B. AU PLAN ÉCONOMIQUE, À « LA DÉCENNIE DORÉE » DU DÉBUT DES ANNÉES 2000 A SUCCÉDÉ UNE « DÉCENNIE PERDUE » DES ANNÉES 2010-2020

1. Un bilan économique positif des premiers mandats de Lula (2003-2011)

Au cours de la première décennie des années 2000, le Brésil a connu une amélioration significative de sa situation économique marquée notamment par un taux de croissance annuel de son PIB de plus de 4 % en moyenne entre 2003 et 2011 et une baisse du taux de chômage de l'ordre de 30 %.

PIB et croissance du PIB brésiliens entre 2000 et 2021

Source : banque mondiale

Évolution du taux de chômage brésilien entre 2000 et 2021

(en %)

Source : banque mondiale

Cette période s'est en outre caractérisée par une distribution plus équitable des revenus du travail. Cette évolution a été permise par une croissance économique solide ainsi que la mise en place de politiques sociales : augmentation du salaire minimum, lancement de programmes sociaux tels que « Bolsa Família » et « Beneficio de Prestacão Continuada » et de programmes d'aide à l'éducation et au logement tels que « Minha Casa Minha Vida ».

Au total, comme le rappelle Bruno Meyerfeld8(*), « grâce à ses programmes sociaux, 40 millions de Brésiliens sortent de la pauvreté, la faim est éradiquée [...] et toute une génération accède enfin à l'université ».

Pour Frédéric Louault9(*), ces années ont constitué pour le Brésil « une “ décennie dorée ” (2003-2011) marquée par la croissance, les créations d'emplois et la hausse des salaires, la confiance des consommateurs et des investisseurs et une belle attractivité internationale. Ce modèle s'est appuyé sur une insertion renforcée dans le capitalisme global, à travers notamment un boom des exportations de matières premières, dont les cours étaient élevés ».

2. Si l'année 2022 a pu surprendre par son dynamisme, la dernière décennie s'est globalement caractérisée par une croissance atone et une dégradation des comptes publics brésiliens

Selon les chiffres de la Banque mondiale, au cours de la dernière décennie, la croissance du PIB brésilien s'est élevée à 0,6 % en moyenne annuelle.

Cette faiblesse de la croissance de l'économie s'est accompagnée d'une diminution du PIB par habitant : alors qu'il avait enregistré une croissance soutenue lors de la décennie précédente, le pays a vu son PIB par habitant diminuer de 8,15 % entre 2011 et 2020, passant de 15 394 dollars (en parité de pouvoir d'achat constant) à 14 140 dollars.

Évolution du PIB brésilien par habitant entre 2011 et 2021

(en dollars, parité de pouvoir d'achat constant)

Source : Banque mondiale

Dans une note d'avril 2021, le service économique régional de Brasilia estime que les années 2010-2020 ont constitué une « décennie perdue » pour le Brésil.

Plusieurs facteurs ont contribué à cette détérioration des performances économiques du pays :

- le Brésil a souffert de la fin de l'augmentation du prix des matières premières et des taux d'intérêt bas aux États-Unis, ce qui a eu un impact négatif sur sa croissance. Sa dépendance vis-à-vis des exportations de matières premières a de surcroît rendu son économie vulnérable aux fluctuations des prix sur les marchés mondiaux ;

- si la crise financière mondiale de 2008 a eu peu d'effets directs et immédiats sur le Brésil, la détérioration des conditions économiques mondiales s'est traduite par un ralentissement de sa croissance économique au cours de la décennie suivante ;

- la gouvernance du pays a été remise en cause par des scandales de corruption, ce qui a nui à la confiance des investisseurs ;

- la pandémie de Covid-19, qui a causé près de 700 000 décès dans le pays et a été à l'origine d'une grave récession.

Au regard de la relative atonie de l'économie brésilienne au cours des dix dernières années, 2022 a pu surprendre par son dynamisme (+ 2,9 %), après une année 2021 elle-même marquée par un rebond du PIB post-Covid 19 (+ 5 %).

Corollaire de cette dynamique, le marché du travail a également affiché de bons résultats. Le taux de chômage a poursuivi sa baisse tout au long de l'année pour atteindre 7,9 % au quatrième semestre 2022, après un pic à 14,9 % atteint en début d'année 2021.

Cette amélioration devrait cependant être temporaire avec un ralentissement attendu de la croissance dès 2023.

En effet, selon le FMI, le PIB brésilien ne devrait croître que de 1,2 % en 2023. Ce ralentissement résulte de plusieurs facteurs : i) une politique monétaire restrictive de la Banque centrale du Brésil (BCB), avec des taux d'intérêt réels parmi les plus élevés au monde (autour de 8 %) ; ii) la fin de l'effet rebond dans les secteurs des services à la suite de la réouverture progressive de l'économie brésilienne après les restrictions sanitaires ; et iii) un contexte international incertain et morose.

