TRAVAUX EN COMMISSION

Examen en commission (mercredi 6 juillet 2022)

M. Jean-François Longeot , président . - Nous avons le plaisir de nous retrouver aujourd'hui pour l'examen du rapport et des propositions de nos collègues Martine Filleul, Pascal Martin et Philippe Tabarot, sur les risques liés au transport et au stockage de produits à base de nitrate d'ammonium.

L'explosion survenue à Beyrouth, au Liban, le 4 août 2020, a mis en lumière les risques liés au transport et au stockage de produits à base de nitrate d'ammonium.

Je rappelle que ces produits se distinguent en deux grands types d'usage : d'une part, un usage agricole, avec les engrais à base de nitrate d'ammonium, à haut dosage ou à moyen dosage, que l'on appelle les ammonitrates, et d'autre part, un usage technique, pour la fabrication d'explosifs, notamment dans l'industrie minière et les carrières.

Précisons d'emblée que nous ne pouvons pas faire de comparaison entre la situation libanaise et la situation française. À Beyrouth, il s'agissait de 2 750 tonnes de nitrate d'ammonium technique, destiné à la fabrication d'explosifs, lequel ne représente qu'une part infime du trafic en France, soit environ 50 000 tonnes, importées pour l'essentiel par la route. Par ailleurs, cette matière était stockée depuis plus de sept ans dans un entrepôt portuaire après avoir été abandonnée par son propriétaire.

À la suite de cet accident dramatique, qui a provoqué la mort de 204 personnes et en a blessé plus de 6 500 autres, le ministère de la transition écologique et le ministère de l'économie ont chargé le Conseil général de l'économie, de l'industrie, de l'énergie et des technologies (CGEIET) et le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) de mener une mission conjointe sur la gestion des risques liés à la présence d'ammonitrates dans les ports maritimes et fluviaux. Cette mission a rendu son rapport en mai 2021.

À l'automne 2021, avec mon accord et celui de Didier Mandelli, nos trois rapporteurs ont lancé un cycle d'auditions et de déplacements sur ce sujet. L'objectif était de dresser un état des lieux du cadre normatif applicable à la gestion des risques liés aux ammonitrates ainsi qu'aux contrôles réalisés par l'inspection des installations classées et de formuler des propositions d'évolution, afin de parvenir à une meilleure conciliation entre la réponse aux besoins actuels des professionnels pour la production agricole et le nécessaire renforcement de la prévention des risques associés à ces produits.

Pour cela, ils ont procédé, en décembre 2021, en notre présence, en audition plénière, à l'audition des inspecteurs qui ont rédigé le rapport que j'évoquais tout à l'heure, puis à une audition des acteurs économiques concernés, en janvier 2022. Ils ont également pu interroger le directeur général de Voies navigables de France (VNF) sur ce sujet, en janvier 2022. En outre, nous avons reçu en commission des représentants des administrations centrales concernées, en février dernier. Enfin, les rapporteurs ont rencontré le président du Conseil supérieur de la prévention des risques technologiques (CSPRT), M. Jacques Vernier, qui leur a décrypté les échanges ayant eu lieu au sein de ce dernier concernant les projets de modifications réglementaires des seuils de la rubrique de la nomenclature des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) qui concernent le stockage des ammonitrates, soumis à consultation publique en début d'année 2022.

Les rapporteurs ont également réalisé deux déplacements de terrain : le premier, en décembre 2021, en Seine-Maritime, où ils ont rencontré les professionnels du port fluvial d'Elbeuf, qui accueille des ammonitrates, ainsi que les services de l'État à Rouen, et visité un site de production d'ammonitrates du groupe Borealis ; le second, auquel j'ai participé, dans le Grand-Est, où nous nous sommes rendus dans les ports fluviaux de Metz et Neuves-Maisons ainsi que dans une coopérative agricole, en présence des services déconcentrés de l'État.

M. Pascal Martin , rapporteur . - Nous vous présentons aujourd'hui nos premières conclusions sur la gestion des risques liés au transport et au stockage de nitrate d'ammonium.

Je m'attacherai à vous faire part d'un certain nombre d'informations sur la gestion des risques liés aux produits à base de nitrate d'ammonium et à vous présenter la méthode dont nous sommes convenus, avec le président Longeot, Didier Mandelli et mes deux collègues rapporteurs Philippe Tabarot et Martine Filleul, pour présenter nos recommandations et conclure nos travaux. Je laisserai ensuite la parole à mes deux collègues, qui vous présenteront nos premières recommandations.

