B. PASSER DE L'EXCEPTIONNALITÉ DES CAUSES À L'EXCEPTIONNALITÉ DES CONSÉQUENCES : UN MODÈLE COÛTEUX SAUF À RÉDUIRE DRASTIQUEMENT LE NOMBRE DE PERSONNES INDEMNISÉES

1. Une « révolution copernicienne » au sein même du régime CatNat : la prise en compte de l'exceptionnalité des dommages

Une hypothèse de réforme envisagée, au sein même du régime CatNat mais en décalage avec sa logique interne, est celle d'une forme de « révolution copernicienne » de la prise en charge du risque RGA. Il s'agirait de ne plus partir de l'exceptionnalité des causes à l'origine des sinistres mais de prendre le problème à rebours en s'intéressant à l'exceptionnalité des dommages constatés sur le bâti.

L'arrêté de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle deviendrait alors superflu et la survenance d'un phénomène naturel d'ampleur exceptionnelle ne serait plus considérée comme l'évènement déclencheur de la prise en charge. Le système reposerait entièrement sur les assurances et sur les experts qu'elles mandatent.

Si cette option pourrait permettre, à condition de ne pas limiter le périmètre des dommages éligibles, d'indemniser de façon plus exhaustive les sinistrés concernés par le phénomène de RGA, elle présente, au-delà de ses conséquences financières pour le régime CatNat (présentées infra ), plusieurs limites.

Elle impliquerait de confier l'intégralité de la gestion du régime aux assureurs . Or, l'instruction des dossiers par les experts mandatés par les assurances suscite d'ores et déjà un sentiment d'insatisfaction et d'incompréhension chez certains sinistrés, notamment du fait de la part significative (plus de 50 %) des dossiers classés sans suite sur le territoire de communes pourtant reconnues en état de catastrophe naturelle. Il n'est pas garanti d'ailleurs que le réseau des experts d'assurance puisse absorber de façon satisfaisante le volume de dossiers supplémentaires qu'il aurait à traiter.

La suppression de l'arrêté de catastrophe naturelle priverait la puissance publique d'une capacité de maîtrise et de régulation d'un processus qui repose pourtant sur des logiques de solidarité financière nationale (matérialisée par le prélèvement de la surprime mais aussi par la garantie accordée par l'État à la CCR) et de mutualisation entre les risques couverts par le régime CatNat.

Le déploiement d'un nouveau modèle visant à substituer la notion d'exceptionnalité des causes à celle d'exceptionnalité des conséquences supposerait au moins deux préalables indispensables : une régulation et un encadrement beaucoup plus affirmés de l'action des experts d'assurance et une capacité de contrôle exercée au moins a posteriori par les services de l'État.

2. Un modèle dont les estimations réalisées par la CCR illustrent les lourdes contraintes financières

Si le Gouvernement a pu réfléchir à appliquer une telle réforme, ce n'est qu'au prix d'un encadrement draconien des conditions d'indemnisation, et ce afin d'éviter qu'elle ne bouleverse l'équilibre financier du régime CatNat. Ainsi, pour que la réforme soit le plus neutre possible sur le plan financier, le Gouvernement a-t-il considéré la possibilité de circonscrire les indemnisations aux seuls dommages graves , recherchant le caractère d' « exceptionnalité », non plus dans le phénomène naturel à l'origine des dégâts mais dans l'ampleur des dommages eux-mêmes. Ce faisant, le caractère assurantiel du régime serait sérieusement remis en cause puisqu' une partie potentiellement significative des sinistrés aujourd'hui éligibles à une indemnisation ne le seraient plus dans le nouveau système.

À la demande du Gouvernement, la Caisse centrale de réassurance (CCR) a réalisé des scénarios pour estimer les conséquences d'une réforme de cette nature sur l'équilibre financier du régime CatNat. Les conclusions de ces estimations sont que, sauf à établir des contraintes drastiques conduisant à limiter considérablement le nombre de sinistrés éligibles ainsi que les montants d'indemnisations 9 ( * ) , une telle réforme aurait un coût significatif susceptible de profondément affecter l'équilibre financier du régime .

Ainsi, la CCR estime-t-elle que « le coût pour le régime d'une telle évolution serait considérable et propre à porter atteinte à sa pérennité à très court terme » . Elle souligne par ailleurs qu'établir des conditions très restrictives , notamment, à titre d'exemple, un seuil d'intervention fixé à 50 000 euros de dommages, serait particulièrement contreproductif puisque non seulement ce seuil ne réduirait que modérément le coût financier de la réforme, les sinistres supérieurs à 50 000 euros représentant 75 % du coût total des indemnisations, mais il diminuerait drastiquement le nombre de sinistrés éligibles puisque les dommages inférieurs à ce seuil concernent 79 % des sinistrés.

La CCR estime qu' « aucun scénario ne permet d'indemniser plus de sinistrés tout en ayant peu d'impact sur le régime CatNat » . Ainsi, pour que la mesure soit neutre financièrement pour le régime, serait-il nécessaire, d'après les estimations de la CCR, de fixer un plancher d'indemnisation à 50 000 euros, un seuil plafond à 90 000 euros ainsi qu'une franchise à 7 000 euros, soit des conditions qui limiteraient considérablement le nombre des sinistrés éligibles ainsi que les montants indemnisés.

En se fondant sur la moyenne de sinistralité constatée au cours des vingt dernières années, la CCR a évalué à 491 millions d'euros le coût annuel d'une réforme qui ne fixerait ni seuil plancher, ni seuil plafond et qui conserverait le montant de la franchise à son niveau actuel, soit 1 520 euros. Il est à noter que ce coût est sous-estimé dans la mesure où, compte-tenu de la période considérée, il ne prend que partiellement en compte l'accélération du phénomène de RGA due aux conséquences des dérèglements climatiques .

À titre d'exemple, en se basant cette fois sur la sinistralité constatée au cours des cinq dernières années, la CCR a évalué les conséquences financières d'un scénario visant à fixer un seuil plancher d'indemnisation à 10 000 euros 10 ( * ) . Une telle réforme coûterait plus de 850 millions d'euros par an et nécessiterait, pour équilibrer le régime, de relever le niveau de la surprime sur les contrats d'assurance de 12 points, à 24 %. Il est à noter que la hausse de la surprime devrait peser plus fortement sur les particuliers, seuls concernés par le risque RGA, faute de quoi, les portefeuilles d'assureurs ayant une grande proportion de risques professionnels seraient tentés de ne plus mutualiser leurs risques avec les autres assureurs.

À ce surcoût annuel, il convient d'ajouter le coût , la première année de la réforme, du traitement du stock de sinistres actuellement non éligibles à l'indemnisation dans le cadre du régime CatNat. Cette mesure dite « voiture balai » aurait, selon les hypothèses retenues, un coût estimé par la CCR de un à trois milliards d'euros .


* 9 Pour ses scénarios, la CCR a fait varier trois paramètres : un seuil plancher en euros à partir duquel les sinistres pourraient faire l'objet d'une indemnisation (de 0 euros à 50 000 euros), un seuil plafond en euros limitant le montant de l'indemnisation (de 70 000 euros à 150 000 euros) et le niveau de la franchise (de 1 520 euros, soit le niveau actuel, à 10 000 euros).

* 10 Sans seuil plafond ni augmentation de la franchise.

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