Cette « décennie perdue » s'est également caractérisée par une dégradation des finances publiques brésiliennes.

Le déficit primaire (hors charge de la dette) pour 2023 devrait ainsi s'élever à - 0,5 % du PIB. Des mesures ont été mises en place en janvier et avril 2023 pour accroître les recettes et diminuer le déficit, prévu initialement à - 2,3 % du PIB. La hausse du déficit résulte principalement d'un amendement constitutionnel (appelé PEC10(*) de la transition), négocié par l'équipe de transition du Président Lula avec l'ancien Congrès, autorisant une augmentation réelle des dépenses fédérales de 8 %, destinée à financer les engagements pris durant la campagne.

Le déficit nominal, incluant la charge de la dette, devrait également augmenter en 2023, atteignant - 8,8 % du PIB selon les prévisions du FMI, principalement en raison de l'augmentation des charges de la dette en raison de la hausse des taux liée à la politique monétaire de la Banque centrale du Brésil.

Selon le FMI, la dette publique devrait ainsi croître en 2023, atteignant 88 % du PIB.

Évolution de la dette publique brésilienne

(en % du PIB)

Source : FMI

L'inflation devrait en outre atteindre 6 % en 2023, soit un taux légèrement supérieur à celui de 2022 (5,8 %), mais en deçà du pic de 12,1 % atteint en avril 2022.

3. Une économie pénalisée par un ensemble de facteurs qualifiés de « coût Brésil » 

L'économie brésilienne est pénalisée par un ensemble de » handicaps » socio-économiques, communément appelés « coût Brésil » estimé par le Boston Consulting Group à plus de 1 500 milliards de réaux (cf. infra).

Comme le rappelle la direction générale du Trésor dans ses réponses au questionnaire de vos rapporteurs, ce concept, apparu au milieu des années 1990, recouvre notamment :

une fiscalité qui se caractérise par un niveau d'impôts et de taxes élevé, tant sur le marché domestique qu'à l'importation, ainsi que par une complexité du système fiscal. Selon le classement Doing Business de la Banque mondiale, les entreprises brésiliennes consacrent en moyenne 1 501 heures par an au paiement de leurs impôts, contre 159 heures en moyenne dans les pays de l'OCDE ;

un droit du travail marqué par une certaine rigidité et un niveau élevé de charges salariales ;

une bureaucratie jugée excessive par de nombreux acteurs ;

un environnement juridique et réglementaire brésilien qui expose les entreprises aux décisions rétroactives du pouvoir judiciaire. Par exemple, la Cour suprême fédérale a pris plusieurs décisions remettant en cause rétroactivement l'assiette fiscale d'un impôt, ce qui crée une incertitude pour les entreprises ;

une main-d'oeuvre insuffisamment qualifiée. Selon la Banque mondiale, l'indice du capital humain au Brésil était inférieur à la moyenne de l'OCDE en 2021 ;

- une qualité des infrastructures insuffisante, avec des disparités importantes entre les États fédérés. L'absence de réseaux ferroviaires et la mauvaise qualité du réseau routier pénalisent ainsi particulièrement les chaînes de production ;

un accès au crédit bancaire difficile pour les petites et moyennes entreprises. Les banques brésiliennes limitent généralement l'octroi de crédits aux opérations à court terme et sans risque. De plus, le coût du capital est élevé en raison d'une faible concurrence entre les banques, ce qui entrave l'investissement.

Estimation du « coût Brésil » en 2018 par le Boston Consulting Group et le MBC (Movimento Brasil Competitivo)

Source : direction générale du Trésor, réponse aux questionnaires des rapporteurs

Conscientes de la nécessité de réduire le poids de ces handicaps structurels, les autorités brésiliennes ont lancé le programme « Redução do custo Brasil » (réduction du coût Brésil). Plus de 1 000 projets ont ainsi été répertoriés, lesquels pourraient avoir un impact estimé à 827 milliards de réaux sur une période de 10 ans.

Le précédent Gouvernement a engagé un ensemble de mesures destinées pour partie à améliorer la compétitivité du pays : réforme des retraites, réforme du travail, nouveaux cadres réglementaires dans le secteur de l'assainissement et du gaz, digitalisation des services publics, etc.

Plusieurs réformes annoncées par le Président Lula, et plus particulièrement celle de la fiscalité, devraient en outre contribuer à la réduction du « coût Brésil » (cf. infra).


* 8 Bruno Meyerfeld, Cauchemar brésilien, Grasset, 2022.

* 9 Frédéric Louault, Le Brésil en 100 questions, l'interminable émergence, 2022.

* 10 Proposta de emenda constitucional.