Comme l'a rappelé le président, nos travaux ont été lancés à la suite de la mission conjointe du CGEDD et du CGEIET, qui ont relevé certaines insuffisances dans la réglementation sur la prévention des risques liés au nitrate d'ammonium dans notre pays, au stade du transport, d'une part, et du stockage, d'autre part.

L'intérêt de ce travail a été renforcé lorsque le Gouvernement a annoncé son intention, en janvier 2022, de faire évoluer, à la baisse, les seuils fixés pour les différents régimes de stockage d'ammonitrates au sein de la réglementation des ICPE.

Sur le fond, tout d'abord, les ammonitrates d'usage agricole se divisent principalement en deux catégories : les ammonitrates à moyen dosage, qui présentent peu de risques, et les ammonitrates haut dosage, qui sont classés comme des matières dangereuses dans la réglementation internationale et nationale.

Ce dernier produit présente trois principaux risques : le premier, l'explosion, varie selon la teneur en nitrate d'ammonium des produits et la présence d'impuretés pouvant accélérer la décomposition. Le deuxième, la décomposition, induit des fumées nocives contenant de l'acide nitrique, de l'ammoniac et des oxydes d'azote. Le troisième est le risque terroriste, en particulier pour les produits à forte concentration en nitrate d'ammonium. Lors de l'attentat survenu dans le centre d'Oslo en 2011, le terroriste avait acquis une société à vocation agricole pour acheter plusieurs tonnes d'ammonitrates à haut dosage.

Sur le plan de l'accidentologie, 62 incidents liés au nitrate d'ammonium ont pu être recensés dans le monde depuis 1904, mais cette liste est loin d'être exhaustive. Parmi les incidents les plus graves, on distingue notamment trois explosions à la suite d'un amorçage, qui ont provoqué la mort de plusieurs dizaines de personnes ; seize explosions à la suite d'un incendie, provoquant là aussi des centaines de morts et parfois des milliers de blessés.

En France, depuis l'accident de Saint-Romain-en-Jarez de 2003, qui avait blessé 26 personnes, on n'a plus constaté aucun accident grave du fait de ce produit. Toutefois, les incidents mettant en cause du nitrate d'ammonium sont nombreux et apparaissent généralement dans des fermes agricoles ou au cours du transport par route.

L'élément le plus important à retenir est sans doute que, si la probabilité d'occurrence d'un accident est faible avec les ammonitrates, le danger reste très élevé. L'explosion survenue dans l'usine AZF de Toulouse en 2001 est encore présente dans toutes les têtes. Les 300 tonnes de nitrate d'ammonium - ce qui semble assez faible par rapport au volume global - impliquées dans l'explosion avaient entraîné 31 morts et plus de 2 000 blessés. Des dégâts matériels majeurs avaient également été recensés dans la ville de Toulouse, jusqu'à cinq kilomètres du lieu de l'explosion.

Autre chiffre intéressant s'agissant des installations où les accidents sont principalement constatés : deux tiers des incidents ont lieu sur des sites de stockage - pour 48 % d'entre eux - et sur des navires - pour 18 %.

J'en viens à la méthode retenue pour rendre nos conclusions. Au début de notre mission, nous pensions pouvoir vous dresser un panorama général de la gestion des risques liés au nitrate d'ammonium portant tant sur le transport que sur le stockage de ces produits. Toutefois, plusieurs éléments nous ont conduits à devoir reporter la présentation de nos recommandations sur le stockage agricole. Nous évoquerons donc aujourd'hui le seul transport.

D'abord, le conflit à l'Est de l'Europe, né de l'agression de l'Ukraine par la Russie, a entraîné une augmentation très importante du prix des engrais agricoles, du fait de la hausse des prix du gaz. Dans ce contexte, il nous a paru nécessaire d'assurer une stabilité du cadre légal et réglementaire applicable aux ammonitrates. L'objectif actuel doit être de garantir la continuité des approvisionnements, à des prix raisonnables si possible pour nos agriculteurs.

En ce sens, nous avons souhaité tenir compte des demandes unanimement exprimées par les professionnels des secteurs concernés, qui sont entièrement mobilisés sur l'enjeu de l'approvisionnement, pour garantir une situation normale lors des prochaines campagnes d'épandage. Je note que le Gouvernement a annoncé le report de la publication de plusieurs textes réglementaires relatifs au stockage d'ammonitrates, qui visaient à abaisser le seuil du régime de déclaration pour les ammonitrates haut dosage en vrac ou en grands sacs, dans la nomenclature des ICPE.

