B. UN RETOUR EN ARRIÈRE N'OFFRIRAIT PAS AUX COMMUNES LES BÉNÉFICES ESCOMPTÉS

1. Une panacée ?

Dans ces conditions, se pose la question d'un retour de la métropole à un statut d'établissement public de coopération intercommunale (EPCI) de droit commun . La métropole de Lyon pourrait ainsi devenir une métropole disposant d'un statut proche de celui de métropoles telles que Toulouse, Bordeaux, Lille, Nantes, etc.

Une telle transformation est perçue par certaines personnes auditionnées par les membres de la mission comme à même de résoudre l'ensemble des difficultés posées aujourd'hui par la gouvernance et les structures de la métropole.

Ainsi, l'absence de représentation des élus municipaux au sein du conseil de métropole semblerait résolue . Le conseil de métropole serait désormais élu, dans des conditions de droit commun, par « fléchage » 205 ( * ) de conseillers municipaux 206 ( * ) élus dans chacune des 59 communes. L'ensemble des communes serait donc représenté.

Le mode de scrutin étant modifié, le conflit de légitimités concurrentes disparaîtrait partiellement , puisque le conseil de la métropole procèderait de l'élection des conseillers municipaux.

Enfin, une métropole soumise au régime de droit commun ne saurait disposer d'une clause de compétence générale , étant soumise au principe de spécialité.

Dès lors, le retour à une métropole de droit commun constituerait-il une panacée ? Les membres de la mission estiment au contraire qu'une telle évolution n'est ni possible, ni souhaitable.

2. Une réforme qui n'est pas possible, ni souhaitable
a) Une réforme impossible
(1) Une introuvable unanimité

En effet, le passage à un statut d'EPCI à fiscalité propre est inenvisageable en l'état , tant il n'emporte pas le consensus localement .

De nombreux acteurs auditionnés par les membres de la mission s'y sont explicitement opposés : au premier rang desquels, l e président du conseil départemental du Rhône. Celui-ci s'est explicitement prononcé contre un retour au statu quo ante , qualifiant une telle hypothèse d'erreur majeure . Le retour à un EPCI à fiscalité propre conduirait effectivement le département du Nouveau Rhône à retrouver son ressort territorial antérieur, comprenant l'ensemble de la circonscription administrative du Rhône alors que la situation financière du département a plutôt bénéficié de la création de la métropole de Lyon, qui selon la commission des finances du Sénat, a « permis un règlement opportun de la question de la dette et des emprunts structurés à risque souscrits par l'ancien département du Rhône . » 207 ( * )

Or, l'opposition de cette collectivité territoriale suffit seule à justifier, selon les membres de la mission, l'impossibilité pour le législateur de revenir sur l'état de fait actuel : le consensus local autour de la création de la métropole a constitué l'une des conditions de sa réussite ; il ne saurait être conduit une nouvelle réforme sans qu'un consensus local de même ampleur lui préexiste .

Au demeurant, l'évolution vers le statut d'EPCI à fiscalité propre ne recueille pas en l'état l'accord de l'ensemble des maires auditionnés par la mission. À titre d'exemple, Valérie Giraud, maire de Genay, a indiqué dans une contribution écrite remise aux rapporteurs n'être « pas favorable à un retour en arrière » vers un statut intercommunal de la métropole. Or, comme le cas de la métropole d'Aix-Marseille-Provence l'a montré, les réformes de l'organisation locale menées contre les élus locaux sont généralement vouées à l'échec .

(2) D'indéniables contraintes juridiques

Au surplus, certaines modalités d'une telle réforme conduiraient à la rendre tout simplement impossible .

En effet, s'il était fait le choix de conserver le périmètre des compétences de la métropole (à savoir l'addition de compétences intercommunales et départementales) tout en l'intégrant au sein d'un département, alors, ce dernier, se verrait privé de l'exercice de ses compétences sur une large portion de son territoire. Au surplus, cela reviendrait à octroyer à un établissement public de coopération intercommunale l'intégralité des compétences d'une collectivité territoriale - ici le département - sur son territoire .

Dans ces conditions, il pourrait être jugé qu'un tel département remet en cause la pertinence même de la catégorie de département, dont le statut est protégé par l'article 72 de la Constitution .

En effet, dans un avis du 7 décembre 2017 208 ( * ) , le Conseil d'État soulignait les limites d'un tel exercice de différenciation territoriale puisque « dans le cadre constitutionnel en vigueur le législateur dispose de marges de manoeuvre réelles, mais contraintes : par l'article 72 de la Constitution qui implique que les collectivités territoriales de droit commun - communes, départements, régions - aient un même statut et, par suite, disposent des mêmes compétences ; et par le principe d'égalité, qui n'autorise la différenciation des compétences ou de leur exercice que pour des raisons d'intérêt général ou du fait de différences de situations . »

À ce titre, si les membres de la mission notent que le critère d'une différence de situation objective pourrait être satisfait par la préexistence de la métropole de Lyon comme collectivité territoriale à statut particulier, ils relèvent également qu'un tel exercice de différenciation des compétences ferait de ce nouveau département une anomalie particulièrement dérogatoire au statut et aux compétences caractérisant ordinairement les départements ; il serait en effet incapable d'exercer ses compétences sur plus des trois quarts de sa population 209 ( * ) .

