C. UNE RELATION DURABLEMENT FRAGILISÉE

1. Le risque politique d'un retour de la droite populiste au pouvoir

Le rapprochement actuel des États-Unis et de l'Europe, notamment dans le contexte de la guerre en Ukraine, reste tributaire de la situation politique du pays.

Or, alors que se profilent les élections de mi-mandat (les midterms ), qui verront en novembre prochain le renouvellement de la Chambre des Représentants et d'un tiers du Sénat, l'administration Biden est en position de faiblesse au plan politique . Elle fait face à une opinion publique divisée et polarisée, dont une partie (correspondant aux deux tiers de l'électorat républicain), ne la reconnait pas comme légitime, et ne peut compter que sur une courte majorité au Congrès , aussi bien à la Chambre des Représentants (222 sièges sur 435) qu'au Sénat (50 sièges sur 100), ce qui l'oblige à rechercher des voix dans l'opposition pour faire passer les réformes.

Les midterms sont traditionnellement perdues par le parti au pouvoir. La popularité de Joe Biden n'est pas bonne (41% d'opinions positives) et ne devrait pas s'améliorer avec l'inflation galopante. D'ores et déjà, l'administration Biden a beaucoup de mal à faire passer ses réformes de fond (en témoigne le blocage au Sénat du grand plan de dépenses sociales et environnementales Build Back Better , du fait de l'opposition d'un sénateur de l'aile droite du parti républicain Joe Manchin). Elle est confrontée à des difficultés au plan intérieur , avec notamment la série de décisions conservatrices de la Cour Suprême (remise en cause du droit constitutionnel à l'avortement, confirmation de la liberté d'accès aux armes à feu, limitation du pouvoir de l'État fédéral dans la lutte contre le changement climatique...), conséquences des nominations de la présidence Trump.

Cependant, même si elle rendrait difficile l'exercice de la seconde partie du mandat de Joe Biden, la perte des élections de mi-mandat n'aurait sans doute que des effets limités sur la politique étrangère.

Le risque est plus important en ce qui concerne la prochaine élection présidentielle compte tenu de la fin du consensus bipartisan qui s'observe dans ce domaine (sauf en ce qui concerne la Chine).

De fait, on observe une modification des clivages traditionnels en matière de politique étrangère, la ligne de fracture n'étant plus entre la droite et la gauche, mais entre le centre et les extrêmes . Dans ce « jeu des quatre familles », la fraction -minoritaire - néo-conservatrice de la droite républicaine, autour du sénateur de Floride Marco Rubio, et l'aile modérée du parti démocrate se rejoignent dans une même vision « internationaliste libérale » de la politique étrangère, favorable à une implication des États-Unis dans les affaires du monde, alors que la frange nationaliste du parti républicain, dans la lignée de Donald Trump, et dans une moindre mesure la gauche du parti démocrate autour de Bernie Sanders, défendent des positions isolationnistes et anti-OTAN (et, a contrario , plutôt favorables à la défense européenne et à la prise en charge par les Alliés de leur propre sécurité).

Il n'y a donc plus de garantie sur la stabilité et l'orientation de la politique étrangère aux États-Unis .

Si les incertitudes politiques demeurent fortes concernant la prochaine élection présidentielle, le trumpisme s'est enraciné et se prépare activement 37 ( * ) . Comptant sur une base électorale forte (74 millions d'électeurs en 2020, soit 11 millions de plus qu'en 2016), qui a totalement adhéré à la thèse du « Big Lie », le courant trumpiste a expurgé le parti républicain de ses dissidents au Congrès et dans les États et a mis la main sur les finances et les appareils locaux, se garantissant le contrôle lors des élections. De nombreux intellectuels et activistes, rassemblés sous la bannière MAGA 38 ( * ) , travaillent à la préparation d'un agenda conservateur nationaliste offensif, rejetant le « wokisme » et prétendant sauver la civilisation occidentale. L'accession au pouvoir de ce mouvement, même s'il prend parfois ses distances par rapport à la figure de Donald Trump, signifierait immanquablement le retour à une politique étrangère nationaliste et isolationniste voyant dans les Alliés des passagers clandestins qui font porter aux États-Unis la charge de leur sécurité.

En outre, quelle que soit la couleur politique qui l'emportera lors de la prochaine élection présidentielle, il est à peu près certain qu'une pression s'exercera à moyen terme pour concentrer les ressources vers la Chine et désengager les États-Unis du continent européen.

2. Des liens humains et culturels distandus

Un constat souvent fait par nos interlocuteurs au cours des auditions est celui d'un certain relâchement des liens humains et culturels qui rattachaient traditionnellement les États-Unis à l'Europe .

Ces liens plongent leurs racines dans l'histoire, celle des colons partis d'Angleterre, d'Irlande ou de France pour peupler l'Amérique puis, plus tard, celle des deux guerres mondiales dans lesquelles la participation américaine fut déterminante. Pendant la Guerre froide, le continent européen restait au coeur des enjeux géostratégiques des États-Unis.

A partir de la fin de la Guerre froide cependant, l'Europe perd progressivement sa centralité politique et culturelle pour les États-Unis qui, après le 11 septembre 2001, se mettent à regarder vers le Moyen-Orient et bientôt, à mesure de sa montée en puissance, vers la Chine (le fameux « pivot asiatique » engagé par Barack Obama et poursuivi par Donald Trump).

L'évolution démographique des États-Unis, avec l'arrivée de vagues d'immigration extra-européenne (latinos, asiatiques) contribue aussi à un certain éloignement culturel .

Ce mouvement s'est traduit jusqu'à récemment par un moindre intérêt dans les thinks tanks pour les questions européennes et par une perte de connaissance de l'Europe et de ses institutions.

Alors que des figures de la politique étrangère comme Zbigniew Brzeziñski, Henry Kissinger ou encore Madeleine Albright étaient nées en Europe et avaient un lien culturel fort avec celle-ci, c'est moins le cas des générations qui suivent.

Même s'il y a bien sûr des exceptions, beaucoup de responsables dans les administrations ou de politiques au Congrès connaissent assez mal l'Europe et a fortiori l'organisation et le fonctionnement de l'Union européenne, ce qui les conduit à privilégier les relations bilatérales avec les États européens. Réciproquement, de nombreuses élites françaises connaissent insuffisamment les États-Unis et leur fonctionnement institutionnel.


* 37 « L'emprise de Trump et du trumpisme sur les États-Unis », Maya Kandel, Institut Montaigne, 3 janvier 2022.

* 38 MAGA : Make America Great Again.

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