Rapport d'information n° 805 (2021-2022) de M. Michel LAUGIER , fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, déposé le 20 juillet 2022

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N° 805

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2021-2022

Enregistré à la Présidence du Sénat le 20 juillet 2022

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication (1) sur la situation de la presse quotidienne régionale ,

Par M. Michel LAUGIER,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Laurent Lafon , président ; M. Max Brisson, Mme Laure Darcos, MM. Stéphane Piednoir, Michel Savin, Mme Sylvie Robert, MM. David Assouline, Julien Bargeton, Pierre Ouzoulias, Bernard Fialaire, Jean-Pierre Decool, Mme Monique de Marco , vice-présidents ; Mmes Céline Boulay-Espéronnier, Else Joseph, Marie-Pierre Monier, Sonia de La Provôté , secrétaires ; MM. Maurice Antiste, Jérémy Bacchi, Mmes Annick Billon, Alexandra Borchio Fontimp, Toine Bourrat, Céline Brulin, Samantha Cazebonne, M. Yan Chantrel, Mme Nathalie Delattre, M. Thomas Dossus, Mmes Sabine Drexler, Laurence Garnier, Béatrice Gosselin, MM. Jacques Grosperrin, Jean Hingray, Jean-Raymond Hugonet, Claude Kern, Mikaele Kulimoetoke, Michel Laugier, Pierre-Antoine Levi, Jean-Jacques Lozach, Jacques-Bernard Magner, Jean Louis Masson, Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Philippe Nachbar, Olivier Paccaud, Damien Regnard, Bruno Retailleau, Mme Elsa Schalck, M. Lucien Stanzione, Mmes Sabine Van Heghe, Anne Ventalon, M. Cédric Vial .

LES RECOMMANDATIONS
DE LA MISSION D'INFORMATION

Recommandation n° 1 (Gouvernement) : Modifier l'article 27 du décret n° 2012-484 du 13 avril 2012 pour prévoir un taux de subvention du Fonds Stratégique pour le développement de la presse de 70 %, contre 60 % actuellement, pour les projets de transition numérique présentés par les éditeurs de presse.

Recommandation n° 2 (Gouvernement) : Compléter l'article R. 752-6 du code du commerce pour prévoir, parmi les critères examinés par la commission départementale d'aménagement commercial pour autoriser l'ouverture de commerces, la présence d'un stand de presse dans les zones dites « blanches ».

Recommandation n° 3 (Gouvernement) : Compléter l'annexe II de l'arrêté du 6 novembre 2021 pour inclure dans le Pass Culture les achats et abonnements de presse en version papier.

Recommandation n° 4 (Gouvernement et législateur) : Compenser partiellement, pour une durée déterminée, la hausse des coûts de production, notamment du papier. Cette aide serait réservée aux titres les plus en difficulté, en tenant compte de la situation financière des groupes auxquels ils sont rattachés.

Recommandation n° 5 (Gouvernement) : Investir dans la reconstruction d'une filière papetière autonome via France Relance.

Recommandation n° 6 (Gouvernement) : Interroger la Commission européenne sur le sens précis de la « contribution financière » au sens de la directive 2018/851 du 30 mai 2018, pour infirmer ou approuver la possibilité d'une exemption de l'éco-contribution en nature. Dans ce dernier cas, faire débattre par le Parlement d'une modification de l'article L. 541-10-19 du code de l'environnement.

Recommandation n° 7 (Gouvernement et Parlement) : Pour la seule année 2023, compenser pour les éditeurs l'éco-contribution versée à CITEO.

Recommandation n° 8 (éditeurs de presse) : Dans l'hypothèse où le principe d'une contribution financière serait maintenu, inviter les éditeurs à user des facultés de modulation de l'éco-contribution prévue à l'article L. 541-10-3 du code de l'environnement pour alléger les montants versés.

AVANT-PROPOS

La presse quotidienne régionale et départementale (PQR) est lue chaque mois par 43 millions de lecteurs sur tous les supports, soit les deux-tiers de la population.

Elle englobe 51 titres , déclinés en 91 versions locales et vendus à 6,6 millions d'exemplaires par parution en moyenne. Le nombre de publications est stable par rapport à 2010, malgré quelques opérations de regroupements. Elle emploie 5 700 journalistes en 2019, soit le tiers des effectifs de la presse écrite.

Maillon essentiel de la vie locale et de la démocratie, la PQR a subi ces dernières années un triple choc :

• l'assèchement de ses ressources et de son lectorat par les plateformes numériques ;

• la pandémie qui a accéléré la tendance lourde de l'érosion des ventes ;

• enfin, dernièrement, la très forte hausse de ses coûts de production , notamment avec l'explosion du prix du papier.

La PQR, longtemps protégée par la fidélité de son lectorat, a plus tardé que d'autres types de presse à réaliser les investissements nécessaires à son développement, et se trouve donc plus spécifiquement fragilisée aujourd'hui.

La mission d'information constituée par la commission de la culture du Sénat a réalisé un large travail d'écoute auprès de toutes les parties prenantes pour mieux appréhender la réalité d'une presse très diverse et enracinée dans les spécificités de ses territoires. Elle en conclut à la nécessité pour l'État d'accompagner le secteur dans sa mutation, sans pour autant se substituer aux éditeurs dans la redéfinition de leur modèle économique .

I. LA PRESSE QUOTIDIENNE RÉGIONALE : UN MAILLON ESSENTIEL DE LA DÉMOCRATIE CONSTITUÉ EN MONOPOLES TERRITORIAUX

A. LA PRESSE QUOTIDIENNE RÉGIONALE : UN ÉLÉMENT MAJEUR DE LA VIE LOCALE ET DÉMOCRATIQUE

1. La permanence ancienne d'un lien entre titres et territoires

Le développement de la presse quotidienne régionale et départementale (PQRD) dans notre pays a été rendu possible par la Révolution Française et l'article 11 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen qui dispose que « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement [...] ». Avec les débuts de la III e République, la presse locale se transforme en presse totale qui, pour reprendre la formule de la chercheuse Pauline Amiel, va « du village au monde ».

La presse quotidienne régionale constitue aujourd'hui un maillon essentiel de la vie locale et, au-delà, de la démocratie . Une étude 1 ( * ) publiée en avril 2019 par Jay T. Jennings et Meghan E. Rubado souligne ainsi les conséquences néfastes pour l'offre politique locale et la participation aux élections nationales de la disparition des journaux locaux dans certains comtés de Californie.

Pour reprendre les termes de l'ouvrage consacré par Franck Bousquet et Pauline Amiel à la presse quotidienne régionale 2 ( * ) « La PQR est donc bien une actrice qui, si elle ne crée par le lien local, l'entretient et lui permet d'être alimenté chaque jour » .

2. Une presse constituée de monopoles locaux

La PQR en France maille l'ensemble du territoire : il n'existe aucun endroit dans le pays qui ne dispose de « son » titre enraciné dans l'histoire locale. Il n'existe pas dans le pays de « désert médiatique », ce qui est un cas unique en Europe .

La presse quotidienne régionale s'est constituée au fil du temps sur la base de structures actionnariales et parfois familiales anciennes qui ont peu évolué ces dernières années.

Différents groupes dominent ainsi des territoires, souvent avec plusieurs titres, en évitant de se concurrencer frontalement par une forme d'accord tacite jamais remis en cause. Les politiques éditoriales sont cependant différentes. Ainsi, dans l'Est du pays, un même contenu peut être présent dans des titres différents, alors que le système des éditions en partie locale est privilégié à l'Ouest.

Les groupes de PQR se présentent donc comme des monopoles territorialisés dans le traitement et la diffusion de l'information locale. Cette structuration s'est étalée des années 1950 aux années 1980, avec en particulier la figure de Robert Hersant, qui a constitué un groupe de presse locale et nationale dominant le paysage français.

Huit groupes structurent aujourd'hui le territoire métropolitain :

Ø le groupe Rossel qui cible les Hauts-de-France, la région Grand Est et la région Normandie ;

Ø le groupe EBRA (propriété du Crédit Mutuel), réparti au sein des régions Grand Est, Bourgogne-Franche Comté et Auvergne-Rhône-Alpes ;

Ø le groupe SIPA-Ouest France qui couvre les régions Normandie, Bretagne et Pays-de-Loire ;

Ø le groupe SAPESO - Sud-Ouest , en position dominante sur la région Nouvelle-Aquitaine ;

Ø le groupe Centre France - La Montagne qui couvre les régions Auvergne-Rhône Alpes, Bourgogne Franche-Comté, Centre-Val de Loire et Nouvelle-Aquitaine ;

Ø le groupe La Dépêche du Midi , qui cible la région Occitanie ;

Ø le groupe Nice-Matin , propriété de la holding NJJ de Xavier Niel, axé sur les départements du Var et des Alpes-Maritimes au sein de la région Provence - Alpes - Côte d'Azur ;

Ø le groupe La Provence , en cours de cession, également centré sur la région Provence - Alpes - Côte d'Azur, mais aussi la Corse.

Source : commission d'enquête sur la concentration des médias

Les groupes EBRA et SIPA-Ouest France représentaient, à eux deux, près du tiers de la diffusion de la presse quotidienne d'Information Politique et Générale (IPG) en 2019 . Quelques titres indépendants, comme le Télégramme de Brest , sont encore en capacité de mener une existence autonome, les autres ayant été rachetés.

Au cours de ses travaux, la commission d'enquête sur la concentration des médias a entendu les présidents ou propriétaires de la moitié de ces groupes de presse 3 ( * ) , qui ont pu chacun publiquement s'exprimer sur les raisons de leur engagement et sur leur vision de l'avenir 4 ( * ) .

B. DES MODÈLES ÉCONOMIQUES DIFFÉRENTS ET ADAPTÉS À CHAQUE TERRITOIRE

1. Des sources de revenus diversifiées

Le modèle économique de la PQR ne peut être assimilé au média audiovisuel. À titre de comparaison, le deuxième groupe de presse du pays, Ouest-France, emploie sensiblement le même nombre de salariés que le groupe TF1, pour un chiffre d'affaires quatre fois inférieur et des bénéfices 17 fois inférieurs . Alors que pendant longtemps, la presse dans son ensemble a offert des taux de rentabilité très élevés, tel n'est plus aujourd'hui le cas, ce qui explique en bonne partie les rachats dans la PQN de ces dernières années et les regroupements dans la PQR.

En moyenne, le coût d'un titre se divise en trois parties presque égales : la fabrication, la production de contenus et les diverses fonctions de back office, dont la partie commerciale.

Le modèle de revenus de l'ensemble de la presse s'est progressivement construit autour de trois piliers :

- les ventes de journaux ;

- la publicité ;

- et la diversification, dont en particulier l'événementiel.

Ces sources de revenus diversifiées ont permis de rendre les titres accessibles au plus grand nombre, en abaissant le prix du journal pour l'ouvrir à un lectorat plus populaire. Telle était l'intuition d'Émile de Girardin qui introduit en 1836 la publicité dans son quotidien La Presse . Selon les informations transmises, en moyenne, pour un titre vendu entre 1,1 et 1,3 euro, le coût de revient serait compris entre 1,5 à 1,8 euro, en tout état de cause toujours supérieur au prix de vente. Ouest-France propose ainsi le schéma suivant :

En moyenne, la vente de journaux sous tous les formats représente 68 % des revenus des groupes de presse de PQR, la publicité 24 % et les diversifications 5 %, notamment l'événementiel.

Répartition du chiffre d'affaires de la PQR en 2019

Source : Alliance de la Presse d'Information Générale (APIG)

2. Des spécificités qui traduisent l'adaptation de la PQR à son environnement

Il n'existe cependant pas un mais des modèles de presse quotidienne régionale. Le Rapporteur a ainsi entendu plusieurs dirigeants de titres, et a mieux pu mesurer la diversité des modèles.

a) Des titres historiques animés de logiques différentes : le « mix » des ressources

Le groupe SIPA Ouest-France rassemble 85 titres , dont le premier tirage de la presse, Ouest-France, avec 630 000 numéros chaque jour . Le groupe représente 8,7 % des tirages nationaux en 2019 et 14,5 % de la presse quotidienne. Le groupe SIPA possède une structure originale, puisqu'il est détenu en totalité par une association loi 1901, l'Association pour le soutien des principes de la démocratie humaniste , constituée en 1990 autour d'Ouest-France . Le premier quotidien du pays base son modèle sur la vente du journal et ne cherche pas à développer outre mesure l'activité événementielle.

