan de transition, en vue d'identifier et de mobiliser des leviers de réduction de ces émissions ;

- de publier les informations en matière de durabilité de la directive CSRD.

Par ailleurs la notion d'offre économiquement la plus avantageuse est précisée, notamment par la prise en compte du critère environnemental et pourra « être déterminée sur le fondement d'une pluralité de critères non discriminatoires et liés à l'objet du marché ou à ses conditions d'exécution, parmi lesquels figurent le critère du prix ou du coût et un ou plusieurs autres critères comprenant des aspects qualitatifs, environnementaux ou sociaux ».

L'octroi d'aides publiques à la transition écologique et énergétique est désormais conditionné à la transmission des informations relatives à la mise en oeuvre de cette obligation pour les entreprises de plus de 500 salariés et à l'établissement d'un BEGES simplifié pour les entreprises de 50 à 500 salariés.

La prise en considération de préoccupations environnementales sera à l'horizon 2026 (en raison de l'effet différé de la plupart de ces dispositions) présente à tous les stades de la procédure de mise en concurrence : définition du besoin, critères de choix des offres et conditions d'exécution du marché. Les entreprises ne peuvent donc plus ignorer ces écoconditionnalités pour accéder à la commande publique.

3. Accéder aux marchés de demain

Les différentes auditions conduites se sont accordées sur le double constat de l'inéluctabilité de la transformation de l'entreprise et des opportunités que la directive CSRD peut créer. Face aux préoccupations croissantes des consommateurs, de plus en plus sensibles aux enjeux environnementaux et sociaux, et à l'attention accrue des organisations non gouvernementales (ONG) aux activités des entreprises, la conformité du reporting de durabilité à la directive CSRD constituera un enjeu majeur pour les entreprises, leur permettant d'afficher une conduite exemplaire et d'éviter d'éventuels risques réputationnels.

Dans sa contribution adressée à la délégation aux Entreprises, le Pacte mondial Réseau France a souligné que : « Alors que la transition vers la neutralité carbone et un monde plus viable est une nécessité, les entreprises qui adoptent de fait un modèle d'affaires plus résilient et pérenne seront mieux préparées pour faire face aux enjeux futurs. La CSRD ouvre ainsi la voie à un secteur privé plus responsable, éthique et respectueux de la planète, et qui créera de nouvelles possibilités d'innovation, d'investissement et d'emploi ».


* 20 Les Principales Incidences Négatives (PAI) ont été définies par l'Union européenne comme « des effets négatifs, importants ou susceptibles d'être importants sur les facteurs de durabilité qui sont causés, aggravés par ou directement liés aux décisions d'investissement et aux conseils fournis par l'entité juridique ».

* 21 Les sanctions financières encourues en cas de non-respect de l'obligation d'établir un BEGES ont été par ailleurs augmentées.

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