N° 208

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 14 décembre 2022

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur : « Israël - Palestine : redonner un horizon politique au processus de paix »,

Par MM. Christian CAMBON, Olivier CIGOLOTTI, Guillaume GONTARD, Pierre LAURENT, Mmes Nicole DURANTON et Sylvie GOY-CHAVENT,

Sénateurs

(1) Cette commission est composée de : M. Christian Cambon, président ; MM. Pascal Allizard, Olivier Cadic, Mme Marie-Arlette Carlotti, MM. Olivier Cigolotti, André Gattolin, Guillaume Gontard, Jean-Noël Guérini, Joël Guerriau, Pierre Laurent, Philippe Paul, Cédric Perrin, Rachid Temal, vice-présidents ; Mmes Hélène Conway-Mouret, Joëlle Garriaud-Maylam, Isabelle Raimond-Pavero, M. Hugues Saury, secrétaires ; MM. François Bonneau, Gilbert Bouchet, Alain Cazabonne, Pierre Charon, Édouard Courtial, Yves Détraigne, Mmes Catherine Dumas, Nicole Duranton, MM. Philippe Folliot, Bernard Fournier, Mme Sylvie Goy-Chavent, M. Jean-Pierre Grand, Mme Michelle Gréaume, MM. André Guiol, Ludovic Haye, Alain Houpert, Mme Gisèle Jourda, MM. Alain Joyandet, Jean-Louis Lagourgue, Ronan Le Gleut, Jacques Le Nay, Mme Vivette Lopez, MM. Jean-Jacques Panunzi, François Patriat, Gérard Poadja, Stéphane Ravier, Gilbert Roger, Bruno Sido, Jean-Marc Todeschini, Mickaël Vallet, André Vallini, Yannick Vaugrenard.

L'ESSENTIEL

La solution à deux États est la pire des solutions à l'exception de toutes les autres. Il est urgent de redonner un espoir au processus de paix avec un horizon politique et un nouvel agenda.

En se rendant en Israël et dans les Territoires palestiniens du 26 juin au 2 juillet 2022, la délégation de la commission, composée de Christian Cambon, président, Olivier Cigolotti, Guillaume Gontard, Pierre Laurent, vice-présidents, de Nicole Duranton et Sylvie Goy-Chavent, sénatrices, avait souhaité dresser un état des lieux sur l'avenir du processus de paix au Proche-Orient (PPPO)1(*).

Il s'agissait en particulier de s'interroger, avec chacune des parties, sur les chances de reprise d'un dialogue autour de la solution à deux États. En effet, 75 ans après la résolution 181 de l'ONU de 1947 et bientôt 30 ans après les accords d'Oslo instituant la solution à deux États, le processus de paix au Proche Orient semble plus que jamais au point mort.

Après la grave crise de Gaza, survenue en mai 2021, la situation n'a cessé de se dégrader avec, dans les trois mois précédant la visite sénatoriale, la mort de 19 israéliens tués dans des attaques terroristes2(*) et de plus de 60 civils palestiniens du fait des forces de sécurités israéliennes et des colons3(*). C'est dans ce contexte d'extrême tension que la délégation a dressé le constat de la triple impasse dans laquelle se trouve le processus de paix :

- ce sujet ne semble plus être la priorité de l'échiquier politique israélien ;

- les divisions inter-palestiniennes affaiblissent la légitimité de l'autorité palestinienne à reprendre les négociations ;

- enfin, le conflit israélo-palestinien ne focalise plus l'attention de la communauté internationale. Parmi les conséquences des accords d'Abraham (cf. infra), il a cessé d'être le « point de cristallisation consensuel »4(*) de l'opposition des pays arabes à Israël, au risque de faire de ce conflit une question périphérique.

Toutefois, elle a estimé que la solution à deux États restait la seule voie acceptable et crédible à condition de redonner un horizon politique et un agenda au processus de paix. Elle propose en ce sens deux objectifs, pour que la France, avec l'Union européenne, reprennent l'initiative politique (objectif n° 1) afin de promouvoir une nouvelle feuille de route, dite « pas à pas » (objectif n° 2), et 12 pistes de réflexions, ou préconisations, pour leur mise en oeuvre.

La France, amie des Israéliens et des Palestiniens

Entretiens à la Knesset avec M. Mickey Levi, Président,
et M. Ram Ben Barak, président de la commission des affaires étrangères et de la défense5(*)

 

Entretien à Ramallah avec M. Mohamed Shtayyeh,
Premier ministre de l'Autorité palestinienne

PRINCIPALES CONCLUSIONS DU RAPPORT :
DEUX OBJECTIFS ET DOUZE PRÉCONISATIONS

Principaux constats : une triple impasse

1. Le processus de paix n'est pas la priorité de l'échiquier politique israélien ;

2. les divisions inter-palestiniennes affaiblissent la légitimité de l'autorité palestinienne à reprendre les négociations ;

3. le conflit israélo-palestinien ne focalise plus l'attention de la communauté internationale.

Premier objectif : Reprendre l'initiative politique

1. Réaffirmer que la solution à deux États est la seule voie possible et acceptable par toutes les parties ;

2. Mettre en place un groupe de travail pour élaborer un diagnostic de la situation et étudier les nouveaux paramètres d'une relance du processus de paix israélo-palestinien ;

3. Appeler l'Union européenne à s'emparer du volet politique du processus de paix en plus de son rôle de bailleur financier et humanitaire ;

4. Associer à la démarche les États riverains - l'Égypte, la Jordanie et le Liban - et les pays partenaires des accords d'Abraham ;

5. S'appuyer sur la mission institutionnelle de la France en Israël et en Palestine au titre notamment des domaines nationaux de la France à Jérusalem, de l'Institut français de Gaza et de ses actions de coopération en matière de développement ;

6. Intensifier les relations interparlementaires.

Second objectif : Promouvoir une nouvelle feuille de route

7. Recenser les irritants et réfléchir à une levée progressive des points de blocage de la solution à deux États ;

8. Examiner les conditions d'implantation à Jérusalem-Est d'une capitale de droit pour la Palestine ;

9. Réfléchir à la question de la reconnaissance de l'État de Palestine à condition de l'assortir d'un calendrier partagé d'accession « pas à pas » à la souveraineté ;

10. Fixer un agenda démocratique pour la Palestine avec une garantie internationale sur le déroulement du scrutin en Cisjordanie, à Gaza et à Jérusalem-Est ;

11. Appeler Israël à abandonner la stratégie de colonisation en Cisjordanie et à Jérusalem-Est ;

12. Engager les parties à s'abstenir de toute provocation ou action susceptible d'aggraver la situation afin d'engager une désescalade de la violence.

ÉLÉMENTS DE CONTEXTE

I. BREF HISTORIQUE DE LA SOLUTION À DEUX ÉTATS

A. LE DROIT INTERNATIONAL : DU PLAN DE PARTAGE DE 1947 À LA RÉSOLUTION N° 242 DE 1967

Par sa résolution 181 du 29 novembre 1947, l'Assemblée générale des Nations unies adopte le plan de partage de la Palestine posant le principe de la création de deux États souverains et indépendants6(*). Mais après la guerre israélo-arabe de 1948-1949, seul l'État d'Israël accéda à la souveraineté, les territoires qui avaient vocation à devenir un État palestinien passant sous le contrôle de l'Égypte, s'agissant de la bande de Gaza, et de la Jordanie pour ce qui concerne la Cisjordanie. Dès lors, le statut des Palestiniens prit des formes diverses, soit pour la plupart comme réfugiés reconnus par l'ONU, soit comme citoyens jordaniens, soit encore comme minorité arabe en Israël.

Les guerres suivantes de 1956 et 1967 ont permis à Israël de prendre le contrôle de la bande de Gaza, de la Cisjordanie et du Plateau du Golan. La résolution 242 du Conseil de sécurité de l'ONU (22 novembre 1967) en faveur d'un règlement pacifique du conflit a posé trois principes : le retrait des forces armées israéliennes des territoires occupés en 1967, la reconnaissance de la souveraineté de chaque État et le règlement du problème des réfugiés.

B. LES ACCORDS D'OSLO : UN PROCESSUS INACHEVÉ

C'est par le processus d'Oslo, porté par Yasser Arafat et Yitzhak Rabin à partir de 1993 (accord d'Oslo I), que la solution à deux États se voit dotée d'un agenda avec, dans un premier temps, la reconnaissance d'une Autorité palestinienne intérimaire, d'abord compétente sur la bande de Gaza et Jéricho en Cisjordanie, puis pérennisée en 1995 par l'accord d'Oslo II et étendue à l'ensemble de la Cisjordanie. Celle-ci est alors subdivisée en trois zones territoriales :

- une zone A sous administration civile et militaire palestinienne représentant 18 % du territoire de la Cisjordanie ;

- une zone B sous régime civil palestinien et militaire israélien (22 % de la Cisjordanie) ;

- une Zone C sous administration israélienne (60 % du territoire).

L'agenda d'accession progressive en 5 ans à une pleine compétence de l'Autorité palestinienne sur la Cisjordanie et Gaza n'a pas été appliqué. L'assassinat de Yitzhak Rabin en 1995 puis la 2e intifada de 2000 ont interrompu le processus de paix. La seule avancée territoriale pour les Palestiniens a consisté dans le retrait israélien en 2005 de la bande de Gaza proposé par Ariel Sharon, alors Premier ministre, et décidé unilatéralement par Israël. De fait, après la mort de Yasser Arafat en 2004, puis celle de Shimon Peres en 2016, Mahmoud Abbas, Président de l'Autorité palestinienne, reste le dernier négociateur en vie de ces accords d'Oslo.

Depuis lors, malgré le consensus international en faveur de la solution à deux États et de la reconnaissance d'un État palestinien dans ses frontières de 1967, incluant la bande de Gaza et la Cisjordanie, avec Jérusalem-Est comme capitale, aucune perspective ne se dégage.

II. RAPPEL DE LA POSITION DE LA FRANCE

La position constante de la France demeure la solution à deux États, la seule à même de répondre aux aspirations légitimes des Israéliens et des Palestiniens à la sécurité, l'indépendance, à la reconnaissance et à la dignité. En qualité de membre permanent du Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations unies :

-  elle appelle à un règlement négocié entre les parties dans le respect du droit international ;

- elle défend le droit d'Israël à exister et à vivre en sécurité ;

- elle soutient la création d'un État palestinien, vivant dans des frontières sûres et reconnues.

En conséquence elle ne reconnait aucune souveraineté sur Jérusalem dans l'attente d'un règlement négocié du conflit au terme duquel Jérusalem deviendrait la capitale des deux États, Israël et le futur État de Palestine.

Par ailleurs, elle condamne régulièrement, avec ses partenaires européens, la politique de colonisation dans les termes suivants : « l'implantation de colonies israéliennes en Cisjordanie et à Jérusalem-Est constitue une appropriation illégale de terres qui devraient être l'enjeu de négociations de paix entre les parties sur la base des lignes de 1967. La colonisation est illégale au regard du droit international (notamment au regard de la IVe Convention de Genève et de plusieurs résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies), elle menace la viabilité de la solution des deux États et constitue un obstacle à une paix juste et durable. La résolution 2334 du Conseil de sécurité des Nations unies, votée à la quasi-unanimité des États membres le 23 décembre 2016, a appelé à l'arrêt immédiat et complet de la colonisation et exhorté les États à différencier entre le territoire de l'État d'Israël et les territoires palestiniens occupés depuis 1967 »7(*).

Ces prises de position n'ont toutefois pas enrayé le phénomène dans la mesure où plus de 8 700 unités de logements ont été créées en 2020 - contre 8 300 unités en 2019 et 5 618 en 2018 - et s'est poursuivie en 2021 (cf. encadré ci-après).

Déclaration des porte-parole des ministères des affaires étrangères de la France, de l'Allemagne, de l'Espagne, de l'Italie et du Royaume-Uni sur la colonisation (6 mai 2021)

Nous demandons instamment au gouvernement d'Israël de revenir sur sa décision de procéder à la construction de 540 nouvelles unités de logements dans la colonie de Har Homa et en Cisjordanie occupée, et de mettre un terme à sa politique d'extension des colonies de peuplement dans les territoires palestiniens occupés. Les colonies sont illégales au regard du droit international et font peser une menace sur les perspectives de règlement pacifique du conflit israélo-palestinien.

Si la décision d'accroître les colonies à Har Homa, entre Jérusalem-Est et Bethléem, était mise en oeuvre, elle compromettrait davantage la perspective d'un État palestinien viable, avec Jérusalem comme capitale d'Israël et de l'Etat palestinien. Cette décision, qui s'ajoute à l'accélération de la colonisation à Givat HaMatos et à la poursuite des expulsions à Jérusalem-Est, en particulier à Sheikh Jarrah, porte également atteinte aux efforts visant à rétablir la confiance entre les Parties, à la suite de la reprise constructive de la coopération israélo-palestinienne.

Nous appelons les deux Parties à s'abstenir de toute initiative unilatérale et à reprendre un dialogue crédible et véritable pour progresser sur la voie de la solution des deux États et mettre fin au conflit.

Source : ministère de l'Europe et des affaires étrangères

S'agissant du droit international, la France s'en tient au respect des résolutions des Nations unies qu'elle juge « pertinentes » pour la résolution du conflit :

- résolution 181 de l'Assemblée générale des Nations unies (solution à deux États) ;

- résolution 194 de l'Assemblée générale des Nations unies (solution juste pour les réfugiés) ;

- résolution 242 du Conseil de sécurité des Nations unies (fin de l'occupation israélienne) ;

- résolutions 476 et 478 du Conseil de sécurité des Nations unies (préservation du statut de Jérusalem).

La question de Jérusalem se pose à double titre. D'une part au niveau de son statut sur lequel la France ne reconnaît à ce stade aucune souveraineté - position en vertu de laquelle elle n'approuve pas la décision américaine de transférer son ambassade en Israël de Tel Aviv à Jérusalem. D'autre part en tant que garante du statu quo sur les lieux saints.

À l'épreuve des faits, la ligne de conduite de la France consiste essentiellement à condamner les violations du droit international, soit qu'elles émanent d'attaques contre le territoire israélien - mettant en exergue l'« attachement indéfectible à la sécurité d'Israël » -, soit qu'elles s'exercent sur les Territoires palestiniens lorsqu'il s'agit de la poursuite de la politique de colonisation.

La déclaration du ministère des affaires de l'Europe et des affaires étrangères du 10 mai 2021 faite dans le contexte de la crise de Gaza de mai 2021 illustre la constance de la position française, mais aussi les limites d'une politique essentiellement déclaratoire (cf. encadré ci-dessous).

Point de presse - Dégradation de la situation sécuritaire (10 mai 2021)

La France exprime une nouvelle fois sa grave préoccupation face aux affrontements et aux violences qui ont lieu depuis plusieurs jours à Jérusalem, qui ont déjà fait plusieurs centaines de blessés et qui font désormais peser le risque d'une escalade de grande ampleur. La France condamne fermement les tirs de roquette depuis la bande de Gaza qui ont visé la nuit dernière le territoire israélien, en violation du droit international. La France appelle l'ensemble des acteurs à faire preuve de la plus grande retenue et à s'abstenir de toute provocation pour permettre un retour au calme dans les plus brefs délais. Toutes les actions qui concourent à l'escalade sur le terrain doivent cesser. Dans ce contexte, la France est vivement préoccupée par les menaces d'évictions forcées visant des résidents du quartier de Sheikh Jarrah à Jérusalem-Est, qui relèvent de la politique de colonisation, illégale en droit international, et exacerbent les tensions. La France rappelle également son attachement à la préservation du statu quo historique sur l'Esplanade des Mosquées. Toutes les déclarations provocatrices et tous les appels à la violence et à la haine sont inacceptables et doivent cesser immédiatement.

Source : ministère de l'Europe et des affaires étrangères

UN ÉTAT DES LIEUX INQUIÉTANT : ENTRE TENSION EXTRÊME ET MONTÉE DES RADICALISMES, LE RISQUE D'UNE RUPTURE IRRÉVERSIBLE DU PROCESSUS DE PAIX

La délégation a été reçue à haut niveau par les deux parties, israélienne et palestinienne, lesquelles ont exprimé leurs positions sur la question du processus de paix.

À la Knesset, les priorités cardinales pour Israël, exprimées par Mickey Levi, Président, Ram Ben Barak, président de la commission des affaires étrangères et de la défense, mais aussi Alon Shuster, ministre adjoint de la défense, sont la sécurité et la lutte contre le terrorisme. De l'ensemble des échanges relatif à la sécurité globale d'Israël - c'est-à-dire son droit à exister depuis 74 ans comme État souverain et indépendant - la première des menaces exprimées est d'ordre existentiel et provient d'Iran aussi bien dans sa volonté de développer l'arme nucléaire, que de se doter de missiles balistiques capable d'atteindre le territoire israélien, et d'exercer une influence déstabilisatrice dans toute la région (Yémen, Syrie, Liban et Gaza).

Pour l'Autorité palestinienne, la reconnaissance de la souveraineté de la Palestine constitue toujours un objectif politique majeur. On perçoit toutefois chez de nombreux Palestiniens un découragement devant l'absence de perspective d'accession à l'indépendance et la dégradation généralisée de leur situation. Cette perte d'espoir et de perspectives est en soi un important facteur de risque. Il convient de souligner que la France est considérée comme un interlocuteur légitime, par son rôle et son influence dans la région, mais aussi par sa présence institutionnelle et historique, notamment au titre de ses domaines nationaux de Jérusalem et d'une antenne de l'Institut français à Gaza.

I. POUR LA SÉCURITÉ D'ISRAËL, LA MENACE IRANIENNE SUPPLANTE LA RÉSOLUTION DU CONFLIT ISRAÉLO-PALESTINIEN DANS L'ORDRE DES PRIORITÉS

A. LA SÉCURITÉ EST L'AXE PRINCIPAL DE TRAITEMENT DE LA QUESTION PALESTINIENNE SUR FOND DE RISQUE PERMANENT D'EXPLOSION DES TENSIONS

La principale préoccupation israélienne est sécuritaire : l'enjeu est l'existence même de l'État dans son environnement régional et la sécurité de ses citoyens au quotidien face aux attaques terroristes.

La crise de Gaza de mai 2021 entre le Hamas et Israël a mis en évidence l'exposition de tout le territoire aux tirs de roquettes provenant de la bande de Gaza (Hamas et Jihad islamique) mais aussi du Liban (Hezbollah). Ainsi plus de 4 000 roquettes ont été tirées depuis Gaza, faisant 12 morts et 355 blessés côté israélien. En représailles, les bombardements israéliens ont provoqué du côté palestinien 248 morts et 1 910 blessés.

Le système anti-missile « dôme de fer »

Outre un dispositif de défense passive matérialisé par des abris dans les résidences individuelles ou collectives (le temps imparti pour se rendre à un abri allant de quelques secondes à 3 minutes), l'armée israélienne a mis en place un système anti-missile dénommé dôme de fer dont le dispositif de détection et de calcul des trajectoires permet d'intercepter environ 90 % des roquettes tirées vers des zones habitées. La délégation a ainsi pu visiter une batterie du dôme de fer.

 
 

B. LA MENACE IRANIENNE ET LA NORMALISATION DES RELATIONS AVEC LES PAYS ARABES SONT LES PRIORITÉS STRATÉGIQUES D'ISRAËL

La conviction des principales formations politiques de la Knesset est que la principale menace sur l'existence de l'État d'Israël est l'Iran, de par son programme nucléaire et balistique ainsi que ses ramifications au Liban via le Hezbollah et dans les territoires palestiniens (Hamas, Jihad islamique). C'est pourquoi, contrairement à la France qui s'est engagée à restaurer le JCPOA (Joint Comprehensive Plan of Action) pour prévenir le risque nucléaire iranien, Israël n'a jamais soutenu le JCPOA, ne croyant pas à la volonté iranienne de négocier un renoncement au nucléaire militaire.

Cette menace iranienne conditionne aussi la politique de défense du territoire de l'armée israélienne aux frontières Nord avec le Liban et Sud au pourtour de Gaza, qu'il s'agisse de construction de tunnels sous la « ligne bleue » ou de fourniture d'armes.

Les préoccupations exprimées par les représentants des forces de défense israéliennes lors de la visite du camp militaire de Biranit concernent d'une part la capacité de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL) à assurer sa propre sécurité et à accomplir ses missions le long la ligne de démarcation entre Liban et Israël, d'autre part l'installation le long de la frontière de dizaines de conteneurs par l'organisation non gouvernementale « Green Without Borders », lesquels abriteraient des éléments du Hezbollah.

La sécurité d'Israël aux frontières Nord et Sud

Ligne bleue (frontière nord avec le Liban)

Tunnel du Hezbollah sous la frontière Nord

 
 

Mur d'enceinte autour de la bande de Gaza

Abri « MAMAD » (moshav de Netif Ha'Asara)

La menace iranienne conditionne également la politique étrangère israélienne en faveur d'une normalisation avec de nouveaux pays arabes, outre l'Égypte et la Jordanie qui ont reconnu l'État d'Israël respectivement en 1979 et en 1994.

Le 15 septembre 2020, les Émirats Arabes Unis, Bahreïn et Israël ont signé les accords d'Abraham, instaurant des relations officielles entre les deux émirats et Israël, rejoints par le Maroc et le Soudan. Ce mouvement s'est accompagné d'un volet de sécurité et de défense en mars 2022 à l'occasion du sommet du Néguev entre Israël, l'Égypte, le Bahreïn, les Émirats Arabes Unis et le Maroc, afin de constituer au Moyen-Orient une première alliance d'intérêts face aux menées agressives de l'Iran par groupes armés interposés, en Irak ou au Yémen.

Cependant, ni la Jordanie, ni l'Autorité palestinienne n'y ont participé, considérant que la question palestinienne, pourtant essentielle sur le plan sécuritaire, n'y était pas traitée. De fait, l'appui américain aux accords d'Abraham s'accompagne d'une mise en retrait de leur rôle dans le processus de paix israélo-palestinien.

C. LE CONFLIT ISRAÉLO-PALESTINIEN EST RELÉGUÉ AU SECOND PLAN ET LA RELANCE DU PROCESSUS DE PAIX N'EST PLUS UN OBJECTIF POLITIQUE MAJEUR

L'échiquier politique israélien relègue la question palestinienne au second plan compte tenu de la nécessité de composer avec des coalitions où les partis les plus radicaux rejettent toute relance d'un processus de paix, voire même l'esprit d'une solution à deux États.

Tel ne fut pas le cas du parti de Yaïr Lapid, le Yesh Atid, qui soutient le principe de la solution à deux États. Malgré les espoirs que pouvait donner en ce sens la coalition de 8 partis composée, à l'issue des élections législatives de mars 2021, pour la première fois d'une formation de députés arabes israéliens, force fut de constater que le gouvernement confié à Naftali Bennet ne s'engagea pas formellement pour la reprise d'un processus de paix dans le cadre de la solution à deux États dans la mesure où une large partie de la coalition restait « ouvertement hostile à toute reprise du processus de paix »8(*).

Ce sujet est une impasse de politique intérieure israélienne dès lors qu'une coalition se construit sur un équilibre fragile où avec des partis opposés à la solution à deux États. Il risque d'en être ainsi pour le futur gouvernement issu des élections législatives du 1er novembre 2022.

Il reste que sur l'ambition de Yair Lapid de renforcer les relations avec les Palestiniens, là encore des divergences notables se sont exprimées. D'une part, des efforts ont été entrepris pour soutenir l'Autorité palestinienne (délivrance de 16 000 permis de travail, régularisation de la situation de 4 000 Palestiniens, construction de 1 300 logements palestiniens en zone C, desserrement du blocus de Gaza, etc.). Mais d'autre part, 80 des 120 députés de la Knesset restaient favorables à la colonisation expliquant les décisions successives, en octobre, d'extension des colonies en Cisjordanie (+ 4 300 logements que la France a dénoncé le 28 octobre dernier avec plusieurs pays de l'UE : Allemagne, Belgique, Danemark, Espagne, Finlande, Irlande, Italie, Norvège, Pays-Bas, Pologne et Suède) et dernièrement en décembre de porter à 100 000 habitants la population du plateau du Golan annexé.

Sur le climat de tension à Jérusalem et dans les Territoires occupés qui perdure depuis la crise de mai 2021, le gouvernement est resté partagé entre deux conceptions stratégiques concernant la bande de Gaza : les forces de droite donnant la priorité au rapport de force dans les relations avec le Hamas, et celles du centre et de la gauche plus portées à une « approche incitative afin de couper » le Hamas de son soutien populaire.

Quelle sera l'équation politique d'un éventuel Gouvernement formé par Benyamin Netanyahou pour l'engagement d'un nouveau processus de paix ? L'absence de perspective de paix serait plus dangereuse que la relance des négociations9(*). Ce danger suffirait-il à convaincre les plus réticents ?

Le Président de la Knesset a rappelé qu'Israël avait déjà accompli un geste important en se désengageant de la bande de Gaza en 2007 mais qu'il n'en restait rien de positif, ni pour les Palestiniens qui y vivent sous l'autorité de fait du Hamas, ni pour les Israéliens qui en subissent les attaques. Le renoncement à la violence, la désescalade et la sécurité d'Israël sur laquelle la France ne transige pas, doivent donc indiscutablement figurer dans les conditions d'une reprise du processus de paix.

II. UNE PALESTINE MORCELÉE ET DIVISÉE, EN PROIE À LA DÉSESPÉRANCE

A. UNE AUTORITÉ PALESTINIENNE QUI DÉPLORE L'ARRÊT DU PROCESSUS DE PAIX ET LES ATTEINTES À LA VIABILITÉ D'UNE SOLUTION À DEUX ÉTATS

De la tournée du Président Joe Biden en Israël, Cisjordanie et Arabie Saoudite de juillet 2022, le Premier ministre de l'Autorité palestinienne disait ne rien attendre pour relancer le processus de paix entre Israël et les Territoires palestiniens. En effet, si le Président américain avait rappelé son attachement à la solution à deux États, c'était pour aussitôt ajouter que « le terrain n'est pas mûr » pour relancer les discussions.

Du point de vue palestinien, cette absence d'engagement américain est interprétée comme le signe que les États-Unis ne sont porteurs d'aucune initiative pour relancer un processus politique de résolution du conflit israélo-palestinien.

Selon le Premier ministre, les Palestiniens n'ont pas attendu les accords d'Abraham puisqu'ils sont les premiers, après l'Égypte, à avoir lancé un processus de normalisation depuis 1993 avec les accords d'Oslo. L'autorité palestinienne est prête à un accord de paix à la condition d'un retrait israélien des territoires palestiniens occupés en application du même principe « la terre contre la paix » qui a prévalu à la conclusion du traité de paix israélo-égyptien avec le retrait du Sinaï.

Plus largement, la partie palestinienne déplore les atteintes à la viabilité d'une Palestine indépendante que sont :

· la poursuite de la colonisation (environ 690 000 colons résident illégalement dans les territoires occupés, contre 200 000 pendant la période des accords d'Oslo) ;

· la poursuite des expulsions en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, notamment dans le quartier de Cheikh Jarrah ;

· l'accaparement de terres palestiniennes en zone C à des fins agricoles, de terrains militaires ou de parcs naturels ;

· les restrictions de circulation et la discontinuité territoriale des zones A et B (seule la zone C sous contrôle israélien constitue une bande de terre continue).