« Est Bourgogne Rhône Alpes », dit « EBRA », premier groupe de presse de l'Hexagone, présente un modèle plus tourné vers les métiers traditionnels de l'édition. Le Crédit Mutuel en est l'actionnaire unique . L'entité possède 18 titres et rayonne sur tout l'Est de la France, avec par exemple L'Alsace, Le Bien public, Le Dauphiné libéré, Dernières Nouvelles d'Alsace, L'Est républicain, Le Journal de Saône-et-Loire, Le Progrès, Le Républicain lorrain et Vosges Matin. Il représente en 2019 9,4 % des tirages nationaux de presse et 17,7 % de la presse quotidienne. Frappé comme l'ensemble de la presse par la crise des ventes, le groupe a concentré ses efforts sur la maîtrise des coûts, en particulier par la mutualisation des fonctions support et par la création d'un Bureau d'Information Générale à Paris chargé de traiter l'actualité nationale et internationale pour l'ensemble des titres.

Extrait de l'audition de Nicolas Théry, Président du Crédit Mutuel Alliance Fédérale, et de Philippe Carli, Président d'EBRA, devant la commission d'enquête sur la concentration des médias le 10 janvier 2022

M. Philippe Carli . - La presse quotidienne vit depuis dix ans une transformation sans précédent, liée à la révolution internet, mais surtout aux changements d'usage de l'information. On traite désormais l'information de six heures du matin à vingt-trois heures sous la forme la plus adaptée au moment où le lecteur la consomme.

Nous avons rassemblé nos expertises et nos savoir-faire et mis en oeuvre des synergies pour garder des rédactions fortes. Dans ce but, nous avons rationalisé et mis en commun nos imprimeries, nos studios graphiques et nos centres d'appels clients ainsi que les informations nationales générales et sportives. En revanche, chacun des neuf titres régionaux dispose de sa propre rédaction, les rédactions étant regroupées par territoire - territoires lorrain, alsacien, dauphinois et rhônalpin. Nous avons en outre systématiquement remplacé les journalistes à l'issue des départs.

[...]

M. Philippe Carli . - La principale raison d'être du bureau d'informations générales, basé à Paris, est de traiter l'information nationale, dont beaucoup d'acteurs se trouvent en région parisienne et qui fait beaucoup appel aux dépêches de l'Agence France-Presse (AFP).

Les titres régionaux doivent effectivement reprendre l'information nationale générale et sportive. Ces reprises sont coordonnées par les rédacteurs en chef, qui se réunissent régulièrement pour décider de la façon dont sont traitées les informations. Tout ce qui relève de l'information régionale est en revanche distinct de ce bureau. Le bureau d'informations générales produit des pages aux formats adaptés à chaque titre, et peut éventuellement proposer un traitement différent à la demande d'un rédacteur en chef local.

M. Nicolas Théry . - Les éditoriaux sont propres à chaque titre. Chaque titre a sa propre ligne éditoriale.

À l'opposé, Le Télégramme de Brest a développé une stratégie souvent mentionnée qui fait une place moins importante à la publicité, mais privilégie la diversification , notamment l'événementiel. Le titre breton possède ainsi des participations dans la Route du Rhum , mais également des festivals comme Les Francofolies ou le Printemps de Bourges . Environ la moitié de son chiffre d'affaires provient de ces activités éloignées de son coeur de métier éditorial, mais qui lui offrent une assise économique relativement solide. Une même approche de diversification est avancée par le quotidien La Marseillaise , qui organise le très populaire Mondial de la Pétanque dans la cité phocéenne et retire 12,5 % de son chiffre d'affaires de l'événementiel. Ce titre historique de la presse française jouit par ailleurs d'un très fort attachement de son lectorat, comme en témoigne le succès des appels de fonds qui ont sauvé le journal.

Enfin, un titre comme La Provence , dont le Rapporteur a pu visiter les locaux en mai 2022, souffre depuis plusieurs années d'un manque d'investissements qui ne lui a pas encore permis de développer son modèle propre, en dépit d'un fort potentiel dans toute la région. Les multiples rebondissements juridiques liés à la succession de Bernard Tapie, qui oppose le groupe NJJ de Xavier Niel à l'armateur CMA-CGM de Rodolphe Saadé, n'offrent pas à l'heure actuelle de claires perspectives stratégiques .

b) Le développement d'une presse locale purement en ligne

Les dernières années ont vu se développer des titres de presse locale intégralement en ligne . Ces nouveaux titres reposent sur des modèles économiques eux-mêmes diversifiés, soit tout ou partiellement gratuits, soit intégralement payants.

Le plus connu est certainement le site marseillais Marsactu . Lors d'un déplacement à Marseille, le Rapporteur a pu échanger avec le Président de ce site d'information, consacré à l'actualité de la cité phocéenne et des Bouches-du-Rhône et qui fait maintenant figure de référence pour la qualité de son travail d'investigation, régulièrement repris par la presse nationale. Il avait en particulier anticipé en 2016 la question du logement insalubre à Marseille, deux ans avant l'effondrement de la rue d'Aubagne. Plus récemment en mai 2022, le site a publié une enquête reprise dans toute la presse nationale sur la Cité Kallisté.

Marsactu a bénéficié du soutien de quelques particuliers et de Mediapart , qui constitue une référence pour les « pure players » pour sa qualité éditoriale et son succès économique basé intégralement sur l'abonnement et des enquêtes approfondies.

Marsactu illustre également les difficultés et les tâtonnements de la presse locale en ligne. Fondé en 2010 sur le modèle alors encore en vogue d'une actualité gratuite financée par la publicité, le site a fait faillite en 2015 avant d'être racheté par ses propres journalistes à l'aide d'un financement participatif. Marsactu passe la barre des 4 000 abonnés en février 2020, et 5 000 fin 2020, avec des revenus qui viennent à 85 % des abonnements . L'équilibre financier est presque atteint, même si une nouvelle campagne de soutien a été lancée au mois de mai 2022.

Ces sites paraissent cependant pour l'heure contraints par plusieurs difficultés.

Tout d'abord, leur taille ne leur permet pas encore de concurrencer véritablement la presse quotidienne historique . Ainsi, Marsactu dispose d'une dizaine de journalistes quand La Provence, sur le même territoire, emploie plus de 450 personnes. Cela oblige les sites en ligne à développer des choix éditoriaux différents destinés à se singulariser, qui peuvent passer par l'investigation locale, les services à la population en ligne, ou bien la publicité ciblée. Ils sont de facto très dépendants de leur région d'implantation, qui peut s'avérer moins riche en sujets que la ville de Marseille, qui jouit d'une aura nationale.

Ensuite, la presse locale en ligne serait directement concurrencée à la fois par une presse quotidienne historiquement implantée sur des territoires qu'elle couvre pour la plupart depuis des dizaines d'années, mais également par l'information abondante et gratuite des collectivités territoriales , comme cela a pu être soutenu lors des auditions.

Enfin, leur modèle économique est encore incertain . Les sites peuvent être totalement gratuits, ce qui implique de trouver des ressources publicitaires locales, ou bien reposer sur un abonnement payant. Dans ce cas, l'information apportée doit, mois après mois , justifier une souscription qui, pour Marsactu, s'élève à 6,99 € par mois.

Les sites locaux purement en ligne représentent donc une des figures possibles du futur de la presse , avec quelques exemples de réussite encore à conforter. Ils sont cependant pour l'instant relativement fragiles financièrement , et méritent l'attention des pouvoirs publics pour assister leur développement. Jusqu'en 2021, les aides au pluralisme étaient pourtant exclusivement réservées à la presse imprimée. Après avoir dénoncé cet état de fait dans ses avis budgétaires, le Rapporteur avait salué dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2021 5 ( * ) la création d'une aide spécifique pour les services de presse exclusivement en ligne d'information politique et générale, dotée de quatre millions d'euros et reconduite dans la loi de finances pour 2022. Cette aide vient en aide à une centaine de bénéficiaires par an, pour un montant moyen de 40 000 euros.

À terme cependant, il sera nécessaire de s'interroger de manière plus large sur l'aide à la diffusion , qui ne concerne actuellement que les titres de presse « papier » pour des montants extrêmement élevés, alors que les sites en ligne n'y ont pas accès . Or si ces sites n'entraînent par définition pas de coût de fabrication, la mise en service d'un site Internet attractif, correctement référencé par les moteurs de recherche et régulièrement actualisé pour tenir compte de l'évolution des technologies, représente des dépenses conséquentes , qui doivent être assumées avant le lancement et pourraient donc justifier l'élargissement des aides à la diffusion.

*

* *

L'extrême diversité des modèles de titres et formats de presse quotidienne locale traduit donc leurs spécificités propres, qui s'inscrivent dans celles des territoires qu'ils couvrent.

II. UNE PRESSE QUOTIDIENNE MENACÉE DANS SON EXISTENCE MÊME ?

Si la PQR exerce encore un monopole local sur l'information, elle est aujourd'hui menacée dans son existence même par une succession de crises structurelles et conjoncturelles . En particulier, elle subit la concurrence sur le « marché de l'attention » des autres médias, presse nationale, nouvelles télévisions locales, Internet, et peine à s'inscrire dans une perspective de moyen terme. Elle demeure cependant primordiale à l'existence d'une vie locale riche au fondement de notre démocratie.

A. UNE APPARENTE RÉSISTANCE SUR LA PÉRIODE PAR RAPPORT À LA PRESSE QUOTIDIENNE NATIONALE

Par rapport à la presse quotidienne nationale (PQN), la PQR semble avoir nettement mieux résisté à la crise qui frappe le secteur de la presse depuis le début des années 2010.

Ainsi, en termes de ventes « physiques », elle a connu une diminution de 37 % entre 2010 et 2021, contre un véritable effondrement de 75 % pour la presse quotidienne nationale. Alors qu'un exemplaire de PQN était vendu pour trois exemplaires de PQR en 2010, le rapport est maintenant de un à sept .

Comparaison de la diffusion papier de la presse papier nationale et régionale entre 2010 et 2021

(en centaines de milliers d'exemplaires)

Sources : commission de la culture d'après l'ACPM sans neutralisation des années 2020 et 2021

La PQR représente sur toute la période un peu moins de 40 % de l'ensemble des ventes, ce qui la place au premier rang avec la presse magazine.

Parmi les 10 premières diffusions de la presse quotidienne, la PQR occupe aujourd'hui sept places . La plus forte diffusion de la presse en France est le quotidien Ouest-France, avec près de 630 000 exemplaires diffusés chaque jour, très loin devant Le Monde.

B. UN CONSTAT À NUANCER

Cette résistance souvent évoquée doit cependant être nuancée. Deux critères peuvent être mis en avant pour souligner l'absence « d'exception locale » qui aurait prémuni la PQR d'une baisse des ventes.

Ø D'une part, la diffusion globale

La presse quotidienne régionale et départementale a connu entre 2010 et 2021 la même érosion que l'ensemble de la presse, soit environ 30 % . Les ventes sont ainsi passées de 1,5 milliard d'exemplaires à 1,1 milliard sur la période.

Diffusion totale de la presse et de la PQR entre 2010 et 2021

Sources : commission de la culture d'après l'ACPM sans neutralisation des années 2020 et 2021

Ø D'autre part, le chiffre d'affaires

Selon les données rassemblées dans les tableaux statistiques de la presse publiés chaque année par le Ministère de la culture 6 ( * ) , le chiffre d'affaires global de la presse est passé de 9,4 milliards d'euros en 2009 à 6,3 milliards en 2019, soit une baisse d'un tiers en 10 ans . Les données ne sont pas encore disponibles pour 2020 et 2021, mais tous les signaux montrent une aggravation de la situation.

Dans ce contexte, la PQR a affiché une meilleure résistance, passant de 2,7 à 2 milliards d'euros, soit une baisse de « seulement » 26 % . Cependant, et contrairement à ce que pourrait laisser penser le différentiel de diffusion physique entre les deux familles de la presse quotidienne, la diminution de chiffre d'affaires est presque identique pour la presse nationale .

C. UN VIRAGE NUMÉRIQUE PAS ENCORE RÉALISÉ

La comparaison de deux familles de presse quotidienne traduit une spécificité de la PQR qui constitue aujourd'hui sa principale faiblesse .

Le maintien d'une forte présence territoriale par les différents canaux de vente constitue traditionnellement le point fort de la presse quotidienne régionale. En effet, les ventes comme les abonnements en version physique sont plus rémunérateurs que les versions numériques, dans un rapport qui va en moyenne de un à quatre . La PQR a ainsi pu profiter du fort attachement de son lectorat pendant des années pour préserver ses marges.

