D. UNE DIRECTIVE TRANSPOSÉE PAR ORDONNANCE ET APPLIQUÉE PROGRESSIVEMENT

En France, l'article 12 de la loi n°2023-171 du 9 mars 2023 portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans les domaines de l'économie, de la santé, du travail, des transports et de l'agriculture (dite « loi DDADUE 2023 ») a habilité le Gouvernement à légiférer par voie d'ordonnance dans un délai de neuf mois pour transposer cette directive en droit français.

Sur le fond, la commission des Finances du Sénat, dans son avis du 6 décembre 2022, a soutenu le principe de la directive CSRD : « Au-delà des seules conséquences financières des données extra-financières des entreprises, il semble indispensable que les entreprises fournissent davantage d'informations aux différents publics sur les conséquences de leurs activités sur l'environnement. De ce point de vue, l'évolution proposée par le droit de l'Union européenne en faveur de la communication d'informations standardisées et auditées constitue une avancée indéniable » la directive devant « permettre la production de données pertinentes, fiables et robustes dans un langage commun à tous, ce qui sera profitable à l'ensemble des acteurs, y compris les entreprises productrices de données elles-mêmes ». Elle a même regretté son caractère « bien tardif ». Bien que les auditions conduites aient souligné que les standards proposés par l'EFRAG étaient jugés trop exigeants par une partie des entreprises, la commission des Finances a estimé « indispensable que l'Union européenne montre l'exemple et adopte des standards élevés, tant du point de vue social qu'environnemental », car « l'urgence climatique exige la mise en place de ce cadre exigeant : nos entreprises doivent être transparentes sur l'effet de leurs activités sur leur environnement et sur les actions qu'elles réalisent pour limiter leur impact climatique ».

Sur la forme, elle a veillé à ce que cette transposition ne se superpose pas avec les obligations déjà existantes dans notre droit national, sans quoi on aurait fait peser « des contraintes administratives non justifiées » sur les entreprises. Afin « d'alléger une partie des obligations issues de notre droit national, dès lors que les nouvelles exigences européennes s'y substitueraient », elle a proposé une nouvelle rédaction de l'habilitation, qui aurait été ainsi plus encadrée.

En séance, le 13 décembre 2022, la disposition habilitant le Gouvernement à procéder par ordonnance a été supprimée par le Sénat notamment en raison de l'absence d'« évaluation du coût financier et organisationnel » de la mise en oeuvre de la directive pour les petites et moyennes entreprises et les entreprises de taille intermédiaire nouvellement assujetties aux obligations déclaratives en raison principalement de l'insuffisance de l' étude d'impact.

Tout en reconnaissant la pertinence de ce dernier argument17(*), l'Assemblée nationale a rétabli cette autorisation, dans une version modifiée par rapport à celle figurant dans le projet de loi initial. L'habilitation conférée au Gouvernement pour agir par ordonnance a été nettement plus circonscrite que dans le texte initial

L' ordonnance n°2023-1142 du 6 décembre 2023 relative à la publication et à la certification d'informations en matière de durabilité et aux obligations environnementales, sociales et de gouvernement d'entreprise des sociétés commerciales vient ainsi transposer en droit français les mesures contenues dans la directive. Elle est précédée d'un rapport au Président de la République qui explicite les modifications qu'elle apporte.

L'ordonnance a été complétée par un décret n° 2023-1394 du 30 décembre 202318(*) qui :

- précise les seuils applicables aux définitions des différentes tailles de sociétés et de groupes de sociétés ;

- détermine le type d'informations en matière de durabilité devant être établies et publiées par les différentes sociétés concernées ;

- précise les règles applicables au rapport financier annuel des émetteurs ;

- adapte la mission des commissaires aux comptes de certification des informations en matière de durabilité, notamment en créant l'autorité publique indépendante de supervision, la Haute autorité de l'audit, et en définissant les organismes tiers indépendants et auditeurs des informations en matière de durabilité qui y sont attachés.

La directive CSRD comporte ou maintient trois légères surtranspositions :

• une extension aux mutuelles, à certains groupements d'assurances, aux coopératives agricoles ;

• un engagement de lutte contre la corruption et l'évasion fiscale ;

• la promotion des réserves militaires19(*).

Ce corpus normatif alourdit un environnement juridique des entreprises particulièrement instable en matière de définition de la durabilité et de son cadre extra-financier. Pour mémoire, le contenu de la déclaration de performance extra-financière (DPEF) a été modifié 21 fois en 21 ans.

Une pause s'impose sur les obligations de reporting, afin de permettre aux entreprises de s'approprier non seulement la directive CSRD dans sa dimension actuelle, mais également le projet de directive CSDD proposé par la Commission européenne le 23 février 2022 et toujours en voie de négociation. Aucune nouvelle information de durabilité ne devrait être ajoutée jusqu'à l'application totale de la directive CSRD, c'est-à-dire jusqu'en 2028.

Pour Marion Canalès, ce gel des informations de durabilité ne doit pas être compris comme un désaveu des négociations en cours sur la directive CSDD, qui est, pour elle, le corollaire de la directive CSRD.

La délégation recommande...

... de geler le périmètre des informations de durabilité
jusqu'à l'application totale de la directive CSRD


* 17 « La modification de l'article 8 ne répond en revanche pas à l'objection formulée par le Sénat concernant l'absence alléguée d'évaluation du coût financier et organisationnel pour les petites et moyennes entreprises et les entreprises de taille intermédiaire directement ou indirectement assujetties aux obligations déclaratives. Sur ce point, le rapporteur souligne la difficulté d'évaluer précisément ce coût ». Rapport de Mme Laurence Cristol n°748 du 18 janvier 2023 de la commission des affaires sociales sur le projet de loi, adopté, par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans les domaines de l'économie, de la santé, du travail, des transports et de l'agriculture (n°619).

* 18 Déjà modifié par un décret n° 2024-60 du 31 janvier 2024 qui a modifié l'entrée en vigueur de certaines dispositions du décret d'application, pour la fixer au 1er février 2024.

* 19 Le contenu de la déclaration de performance extra-financière (DPEF) a été dernièrement étendu par la loi n° 2023-703 du 1er août 2023 relative à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense aux « informations relatives [...] aux actions visant à promouvoir le lien Nation-armée et à soutenir l'engagement dans les réserves [...] ».

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