La délégation a retenu des échanges avec le Premier ministre de l'Autorité palestinienne que la France et l'Union européenne pouvaient agir sur trois leviers :

· empêcher Israël de détruire la solution à 2 États en stoppant la colonisation, en garantissant le statut de Jérusalem et en assortissant de sanctions sérieuses le respect de ces objectifs ;

· obliger Israël à respecter les accords conclus en matière sécuritaire, financière et territoriale ;

· aider la Palestine en reconnaissant sa qualité d'Etat souverain sur les frontières de 1967 et de membre à part entière de l'ONU.

Enfin, le sentiment d'être les victimes d'un « deux poids, deux mesures » pratiqué par les pays occidentaux demeure d'autant plus tenace que le soutien à l'Ukraine a été immédiat et suivi d'effets. La même mobilisation n'est pas observée quant au respect du droit international applicable à la Palestine pour empêcher la colonisation, pour définir le statut de Jérusalem et pour reconnaitre l'État de Palestine dans ses frontières de 1967.

B. UNE POPULATION DUREMENT ÉPROUVÉE, EN PERTE D'ESPÉRANCE POLITIQUE ET DE PERSPECTIVES DE DÉVELOPPEMENT

Aux difficultés d'obtention des permis de travail et de circulation par la population de Cisjordanie (Bethléem n'est desservie que par trois points de passage routier) et d'expulsion ou de déplacement pour les palestiniens de la zone C, s'ajoute la précarité des conditions de vie à Gaza où 75 % des 2,2 millions d'habitants ont le statut de réfugiés et vivent de l'aide humanitaire distribuée par l'Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA). Le taux de chômage est de 50 % et l'insécurité alimentaire touche 65 % de la population.

Après 15 ans de blocus, la bande de Gaza connaît une situation de « dé-développement » depuis l'instauration du blocus israélien en 2007 à la suite de la prise du pouvoir local par le Hamas qui exerce l'autorité de fait.

C. UN RISQUE D'EMBRASEMENT GÉNÉRALISÉ

Selon l'ONU, 127 Palestiniens ont été tués en Cisjordanie entre janvier et novembre 2022, les victimes étant imputées à l'armée israélienne à l'exception de 2 Palestiniens tués par des colons10(*). Le niveau de tension en Cisjordanie n'a cessé de s'élever au cours de l'année, en témoigne la mort de la journaliste Shireen Abu Aqleh sur laquelle la France a appelé à ce que l'enquête aboutisse rapidement.

Des affrontements ont eu lieu du 5 au 7 août 2022 entre les forces de défense israéliennes et le Jihad islamique à la suite de l'arrestation de plusieurs de ses dirigeants. Les forces israéliennes ont procédé à des bombardements ciblés dans la bande de Gaza et le Jihad islamique a lancé un millier de roquettes vers Israël. À noter la non-participation du Hamas dans cet épisode armé que les forces israéliennes ont circonscrit aux seuls éléments du Jihad islamique.

La multiplication de groupes de plus en plus radicaux à la mesure du vide démocratique et du pourrissement de la situation est un risque avéré : la mort d'un soldat israélien à Naplouse, revendiquée par un groupe dénommé « l'Antre des lions », a engendré une incursion de l'armée israélienne le 25 octobre 2022 qui a provoqué la mort de 6 palestiniens puis entraîner un bouclage d'une ville de 200 000 habitants, ravivant des souvenirs de la deuxième intifada. Comme en mai 2021, un embrasement généralisé en Cisjordanie, Gaza et Jérusalem-Est pouvant déborder jusqu'en Israël n'est pas à exclure.

Hébron ou la perte de toute notion de fraternité humaine

La ville d'Hébron se caractérise par un cycle de violences intercommunautaires dur et tenace, dont la ville porte les stigmates autour de la partie de la vieille ville entourant une colonie israélienne qui abrite quelques centaines de colons juifs dans une ville palestinienne de 200 000 habitants. La cité garde la mémoire du massacre du caveau des Patriarches perpétré en 1994 par un colon juif orthodoxe qui aura entrainé la mort de 29 personnes.

Depuis 1997, et plus encore à la suite de la deuxième intifada en 2000, la vieille ville d'Hébron comporte une enclave israélienne étroitement surveillée par l'armée israélienne. Cette situation se caractérise par une imbrication « en trois dimensions » de la colonie au sein même de la cité, avec par exemple les rez-de-chaussée d'une rue appartenant à des Palestiniens, tandis que les étages et les terrasses sont condamnés et sous contrôle militaire. Des habitants du quartier ont pris à témoin la délégation à la fois sur les expulsions de familles palestiniennes (rues condamnées, boutiques fermées) et sur l'incapacité de l'Autorité palestinienne à les défendre. Il en découle une violence quotidienne nourrie et exacerbée par la promiscuité des lieux (jets de projectiles ou de déchets organiques, vexations quotidiennes et absences de liberté de mouvement au coeur même de la ville). Les ONG entendues par votre délégation en font le symbole de la ségrégation et de l'Apartheid qu'elles dénoncent.

On toucherait à l'absurde si cet exemple d'enfermement mutuel (la colonie est protégée par des soldats au milieu d'une ville palestinienne elle-même enserrée par des postes de contrôle) n'était pas à la fois mortifère et un déni de toute fraternité humaine.

Source : visite de la délégation à Hébron

Hébron : symbole des cycles de violence et de déni de toute dignité humaine

 
 

Mur de séparation entre la partie palestinienne et la colonie israélienne

Grillage de protection sur le marché palestinien contre les projectiles provenant de la colonie

III. LA FRANCE: UNE PUISSANCE D'ÉQUILIBRE LÉGITIME ET PRÉSENTE SUR LE TERRAIN

Sur la période 2008-2017, la France a consacré plus de 500 M€ aux Territoires palestiniens, dont un tiers en faveur de Gaza. Elle apporte également un soutien budgétaire direct à l'Autorité palestinienne (16 M€), ce qui est une spécificité française au sein de l'Union européenne.

Sa contribution à l'Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA11(*)) s'est élevé à 35 M€ (20 M€ en 2020) pour contribuer à l'aide aux quelque 6,4 millions de Palestiniens bénéficiaires du statut de réfugié, dont 2,6 millions sont enregistrés par l'Office en Cisjordanie et dans la bande de Gaza (cf. page suivante : carte du périmètre de compétence de l'UNRWA).

Présente depuis vingt ans dans les Territoires palestiniens, l'AFD y a financé environ quatre-vingt projets, pour un montant total d'environ 473 M€. Parmi ces projets, treize ont concerné le domaine de l'eau et de l'assainissement dont la délégation a visité une des réalisations : l'usine de traitement des eaux usées NGEST, à proximité de Jabalia dans le nord de Gaza.

Un hommage tout particulier est ici rendu à l'action des services français qui représentent et mettent en oeuvre l'action de la France dans une des régions du monde qui en a le plus besoin. A cet égard, il faut signaler que l'antenne de l'Institut Français de Jérusalem à Gaza est la seule représentation officielle et permanente dans ce territoire opérée par un pays occidental, ce qui est un gage de notre soutien aux populations.

L'aide française à la population gazaoui

 
 

Scène de vie quotidienne à Gaza

Usine de traitement des eaux (AFD)

L'antenne de l'Institut français de Jérusalem

Réunion au siège de l'UNRWA

Carte des zones de compétence de l'UNRWA au Liban, en Syrie, en Jordanie, en Cisjordanie et dans la bande de Gaza

Source : UNRWA (2021)

LE CONSTAT : UN PROCESSUS DE PAIX DANS UNE TRIPLE IMPASSE

Si la solution à deux États se trouve dans une triple impasse (politique intérieure israélienne, déficit de légitimité de l'autorité palestinienne et paralysie du Quartet pour le Moyen-Orient composé des États-Unis, de la Russie, de l'Union européenne et des Nations unies), la question se pose de savoir si celle-ci peut se voir substituer d'autres propositions. Le statu quo est-il toujours possible ? La solution d'un État unique trouve un écho auprès de palestiniens qui désespèrent du blocage du processus de paix et espèrent un meilleur développement économique, mais cette solution est-elle viable et acceptable ?

I. LA SOLUTION À DEUX ÉTATS N'EST PAS VIABLE EN L'ÉTAT

Plusieurs irritants expliquent la situation de blocage du processus de paix depuis maintenant plus de 20 ans :

· Le statut de Jérusalem-Est est un point central tant pour les israéliens - qui affirment qu'ils ne quitteront jamais cette zone - que pour les palestiniens qui entendent y installer la capitale du futur État de Palestine ;

· La demande palestinienne de retrait de l'armée israélienne de Cisjordanie suscite pour la partie israélienne une objection prenant pour exemple le cas de la bande de Gaza, qu'elle a évacuée de son plein gré en 2005, mais qui est depuis 2007 contrôlée par le Hamas et qui est une source d'insécurité permanente.

Du point de vue des Israéliens, la situation est bloquée par l'absence de perspective de paix négociée et respectée ainsi que par l'absence d'interlocuteurs fiables : l'Autorité palestinienne est très affaiblie politiquement, d'une part, par l'usure de la figure du président Mahmoud Abbas, au pouvoir depuis 17 ans ; et d'autre part, par l'impossibilité de négocier avec le Hamas qui tient Gaza.

Du point de vue palestinien, la viabilité d'un État indépendant est remise en cause par la colonisation et le morcellement du territoire qu'elle induit (cf. ci-après la carte de l'évolution territoriale de la Palestine de 1947 à 2015 et, en annexe II, la carte des Territoires palestiniens).

Évolution des territoires palestiniens de 1947 à 2015

Source : Atlas du Moyen Orient, aux racines de la violence (éditions Autrement)

Un recensement exhaustif des points de blocage pourrait constituer la première tâche des négociateurs en cas de reprise des discussions.

II. LE STATU QUO CONSTITUE UN DANGER PERMANENT D'EXPLOSION DE LA VIOLENCE

Pour les palestiniens, la vacance du « quartet » pour le Moyen-Orient et l'absence d'initiative de paix créent un vide politique qui peut entraîner une spirale dangereuse. De fait la guerre en Ukraine rend impossible toute discussion constructive entre la Russie, d'une part, et les États-Unis, l'Union européenne et les Nations unies, d'autre part.

La désespérance de la population palestinienne porte le germe déjà palpable d'une radicalisation des groupes qui ne voient plus ni dans le Fatah, ni dans le Hamas, des acteurs capables de faire évoluer la situation et de contribuer au développement des territoires.

Mais l'absence de résolution du conflit israélo-palestinien se révèle aussi être une impasse politique et une source de danger pour la société israélienne elle-même :

- La dissolution de la Knesset annoncée par MM. Naftali Bennet et Yaïr Lapid le lundi 20 juin intervient à l'issue de longues semaines de crises, avec la défection de la cheffe de la majorité, Mme Idit Silman, membre du parti Yamina, en mai dernier, puis le refus de deux députés de la coalition (dont un de la ligue arabe unie) de voter le renouvellement de la loi prévoyant l'application extraterritoriale du droit israélien aux colons de Cisjordanie avant son expiration prévue le 30 juin 2022 ;

- la crise de mai 2021 a donné lieu, pour la première fois, à des violences intra-israéliennes dans les villes mixtes entre juifs et arabes israéliens.

On voit ainsi que bien que la priorité stratégique soit donnée à la lutte contre la menace iranienne, le conflit israélo-palestinien et le problème du statut des colons restent une épée de Damoclès constamment suspendue sur la cohésion des coalitions successives.

III. LA SOLUTION À UN SEUL ÉTAT N'EST UNE PERSPECTIVE ACCEPTABLE PAR AUCUNE DES PARTIES

Enfin, la situation des arabes israéliens peut-elle préfigurer la situation future des Palestiniens s'ils étaient intégrés dans la citoyenneté de l'État unique d'Israël ?

Du point de vue israélien, au moins deux obstacles sont évoqués :

· La démographie car d'ores et déjà les 6,8 millions de juifs israéliens se trouveraient en minorité face aux 2,3 millions d'arabes israéliens et 5 millions de Palestiniens ;

· En conséquence, de l'avis de l'ensemble des partis politiques interrogés, ce serait la fin du projet politique et de la judéité de l'État d'Israël.

Cette solution soulève le problème des droits qui seraient accordés aux Palestiniens. À défaut d'égalité, s'en trouveraient légitimés les constats sur les situations de ségrégation et d'apartheid d'ores et déjà dénoncés dans la situation actuelle. Cette perspective ne semble acceptée par aucune des parties.

La solution à deux États est la pire des solutions
à l'exception de toutes les autres :
il est urgent de redonner un espoir au processus de paix avec un horizon politique et un nouvel agenda

DES PISTES DE RÉFLEXION POUR REDONNER UN HORIZON POLITIQUE ET UN AGENDA AU PROCESSUS DE PAIX

La commission n'a pas la prétention de proposer une solution et des recommandations sur un sujet hautement sensible qui nécessite de la prudence et de la sagesse, mais tout autant de détermination à trouver une voie de retour au dialogue. Pour cela et compte tenu des multiples échecs antérieurs, la voie proposée est celle de « ne pas s'interdire de réfléchir » pour tenter de faire sortir la solution à deux États de la posture devenue purement incantatoire dans laquelle les parties et la communauté internationale sont aujourd'hui enfermées.

Aussi, compte tenu de l'état de tension du Proche et Moyen-Orient, remettre sur la table des négociations un espoir de paix pourra être perçu comme une contribution à la stabilité de la région. La méthode proposée, à l'échelle de la France et de l'Union européenne, est dans un premier temps de reprendre l'initiative politique (objectif n° 1) afin de réfléchir à une nouvelle feuille de route, un nouvel agenda « pas à pas » pour le processus de paix (objectif n° 2). Douze pistes de réflexions sont proposées pour mettre en oeuvre ces deux objectifs.

I. OBJECTIF N°1 : REPRENDRE L'INITIATIVE POLITIQUE

1. Réaffirmer que la solution à deux États est la seule voie possible et acceptable par toutes les parties

Cette préconisation reprend les dispositions du droit international mais n'exclut pas pour autant qu'une réflexion ait lieu sur les critères et la progressivité de mise en oeuvre des conditions de souveraineté et d'indépendance de l'État de Palestine.

2. Mettre en place un groupe de travail pour élaborer un diagnostic de la situation et étudier les nouveaux paramètres d'une relance du processus de paix israélo-palestinien, préalable à toute organisation d'une conférence internationale

Il s'agirait de proposer, en préalable à l'organisation par la France d'une conférence de la paix, la création d'un groupe de travail chargé d'établir un diagnostic tenant compte de l'évolution de la situation depuis les accords d'Oslo et de remettre à plat les paramètres nécessaires à la relance du processus de paix israélo-palestinien.

3. Appeler l'Union européenne à s'emparer du volet politique du processus de paix en plus de son rôle de bailleur financier et humanitaire

A la suite du déplacement de Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne en Israël et dans les Territoires palestiniens en juin 2022 pour aborder la question de l'approvisionnement en gaz israélien et débloquer 200 millions d'euros d'aide aux Palestiniens, il est proposé que l'Union européenne prenne l'initiative de porter politiquement la reprise d'un processus de paix au Proche-Orient.

4. Associer à la démarche les États riverains, l'Égypte, la Jordanie et le Liban, et les pays partenaires des accords d'Abraham

La France entretient des relations de partenariat stratégique, de stabilisation de la région et d'amitié avec les pays riverains d'Israël et des Territoires palestiniens : l'Égypte, la Jordanie et le Liban. Une démarche tendant à les associer serait de nature à lever les blocages régionaux, comme la recherche de l'appui des pays partenaires des accords d'Abraham (Émirats arabes unis, Bahreïn, Maroc et Soudan).

5. S'appuyer sur la mission institutionnelle de la France en Israël et en Palestine au titre notamment des domaines nationaux de la France à Jérusalem, de l'Institut français de Gaza et de ses actions de coopération en matière de développement

La présence institutionnelle et historique de la France auprès d'Israël et des Territoires palestiniens doit être saluée, mise en valeur et mise à contribution pour toute initiative contribuant au rapprochement entre Israéliens et Palestiniens.

6. Intensifier les relations interparlementaires

La tradition du dialogue parlementaire ouvre un canal de discussion libre et ouvert, sans les contraintes inhérentes aux positions politiques des exécutifs.

II. OBJECTIF N° 2 : PROMOUVOIR UNE NOUVELLE FEUILLE ROUTE « PAS À PAS »

1. Recenser les irritants et réfléchir à une levée progressive des points de blocage de la solution à deux États

Le recensement des irritants et l'analyse des possibilités de levée progressive des points de blocage de la solution à deux États seraient les premières tâches à confier aux négociateurs.

2. Examiner les conditions d'implantation à Jérusalem-Est d'une capitale de droit pour la Palestine

Le statut de Jérusalem constitue un irritant central entre les deux parties puisque, d'une part nos interlocuteurs à la Knesset nous ont très clairement réaffirmé qu'Israël ne quitterait jamais Jérusalem-Est, d'autre part, les Palestiniens affirment leur souveraineté sur cette partie de la ville.

De nombreux exemples dans le monde (Cambera/Sydney, La Haye/Amsterdam, etc.) montrent qu'une capitale juridique peut se distinguer d'une capitale économique ou de fait.

3. Réfléchir à la question de la reconnaissance de l'État de Palestine à condition de l'assortir d'un calendrier partagé d'accession « pas à pas » à la souveraineté

À l'initiative de Gilbert Roger, le Sénat a adopté en 2014 une résolution visant à reconnaître la souveraineté de l'État de Palestine. À l'époque, Laurent Fabius avait envisagé une telle reconnaissance par la France si la Conférence pour la Paix qu'il proposait se déroulait sans la venue d'Israël. Seule la Suède a pour l'heure exprimé cette reconnaissance. La question de la reconnaissance de la Palestine pourrait être reconsidérée, avec le soutien de pays de l'Union européenne à la condition de l'assortir d'un calendrier progressif d'accession à la souveraineté.

4. Fixer un agenda démocratique pour la Palestine avec une garantie internationale sur le déroulement du scrutin en Cisjordanie, à Gaza et à Jérusalem-Est

L'organisation d'élections législatives dans les Territoires palestiniens est une condition préalable à la reprise de discussions pour assurer la légitimité des parties en présence. Une garantie internationale doit être apportée à l'organisation du scrutin, notamment à Jérusalem-Est.

5. Appeler Israël à abandonner la stratégie de colonisation en Cisjordanie et à Jérusalem-Est

La France, comme la communauté internationale, considère que la politique de colonisation est illégale en vertu du droit international, qu'elle nuit à la recherche d'une paix juste et durable et menace la solution des deux États. Elle condamne les transgressions des résolutions de l'ONU et du droit international à ce propos.

6. Engager la désescalade de la violence et s'abstenir de toute provocation ou action susceptible d'aggraver la situation

Toutes les parties, israéliennes et palestiniennes, s'engagent à rechercher la désescalade et à renoncer aux violences non légitimes.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le 14 décembre 2022, sous la présidence de M. Christian Cambon, président, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé à l'examen du rapport de M. Christian Cambon, Président, MM. Olivier Cigolotti, Guillaume Gontard, Pierre Laurent, Vice-présidents, Mmes Nicole Duranton et Sylvie Goy-Chavent, Sénateurs.

M. Christian Cambon, président, rapporteur. - Nous allons maintenant examiner les conclusions du rapport d'information sur les perspectives du processus de paix au Proche-Orient. Je présenterai les principales conclusions du rapport, puis chacun pourra exprimer son point de vue ou celui de son groupe.

J'ai conduit du 26 juin au 2 juillet 2022 une délégation composée de nos collègues Olivier Cigolotti, Guillaume Gontard, Pierre Laurent, Sylvie Goy-Chavent et Nicole Duranton en Israël et dans les Territoires palestiniens de la bande de Gaza. Mickaël Vallet faisait partie de la délégation, mais il a été touché par la covid dès le premier jour et n'a pu participer à l'ensemble du programme.

Cette mission avait pour thème l'avenir du processus de paix au Proche-Orient, un sujet d'une haute sensibilité sur lequel nul d'entre nous n'ignore les divergences politiques qui existent au niveau international, entre les acteurs de la région, mais aussi à notre niveau sur la question de la reconnaissance de la Palestine comme un État souverain. C'est pourquoi, en accord avec le bureau de notre commission, j'avais demandé et obtenu une dérogation à nos règles de déplacement, afin que tous les groupes politiques du Sénat qui le souhaitaient soient représentés, avec donc sept sénateurs.

Après la résolution 181 de l'ONU de 1947, il y a 75 ans, et bientôt 30 ans après les accords d'Oslo instituant la solution à deux États, l'occasion nous était ainsi donnée d'interroger chacune des parties sur les chances de reprise d'un dialogue autour de la solution à deux États, sans ignorer le contexte d'extrême tension sécuritaire et politique qui entourait notre déplacement.

En effet, après la grave crise de Gaza de mai 2021, la situation n'a cessé de se dégrader avec, dans les trois mois précédant notre visite, la mort de 19 Israéliens tués dans des attaques terroristes et de plus de 60 civils palestiniens, du fait des forces de sécurité israéliennes ou de colons. Cette situation s'est depuis encore dégradée, avec un très net regain de violence en Cisjordanie et à Jérusalem, qui a connu un double attentat à l'explosif fin novembre.

Dans le même temps, notre mission a coïncidé avec la dissolution de la Knesset et le lancement de nouvelles élections législatives, les cinquièmes en moins de quatre ans. Comme vous le savez, ces élections se sont tenues le 1er novembre dernier et ont donné une assez large victoire au Likoud. À l'heure où nous parlons, Benjamin Netanyahou est toujours en train de négocier des accords de coalition, en vue de former un nouveau gouvernement.

Compte tenu de ce contexte, il est important de saluer l'excellent accueil qui nous a été réservé par la Knesset à Jérusalem puis par l'Autorité palestinienne à Ramallah. J'en profite également pour souligner les efforts déployés par notre ambassade, et ceux de notre consulat, qui a rendu possible la visite à Gaza de l'antenne de l'Institut français, ainsi que d'une usine de traitement des eaux financée par l'Agence française de développement (AFD) et l'Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA). Je souligne le formidable travail réalisé par la France dans les Territoires palestiniens.

Nous avons donc été reçus à haut niveau, et les deux parties, israélienne et palestinienne, nous ont exprimé leurs positions sur la question du processus de paix. Il est ressorti de nos entretiens et visites de terrain un état des lieux très inquiétant : une tension extrême, une montée des radicalismes et le risque d'une rupture irréversible du processus de paix.

Les priorités pour Israël, comme cela nous a été dit clairement, sont la sécurité et la lutte contre le terrorisme, le regard tourné vers l'Iran. De fait, nous avons vu que la crise de Gaza de mai 2021 a mis en évidence l'exposition de tout le territoire aux tirs de roquettes provenant de la bande de Gaza, du Hamas et du Jihad islamique, plus extrémiste encore, mais aussi du Liban et du Hezbollah. Nous sommes descendus dans les fameux tunnels creusés par les terroristes à la frontière entre le Liban et Israël, pour infiltrer le territoire israélien.

Les principales formations politiques de la Knesset que nous avons rencontrées sont convaincues que la principale menace sur l'existence de l'État d'Israël est l'Iran, en raison de son programme nucléaire et balistique ainsi qu'à cause de ses ramifications au Liban via le Hezbollah, ou dans les Territoires palestiniens, par l'intermédiaire du Hamas et du Jihad islamique.

L'échiquier politique israélien relègue la question palestinienne au second plan, compte tenu de la nécessité de composer avec des coalitions où les partis les plus radicaux rejettent toute relance d'un processus de paix. Ainsi, même si le parti Yesh Atid de Yaïr Lapid soutenait la solution à deux États, il n'a pu progresser sur ce sujet en raison de l'absence d'accord de plusieurs partis de sa coalition. Il n'en sera pas autrement pour la nouvelle coalition que Benjamin Netanyahou s'efforce de mettre en place, dont certains membres soutiendraient même l'idée d'une annexion de la Cisjordanie.

Pour l'Autorité palestinienne, la reconnaissance de la souveraineté de la Palestine constitue toujours l'objectif politique majeur.

De notre entretien avec le Premier ministre, Mohammad Shtayyeh, nous avons bien saisi l'appel en direction de la France et de l'Europe face au désengagement américain et à l'absence d'initiative en faveur d'un processus politique de résolution du conflit israélo-palestinien. Plus largement, la viabilité d'une Palestine indépendante est remise en cause par la poursuite de la politique de colonisation et la discontinuité territoriale des Territoires palestiniens, dont on prend bien la mesure sur place.

De nos visites à Bethléem, Hébron et Jérusalem-Est, nous comprenons le découragement devant l'absence de perspective d'accession à l'indépendance et la dégradation généralisée de la situation. À Hébron, des rues de la vieille ville sont fermées par des murs, de chaque côté desquels les populations s'épient et s'agressent. Cette perte d'espoir et de perspectives est en soi un important facteur de risque. Concrètement, l'Autorité palestinienne pourrait être débordée par des mouvements encore plus radicaux que le Hamas.

Les éléments que nous vous livrons ici ne sont bien sûr que très partiels, et plus de précisions figureront dans le rapport. Toujours est-il que si j'ai veillé à respecter un équilibre dans l'organisation de cette mission entre nos partenaires israéliens et palestiniens, cela ne signifie pas que nous jugions la relation entre Israël et les Territoires palestiniens comme égale et équilibrée. Mes collègues, et notamment Pierre Laurent et Guillaume Gontard, pourront compléter mes propos sur l'asymétrie des rapports israélo-palestiniens, dans lequel seul Israël détient les pouvoirs d'un État souverain, et sur le nécessaire respect du droit international. Le rapport rappellera bien sûr la position de la France en faveur de la solution à deux États, avec d'une part le droit d'Israël à exister et à vivre en sécurité, et d'autre part la création d'un État palestinien, vivant dans des frontières sûres et reconnues. Cette position va de pair avec le respect du droit international et la condamnation ferme de toute politique de colonisation.

J'en viens au rôle de la France. Nos interlocuteurs nous ont fait remarquer que la France continuait à avoir un rôle à jouer en raison de son influence dans la région, notamment au Liban, en Jordanie et en Égypte, mais aussi de par sa présence institutionnelle et historique, notamment au titre de ses domaines nationaux de Jérusalem et de l'antenne de l'Institut français à Gaza, laquelle se situe dans une zone ayant connu de nombreux bombardements. C'est une fierté de voir que la France est présente auprès de la population de Gaza, pour offrir un regard sur le monde et sur notre culture à des habitants dont la plupart ne sont jamais sortis de l'enclave - notons qu'aucune mission sénatoriale ne s'était rendue à Gaza depuis près de 18 ans.

Côté israélien, il y a une demande et un intérêt mutuel bien compris de renforcement du dialogue politique et interparlementaire. Côté palestinien, nous avons bien entendu le besoin de soutien financier et politique que la France peut apporter soit directement, soit par son entremise avec l'Union européenne et les Nations unies.