Ensuite et surtout, à ce jour, il nous manque toujours des données indispensables pour formuler des recommandations dans le domaine du stockage agricole. Nous avons, en effet, besoin de disposer d'une étude d'impact économique globale et d'une photographie précise de la situation actuelle des sites de stockage. Les premières données que nous avons recueillies auprès du ministère de la transition écologique et du ministère de l'intérieur ne suffisent pas, à l'heure actuelle, pour dresser une image fidèle de la situation et des enjeux.

Une seconde mission d'inspection a été demandée par le Gouvernement aux inspecteurs du CGEDD et du Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) afin d'évaluer les conséquences économiques d'un abaissement des seuils du régime de déclaration et du régime d'autorisation de la nomenclature des ICPE s'agissant des ammonitrates. Cette mission a démarré ses travaux en juin et doit durer six mois, jusqu'en décembre 2022, au plus tôt. Elle mettra à notre disposition des données précises.

Dans l'attente de ces éléments, indispensables pour éclairer notre travail de recommandations, nous avons choisi de disjoindre ce volet. C'est pourquoi mes collègues Philippe Tabarot et Martine Filleul concentreront leurs propos du jour sur la gestion des risques liés au transport, par voie maritime et fluviale, des ammonitrates.

S'agissant de la gestion des risques liés au stockage de ces produits, je vous donne rendez-vous un peu plus tard dans l'année, ainsi que je l'ai expliqué, lorsque nous aurons pu prendre connaissance des éléments de ce rapport et ajuster notre analyse, qui pourrait porter tant sur le seuil d'autorisation que sur le seuil de déclaration du régime ICPE.

Mme Martine Filleul , rapporteure . - J'ai le plaisir de vous présenter deux axes de nos travaux : d'une part, le renforcement de la connaissance des flux de matières dangereuses dans notre pays, en particulier s'agissant des ammonitrates haut dosage et, d'autre part, la clarification des responsabilités dans la gestion de ces matières dans le secteur fluvial et maritime.

Le premier axe de notre rapport consiste à renforcer la surveillance des flux de transport de matières dangereuses, en particulier dans les ports fluviaux et maritimes.

La France, premier producteur de céréales en Europe, se caractérise par une forte consommation d'ammonitrates haut dosage, avec environ 1 500 kilotonnes consommées en moyenne chaque année, que ce soit en vrac, pour le tiers de la consommation environ, ou en sacs. Ces produits sont issus à la fois de notre production nationale, qui s'élève à 1 700 kilotonnes par an, et de l'importation, pour 290 kilotonnes par an. Une petite partie de notre production, de l'ordre 180 kilotonnes, est destinée aux exportations, qui sont effectuées à 80 % via nos ports maritimes.

Ces flux d'ammonitrates affectent l'ensemble des infrastructures de transport. S'agissant des importations, nous avons pu recueillir les informations suivantes : les ports maritimes sont la principale porte d'entrée des ammonitrates haut dosage ; ils enregistrent 45 % des importations. Sept ports sont concernés : d'une part, les grands ports maritimes de Rouen, de Nantes Saint-Nazaire ainsi que le grand port maritime de La Réunion et, d'autre part, les ports de commerce décentralisés de Saint-Malo, de Saint-Brieuc, des Sables-d'Olonne et de Rochefort. Vient ensuite la route, avec 38 % des importations d'ammonitrates haut dosage. Le transport fluvial représente environ 17 % de ces flux. Très peu d'importations sont, en revanche, réalisées par la voie ferroviaire. Au total, le transport fluvial et maritime accueille donc plus de 60 % des importations d'ammonitrates haut dosage.

Cependant, les importations ne représentant que 20 % de notre consommation d'ammonitrates haut dosage, cette photographie n'est que partielle et ne suffit pas à donner une image fidèle de l'ensemble des flux. Et pour cause, et c'est bien là le premier constat de notre rapport : il n'existe pas de système qui permette de suivre de manière précise et centralisée les flux d'ammonitrates haut dosage dans notre pays.

La voie d'eau est emblématique de cette lacune. Si le secteur fluvial ne constitue pas le point le plus sensible de la chaîne d'approvisionnement en ammonitrates, du fait de tonnages bien inférieurs à ceux que l'on constate dans les ports maritimes, le trafic y est particulièrement difficile à appréhender, d'autant plus qu'il n'existe pas de recensement exhaustif des ports intérieurs et que ceux-ci ne reposent pas sur un cadre juridique aussi précis que les ports maritimes.

