II. LE RETOUR À UN EPCI NE RÉSOUDRAIT PAS LES DIFFICULTÉS DU COUPLE MÉTROPOLE-COMMUNES

A. FACE AUX DIFFICULTÉS DE GOUVERNANCE ET INSTITUTIONNELLES, LE SOUHAIT DE MAIRES DE RETROUVER UNE STRUCTURE INTERCOMMUNALE

1. Le début du mandat métropolitain : des soucis et des hommes

Les divers exemples évoqués d'une gouvernance trop verticale ont conduit à un mécontentement grandissant des maires des communes situées sur le territoire de la métropole, aboutissant à une « fronde » à l'automne 2021 .

Au début du mois d'août 2021, le groupe d'opposition Synergies , constitué de dix élus au conseil de la métropole, a exprimé son fort mécontentement à l'égard du mode d'exercice du pouvoir par l'exécutif métropolitain élu en juillet 2020 , reprochant à celui-ci d'imposer aux maires des communes de petite taille des décisions sans coopération et peu adaptées aux réalités locales. Face à ces « dix maires en colère », le président de la métropole a préféré, par voie de presse, « relativise[r] 194 ( * ) » .

En septembre 2021 , quarante-quatre maires de communes membres de la métropole de Lyon ont dénoncé, dans une tribune 195 ( * ) suivie d'une conférence de presse quelques jours plus tard, aussi bien la gouvernance « ultra-verticale, ultra-centralisée et ultra-segmentée » de la majorité métropolitaine que le fonctionnement structurel de la métropole de Lyon . Ces élus ont ainsi déploré le mépris qu'ils ressentaient de la part du président de la métropole, ainsi que la politique centralisée menée par celui-ci « contre les communes et sans les citoyens 196 ( * ) ». Ils concluaient également leur tribune par un appel à bâtir « dans la durée une Métropole des communes et des citoyens en révisant au plus vite la loi MAPTAM, pour inverser la vapeur et réinsuffler de la proximité . »

La force de cet appel a été relayée, dans les mêmes termes, auprès des membres de la mission lors des auditions qu'ils ont conduites. Néanmoins, au-delà des propos des maires auditionnés, plusieurs élus métropolitains se sont fait l'écho du vif souci exprimé par les maires . Dans un courrier conjoint envoyé aux membres de la mission, Philippe Cochet et Marc Grivel ont ainsi souhaité « la fin du statut de collectivité territoriale et la poursuite de la métropole de Lyon sous un statut d'établissement public de coopération intercommunale, comme les autres métropoles de droit commun. » Aussi, dans une contribution écrite, le groupe Synergies soulignait le risque d'iniquité territoriale que ferait courir le maintien d'un statut dérogatoire pour la seule métropole de Lyon, jugeant que « la métropole de Lyon ne peut pas rester la seule et unique métropole avec le statut de collectivité territoriale . »

Les membres de la mission constatent dès lors que le statut même de la métropole de Lyon n'emporte manifestement pas un entier consensus local à l'heure actuelle, et ce pour des raisons structurelles .

2. Les raisons de la colère

Au terme de leurs travaux, les membres de la mission estiment que trois raisons structurelles expliquent aujourd'hui la désaffection des communes pour le modèle issu de la loi « MAPTAM » .

a) Un conseil de la métropole qui ne représente plus l'ensemble des communes

La première de ces raisons est naturellement la récente suppression de la structure intercommunale que constituait la communauté urbaine de Lyon .

En effet, la transformation de la communauté urbaine en collectivité territoriale à statut particulier s'est, comme rappelé précédemment, accompagnée d'une modification de la composition et du mode d'élection des conseillers métropolitains. Les risques posés par une telle modification avaient déjà été perçus en 2020 par Cécile Cukierman, dans le rapport rendu dans le cadre de la mission d'information sénatoriale sur le rôle, la place et les compétences des départements dans les régions fusionnées 197 ( * ) .

Les risques posés par la rupture du lien entre communes et métropole : extraits du rapport de Cécile Cukierman

« Le choix d'ériger la métropole de Lyon en collectivité territoriale à statut particulier a eu des conséquences qui ne furent peut-être pas pleinement mesurées à l'époque , sans doute parce que la métropole devait rester administrée jusqu'en 2020 par le conseil de l'ancienne communauté urbaine.