J'en viens maintenant à nos conclusions sur cette mission. Soyez rassurés, nous n'avons pas la prétention de proposer des recommandations sur un dossier qui n'a pas pu être réglé en 75 ans. On voit bien ce que deviennent les plans de paix et les conventions internationales de toutes sortes. Je me contenterai de vous proposer tout au plus quelques constats et quelques pistes de réflexion consensuelles, élaborées par l'ensemble des commissaires ayant réalisé ce déplacement.

S'agissant des constats, force est de reconnaître que le processus de paix se trouve dans une triple impasse de politique intérieure israélienne - l'élection de Benjamin Netanyahou ne devrait d'ailleurs pas favoriser les choses -, de déficit de légitimité de l'Autorité palestinienne et de paralysie du « Quartet pour le Moyen-Orient » composé des États-Unis, de la Russie, de l'Union européenne et des Nations unies. Mais le statu quo est-il possible ? La solution d'un État unique trouve un écho auprès de Palestiniens qui désespèrent du blocage du processus de paix et espèrent un meilleur développement économique, mais cette solution est-elle viable et acceptable ?

Toutes les parties prenantes s'accordent sur le fait que la solution à deux États n'est pas viable dans les paramètres actuels. Mais pour autant, il ne faut pas oublier que le statu quo et l'absence de résolution du conflit israélo-palestinien restent une source de danger pour la société israélienne elle-même : la crise de Gaza a embrasé la société israélienne avec des affrontements intra-israéliens entre juifs et arabes, bien au-delà de l'affrontement entre Israël et le Hamas.

La solution à un seul État a semblé poser des problèmes insurmontables à tous nos interlocuteurs, qu'il s'agisse de problèmes démographiques ou consubstantiels à la judéité de l'État d'Israël, mais aussi, du point de vue palestinien, des risques de ségrégation et d'apartheid pour les droits des Palestiniens.

Aussi, pour reprendre le célèbre aphorisme de Winston Churchill, nous pourrions en arriver à la conclusion que la solution à deux États est la pire des solutions, à l'exception de toutes les autres.

J'en viens donc aux pistes de réflexion que nous proposons. Comment redonner un espoir au processus de paix, avec un horizon politique et un nouvel agenda ?

Il faut admettre que la solution à deux États est devenue une posture purement incantatoire, dans laquelle les parties, la communauté internationale et nous-mêmes, avec notre diplomatie, nous nous sommes enfermés. Soutenir concrètement la solution à deux États doit nous conduire à établir un diagnostic qui tienne compte des nouveaux paramètres de la situation et de ce que veulent vraiment les populations, en Israël et en Palestine.

Nous proposons de fixer comme premier objectif que la France et l'Union européenne reprennent l'initiative politique, afin, dans un second objectif, de réfléchir à une nouvelle feuille de route, un nouvel agenda « pas à pas » pour le processus de paix. Cette expression a été reprise avec insistance par plusieurs de nos interlocuteurs : les plans tout faits, comme celui de Jared Kushner, sont voués à l'échec, et le processus sera très lent. Pour mettre en oeuvre ces deux objectifs, nous vous proposons douze pistes de réflexion.

La première, c'est de réaffirmer que la solution à deux États est la seule voie possible et acceptable par toutes les parties. Il vaut mieux tordre le cou à l'idée d'un seul État, rejetée par les deux parties pour des raisons différentes.

Notre deuxième proposition est de préparer, à l'initiative de la France, une conférence internationale pour établir un diagnostic et étudier les paramètres d'une relance du processus de paix israélo-palestinien. Mais, pour qu'il ne s'agisse pas d'une énième conférence internationale sans lendemain, il faudrait qu'un groupe de travail s'attache en amont à élaborer avec toutes les parties prenantes un nouveau diagnostic de la situation, en remettant à plat les paramètres d'application de la solution à deux États et cesser d'en parler de manière incantatoire. Tant du côté israélien que du côté palestinien, les choses ont énormément changé : il faut prendre en compte les évolutions de la population et des problématiques internationales, comme le fait que les Palestiniens se sentent oubliés, y compris du monde arabe. Avant d'organiser une conférence internationale, il faut donc un groupe de travail réunissant toutes les parties prenantes pour établir un nouveau diagnostic de la situation.

Notre troisième proposition est d'appeler l'Union européenne à s'emparer du volet politique du processus de paix, en plus de son rôle de bailleur financier et humanitaire. Nous ne pouvons que constater qu'en matière diplomatique et politique, l'Union européenne est trop absente.

Notre quatrième proposition est d'associer à la démarche les États riverains, l'Égypte, la Jordanie et le Liban, ainsi que les pays partenaires des accords d'Abraham. La commission des affaires étrangères a réalisé ou va mener en 2023 des déplacements dans ces pays, et il nous faut réunir les travaux des rapports précédents. Les accords d'Abraham méritent de faire l'objet d'un examen précis, car des pays qui se combattaient autrefois s'entendent désormais pour des intérêts régionaux qui dépassent le sort des populations, comme la confrontation entre l'Arabie Saoudite et l'Iran en témoigne.

Notre cinquième recommandation est de s'appuyer sur la mission institutionnelle de la France en Israël et en Palestine, au titre notamment des domaines nationaux de la France à Jérusalem, de l'Institut français de Gaza et de ses actions de coopération en matière de développement. La présence française est immédiatement identifiable, notamment dans le domaine culturel, mais pas seulement.

Notre sixième proposition est d'intensifier les relations interparlementaires, notamment pour préciser le diagnostic et les paramètres de relance du processus de paix. Israël se plaint d'insuffisants contacts, tant entre les dirigeants gouvernementaux qu'entre les parlements, et notamment entre les groupes d'amitié. Entendons-les.

Pour le second objectif, qui vise à promouvoir une nouvelle feuille de route, voici six autres préconisations.

D'une part, il faut recenser les irritants et réfléchir à une levée progressive des points de blocage de la solution à deux États.

Puis, nous devons examiner les conditions d'implantation à Jérusalem-Est d'une capitale de droit pour la Palestine. Ce sujet est épineux, car le contentieux revient de manière permanente, le principal argument avancé par les Palestiniens pour ne pas organiser d'élections étant qu'Israël ne permet pas l'organisation de ces élections à Jérusalem-Est.

Notre troisième recommandation est de réfléchir à la question de la reconnaissance officielle de l'État de Palestine, à condition de l'assortir d'un calendrier partagé d'accession « pas à pas » à la souveraineté, cette progression devant permettre de faire accepter la situation nouvelle.

Quatrième recommandation, il faut fixer un agenda démocratique pour la Palestine avec une garantie internationale sur le déroulement du scrutin en Cisjordanie, à Gaza et à Jérusalem-Est. Une part des critiques faites aux Palestiniens est d'être incapables d'introduire un processus démocratique : il n'y a pas eu d'élection depuis 16 ans. En plus de l'opposition entre le Hamas et l'Autorité palestinienne, le Jihad islamique apparaît encore plus radical que le Hamas.

Notre cinquième recommandation est d'appeler Israël à abandonner la stratégie de colonisation en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. Lorsque l'on visite Israël, les murs et les séparations sont effroyables. À Hébron, l'hostilité entre les deux communautés est la plus forte. Dans une rue qui sépare les deux communautés, les Israéliens ont l'habitude de jeter les pires déchets sur la tête des Palestiniens, et la rue doit être couverte de grillages de protection. Nous avons constaté dans cette ville de très fortes tensions entre les communautés, et notamment l'hostilité de colons juifs d'origine américaine.

Enfin, nous terminons par un voeu pieux : celui d'engager les parties à s'abstenir de toute provocation ou action susceptible d'aggraver la situation, afin d'engager une désescalade de la violence.

J'ai résumé nos principales pistes de réflexion qui font l'objet d'un consensus. Je propose que les collègues ayant participé à cette mission éreintante et passionnante prennent désormais la parole.

Nous reviendrons peut-être sur le fait que j'ai dû personnellement insister auprès des autorités militaires et intervenir auprès de la Knesset pour obtenir, grâce à cette dernière, que nous puissions entrer à Gaza, alors que ce voyage avait été négocié depuis longtemps, avec un engagement de notre part sur le programme des visites. Nous avions également dû insister pour voir les installations du « dôme de fer ».

M. Olivier Cigolotti, rapporteur. - Je souscris aux conclusions présentées par notre président et m'associe aux remerciements qu'il a adressés à nos hôtes de la Knesset et de l'Autorité palestinienne. J'ajoute que sans l'engagement de nos diplomates - nous étions parfois aux limites de l'incident diplomatique - nous n'aurions certainement pas pu faire un tour d'horizon aussi complet aux frontières nord et sud d'Israël, ainsi que dans les Territoires palestiniens, notamment à Gaza.

Pour ma part, et en complément de ce que vient d'exposer le président, je voudrais mettre en évidence la vulnérabilité d'Israël face aux attaques aériennes, pouvant provenir de la menace balistique iranienne ou de groupes armés, le Hezbollah à partir du Sud Liban, le Hamas et le Jihad islamique depuis Gaza.

Cette situation explique l'expertise qu'a développée l'industrie de défense israélienne, notamment l'entreprise Rafael avec le concours américain, pour développer le système antiaérien dit « dôme de fer ».

Mes collègues pourront confirmer les difficultés « administratives » que nous avons dû surmonter pour pouvoir visiter une batterie de ce « dôme de fer » à proximité de la bande de Gaza. Il faut se rendre compte que lors de la crise de Gaza de mai 2021 plus de 4 000 roquettes ont été tirées depuis Gaza, faisant 12 morts et 355 blessés côté israélien. Je n'oublie pas de dire qu'en représailles, les bombardements israéliens ont provoqué du côté palestinien 248 morts et 1 910 blessés.

Israël disposait déjà d'un dispositif de défense passive matérialisé par des abris dans les résidences individuelles ou collectives. Nous avons pu nous en rendre compte lors de la visite d'un « moshav » se situant à quelques centaines de mètres du mur de séparation construit autour de Gaza. Le temps imparti pour se rendre à un abri va de quelques secondes à 3 minutes au maximum, selon le lieu où l'on se trouve. Aussi l'armée israélienne a-t-elle mis en place ce système antimissile, dont le dispositif de détection et de calcul des trajectoires permet d'intercepter environ 90 % des roquettes tirées vers les zones habitées.

La délégation a pu également se rendre compte de tout l'arsenal sécuritaire développé par les forces israéliennes de défense sur la « ligne bleue » à la frontière nord avec le Liban, et visiter un des tunnels creusés par le Hezbollah sous la frontière.

Bien sûr, il faut se montrer circonspect sur les impressions que l'on peut avoir sur les lieux tant la situation est complexe. Ainsi, nous n'avons pas pu nous rendre sur le plateau du Golan.

Plus largement, c'est sur le terrain que nous pouvons mesurer la dimension sécuritaire de la politique israélienne, avec une jeunesse en arme du fait du service militaire obligatoire, l'omniprésence des murs et des checkpoints séparant les différentes zones de Cisjordanie.

M. Pierre Laurent, rapporteur. - Je remercie le président Cambon pour l'organisation de notre visite et la qualité du travail de la délégation, y compris dans les moments tendus. Je partage les recommandations du rapport : dans la situation actuelle, elles sont importantes.

Sans rentrer dans les détails, j'ai fait remarquer au président que le rapport fait état de nos discussions et de nos impressions d'un côté et de l'autre, mais qu'il ne faut pas que cela efface la dimension totalement asymétrique de la situation. Comme nous le disons dans le rapport, le processus d'accession à la pleine souveraineté des Palestiniens sur les territoires occupés n'a jamais eu lieu. Il y a une puissance occupante et colonisatrice, et une autre qui subit la situation.

La présence palestinienne ne doit pas être réduite à celle de plusieurs groupes plus ou moins radicaux. Il y a une non-reconnaissance des droits de 6 millions de Palestiniens, qui ne peuvent pas vivre normalement, ce qui rend la situation intenable. Nous avons pu vérifier la réalité de la formule selon laquelle Gaza, territoire totalement fermé, est une prison à ciel ouvert. Selon les Israéliens, 14 000 permis de travail sont délivrés ; autant dire, en comparaison avec les deux millions d'habitants de la bande de Gaza, que personne n'entre ni ne sort. Nous avons nous-mêmes éprouvé les conditions de contrôle des entrées et des sorties : la situation humanitaire est très grave. Heureusement que l'UNRWA est sur place, pour tenir à bout de bras la situation humanitaire, notamment pour la scolarisation : sans elle, la situation serait encore plus dramatique.

Nous avons visité Gaza et Hébron. Auparavant, j'étais déjà allé dans les territoires occupés, où les atteintes aux droits humains sont quotidiennes, permanentes et insupportables, où la politique de colonisation progresse et continue d'aggraver la situation.

Dans ces conditions, malgré toutes les difficultés, il est important de réaffirmer la solution à deux États. La solution à un État, évoquée par certains, n'a aucune viabilité réelle. Nous devons reprendre l'idée d'une conférence internationale à l'initiative de la France, et reparler de la reconnaissance de l'État de Palestine.

Nous proposons également une recommandation de garantie internationale pour permettre aux Palestiniens de tenir leurs élections. L'absence d'élections constitue une réelle difficulté, compte tenu du déficit d'autorité de l'Autorité palestinienne.

Ma dernière remarque est que dans la région il y a un très grave problème d'impunité internationale. Il faudrait émettre une recommandation pour affirmer que la France agira pour que cette impunité ne perdure pas. Le gouvernement israélien qui se prépare n'arrangera pas la situation, et ne peut agir en toute impunité, en bafouant le droit international. La passivité de la communauté internationale devient très problématique.

M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Je partage entièrement les propos de Pierre Laurent. Ce voyage était important, et j'en remercie le président Cambon. En cette période, le conflit israélo-palestinien passe en deçà des radars, on a l'impression de ne plus rien avoir à y faire ; il faut au contraire le rendre à nouveau visible.

Cette délégation n'a pas toujours été facilement conduite. Nous avons dû insister, notamment pour nous rendre à Gaza, ce qui était très important. Je souscris totalement aux importantes recommandations du rapport.

C'était la première fois que je me rendais dans cette région. On n'en revient pas indemne : voir la réalité de la situation dans les territoires occupés, le contexte politique en Israël, et les problématiques qui se posent des deux côtés, entre l'exigence des Israéliens de vivre en sécurité et les événements dramatiques côté palestinien, permet d'appréhender les choses autrement.

J'ai ressenti une très forte tension, et perçu le danger que représente l'absence de perspectives. Avec les députés israéliens et les habitants palestiniens, nous en avons discuté : ils ont conscience que cela ne peut durer ainsi. La jeunesse palestinienne est très vive, s'investit dans son pays, veut passer à autre chose et vivre en sécurité.

Je partage l'ensemble des recommandations, mais il faut peut-être mettre en avant le respect des règles internationales. On ne pourra pas avancer sans condamner clairement et fermement la colonisation, premier problème qui se pose actuellement. Il ne suffit pas de condamner : il faut des sanctions claires contre la colonisation, à Hébron comme sur l'ensemble du territoire. Il faut une prise de conscience internationale, dans laquelle la France et l'Europe peuvent jouer un rôle important.

Il faut affirmer que la solution à deux États reste la seule solution. Qu'impliquerait la solution à un État ? Des citoyens de seconde zone ? Il n'y a aucune perspective pour la solution à un État. Il faut donc reconnaître l'existence de l'État palestinien. Une résolution du Sénat de 2014 avait reconnu la réalité de l'État palestinien : c'est un préalable qu'il faut réaffirmer.

Concernant l'avancée « pas à pas », nous nous demandons quels peuvent être les déclics pour déclencher les discussions et ouvrir des perspectives. La question des élections me semble pouvoir aller dans ce sens. Depuis 2005, il n'y a pas eu d'élections palestiniennes, à part quelques élections locales ; une génération n'a jamais pu peser sur l'avenir de son pays. Cela ne peut plus durer : la jeunesse demande des perspectives. La communauté internationale ne doit pas avoir peur d'encadrer des élections : on avance souvent que le Hamas représente un risque, mais il ne faut pas avoir peur de la démocratie, qui reste un levier important pour avancer. La communauté internationale, la France et l'Europe doivent jouer un rôle.

Mme Nicole Duranton, rapporteur. - Je souhaite revenir sur deux temps forts de notre mission : nous avons pu aller à Gaza, grâce à l'ambassadeur de France et à nos collègues de la Knesset, mais surtout à la pugnacité de notre président. Merci encore : cela faisait partie de notre programme, nous devions aller à Gaza, et nous y sommes allés.

La France y est présente physiquement, par une antenne de l'Institut français. C'est d'ailleurs la seule représentation officielle d'un État européen et occidental dans ce territoire. Je souhaite à cette occasion rendre hommage aux agents de nos services consulaires, ainsi qu'aux Gazaouis, qui y trouvent un lieu de culture, d'échange et de calme dans ce qu'il faut bien nommer une prison et une déchetterie à ciel ouvert.

Le président l'a déjà dit, mais c'est sur place qu'il faut se rendre compte de l'utilité de l'aide que la France apporte par l'AFD et par les Nations unies ; 70 % de la population y vit sous le statut de réfugié.

Lors de la visite de l'Institut français, j'ai échangé avec trois jeunes étudiants gazaouis, qui ne sont jamais sortis de Gaza. Nos échanges ont été très riches et émouvants. La population de Gaza est privée de liberté de circulation ; il n'y a pas d'eau potable, d'éducation, de santé. Tout est à revoir. Mais malgré cette situation, ces jeunes restaient confiants, déterminés et volontaires. Ils se disaient heureux de pouvoir étudier et de fréquenter l'Institut français. Malgré les mesures d'occupation, le chômage et l'absence de perspective, ils gardent espoir et continuent de s'accrocher à la vie. Quel témoignage extraordinaire ! Grâce à cette jeunesse, Gaza garde l'espoir d'une vie meilleure, et toute la Palestine pense à l'avenir. Ces jeunes m'ont donné une leçon de vie. De jeunes francophones ont créé un site d'information en français, « Gaza en français », pour informer le monde francophone, et partager leur vie quotidienne à Gaza ; pour eux, partager, c'est continuer à vivre. J'ai été très émue d'échanger avec ces jeunes.

Le second temps fort a été celui de la visite de la vieille ville d'Hébron, où la situation dépasse l'entendement. Depuis 1997, et plus encore à la suite de la deuxième intifada en 2000, la vieille ville d'Hébron comporte une enclave israélienne étroitement surveillée par l'armée - nous-mêmes étions en permanence suivis par des soldats israéliens. Cette situation se caractérise par une imbrication de la colonie au sein même de la cité, avec par exemple les rez-de-chaussée d'une rue appartenant à des Palestiniens, tandis que les étages et les terrasses sont condamnés et sous contrôle militaire, surveillés par des caméras. Le cycle des violences intercommunautaires est dur et tenace. On toucherait à l'absurde si cet exemple d'enfermement mutuel n'était pas le symbole du déni de toute fraternité humaine. On se demande d'ailleurs qui enferme qui...

Pour autant, je ne souhaite pas réduire l'ampleur du conflit israélo-palestinien ni sa complexité à la seule détresse des Palestiniens.

Nous avons vu combien la vie quotidienne côté israélien comporte d'angoisses sur la survenue d'un attentat ou d'une attaque. Le soir même de notre arrivée à Jérusalem, nous avons été confrontés au bouclage de la vieille ville à la suite d'une tentative d'attaque au couteau. Certains arrêts de bus sont encadrés par des militaires postés et en armes, ce qui illustre l'état de tension de la vie quotidienne.

Aussi, dans le contexte de la guerre en Ukraine, qui détourne l'attention internationale du conflit israélo-palestinien, la paix au Proche-Orient ne doit pas cesser d'être une priorité. Comme le Président de la République est parfois seul à le rappeler à nos interlocuteurs, qu'ils soient israéliens, américains ou européens, la résolution du conflit israélo-palestinien ne doit pas passer au second plan derrière la menace iranienne ou les accords d'Abraham.

Je vous remercie pour ce déplacement, monsieur le président, mes chers collègues, ainsi que M. Patriat, qui m'a permis de participer à ce déplacement au nom de notre groupe.

M. Christian Cambon, président, rapporteur. - Nous souhaitions faire ce déplacement depuis longtemps. Nous n'en ressortons pas très optimistes ; les éléments de fonds ont énormément changé. Les hommes politiques israéliens disent que le problème n'est plus de savoir s'il faut privilégier la solution à un ou à deux États, mais que le seul problème, c'est la sécurité et l'Iran, qui ne doit pas avoir la bombe nucléaire.

M. Cédric Perrin. - Merci pour vos témoignages. Concernant le « dôme de fer », la soutenabilité économique du système a-t-elle été évoquée ? Des missiles à bas coût sont interceptés par d'autres qui coûtent très cher. En Europe, un système similaire pourrait se développer.

M. Olivier Cigolotti, rapporteur. - L'aspect financier n'a pas été évoqué. L'ensemble de ces batteries est souvent manoeuvré par de jeunes recrues, souvent des femmes. La préoccupation majeure est l'efficacité : 90 % des tirs sont interceptés, par un mode de calcul impressionnant. L'aspect financier n'est pas la priorité, contrairement à l'efficacité, la détection des tirs et l'interception par une batterie ou une autre, qui sont réparties avec un maillage précis du territoire.

M. Christian Cambon, président, rapporteur. - Il faut comprendre que, par rapport au projet allemand ou aux problématiques de défense aérienne, ce système marche très bien parce que les distances sont très courtes. C'est la difficulté de mise en oeuvre de ce dispositif : les radars extrêmement précis permettent de détecter le tir au moment où il intervient.

Un taux important de ces tirs retombe dans les champs. Ce sont les zones urbaines qui sont protégées. Les servantes de ces batteries sont des jeunes recrues, venant souvent d'Europe ou d'ailleurs, formées lors d'un service militaire long, qui dure deux à trois ans.

Mme Gisèle Jourda. - Dans cette commission, où nos rapports sont souvent très suivis, je n'ai jamais entendu un rapport ayant autant de sens. Les pistes de réflexion proposées sont les seules que l'on puisse émettre : elles sont sages et clairvoyantes.

Il faut reprendre la piste à deux États, organiser une conférence internationale, et reconnaître l'État palestinien. Je remercie la délégation pour ces témoignages.

À Carcassonne, depuis longtemps, nous avons instauré un lien avec Gaza, mais depuis trois ans, les associations ne peuvent plus la rejoindre, alors que pendant de nombreuses années c'était possible. Je regrette que ce type de liens ne puisse plus être entretenu.

Avec cet enfermement des Territoires palestiniens, je ne me pose pas la question de savoir qui enferme qui : la réponse est claire. Il faut soutenir la présence des associations internationales.

Concernant la question sanitaire et l'accès aux soins de la population, la démographie va jouer un rôle. Mais au quotidien, pour pouvoir se soigner ou même accoucher - je me souviens du témoignage d'un médecin palestinien qui devait passer plusieurs checkpoints pour travailler et qui est d'ailleurs décédé dans une attaque - la situation est digne de celle d'un État occupé, en guerre constante.

Ce rapport n'est pas une restitution comme les autres. Comment humaniser cette situation occultée par une avalanche d'autres événements, qui n'apparaît plus sur les chaînes d'information en continu, alors que le problème nous concerne tous ? Je termine par une interrogation personnelle : comment un peuple persécuté peut-il en persécuter un autre, avec l'appui de certaines grandes puissances ?

M. Christian Cambon, président, rapporteur. - L'entrée à Gaza est une épreuve incroyable, où il faut passer trois niveaux de contrôle : Israël, l'Autorité palestinienne, et officieusement le Hamas. Nous, qui étions une délégation officielle, avec un drapeau, nous y avons passé un temps fou. Depuis, c'est terminé : si nous refaisions ce voyage aujourd'hui, nous ne pourrions plus passer. Il n'y a plus qu'un seul point d'entrée dans Gaza depuis l'Égypte.

L'aire d'échange des marchandises, située à Kerem Shalom, est invraisemblable. Dans un désert se trouve un campement gigantesque de douane, hypersurveillé, où des camions déposent des marchandises, qui sont ensuite chargées sur d'autres véhicules, puis déposées 600 mètres plus loin pour rentrer dans Gaza, avec à chaque fois des contrôles. Le transit des marchandises est déjà très difficile, alors pour les personnes... Une autorité souveraine peut décider qu'aujourd'hui personne ne passe. Aucune ONG classique ne peut passer, à l'exception de l'UNWRA, qui porte le système social de Gaza. Nous en avions d'ailleurs reçu le directeur général au moment de la suppression de la subvention des États-Unis - depuis, M. Biden l'a en partie rétablie. Il suffit de passer une journée à Gaza pour comprendre tout de suite que l'on y vit comme dans un territoire du milieu de nulle part. Pour cette raison, la présence française fait chaud au coeur : l'Institut français est comme une bulle de bonheur, mais il y a eu des bombardements juste à côté qui ont affecté l'Institut.

M. Pierre Laurent, rapporteur. - Mme Jourda a évoqué la situation sanitaire à Gaza, complètement fermée. Mais ce qui est vrai à Gaza est également vrai dans les autres territoires, où la possibilité de vivre et de se déplacer s'est largement dégradée. Nous l'avons vu à Hébron, où la situation est la pire, mais sur tout le territoire les murs se multiplient. En Cisjordanie occupée, il y a un double système routier, un pour les colonies, et un autre, utilisé par les Palestiniens, avec des checkpoints partout. Il est impossible d'aller se faire soigner à Jérusalem ! La dégradation de la vie humaine est partout insupportable.

Notre mission a démarré par la visite de Yad Vashem. Une guide, âgée, ayant vécu en France, nous a fait vivre l'émotion incroyable de cette histoire. Quand on passe de ce mémorial aux territoires occupés, le choc est particulièrement perturbant, et engendre des interrogations très fortes.

M. Olivier Cigolotti, rapporteur. - J'insiste sur l'image très positive dont bénéficie la France à Gaza. De l'autre côté de la rue de l'Institut français se trouve le siège du Hamas, d'où la proximité immédiate de certains bombardements. Les personnels de l'Institut effectuent un travail extraordinaire, en accueillant les jeunes de manière exceptionnelle compte tenu des difficultés rencontrées dans ce territoire. Heureusement que les Nations unies sont également présentes pour l'aide humanitaire, l'alimentation et le sanitaire : la situation à Gaza serait encore pire sans ces instances internationales.

Mme Nicole Duranton, rapporteur. - J'ai échangé avec le personnel de l'Institut français. Des Palestiniens sont obligés de suivre des chimiothérapies à Jérusalem, et doivent réaliser un parcours du combattant, celui-ci restant au bon vouloir des soldats israéliens, qui peuvent les empêcher de passer au dernier moment. L'arbre de Noël des enfants du personnel est organisé chaque année à l'ambassade de France à Jérusalem, pour le personnel palestinien de l'Institut. Les demandes doivent être faites trois mois auparavant. Parfois, les soldats acceptent que les enfants passent, mais pas leurs parents. Ces témoignages sont édifiants. Nous ne pouvons pas revenir indemnes de ce déplacement.

M. Christian Cambon, président, rapporteur. - Nous-mêmes avons été fouillés...

M. Gilbert Roger. - Je suis heureux que cette mission ait pu être organisée, même si j'ai regretté de ne pas avoir pu vous accompagner, pour des raisons médicales.

