IV. LA RÉFORME DU PORTAGE ET DU POSTAGE : UNE ÉVOLUTION NÉCESSAIRE MAIS PORTEUSE DE RISQUES

A. LA PQR DISPOSE DE SES PROPRES RÉSEAUX POUR ASSURER LA DISTRIBUTION DE SES TITRES

La PQR n'a pas été concernée par la longue et grave crise du transport de ses titres via les messageries. La presse nationale, comme le Rapporteur a eu de multiples occasions de le souligner, a dû de son côté solliciter et obtenir des aides massives de l'État pour préserver l'activité de l'ancienne société - Presstalis -, victime d'une gestion hasardeuse, dans des proportions qui approcheraient un demi-milliard d'euros sur 10 ans .

À l'opposé, la PQR a su gérer avec efficacité et de manière plus économe des deniers publics ses propres réseaux de distribution, en développant en particulier le portage . Ce mode spécifique de diffusion s'est largement imposé pour répondre à la contrainte horaire : les clients doivent pouvoir disposer de leur titre à leur domicile et très tôt le matin, de préférence avant 8 h, ce que La Poste n'a jamais été en mesure de garantir. Ainsi, 15 % des abonnés de la PQR via La Poste reçoivent le titre après le déjeuner, ce qui est beaucoup trop tardif.

Entendus par la mission d'information, les dirigeants de titres ont tous insisté sur l'importance de cette relation instaurée au quotidien et sur le long terme avec le lectorat.

Pour autant, les soutiens publics mis en place, qui combinent aide au portage par des réseaux spécialisés et aide au postage, devaient évoluer, ce qui est le cas depuis 2021. Si les grands principes de la réforme, longuement négociés entre les organisations professionnelles et l'État, réunissent un large consensus, elle n'en reste pas moins porteuse de risques dans sa mise en oeuvre.

B. LA RÉFORME ADOPTÉE EN 2021 : ADAPTER LES AIDES PUBLIQUES À L'ÉVOLUTION DES MODES DE DIFFUSION

L'aide de l'État à l'acheminement des abonnements prend en compte le postage et le portage .

1. Le postage : une aide sous forme de compensation insuffisante et sans garantie sur la qualité du service

Le transport et la distribution des journaux et des publications périodiques constituent, en application de l'article 2 de la loi du 2 juillet 1990, une mission de service public et d'intérêt général de La Poste . Les éditeurs bénéficient, dans le cadre de cette prestation, de tarifs postaux préférentiels ayant pour objectif de favoriser le pluralisme de la presse.

Il existe ainsi trois familles de tarifs : les tarifs « Commission paritaire des publications et agences de presse (CPPAP) », les tarifs « Presse IPG » et les tarifs « quotidiens à faibles ressources publicitaires (QFRP) ».

Le groupe La Poste reçoit chaque année une compensation pour cette mission de service public. Son montant a évolué en application d'une convention passée entre l'État et La Poste entre 2016 et 2020. En 2021, la compensation s'est élevée à 87,8 millions d'euros .

Les volumes distribués par La Poste ont connu une baisse de 38 % entre 2018 et 2021, passant de 780 millions d'exemplaires à 545 millions .

À l'horizon 2027, La Poste prévoit une baisse de l'activité de 260 millions d'exemplaires, répartis entre 80 millions d'exemplaires pour le portage et 180 millions d'exemplaires en moins.

L'évolution des tarifs postaux depuis plus de 10 ans n'a pas permis de résoudre les difficultés qui gangrènent aujourd'hui le régime de tarification spécifique.

D'une part, la compensation versée à La Poste ne couvre pas son coût . L'opérateur se retrouve donc déficitaire sur cette activité, pour un montant estimé à 186 millions d'euros en 2021 , avec une qualité de service jugée comme déclinante.

D'autre part, le régime ne permet pas une évolution favorisant le recours au portage de presse , jugé comme étant, dans beaucoup de zones du territoire, la solution économiquement la plus viable.

2. Une aide au portage insuffisamment incitative

Le portage de presse constitue la seconde grande modalité de distribution des abonnements.

Le portage est fortement majoritaire dans l'acheminement des abonnements, avec une part de 78,16 % en 2019 . On observe cependant de fortes disparités, puisque si près de 90 % de la presse quotidienne régionale est portée, seuls 23 % de la presse magazine et moins de 45 % de la presse quotidienne nationale usent de ce canal pour leur distribution.