« En effet, tout lien organique a été rompu entre la métropole et les communes situées sur son territoire, qui n'en sont pas membres et qui ne sont pas représentées en tant que telles au sein de son organe délibérant . L'élection du conseil de la métropole, au scrutin de liste à deux tours dans le cadre de circonscriptions correspondant au territoire d'une ou plusieurs communes ou arrondissements de la commune de Lyon , est entièrement distincte des élections municipales, même si elle a lieu le même jour. Bien plus, le nombre de membres du conseil de la métropole - cent cinquante - et la délimitation des circonscriptions ne laissent presque aucune chance qu'un habitant au moins de chacune des cinquante-neuf communes y siège. Enfin, comme le Conseil constitutionnel l'a jugé, les fonctions de président du conseil de la métropole, comme celles de président d'un conseil départemental, sont incompatibles avec les fonctions de maire. Il ne subsiste, pour associer les communes aux décisions prises par la métropole, que des instances consultatives , la conférence métropolitaine - qui réunit le président et l'ensemble des maires une à deux fois par an - ainsi que des conférences territoriales des maires.

« Cette situation est d'autant plus paradoxale que les compétences qu'exerce la métropole de Lyon - à l'exception de celles qu'elle a en commun avec les départements - sont avant tout des compétences communales , même si le législateur a progressivement imposé, sur le reste du territoire, qu'elles soient exercées de concert au niveau intercommunal. La création de la métropole de Lyon témoigne, sous cet aspect, d'une méconnaissance de la vraie nature de l'intercommunalité , qui n'est pas la superposition aux communes d'une personne morale indépendante de celles-ci, mais bien une institution de coopération entre communes. Comme le relevait le professeur Géraldine Chavrier lors de son audition, « Partout, sur le territoire, les intercommunalités n'existent que par la représentation des communes. (...) Fusionner une métropole et un département pour créer une collectivité territoriale à statut particulier conduit à rompre cette logique, à priver d'intercommunalité des communes, au profit d'une collectivité territoriale dont la vocation, et c'est paradoxal, est intercommunale . » Des compétences telles que la création de zones d'activité, les transports urbains, l'urbanisme, la politique du logement, la politique de la ville peuvent-elles être convenablement exercées sans que les maires et les conseils municipaux soient associés aux décisions ? On peut en douter, et il est souhaitable que l'exécutif métropolitain maintienne des relations étroites, quoique de nature consultative, avec les élus municipaux. »

Source : rapport d'information n° 706 (2019-2020) de Cécile Cukierman, pp. 140-141

Alors que les communes étaient représentées, dans les conditions de droit commun, par un ou plusieurs conseillers communautaires - disposant également de la qualité de conseiller municipal -au sein de la communauté urbaine de Lyon, le mode d'élection au suffrage universel direct des conseillers métropolitains, tel qu'il a été pour la première fois employé lors des élections de 2020, s'est traduit par la disjonction du lien avec les communes assuré par la coopération intercommunale .

Dans les faits, certaines communes ne sont donc pas représentées au sein du conseil de métropole . Le risque posé par le régime électoral spécifique de la métropole de Lyon avait d'ailleurs été perçu par la commission des lois du Sénat lors de ses travaux sur le projet de loi de ratification n° 2014-1539 du 19 décembre 2014 relative à l'élection des conseillers métropolitains de Lyon .

L'impossibilité de pallier le défaut de représentation des communes au sein du conseil de la métropole : extraits du rapport de Jean-Patrick Courtois

« Lors de l'audition des sénateurs du département du Rhône par votre rapporteur, notre collègue François Noël-Buffet a fait part de la difficulté propre à la circonscription du Val de Saône. Cette circonscription regroupe 25 communes pour élire 13 conseillers métropolitains, ce qui mécaniquement empêche qu'un élu « représentant » chaque commune - en particulier leur maire - puisse être élu .