Je connais la Palestine et Israël depuis bien longtemps. J'ai toujours reçu des interdictions d'entrer à Gaza. Lors des différentes missions que j'ai organisées, je me suis rendu à la Knesset, où il y avait également des refus. Il est très bien que M. Cambon ait fait passer le message : on ne doit pas permettre de trouver des prétextes pour nous interdire d'entrer à Gaza.

Le rapport formule de belles recommandations. Mais quelle sera la suite ? Le Sénat pourra-t-il mettre les fers au feu pour relancer le processus ?

Je n'aurais pas forcément exclu, dans un préalable, de faire discuter Palestiniens et Israéliens, devant la communauté internationale, de la solution à un seul État. Il faut pousser cette logique à son bout pour montrer que la solution à deux États est peut-être la moins bonne solution, mais qu'il n'y en a pas d'autre, pour paraphraser Churchill.

Par ailleurs, j'étais sur un plateau télévisuel en direct de Tel-Aviv hier soir ; j'y suis invité régulièrement, car j'y représente une certaine opinion de la France vis-à-vis de la Palestine. Le gouvernement Netanyahou n'arrive pas à se monter actuellement. Le Premier ministre avait annoncé que tout serait réglé en un jour. Or nous en sommes à une date butoir : si dans une semaine il n'a pas présenté de gouvernement, son élection tombe.

Les Israéliens ont élu en catastrophe un président de la Knesset par intérim, pour débattre de lois ; mais le premier projet de loi débattu concernera l'autorisation pour Israël de relancer le processus de colonisation, et d'autoriser l'implantation de colonies dans des zones jusqu'à présent jamais touchées, en particulier à Gaza. Hier soir, je disais que si le gouvernement tentait cela, que si les colons forçaient le passage à Gaza, il y aurait la guerre. Nous ne sommes pas sortis de l'auberge...

L'autre gravité, c'est l'extrême faiblesse que représente l'absence d'élections démocratiques contrôlées par les autorités internationales en Palestine. Je l'ai redit il y a une dizaine de jours, lorsque j'ai reçu au nom du Sénat une délégation palestinienne, à la demande du Président Larcher. Ils avancent que cela tient à la situation à Jérusalem ; je réponds qu'il faut laisser faire les autorités internationales, qui disent bien que Jérusalem sera la capitale de deux États.

J'aurais rajouté une treizième recommandation : faire que les deux groupes interparlementaires d'amitié, France-Israël et France-Palestine, se réunissent dans une même salle au Sénat. J'avais posé la question à Philippe Dallier lorsqu'il était sénateur ainsi qu'à Roger Karoutchi, mais même au Sénat on n'arrive pas à réunir ensemble les deux groupes d'amitié ! Voilà un autre voeu pieux...

M. Alain Cazabonne. - Merci pour vos témoignages. Le conflit palestinien me fait parfois penser aux problèmes entre la France et l'Allemagne, ces deux États s'étant battus pendant des années pour le charbon et l'acier, avant que la Communauté européenne du charbon et de l'acier (Ceca) ne permette la paix.

Là se rajoute l'aspect religieux : il faut accepter de partager Jérusalem, et que les deux religions cohabitent. Pour les Palestiniens, il y a aussi la solution de l'Iran : détruire Israël pour régler le problème... Pour que les deux pays acceptent de travailler ensemble, il faut un accord sur le plan religieux. Les conditions de vie dans un seul État sont insupportables pour les Palestiniens, et ne peuvent pas durer. C'est une poudrière. Il faut donc deux États, mais pour cela il faut partager Jérusalem, ainsi que les ressources, notamment l'eau et les richesses énergétiques récemment découvertes en mer. Avez-vous eu, lors de vos rencontres, le sentiment qu'il y avait une volonté d'accepter les choses ?

M. Pierre Laurent, rapporteur. - Je vois les choses différemment : l'histoire même de la ville de Jérusalem, c'est la cohabitation religieuse. Nous avons fait une visite de la ville, accompagné par le consul de France à Jérusalem, et son conseiller aux affaires religieuses, car il se trouve que la France est le garant du statu quo de la protection des lieux saints à Jérusalem. La ville s'est construite, depuis toujours, dans la cohabitation religieuse, qui est aujourd'hui empêchée par la politique, qui instrumentalise les religions et les extrémistes. La cohabitation religieuse est possible à Jérusalem, car c'est elle qui a fait l'histoire de la ville.

Aujourd'hui, malheureusement, les choses sont fermées, compartimentées. Il y a vingt ou trente ans, la ville était extraordinaire pour cette raison. La cohabitation n'est pas impossible, c'est l'histoire même et l'identité de cette ville. À vouloir le nier, à vouloir laisser telle ou telle communauté accaparer la ville, c'est cette dernière et son identité profonde qui va être abîmée.

M. Christian Cambon, président, rapporteur. - Lors de notre visite de la maison d'Abraham, on nous a expliqué que les deux projets pour la ville sont de construire un téléphérique pour les touristes au niveau du mur de Salomon, et un parc de loisir dans le Mont des oliviers. C'est de la provocation !

Il est triste de voir que les bras sont baissés de tout côté. Lors d'un dîner avec les représentants des communautés religieuses, nous avons soulevé la question : le Pape peut bien intervenir pour dire qu'on ne peut pas construire un parc d'attraction au Mont des oliviers ! Il faut que chacun prenne ses responsabilités. Le Saint-Siège, comme les autres religions, peut s'exprimer sur les lieux religieux ! Ces provocations relèvent effectivement d'une volonté de certains extrémistes de faire de cette ville qui ne laisse personne indifférent une capitale du tourisme dans la région, ce qui n'a pas de sens.

Hébron nous laisse un souvenir effroyable, tant les communautés y sont séparées... Nous avons tous été maires, nous avons dû gérer des problématiques concernant les communautés, et nous sommes arrivés très ouverts ; c'est la dimension asymétrique du sujet, où l'un a tous les pouvoirs alors que l'autre n'a que le droit de se taire, qui est le problème.

M. Rachid Temal. - Je remercie les membres de la délégation. En 2017, j'avais mené une délégation pour mon parti, et les choses n'ont pas beaucoup progressé depuis...

Il y a deux sociétés extrêmement morcelées et fracturées, mais cette fragmentation, d'un côté comme de l'autre, permet aussi de rassembler et d'éviter que d'autres questions ne se posent.

Nous pouvons faire douze ou treize recommandations, mais nous devons évoquer l'extrême faiblesse de la France et de l'Union européenne dans cet espace, ce qui n'était pas le cas historiquement. Nous pouvons nous agiter, mais plus personne, ni la France ni l'Union européenne, n'a la main sur les évènements. Ce type de rapport doit évoquer le fait que nous ne nous donnons pas les moyens de faire mieux.

Les États-Unis ont repris la main, et personne ne nous reconnaît plus comme acteur, sauf sur les questions culturelles et économiques. Dans les affaires militaires, sécuritaires ou diplomatiques, on n'appelle plus les Européens ou les Français, mais les Américains ; tant que cette question n'est pas abordée, nous en restons aux voeux pieux.

Je suis assez d'accord avec Gilbert Roger sur la question de la solution à un État ou à deux États. J'en avais discuté avec le premier ministre et le président palestiniens de l'époque : en off, il y a des Palestiniens qui reconnaissent que l'option à un État ne doit pas être exclue, ne serait-ce que parce qu'à Jérusalem et dans ses alentours les choses sont géographiquement et économiquement très imbriquées, et qu'il s'agit d'une terre très étroite. Je ne dis pas que la solution à un État est la bonne ; mais on ne peut pas dire qu'il ne faut pas en discuter.

Le point central, c'est la faiblesse de l'Union européenne et de la France, qui fait que nous serons que des spectateurs ou un portefeuille, mais que nous ne pouvons pas être un des acteurs majeurs.

M. Christian Cambon, président, rapporteur. - Les rapports servent à dire ce qu'on voit. Nous pouvons dresser des conclusions sur l'insuffisance des gouvernements successifs des uns et des autres, mais nous avons voulu ainsi rendre hommage aux équipes françaises sur place, qui font un travail extraordinaire et conservent vivace la présence française.

Il n'y a plus de volonté européenne : mon sentiment, c'est que ce conflit n'intéresse plus personne...

M. Rachid Temal. - À commencer par les pays arabes !

M. Christian Cambon, président, rapporteur. - Bien entendu ! Les accords d'Abraham ont changé la donne : le conflit n'est plus israélo-arabe, mais israélo-palestinien. Au Maroc, des forces israéliennes de défense participent à des manoeuvres militaires. Pour que cela fasse bon poids, de l'autre côté de la frontière les Algériens manoeuvrent avec des Russes. Les grandes puissances considèrent le Moyen-Orient comme un cercle de jeu : ces luttes d'influence ont aujourd'hui des conséquences entre l'Arabie saoudite, l'Iran...

M. Rachid Temal. - Et la Turquie !

M. Christian Cambon, président, rapporteur. - On nous l'a suggéré : les contacts entre Israël et l'Arabie Saoudite seraient sur le point d'aboutir. C'est le monde à l'envers, et toutes les cartes sont rebattues - la Turquie joue également ce jeu.

Comme nous le dénonçons en permanence, avec la fin du multilatéralisme chacun met en avant ses propres intérêts. L'intérêt de l'Arabie Saoudite et des Émirats arabes unis est de s'appuyer sur un État technologiquement très puissant. Le premier ministre palestinien m'a marqué, lorsqu'il a dit qu'il n'attendait rien de la visite de M. Biden, cinq jours plus tard.

La question n'intéresse plus personne. L'Europe n'a dégagé aucune ligne politique, aucun leader pour prendre la main pour proposer une solution. Le conflit est gelé, mais pour les populations les difficultés et les souffrances se vivent au quotidien.

M. Joël Guerriau. - Je rebondis sur la question de M. Cazabonne sur les hydrocarbures, et la réserve de 28 milliards de dollars de gaz naturel qui traîne à trente kilomètres des côtes de Gaza. Comment Gaza pourrait-il en tirer un bénéfice ? L'Égypte, Israël et Gaza se trouvent concernés par ces négociations...

L'existence de Gaza dépend largement de ses rapports avec l'Égypte. Par le passé, nous avons pu voir à quel point il était important que l'Égypte puisse être dans une position de médiateur. Qu'en est-il aujourd'hui ?

M. Christian Cambon, président, rapporteur. - Une mission en Égypte aura lieu en 2023. Nous aurons ainsi fait le tour des pays voisins en quelques années. Les Émirats arabes unis, autre pays où nous aurons une mission en 2023, mériteraient aussi d'être questionnés quant à leur relation avec Israël.

Concernant la répartition du pétrole et du gaz, Gaza n'a pour l'instant rien. Le seul accord conclu a été signé, pour l'instant, entre Israël et le Liban...

M. Gilbert Roger. - Dans deux pièces séparées à Washington !

M. Christian Cambon, président, rapporteur. - Tout à fait. Ils ont tout de même conclu un accord, qui n'est certainement pas au bénéfice de Gaza. Dans aucune hypothèse, Gaza pourtant frontalier de la mer, ne pourrait bénéficier d'une part de ces ressources.

M. Olivier Cigolotti, rapporteur. - Dans l'enclave douanière que nous avons visitée, la plupart des produits alimentaires ou manufacturés proviennent d'Égypte. Le jeu de l'Égypte, porte d'entrée sur ce territoire, est particulier. Parmi tous les produits qui entrent à Gaza, 80% proviennent d'Égypte, avec les difficultés d'approvisionnement inouïes évoquées par M. Cambon. Tout est déchargé, vérifié, reconditionné.

M. Christian Cambon, président, rapporteur. - Nous vous avons donc fait part de nos sentiments à l'issue de cette mission. Nous l'avons rapidement évoqué : du point de vue d'Israël, il faut aller dans les tunnels plongeant à 80 mètres de profondeur pour voir les trésors d'ingéniosité déployés par le terrorisme. Il y a des torts, et pire que des torts, des deux côtés.

Le Sénat ne doit pas parler pour ne rien dire, et Gilbert Roger a raison : il faut une suite à ce rapport. Mais cette suite ne dépend plus de nous. Je remercie les équipes diplomatiques sur place, notamment notre ambassadeur Éric Danon et le consul général de France à Jérusalem, René Troccaz, qui nous ont brossé un panorama d'une connaissance parfaite de la situation. Il est absurde de taper sur le corps diplomatique comme cela a été fait pour la réforme récente de ce corps, quand on voit la qualité du travail réalisé !

Mme Vivette Lopez. - Vous êtes-vous senti en danger à un moment ?

M. Christian Cambon, président, rapporteur. - Non, car nous étions très protégés. Nous avons craint de ne pouvoir mener à bien notre mission, et nous avons dû donner de la voix, car parfois la barrière est baissée et on nous dit que personne n'a la clef du cadenas... Pour entrer à Gaza, on traverse des bâtiments invraisemblables, où les sacs sont jetés, et où de jeunes soldats de vingt ans postés à des vitres en hauteur commentent les moindres faits et gestes. Il y a une tension permanente, mais pas de danger pour nous.

Dans un kibboutz, nous avons vu un mur, présenté comme la seule solution pour vivre tranquille.

La mission d'information adopte, à l'unanimité, le rapport d'information et en autorise la publication.

COMPTES RENDUS DES AUDITIONS

A. AUDITION DE M. ÉRIC DANON, AMBASSADEUR DE FRANCE EN ISRAËL (9 FÉVRIER 2022)

M. Christian Cambon, président. - Monsieur l'Ambassadeur, je vous remercie de vous être rendu disponible pour cette audition en visioconférence. Nous avons souhaité cet échange pour préparer le déplacement d'une délégation en Israël et dans les territoires palestiniens, visite importante que nous reportions depuis plusieurs années en raison de la succession d'élections en Israël d'abord, puis pour cause de covid. Nous allons enfin pouvoir mener cette mission prochainement.

Depuis notre dernière réunion en juin 2020, le chaud et le froid n'ont cessé de souffler dans une région qui n'a probablement jamais connu une telle instabilité depuis 1948 : le conflit israélo-palestinien a connu une crise aussi imprévisible que violente en mai 2021. Nous avons été particulièrement surpris de la puissance de feu engagée par le Hamas, tout comme nous avons été impressionnés par la technologie de défense du bouclier antiaérien de l'armée israélienne. Vous nous direz quelles tensions subsistent de cet embrasement de la bande de Gaza au sein de la société israélienne, notamment dans les villes arabes et mixtes qui ont connu des affrontements interreligieux. Quelles traces l'issue de cette crise a-t-elle laissées sur la relation entre Israël et l'Autorité palestinienne d'une part et le Hamas d'autre part ?

Parmi les motifs d'espoir, la situation politique a radicalement changé en Israël, ouvrant la voie à une coalition aussi large qu'inédite avec, pour la première fois, la participation au gouvernement d'une formation composée de députés arabes israéliens. Mais l'équilibre politique constitué par Yaïr Lapid reste fragile, avec une majorité de seulement 61 députés sur 120. Le Gouvernement conduit par Naftali Bennett repose sur huit partis, ce qui peut être vu comme un signe de vitalité d'une démocratie parlementaire foisonnante, mais aussi comme un risque de divergences idéologiques, ce qui ne nous aide pas à analyser les orientations de ce gouvernement.

Nous aurons donc besoin de votre éclairage sur la situation politique et sur plusieurs signaux contradictoires venant du nouveau gouvernement israélien. Le chef de la majorité, Yaïr Lapid, soutient la solution à deux États, mais une large partie de la coalition reste hostile à la reprise du processus de paix. Dans ces conditions, comment progresser si ce sujet est une impasse politique ? Ensuite, la politique d'extension des colonies en Cisjordanie et sur le plateau du Golan annexé est-elle compatible avec le soutien ouvertement apporté à l'Autorité palestinienne par le gouvernement israélien ? Enfin, le climat de tension à Jérusalem, en Cisjordanie et dans la bande de Gaza pourra-t-il s'apaiser tant qu'aucun choix stratégique n'aura été fait par le gouvernement actuel en faveur d'un processus de paix, qu'il s'agisse de la solution à deux États ou d'une autre proposition. Certains évoquent la solution d'un État fédéral avec des droits reconnus pour les Palestiniens de Cisjordanie et de la bande de Gaza. Un tel débat pourrait-il prospérer et serait-il audible dans le débat public israélien ?

La question israélo-palestinienne est un sujet qui reste prioritaire au Sénat, pour l'ensemble des groupes politiques. J'en veux pour preuve le débat que nous avons eu en décembre dernier sur la proposition de résolution présentée par notre collègue Pierre Laurent en faveur de la reconnaissance d'un État palestinien aux côtés d'Israël. Afin de vous permettre de vous exprimer avec la plus grande liberté et la plus grande franchise, cette audition ne fait pas l'objet d'une captation vidéo.

Nous attachons une grande importance à cette prochaine visite. Notre délégation rassemblera au moins un membre de chaque groupe politique représenté au sein de notre commission. Notre présence sur place me semble indispensable, pour prendre la mesure de la situation, et savoir comment vous aider à faire vivre la relation franco-israélienne et franco-palestinienne.

M. Éric Danon, ambassadeur de France en Israël. - Je suis très heureux d'intervenir devant vous quelques jours avant votre déplacement en Israël, à Jérusalem et dans les Territoires palestiniens. Nos équipes et celles du consulat général à Jérusalem sont mobilisées.

Le Moyen-Orient a évolué : il n'a plus rien à voir avec celui d'il y a vingt-cinq ans, et il a encore changé récemment. Je mettrai en avant quelques événements. Les Américains sont moins intéressés qu'auparavant par la zone. Certes, ils ne vont pas en partir, mais ils s'impliquent moins. En raison de ce vide, les grandes puissances - la Turquie, la Russie, et même la Chine qui arrive lentement mais sûrement - rebattent les cartes. Israël a vécu une période de paix relative, sans guerre longue, ce qui a permis un développement économique considérable. Lentement, le pays est devenu une puissance régionale économique - avec un PIB supérieur à la somme de ceux de ses voisins - et militaire.

L'Iran est monté en puissance, avec une triple déstabilisation nucléaire, balistique et régionale. Il y a aussi une conjoncture nouvelle avec les accords d'Abraham, événement majeur de ces trois dernières années, qui a modifié l'image d'Israël dans les pays arabes et qui a eu une influence considérable sur les relations israélo-palestiniennes.

Quelle est la situation de la Palestine actuellement ? Les Palestiniens n'ont jamais été aussi faibles de leur histoire. C'est d'abord lié à des causes exogènes : les accords d'Abraham ont fait sauter le verrou de 2002 de la Ligue arabe qui estimait qu'il n'y aurait pas de normalisation tant que la question palestinienne ne serait pas réglée. Il y aussi des éléments endogènes : les élections reportées puis annulées et la montée en puissance du Hamas, qui accroît son influence en Cisjordanie en combattant Israël.

C'est une situation relativement nouvelle : Israël affiche désormais sa volonté de soutenir l'Autorité palestinienne, qui lui est préférable au Hamas.

La politique d'Israël par rapport à la Palestine est compliquée. La politique de Naftali Bennett est différente de celle de Benyamin Netanyahou. Sous Netanyahou, environ 2 000 nouveaux logements étaient construits chaque trimestre. L'écart de développement entre Israël et la Palestine devait rester le plus élevé possible pour maintenir le contrôle.

M. Bennett a une approche différente. il est dans une logique de développement économique de ces territoires pour que les populations aient une autre perspective, que l'affrontement violent vis-à-vis d'Israël. Il appelle l'Union européenne à accompagner les gestes initiés.

De nombreux membres du gouvernement ont rencontré leurs homologues palestiniens. La circulation des personnes est facilitée, des permis de travail et de construction sont octroyés aux Palestiniens et des échanges techniques se développent sur les questions financières et économiques.

En même temps, il reste des situations inacceptables : des colonies continuent d'être construites y compris aux abords de Jérusalem-Est, tendant à rompre la contiguïté avec les territoires palestiniens ; et l'impunité des violences commises par les colons perdure.

À long terme, il semble que plus personne n'aborde la question de la solution politique à ce conflit. M. Bennett estime que tant qu'il est là, il n'y aura pas d'État palestinien. Et même M. Lapid, s'il devient effectivement Premier ministre après l'alternance de 2023 a marqué ses réserves à y travailler La phrase fétiche, c'est « shrinking the conflict », réduire pas à pas le conflit à sa seule dimension socio-économique.

Le gouvernement israélien est hétéroclite, un peu improbable de l'aveu même de ses membres, et n'a été mis en place que pour faire tomber Benyamin Netanyahou. Il ne tient que par la crainte des élections. On compare souvent le régime parlementaire israélien à celui de la IVe République, mais il y a une différence majeure : les gouvernements de la IIIe et de la IVe République tombaient, car il y avait une possibilité de dissolution de l'Assemblée qui n'a jamais été utilisée, sauf en 1877 et en 1955. En Israël, c'est le contraire : la menace de la dissolution par le gouvernement empêche la Knesset de le faire chuter. Le régime parlementaire est proche de celui de la IVe République, mais les gouvernements sont stables, ils tiennent trois à quatre ans - hormis durant ces deux dernières années.

L'actuel gouvernement est composé de représentants de partis très opposés. Pour prendre une image, c'est comme les pompiers qui tirent sur une toile pour sauver des gens sautant d'un immeuble, chacun tirant de son côté, à force égale : la toile ne bouge pas. Le budget et les lois sont votés.

Il y a pour la première fois un parti arabe au gouvernement, qui choisit de se concentrer sur le développement des villes et villages arabes, qui était très limité durant ces huit dernières années. Dans les villes arabes et « mixtes », les violences entre communautés lors de l'escalade israélo-palestinienne de mai 2021 ont laissé des traces. La relation franco-israélienne est bonne, mais elle reste difficile politiquement, et sensible. Cela se passe très bien au travers du soft power, avec la coopération culturelle, scientifique et technique. Il existe une importante communauté française et franco-israélienne, et il y a une grande demande de culture française. La partie consulaire se passe bien. Les Français et les Franco-israéliens ont redécouvert la France durant le covid, lorsqu'ils avaient besoin d'une carte d'identité ou d'un passeport français pour s'y rendre. Nous avons eu une augmentation de 25 % des inscrits au consulat en 2021. Il y a eu aussi une dimension sociale avec la crise économique. Nous avons dû aider nos concitoyens : ces deux dernières années, 95 % des aides sociales ont été accordées à des gens qui n'étaient auparavant pas inscrits au consulat. Nous avons modifié les relations entre les autorités françaises - ambassade, consulat, Institut français et Business France - et les populations israélienne et franco-israélienne. Il y a eu la visite du Président de la République, et le président Isaac Herzog se rendra en France dans les prochaines semaines.

M. Christian Cambon, président. - Merci pour cet éclairage novateur sur le volet institutionnel. Comment l'ambassade de France défend-elle une solution à deux États dans cette situation ?

M. François Bonneau. - C'est un plaisir de vous entendre. Après un premier scandale à l'été 2021, un deuxième a éclaté en janvier 2022 concernant le logiciel Pegasus de NSO Group, qui a espionné des dizaines de personnalités israéliennes : hommes politiques, hommes d'affaires, juristes... De nouvelles révélations sur des personnalités françaises sont-elles à attendre ? Quelles sont les conséquences de cette affaire sur la démocratie israélienne ?

Mme Isabelle Raimond-Pavero. - Je voulais poser la même question.

M. Jacques Le Nay. - La normalisation des relations entre Israël et les pays musulmans se poursuit durablement. Ce tournant géopolitique va-t-il accroître l'isolement iranien sur la scène régionale ? Benny Gantz a rencontré Mahmoud Abbas fin décembre. Quel sens donner à cette rencontre alors que le Premier ministre Naftali Bennett refuse le dialogue avec les autorités palestiniennes ? Avez-vous observé des changements d'attitude d'autres pays depuis le transfert de l'ambassade américaine à Jérusalem ?

M. Joël Guerriau. - Merci pour vous propos très clairs. Les Émirats arabes unis ont un différend avec Israël sur la sécurité aérienne. Quelles sont les relations d'Israël avec les États arabes, et en particulier avec la Turquie ?

L'Iran et les États-Unis négocient sur l'accord nucléaire, ce qui choque Israël. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Emmanuel Macron veut remettre à zéro le compteur des relations entre Israël et la France. Qu'est-ce que cela signifie ; un changement de notre position pour une solution à deux États ou un seul État ?

Mme Gisèle Jourda. - Israël a été admis comme observateur au sommet de l'Union africaine. L'accréditation a évité un vote qui aurait pu provoquer une scission sans précédent au sein de l'Union africaine qui fête ses vingt ans.

À la lumière de l'accord sécuritaire « Mémorandum d'entente en matière de défense » entre le Maroc et Israël aux lourdes de conséquences régionales, notamment entre le Maroc et l'Algérie, quels sont les contours des relations diplomatiques entre Israël et les pays africains ? Comment la France se positionne-t-elle par rapport à ces évolutions ?

M. Éric Danon. - Nous en découvrons chaque jour davantage avec Pegasus. Lorsqu'il s'agissait d'événements extérieurs à Israël, on estimait que la société pouvait vendre le logiciel après passage devant une commission d'autorisation, ces logiciels étant considérés comme des armes. Désormais, l'affaire vire au scandale en raison d'une utilisation interne au pays, y compris avec un impact potentiel sur les procès de M. Netanyahou, dans l'hypothèse où certains opposants auraient été écoutés.. Ensuite, en matière de data, les Israéliens nous interrogent sur nos pratiques. La Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) les intéresse beaucoup. Ils veulent travailler à une régulation internationale de la vente de ces logiciels. Pour l'instant, c'est embryonnaire. Cela débouchera peut-être sur une convention internationale ou une annexe au traité sur le commerce des armes. Nous ne sommes qu'au début du scandale.

Concernant l'Iran, les accords d'Abraham modifient l'équation régionale. Il n'y aurait probablement pas eu ces accords si l'Iran n'avait pas été si agressif envers Israël et plusieurs pays sunnites, en particulier dans le Golfe. Comme l'Iran veut étendre son influence sur la région, en Irak, en Syrie, au Liban, au Yémen, plusieurs pays sunnites ont en partage une perception d'une menace accrue de la part de leur ennemi commun : l'Iran.

Les accords d'Abraham et la reprise des relations israélo-marocaines ont clivé le monde sunnite. L'arbitre des élégances restera l'Arabie saoudite où l'on sait que plusieurs lignes coexistent au sein des cercles dirigeants avec une rupture générationnelle entre ceux, les plus anciens, qui continuent de défendre la position saoudienne traditionnelle sur la question palestinienne, et d'autres qui se montrent plus ouverts à un rapprochement avec Israël...

Les relations avec les États arabes s'améliorent de plus en plus. Chacun y trouve un avantage réciproque. Alors que les Émirats arabes unis, le Maroc et Bahreïn sont partis à fond de train avec l'ouverture de représentations diplomatiques, avec des relations commerciales... De très nombreux Israéliens sont allés voir l'exposition universelle à Dubaï, dans des avions d'El Al qui survolaient l'Arabie saoudite... C'était impensable il y a quatre ou cinq ans.