Dans le même temps, la presse quotidienne nationale a été confrontée à une situation qui s'est très rapidement dégradée et a conduit certains titres dans des impasses financières majeures. Ainsi, si à l'exception de France Soir, aucun « grand titre » de PQN n'a disparu depuis 2010, la moitié d'entre eux ont changé de propriétaire depuis 2010 dans des conditions souvent complexes 7 ( * ) , et certains sont encore dans des situations qui mettent en cause leur survie à moyen terme. Cependant, cette crise a poussé les titres de PQN à adapter leur modèle économique à la révolution numérique, souvent avec l'aide d'investisseurs puissants et au prix d'investissements très significatifs.

Ainsi, entre 2014 8 ( * ) et 2021, la PQN a fait basculer son modèle économique. Le numérique est ainsi passé de 7 % de ses ventes à 61 %, soit une progression de 54 points . Dans le même temps, la PQR est restée très en retrait, en passant de 1 % à 13 %. Elle accuse donc aujourd'hui six ans de retard sur la PQN dans son développement numérique .

Part du chiffre d'affaires réalisé par les ventes d'exemplaires numériques
pour la PQN et la PQR

(en %)

Source : commission de la culture, d'après données ACPM et ministère

Le paysage de la presse quotidienne est donc scindé entre une presse nationale dorénavant essentiellement diffusée sous format numérique et une presse régionale qui privilégie encore très largement les ventes d'exemplaires physiques .

Or le contexte actuel s'avère très défavorable à la prégnance de ventes d'édition papier, ce qui fragilise la PQR, désormais confrontée à une crise conjoncturelle pour laquelle elle se trouve peu armée .

III. LA PRESSE QUOTIDIENNE RÉGIONALE CONFRONTÉE À UN EFFET DE CISEAU ENTRE DES COÛTS QUI EXPLOSENT ET DES REVENUS QUI DIMINUENT

La presse quotidienne régionale est prise en étau entre, d'une part, des coûts qui augmentent , pour des raisons à la fois structurelles et conjoncturelles, et, d'autre part, des ressources qui tardent encore à se renouveler et qui nécessitent des investissements importants pour se développer.

A. DES REVENUS MENACÉS

L'économie de la presse repose sur les trois piliers évoqués précédemment : ventes de journaux, publicité, diversification. Ces trois activités sont aujourd'hui menacées à des degrés divers .

1. Des ventes fragilisées par un développement numérique insuffisant

Les ventes de titres connaissent une baisse globale depuis les années 2010, quel que soit le type de presse. Si la presse nationale, plus tôt confrontée à une érosion de ses ventes, a déjà pour beaucoup de titres su investir et se développer dans le numérique, qui représente dorénavant une part significative de ses revenus, la PQR a profité pendant une plus longue période des revenus plus importants tirés de la vente physique, ce qui ne l'a pas incitée à prendre le virage du numérique.

Les sites Internet des titres de PQR ne sont en conséquence pas encore au niveau des autres types de presse . Sur les 10 plus importantes fréquentations de presse en 2021, seuls les sites de Ouest-France et du Parisien 9 ( * ) figurent (respectivement en troisième et huitième position), les deux premières places étant occupées par LeFigaro.fr et LeMonde.fr.

Dès lors, la PQR se trouve confrontée à un risque plus important de décrochage sur ses canaux de vente les plus rémunérateurs, et de perspectives encore incertaines pour le développement dans le numérique.

Évolution entre 2020 et 2021 des ventes de PQR
sur les différents canaux de distribution

Source : commission de la culture, d'après données ACPM et ministère

Comme on peut le constater, la tendance est à une très forte contraction des ventes directes , liée notamment à un réseau de distribution lui-même en baisse très forte ces dernières années, avec environ 20 000 points de vente en France en 2021 contre près de 29 000 dix ans plus tôt . La crise pandémique n'a fait qu'accentuer un mouvement plus large et plus ancien. Les abonnements et le portage apparaissent comme moins en déclin, même si toutes les projections réalisées prévoient une poursuite de la baisse pour les prochaines années. Enfin, les dirigeants de titres entendus ont tous soulevé les dangers d'une hausse des prix rendue parfois nécessaire par la conjoncture (voir infra ). Les lecteurs seraient en effet très sensibles à une variation de quelques centimes, compte tenu de l'existence d'offres alternatives souvent gratuites et dans un contexte marqué par de vives inquiétudes sur le pouvoir d'achat. Dès lors, il n'existerait que de très faibles marges de manoeuvre pour relever le prix des titres , comme a pu le réaliser Ouest-France, qui a augmenté son prix de vente de 10 centimes le 28 avril 2022 pour le porter à 1,2 €.

Dans ce contexte, le numérique, qui ne représente encore qu'une faible fraction des ventes, connaît une progression d'un quart en un an , ce qui est satisfaisant, mais pas encore suffisant pour compenser les baisses enregistrées par ailleurs, que ce soit en volume ou en revenus . Des croissances très supérieures peuvent d'ailleurs être observées. Ainsi, la presse hebdomadaire régionale connait des taux de progression très importants de l'abonnement numérique, avec + 60,5 % en 2021 .

La PQR semble avoir pris conscience des enjeux liés au développement d'une présence numérique. La question se pose de l'accès à la presse dans les zones les moins denses, ce qui pourrait passer par l'ouverture de rayonnages dans certains centres commerciaux. Les problèmes liés au développement du numérique sont cependant nombreux. On peut en relever deux en particulier.

D'une part, de très lourds investissements sont nécessaires pour concevoir un site attractif régulièrement actualisé et correctement référencé. À court terme, selon les mots d'une personne entendue par la mission d'information, le numérique est donc avant tout un « gouffre financier ». Par ailleurs, son développement implique une organisation du travail en mesure de proposer des contenus tout au long de la journée , et pas uniquement à l'occasion du « bouclage », ce qui peut imposer une nouvelle organisation du travail de la rédaction.

D'autre part, le numérique est par essence moins rémunérateur , même si une majorité des nouveaux abonnements combinent les deux offres (numérique et version papier). Le choix du canal est également un sujet complexe. Ainsi, les kiosques numériques, popularisés par les fournisseurs d'accès 10 ( * ) Internet, assurent la diffusion d'une partie de la PQN et de la PQR de manière très large et relativement aisée pour les titres : il suffit d'adresser une version électronique. Ils offriraient cependant des conditions tarifaires peu favorables et auraient l'inconvénient de ne pas donner accès aux données de lecture (les « datas ») , pourtant de grande valeur.

2. La publicité et la diversification : des sources de revenus à conforter

La publicité et les activités de diversification reposent sur le caractère de marque connue et reconnue par les lecteurs des titres de PQR, même si parfois les activités sont très éloignées de l'éditorial.

La publicité constitue historiquement une source de revenus essentielle à la presse, son introduction lui ayant permis précisément de devenir accessible à un public populaire.

Cependant, les recettes publicitaires de la presse ont été divisées par près de trois depuis 2006 et par deux depuis 2012 , alors même que le marché de la publicité connaît dans son ensemble une forte progression sur la période.

Source : Ministère de la culture

Les raisons de cet assèchement sont connues et ont été à plusieurs reprises soulignées par la commission de la culture dans le cadre de ses travaux 11 ( * ) : il s'agit de la captation de la ressource par les entreprises du numérique, qui ont su développer une offre très attractive à l'attention des entreprises, offre qui ne laisse que peu de marge de manoeuvre aux entreprises de presse. Ce constat avait été pleinement assumé par Bernard Arnault, Président du groupe LVMH, lors de son audition devant la commission d'enquête sur la concentration des médias le 20 janvier : « J'ajoute que le secteur de la publicité a beaucoup changé en dix ans. Dans notre groupe, nous avons largement basculé les crédits de publicité des médias traditionnels vers Internet, qui représente dorénavant la moitié de nos investissements en la matière ».

Les tendances futures ne sont guère plus optimistes . Selon les données de l'Union des Entreprises de conseil et d'Achat Media (Udecam), le marché de la publicité imprimée devrait encore décroître de 15 % d'ici à 2024. Dans le même temps, la publicité sur Internet devrait poursuivre avec des taux de croissance de plus de 10 % par an .

La solution portée par le Sénat d'une juste contribution des plateformes en ligne par la voie des droits voisins a mis du temps à voir le jour, freinée par la véritable guérilla juridique menée par Google. Cependant, les premiers accords ont enfin pu être signés en 2022. Si les montants sont confidentiels, ils devraient s'élever à quelques dizaines de millions d'euros pour la presse quotidienne dans son ensemble 12 ( * ) . Cela sera loin de couvrir les pertes de revenus, mais constitue un début de solution qui devra être conforté dans le futur. Surtout, ces nouveaux revenus - qui doivent encore être partagés avec les journalistes -, n'ont aucune charge en contrepartie, et sont donc incontestablement une nouvelle positive pour des titres à la rentabilité très fragile. La décision de l'Autorité de la Concurrence en date du 21 juin 2022 13 ( * ) valide les engagements de Google auprès des éditeurs et semble marquer la fin d'une phase contentieuse qui aura duré près de trois ans.

Enfin, les revenus issus de la diversification , souvent très impactés par la pandémie, sont étroitement liés à la stratégie d'entreprise . Certains titres ont depuis longtemps choisi de développer l'événementiel, les salons professionnels ou l'aide à la recherche d'emploi, quand d'autres jugent ces activités trop éloignées de leur métier d'origine. Si donc tous les titres conviennent de l'intérêt de cette voie - Le Télégramme de Brest étant toujours cité comme un exemple de succès en la matière -, les moins avancés ont conscience de la complexité de l'exercice. À court terme, il n'est donc pas certain que de fortes croissances soient à prévoir dans le secteur .

Les titres de PQR sont donc confrontés à des perspectives encore incertaines sur l'évolution de leurs revenus . En tout état de cause, des investissements massifs seront nécessaires pour assurer une transition numérique impérative.

Or, dans le même temps, la presse se trouve en butte à des coûts qui progressent fortement.

B. DES COÛTS QUI EXPLOSENT

La presse est confrontée à une double hausse de ses coûts, d'une part structurelle, conséquence d'une baisse des tirages jugée inéluctable, d'autre part de la conjoncture actuelle particulièrement défavorable.

1. Des coûts fixes à adapter, notamment sur l'outil industriel

L'économie de la presse imprimée repose sur des coûts fixes importants. Or, face à un marché en baisse forte et régulière, ces coûts fixes ont tendance à augmenter rapidement.

Ils concernent en premier lieu la rédaction . Ainsi, les contrats passés avec les journalistes l'ont été pour la plupart à une époque où le secteur était profitable, les conditions salariales ne se sont depuis pas adaptées à une situation moins favorable. Le nombre de journalistes de la PQR a ainsi baissé de 8,5 % entre 2010 et 2019, alors même que la qualité du travail rédactionnel constitue la meilleure garantie d'avenir pour le secteur.

Le principal défi pour la PQR réside cependant dans l'adaptation de son outil industriel .

Le parc des rotatives de toute la presse d'information politique et générale est caractérisé par une surcapacité grandissante, qui le rend inadapté : les imprimeries constituent des postes importants de coûts fixes qui grèvent les comptes des groupes de presse et fragilisent toute la chaîne de valeur.

La PQN a su anticiper ce mouvement, avec le soutien de l'État, dans le cadre du « plan IMPRIME » lancé après les États généraux de la presse écrite en 2008, complété par le « plan 3M » en 2014. À l'issue de ce mouvement, rompant avec la tradition historique de la possession de leur outil industriel, tous les titres nationaux d'information politique et générale sont désormais imprimés de façon mutualisée chez un prestataire extérieur , l'imprimeur Riccobono, qui assure l'impression à Paris et dans les sites d'impression décentralisés de province. Seuls les titres du groupe Amaury disposent encore de leur outil d'impression dédié, ainsi que quelques titres dans le Sud avec le groupe MOP.

S'agissant de la PQR, le modèle reste encore largement celui d'une imprimerie appartenant au groupe de presse et imprimant principalement ses titres. Ainsi, en 2020, la PQR dispose encore de 24 centres sur l'ensemble du territoire, alors que la PQN est imprimée par cinq centres répartis sur le territoire et trois pour Amaury.

Alors que la presse locale ne dispose pas de mêmes leviers que les principaux titres de la presse quotidienne nationale pour moderniser son activité, l'État a accompagné les éditeurs avec le plan dit PRIM, qui a pour objet la restructuration à l'horizon 2025 de l'outil industriel d'impression.