« Pour autant, il apparaît délicat d'assurer une représentation minimale de chaque commune au sein de l'organe délibérant de la métropole . D'une part, les communes ne sont pas membres de la métropole, qui est une collectivité territoriale , comme elles le seraient d'un EPCI à fiscalité propre, ce qui a pu justifier dans ce dernier cas de leur garantir un siège, quelle que soit leur population1. D'autre part, l'instauration d'un nombre de sièges par circonscription qui ne serait pas inférieur dans aucune d'entre elles à celui des communes qu'elle regroupe aboutirait, comme le soulignait notre collègue Gérard Collomb lors de son audition , à plus du quadruplement du nombre actuel d'élus pour respecter, sur l'ensemble de la métropole, l'égalité devant le suffrage . »

Source : rapport n° 415 (2014-2015) de Jean-Patrick Courtois 198 ( * )

Les personnes auditionnées par les membres de la mission ont ainsi très largement confirmé la réalisation des risques déjà perçus par Cécile Cukierman. Dans leur courrier conjoint transmis aux membres de la mission, Philippe Cochet et Marc Grivel estiment ainsi que la constitution par la loi dite « MAPTAM » de la métropole de Lyon en collectivité à statut particulier, « avec comme corollaire un scrutin au suffrage universel direct en 2020 pour les conseillers métropolitains (...) a marqué une rupture quant à la participation et la représentation des maires et de leurs communes dans cette nouvelle collectivité . » De fait, les communes ne bénéficient pas de garanties de représentation au sein du conseil de métropole : sur les 59 communes de plein exercice, seules 22 voient leur maire siéger au conseil de la métropole 199 ( * ) ; il semble au surplus que 14 d'entre elles ne sont représentées par aucun membre de leur conseil municipal 200 ( * ) . Tranchant avec la situation antérieure, une telle situation explique une part déterminante de la difficulté persistante de la métropole à associer les maires à la conduite de ses politiques publiques .

b) La concurrence de deux légitimités

La seconde raison de la désaffection des maires pour la métropole, qui découle des enjeux électoraux, tient à la concurrence d'une double légitimité entre élus municipaux et métropolitains . Auditionné par les membres de la mission, le préfet de la région Auvergne-Rhône-Alpes et préfet du Rhône, Pascal Mailhos, a ainsi estimé que « la vraie difficulté réside dans les deux légitimités concurrentes : les maires estiment que leur légitimité est pleine et entière ; mais la loi a aussi reconnu à la métropole sa pleine légitimité. »

En effet, l'élection au suffrage universel direct des conseillers métropolitains revient à faire coexister sur le territoire métropolitain la légitimité des conseillers municipaux, au premier rang desquels les maires, et la légitimité des conseillers métropolitains . Cette difficulté a été soulevée par une large part des personnes auditionnées par les membres de la mission. Bruno Bernard, président du conseil de la métropole, a ainsi souligné, parmi les principales caractéristiques du statut particulier de la métropole de Lyon, « la double légitimité sur notre territoire, celle des maires, élus sur le même périmètre pour exercer les compétences municipales et celle des élus métropolitains, pour exercer les compétences métropolitaines. »

Au-delà de la question théorique que pose la concurrence de deux légitimités distinctes et pourtant identiques, sur un même territoire, pour exercer des compétences en partie similaires, celle-ci engendre des difficultés concrètes :

- en premier lieu, le conflit de légitimités atteint son paroxysme lorsqu'une commune est effectivement représentée au sein du conseil métropolitain, mais par un conseiller issu de l'opposition municipale . Le jeu des modes d'élection, sur des circonscriptions différentes, rend effectivement possible la survenue d'un tel cas, qui n'apparaît pas de nature à fluidifier les relations entre la commune concernée et la métropole ;

- en second lieu, la légitimité métropolitaine est moins ancrée dans la culture politique des électeurs métropolitains que celle des élus municipaux . Dès lors, le rôle et l'identité des conseillers métropolitains étant moins identifiés des électeurs métropolitains que ceux des maires, ces derniers sont parfois placés en situation de devoir justifier de politiques métropolitaines qu'ils maîtrisent d'autant moins qu'ils ne sont pas toujours représentés au sein du conseil de métropole 201 ( * ) .

c) Une métropole disposant de la clause de compétence générale

Enfin, corollaire de cette légitimité concurrente, communes et métropole se trouvent en situation de concurrence sur les moyens à leur disposition . En particulier, la détention d'une clause de compétence générale par la métropole est perçue par de nombreux acteurs auditionnés par les membres de la mission comme l'un des principaux facteurs de désaffection entre les communes et la métropole . Dès lors, selon les membres de la mission, la détention concurrente d'une telle compétence par les communes et la métropole peut constituer un triple enjeu.