Le gouvernement Netanyahou était publiquement opposé aux accords sur le nucléaire iranien (Joint Comprehensive Plan of Action, ou JCPoA). La sortie du JCPoA de Donald Trump pour mettre une pression maximale sur l'Iran - « maximum pressure », « squeeze Iran » - a été une erreur que l'administration Biden a voulu corriger. Les Israéliens se sont adaptés à cette réalité nouvelle en étant prêts à tolérer le retour à l'accord selon des modalités très dures sur l'ensemble des sujets sur lesquels l'Iran représente une menace : le nucléaire, le balistique et l'influence militaire régionale. Quelle qu'ait été la nature et les objectifs des discussions de Vienne, les Israéliens ne s'y sont jamais sentis liés et feront ce qu'ils veulent, même dans l'hypothèse d'un retour au JCPoA,s'ils estiment que leur sécurité est menacée.

L'Iran joue la montre et poursuit ses avancées préoccupantes en matière d'enrichissement nucléaire, se rapprochant du seuil. Les Israéliens ne croient pas aux accords de Vienne, mais ils n'ont pas plus confiance dans l'administration Biden. Les Israéliens s'inquiètent d'un « deal » au rabais que les Américains seraient pressés de signer pour pouvoir se concentrer sur d'autres thématiques plus brûlantes pour leurs intérêts, à commencer par le dossier chinois. Tel-Aviv n'a donc cessé de passer des messages clairs à Washington pour rappeler l'importance vitale du dossier pour Israël et pour évoquer avec l'administration Biden des scénarios alternatifs à ceux d'un accord, afin de préparer les conditions de la coopération entre les deux pays sur le dossier dans l'hypothèse d'un l'échec des négociations de Vienne.

Mme Jourda a évoqué le sommet de l'Union africaine (UA). Il y a évidemment une dynamique de rapprochement entre Israël et l'UA depuis 2020 ; je pense notamment aux accords avec le Soudan et le Maroc. D'ailleurs, Israël bénéficie d'un statut d'observateur depuis juillet 2021. L'Algérie et l'Afrique du Sud ont essayé de rompre cette dynamique lors du dernier sommet. Il n'y a pas eu de vote sur le statut d'observateur ; cela aurait sans doute exposé l'UA à une scission. Le sujet est trop sensible. Le dossier sera réexaminé au prochain sommet.. Je pense qu'il y aura un rapprochement, mais les tensions sont réelles.

M. Guillaume Gontard. - Le rapport relatif aux conditions de vie des Palestiniennes et des Palestiniens qu'Amnesty International a rendu la semaine dernière emploie des mots très forts en évoquant un « système d'apartheid » à l'encontre du peuple palestinien dans son ensemble. Plusieurs organisations non gouvernementales (ONG) israéliennes et internationales partagent ce constat. La Cour pénale internationale a ouvert une enquête sur les crimes commis dans les territoires palestiniens. Un envoyé de l'ONU soulignait récemment l'urgence de réformes politiques et économiques. Comment ces rapports et enquêtes sont-ils perçus en Israël ?

Pouvez-vous nous détailler les actions entreprises par la France pour inverser la dynamique de domination d'Israël sur les populations palestiniennes ?

La nouvelle coalition politique en Israël, que vous avez qualifiée de centriste, semble sur la même ligne que l'ancienne s'agissant du processus de paix, avec un effacement de la question palestinienne. Pourtant, vous indiquez voir des éléments d'amélioration. Pourriez-vous nous en donner quelques exemples concrets ?

Mme Nicole Duranton. - Le Premier ministre israélien a récemment échangé avec Joe Biden, qui va se rendre en Israël ; il a d'ailleurs hâte d'y aller. Pensez-vous que cette visite puisse faire renaître une certaine confiance des Israéliens envers les États-Unis ?

M. Olivier Cadic. - Les accords d'Abraham ont été un game changer pour le développement de la paix dans la région. Nous prévoyons de faire une conférence au Sénat sur le sujet au début du mois de mai, afin d'analyser les effets de la dynamique engagée.

Selon vous, Israël, qui est devenu une puissance économique régionale, pourrait-il influencer positivement la situation au Liban, afin de contrebalancer l'action du Hezbollah, qui agit en proxy de l'Iran ?

Je connais votre engagement en faveur de la francophonie pour avoir participé à un événement à vos côtés. À cette occasion, j'avais appuyé votre démarche de soutien à l'adhésion d'Israël à l'Organisation internationale de la francophonie (OIF). Où en sommes-nous à cet égard ?

Lors de mon déplacement en Israël, notre attaché de coopération éducative m'a permis de mesurer l'importance du chantier pour organiser et développer l'enseignement français et l'enseignement du français en Israël. Pourriez-vous faire un point sur les efforts que vous avez entrepris en la matière ?

M. Pascal Allizard. - La relation entre Israël et la Chine est une relation ancienne, historique, et parfois difficile. Néanmoins, la Chine est devenue le troisième partenaire commercial d'Israël. Elle propose d'ailleurs sa médiation dans le conflit avec la Palestine. Tout cela crée des interférences fortes dans la relation entre Israël et les États-Unis.

Malgré les tensions entre Israël et l'Iran, ce dernier a une relation très positive avec la Chine, conformément à la politique arabe historique de cette dernière. Si nous comprenons bien la stratégie du lotus de la Chine, quelle est celle d'Israël ? Comment les choses évoluent-elles avec le nouveau gouvernement israélien ?

L'interdiction de la 5G de Huawei en Israël est-elle un pas tactique, une mesure de sécurité intérieure ou une concession faite aux États-Unis ?

M. Pierre Laurent. - Vous avez décrit ce qui semble être une forme d'enterrement de la solution à deux États, en soulignant les éléments qui vous conduisent à considérer qu'une telle perspective s'éloigne de jour en jour. Or si le clivage générationnel existe chez les Palestiniens, je ne suis pas sûr que la question nationale palestinienne ait disparu, y compris au sein des jeunes générations.

D'aucuns évoquent parfois, et vous-même avez utilisé cette expression, la solution à un État. Mais de quoi s'agit-il concrètement ? Car personne ne définit cette solution à un État. Si vous discutez avec des Palestiniens qui envisagent cette hypothèse, ils insisteront sur l'absence d'égalité des droits. Et j'imagine que la réponse de M. Bennett serait la même que pour la solution à deux États : la terre est juive et l'État est juif. Dès lors, les Palestiniens qui vivraient dans cet État ne pourraient pas être des citoyens de plein droit. En réalité, la solution à un État n'est pas une solution : c'est plutôt un problème si la perspective est l'égalité pleine et entière des droits. Renoncer aujourd'hui à la solution à deux États, même si elle est peut-être difficile à mettre en oeuvre, n'est-ce pas voir demain apparaître de nouveaux problèmes ?

Parmi les signaux contradictoires, vous avez fait référence à la position ambiguë du Premier ministre. D'un côté, il invoque le développement des territoires. De l'autre, il laisse la violence des colons impunie. Ne risque-t-on pas d'ouvrir la voie à une coopération économique française ou européenne dans les territoires occupés alors que c'est aujourd'hui théoriquement réprouvé par le droit international ?

M. Hugues Saury. - Le 8 juin 2014, la Commission européenne entérinait la participation de l'État hébreu au programme scientifique Horizon 2020. Des actions ambitieuses en matière de santé publique et de lutte contre le changement climatique ont été ainsi développées avec succès. Le 6 décembre dernier, un nouvel accord a été trouvé pour que Jérusalem rejoigne le programme Horizon Europe, en vertu duquel près de 100 milliards d'euros seront consacrés à la recherche et à l'innovation de l'Union européenne sur la période 2021-2027.

Alors que les atouts d'Israël sont reconnus par l'ensemble de nos voisins européens, la France parvient-elle à tirer profit d'un tel partenariat ? La prudence diplomatique de notre pays face à la politique territoriale israélienne ne nous empêche-t-elle pas de bénéficier pleinement de l'excellence d'Israël en matière de développement technologique ?

M. Éric Danon. - M. Gontard a évoqué le rapport d'Amnesty International et l'effacement - en fait, il s'agit plutôt d'une perte de centralité - de la question israélo-palestinienne dans les débats. Le rapport d'Amnesty a été considéré comme outrancier par les autorités israéliennes Ici, lorsque vous parlez d'« apartheid », les gens ferment les écoutilles ; même ceux qui ne contestent pas les discriminations. Les États-Unis et l'Allemagne l'ont catégoriquement rejeté, et le Royaume-Uni a suivi. La position de la France sur le sujet étant bien connue, notre pays n'a pas à commenter les rapports des ONG.

Je n'ai pas dit que la solution à deux États était enterrée ou que la question nationale aurait disparu. Simplement, que sa dimension politique n'est plus centrale dans les débats.

Comme je l'évoquais, il y a des gestes socio-économiques (y compris par exemple par des prêts israéliens de. 600 millions de shekels, soit environ 150 millions d'euros, à l'Autorité palestinienne). Pour Israël, la question centrale est de contenir la poussée du Hamas et du Jihad islamique palestinien.

Joe Biden va effectivement essayer de renouer une relation plus classique avec Israël. Je ne suis pas sûr que cela marche, car il apparaît très faible ici. Les Iraniens considèrent que les Américains se détournent des sujets du Moyen-Orient, et le retrait d'Afghanistan n'a pas amélioré l'image des États-Unis auprès des populations du de la région. Naftali Bennett ne veut pas d'un retour à la relation qui était en vigueur à l'époque de Barack Obama.

La conférence du Sénat au mois de mai sur les accords d'Abraham sera importante. Je me réjouis qu'elle se tienne.

Israël a proposé de l'aide, y compris humanitaire, et de l'eau au Liban. Pour l'instant, les Libanais ont refusé. Je vous rappelle que les deux pays se considèrent en guerre. . Israël refuse d'investir les mécanismes multilatéraux d'aide, de par son refus traditionnel d'internationaliser quoi que ce soit des conflits avec ses voisins. Les Israéliens mettent en avant leur rôle de dissuasion par rapport au Hezbollah, auquel ils font régulièrement passer le message qu'ils savent parfaitement où se trouve Nasrallah et qu'ils pourraient envoyer un tapis de bombes sur Beyrouth en cas de provocations militaires très fortes de la part de l'Iran.

Israël devrait faire partie de l'Organisation internationale de la francophonie (OIF). Il y a environ un million de vrais francophones. Mais les statuts de l'OIF prévoient qu'il faut l'unanimité pour accueillir un nouveau membre. Or le Liban fait blocage. Et quand bien même le Liban lâcherait prise, l'Algérie se tient en embuscade pour faire blocage à sa place.. C'est évidemment une décision politiquement très sensible. En attendant, Israël travaille de différentes manières sur la francophonie ; je considère qu'il a sa place au sein de l'OIF. Aujourd'hui, 25 % des parlementaires de la Knesset sont francophones.

La relation entre Israël et la Chine est forte et ancienne. Et le modèle des start-up israéliennes est complètement différent de celui des start-up françaises. En Israël, le rêve des entrepreneurs, c'est de vendre à l'étranger. Cela intéresse énormément la Chine, qui y fait son marché. Mais les Américains s'y opposent, car certaines ventes d'Israël à la Chine portent sur des éléments extrêmement sensibles, y compris d'un point de vue militaire, pour les États-Unis. C'est une source de tensions avec Israël, y compris à l'époque où Donald Trump et Benyamin Netanyahou étaient simultanément au pouvoir.

En dépit des questions politiques et de la clause territoriale, Israël est un marché très porteur pour les entreprises françaises, notamment dans les secteurs des infrastructures, de l'énergie et des nouvelles technologies. Au cours des six derniers mois, nous avons gagné un certain nombre de contrats, certes à bas bruit, afin d'éviter de déclencher l'ire de plusieurs groupes sur internet. Les contrats remportés concernent la coordination des lignes du métro de Tel-Aviv, la plus grande centrale solaire d'Israël. Nous avons également une coopération spatiale. Le fait qu'Israël ait été admis au titre de pays associé dans le cadre d'Horizon Europe et fondamental pour lui et pour nous. Contrairement au Royaume-Uni ou à la Suisse, Israël a réussi son examen de passage, ce qui est intéressant pour le spatial, la coopération universitaire ou les grands programmes d'ordinateur quantique. J'en viens à la question la plus politique. Même si les ambassadeurs ne sont jamais censés donner leur opinion personnelle, je vous fais part de ma conviction profonde. Je suis profondément pour la solution à deux États. Mais je constate que celle-ci ne marche pas avec la méthode et les paramètres qui sont utilisés aujourd'hui. Alors que le Moyen-Orient a profondément changé au cours des vingt-cinq dernières années, nous en sommes restés aux paramètres de 1967 mâtinés par les accords d'Oslo. À titre strictement personnel, je pense que ce ne sont plus les bons paramètres.

Si les Occidentaux, qui n'ont pourtant de cesse de se prononcer en faveur de la solution à deux États, ne reconnaissent pas l'État palestinien, c'est tout simplement qu'ils savent - les Palestiniens l'ont également intégré - qu'un tel État n'aurait ni armée, ni contrôle du ciel, ni contrôle de l'immigration, ni contrôle de la monnaie... Si nous attendons que toutes les conditions de la pleine souveraineté d'un État palestinien soient réunies, nous risquons de ne pas le voir de notre vivant. Mais je pense sincèrement qu'il y a d'autres moyens d'arriver au résultat par des voies différentes.

Mesdames, messieurs les sénateurs, qui parmi vous pense que la solution à deux États va être mise en oeuvre à échéance raisonnable dans les paramètres de 1967 ? Qui pense qu'il puisse y avoir une autre capitale pour Israël que Jérusalem ?

Bien entendu, tout cela relève d'une décision politique. Ce n'est pas l'ambassadeur qui va faire bouger les choses. Mon rôle est de décrire les évolutions qui sont intervenues depuis que les paramètres de 1967 ont été définis. C'est ensuite au politique d'agir.

M. Christian Cambon, président. - Monsieur l'ambassadeur, vous ne faites qu'aiguiser notre envie de venir en Israël dans le cadre de notre mission tant vos réponses ont été précises et passionnantes. Je vous remercie de votre sincérité et du respect que vous portez au Parlement.

Vous nous apportez des éléments de réflexion. J'adhère tout à fait à votre position selon laquelle c'est au politique, à l'échelle nationale comme à l'échelle européenne, de faire bouger les lignes.

Vous le savez, notre commission est compétente sur les questions relatives aux affaires étrangères, mais également à la défense. Nous serons très demandeurs de contacts avec des responsables militaires pour évoquer la coopération en matière de défense entre la France et Israël.

Nous sommes convaincus de l'importance de dialoguer et de se voir en face à face pour pouvoir échanger. Nous avons la volonté de vous aider et d'apporter notre modeste contribution à la présence française au Moyen-Orient.

B. AUDITION DE S.E. MME HALA ABOU HASSIRA, AMBASSADEUR, CHEF DE LA MISSION DE PALESTINE EN FRANCE (16 FÉVRIER 2022)

M. Christian Cambon, président. - Madame l'Ambassadeur, chers collègues, Nous avons le plaisir d'accueillir aujourd'hui Son Excellence Madame Hala Abou Hassira en qualité de chef de la mission de Palestine en France. Madame l'Ambassadeur, nous nous félicitons que vous ayez répondu à notre invitation à vous exprimer devant notre commission pour nous apporter votre éclairage sur la situation actuelle de la Palestine et votre vision de l'avenir du processus de paix.

En effet, si j'ai pu vous recevoir en septembre dernier, à la suite de votre nomination en France en août 2021, nous n'avions pas entendu en commission de représentant de la Palestine depuis 2017 et les auditions respectives de votre prédécesseur, M. Salman El-Herfi, puis celle du Président Mahmoud Abbas, alors en visite officielle en France.

Votre audition était donc attendue. De plus, elle s'inscrit dans un cycle d'auditions (M. Eric Danon la semaine dernière et M. René Troccaz la semaine prochaine) qui précède le déplacement qu'une délégation de notre commission effectuera du 27 février au 5 mars prochain en Israël et dans les Territoires palestiniens. À cette occasion, je vous serais très reconnaissant si vous pouviez porter auprès du Président de l'Autorité palestinienne le souhait que nous avons de le rencontrer lors de notre visite.

Comme vous le savez, notre commission suit avec la plus grande attention la situation des Territoires palestiniens et du processus de paix au Proche-Orient. Nous comptons dans nos rangs le président du groupe d'amitié France - Palestine en la personne de notre collègue Gilbert Roger et, pas plus tard qu'en décembre dernier, le Sénat a d'ailleurs débattu sur une proposition de résolution présentée par notre collègue Pierre Laurent en faveur de la reconnaissance d'un État palestinien aux côtés d'Israël.

Nous y avons réaffirmé la position de la France en faveur de la solution à deux États en faveur de la création d'un État palestinien indépendant, viable et souverain dans les frontières de 1967 avec Jérusalem comme capital des deux États.

Il nous faut aussi regarder avec lucidité la situation qui s'offre à nous.

Quels sont vos espoirs d'amélioration du sort du peuple palestinien ? Vous savez que la France et l'Europe sont des amis du peuple palestinien. La situation humanitaire nous préoccupe tout particulièrement. Vous nous direz quels sont les besoins de la population, mais aussi quels sont les obstacles à surmonter.

Depuis la crise du mois de mai 2021, qui a commencé à Jérusalem-Est sur fond d'expulsions de familles palestiniennes pour aboutir à l'embrasement de la bande de Gaza, nous sommes inquiets de l'évolution, ou de l'absence d'évolution, de la situation politique dans les territoires palestiniens. Après l'annulation l'an dernier des élections législatives et présidentielles, le Président de l'Autorité palestinienne a très récemment rappelé son objectif de, je cite, « tenir la présidentielle et les législatives dès que nous pourrons tenir ces scrutins à Jérusalem ». Quels sont les blocages à la reprise de ce processus démocratique ? La France et l'Europe peuvent-elles utilement contribuer à une médiation ?

Enfin, quels espoirs pouvons-nous entretenir sur la reprise du processus de paix ?

Nous avons noté que le nouveau Gouvernement israélien poursuivait l'extension des colonies, à Jérusalem-Est et en Cisjordanie, alors que dans le même temps des gestes semblent faits en faveur de l'Autorité palestinienne en matière de régularisation et de permis de travail. Au milieu de ces signaux contradictoires, comment s'établit la relation entre l'Autorité palestinienne et le nouveau gouvernement de Naftali Bennet ?

Aujourd'hui, nous entendons certains dire qu'il n'y a plus de perspective ni de volonté pour avancer vers la solution à deux États : quel est votre point de vue sur ce point ? Ou sinon, quelle peut être la solution alternative ? Faut-il imaginer un seul État, et dans ce cas, selon quelles modalités, avec quels droits pour les Palestiniens ?

Je ne serai pas plus long pour laisser du temps aux questions que mes collègues souhaiteront vous poser après votre exposé liminaire.

Je rappelle que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo retransmise en direct sur le site internet du Sénat et sera consultable en vidéo à la demande.

Madame l'Ambassadeur, vous avez la parole.

Mme Hala Abou Hassira, Ambassadeur, Chef de la mission de Palestine en France. - M. le Président, Mmes les Sénatrices, MM. les Sénateurs, je vous remercie de me faire l'honneur de m'adresser à vous. Cette opportunité reflète votre intérêt pour la région du Proche-Orient, et la place qu'elle occupe dans la politique étrangère de la France. Votre prochaine visite dans mon pays, la Palestine, sera l'occasion d'observer la situation sur le terrain, et saisir la dégradation accélérée en Territoire Palestinien occupé, tant à Gaza qu'en Cisjordanie.

Permettez-moi, tout d'abord, de vous parler du messager que je suis aujourd'hui pour mieux comprendre le message. Je suis née à Gaza où j'ai grandi et fait mes études universitaires et c'est en parallèle de mes études que j'ai commencé à apprendre le français au centre culturel français de Gaza. Après avoir servi dans différents postes diplomatiques au Gabon, en France, puis comme Ambassadeur auprès de l'Union Européenne et du Canada, je suis honorée d'être nommée comme ambassadeur de la Palestine en France. Je fais partie d'une quinzaine de femmes ambassadeurs de la Palestine dans le monde.

Ma nomination en France dans ce grand pays me tenait particulièrement à coeur, tant la France occupe une place singulière dans le coeur du peuple palestinien et de tous les peuples de la région. Cette place est due à la singularité de la politique française au Proche Orient depuis l'époque du Général de Gaulle jusqu'à aujourd'hui.

En effet, c'est de Gaulle qui a prédit dans sa conférence de presse en novembre 1967 que la question de la Palestine deviendra un problème national au lieu d'être un problème de réfugiés, c'est le cas aujourd'hui.

C'est à l'initiative du Président Giscard d'Estaing que le sommet de Venise de 1981 a reconnu le droit du peuple palestinien à l'autodétermination, et c'est le Président Mitterrand qui, en 1982, devant la Knesset, a parlé pour la première fois de la nécessité de créer un État Palestinien dans le Territoire palestinien occupé en 1967.

Ce sont 3 étapes majeures dans la définition de la politique étrangère de la France à l'égard de la question palestinienne. Ces initiatives ont eu un impact et des conséquences importantes sur l'évolution de la position des États européens et celle des États-Unis sur notre cause nationale.

Aujourd'hui il existe un consensus international sur la nécessité d'une solution à deux États: l'État d'Israël dans ses frontières de 1967, et un État palestinien dans le territoire palestinien occupé en 1967 (la bande de Gaza et la Cisjordanie y compris Jérusalem-Est). Mais ce consensus n'est, hélas, pas partagé par l'actuel gouvernement israélien ni par les précédents.

Aujourd'hui, je tire la sonnette d'alarme sur une situation dangereuse. 2022 a commencé comme un concentré de tous les évènements de 2021, marqué par l'intensification des violations systématiques du droit international, incluant la colonisation de notre territoire et des violations des droits humains contre le peuple palestinien et sa terre par les forces d'occupation israélienne et les groupes de colons extrémistes qu'elles protègent.

Le peuple palestinien continue depuis 55 ans cette année, d'être dépossédé de sa terre, de ses maisons, d'être tué et violenté, arrêté, emprisonné, y compris les femmes, les vieux et les enfants, leur causant des traumatismes permanents. Cela a pour effet d'exacerber les besoins humanitaires et constitue le foyer d'un nouveau cycle de violence meurtrière.

Nous nous retrouvons avec une Cisjordanie complètement fragmentée par la colonisation qui empêche toute continuité géographique du futur État palestinien. Nous assistons tous les jours à une montée de violences et d'attaques des groupes de colons, avec l'appui de l'armée israélienne contre le peuple palestinien, sa terre et ses maisons.

À Jérusalem-Est, où toute une politique active systématique et systémique de nettoyage ethnique et de déracinement est déployée avec l'objectif de vider la ville de toute sa population palestinienne. La population palestinienne des quartiers de Silwan, de Batn Alhawa est menacée d'expulsion forcée imminente avant la démolition de ses maisons. Le quartier d'Al Sheikh Jarrah est aujourd'hui assiégé et vit, depuis plusieurs années, sous attaque de l'armée d'occupation et des groupes de colons.

Les 28 familles de ce quartier sont menacées d'expulsion forcée imminente par ordre des tribunaux israéliens complices, les forçant à se réfugier pour la deuxième et ou troisième fois de leurs vies, ce qui constitue un crime de guerre selon l'article 49 de la Convention de Genève et l'article 7 du Statut de Rome. La protection de la population sous occupation est une obligation, non seulement par la puissance occupante mais aussi par les États membres et signataires de ces conventions.

La résolution 10/21 portant sur la protection de la population civile palestinienne a été adoptée à la majorité à l'Assemblée générale des Nations unies le 13 juin 2018. Elle préconise l'examen des mesures garantissant la sécurité et la protection de la population civile dans le Territoire Palestinien occupé, y compris la bande de Gaza. Mais aujourd'hui aucun mécanisme n'a été mis en place pour son application.

Dans les lieux saints chrétiens et musulmans de Jérusalem-Est, surtout dans l'esplanade d'Al-Aqsa, les politiques de judaïsation de la ville sont à l'oeuvre, depuis 1967, et sont accélérées aujourd'hui par les attaques des colons et d'un grand nombre de députés extrémistes. Ces politiques et pratiques illégales israéliennes dans la ville visent à mettre la main sur ses lieux saints et à la vider de ses habitants palestiniens (chrétiens et musulmans), mettant en péril le statu quo dans les lieux saints qui perdure depuis le 17e siècle (1855).

Ces politiques modifient la nature démographique, géographique, culturelle et historique de Jérusalem-Est, future capitale de l'État de Palestine indépendant.

La bande de Gaza avec ses 2 millions d'habitants subit depuis 2007 le siège le plus inhumain et le plus long de l'histoire. Les agressions sanglantes ont coûté la vie à des milliers de civils, enfants et femmes compris, laissant une jeunesse mutilée et sans avenir. Ce blocus et ces agressions répétées visent à tuer lentement toute vie palestinienne dans la bande de Gaza, détruisant infrastructures, réservoirs d'eau, stations d'électricité, hôpitaux et écoles.

Deux millions de Palestiniens vivent dans une prison à ciel ouvert à Gaza. Plus de 5000 prisonniers politiques palestiniens sont détenus dans les geôles israéliennes parmi lesquelles des enfants, des femmes enceintes et des vieillards, des malades chroniques et des handicapés. 500 d'entre eux sont en détention administrative, sans inculpation ni procès. Nombre de ces prisonniers meurent de n'avoir pas reçu les soins nécessaires ou après une grève de la faim. Et lorsqu'ils meurent, leurs dépouilles ne sont pas restituées aux familles pour les enterrer dignement. Après leur mort, ils deviennent prisonniers dans ce qui est appelé le « cimetière des chiffres ».

C'est tout un peuple qui est pris en otage par cette occupation. Avec plus de 7 millions de palestiniens réfugiés à travers le monde, dans les pays voisins, mais aussi à l'intérieur même du Territoire palestinien occupé, ces réfugiés, depuis 74 ans, attendent toujours de retourner chez eux en application de la résolution 194 de l'Assemblée générale de l'ONU, privés des services vitaux et primaires, d'éducation et de soins. À cet égard, nous saluons le travail colossal que fait l'UNRWA, et remercions les États contributeurs à son budget de fonctionnement y compris la France, pour assister et fournir ces services primaires, particulièrement en ces temps éprouvants de pandémie de Covid-19.

Voici le quotidien douloureux de tout Palestinien victime de ce régime de colonisation depuis la Nakba jusqu'à ce jour.

Nous croyions tous que M. Netanyahu était le Premier ministre israélien le plus extrémiste au pouvoir en Israël, mais nous sommes aujourd'hui face à un Premier Ministre qui se vante publiquement d'avoir tué beaucoup de Palestiniens sans éprouver aucun problème avec ces actes criminels ; qui a réitéré publiquement son rejet de la solution à deux États, et la création d'un État palestinien, qui déclare avoir la colonisation pour projet principal, et qui a validé en novembre 2021 l'ordre à l'armée d'occupation israélienne de « tirer-pour-tuer » tout Palestinien suspecté de représenter une menace, tout cela, bien entendu, en toute impunité et dans un silence assourdissant de la communauté internationale.