L'engagement public s'élève à 36 millions d'euros , soit 30 % de l'investissement total de 116 millions d'euros nécessaire. Le 8 juillet 2021, les groupes de presse et les organisations syndicales ont trouvé un accord sur les modalités du plan en signant l'accord collectif sur les mesures sociales d'accompagnement et l'accord EDEC, cadre national pour l'accompagnement du plan réseau imprimerie. Dans le cadre du plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) relevant du dispositif PRIM, le cofinancement de l'État consiste en la prise en charge d'une partie des coûts liés au congé de reclassement d'un nombre maximal de 480 salariés des entreprises, dans la limite d'une participation publique de 75 000 € maximum par salarié dans la limite de l'enveloppe allouée.

À terme, ce plan doit permettre de fermer le tiers des imprimeries et d'assurer le reclassement ou le départ en retraite de 60 % des effectifs, soit environ 1 500 personnes .

2. La crise du papier

Selon les documents dont a pu prendre connaissance le Rapporteur, la hausse des prix consomme parfois plus de la totalité des marges pourtant limitées dégagées par les groupes de presse locale .

La crise, née de la très forte hausse des coûts du papier, a été évoquée par la totalité des personnes entendues par la mission d'information , et a en partie motivé sa création. Elle apparait en réalité comme une nouvelle étape dans une série de nouvelles préoccupantes depuis des années pour le secteur, confronté à une crise au long cours de son modèle économique et frappé par la pandémie en 2020 et 2021.

La hausse du coût des matières premières est commune à l'ensemble des secteurs industriels, et se traduit par une inflation comprise entre 5 % et 7 % en France en 2022. L'objet de ce rapport n'est pas d'en établir les causes, multiples, mais d'en mesurer l'impact dans un domaine précis, celui de la presse quotidienne régionale.

Comme on l'a vu, le modèle économique de la PQR repose encore très largement sur l'impression d'exemplaires vendus dans le réseau, portés ou postés. Dans un contexte général d'inflation, cette caractéristique devient une faiblesse qui l'expose plus que la presse quotidienne nationale, même si cette dernière en supporte également les conséquences, comme tous les types de presse.

Dans l'ensemble de la presse, les achats de papier passent de 1,2 milliard de tonnes en 2009 à 537 millions en 2019 , soit une diminution de 55 % en 10 ans. Cette baisse est de 43 % dans la presse locale, ce qui traduit bien une moindre diminution des tirages et une pagination qui a moins diminué que dans d'autres familles de presse. La presse locale représente ainsi 30 % des volumes de papier utilisés dans la presse.

Selon les données statistiques du ministère, les achats de papier représentaient 225 millions d'euros pour la presse locale en 2009, soit 7,5 % du chiffre d'affaires et environ 10 centimes par exemplaire.

En 2019, soit avant la hausse post crise pandémique, la même famille de presse a consacré 122 millions d'euros aux achats de papier, soit 5,3 % de son chiffre d'affaires et huit centimes par exemplaire . Les dépenses liées aux frais d'impression dans leur ensemble représentent en 2009 14,2 % du chiffre d'affaires et 21 centimes par exemplaire, contre respectivement 21,7 % et 29 centimes par exemplaire en 2009.

Dépenses liées au papier dans la presse locale

2009

2019

Dépenses liées au papier

En valeur absolue (millions d'euros)

225

122

En % du chiffre d'affaires

7,5 %

5,3 %

Par exemplaire

10 c

8 c

Total des frais d'impression

En valeur absolue (millions d'euros)

653

324

En % du chiffre d'affaires

21,7 %

14,2 %

Par exemplaire

29 c

21 c

Ainsi, que ce soit en valeur absolue ou en coût par exemplaire, les frais liés à l'impression ont diminué en 10 ans de 28 %, et ceux du papier de 20 %.

Ce mouvement s'explique par plusieurs facteurs, certains spécifiques à tel ou tel titre. D'un côté, la rationalisation des techniques d'impression, de l'autre, la baisse de la pagination. Les marges de manoeuvre ainsi dégagées ont permis de libérer des ressources pour améliorer les contenus ou assurer le développement numérique des titres.

C'est dans ce contexte qu'est intervenue une très violente hausse des prix .

L'indice des prix du papier était de 92 début 2010, et est demeuré relativement stable jusqu'à la fin 2020 autour de 100 14 ( * ) . Il s'établit en mai 2022 à près de 150, en très forte croissance depuis le début 2021.

Il est difficile d'évaluer le supplément de charge pour l'ensemble de la presse, qui dépend largement des contrats déjà passés comme des efforts qui pourront être réalisés pour réduire la consommation. Les estimations de la mission d'information s'établissent à un chiffre compris entre 80 et 100 millions d'euros supplémentaires pour toute la presse quotidienne, le double pour toute la filière. Toutes choses égales par ailleurs, si il était intégralement supporté par les éditeurs de presse locale, il reviendrait en valeur absolue à des montants proches de ceux constatés en 2010 , soit autour de 210 millions d'euros , pour des tirages inférieurs de plus de 30 %.

La hausse des prix du papier possède des racines à la fois conjoncturelles , liées aux prix de l'énergie, mais également structurelles , qui relèvent de l'organisation industrielle du secteur. Parmi les raisons invoquées, la principale semble être le fort développement de la livraison de colis à domicile, qui nécessite des volumes sans cesse croissants de carton , devenu plus avantageux à produire que le papier lui-même en décroissance avec la baisse de diffusion des journaux. Par ailleurs, la France a également largement perdu sa base industrielle , désormais limitée à une usine dans les Vosges qui a pris récemment la décision de consacrer l'une de ses deux lignes de production exclusivement au carton. La presse, mais également la filière du livre, souffrent donc d'un manque d'anticipation dans le maintien de filières nationales et européennes de production dédiées, en cours depuis des années, mais qui a commencé à produire ses effets dès la fin de la crise pandémique.

3. La prise en compte de la contrainte environnementale : la fin du régime d'exception pour le financement de CITEO

Si les sommes en jeu ne sont pas comparables avec celles évoquées suite à la hausse des prix du papier, la question de la fin de la contribution en nature des éditeurs de presse au financement de CITEO au début de l'année 2023 a été très régulièrement mentionnée lors des auditions menées par le Rapporteur. Elle se traduirait en effet par le versement d'une « co-contribution » représentant une charge supplémentaire d'une vingtaine de millions d'euros pour la filière.

Le 3° de l'article L. 541-10-1 du code de l'environnement soumet le secteur des impressions au régime de la responsabilité élargie du producteur (REP). Elle est basée sur le principe « pollueur-payeur » : les entreprises, c'est-à-dire les personnes responsables de la mise sur le marché français de certains produits, sont responsables de l'ensemble du cycle de vie de ces produits depuis leur conception et doivent le versement d'une « éco-contribution » à un éco-organisme en charge du recyclage des déchets. La REP transfère ainsi tout ou partie des coûts de gestion des déchets vers les producteurs. Le financement est assuré par une contribution financière versée à l'éco-organisme de la filière papiers graphiques CITEO. Ce n'est pourtant pas ce dernier qui assure la gestion opérationnelle du recyclage, mais les collectivités locales , qui doivent percevoir une compensation de la part de l'organisme au titre de leurs investissements.

La France a choisi d'inclure les publications de presse dans le cadre du REP de la filière à compter du 1 er janvier 2017. Ce choix, volontaire en termes de respect de l'environnement, n'a pas été retenu par tous nos partenaires européens. Il impose ainsi aux éditeurs de participer au financement des mécanismes de collecte et de recyclage.

L'article 8 bis §4 de la directive 2008/98/CE modifiée prévoit que les producteurs soumis à un principe de REP couvrent au moins 50 % des coûts de prévention et gestion des déchets issus de leurs produits au travers d'une contribution financière , ces dispositions devant entrer en vigueur au plus tard le 5 janvier 2023.

Les publications de presse bénéficient jusqu'à présent d'un régime dérogatoire : la contribution peut être versée en tout ou partie sous forme de prestations en nature . Elle prend alors la forme d'une mise à disposition d'encarts publicitaires destinés à informer le consommateur sur la nécessité de favoriser le geste de tri et le recyclage ciblé uniquement sur le papier. 2018 a été la première année de mise en oeuvre concrète de ce dispositif de contribution en nature, en vue de communiquer sur le geste de tri des papiers. 376 éditeurs de presse ont bénéficié de ce dispositif pour un montant des contributions en nature facturées représentant 21,7 millions d'euros . Cela représente 89 % du secteur d'activité de la presse.

Cette contribution en espaces publicitaires a été utilisée par CITEO, au travers de campagnes de sensibilisation au tri des papiers avec des créations personnalisées (notamment avec la presse magazine et la presse régionale) ainsi que des créations standardisées (presse et web). Avec près de 3 500 insertions dans plus de 700 titres de presse, ces publicités ont ciblé 93 % de la population française.

L'article 72 de la loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire a cependant mis un terme à ce régime dérogatoire au 1 er janvier 2023 afin de mettre le droit français en conformité avec le droit européen . Ainsi, l'article L. 541-10-19 du code de l'environnement prévoit maintenant que : « jusqu'au 1 er janvier 2023, les publications de presse, au sens de l'article 1 er de la loi n° 86-897 du 1 er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse, soumises au régime de responsabilité élargie du producteur peuvent verser leur contribution à la prévention et la gestion de leurs déchets sous forme de prestations en nature . »

Or, le niveau de couverture des coûts de la filière REP des papiers est estimé à ce jour entre 20 % et 40 % du coût. Il n'est donc pas possible de maintenir un principe d'exemption de contribution financière pour les éditeurs de presse au-delà de 2023.

Dès lors, à droit constant, les éditeurs devront assurer un financement à CITEO de l'ordre de 20 millions d'euros , qui reviendra in fine aux collectivités locales en charge de la gestion des déchets et du recyclage.

Certains éditeurs estiment pourtant que le dispositif actuel de contribution en nature aurait pu être maintenu, sans que cela ne contrevienne aux dispositions de la « directive déchets ». Ils arguent pour ce faire de l'absence de définition précise de la notion de « contribution financière » dans la directive et souhaiteraient donc que soit reconnue la possibilité de poursuivre le versement en nature.

IV. LA RÉFORME DU PORTAGE ET DU POSTAGE : UNE ÉVOLUTION NÉCESSAIRE MAIS PORTEUSE DE RISQUES

A. LA PQR DISPOSE DE SES PROPRES RÉSEAUX POUR ASSURER LA DISTRIBUTION DE SES TITRES

La PQR n'a pas été concernée par la longue et grave crise du transport de ses titres via les messageries. La presse nationale, comme le Rapporteur a eu de multiples occasions de le souligner, a dû de son côté solliciter et obtenir des aides massives de l'État pour préserver l'activité de l'ancienne société - Presstalis -, victime d'une gestion hasardeuse, dans des proportions qui approcheraient un demi-milliard d'euros sur 10 ans .

À l'opposé, la PQR a su gérer avec efficacité et de manière plus économe des deniers publics ses propres réseaux de distribution, en développant en particulier le portage . Ce mode spécifique de diffusion s'est largement imposé pour répondre à la contrainte horaire : les clients doivent pouvoir disposer de leur titre à leur domicile et très tôt le matin, de préférence avant 8 h, ce que La Poste n'a jamais été en mesure de garantir. Ainsi, 15 % des abonnés de la PQR via La Poste reçoivent le titre après le déjeuner, ce qui est beaucoup trop tardif.

Entendus par la mission d'information, les dirigeants de titres ont tous insisté sur l'importance de cette relation instaurée au quotidien et sur le long terme avec le lectorat.

Pour autant, les soutiens publics mis en place, qui combinent aide au portage par des réseaux spécialisés et aide au postage, devaient évoluer, ce qui est le cas depuis 2021. Si les grands principes de la réforme, longuement négociés entre les organisations professionnelles et l'État, réunissent un large consensus, elle n'en reste pas moins porteuse de risques dans sa mise en oeuvre.

B. LA RÉFORME ADOPTÉE EN 2021 : ADAPTER LES AIDES PUBLIQUES À L'ÉVOLUTION DES MODES DE DIFFUSION

L'aide de l'État à l'acheminement des abonnements prend en compte le postage et le portage .

1. Le postage : une aide sous forme de compensation insuffisante et sans garantie sur la qualité du service

Le transport et la distribution des journaux et des publications périodiques constituent, en application de l'article 2 de la loi du 2 juillet 1990, une mission de service public et d'intérêt général de La Poste . Les éditeurs bénéficient, dans le cadre de cette prestation, de tarifs postaux préférentiels ayant pour objectif de favoriser le pluralisme de la presse.