Le portage bénéficie d'une enveloppe d'aide d'un montant de 26,5 millions d'euros en 2022, soit trois fois moins que la compensation versée à La Poste, pour un nombre d'exemplaires quatre fois supérieur .

Le régime actuel s'avère insuffisamment incitatif pour développer un réseau de portage mutualisé, en particulier entre la presse nationale et régionale, et trop coûteux pour La Poste.

3. Une réforme indispensable

La réforme s'articule autour de deux grands principes.

Premier principe , l'instauration d'une seule grille tarifaire postale . Les publications se verront dorénavant appliqués le tarif de service public de droit commun. Il évoluerait comme l'inflation pendant les six premières années.

Second principe , la suppression de l'aide au portage sous sa forme actuelle et la création d'une aide à l'exemplaire réservée aux titres d'information politique et générale (IPG) , autrefois bénéficiaires d'un tarif postal privilégié. Cette aide sera scindée en deux parties :

• une aide à l'exemplaire « posté », financée par redéploiement à partir de la compensation aujourd'hui versée à La Poste, qui neutralisera le surcoût engendré par le passage au tarif unique sur les années 2021-2023, cette aide étant ensuite dégressive ;

• et une aide à l'exemplaire « porté ».

Le montant de l'enveloppe serait progressivement amené à un niveau permettant une réelle incitation au portage, ce qui passe par une hausse de l'enveloppe dédiée au portage .

Le montant de l'aide à l'exemplaire posté serait calculé de manière à être neutre financièrement pour les éditeurs les deux premières années, puis dégressif, sauf dans les zones « peu denses » où le développement du portage n'est pas envisageable. Ces zones représentent en 2020 45 % des exemplaires de la presse QFRP et 46 % de la presse IPG.

4. Les difficultés à surmonter dès 2022

La réforme proposée réalise pour l'instant une rare unanimité , tant l'inadaptation du système actuel est régulièrement dénoncée. Elle offre de surcroît l'avantage d'offrir une réelle visibilité à la profession sur plusieurs années.

Son succès repose cependant sur une combinaison de facteurs , pour certains déjà identifiés, pour d'autres apparus plus récemment dans un contexte inflationniste.

Tout d'abord , la réforme repose largement sur l'ouverture , là où elle est nécessaire, des réseaux de portage à la diffusion des titres locaux qui n'appartiendraient pas aux grands groupes dominants sur leur territoire . Certains éditeurs peuvent craindre des conditions de service dégradées par des titres historiquement concurrents, ainsi que l'accès aux coordonnées de leurs clients. À ce titre, le contrôle de l'Arcep sur les réseaux de portage, comme prévu dans le projet initial, devra rapidement être mis en place.

Ensuite , si l'objectif premier de la réforme n'est pas d'engranger des gains budgétaires, rien n'interdit cependant d'en espérer, d'autant plus que la baisse jugée inéluctable des volumes devrait y contribuer. Pour autant, la réforme n'apporte pas une solution définitive à la question posée par la distribution de la presse par le groupe La Poste. La presse représente en effet 4 % du chiffre d'affaires, mais 9 % du volume et 25 % du poids total des tournées. La réforme ne devrait faire que limiter un déficit sur l'activité presse aujourd'hui estimé à 186 millions d'euros par an et qui devrait continuer à s'accroître en dépit de la réforme , qui ne fera que le limiter malgré la baisse des volumes. Dans ce cadre, il sera nécessaire de poser à rapidement, les termes de la légitimité et de la soutenabilité d'un soutien public en partie dissimulé car couvert par le déficit de l'entreprise.

Enfin , les conditions de travail précaires des porteurs sont directement menacées par le niveau de l'inflation, en particulier le prix des carburants. Les véhicules sont souvent anciens, et consomment donc davantage que les versions plus récentes. À terme, les titres pourraient avoir des difficultés à recruter de nouveaux porteurs, dans un contexte général de tension pour la main d'oeuvre, et pour une profession qui impose des horaires particulièrement contraignants.

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Indispensable pour accompagner un marché en déclin, porteuse d'espoir de rationalisation budgétaire, rassemblant très largement la profession, la réforme en cours doit encore déployer ses effets concrets et s'imposer dans une situation économiquement plus complexe qu'anticipée .

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