Nous cherchons toujours un partenaire qui s'engage pour la paix.

Cette position est une constante de la politique israélienne. En effet, depuis les accords d'Oslo le nombre de colons israéliens dans les territoires palestiniens occupés a été multiplié par 4, passant de 200 000 en 1993 à 800 000 aujourd'hui. La colonisation a été étudiée pour empêcher toute continuité géographique. La loi « Israël, État Nation du peuple juif » votée par la Knesset en 2018, définit la colonisation comme une « valeur nationale » invitant à la consolider et à la développer. Elle accorde la suprématie du peuple juif au détriment de 25 % de la population de l'Etat d'Israël composée d'Arabes israéliens.

Quant à l'administration américaine, le Président Trump a mis à mal, non seulement les droits fondamentaux du peuple palestinien, mais aussi l'ensemble du système multilatéral international. Nous avions espéré que le Président Biden allait réparer le mal que son prédécesseur avait fait, mais aucune initiative politique n'a encore vu le jour. Le consulat américain à Jérusalem demeure fermé ainsi que la Mission palestinienne à Washington. Aujourd'hui, il perdure un vide politique laissé par toute une communauté internationale qui laisse Israël dans une zone de confort, par l'absence de mise en responsabilité et par des condamnations timides garantissant l'impunité totale d'une occupation militaire qui se prolonge à l'infini.

Le droit international est très clair. Il offre des outils légaux afin d'exercer une vraie pression sur une puissance occupante, Israël en l'occurrence est en totale violation des conventions et du droit international. Ces outils incluent le recours à la Cour pénale internationale (CPI), des sanctions telles que l'interdiction de vente d'armes qui contribue au maintien de l'occupation et d'un système de discrimination et d'oppression imposé sur le peuple palestinien. Ces sanctions peuvent également s'appliquer sur des produits issus des colonies et pas seulement leur étiquetage.

Malgré le blocage de l'horizon politique, la direction palestinienne reste attachée à la solution à deux États endossée par la communauté internationale. Elle demeure déterminée à protéger les acquis des institutions démocratiques de l'État de Palestine et à poursuivre ses réformes pour créer un avenir meilleur pour la jeunesse palestinienne. Ainsi, le Président Mahmoud Abbas s'est vu obligé de reporter les élections législatives et présidentielles, jusqu'à ce qu'Israël, la force occupante, autorise leur tenue à Jérusalem-Est comme par le passé (en 1996 et 2006) et ce, conformément aux accords signés avec Israël pour la tenue des élections. Ils stipulent la tenue des élections dans l'ensemble du Territoire palestinien occupé : c'est-à-dire la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est, et dans la bande de Gaza.

Ces élections sous occupation, représentent un impératif démocratique, et renforceront les efforts de réconciliation déjà déployés pour mettre fin à la division inter-palestinienne.

Mais les réformes de l'administration palestinienne doivent composer avec une grave crise financière déclenchée par la diminution de l'aide internationale et la saisie, par Israël, des revenus des taxes palestiniennes qu'il collecte à la place du gouvernement palestinien, moyennant une commission exorbitante et non agréée. Ces recettes constituent 60 % du budget de fonctionnement du gouvernement palestinien lequel n'est plus en mesure de payer intégralement ses fonctionnaires. Israël retient régulièrement les fonds palestiniens, exerçant ainsi un chantage politique inacceptable, en parfaite violation du protocole de Paris de 1994. Une révision s'impose.

Face à cette réalité alarmante sur le terrain, en l'absence de perspectives politiques pour la reprise d'un processus politique crédible, et l'engagement depuis 30 ans en faveur de la solution à deux États, la direction palestinienne se trouve obligée d'explorer de nouveaux scénarios.

L'occupation, censée être temporaire par nature, ne peut durer et doit cesser urgemment. Pour nous, le statu quo actuel n'est pas tenable. Lors de son dernier discours devant l'Assemblée générale des Nations unies en septembre dernier, le Président Mahmoud Abbas, a exprimé notre attachement depuis 30 ans envers la solution à deux États, sans trouver en face de partenaire israélien qui s'engage pour la même solution. Bien au contraire, les gouvernements israéliens successifs ont maintenu une politique de colonisation et d'occupation permanente qui sabote toute solution et, avec elle, les aspirations légitimes du peuple palestinien.

Face à cette réalité, le Président Abbas, avec l'objectif de protéger notre peuple, son identité nationale et politique, a exigé d'Israël de mettre un terme à l'occupation militaire des territoires palestiniens occupés depuis 1967. Dans un an, le cas échéant, le peuple palestinien et sa direction se trouveront devant deux options : demander l'égalité au sein d'un seul État qui serait de facto un État d'apartheid, en raison du rejet d'Israël d'une telle idée ; ou l'application de la résolution 181 de 1947, cette même résolution qui a créé l'État d'Israël.

En ce 1er février, Amnesty International a publié un rapport intitulé : « L'Apartheid commis par Israël à l'encontre des Palestiniens. Un système cruel de domination et un crime contre l'humanité?». Ce rapport a été précédé par trois autres, le premier de Al-Haq, une organisation de défense des droits de l'homme en Palestine (qui s'est vu décerner en 2018 le Prix des droits de l'homme de la République française), le deuxième de Betselem (lauréat du même prix), et qui est la plus grande organisation de défense des droits de l'homme en Israël, et le troisième de Human Rights Watch arrivant, après des années d'études de terrain et de documentation, à la conclusion que l'État d'Israël exerce « un crime d'apartheid » contre le peuple palestinien en territoire palestinien occupé. Ces 4 rapports se sont basés sur la définition du « crime de l'apartheid » définie par la résolution 3068 de l'assemblée générale des Nations unies du 30 novembre 1973. Cette définition est, en outre, reconnue par le statut de Rome de 2002 instituant une cour pénale internationale.

En droit international, le seuil pour définir un crime d'apartheid est atteint lorsque trois critères principaux sont réunis :

- un système institutionnalisé d'oppression et de domination d'un groupe racial par un autre ;

- un ou des actes inhumains, tels que les transferts forcés de populations, tortures et meurtres, commis dans le cadre de ce système institutionnalisé ;

- une intention de maintenir la domination d'un groupe racial sur un autre.

Recensés par le tout nouveau rapport d'Amnesty International, je cite, « les actes discriminatoires d'Israël constitutifs du crime d'apartheid comprennent : la poursuite des déplacements forcés ; les déportations forcées, les transferts forcés et les restrictions arbitraires à la liberté de mouvement ; le déni de nationalité et le droit de retour ; la dépossession raciale et discriminatoire des terres et des biens ; et l'attribution et l'accès discriminatoires aux ressources nationales, y compris la terre, le logement et l'eau ; ».

Ce sont les mots d'Amnesty International et, avant elle, d'Al-Haq, de HRW et des ONG palestiniennes qualifiées par Israël de terroristes et d'antisémites pour avoir rétabli des faits objectifs.

Face à cette réalité, il y a urgence à ce que la communauté internationale prenne ses responsabilités en tant qu'États parties aux différentes conventions, notamment la Convention de Genève et la Charte des Nations unies. Il est primordial de créer les conditions nécessaires pour qu'un processus politique crédible soit lancé, et ce par la tenue d'une conférence internationale pour la paix, basée sur les termes de références agréées par l'ensemble de la communauté internationale qui incluent les différentes résolutions des Nations unies, le principe de la terre contre la paix, la conférence de Madrid et l'Initiative arabe de paix pour sortir de l'impasse actuelle. Une impasse dangereuse dont les conséquences seront désastreuses pour tous.

À cet égard, nous invitons la France à prendre l'initiative politique d'organiser une conférence internationale pour la paix, et à oeuvrer pour la mise en application de la résolution 2334 du Conseil de sécurité, adoptée à l'unanimité, et enfin de reconnaitre l'État de Palestine pour protéger la solution à deux États avant qu'il ne soit trop tard. Le moment est venu pour que la France marque l'Histoire de nouveau.

Il est temps de rendre justice à un peuple qui a trop longtemps souffert et de lui permettre de créer un État indépendant, souverain et contiguë, dans les frontières de 1967, avec Jérusalem-Est comme capitale, vivant en paix et en sécurité avec Israël.

Ne faites de la Palestine ni d'Israël d'exceptions quand il s'agit des droits fondamentaux et du respect du droit international, car ces droits sont tout simplement indivisibles pour tous.

Je vous remercie de votre attention.

M. Christian Cambon, président. - Merci Madame l'Ambassadrice pour ce tableau assez sombre de la situation. Nous allons tenter avec les questions de mes collègues de préciser ces différents points. Je vais tout d'abord donner la parole au Président du groupe interparlementaire d'amitié France-Palestine.

M. Gilbert Roger, président du groupe interparlementaire d'amitié France-Palestine. - Madame l'Ambassadrice, comment interprétez-vous les Accords d'Abraham qui se nouent avec beaucoup de pays au Moyen-Orient jusqu'au Maroc ? Comment le gouvernement de Palestine accueille-t-il cela ?

Mme Gisèle Jourda. - Merci pour cette présentation très émouvante mais très dure à entendre. Nous sommes conscients de cette situation. Je voulais vous poser une question sur le rapport qu'a émis la conférence des Nations unies sur le commerce et le développement publié le 24 novembre 2021. Il porte sur les mesures restrictives imposées par l'occupation israélienne qui représentent un manque à gagner de recettes de près de 58 milliards de dollars. Pour rattraper ce retard économique, la CNUCED recommande un accès libre à la zone C. Mais 60 % de la Cisjordanie demeure sous contrôle civil et militaire israélien. C'est un territoire sous-peuplé mais riche en ressources naturelles où Israël a de facto étendu sa souveraineté. L'organisme onusien prône aussi le rétablissement d'une continuité territoriale entre les différents espaces. Cette démarche est contredite dans les faits par l'avancée des colonies autour de Jérusalem qui coupent les principaux axes de communication entre le Nord et le Sud de la Cisjordanie.

Pouvez-vous nous dire quelles mesures sont envisagées par l'Autorité palestinienne pour tenter de rattraper ce retard économique ?

M. Jacques Le Nay. - Madame l'Ambassadrice, merci pour cette présentation générale assez sombre. Quelles relations entretient l'Autorité palestinienne avec les pays ayant signé les Accords d'Abraham ? La réunion de la Ligue arabe en mars prochain sera-t-elle l'occasion d'échanger à ce sujet ? Quelles relations entretenez-vous avec les Etats-Unis depuis que l'administration Trump a déménagé son ambassade à Jérusalem ? L'élection de Joe Biden a-t-elle permis de revenir à des relations plus apaisées ?

M. Guillaume Gontard. - Merci Madame l'Ambassadrice pour votre discours et les mots très forts que vous avez utilisés pour décrire la situation de votre peuple. Je suis très satisfait de faire partie du voyage organisé par la commission pour me rendre dans votre pays. Je souhaite que nous puissions rencontrer les autorités palestiniennes. Vous avez rappelé ce que vit votre peuple depuis tant d'années et la situation très préoccupante de la poursuite de la colonisation, des violations du droit international et de la nécessité de faire respecter le droit du peuple palestinien à l'autodétermination. Sur ce constat, j'ai une question plus précise. Je pense que la question démocratique et la question des élections sont liées. Il y a eu des élections municipales pour les petites villes. Pour les grandes villes, elles auront lieu en mars prochain. Je voudrais savoir comment cela est prévu et comment cela fonctionnera ? En revanche, les élections législatives ne sont pas tenues depuis 15 ans. Le lien entre ces élections et la lutte pour la reconnaissance d'un Etat palestinien est important.

Mme Nicole Duranton. - Merci Madame l'Ambassadrice. Vous avez fait un exposé très sombre mais précis et complet sur la situation. Je vais vous poser une question qui sort un peu du contexte. Pouvez-vous nous donner la position de la Palestine en ce qui concerne les menaces exercées par Vladimir Poutine sur l'Ukraine ?

M. Cédric Perrin. - Madame, merci pour vos propos. J'aurai deux questions assez brèves. Pouvez-vous nous donner des perspectives de réconciliation inter-palestiniennes et quelles sont aujourd'hui vos relations avec le Hamas ? Ensuite, pouvez-vous nous donner votre avis sur la position et le rôle que joue la Turquie ? Le président Erdogan est, depuis longtemps, favorable à un processus de réconciliation. Mais il a récemment consolidé ses intérêts géopolitiques et économiques par des rapprochements avec Israël. Pouvez-vous nous situer les choses plus précisément ?

M. Hugues Saury. - Vous avez décrit une situation très alarmante en matière de droits fondamentaux. Dans un contexte géopolitique complexe, la Palestine peine à assurer aux populations l'accès aux services essentiels. L'Agence française de développement (AFD) accompagne plus spécifiquement le développement du secteur de l'eau et appuie les municipalités et le secteur privé. Dans ce secteur, elle soutient notamment l'Autorité palestinienne sur les enjeux institutionnels et de gouvernance. Elle renforce aussi les partenariats avec les opérateurs de service public et les syndicats intercommunaux de l'eau sur les financements de projets et de distribution et d'assainissement d'eau. Ces priorités définies par l'AFD vous paraissent-elles en cohérence avec les principales difficultés rencontrées par la population dans leur vie quotidienne ? La définition de ces projets est-elle effectuée en concertation avec les autorités et partenaires palestiniens et son apport est-il jugé satisfaisant ou à améliorer ?

M. Jean-Marc Todeschini. - Madame l'Ambassadrice, merci pour votre exposé initial. Je vais vous poser une question sur la gestion du Covid. Le virus ne connaît pas de frontières. Alors qu'Israël semble en pointe sur la gestion de ce virus, comment cela s'est-il passé sur les Territoires palestiniens ? Pouvez-vous nous décrire la situation ? Dans la prolongation de l'intervention de notre collègue Gilbert Roger, comment la jeunesse palestinienne se situe-t-elle aujourd'hui par rapport au processus de normalisation des relations diplomatiques de certains pays arabes avec Israël ?

M. Christian Cambon, président. -Madame l'Ambassadrice, pouvez-vous nous donner quelques éléments de compréhension sur tous ces sujets ?

Mme Hala Abou Hassira - Je vais commencer par les accords d'Abraham. Notre position est extrêmement claire. Israël a un intérêt à faire la paix avec son voisin direct et premier partenaire : la Palestine pour établir un règlement définitif et final lors d'un accord de paix. Ensuite, Israël pourra normaliser ses relations avec l'ensemble des pays arabes et des pays islamiques (56 au total). Ces accords n'ont rien à voir avec la Palestine. Il ne faut pas se tromper et tomber dans une illusion. Ce sont des accords bilatéraux entre Israël et des pays signataires. L'accord de Paix principal doit être fait d'abord avec la Palestine.

La jeunesse palestinienne aspire à la paix mais elle est complètement désespérée. Nous n'avons rien à offrir à cette jeunesse ! C'est la raison pour laquelle nous avons tenu à maintenir les élections législatives et présidentielles pour permettre à cette jeunesse d'exercer et de vivre ce processus démocratique. Aujourd'hui en Palestine, plus de 50 % de la population à moins de 25 ans. La moitié de la population n'a jamais exercé son droit de vote. Nous sommes conscients de l'aspiration de cette jeunesse palestinienne.

Notre position est très claire mais il y a des « lignes rouges ». La tenue des élections doit se faire dans l'ensemble des territoires palestiniens occupés. Israël a rejeté la tenue des élections à Jérusalem-Est l'année dernière. Le choix était extrêmement difficile de prendre la décision de reporter les élections car on a voulu donner l'occasion à notre jeunesse d'exercer ce droit afin de renouveler notre leadership sur nos institutions. Mais faire les élections sans Jérusalem-Est serait une trahison à notre cause et à notre peuple. Ce serait une acceptation de l'annexion par Israël de Jérusalem-Est  et du plan de Donald Trump !

C'est la raison pour laquelle, on a décidé d'opter pour un report des élections jusqu'à l'autorisation de tenir le scrutin à Jérusalem-Est. Le monde oublie que nous sommes sous occupation. Pour tenir ces élections, nous avons besoin de l'autorisation de la force occupante qui est Israël. Nous restons attachés à la tenue de ces élections et nous restons fermes dans notre position de les faire dans l'ensemble des territoires occupés. Le médiateur européen a constaté et nous a transmis le rejet catégorique israélien de la tenue des élections à Jérusalem-Est.

Madame Jourda, vous avez parlé d'une situation économique extrêmement sombre. Aujourd'hui, le gouvernement palestinien essaye de travailler et de fournir les services publics principaux, essaye de garantir le fonctionnement des institutions et essaye de renforcer une économie fragilisée par les différentes crises occasionnées par l'occupation israélienne. Nos exportations et nos importations sont à la merci de l'occupation israélienne. Pour faire du chantage politique contre le gouvernement palestinien, Israël gèle les revenus et l'argent qui doivent servir à développer le pays. Aujourd'hui, nous sommes focalisés sur le développement des zones C. Les zones C constituent 40 % de la Cisjordanie. Ce sont ces mêmes zones qu'il y a deux ans, Israël a tenté d'annexer de jure. Aujourd'hui, il y a une annexion de facto de la vallée du Jourdain et d'une grande superficie de la Cisjordanie.

Aujourd'hui, nous investissons et nous encourageons nos partenaires internationaux et européens à le faire également. L'AFD est extrêmement impliquée avec le gouvernement palestinien pour mener des projets au bénéfice des citoyens palestiniens dans la zone C et dans les zones menacées d'expropriation afin de changer leur quotidien et de les aider à subsister sur leur terre.

Avec peu de ressources, nous essayons de fournir le maximum de services. La pandémie a été l'épreuve la plus grande pour le gouvernement palestinien. Nous étions le deuxième pays dans le monde à imposer un confinement général, tout simplement pour éviter une catastrophe potentielle et parce que nous n'avons pas les moyens de gérer une situation incontrôlable. C'est la raison pour laquelle, nous avons imposé un confinement draconien pour protéger la population, faute d'infrastructures hospitalières adaptées. Malgré cette situation austère et ce manque de moyens, nous avons réussi à gérer avec le minimum de dégâts la pandémie.

Les relations avec les États-Unis existent. Elles sont au minimum. Il y a un dialogue avec le président américain Joe Biden et avec le ministre des affaires étrangères, Anthony Blinken. De multiples coups de fil ont eu lieu entre le Président Abbas et l'administration américaine. Mais nous attendons toujours un vrai engagement américain. Aujourd'hui la solution de ce tableau ne passe pas par des petites mesures économiques ou des petits encouragements à l'investissement. On a besoin d'un vrai engagement politique de la part de l'administration américaine. Or, jusqu'à maintenant, cela n'a pas été le cas ! Les Américains se désengagent totalement de la région comme par exemple de l'Afghanistan. Nous souhaitons que les Américains se focalisent sur cette cause centrale de la région. Si elle ne résoudra pas toutes les crises de notre région, elle les apaisera tout de même et apportera une certaine stabilité. Nous attendons donc toujours une initiative américaine importante.

Mais en attendant, nous comptons sur nos partenaires européens. La France a fait l'Histoire concernant la question palestinienne par le courage politique de ses présidents. Aujourd'hui nous attendons que la France soit au rendez-vous. La France s'est toujours investie pour la paix. Je me rappelle de l'initiative française de la conférence pour la paix en 2016. La France a déployé des efforts gigantesques dans un moment où on croyait impossible la tenue d'une telle conférence et le rassemblement de partenaires internationaux autour d'une même table. La France est toujours capable de jouer ce rôle par sa crédibilité et sa légitimité dans la région. La France a la responsabilité de ramener aussi les pays européens autour de cette question. Nous sommes conscients des divisions européennes sur la question palestinienne. Il est important de ramener les européens à une position commune pour la paix. En tant que présidente de l'Union européenne et membre permanent du Conseil de sécurité, la France engage sa responsabilité internationale au service du maintien de la paix et de la sécurité dans le monde. Nous attendons beaucoup de nos amis français.

La relation avec la France n'est pas seulement gouvernementale, elle se situe aussi au niveau des peuples. La coopération décentralisée entre la France et la Palestine est la plus riche au monde. Cet engagement des collectivités territoriales françaises avec les collectivités palestiniennes est un levier important qui a un impact sur la vie quotidienne des Palestiniens et particulièrement dans les zones C (zones menacées d'expulsion et d'expropriation). À Gaza, l'AFD est engagée dans divers projets et principalement dans le secteur de l'eau avec une station de dessalement. Il y aussi le soutien à la jeunesse par divers projets.

J'étais récemment à la station F où se trouve le plus grand incubateur au monde. En Palestine, il y a huit incubateurs dont cinq se trouvent dans la bande de Gaza avec une jeunesse ambitieuse et talentueuse ! La coopération décentralisée reste un levier important, ainsi que l'AFD avec laquelle nous travaillons en étroite coordination afin de mener des projets prioritaires.

Aujourd'hui, nous sommes les témoins des bouleversements de ce qui se passe en Ukraine. La Palestine n'intervient pas dans les affaires intérieures d'autres pays. Notre objectif national est bien clair. Notre objectif en tant qu'État de Palestine est de résoudre le conflit et de mettre un terme à l'occupation militaire israélienne de notre terre. La Palestine soutient tout effort pour apaiser un conflit ailleurs dans le monde. La Palestine appuie tout effort diplomatique engagé par la communauté internationale afin de démanteler une tension qui existe ailleurs dans le monde.

En politique interne, nous faisons face au dilemme de la réconciliation interpalestinienne. C'est un sujet qui dure depuis plus longtemps que prévu. Nous sommes déterminés à aboutir dans ce dialogue avec le Fatah et le Hamas afin de réunir la Maison palestinienne face au danger plus grand qu'est l'occupation. Des pourparlers sont engagés avec la médiation de l'Égypte. Le président al-Sissi déploie beaucoup d'efforts pour ramener le Fatah et le Hamas, avec le reste des factions politiques palestiniennes, dans le chemin de l'unité et de la réconciliation interpalestinienne. C'est une priorité car cette division entraîne pour notre peuple un déchirement de la population palestinienne entre la bande de Gaza et la Cisjordanie. C'est une priorité pour le président Abbas et pour l'OLP qui est une institution que nous renforçons. Récemment, un Conseil central palestinien s'est tenu pour construire une stratégie commune palestinienne pour la réconciliation et contre l'occupation. J'ai donc espoir qu'on arrive, avec l'aide de nos voisins, et principalement de l'Égypte et de la Jordanie, à consolider un rapprochement entre le Fatah et le Hamas.

Nous avons une relation d'amitié et de solidarité avec la Turquie. C'est une relation historique. La Turquie a toujours eu des relations avec Israël. Ce n'est pas une relation cachée ! Nous n'intervenons pas dans les affaires internes des pays (surtout les pays de la région). La Turquie a joué un rôle dans le dialogue interpalestinien. Nous accueillons toujours tout effort qui peut nous amener vers la concrétisation de cette réconciliation.

Mme Sylvie Goy-Chavent. - Madame l'Ambassadrice, il y a un pays dont vous n'avez pas parlé et pourtant c'est un pays qui partage de nombreuses préoccupations avec la Palestine. Je pense au Liban. Pouvez-vous nous dire quelles sont les relations que vous entretenez avec les différentes entités en place au Liban et avec le gouvernement ?

Mme Vivette Lopez. - Vous nous avez parlé des relations que vous avez avec les Américains. Vous n'intervenez pas dans le problème de l'Ukraine. Je comprends car vous avez tant de problèmes internes. Mais qu'en est-il de la position de la Russie à votre égard ? Quelles relations entretenez-vous ? Quelle est leur position vis-à-vis de la Palestine et vis-à-vis d'Israël ?

Mme Hala Abou Hassira  - Nous avons une excellente et très étroite relation avec le Liban, d'autant plus sensible par la présence de près d'un demi-million de réfugiés au Liban. La situation des réfugiés palestiniens au Liban n'est pas la meilleure. Malgré cela, nous sommes en dialogue constant et officiel avec le gouvernement libanais. Nous nous coordonnons afin de protéger nos réfugiés et améliorer leurs conditions de vie dans les camps afin de permettre à l'OLP de fournir le service et le soutien nécessaire jusqu'à leur retour en Palestine en application de la Résolution 194. Le dialogue reste clair et franc. Les réfugiés palestiniens ont droit au retour chez eux en application du droit international.

Notre relation avec la Russie est bonne. C'est un ami historique de longue date. La Russie accueille souvent les dialogues interpalestiniens et jouit d'une excellente relation avec le Fatah et le Hamas. Cela lui permet de jouer un rôle dans cette réconciliation interpalestinienne mais aussi dans le processus de paix car la Russie jouit aussi d'une excellente relation avec Israël.

M. Christian Cambon, président. - Merci Madame l'Ambassadrice. La commission attache une importance particulière à la mission qui va avoir lieu. Nous l'avons préparée avec de nombreuses auditions, dont celle-ci.

Il y a en Europe et dans le monde occidental, une lassitude vis-à-vis du conflit israélo-palestinien. Tous les efforts accomplis, les conférences multiples et les initiatives entreprises par la France et les autres pays n'aboutissent jamais. La juxtaposition des propositions israéliennes et palestiniennes montrent qu'il y a de grandes difficultés.

Dans la perception que nous avons, il y a deux difficultés qui doivent être résolues. D'une part, la tenue des élections. C'est un reproche fait par le monde occidental. La tenue d'élections est importante. Des élections se sont tenues dans d'autres pays avec des situations toutes aussi compliquées ! D'autre part, la réconciliation entre le Hamas et le Fatah est absolument essentielle car sinon nous ouvrons la voie à des critiques récurrentes notamment sur l'aide occidentale aux Palestiniens.

Le rôle du Parlement est d'agir comme éclaireur pour essayer de comprendre les enjeux. Parmi les interlocuteurs auditionnés, certains affirment que la solution à deux États n'est plus d'actualité. Les gens préfèrent des progrès sur des thèmes de la vie quotidienne comme l'octroi de permis de travail pour les Palestiniens en Israël et sur le montant du reversement des droits de douanes gelés par Israël. Nous chercherons à y voir plus clair sur ce point.

La réconciliation des différents mouvements palestiniens et la tenue des élections seraient un symbole très fort pour l'Occident. Les élections générales sont utiles dans tous les pays qui se réfèrent aux valeurs démocratiques.

Cette mission est donc préparée avec le plus grand soin. Nous espérons établir le diagnostic le plus constructif sur ce qui se passe dans cette région. Ce conflit a des répercussions sur bien d'autres conflits dans cette région du monde. Il y a toujours cette référence disant que tant que le conflit israélo-palestinien n'est pas réglé, rien ne s'arrangera. C'est donc un travail absolument essentiel que nous allons faire.

Merci Madame l'Ambassadrice d'avoir accepté cette audition et de nous avoir éclairés sur ces sujets complexes et difficiles.

C. AUDITION DE M. RENÉ TROCCAZ, CONSUL GÉNÉRAL DE FRANCE À JÉRUSALEM (23 FÉVRIER 2022)

M. Christian Cambon, président. - Monsieur l'ambassadeur, merci de vous être rendu disponible pour nous éclairer sur la situation dans les territoires palestiniens et sur l'avenir du processus de paix. Votre dernière audition s'était tenue le 9 juin 2021, quelque temps après la crise de Gaza et le cessez-le-feu du 21 mai, qui venait clore un épisode d'affrontements aussi inattendus que violents entre le Hamas et l'armée israélienne, mais également entre Israéliens juifs et arabes.