Il existe ainsi trois familles de tarifs : les tarifs « Commission paritaire des publications et agences de presse (CPPAP) », les tarifs « Presse IPG » et les tarifs « quotidiens à faibles ressources publicitaires (QFRP) ».

Le groupe La Poste reçoit chaque année une compensation pour cette mission de service public. Son montant a évolué en application d'une convention passée entre l'État et La Poste entre 2016 et 2020. En 2021, la compensation s'est élevée à 87,8 millions d'euros .

Les volumes distribués par La Poste ont connu une baisse de 38 % entre 2018 et 2021, passant de 780 millions d'exemplaires à 545 millions .

À l'horizon 2027, La Poste prévoit une baisse de l'activité de 260 millions d'exemplaires, répartis entre 80 millions d'exemplaires pour le portage et 180 millions d'exemplaires en moins.

L'évolution des tarifs postaux depuis plus de 10 ans n'a pas permis de résoudre les difficultés qui gangrènent aujourd'hui le régime de tarification spécifique.

D'une part, la compensation versée à La Poste ne couvre pas son coût . L'opérateur se retrouve donc déficitaire sur cette activité, pour un montant estimé à 186 millions d'euros en 2021 , avec une qualité de service jugée comme déclinante.

D'autre part, le régime ne permet pas une évolution favorisant le recours au portage de presse , jugé comme étant, dans beaucoup de zones du territoire, la solution économiquement la plus viable.

2. Une aide au portage insuffisamment incitative

Le portage de presse constitue la seconde grande modalité de distribution des abonnements.

Le portage est fortement majoritaire dans l'acheminement des abonnements, avec une part de 78,16 % en 2019 . On observe cependant de fortes disparités, puisque si près de 90 % de la presse quotidienne régionale est portée, seuls 23 % de la presse magazine et moins de 45 % de la presse quotidienne nationale usent de ce canal pour leur distribution.

Le portage bénéficie d'une enveloppe d'aide d'un montant de 26,5 millions d'euros en 2022, soit trois fois moins que la compensation versée à La Poste, pour un nombre d'exemplaires quatre fois supérieur .

Le régime actuel s'avère insuffisamment incitatif pour développer un réseau de portage mutualisé, en particulier entre la presse nationale et régionale, et trop coûteux pour La Poste.

3. Une réforme indispensable

La réforme s'articule autour de deux grands principes.

Premier principe , l'instauration d'une seule grille tarifaire postale . Les publications se verront dorénavant appliqués le tarif de service public de droit commun. Il évoluerait comme l'inflation pendant les six premières années.

Second principe , la suppression de l'aide au portage sous sa forme actuelle et la création d'une aide à l'exemplaire réservée aux titres d'information politique et générale (IPG) , autrefois bénéficiaires d'un tarif postal privilégié. Cette aide sera scindée en deux parties :

• une aide à l'exemplaire « posté », financée par redéploiement à partir de la compensation aujourd'hui versée à La Poste, qui neutralisera le surcoût engendré par le passage au tarif unique sur les années 2021-2023, cette aide étant ensuite dégressive ;

• et une aide à l'exemplaire « porté ».

Le montant de l'enveloppe serait progressivement amené à un niveau permettant une réelle incitation au portage, ce qui passe par une hausse de l'enveloppe dédiée au portage .

Le montant de l'aide à l'exemplaire posté serait calculé de manière à être neutre financièrement pour les éditeurs les deux premières années, puis dégressif, sauf dans les zones « peu denses » où le développement du portage n'est pas envisageable. Ces zones représentent en 2020 45 % des exemplaires de la presse QFRP et 46 % de la presse IPG.

4. Les difficultés à surmonter dès 2022

La réforme proposée réalise pour l'instant une rare unanimité , tant l'inadaptation du système actuel est régulièrement dénoncée. Elle offre de surcroît l'avantage d'offrir une réelle visibilité à la profession sur plusieurs années.

Son succès repose cependant sur une combinaison de facteurs , pour certains déjà identifiés, pour d'autres apparus plus récemment dans un contexte inflationniste.

Tout d'abord , la réforme repose largement sur l'ouverture , là où elle est nécessaire, des réseaux de portage à la diffusion des titres locaux qui n'appartiendraient pas aux grands groupes dominants sur leur territoire . Certains éditeurs peuvent craindre des conditions de service dégradées par des titres historiquement concurrents, ainsi que l'accès aux coordonnées de leurs clients. À ce titre, le contrôle de l'Arcep sur les réseaux de portage, comme prévu dans le projet initial, devra rapidement être mis en place.

Ensuite , si l'objectif premier de la réforme n'est pas d'engranger des gains budgétaires, rien n'interdit cependant d'en espérer, d'autant plus que la baisse jugée inéluctable des volumes devrait y contribuer. Pour autant, la réforme n'apporte pas une solution définitive à la question posée par la distribution de la presse par le groupe La Poste. La presse représente en effet 4 % du chiffre d'affaires, mais 9 % du volume et 25 % du poids total des tournées. La réforme ne devrait faire que limiter un déficit sur l'activité presse aujourd'hui estimé à 186 millions d'euros par an et qui devrait continuer à s'accroître en dépit de la réforme , qui ne fera que le limiter malgré la baisse des volumes. Dans ce cadre, il sera nécessaire de poser à rapidement, les termes de la légitimité et de la soutenabilité d'un soutien public en partie dissimulé car couvert par le déficit de l'entreprise.

Enfin , les conditions de travail précaires des porteurs sont directement menacées par le niveau de l'inflation, en particulier le prix des carburants. Les véhicules sont souvent anciens, et consomment donc davantage que les versions plus récentes. À terme, les titres pourraient avoir des difficultés à recruter de nouveaux porteurs, dans un contexte général de tension pour la main d'oeuvre, et pour une profession qui impose des horaires particulièrement contraignants.

*

* *

Indispensable pour accompagner un marché en déclin, porteuse d'espoir de rationalisation budgétaire, rassemblant très largement la profession, la réforme en cours doit encore déployer ses effets concrets et s'imposer dans une situation économiquement plus complexe qu'anticipée .

V. ACCOMPAGNER LA PRESSE QUOTIDIENNE RÉGIONALE DANS SON ÉVOLUTION

La PQR traverse une période de crise. En retard sur le numérique, menacée dans son rôle de relais privilégié de l'information locale par de nouveaux médias en ligne ou audiovisuels, frappée de plein fouet par les tensions inflationnistes, la PQR conserve cependant de très solides atouts , en premier lieu le fort attachement de ses lecteurs.

Elle affronte néanmoins une équation complexe. Elle doit :

- d'une part, préserver un marché de la vente « papier » auquel beaucoup de ses lecteurs sont encore attachés, mais dont les coûts de fabrication comme de diffusion sont aujourd'hui croissants ;

- et d'autre part , investir massivement dans le numérique pour répondre aux nouvelles attentes de son lectorat, ce qui, là encore, nécessite de très lourds investissements.

La PQR ne saurait cependant se dédouaner, comme l'ensemble de la presse, de ses propres responsabilités dans la situation actuelle. Ainsi, l'aide de l'État au plan d'adaptation des imprimeries vient en partie pallier un manque de coordination des éditeurs face à une baisse des tirages déjà ancienne, de la même manière que la presse quotidienne nationale a fait supporter aux finances publiques ses erreurs de gestion dans la Messagerie Presstalis, pour des montants extrêmement importants, et sans que l'avenir ne soit encore assuré.

Il n'en reste pas moins que, compte tenu de son importance pour la démocratie et la vie locale, ce secteur doit maintenant être accompagné par l'État dans sa nécessaire transition .

Une première étape importante a déjà été actée avec le plan PRIM et la réforme du portage, dont il faudra surveiller l'application concrète. Alors même que la fin de la pandémie pouvait permettre d'espérer un retour progressif à la normale, sinon à une situation stabilisée, la forte hausse des prix apparaît aujourd'hui comme un défi complexe, qui traduit aussi bien le manque général d'anticipation des acteurs et de l'État dans la préservation de filières essentielles à la pérennisation de ces secteurs - la presse n'étant au demeurant pas la seule dans ce cas - que les retards accumulés dans la transition numérique.

Huit recommandations sont donc formulées pour accompagner au mieux la presse quotidienne régionale dans cette période difficile. Le soutien public ne doit cependant pas se substituer à une évolution des pratiques et des modèles économiques des éditeurs eux-mêmes .

A. ACCÉLÉRER LA TRANSITION NUMÉRIQUE

La particularité principale de la presse quotidienne régionale réside dans son manque d'adaptation aux nouveaux usages du lectorat , eux-mêmes accélérés par l'épisode pandémique. L'exemple de la presse quotidienne nationale montre cependant clairement qu'il est possible de faire pivoter rapidement son modèle, sous réserve d'investissements importants. Les titres ne sont d'ailleurs pas tous égaux, certains étant plus en avance que d'autres qui ont souffert du manque d'implication de leurs actionnaires.

Il appartient donc en tout premier lieu aux éditeurs eux-mêmes d'accélérer leur développement numérique, ce dont ils ont du reste parfaitement conscience .

Pour autant, la question de l'accompagnement par les pouvoirs publics de la transition numérique se pose. Elle rejoint celle de la réforme des aides à la presse , traitée par le Sénateur Roger Karoutchi dans son rapport de juin 2021 15 ( * ) .

Le support budgétaire utilisé en la matière est le Fonds Stratégique pour le développement de la presse (FSDP), doté en loi de finances pour 2022 de 16,5 millions d'euros. Le Fonds, régi par le décret du 13 avril 2012 et dont le fonctionnement a été modifié pour la dernière fois en 2020, accorde des subventions pour des projets qui représentent une innovation pour l'entreprise ou le secteur concerné. En 2018 et 2019, environ 40 % des crédits du FSDP ont bénéficié à la PQR.

L'article 27 du décret fixe le taux maximum de subvention à 60 % du projet. Un taux « super bonifié » a été introduit pour les projets favorisant la transition écologique.

Il pourrait être envisagé, à enveloppe constante , d'appliquer ce taux « super bonifié » de 70 % aux investissements dans la transition numérique, dont les objectifs rejoignent d'ailleurs en partie ceux de la transition écologique.

Recommandation n° 1 : Modifier l'article 27 du décret n° 2012-484 du 13 avril 2012 pour prévoir un taux de subvention du Fonds Stratégique pour le développement de la presse de 70 %, contre 60 % actuellement, pour les projets de transition numérique présentés par les éditeurs de presse .

Cette recommandation s'inscrit dans la continuité de celle du rapport pré-cité de Roger Karoutchi, qui préconise de cibler les aides à la digitalisation en tenant compte des stratégies déjà menées. Elle doit bénéficier en priorité aux titres les plus en retard en matière de développement numérique , ce qui devrait concerner au premier chef la presse quotidienne régionale. Cette recommandation appelle cependant deux remarques :

- d'une part , elle doit se comprendre à enveloppe constante, ce qui devrait mécaniquement pousser à une plus forte sélectivité des projets ;

- d'autre part , elle ne peut se concevoir qu'en accompagnement des efforts réalisés par les éditeurs les moins avancés. Les sommes mobilisables par les pouvoirs publics ne suffiront pas à couvrir les besoins. Il appartient à la profession de définir ses priorités, et à l'État d'appliquer une stratégie in fine cohérente.

B. ENCOURAGER TOUS LES PUBLICS À DÉCOUVRIR LA PRESSE LOCALE

S'il serait probablement illusoire de vouloir stopper l'érosion des ventes d'édition « physique », la mission d'information propose deux pistes pour permettre de préserver ce mode de diffusion qui non seulement est encore très majoritaire pour la PQR, mais s'avère également le plus rentable pour les titres.

1. Encourager la création de lieux de vente dans les zones blanches

La presse en général constitue un marché « d'offres ». Les lecteurs font l'acquisition de titres, voire éventuellement se laissent tenter par d'autres, à la condition qu'ils soient disponibles à proximité de leurs lieux de vie. Dans ce cadre, la fermeture de près d'un tiers des kiosques est un handicap important à la reconquête du lectorat. Ce phénomène est d'autant plus dommageable dans les zones dites « blanches ».