D'abord et avant tout, la clause de compétence générale revêt un caractère symbolique . Elle a été décrite devant les membres de la mission comme un élément de définition de la spécificité communale, tiré de sa légitimité particulière. Identifiée comme un « pilier » 202 ( * ) de l'organisation communale, la clause de compétence générale constitue à la fois un outil essentiel dans la conduite par les communes de leur action au quotidien et un symbole fort de leur légitimité 203 ( * ) .

La clause de compétence générale pourrait également représenter un enjeu technique et juridique, en ce qu'elle contraindrait l'exercice par les communes de leurs compétences . Elle peut ainsi être perçue comme « une véritable contrainte à l'action des communes 204 ( * ) », en ce qu'elle pourrait conduire à une action concurrente de ces deux collectivités qui partagent en outre de nombreuses compétences relevant du bloc local .

Enfin, le dernier enjeu posé par la détention concurrente de la clause de compétence générale réside dans l'insuffisante lisibilité de l'action publique pour les citoyens. À cet égard, les membres de la mission estiment que l'exercice par la métropole de Lyon de sa clause de compétence générale n'est effectivement pas de nature à rendre plus lisible l'organisation territoriale lyonnaise :

- d'une part, au sein du territoire de la métropole de Lyon, elle n'est pas de nature à clarifier le rôle de chaque niveau de collectivité territoriale aux yeux des citoyens ;

- d'autre part, elle crée une inégalité vis-à-vis des autres collectivités départementales ou des structures intercommunales , qui ne disposent, pour aucune d'entre elles, d'une telle clause de compétence générale, sans que la nécessité pour la métropole de Lyon - qui dispose déjà de compétences étendues - d'en bénéficier apparaisse clairement.


* 194 « Dix maires en colère sur cinquante-neuf, je relativise. S'ils sont respectueux de la démocratie, il faut qu'ils acceptent le résultat des urnes » (Bruno Bernard dans les colonnes du Monde - https://www.lemonde.fr/politique/article/2021/08/08/a-la-metropole-de-lyon-la-colere-des-maires-des-petites-communes_6090902_823448.html ).

* 195 « Métropole de Lyon : et si on arrêtait la casse ? », tribune publiée dans Le Journal du dimanche du 11 septembre 2021 ( https://www.lejdd.fr/Politique/tribune-metropole-de-lyon-et-si-on-arretait-la-casse-4066104 ).

* 196 Tribune précitée.

* 197 « Rallier les citoyens, relier les territoires : le rôle incontournable des départements », rapport n° 706, (2019-2020) fait par Cécile Cukierman au nom de la mission d'information « Quel rôle, quelle place, quelles compétences des départements dans les régions fusionnées aujourd'hui et demain ? », pp. 140-141, consultable à l'adresse suivante : https://www.senat.fr/rap/r19-706/r19-706_mono.html .

* 198 Rapport n° 415 (2014-2015) de Jean-Patrick Courtois, fait au nom de la commission des lois, déposé le 15 avril 2015, p. 13, consultable à l'adresse suivante : https://www.senat.fr/rap/l14-272/l14-272.html .

* 199 Comme le précise le courrier de MM. Cochet et Grivel.

* 200 Selon une estimation réalisée par la mission.

* 201 Auditionné par les membres de la mission, Cédric Van Styvendael, maire de Villeurbanne et conseiller métropolitain, a ainsi estimé que « les habitants des villes ne sont pas en mesure de reconnaître une légitimité métropolitaine », jugeant que dès lors le maire est « trop souvent engueulé ( sic ) pour des choses qu'il ne maîtrise pas. »

* 202 Marc Grivel a ainsi inclus la clause de compétence générale parmi les quatre piliers sur lesquels se fondent les communes selon lui.

* 203 En ce qu'elles demeurent la seule catégorie de collectivités territoriales à en bénéficier.

* 204 Courrier de MM. Cochet et Grivel précité.

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