Depuis, la situation demeure fragile, car les ferments du conflit israélo-palestinien restent les mêmes, en dépit de la nouvelle donne politique israélienne. Nous avons entendu la semaine dernière la cheffe de la Mission de Palestine en France, madame l'ambassadrice Hala Abou Hassira. Celle-ci nous a rappelé la position de l'autorité palestinienne, ainsi que le consensus international en faveur de la solution à deux États et de la reconnaissance d'un État palestinien dans ses frontières de 1967 incluant la bande de Gaza et la Cisjordanie, avec Jérusalem Est comme capitale. Elle en a appelé à la France pour prendre l'initiative d'une conférence internationale afin de relancer la solution à deux États, je la cite, « avant qu'il ne soit trop tard ». En effet, force est de constater que le processus de paix est dans une impasse. Nous aurons besoin, monsieur l'ambassadeur, de votre analyse.

Comme vous le savez, le Sénat débat régulièrement de cette question. Nous avons examiné en décembre dernier la proposition de résolution de notre collègue Pierre Laurent en faveur de la reconnaissance d'un état palestinien aux côtés d'Israël. Certes, le Sénat n'a pas adopté cette proposition, mais ce n'était pas un geste d'hostilité à la création d'un État palestinien. De notre point de vue, une reconnaissance unilatérale n'accorderait qu'une souveraineté de papier, sans effet sur le processus de paix que nous appelons unanimement de nos voeux. Je rappelle qu'une précédente résolution de notre collègue Gilbert Roger avait été adoptée en 2014 pour inviter le gouvernement français à reconnaître l'État de Palestine.

Comme vous le savez, malgré le contexte international qui pourrait occulter le conflit israélo-palestinien, nous continuons à suivre avec beaucoup d'attention le sort du peuple palestinien. Grâce à vous, nous nous rendrons prochainement en Israël et dans les territoires palestiniens, avec une délégation exceptionnellement composée de neuf sénateurs, comprenant des présidents des groupes politiques représentés au sein de cette commission, afin de marquer l'importance que nous attachons à cette mission plusieurs fois retardée.

De votre point de vue, une alternative à la solution à deux États est-elle envisageable ? Vous nous direz si, du point de vue palestinien, l'option à un seul État assortie d'une égalité de droits de tous les sujets, qu'ils soient juifs ou arabes, est un point de réflexion.

Avant ce déplacement délicat, je voudrais vous remercier d'avoir mobilisé vos équipes. Je souhaite que vous nous livriez votre analyse sur deux questions complémentaires. Pensez-vous que la nouvelle coalition israélienne ne s'est pas formellement engagée dans la relance du processus de paix ? Elle délivre des messages qui nous apparaissent contradictoires, en soutenant d'une part l'Autorité palestinienne et en poursuivant d'autre part la colonisation. Quelle voix la France doit-elle porter pour aller dans le sens de la paix ?

Du côté palestinien, le report sine die des élections législatives et présidentielles, qui devaient avoir lieu en 2021, est difficilement tenable. Comment peut-on admettre que le peuple palestinien soit privé de droit de vote depuis près de 15 ans ? Quel crédit pouvons-nous accorder à l'annonce du président Abbas d'organiser ces élections dès que les scrutins pourront se tenir à Jérusalem ? Cet argument n'est-il pas mis en avant pour retarder le calendrier électoral ? De même, vous pourrez nous éclairer sur les perspectives de réconciliation interpalestiniennes.

Enfin, j'ai tenu à ce que nous puissions visiter la bande de Gaza et nous rendre compte par nous-mêmes de la réalité de sa situation humanitaire. Je vous invite donc à évoquer l'action de la France, et plus particulièrement de l'AFD - citée par Mme Abou Hassira comme un partenaire de référence. À l'inverse, la nouvelle ambassadrice d'Israël considère l'AFD comme « une ONG nationale qui en finance d'autres, qui elles-mêmes financent des armes côté des Palestiniens ».

M. René Troccaz, Consul général de France à Jérusalem. - Monsieur le président, merci beaucoup pour votre accueil et pour ces mots aimables. Comme toute mon équipe à Jérusalem, je suis ravi de cette mission importante par la qualité et le nombre de ses participants. Elle un double caractère : un segment israélien organisé par nos collègues et par mon ami Éric Danon, ambassadeur de France à Tel-Aviv, que vous avez récemment auditionné, ainsi que par le consulat général à Jérusalem et dans les territoires palestiniens.

Depuis ma dernière audition, en juin dernier, un nouveau gouvernement israélien a été nommé. Je ne l'évoquerai pas en détail, car j'imagine que mon collègue Eric Danon a eu l'occasion de le faire, mais je pourrai évoquer ses incidences sur le processus de paix. S'agissant de la perspective d'une relance diplomatique, dont nous sommes loin, nous constatons un attentisme américain. La situation de tension se poursuit, notamment en Cisjordanie. Comme vous l'avez évoqué, s'y ajoutent l'immobilisme et la paralysie des institutions palestiniennes et de l'Autorité palestinienne. Tout cela crée un paysage qui n'est pas satisfaisant, mais qui n'est pas non plus éternel. Nous sentons la montée d'une fébrilité généralisée à Jérusalem, dans les territoires palestiniens et en Israël, dans la perspective de l'arrivée du ramadan, au mois d'avril, qui coïncidera au demeurant avec les fêtes de Pâques juives et chrétiennes. Il s'agit d'un moment de grande tension potentielle, que nous devons garder à l'esprit. Je tiens à signaler les efforts, notamment des Américains, pour éviter que la situation ne déborde.

Dans ce contexte, le gouvernement français reste actif. Le 19 février s'est tenue une réunion du groupe dit « de Munich », qui réunit les ministres des affaires étrangères français, allemand, jordanien et égyptien. Ce « groupe des quatre » a réaffirmé la nécessité de fixer un horizon politique au processus de paix, alors même que l'actualité internationale, d'une part, et l'enlisement de la situation locale, d'autre part, créent le risque d'un certain découragement. Il est essentiel, de mon point de vue, de rester mobilisés sur ce sujet.

Le nouveau gouvernement israélien est hétéroclite et plus allant dans son discours vis-à-vis de la communauté internationale. Sur le terrain, la situation est toutefois plus nuancée. Ainsi, force est de constater que les violences des colons en Cisjordanie se poursuivent, posant la question du contrôle de ces personnes par les autorités. L'extension des colonies en Cisjordanie et à Jérusalem-Est continue. Plus fondamentalement, nous constatons une sorte de dualité et de répartition des rôles entre le Premier ministre, Naftali Bennett - qui a fait savoir publiquement qu'il ne rencontrerait pas le président palestinien, Mahmoud Abbas, et qu'il ne considérait pas qu'il y ait lieu d'envisager la création d'un État palestinien -, et le ministre de la Défense, Benny Gantz, qui a rencontré à deux reprises le président Abbas à Ramallah et l'a reçu dans sa résidence de Jérusalem. L'homme du dialogue israélo-palestinien est donc le ministre de la Défense.

L'approche israélienne, telle que nous la comprenons, est assez sécuritaire - d'où le soutien à l'Autorité palestinienne sous ce prisme. D'une part, Israël dit publiquement son souci d'accompagner et d'aider l'Autorité palestinienne ; d'autre part, nous observons un certain nombre d'entraves, notamment s'agissant du transfert des recettes et revenus collectés par Israël pour le compte de l'Autorité palestinienne, particulièrement en ce qui concerne les droits de douane, systématiquement versés en retard. La conséquence est que les fonctionnaires palestiniens ne sont payés qu'à 70 % ou 80 % depuis des mois, y compris les forces de sécurité, ce qui provoque un risque de démobilisation. Nous parlons ici de 30 000 hommes armés des services de sécurité palestiniens.

L'approche d'Israël est plus allante sur le discours. Elle se veut principalement concentrée sur l'amélioration du quotidien des Palestiniens, ce qui peut se traduire par l'augmentation du nombre de permis de travail, tant en Cisjordanie qu'à Gaza, ce qui a une incidence considérable pour l'économie palestinienne. La priorité d'Israël est la sécurité, mais nous n'avons pas le sentiment d'une volonté de relance qu'un quelconque processus de paix.

Ces tensions sont quotidiennes en Cisjordanie et extrêmement sensibles à Jérusalem Est, qui constitue le coeur du conflit. Ainsi, les évictions, démolitions de maisons en vertu de titres de propriété contestés, installations de colons dans des domiciles occupés par des Palestiniens créent un contexte très fragile et potentiellement explosif dans ce très petit territoire.

Par ailleurs, le gouvernement israélien, sans doute inspiré fortement par les Américains et par la pression de la communauté internationale, souhaite faire des gestes de report de certaines mesures - en matière d'évictions ou s'agissant du report d'un grand plan de reconfiguration du mont des Oliviers. La pression sur la tension politique nécessite de ne pas aller trop vite et de manier tout cela avec précaution.

L'approche américaine épouse les contours de l'approche israélienne et vise à gérer le conflit de basse intensité, sans débordements, tout en améliorant la vie des Palestiniens - ce qui suppose un investissement dans l'économie, les modalités d'existence et les permis de travail, mais pas nécessairement la relance d'un grand plan de règlement du processus de paix. Nous ne pouvons pas comparer l'action de l'administration Biden avec celle de l'administration Trump. Celle-ci a en effet réaffirmé son soutien à la solution à deux États et s'est réengagée financièrement. Ainsi, les Américains ont apporté 450 millions de dollars non à l'Autorité palestinienne, mais aux Palestiniens - l'essentiel de ces montants étant la subvention américaine à l'UNRA. L'US Aid revient dans les territoires palestiniens, avec un budget de 130 millions de dollars annuels. Il y a donc une certaine forme de retour américain, lié à l'aide humanitaire, au développement de la société civile et des projets, ainsi qu'au domaine sécuritaire.

La promesse de campagne du candidat Biden de réouverture du consulat général américain à Jérusalem reste une question non tranchée à ce stade. A l'évidence, les Israéliens n'en veulent pas. Ayant eu l'occasion d'en parler avec des collègues américains à Jérusalem, j'ai compris que de nombreuses discussions étaient en cours à Washington pour tenter d'honorer cette promesse, sans décision concrète à ce stade.

Trois terrains doivent être distingués. Premièrement, en Cisjordanie, la situation est plus tendue qu'au cours des cinq dernières années, du fait de micro-incidents presque quotidiens qui rendent la vie très compliquée dans ce territoire où un habitant sur quatre est un colon israélien. La question de la viabilité de l'État palestinien se trouve posée par cette géographie physique, humaine et sécuritaire. Deuxièmement, la situation à Gaza se caractérise par un calme relatif et précaire grâce au retour de certains financements. Par l'intermédiaire du Qatar, quelque 30 millions de dollars mensuels permettent d'honorer les factures de fioul, l'aide aux familles les plus démunies, ainsi que par un biais détourné le financement des fonctionnaires de l'autorité de fait - le Hamas. Tout ceci est assuré en intelligence étroite avec Israël, l'objectif étant de maintenir le cap dans la bande de Gaza, avec la reconstruction de Gaza après la guerre de l'année dernière. Le ministre des Affaires étrangères israélien, Yaïr Lapid, a présenté un plan qui mérite d'être précisé, mais qui repose sur une équation « sécurité contre amélioration des conditions économiques à Gaza ». Je signale au passage que l'envoyé spécial des Nations Unies, M. Tor Wennesland, que j'ai rencontré avant de venir à Paris, travaille beaucoup sur Gaza avec pour priorité d'éviter que le Hamas ne fasse main basse sur l'économie locale, afin que celle-ci reste en capacité de se développer.

Troisièmement, en tant que coeur religieux et politique, Jérusalem est la mèche susceptible d'embraser la situation. Je ne reviendrais pas sur les risques, expulsions et tensions quasi quotidiennes. J'insiste sur le fait que les Américains, de manière discrète, mais très mobilisée, ont en réalité un agenda de sécurité concerté avec les autorités israéliennes qui consiste à calmer le jeu et éteindre les débuts d'incendie pour éviter une tension généralisée comme l'an dernier. Les Européens et la France sont dans une politique d'accompagnement et de plaidoyer, qui a son importance pour le rappel des fondamentaux et des obligations du droit international. Je citerai l'ancien ambassadeur d'Israël à Paris, désormais retraité, Élie Barnavi, homme de très grande valeur et acteur incontestable du camp de la paix, qui lors d'une conférence donnée dans l'un de nos centres culturels à Jérusalem, affirmait que « Jérusalem n'a jamais été aussi divisée ». Je rappelle que 40 % de la population de Jérusalem est palestinienne - ou plutôt qu'il s'agit d'Arabes israéliens ayant un statut de résident à Jérusalem.

Quatrièmement, l'immobilisme et la paralysie de l'Autorité palestinienne. Vous l'avez rappelé, monsieur le président, les élections ont été reportées. La prochaine échéance est constituée par les élections municipales, prévues le 23 mars. Si celles-ci se tiennent - et nous l'espérons, dans de bonnes conditions -, elles donneront une indication de tendance sur le rapport de force politique au sein de la société palestinienne. Dans les grandes villes, ces élections sont toutefois largement facteur de tractations entre grandes familles.

La récente réunion, les 6 et 7 février, du conseil central de l'OLP, a montré des jeux d'appareil qui se traduisent par le contrôle croissant du président palestinien et de son entourage immédiat. Nous le voyons au travers de la promotion d'un certain nombre de personnes, tout particulièrement Hussein Al-Sheikh, qui fait figure d'étoile montante et de potentiel dauphin. Il convient toutefois de prendre en compte l'état de l'opinion et de la rue, car il s'agit d'un homme d'appareil. Nous notons en effet une forte défiance vis-à-vis de l'Autorité palestinienne faute d'élections, ainsi qu'une incompréhension et une critique croissante de cette dernière par l'opinion palestinienne.

D'une certaine manière, l'Autorité palestinienne est peut-être davantage soutenue par la communauté internationale, et paradoxalement par Israël, que par sa propre population. Ainsi, l'assassinat cet été de Nizar Banat, activiste des droits de l'homme et blogueur palestinien, par des services de sécurité palestiniens, a provoqué un fort émoi dans les territoires palestiniens. J'en veux également pour illustration les manifestations massives contre la vie chère de ces derniers jours dans les territoires palestiniens. Par ailleurs, si l'économie palestinienne rebondit après la crise du Covid, elle n'est pas en capacité d'absorber l'augmentation de la population. De plus, l'Autorité palestinienne attend toujours ses financements de l'Union européenne pour 2021, dont les modalités de versement sont actuellement débattues à Bruxelles. Depuis dix ans, l'Autorité palestinienne reçoit dix fois moins de financements extérieurs qu'en 2010.

En conclusion de cet exposé liminaire, monsieur le président, vous avez évoqué la solution à deux États. De plus en plus de voix doutent de sa faisabilité, y compris côté palestinien. Ayant à l'esprit les violences d'avril et mai 2021, nous pouvons nous interroger sur l'État unique qui serait alors mis en place. La question de sa majorité démographique pourrait se poser, point essentiel qui suscite des débats en Israël, point qui suscite des débats en Israël. Il pourrait également prévoir deux statuts différents pour ses citoyens. Rappelons toutefois que la moitié de la population entre le fleuve du Jourdain et la Méditerranée est palestinienne et culturellement arabe, avec des statuts différents (Jérusalem Est, citoyens de Cisjordanie, bande de Gaza, Arabes israéliens). Par ailleurs, 70 % de la population palestinienne a moins de 30 ans. D'ici 25 ans, au regard de la croissance démographique continue, il y aura à peu près 14 millions de Palestiniens et 3 millions d'Arabes israéliens, soit un ensemble humain de culture palestinienne de l'ordre de 18 à 19 millions d'habitants. Le différentiel de niveau de vie entre la Cisjordanie - sans même parler de la bande de Gaza - et Israël est d'un à quatorze. Ces statistiques sont celles du bureau des statistiques palestinien, qui recense aujourd'hui 3 millions de Palestiniens en Cisjordanie, plus de 2 millions dans la bande de Gaza, 350 000 résidents de Jérusalem-Est palestiniens et 2 millions de citoyens israéliens arabes, soit 20 % de la population israélienne. Ce total représenterait, à date, la moitié des citoyens de la solution à un État.

Les événements d'avril et mai dernier, dont nous espérons qu'ils ne se reproduiront pas, constituaient la première réaction unie depuis 1948 de tous les Palestiniens, quel que soit leur lieu de résidence : Jérusalem, Cisjordanie, bande de Gaza ou villes mixtes au sein même d'Israël. Le ministre de la Défense israélien, Benny Gantz, a ainsi estimé que ces tensions et violences entre citoyens israéliens, parfois très fortes, sont plus graves pour l'avenir d'Israël que ce qui se passe dans la bande de Gaza.

M. Christian Cambon, président. - Merci, monsieur l'ambassadeur, pour cet éclairage. Quel langage la France tient-elle par rapport aux autorités palestiniennes ? Quelles sont leurs attentes, quelle est la doxa en la matière ? Nous souhaitons en effet vous aider et ne pas créer de problèmes, sachant qu'un mot de trop peut créer beaucoup de difficultés.

M. René Troccaz. - La doxa est rappelée aujourd'hui ou demain au Conseil de sécurité des Nations Unies, qui tient une séance sur le processus de paix : deux États vivant côte à côte en sécurité, la reconnaissance des deux souverainetés israélienne et palestinienne, et Jérusalem comme capitale des deux États. Ce positionnement peut paraître répétitif, mais plus le temps passe et plus cette répétition est compliquée à maintenir.

Vous arriverez, par ailleurs, auréolés de la sympathie que portent les Palestiniens à la France. Ils se souviennent ainsi de l'hommage rendu par Jacques Chirac suite à la mort de Yasser Arafat et sont conscients du soutien que nous apportons quotidiennement - qu'il s'agisse de l'Agence française de développement (AFD), de l'action de la France dans tous les domaines de coopération, de notre soutien politique ou de nos positions constantes et équilibrées.

M. Christian Cambon, président. - Quelles seront les demandes des Palestiniens ?

M. René Troccaz. - Nous avons sollicité une entrevue politique avec le président Abbas, le Premier ministre et le ministre des Affaires étrangères. M. Abbas dirige les affaires avec une certaine fermeté, malgré ses 86 ans. Le Premier ministre, plus jeune, est un homme de valeur et a une bonne connaissance des affaires de développement ; toutefois, je crois comprendre que son avenir politique est peut-être questionné. Le ministre des Affaires étrangères avait été reçu en entretien par le président Larcher en novembre dernier.

Selon mon expérience, les questions posées sont toujours assez classiques et attendues. L'entretien commence généralement par des remerciements pour le soutien de la France de manière générale, puis se poursuit par une demande de reconnaissance de l'État palestinien. La ministre allemande des Affaires étrangères, lors de sa récente visite dans les territoires palestiniens, a eu droit à un plaidoyer en ce sens. Enfin, vos interlocuteurs indiqueront certainement que contrairement à ce qui est projeté auprès de la communauté internationale, le gouvernement israélien ne fait pas les gestes nécessaires pour permettre la relance du processus de paix ou conforter l'Autorité palestinienne.

L'objet de ce déplacement, tel que nous vous le soumettons, est de vous montrer le plus de facettes possible, c'est-à-dire le pouvoir politique, mais également la Palestine qui gagne, avec des jeunes remarquables qui répliquent, quelque part, le modèle israélien - start-uppeurs, banquiers d'affaires -, mais également la réalité de Gaza, qui est une singularité à elle seule, ainsi que la problématique de Jérusalem, où la France est présente au travers de ses domaines nationaux et de son action de coopération.

M. Gilbert Roger. - À chaque visite en Israël et en Palestine, j'ai eu le sentiment que la société civile palestinienne était extrêmement éloignée de l'Autorité palestinienne à Ramallah, et qu'elle attendait beaucoup d'une solution. Vous avez évoqué la piste de la création d'un État unique. En tant que parlementaire de l'OTAN, j'ai posé franchement cette question à deux reprises aux proches de M. Biden : ceux-ci n'arrivent pas à croire qu'un seul État, avec respect des droits de tous, soit une possibilité. Qu'en pensez-vous ?

Ma deuxième question concerne les chrétiens d'Orient. Je lisais encore récemment dans Le Figaro que l'affaire de la forêt sur le mont des Oliviers ne vise pas uniquement à créer un espace vert, mais bien à annexer tout un territoire au profit des juifs. Nos collègues constateront en passant devant le Tombeau des rois que celui-ci est quasiment fermé pour le protéger et le garder à disposition des religions.

Enfin, j'essaie, avec le ministre des Affaires étrangères, d'obtenir des informations sur la situation de notre compatriote franco-palestinien Salah Hamouri, qui vient d'être privé de tous ses droits en matière de protection sociale et santé. Ce dossier a-t-il avancé ?

M. Jacques Le Nay. - Monsieur l'ambassadeur, vous avez parlé de l'UNRA, et notamment des financements américains, ainsi que l'action menée par l'AFD en Palestine. Quelle place occupe l'enseignement du français dans les territoires palestiniens ? Quelle est la proportion de chrétiens dans la population palestinienne, et quelle place occupent-ils dans ces territoires ? Vivent-ils mieux que leurs voisins musulmans ?

Mme Isabelle Raimond-Pavero. - Alors que les autorités israéliennes ont toujours suivi d'un oeil particulièrement inquiet la reprise des négociations internationales à Vienne concernant le programme nucléaire iranien, les récentes avancées dans ce dossier laissent entrevoir la perspective d'un accord. Considérez-vous qu'il existe des divergences entre Israël et les États-Unis à ce sujet ? Pouvez-vous nous faire part de la position qu'adopteront les Israéliens, notamment vis-à-vis de l'Iran et de ses alliés, dans l'éventualité où cet accord venait à être entériné ?

M. Guillaume Gontard. - Merci pour cette description précise de la situation. L'ambassadrice de Palestine a estimé que la situation à deux États était en train de mourir et que la situation est particulièrement grave actuellement. Cependant, quelle pourrait être la solution d'un seul État, notamment en termes d'égalité des citoyens ? À votre sens, quelle est la position de la population sur ce point, sachant qu'elle compte 70 % de moins de 30 ans ? Comment cette jeunesse, qui n'a jamais exercé son droit de vote, pour les plus jeunes, perçoit-elle la situation ? Vous avez évoqué les élections municipales qui ont eu lieu dans les petites villes, et qui seront organisées dans les grandes en mars. L'ambassadrice a estimé que des législatives sans Gaza seraient une trahison. Ne s'agit-il pas d'un moyen de reconnaissance et d'appui du peuple palestinien ? Je souhaiterais en outre connaître votre avis sur le rôle des pays arabes voisins. Enfin, quelle est l'importance de la coopération décentralisée, et comment percevez-vous le fait que Gaza en soit exclue ?

M. René Troccaz. - Je confirme que la société civile est massivement éloignée de l'Autorité palestinienne. Je n'entends dans les territoires palestiniens que des propos critiques vis-à-vis de celle-ci. S'agissant de l'éventualité d'un État unique, jusqu'à présent, la solution à deux États pouvait constituer un problème tant pour Israël, qui a des réserves, que pour les Palestiniens, qui doit fournir un effort pour y parvenir. Dès lors que cette perspective disparaît, le problème devient celui d'Israël, à qui il appartiendra de définir ce que sera cet État, d'autant plus que depuis 1948, les Palestiniens installés dans l'espace géographique de l'ancienne Palestine sous mandat britannique ne partent pas. Cette question ouverte serait donc un problème israélien à l'avenir. Par ailleurs, les Américains ne parviennent pas à croire à la solution à un seul État, car sa nature risquerait d'être contestée par la démographie.

S'agissant des chrétiens d'Orient, le projet de reconfiguration du Mont des Oliviers en parc archéologique est un sujet extrêmement sensible. C'est à mon sens pour cette raison que les autorités israéliennes ont reporté la décision, sous la pression discrète mais ferme des Américains.

Vous m'avez interrogé sur la situation de notre compatriote franco-palestinien, Salah Hamouri. J'ai demandé la semaine dernière à mes services de se mettre en rapport avec lui, pour voir si nous pouvions le faire bénéficier de droits à la sécurité sociale française.

L'enseignement du français a une place modeste dans les territoires palestiniens, dont il reste la seconde langue, loin derrière l'anglais. Avec le ministère palestinien de l'Éducation, nous travaillons à la mise en place d'un mécanisme permettant de présenter le français au baccalauréat. Dans ce cadre, l'Institut français prendrait en charge un certain nombre d'épreuves. Ce point s'inscrit dans les recommandations du rapport de Charles Personnaz sur les chrétiens d'Orient.

À ce sujet, il est à noter que seul 1 % des Palestiniens sont chrétiens, contre 10 % en 1948. En revanche, 20 % des élèves scolarisés dans les territoires palestiniens en Cisjordanie le sont dans des établissements chrétiens du patriarcat latin. Il s'agit donc d'une minorité très active, mais démographiquement réduite.

Madame Raimond-Pavero, je suis embarrassé pour vous répondre sur le nucléaire iranien, car mes collègues de Tel-Aviv ou de Téhéran seraient plus compétents en la matière. Il s'agit d'un sujet d'importance pour Israël, certainement plus prégnant que la question des territoires palestiniens. Cette menace pour Israël ne doit pas pour autant conduire à négliger la réalité du conflit israélo palestinien.

Monsieur Gontard, vous avez reposé clairement la question de la définition d'un seul État, à laquelle nous ne pouvons répondre que par des points d'interrogation perplexes et préoccupés. À mon sens, ce cheminement se fait dans les cercles politiques et sécuritaires d'Israël, qui mettent en garde contre le risque d'une remise en cause de toute la construction d'Israël depuis 1948. Les pays arabes voisins sont inquiets ; le plus inquiet d'entre eux est la Jordanie, dont 70 % de la population est d'origine palestinienne et dont le roi a un rôle de protecteur des lieux saints musulmans à Jérusalem. Le Waqf, autorité cultuelle jordanienne, administre notamment l'esplanade des Mosquées, la sécurité extérieure en étant assurée par les Israéliens. Les Égyptiens sont à la manoeuvre dans la bande de Gaza ainsi que dans le dialogue entre les factions palestiniennes. Les Russes leur ont probablement confié le relais des discussions entre le Hamas et le Fatah. De fait, rien ne se fait dans la bande de Gaza sans l'aval de l'Égypte.

Il y a quatre jours, j'ai accompagné à Jérusalem une délégation sur la coopération décentralisée composée d'une cinquantaine d'élus, représentants de municipalités, experts, ainsi que de représentants du Réseau de coopération décentralisée avec la Palestine (RCDP). Ce dernier a mis en place un programme particulièrement riche à Jérusalem Est et dans les territoires palestiniens. Il s'agit d'une dimension importante de l'activité du consulat général de Jérusalem.

M. Christian Cambon, président. - Monsieur l'ambassadeur, confirmez-vous que plus de 500 ONG interviennent dans les territoires palestiniens ?