La mission d'information approuve ainsi une idée avancée par la mission « flash » de l'Assemblée nationale relative aux aides à la presse régionale et locale 16 ( * ) menée par les députés Géraldine Bannier et Virginie Duby-Muller qui met l'accent sur l'accessibilité des titres dans les zones blanches. De manière plus précise, dans ces zones, les autorisations d'ouverture accordées par la commission départementale d'aménagement commercial pourraient inclure des critères relatifs à la vente d'une sélection de titres de presse, par exemple chez les « hard discounters ».

Recommandation n° 2 : Compléter l'article R. 752-6 du code du commerce pour prévoir, parmi les critères examinés par la commission départementale d'aménagement commercial pour autoriser l'ouverture de commerces, la présence d'un stand de presse dans les zones dites « blanches » .

2. Étendre le Pass Culture aux achats et abonnements de presse « papier »

Le Pass Culture est destiné à faciliter l'accès à la culture des jeunes de 15 à 18 ans. De très nombreuses offres culturelles sont proposées, comme des cartes d'abonnement à des musées ou l'achat d'oeuvres musicales. Le pari de ce dispositif est de susciter dès le plus jeune âge une appétence pour les produits culturels qui perdurerait au-delà de l'éligibilité.

L'annexe II de l'arrêté du 6 novembre 2021 fixe à la liste limitative des activités et produits éligibles au Pass Culture. Or la 9 e ligne de l'annexe II ne prévoit, en matière de presse, que les abonnements et achats sous forme numérique , à l'exclusion donc des versions « papier ».

Dans l'optique de former précocement les lecteurs à l'intérêt de la presse « papier », il pourrait être opportun d'étendre la liste aux abonnements et achats en version papier . Compte tenu des habitudes prises par les plus jeunes, cette extension de l'offre serait probablement d'une ampleur limitée, mais elle n'en constituerait pas moins un signal positif adressé à l'ensemble de la filière, et pourrait contribuer à renouveler la population des lecteurs.

Recommandation n° 3 : Compléter l'annexe II de l'arrêté du 6 novembre 2021 pour inclure dans le Pass Culture les achats et abonnements de presse en version « papier » .

C. ACCOMPAGNER À MOYEN ET LONG TERME LE CHOC INFLATIONNISTE

1. Une aide ponctuelle spécifique à calibrer avec précaution

La principale et immédiate préoccupation de la presse quotidienne régionale, en dehors de la nécessaire adaptation de son modèle, est la forte hausse de ses coûts de fabrication, essentiellement due aux prix du papier.

La solution à apporter n'est en soi pas évidente.

Une compensation intégrale , compte tenu de son coût, serait insoutenable pour les finances publiques.

Une aide partielle ne saurait par ailleurs être pérenne . Si les prix du papier venaient à redescendre, elle n'aurait plus de raison d'être, s'ils se maintenaient, il appartiendrait au secteur de définir une nouvelle organisation industrielle qui pourrait passer par un panachage d'économies structurelles, de baisse de la pagination et de hausse modérée du prix des titres.

Il convient enfin de souligner que, par nature inflationniste, un soutien n'a pas vocation à perdurer, au risque de susciter des demandes semblables de l'ensemble des segments de l'économie actuellement frappés par l'inflation.

La mission d'information, consciente aussi bien de l'état très dégradé des finances publiques que de la violence du choc pour un secteur fragilisé depuis des années par l'irruption du numérique, mais également dont l'existence est une nécessité pour la démocratie et pour la vie locale, recommande une aide qui serait réservée aux titres les plus en difficulté , et pour une période déterminée . Les critères à remplir pour bénéficier de cette aide seraient arrêtés par le ministère, après consultation avec les instances professionnelles concernées. Dans la logique de la proposition n° 27 de la commission d'enquête sur la concentration des médias 17 ( * ) , la situation du titre serait appréciée au regard de la situation financière des groupes auxquels ils peuvent appartenir.

Recommandation n° 4 : Compenser partiellement, pour une durée déterminée, la hausse des coûts de production, notamment du papier. Cette aide serait réservée aux titres les plus en difficulté, en tenant compte de la situation financière des groupes auxquels ils sont rattachés .

2. À plus long terme, reconstruire une filière de production française et européenne via France Relance

À plus long terme, il est essentiel d'accompagner fortement la filière papetière et ses approvisionnements en bois pour qu'elle soit en mesure de répondre à la demande aussi bien de carton que de papier. Cela implique une action volontariste via les dispositifs de France Relance dotés de 100 milliards d'euros à l'horizon 2030. Comme dans d'autres secteurs, la pandémie et la crise actuelle ont souligné les faiblesses des chaînes d'approvisionnement et les risques encourus en conséquence par des pans entiers de l'économie situés en aval.

Recommandation n° 5 : Investir dans la reconstruction d'une filière papetière autonome via France Relance .

D. UNE DERNIÈRE CHANCE POUR LA COMPENSATION EN NATURE DE L'ÉCO-CONTRIBUTION

La fin de la compensation en nature versée à CITEO, pourtant prévue depuis deux ans, est apparue comme « la goutte d'eau qui fait déborder le vase » à des éditeurs contraints de subir la hausse des coûts de production tout en investissant massivement dans le numérique alors même que la pandémie pèse encore lourdement sur leurs comptes. Ainsi, ce qui serait probablement apparu comme une contrariété est devenu un point de fixation.

Ce sujet appelle plusieurs remarques.

Tout d'abord, la France a fait le choix courageux et écologiquement responsable d'inclure la presse dans le champ d'application de la directive 2018/851 du 30 mai 2018. Les collectivités locales ont donc investi en conséquence pour traiter les volumes produits. Le débat est donc celui de la nécessité de faire évoluer les modes de production pour tenir compte du défi climatique. Cette prise en compte est cohérente avec les positions adoptées par la France et l'Union Européenne ces dernières années, mais emporte des conséquences concrètes et potentiellement dommageables à certains secteurs . Les débats autour de la proposition de loi de Patrick Chaize visant à réduire l'empreinte environnementale du numérique en France, qui proposait, au nom de la contrainte environnementale, une exemption de taxation pour la copie privée des appareils reconditionnés, relèvent du même constat.

Dès lors, on peut considérer que la presse, comme les autres secteurs, doit s'adapter d'ores et déjà et donc se soumettre au droit commun en matière de traitement de ses déchets, d'autant plus que l'échéance est connue depuis deux ans. Cela n'exclut cependant pas d'estimer que la fin de cette exemption s'inscrit dans un calendrier particulièrement défavorable et pourrait justifier d'une neutralisation financière qui pourrait prendre deux formes :

ü la prolongation de l'exemption . Elle nécessiterait cependant une interprétation favorable en ce sens des autorités communautaires et une modification de la loi avant la fin de l'année. Le calendrier est ainsi particulièrement contraint, mais pas insurmontable . Il convient cependant de noter que, dans ce cas, les collectivités locales continueraient à assurer une charge qui ne leur serait pas compensée via les contributions financières des éditeurs ;

ü une compensation versée par l'État aux éditeurs. Un mécanisme semblable a d'ailleurs été annoncé par l'ancien secrétaire d'État en charge du numérique Cédric O pour les « reconditionneurs » désormais soumis à la taxe sur la copie privée. Dans ce cas, la charge passerait des éditeurs à l'État.

La mission d'information propose dans un premier temps de s'assurer auprès de la Commission européenne de la bonne interprétation à donner à la notion de « contribution financière » contenue dans la directive. S'il apparaissait que la compensation en nature était possible de manière durable, il appartiendrait dès lors au Parlement de trancher sur une éventuelle réécriture de l'article L. 541-10-19 du code de l'environnement.

Recommandation n° 6 : Interroger la Commission européenne sur le sens précis de la « contribution financière » au sens de la directive 2018/851 du 30 mai 2018, pour infirmer ou approuver la possibilité d'une exemption de l'éco-contribution en nature. Dans ce dernier cas, faire débattre par le Parlement d'une modification de l'article L. 541-10-19 du code de l'environnement .

Si la réponse de la Commission européenne s'avérait négative, et donc que la contribution doive bien se comprendre comme exclusivement financière, la mission d'information propose que l'État la compense pour cette seule première année , compte tenu du contexte extrêmement difficile pour le secteur.

Recommandation n° 7 : Pour la seule année 2023, compenser pour les éditeurs l'éco-contribution versée à CITEO .

Dans le même ordre d'idée, les éditeurs auront à terme la faculté de diminuer, voire d'annuler la contribution financière, selon le principe de modulation prévu à l'article L. 541-10-3 du code de l'environnement, en fonction des efforts de la filière en faveur de l'environnement et dans le cadre d'un dialogue avec CITEO. Une telle piste parait devoir être privilégiée pour le futur, mais elle implique un engagement fort de l'ensemble des acteurs.

Recommandation n° 8 : Dans l'hypothèse où le principe d'une contribution financière serait maintenu, inviter les éditeurs à user des facultés de modulation de l'éco-contribution prévue à l'article L. 541-10-3 du code de l'environnement pour alléger les montants versés .

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Mardi 19 avril 2022

- Syndicat de la presse indépendante d'information en ligne : Mme Cécile DUBOIS , coprésidente.

- Alliance de la Presse : M. Pierre PETILLAULT , directeur général.

Mercredi 20 avril 2022

- Le Midi Libre : M. Bernard MAFFRE , président-directeur général, coordinateur du groupe de travail de l'Alliance de la presse d'information générale.

- Syndicat de la presse quotidienne régionale : M. Jean-Michel BAYLET , président-directeur général.

Jeudi 21 avril 2022

- Université Aix Marseille : Mme Pauline AMIEL , maître de conférence.

- Alliance de la presse d'information générale : M. Vincent DAVID , vice-président de l'Alliance et président du SPHR (Syndicat de la Presse Hebdomadaire Régionale) et de PMSO (Presse et Médias du Sud-Ouest).

- La Voix du Nord : M. Gabriel D'HARCOURT , directeur général délégué, président de la commission « Vente distribution » de l'APIG.

- Télégramme de Brest : M. Édouard COUDURIER , président-directeur général.

Vendredi 22 avril 2022

- Groupe La Poste : MM. Yves RENARD , directeur de la Business Unit Press et de Business Unit Courrier, et Vincent MOULLE , directeur de la régulation, de la concurrence et des relations institutionnelles.

- Groupe SIPA - Ouest-France : M. Louis ECHELARD , président du directoire.

Lundi 25 avril 2022

Groupe EBRA : M. Philippe CARLI, p résident.

Jeudi 19 mai 2022 : Déplacement à Marseille

- Marsactu : M. Julien VINZENT , président.

- Journal La Provence : M. Jean-Christophe SERFATI , président-directeur général.

- La Marseillaise : M. Léo PURGUETTE , président et directeur éditorial.

EXAMEN EN COMMISSION

MERCREDI 20 JUILLET 2022

___________

M. Laurent Lafon , président . - Nous examinons ce matin les conclusions de la mission d'information sur la situation de la presse quotidienne régionale.

M. Michel Laugier , rapporteur . - En tant qu'élus locaux, nous avons tous une relation forte, presque « charnelle », avec la presse quotidienne régionale (PQR), vecteur actif de vie locale et de lien social. Pour reprendre l'heureuse expression de la chercheuse Pauline Amiel, la PQR va « du village au monde ». Son importance pour notre démocratie ne saurait être sous-estimée.

Étant moi-même ancien journaliste de cette presse, je m'y intéresse pour ainsi dire doublement ! Je remercie donc la commission et notre président Laurent Lafon de m'avoir confié cette mission d'information, et je remercie les collègues qui ont participé activement aux auditions.

Les 51 titres de PQR et leurs 91 versions locales sont lus chaque mois par 43 millions de lecteurs. Ce secteur emploie un tiers des journalistes de la presse écrite, soit 5 700 personnes environ.

La presse locale maille l'ensemble du territoire et s'est constituée au fil du temps en monopoles territorialisés articulés autour de huit grands groupes. Les groupes EBRA et Sipa-Ouest France représentent à eux deux le tiers de la diffusion globale de la presse quotidienne.

Les ressources de la PQR reposent sur trois piliers : les ventes de journaux, la publicité et la diversification, en particulier l'événementiel, qui permet de vendre les titres moins cher que leur coût de revient - un exemplaire dont la valeur faciale est comprise entre 1,10 et 1,30 euro coûte en réalité entre 1,50 et 1,80 euro.

L'un des grands enseignements de nos auditions est que les modèles économiques diffèrent grandement. Certains titres, comme Ouest France , font porter l'essentiel de leurs efforts sur les ventes et la publicité, tandis que Le Télégramme de Brest , par exemple, a axé son modèle sur l'événementiel - la légendaire Route du Rhum, les Francofolies, le Printemps de Bourges ou encore l'ultra-trail du Mont-Blanc.