De surcroît, le Conseil d'État, dans le même avis, avait jugé que d'éventuelles modifications constitutionnelles « devraient s'inscrire dans la cohérence du titre XII de la Constitution », impliquant que « les différenciations des règles de compétences et de leur exercice au sein d'une même catégorie de collectivités territoriales - communes, départements et régions - n'altèrent pas la pertinence de trois catégories de collectivités territoriales disposant chacune d'un même statut et la pertinence de la distinction entre ces trois catégories de collectivités territoriales de droit commun ».

Dès lors, une telle piste parait, aux yeux des membres de la mission, emporter davantage de risques juridiques pour l'ensemble des acteurs locaux que d'améliorations de la situation des communes et de leurs citoyens sur le périmètre métropolitain .

b) Une réforme non souhaitable

Plus fondamentalement, un retour à un statut d'EPCI à fiscalité propre n'apparaît pas réellement souhaitable pour les communes mêmes .

D'une part, dans le cas où la réforme emprunterait une autre voie que celle évoquée supra , il pourrait être envisagé un retour à un statut intercommunal mais celui-ci se traduirait par la perte par la métropole de ses compétences départementales , qui reviendraient donc au département du Rhône, ainsi que la fin de l'élection au suffrage universel direct des conseillers métropolitains .

Selon les membres de la mission, une telle évolution ne serait souhaitable :

- ni pour les citoyens , auprès desquels il serait difficile de justifier la fin de l'élection au suffrage universel direct, entraînant le risque d'un préjudiciable sentiment de dépossession ;

- ni pour les communes , qui perdraient les bénéfices des synergies opérées par la métropole entre les divers champs de compétences dont elle dispose.

Surtout, à supposer même que les difficultés juridiques évoquées supra soient levées et que la métropole puisse conserver des compétences départementales et métropolitaines, les communes auraient beaucoup à perdre d'un retour à l'EPCI à fiscalité propre .

En premier lieu, les difficultés entourant de la conduite d'une telle réforme ne la rendent pas souhaitable . Si la fusion entre le conseil départemental et la communauté urbaine de Lyon a été bien menée, il apparaît nettement plus difficile de scinder une collectivité en deux que d'en procéder à la fusion , car cela implique notamment de mettre fin aux mutualisations de moyens opérées . Coûteux et chronophage, un tel processus nuirait au développement du territoire et ferait perdre un temps précieux pour l'ensemble des acteurs du territoire.

En second lieu, son principe même pose question . Dotée de compétences élargies et de moyens techniques et financiers importants, la métropole de Lyon est une collectivité territoriale qui dispose d'une forte capacité d'action, d'un véritable pouvoir de faire . Pour les membres de la mission, il serait dès lors particulièrement paradoxal , alors même que la commission des lois du Sénat déplore avec constance la réduction tendancielle des marges de manoeuvre, notamment financières, des collectivités territoriales, de se prononcer favorablement au démantèlement d'une collectivité territoriale disposant de tels atouts . Il est en effet primordial de ne pas amoindrir, dans la détermination de l'organisation territoriale de ce territoire, l'efficacité de l'action publique locale ; or, une telle réforme en présenterait manifestement le risque. La métropole de Lyon, dans son esprit, constitue une indéniable chance pour son territoire, qu'une réforme institutionnelle d'ampleur risquerait de dégrader.

Dans ces conditions, les membres de la mission estiment qu'il importe de dépasser ce débat en clarifiant la nature de la collectivité territoriale spécifique que constitue la métropole de Lyon . Il convient dès lors de prendre acte de cette spécificité , et en particulier de tirer toutes les conséquences du caractère départemental de la collectivité , avant de renforcer le rôle des maires dans la gouvernance de cette métropole-département.


* 205 Article L. 273-7 du code électoral.

* 206 La commune la moins peuplée sur le territoire de la métropole étant Curis-au-Mont-d'Or (1206 habitants en population Insee pour 2022), l'ensemble des communes de la métropole ont plus de 1 000 habitants et il devrait donc être à une telle élection par « fléchage ».

* 207 Rapport de la commission des finances du Sénat précité.

* 208 Avis n° 393651 sur la différenciation des compétences des collectivités territoriales relevant d'une même catégorie et des règles relatives à l'exercice de ces compétences du 7 décembre 2017, consultable à l'adresse suivante : https://www.conseil-etat.fr/avis-consultatifs/derniers-avis-rendus/au-gouvernement/differenciation-des-competences-des-collectivites-territoriales-relevant-d-une-meme-categorie-et-des-regles-relatives-a-l-exercice-de-ces-competences .

* 209 En 2019, la métropole de Lyon représentait 1 411 571 des1 875 747 habitants de la circonscription du Rhône selon l'Insee ( https://www.insee.fr/fr/statistiques/1405599?geo=EPCI-200046977+DEP-69 ), soit 75,25 %.

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