M. René Troccaz. - Cet ordre de grandeur me semble correct, en comptant les ONG palestiniennes et internationales, notamment françaises, mais également les ONG israéliennes. Parmi ces dernières, les ONG de plaidoyer de la paix, à l'instar de B'Tselem, sont particulièrement critiques de l'action des autorités israéliennes dans les territoires palestiniens.

Mme Vivette Lopez. - Je souhaiterais un complément d'information sur la situation de la jeunesse. Comment les jeunes palestiniens vivent-ils la situation, s'agissant de leurs études ? Partent-ils étudier à l'étranger ? Des échanges sont-ils organisés, des étudiants étrangers viennent-ils étudier dans les territoires palestiniens ? Par ailleurs, qu'en est-il de la protection du patrimoine ? Enfin, les événements en Russie et en Ukraine sont-ils un sujet de préoccupation pour les Palestiniens ?

M. Pierre Laurent. - Monsieur l'ambassadeur, je vous remercie pour le rappel des équilibres démographiques, qui mettent en perspective la question de la solution à un ou deux États. Cependant, enterrer la solution à deux États revient à prendre le risque d'entériner le fait accompli, soit un État - Israël - et des « réserves », camps et territoires occupés par des citoyens sans droits, pourtant très nombreux.

Une initiative citoyenne européenne vient d'être lancée pour rassembler un million de signatures afin de demander un débat sur l'interdiction de la commercialisation des produits issus des colonies. Au-delà de cette question, où en sont vos rapports avec vos partenaires de l'Union européenne, actuellement présidée par la France ? Dans le cadre de l'Union européenne, de nouvelles initiatives sont-elles possibles, au-delà de la réaffirmation formelle ?

Enfin, le calendrier des élections palestiniennes se précise-t-il ?

M. François Bonneau. - Monsieur l'ambassadeur, vous avez évoqué dans votre propos liminaire le mois d'avril. Pouvez-vous revenir sur la situation entre les communautés religieuses et au sein de chaque communauté ? Dans le monde musulman, quelles sont les relations entre les chiites, sunnites et les Druzes ? Existe-t-il des tensions au sein des communautés chrétiennes ? En Israël, qu'en est-il des relations entre les ultra-orthodoxes et le reste de la population juive ?

M. Hugues Saury. - L'Agence française de développement est très présente dans ces territoires et indique consacrer 865 000 euros répartis sur trois ans afin de donner « des repères citoyens » aux enfants et aux jeunes Palestiniens de Jérusalem-Est. Le but semble être de leur assurer un accompagnement, afin que ces derniers s'engagent durablement, à l'intérieur et à l'extérieur du cadre scolaire. Pouvez-vous expliquer le constat qui a conduit à cette opération et en présenter un premier point d'étape ?

Mme Nicole Duranton. - Monsieur l'ambassadeur, que pensez-vous des statistiques officielles du ministère français de l'Intérieur et de l'Agence juive, en Israël, qui précisent que lorsque l'antisémitisme augmente en France, les départs vers Israël augmentent l'année suivante ? Ces dernières années, 60 000 personnes seraient ainsi parties vivre en Israël. Est-ce une réalité ?

M. Yannick Vaugrenard. - Ne pensez-vous pas que la solution pour Israël soit plutôt à deux États ? Elle semble en effet évidente lorsque 70 % de la population palestinienne a moins de 30 ans, avec toutefois des réserves sur les terres colonisées. Par ailleurs, vous avez indiqué que le ministre de la Défense avait une approche logiquement sécuritaire et était en première ligne dans la négociation. De plus, les Palestiniens semblent se tourner davantage vers des votes radicaux que vers l'OLP. Ne pensez-vous pas qu'Israël et la communauté internationale doivent apporter des réponses aux conditions sociales des Palestiniens, et en particulier des jeunes ?

Vous avez souligné que certains de ces jeunes envisageaient de créer des start-ups, sur le modèle occidental, mais une grande partie de cette jeunesse fait face à des conditions sociales d'existence délicates. Ne pensez-vous pas que le rôle d'Israël et de la communauté internationale serait de renforcer l'approche économique et sociale pour éviter que des votes radicaux remplacent l'OLP ?

M. René Troccaz. - Les Palestiniens étudient en premier lieu en Palestine, qui compte 18 universités, en majorité privées. La plus grande d'entre elles, située à Naplouse et forte de 30 000 étudiants, reçoit un tiers d'étudiants arabes israéliens, notamment en médecine. Dans le nord de la Cisjordanie, à Djénine, la proportion d'étudiants arabes israéliens accueillis est encore supérieure. Les Palestiniens étudient également dans le reste du monde arabe (Jordanie, Égypte), puis tout particulièrement en Turquie, qui attribue dix fois plus de bourses d'études complètes que la France. La Turquie réalise à bas bruit un très important travail de soft power dans la région et dans les territoires palestiniens. Enfin, certains jeunes Palestiniens étudient aux États-Unis, au Royaume-Université ou en France. Je serai ainsi demain à Campus France pour présenter le cadre des études aux universités françaises, en présence de l'ambassadrice de Palestine à Paris. De plus, un événement Campus France réunissant les anciens étudiants palestiniens a regroupé plus de 300 personnes en début d'année. Il est à noter que les Palestiniens sont parmi les peuples les plus formés et éduqués de la région.

La question de la protection du patrimoine est embarrassante, car celui-ci est menacé de toute part, que ce soit par le temps qui passe, la modernité ou par la situation des territoires palestiniens. La question est de savoir qui protège quoi. Ainsi, 60 % de la Cisjordanie est sous contrôle israélien ; les Palestiniens n'ont donc pas la capacité d'en protéger le patrimoine.

La planète entière s'intéresse au conflit russo-ukrainien et la Russie est un acteur majeur du Proche-Orient. Il s'agit cependant à ce stade d'un sujet secondaire pour les Palestiniens, et certainement également pour les Israéliens.

Monsieur Pierre Laurent, le risque que vous évoquez est déjà valable sur le terrain, où la situation d'entre-deux laisse le champ libre à une dégradation lente. La communauté internationale ne doit pas abandonner la solution à deux États, que soutiennent toujours les États-Unis. Sur la durée, la solution d'un État comprenant des droits différenciés selon les populations s'avérerait très difficile à imposer au regard de la vigueur, de la compétence, du niveau de formation et de l'exigence de la jeunesse palestinienne.

Les rapports avec l'Union européenne sont un débat constant, car tous les Européens n'ont pas la même sensibilité et la même approche du conflit israélo-palestinien. La France réaffirme le droit international, mais certains pays européens ont adopté une approche assez différente telle que la Hongrie.

La question des élections palestiniennes engendre une grande frustration. Compte tenu de sa jeunesse, plus de la moitié de la population aurait voté pour la première fois de sa vie lors des élections de 2021 qui ont finalement été reportées. La mobilisation était forte, avec 93 % d'inscrits sur les listes électorales et 90 listes. L'annulation des élections a généré une grande frustration.

Au sujet des relations entre groupes religieux, nous avons trop souvent affirmé que le conflit israélo-palestinien n'était pas un conflit religieux. Il me semble en effet difficile d'en évacuer totalement cette dimension. Les relations sont relativement étanches, avec une pratique du « chacun chez soi ». Il existe parfois beaucoup de distance au sein même des groupes religieux. En Israël, nous constatons une évolution du judaïsme et une évolution démographique confortant année après année la proportion des juifs orthodoxes. De 12 % de la population israélienne, leur démographie galopante les porterait à 30 % d'ici 25 ans. Composée de 40 % de citoyens arabes, 30 % d'Israéliens laïques et 30 % d'orthodoxes, Jérusalem offre, par anticipation, une image de ce que pourrait être Israël d'ici 20 ou 30 ans. Il existe parfois des tensions entre chrétiens, mais si ceux-ci restent une force symbolique importante, ils ne représentent que 1 % de la population de Jérusalem. Ils détiennent un fort patrimoine, qui attise les convoitises et les tensions vis-à-vis de ceux qui convoitent ces biens ainsi qu'en interne, au sein des églises chrétiennes. Les territoires palestiniens ne comportent pas de chiites. Les Druzes sont majoritairement israéliens et très fidèles à Israël. Il convient toutefois de poser la question de la montée de l'islamisme dans les territoires palestiniens et en Israël, sur lequel m'avait alerté Monseigneur Michel Sabbah, ancien patriarche latin de Jérusalem. Il convient de rappeler que toutes les tensions et manifestations d'avril-mai dernier à Jérusalem ne sont pas le fait de Palestiniens des territoires occupés, mais de personnes résidant à Jérusalem et d'Arabes israéliens qui s'y sont rendus.

L'AFD a un programme de 8 millions d'euros à Jérusalem visant à soutenir la société civile. Elle réalise un travail de pointillisme - soutien aux activités de la société civile, à des activités associatives, économiques, sportives et culturelles. De manière pragmatique et politique, son action permet maintenir la solution à deux États ainsi que la diversité de Jérusalem. Ce programme est critiqué par certaines ONG, certains groupes ou lobbys, qui reprochent à l'AFD et à l'union européenne d'agir pour préserver la diversité culturelle et humaine de Jérusalem.

Madame Duranton, vous m'avez interrogé sur l'Alyah, soit le départ de nos concitoyens juifs de France face à l'antisémitisme. J'ai plutôt à l'esprit un ordre de grandeur de 3 000 départs par an. La question est de savoir ce qu'est un départ, car de nombreuses personnes réalisent des aller-retour entre France et Israël. Ainsi, nous recensons 45 000 Français ou Franco-Israéliens dans la circonscription consulaire de Jérusalem, dont 22 000 inscrits au Consulat général et 17 000 en âge de voter. Certaines personnes viennent en Israël pour des raisons idéologiques et spirituelles, d'autres parce qu'elles se sentent menacées en France, d'autres pour des raisons fiscales et d'autres encore pour rejoindre de la famille.

Enfin, serait-il préférable pour Israël d'avoir deux États ? Ce n'est pas à moi de répondre, mais le sentiment de beaucoup d'Israéliens y est favorable. De tous les pays au monde, Israël est sans doute celui qui a le plus intérêt à la stabilisation des territoires palestiniens. L'indispensable amélioration des conditions de vie des Palestiniens pour éviter la radicalisation des esprits, à laquelle travaillent les Américains et la communauté internationale, ne remplacera pas l'avenir politique. Nous ne ferons pas l'économie d'un traitement du fond de ce sujet. La perspective de deux États semble s'étioler ; toutefois, après deux ans et demi à Jérusalem, j'ai la conviction forte que la question palestinienne est une question d'avenir.

M. Christian Cambon, président. - Monsieur l'ambassadeur, de votre point de vue, quel est le plus grand obstacle à la solution à deux États ? Est-ce la géographie « en peau de panthère » héritée de l'histoire et de la colonisation, ou bien est-ce la situation de Jérusalem-Est, régulièrement remise en cause par Israël ?

M. René Troccaz. - Ces deux questions influent, quoi que de manière différente. Comme vous le verrez, la colonisation concerne un très petit territoire. En effet, la Cisjordanie a la superficie d'un département français. Sa population est composée pour un quart d'Israéliens, qui n'ont pas les mêmes voies d'accès, qui bénéficient d'une liberté de déplacement accrue, mais qui ne peuvent se rendre dans certains endroits. Nous ne voyons pas de continuité territoriale ou de viabilité de ce micro-archipel particulièrement touffu. La question de Jérusalem est autre, car elle est coupée de la Cisjordanie. En revanche, Jérusalem reste le coeur sensible de la région. Il serait naïf de considérer que les Palestiniens se désintéresseraient de Jérusalem, d'autant plus que celle-ci constitue un sujet mondial pour l'ensemble des musulmans. Il n'est pas possible d'y toucher sans risque.

M. Christian Cambon, président. - Cette réalité géographique semble en effet difficile à appréhender tant qu'on ne l'a pas vue.

Merci, monsieur l'ambassadeur, pour cette communication précise et passionnante. Avec votre soutien, nous nous attacherons à porter un certain nombre de messages au cours de cette mission parlementaire. L'une des problématiques est que les crises qui éclatent dans le monde tendent à repousser le conflit israélo-palestinien en « seconde division » dans notre opinion publique. Pourtant, nous savons que ce conflit en conditionne bien d'autres et est utilisé pour faire prendre les armes, y compris parfois dans certains de nos quartiers.

AUDITIONS ET PROGRAMME DU DÉPLACEMENT

Auditions en réunion plénière

- M. Éric DANON, ambassadeur de France en Israël (9 février 2022) ;

- S.E. Mme Hala ABOU HASSIRA, ambassadeur, chef de la mission de Palestine en France (16 février 2022) ;

- M. René TROCCAZ, consul général de France à Jérusalem (23 février 2022).

Auditions des rapporteurs

- M. Hagai EL-AD, directeur exécutif de l'ONG israélienne B'Tselem ;

- M. Shawan JABARIN, directeur général de l'association Al-Haq ;

- M. Raji SOURANI, président fondateur et directeur du centre palestinien des droits de l'Homme (PCHR).

Programme du déplacement en Israël et dans les Territoires palestiniens du 26 juin au 2 juillet 2022

Dimanche 26 juin

Accueil par le département des relations internationales de la Knesset, installation à Jérusalem Ouest et visite du quartier historique de Mahane Yehuda.

Lundi 27 juin (Jérusalem)

Visite du Mémorial Yad Vashem pour la mémoire de la Shoah, suivie de la cérémonie du souvenir avec dépôt de gerbe.

Entretiens à la Knesset :

- M. Mickey LEVY, Président de la Knesset ;

- M. Ram BEN BARAK, Président de la commission des affaires étrangères et de la défense, en présence de MM. Zvi HAUSER et Yossi SHAIN, députés ;

- M. Mansour ABBAS, président du parti Raam et député de la liste arabe unie ;

- Mme Emilie MOATTI et M. Yosef TAIEB, co-présidents du groupe d'amitié Israël-France, et Mme Nira SHPAK, députée ;

Salut de la délégation par M. Mickey LEVY en séance plénière de la Knesset, suivi des débats sur le projet de loi de dissolution de la coalition gouvernementale.

Mardi 28 juin (frontière Nord) :

Visite du camp militaire de Biranit et point sur la situation frontalière avec le Liban ;

Visite de la ligne bleue (point de vue de Pa'amonit) et d'un tunnel désaffecté du Hezbollah (Ramyah) ;

Visite du village de Yaa'ra situé à proximité de la ligne bleue ;

Retour à Jérusalem et visite de la vieille ville.

Mercredi 29 juin (frontière Sud) :

Entretien avec M. Alon SHUSTER, vice-ministre de la défense

Visite du point de passage de Kerem Shalom (sud de la bande de Gaza) ;

Visite et entretien avec des résidents du moshav de Netiv Ha'Asara ;

Visite de la batterie Iron Dome de Re'im et briefing sur la situation sécuritaire de la région Sud.

Point de situation avec M. Éric DANON, Ambassadeur de France en Israël.

Jeudi 30 juin (Gaza et Ramallah) :

Gaza :

- Présentation d'une usine de traitement des eaux usées NGEST, à proximité de Jabalia (nord de Gaza) cofinancée par l'AFD, par Mme Fanny DELPEY, directrice adjointe ;

- Présentation de l'UNRWA par Mme Jenifer AUSTIN, directrice adjointe du bureau de Gaza, et Mme Amal AL KHATIB, cheffe de programme ;

- Présentation de l'Institut français de Gaza par M. Guillaume ROBERT, directeur de l'Institut français ;

Ramallah : entretien avec M. Mohamed SHTAYYEH, Premier ministre

Vendredi 1er juillet (Hébron, Bethléem et Jérusalem) :

Visite et présentation de la vieille ville d'Hébron par M. Anwar ABU EISHEH, ancien ministre de la culture de l'Autorité palestinienne.

Visite de Bethléem et de la Basilique de la Nativité.

Déjeuner avec des membres de la société civile palestinienne, Mme Véra Baboun, ancienne maire de Bethléem, M. Iskander Kando, directeur de l'Alliance française, M. Abdelfattah Abusrour, camp de réfugiés d'Aïda, M. et Mme Anastas et les Soeurs du monastère de l'Emmanuel.

Visite de la Maison d'Abraham à Jérusalem en présence de M. Bernard Thibaud, Directeur.

Visite de la Basilique Sainte-Anne.

Dîner au Consulat général de France à Jérusalem à l'invitation de M. René TROCCAZ, consul général, sur la thématique du fait religieux en présence de Père Tomasz GRYSA (chargé d'affaires Délégation apostolique du Saint-Siège à Jérusalem), Père Louis-Marie COUDRAY (Abu Gosh). Père Stéphane MILOVITCH (Custodie de Terre Sainte), Père Cyrille JALABERT (Prieur dominicains St Etienne), Son Excellence Monseigneur William SHOMALI (Evêque auxiliaire du patriarche latin pour Jérusalem), Soeur Valentina SALA (Provinciale des soeurs de Saint-Joseph), Père Davide MELLI (chancelier du patriarcat latin) et Père Luc PAREYDT, conseiller pour les affaires religieuses au Consulat général.

Samedi 2 juillet :

Entretien au Consulat général de France à Jérusalem avec la presse française en présence de Mmes Danièle Kriegel (Le Point) et Claire Duhamel (France 24), et de MM. Charles Enderlin, ancien correspondant de France Télévision, Thierry Oberlé (Le Figaro) et Nicolas Rosembaum (RFI).

ANNEXE I : 
ÉLÉMENTS DE CHRONOLOGIE RELATIFS À LA SOLUTION À DEUX ÉTATS

Chronologie12(*) :

- 1917 : en novembre, déclaration Balfour. La Grande-Bretagne s'engage à établir en Palestine un foyer national pour le peuple juif ;

- 1922 : en juillet, le conseil de la Société des Nations (SDN) ratifie le mandat de la Grande-Bretagne sur la Palestine dans le texte duquel est incorporée la déclaration Balfour ;

- 1933 : afflux d'immigrants juifs (l'ensemble de la population passe de 135 000 à 355 000 personnes) ;

- 1935 : grève général et révolte arabe en Palestine ;

- 1939 : le livre blanc anglais prévoit la limitation de l'immigration juive, la restriction des achats de terre, la création d'un État palestinien dans les 10 ans ;

- 1947 : en février, les Britannique confient à l'ONU le règlement de la question palestinienne ; en novembre, l'Assemblée générale des Nations unies adopte un plan de partage de la Palestine en deux États, arabe et juif, ainsi que l'internationalisation de Jérusalem ;

- 1948 : en mai, proclamation de l'État d'Israël ; première guerre israélo-arabe ;

- 1949 : armistice entre Israël et les États arabes ; fixation de la Ligne verte ;

- 1956 : en octobre, occupation de Gaza par l'armée israélienne ;

- 1967 : guerre des six jours ; vote par l'ONU de la résolution 242 ;

- 1973 : guerre du Kippour ;

- 1974 : Yasser Arafat reçu par l'assemblée générale de l'ONU ; l'organisation de libération de la Palestine (OLP) obtient le statut d'observateur à l'ONU ;

- 1978 : en septembre, accord de Camp David, préalable à la paix entre l'Égypte et Israël ;

- 1980 : Jérusalem capitale de l'État israélien ;

- 1987 : en décembre, début de la première Intifada ; premier communiqué du Hamas ;

- 1988 : le royaume de Jordanie renonce à la souveraineté sur la Cisjordanie ; l'OLP proclame l'État indépendant de Palestine et reconnaît les résolutions 242 et 338 du Conseil de sécurité ;

- 1991 : conférence de Madrid ; les Palestiniens avec les États arabes négocient avec Israël ;

- 1992 : le Parti travailliste israélien remporte les élections législatives ; Yitzhak Rabin devient Premier ministre ;

- 1993 : en septembre, signature des accords d'Oslo ; naissance de l'Autorité palestinienne ; fin de la première Intifada ;

- 1994 : en juillet, Yasser Arafat rentre en Cisjordanie ;

- 1995 : assassinat de Yitzhak Rabin à Tel-Aviv ; en décembre, retrait de l'armée israélienne de six villes de Cisjordanie qui passent sous autorité palestinienne ;

- 1996 : en avril, l'OLP supprime de sa charte la référence à la destruction d'Israël ; en mai, Benyamin Netanyahou, hostile au processus de paix, est élu Premier ministre ;

- 1997 : en mars, Benyamin Netanyahou autorise une nouvelle colonie en Cisjordanie ;

- 1999 : le travailliste Ehud Barak devient Premier ministre, les négociations reprennent ;

- 2000 : en juillet, échec des négociations de Camp David ; en septembre, Ariel Sharon, chef du Likoud, entre sur l'esplanade des Mosquées ; début de la deuxième Intifada ;

- 2002 : l'Arabie Saoudite propose une normalisation totale à Israël en échange de son retrait de tous les territoires palestiniens13(*) ; début de l'opération « remparts défensifs » ; l'armée israélienne entre dans les territoires de l'Autorité palestinienne ; Yasser Arafat est bloqué à Ramallah ; début de la construction de la « barrière de sécurité » ou du « mur de séparation » ;

- 2003 : Yasser Arafat nomme Mahmoud Abbas Premier ministre de l'Autorité palestinienne ;

- 2004 : décès de Yasser Arafat ;

- 2005 : en janvier, élection de Mahmoud Abbas président de l'Autorité palestinienne ; en septembre, retrait unilatéral israélien de la bande de Gaza ; fin de la deuxième Intifada ;

- 2006 : en janvier, élections législatives dans les territoires palestiniens ; victoire du Hamas à Gaza ; en juillet, guerre du Liban entre Israël et le Hezbollah ;

- 2007 : en juin, rupture entre le Hamas et l'Autorité palestinienne à Gaza ; en septembre, multiplication des tirs de roquettes contre Israël depuis Gaza ;

- 2008 et 2009 : opérations de l'armée israélienne contre Gaza ;

- 2011 : en mars, manifestations à Gaza et en Cisjordanie pour protester contre les divisions palestiniennes ; en mai, Barack Obama se prononce en faveur de la création d'un État palestinien ; en septembre, Mahmoud Abbas demande l'adhésion de l'État palestinien à l'ONU ; en octobre, la Palestine devient membre de l'Unesco ;

- 2012 : en novembre, la Palestine devient État observateur à l'ONU ;

- 2013 : en juillet, reprise des négociations israélo-palestiniennes à Washington ;

- 2014 : en mars, rupture entre l'Égypte et le Hamas ;

- 2015 : en octobre, début d'une série d'attentats en Israël, suivant les méthodes de Daesh, couteaux et voitures-béliers ;

- 2016 : en décembre, John Kerry, secrétaire d'État américain, plaide pour la solution à deux États ;

- 2017 : en septembre, l'ambassadeur américain à Tel-Aviv met en doute la solution à deux États ; en octobre, Israël et les États-Unis annoncent quitter l'Unesco ; en décembre, Donald Trump annonce le transfert de l'ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem ;

- 2018 : Donald Trump diminue la subvention américaine à l'UNRWA ; Mahmoud Abbas rejette la médiation américaine dans le processus de paix après l'annonce du transfert de l'ambassade américaine à Jérusalem ;

- 2019 : en juin, transfert de l'ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem ; volet économique du plan de paix américain pour le conflit israélo-palestinien ;

- 2020 : en janvier, « deal du siècle », plan de paix pour le conflit israélo-palestinien proposé par Donald Trump ; en septembre, signature des accords d'Abraham à la Maison-Blanche entre les Émirats arabes unis, Bahreïn et Israël ; en octobre, normalisation des relations entre Israël et le Soudan ; en décembre, déclaration conjointe Maroc-Israël-États-Unis ;

- 2021 : en mars, 4ème élections législatives en deux ans ; arrivé en tête, Benyamin Netanyahou ne parvient pas à rassembler une coalition ; en mai, tensions à Jérusalem, heurts dans les villes israéliennes, bombardements d'Israël par le Hamas et le Jihad islamique, bombardement de Gaza par Israël ; en mai, le centriste Yair Lapid parvient à constituer une coalition de 8 partis incluant des travaillistes, des anciens ministres de Benyamin Netanyahou et, pour la première fois, des députés de la Liste arabe unie ; Naftali Bennet est désigné Premier ministre, une politique de soutien à l'Autorité palestinienne est mise en oeuvre, mais il n'y a pas d'accord de coalition pour la reprise du processus de paix et la politique de colonisation se poursuit ;

- 2022 : en juillet, dissolution de la Knesset ; en novembre, 5ème élections législatives en 4 ans, Benyamin Netanyahou prend la tête d'une coalition composée de six partis (Likoud, Judaïsme unifié de la Torah, Shas, le Parti sioniste religieux, Force juive et Noam) et rassemblant 64 députés sur 120.

ANNEXE II :
CARTES D'ISRAËL ET DES TERRITOIRES PALESTINIENS


* 1 Le dernier déplacement d'une délégation de la commission en Israël date de février 2004 et, dans la même configuration Israël et Territoires palestiniens, de mars 2002, il y a 20 ans.

* 2 Période du 22 mars au 13 mai 2022.

* 3 Source : Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies.

* 4 Alain Dieckhoff (Questions internationales n° 103-104 - septembre-décembre 2020).

* 5 Fonctions correspondant à la composition de la Knesset en vigueur lors du déplacement. À la date d'examen du rapport, le 14 décembre 2022, Benyamin Netanyahou, dont le parti, le Likoud, était arrivé en tête lors des élections législatives du 1er novembre, était désigné pour former un gouvernement de coalition, en cours de négociation avec le Parti sioniste religieux, Shas, Judaïsme unifié de la Torah, Force juive et Noam en vue de disposer d'une majorité de 64 députés sur 120.

* 6 Cf. Annexe I : éléments de chronologie de 1917 à nos jours relatifs à la solution à deux États.

* 7 Source : ministère de l'Europe et des affaires étrangères.

* 8 Les entretiens à la Knesset ont permis d'entendre les diverses sensibilités parlementaires, qu'elles soient membres de la coalition ou de l'opposition de l'époque :

- Mickey LEVY, Président de la Knesset (Yesh Atid);

- Ram BEN BARAK, Président de la commission des affaires étrangères et de la défense (Yesh Atid), en présence de Zvi HAUSER (Nouvel espoir) et Yossi SHAIN (Israel Beytenou), députés ;

- Mansour ABBAS, président du parti Raam et député de la liste arabe unie ;

- Emilie MOATTI (parti travailliste) et Yosef TAIEB (Shas), co-présidents du groupe d'amitié Israël-France, et Mme Nira SHPAK (Yesh Atid), députée.

* 9 À cet égard, les négociations engagées par Benjamin Netanyahu avec Bezalel Smotrich (parti sioniste religieux), Ben Gvir (parti Force juive) et Avi Maoz (parti Noam), personnalités qualifiées d'extrême-droite et d'ultra-orthodoxe, augurent de positions hostiles à la création d'un État palestinien (source : The Time of Israël).

* 10 Source : https://www.ochaopt.org/

* 11 UNRWA : United Nations Relief and Works Agency for Palestine Refugees in the Near East

* 12 Source : d'après la chronologie publiée dans Le Conflit israélo-palestinien en 100 questions - Jean-Claude Lescure - éditions Tallandier.

* 13 Initiative arabe de paix.