La Marseillaise organise le Mondial de la pétanque, tandis que sur la même aire géographique, le titre La Provence se trouve au coeur d'une guérilla juridique entre le groupe NJJ et CMA-CGM, dans l'attente des investissements massifs qui seront rapidement nécessaires.

Enfin, il faut également évoquer le développement d'une presse locale purement en ligne, dont le fer de lance demeure Marsactu qui couvre les Bouches-du-Rhône. Si la presse en ligne bénéficie maintenant, comme je l'avais appelé de mes voeux à l'époque, d'une aide dédiée, elle peine encore à trouver un modèle économique viable, entre « Mediapart local » à accès payant (Marsactu) ou gratuit financé par la publicité.

Quelle est aujourd'hui la situation de cette PQR ?

Malgré la grave crise traversée par le secteur, nous pouvons nous féliciter de la résistance de ses titres par rapport à la presse quotidienne nationale (PQN). En effet, la PQR n'a perdu « que » 37 % de ses ventes entre 2010 et 2021, quand la presse quotidienne nationale en a perdu les trois quarts. Cela illustre bien la fidélité de son public et son enracinement dans les territoires.

Pour autant, la diffusion globale de la PQR a diminué dans des proportions équivalentes à celle du secteur de la presse, soit 30 %.

Cette spécificité de la PQR constitue aujourd'hui sa principale faiblesse.

Les ventes et les abonnements en version papier étant quatre fois plus rémunérateurs que les versions numériques, la PQR a bénéficié du fort attachement de son lectorat pendant des années pour préserver ses marges, alors que la situation de la presse quotidienne nationale s'est rapidement dégradée.

France Soir et La Tribune sont certes les seuls grands titres de PQN qui ont disparu depuis 2010, mais la moitié des autres titres ont changé de propriétaire dans des conditions souvent complexes. Pour autant, cette crise a poussé les titres de PQN à adapter leur modèle économique à la révolution numérique, souvent avec l'aide d'investisseurs puissants et au prix d'investissements très significatifs.

Le paysage de la presse quotidienne est donc scindé entre une presse nationale diffusée en grande partie sous format numérique et une presse régionale qui privilégie encore très largement les ventes d'exemplaires physiques.

Or le contexte actuel s'avère très défavorable à la vente d'éditions papier, ce qui fragilise la PQR, désormais confrontée à une crise conjoncturelle et à un environnement économique très défavorable marqué par la dégradation de ses recettes et l'augmentation de ses coûts.

En effet, alors que les ventes s'érodent sur ses canaux de distribution traditionnels sans que le numérique suffise à compenser les pertes, les recettes publicitaires sont elles aussi en diminution depuis des années. En dépit des avancées des négociations relatives aux droits voisins et de la décision de l'Autorité de la concurrence en date du 21 juin dernier, le modèle économique de la PQR est gravement menacé.

Celui-ci repose encore sur des coûts fixes importants, adaptés à une situation où les ventes d'exemplaires papier sont encore nombreuses. Or tel n'est plus le cas, et le futur n'est guère porteur.

Dans ce cadre, le Gouvernement a dû assumer une partie des coûts du plan réseau imprimerie (PRIM) de redimensionnement des imprimeries à hauteur de 36 millions d'euros, comme il l'avait fait en 2008 pour la presse quotidienne nationale.

Notons au passage que la presse, comme pour Presstalis, devenu France Messagerie, recourt régulièrement à des crédits publics, parfois même pour pallier ses erreurs de gestion ou d'anticipation...

Le sujet le plus souvent évoqué dans nos auditions a été sans conteste le coût du papier. Plusieurs facteurs se sont cumulés pour justifier l'envolée des coûts : développement de la livraison à domicile, qui a réorienté les chaînes de production vers les emballages, prix de l'énergie, perte dans notre pays des principaux producteurs... Depuis le début de l'année, le prix de la tonne de papier est passé de 400 à 750 euros.

Le bilan pour les éditeurs dépend des contrats passés, des relations avec les producteurs et des capacités à jouer sur la pagination et le prix.

Il convient par ailleurs de souligner qu'entre 2009 et 2019, le prix par exemplaire du papier avait baissé, passant de 10 à 8 centimes. Pour autant, en tenant compte de tous les effets, j'estime le coût pour la presse quotidienne entre 80 et 100 millions d'euros, et le double pour toute la filière presse.

Je ne sous-estime pas la responsabilité des éditeurs, qui ont négligé d'investir dans leurs sources d'approvisionnement, et des pouvoirs publics, qui ont laissé s'éteindre une production nationale. Le choc n'en demeure pas moins rude pour des éditeurs fragilisés par dix années de baisse des tirages et deux années de pandémie. C'est pourquoi je vous proposerai une mesure d'accompagnement.

J'en viens enfin à la fin de l'exemption dont bénéficie la presse pour régler l'éco-contribution.

Lorsqu'en 2017, la France a fait le choix courageux d'inclure la presse dans le régime de responsabilité élargie du producteur (REP), ce qui a conduit les collectivités à dimensionner leurs infrastructures pour traiter et recycler le papier journal, les éditeurs ont bénéficié d'une dérogation prévue par le droit européen pour verser leur contribution à Citeo en nature, soit en encarts publicitaires dans leurs pages sensibilisant les lecteurs à l'importance du tri et du recyclage des journaux.

Conformément au droit européen, l'article 72 de la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire a mis un terme à ce régime dérogatoire au 1 er janvier 2023. À compter cette date, les éditeurs devront acquitter une contribution, cette fois-ci financière, pour un montant d'environ 22 millions d'euros.

Si la fin du dispositif dérogatoire est connue et acceptée bon gré mal gré depuis deux ans, elle apparaît comme insupportable dans le contexte actuel à de nombreux éditeurs, qui s'indignent « que la presse soit considérée comme un déchet », d'autant plus que tous les pays n'ont pas fait ce choix.

J'en viens aux recommandations que je vous propose d'adopter.

La PQR affronte une équation complexe. Elle doit, d'une part, préserver un marché de la vente papier auquel beaucoup de ses lecteurs sont encore attachés, mais dont les coûts de fabrication comme de diffusion sont aujourd'hui croissants, et d'autre part, investir massivement dans le numérique pour répondre aux nouvelles attentes de son lectorat.

Si la PQR est en partie responsable, par manque d'anticipation et de volonté collective d'agir, compte tenu de son importance pour la démocratie et la vie locale, le secteur doit maintenant être accompagné par l'État dans sa nécessaire transition.

Je vous propose donc huit recommandations, regroupées au sein de quatre thèmes.

Le premier est l'accompagnement du développement numérique.

Si je ne crois pas être de bonne politique de gonfler l'enveloppe d'aides à la presse, ma première recommandation est d'élargir aux investissements dans le numérique le taux de subvention super bonifié de 70 %, contre 60 % actuellement.

Le deuxième thème est relatif à la sensibilisation des pouvoirs publics.

Par ma recommandation n° 2, reprise du rapport de la mission flash de l'Assemblée nationale relative aux aides à la presse régionale et locale, je propose d'ajouter aux critères examinés par la commission départementale d'aménagement commercial pour autoriser l'ouverture de commerces la présence d'un stand de presse dans les zones dites « blanches ».

La recommandation n° 3 vise à élargir le pass Culture aux abonnements papier.

J'en viens au troisième thème, qui a trait à l'accompagnement du choc inflationniste.

S'il est clair que l'État n'a pas vocation à tout compenser, je propose par ma recommandation n° 4 une aide à court terme, limitée à 2022, partielle et réservée aux titres en difficulté, dont le montant reste à déterminer. Je crois important de faire une place à la concertation au sein de la filière, en contrepartie d'engagements de la part de celle-ci.

À plus long terme, il sera impératif que les crédits de France Relance soient également utilisés pour aider à rebâtir une filière nationale de production de papier. Tel est l'objet de la recommandation n° 5.

Le quatrième et dernier thème est relatif à Citeo.

Je propose un dispositif à deux étages au travers des recommandations n os 6 et 7.

Dans un premier temps, il faut interroger la Commission européenne quant à la possibilité de poursuivre le paiement en nature par la voie des encarts de presse pour les éditeurs. Les collectivités, qui peuvent utiliser à leur profit ces encarts, pourraient être d'une certaine façon indemnisées, pour un temps au moins.

En cas d'accord des autorités européennes, il faudrait, d'ici à la fin de l'année, mettre en débat au Parlement une éventuelle modification de l'article L. 541-10-19 du code de l'environnement.

Si la Commission européenne ne retenait pas cette interprétation, il me paraîtrait pertinent, pour cette seule première année, que l'État compense aux éditeurs les 22 millions d'euros qu'ils devront verser, charge à eux de s'acquitter de l'éco-contribution dès 2024.

Enfin, la recommandation n° 8 invite les éditeurs à réfléchir à la modulation à la baisse, en se rendant plus vertueux en matière environnementale.

Chacun voit le résultat de ce travail, qui révèle notre inquiétude pour la survie de cette presse, laquelle qui encaisse depuis des années des chocs répétés.

M. Jérémy Bacchi . - Nous partageons les inquiétudes sur l'avenir de la PQR, à laquelle les Français sont attachés, mais il y a tout de même des leviers à activer. Plusieurs problématiques s'imposent à nous, parmi lesquelles le coût du papier. À ce titre, je partage la recommandation visant à utiliser les crédits de France Relance pour la filière papier. Les problèmes à laquelle celle-ci est confrontée ne relèvent pas seulement de la conjoncture, ils sont antérieurs à la crise inflationniste actuelle, ils durent dans le temps, et cela risque de faire disparaître certains titres. Le coût des transports est, lui, plus lié à la conjoncture et pèse également sur les titres, même s'il est indirect et concerne surtout la distribution.

Concernant les autres difficultés, le virage du numérique n'a pas toujours été pris dans les temps, alors même que les ratios de recettes entre papier et numérique vont de un à quatre. Toutefois, le coût du passage au numérique est très lourd et certains des titres, parmi les deux tiers d'entre eux qui ne sont pas affiliés à un grand groupe, ne peuvent le financer. Cela pose la question de la concentration des titres et de la pluralité de la PQR.

Les préconisations vont plutôt dans le bon sens, même si je serais allé plus loin. Elles prennent la mesure de la problématique. Suffiront-elles à enrayer le déclin de la PQR et les coups conjoncturels que celle-ci subit ? Nous ne le saurons que dans quelques années, et j'espère qu'alors il ne sera pas trop tard.

Enfin, il nous faut analyser la baisse d'engagement des collectivités locales, lesquelles sont de grandes contributrices aux budgets de la PQR au travers des annonces légales et des publicités. Or leurs budgets sont en baisse, avec un impact dramatique. Cela nécessite donc une certaine anticipation pour que les entreprises de presse puissent disposer de ressources plus diversifiées. L'événementiel est, certes, une possibilité, mais le marché n'est pas infini et les événements qui fonctionnent bien ont souvent été créés il y a des décennies, quand la PQR disposait encore des ressources propres suffisantes pour leur donner naissance.

Mme Alexandra Borchio Fontimp . - J'approuve les recommandations du rapporteur sur un sujet important, les médias de proximité, qui sont aussi un facteur de cohésion sociale.

J'évoquais hier l'évolution de l'éco-contribution avec le directeur de la rédaction de Nice-Matin , qui me confiait ses craintes. En effet, un décret prévoit que, à compter du 1 er janvier 2023, les entreprises de média ne pourront plus verser l'éco-contribution en nature, au travers de publicité vantant le recyclage, par exemple, mais subiront un prélèvement financier pour un total de 15 à 20 millions d'euros, qui pourrait encore augmenter. Cette décision me semble être un non-sens : les consommateurs ont en effet besoin d'être orientés de manière simple, voire ludique, et la publicité joue ce rôle. Il est regrettable que cette éco-contribution soit vidée de sa substance et se mette à peser sur le budget des éditeurs.

Mme Sylvie Robert . - Je partage le constat de l'attachement des Français à cette PQR, qui peut encore s'amplifier à l'occasion de phénomènes dramatiques ou d'élections. Les alliances avec les autres médias territoriaux, tels que France 3 et France Bleu, se développent et cela me semble intéressant.

Connaissez-vous le montant des droits voisins perçus par la PQR ? Il y a un problème de transparence en matière de remontée de ces sommes : nous ne les connaissons pas. La question dont nous débattons est pourtant aussi économique et financière.

S'agissant des recommandations, je ne suis pas certaine que l'extension du pass Culture à la presse papier soit un levier efficace, mais enfin, pourquoi pas ? Dans ma région, Ouest France règne, avec un modèle très singulier, et Le Télégramme , dans mon département, ne paraît qu'en numérique.

L'événementiel est en effet une vraie question ; les alliances avec d'autres médias sont intéressantes pour cela : les Vieilles Charrues, par exemple, font l'objet de partenariats qui suscitent un lectorat énorme. Ouest France et Le Télégramme sont offerts à tous les participants, ce qui emporte un coût important pour la direction de l'événement. Il est vrai, cependant, que cela vaut surtout pour les manifestations d'envergure installées de longue date.

Enfin, je rappelle que cette évolution de l'éco-contribution concerne seulement l'année 2023.

Mme Monique de Marco . - Je suis très attachée à la PQR. Dans le Sud-Ouest, Sud Ouest a le monopole de l'information sur toute notre région.

Quelle est la part des revenus publicitaires de la PQR ? Elle doit être importante, si j'en crois la présence de grands encarts publicitaires. Cela a été souligné également dans les auditions de la commission d'enquête sur la concentration.

S'agissant des recommandations, je souhaite inclure le numérique dans la recommandation n° 3.

M. Michel Laugier , rapporteur . - C'est déjà le cas.

Mme Monique de Marco . - Je suis dubitative sur la recommandation n° 6. 22 millions d'euros attribués à Citeo, c'est important. Peut-être faut-il étudier le financement de la mesure, mais il me semble qu'il importe de maintenir cette évolution. Je suis inquiète de la perspective de modifier le code de l'environnement, car cela pourrait susciter un débat qui ne me semble pas souhaitable.

Notre groupe soutiendra ce rapport.

M. Pierre-Antoine Levi . - J'ai participé à quelques auditions et je partage les recommandations du rapporteur. Il s'agit de défendre la liberté d'expression, de renforcer la pluralité et de développer la diffusion des informations. Après avoir constaté les conséquences de la crise sanitaire, je suis convaincu qu'il faut intégrer la presse papier au pass Culture, pour sensibiliser la jeunesse à la lecture de la presse. En outre, dans un contexte d'inflation générale, il paraît en effet judicieux d'investir dans la reconstruction d'une filière papetière indépendante. Ainsi, l'approvisionnement serait sécurisé pour ce secteur lourdement affecté par la crise.

S'agissant de la concentration, il est vrai que certains groupes régionaux se trouvent en situation de monopole. Ne pourrait-on pas imaginer un mécanisme de minoration des aides en cas de comportement monopolistique ?

Le groupe centriste votera l'ensemble des recommandations du rapporteur.

M. Bernard Fialaire . - Je connais également l'attachement des citoyens à la PQR, en particulier des personnes âgées. Le lien qui les maintient dans l'engagement civique passe souvent par cette presse, laquelle est alors à la fois une source importante d'information et une stimulation.

Je rappelle que 24 % des revenus de la PQR proviennent de la publicité. Or des études américaines ont prouvé le lien entre l'existence d'une PQR et la citoyenneté. Quelle est la part de la publicité issue des collectivités territoriales ? Je constate souvent la présence d'encarts massifs ainsi que d'articles qui paraissent complaisants. Au vu des résultats des dernières élections régionales et départementales, on peut s'interroger sur la reconduction quasiment intégrale de certains exécutifs locaux !

Mme Laurence Garnier . - Il faut rappeler que cet enjeu économique est essentiel. Ce qui se joue, c'est la place que l'on veut faire à une sorte de pensée complexe qui n'a plus cours au travers des médias nationaux et des réseaux sociaux et que le rôle de la PQR est d'alimenter. À ce titre, la question du lectorat jeune est primordiale, pour préparer l'avenir économique du secteur.

Votre proposition d'élargir le pass Culture à la souscription des abonnements en version papier est excellente. Dans mon territoire, Ouest France et Presse Océan , entre autres, mènent un travail exemplaire auprès des jeunes lecteurs via des concours et des actions pédagogiques dans les classes.

Comment notre commission peut-elle renforcer les liens entre le monde de l'éducation et la presse locale ? Nous aurions tous à y gagner, car, sur les réseaux sociaux, les jeunes lecteurs sont confrontés à une pensée synthétique et bien souvent caricaturale.

Mme Laure Darcos . - Je salue le travail de Michel Laugier. Dans mon territoire, Le Parisien n'est quasiment plus accessible qu'en version numérique et a perdu beaucoup de lecteurs. Le Républicain de l'Essonne s'adresse davantage aux élus locaux et aux seniors. Heureusement, les collectivités territoriales soutiennent à bout de bras ces petits journaux.

Ma question porte sur les annonces légales. Le Républicain de l'Essonne constate avec désespoir que les tribunaux de commerce et les tribunaux administratifs souscrivent de moins en moins d'abonnements. Le nombre d'annonces légales diminue. Peut-on inciter les acteurs juridiques à agir autrement ? Le principe de séparation des pouvoirs nous empêche d'inciter les tribunaux à favoriser les petits journaux locaux.

M. Jean-Raymond Hugonet . - Je m'associe aux louanges adressées à Michel Laugier.

Quelle est la valorisation des actifs immobiliers pour les groupes de la PQR encore propriétaires de leurs murs ? Dispose-t-on d'informations à ce sujet ?

Mme Sonia de La Provôté . - Je m'associe également aux éloges de mes collègues sur la qualité du rapport.

Il est difficile de distinguer la question de la PQR de celle des télévisions et des radios locales. Nous avions déjà débattu de la présence de France Bleu dans les territoires. Ce sujet est essentiel pour l'accès à l'information. La concentration des médias tend à créer un prêt-à-penser qui se reproduit facilement. Or la PQR ne réagit pas systématiquement aux sujets qui feront vendre : elle propose une information documentée et diversifiée. En outre, le rôle des correspondants locaux est essentiel. Il est vital de préserver la PQR et je me réjouis des propositions du rapporteur.

La PQR accompagne aussi de petits événements locaux : son rôle de mécène est d'utilité publique.

M. Michel Laugier , rapporteur . - Je vous remercie pour vos propos et vos questions.

Il était impossible d'aborder tous les sujets dans ce rapport consacré à la PQR. Il s'agissait avant tout d'une photographie de la situation actuelle, avec l'augmentation du prix du papier et la hausse du coût de transport.

Nous devons aider la PQR maintenant ; après, il sera trop tard. Nos échanges avec les éditeurs ont montré que nous devions aller plus loin.

Monsieur Bacchi, la concentration des médias peut certes avoir des effets négatifs, mais elle permet aussi parfois de sauver des titres de presse grâce à l'arrivée d'investisseurs.

Madame Borchio Fontimp, la fin de l'exemption dont bénéfice la presse pour régler l'éco-contribution à Citeo représente un problème majeur. Les éditeurs étaient conscients de la situation. Toutefois, l'échéance du 1 er janvier 2023 arrive au plus mauvais moment. Quelle sera la situation l'année prochaine ? L'une de mes recommandations vise à compenser l'éco-contribution pour la seule année 2023. Nous essayons par ailleurs d'influencer le cours des choses au niveau européen.

Madame Robert, la PQR occupe une place primordiale dans les territoires. Nous y sommes tous très attachés. Je rappelle que la PQR a joué un rôle essentiel durant la pandémie.

Les revenus issus des droits voisins sont tenus secrets par les éditeurs. Au départ, les groupes de presse ont négocié seuls avec les plateformes, tandis qu'ils préfèrent aujourd'hui mandater l'Alliance de la presse d'information générale (APIG). L'ensemble des revenus issus des droits voisins représenteraient une somme comprise entre 10 et 20 millions d'euros.

Madame de Marco, l'éco-contribution devant être versée le 1 er janvier 2023 à Citeo représente un montant de 22 millions d'euros. Cela s'ajoute à l'augmentation du prix du papier - qui représente un surcoût de 100 millions d'euros pour la presse - et à la hausse des coûts de transport. Jusqu'à présent, en contrepartie de l'exemption du paiement de l'éco-contribution, les éditeurs étaient tenus de réserver des encarts publicitaires afin d'inciter les consommateurs à adopter des comportements respectueux de l'environnement.

Monsieur Levi, la question des monopoles a été traitée par la commission d'enquête sur la concentration des médias en France. La Dépêche du Midi et Midi libre font partie du même groupe : cela permet à la PQR de survivre.

Monsieur Fialaire, la publicité représente 24 % des ressources de la PQR. Les collectivités territoriales sont parfois des partenaires des titres de presse, et parfois des concurrents, via leurs supports de communication dont certains contiennent de la publicité. Nous ne disposons pas du pourcentage de publicité placée dans la PQR par les collectivités territoriales.

Madame Garnier, nous souhaitons favoriser les rapprochements entre la presse et la jeunesse.

Madame Darcos, certains éditeurs ne survivent que grâce aux annonces légales, qui représentent un poids important pour les finances locales.

Monsieur Hugonet, je ne dispose pas d'étude précise relative aux actifs immobiliers de la PQR. En revanche, le président de La Provence nous a indiqué que la vente des actifs fonciers du groupe avait rapporté 36 millions d'euros. Cette somme permet de faire vivre le journal, mais c'est le dernier bas de laine qui était à leur disposition : sans cela, celui-ci n'aurait pas pu se maintenir.

M. Jean-Raymond Hugonet . - La transition numérique des journaux nécessite moins d'espace. Les réserves foncières alors libérées peuvent être achetées par des entreprises qui ne visent pas les mêmes buts que les acteurs de la PQR.

M. Michel Laugier , rapporteur . - Plusieurs titres de la PQR ne gagnent pas beaucoup d'argent. Le pluralisme n'a pas de prix, mais il a un coût.

Les recommandations sont adoptées.

La commission adopte à l'unanimité le rapport d'information et en autorise la publication.

M. Laurent Lafon , président . - Je vous remercie pour la qualité de nos échanges.


* 1 Political Consequences of the Endangered Local Watchdog: Newspaper Decline and Mayoral Elections in the United States https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/1078087419838058 .

* 2 Franck Bousquet et Pauline Amiel, La Presse Quotidienne régionale, éditions La Découverte, 2022.

* 3 Nicolas Théry et Philippe Carli (groupe EBRA) et Louis Echelard (Ouest-France) le 10 janvier 2022, Jean-Michel Baylet (La Dépêche du Midi) le 3 février 2022 et Xavier Niel (Nice Matin) le 13 février 2022. Les trois premiers groupes ont été de nouveau entendus par la mission d'information.

* 4 Les auditions ont fait l'objet de captations et de comptes rendus disponibles sous ce lien : http://www.senat.fr/commission/enquete/2021_concentration_des_medias_en_france.html

* 5 https://www.senat.fr/rap/a20-143-42/a20-143-424.html#toc57

* 6 https://www.culture.gouv.fr/Thematiques/Presse/Documentation/Chiffres-Statistiques

* 7 Le Monde en 2010 (par Xavier Niel, Mathieu Pigasse et Pierre Bergé), Libération en 2014 (Patrick Drahi), Aujourd'hui en France et Les Échos en 2015 (groupe LVMH).

* 8 Les chiffres avant cette période ne sont pas significatifs.

* 9 Ce dernier site recouvrant au demeurant également un titre de PQN, Aujourd'hui en France.

* 10 Le Rapporteur a consacré une étude spécifique aux kiosques numériques dans son avis budgétaire sur le projet de loi de finances pour 2019 : https://www.senat.fr/rap/a18-151-42/a18-151-42.html

* 11 En particulier dans les avis budgétaires du Rapporteur et lors de l'examen de la proposition de loi de David Assouline sur les droits voisins des éditeurs et des agences de presse : http://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl17-705.html

* 12 À noter que les montants précis demeurent couverts par le secret des affaires.

* 13 https://www.autoritedelaconcurrence.fr/sites/default/files/integral_texts/2022-06/22d13.pdf

* 14 Données tirées des séries statistiques de l'INSEE : https://www.insee.fr/fr/statistiques/serie/010534136

* 15 Vitamine ou morphine : quel avenir pour les aides à la presse écrite ? Rapport d'information de M. Roger Karoutchi, fait au nom de la commission des finances n° 692 (2020-2021) - 16 juin 2021 https://www.senat.fr/notice-rapport/2020/r20-692-notice.html

* 16 https://www2.assemblee-ationale.fr/content/download/339072/3322266/version/1/file/Note+de+synth%C3%A8se+Presse.pdf

* 17 http://www.senat.fr/commission/enquete/2021_concentration_des_medias_en_france.html

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