En se fondant sur les conclusions de la mission du CGEDD-CGEIET, nous identifions toutefois des flux d'ammonitrates haut dosage sur le réseau grand gabarit, localisés sur la Seine, avec le port d'Elbeuf, la Moselle, avec les ports de Metz et Neuves-Maisons, ainsi que sur le Rhin, avec le port autonome de Strasbourg et le port d'Ottmarsheim, sans pouvoir les quantifier précisément.

La première recommandation de notre rapport est donc d'améliorer la connaissance des flux de matières dangereuses par voie maritime et fluviale, qui constitue un préalable indispensable pour mener une politique de prévention des risques efficace au sein de ces infrastructures.

Tout d'abord, si les ports maritimes disposent d'un système de surveillance du trafic de matières dangereuses formalisé, il serait nécessaire de faciliter l'agrégation des données au niveau national. Nous proposons, dans la lignée des recommandations du rapport du CGEDD, la mise en place d'un outil informatique unique de collecte des informations relatives au trafic de matières dangereuses dans les ports maritimes, qui serait interopérable avec le guichet unique maritime et portuaire.

S'agissant du secteur fluvial, nous constatons que la surveillance des flux de matières dangereuses est nettement moins organisée. Le code des transports prévoit une obligation d'annonce pour les navires transportant des matières dangereuses, applicable dans certains secteurs fluviaux définis localement. L'annonce doit notamment indiquer le type et la quantité de matière transportée et être adressée à Voies navigables de France. Nous constatons que cette mesure est appliquée de manière inégale sur le territoire : si elle semble bien mise en oeuvre sur certains axes, comme le Rhône et le Rhin, en vertu d'un accord international, ce n'est pas toujours le cas sur la Seine. D'ailleurs, l'administration indique disposer de peu d'informations sur l'application de cette mesure à l'échelle du territoire national.

Nous proposons donc de rendre plus effective l'obligation d'annonce concernant les navires transportant des matières dangereuses sur la voie fluviale, en élargissant localement son périmètre d'application.

En outre, nous souhaitons que les antennes territoriales de VNF transmettent ces informations aux administrations concernées afin de faciliter leur consolidation au niveau national. Pour ce faire, nous invitons le Gouvernement à doter VNF d'un outil informatique de gestion dématérialisée de ces opérations. Par ailleurs, nous l'alertons sur la nécessité de prendre en compte les charges induites par cette mission dans l'évolution des moyens financiers mais aussi humains de VNF, qui subit, depuis plusieurs années, une trajectoire de baisse de ses effectifs.

J'en viens à présent au deuxième axe de notre rapport : clarifier la répartition des responsabilités de la gestion des matières dangereuses dans le secteur fluvial et maritime.

Dans le transport fluvial, une multitude d'acteurs intervient, parmi lesquels les directions départementales des territoires (DDT), qui délivrent les autorisations de navigation des bateaux et assurent des missions de police de la navigation, les gendarmeries fluviales, qui contrôlent les navires en mouvement et, dans certains cas, les contrôleurs des transports terrestres issus des directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal).

L'organisation des ports fluviaux est, du reste, très souple en comparaison du secteur maritime, et ceux-ci ne disposent pas, par exemple, d'une autorité clairement investie d'un pouvoir de police des matières dangereuses. Partant de ces constats, le rapport du CGEDD-CGEIET a souligné la difficulté à identifier un « interlocuteur qui se sente globalement responsable pour le trafic de matières dangereuses » dans les ports fluviaux.

En comparaison, la répartition des responsabilités paraît bien plus lisible dans les ports maritimes : la police des matières dangereuses y est exercée par des agents de l'État affectés aux capitaineries, qui sont placées sous l'autorité de la direction du port, comme c'est le cas dans les grands ports maritimes, ou sous celle du préfet ou de l'autorité portuaire dans les ports décentralisés. Le rapport du CGEDD-CGEIET indique toutefois que certaines capitaineries des grands ports maritimes font parfois face à des situations ambiguës, dans lesquelles l'autorité portuaire ne se sent pas pleinement investie du pouvoir de police portuaire, tandis que la préfecture n'a que peu de responsabilités en la matière. Le rapport souligne, en outre, que les capitaineries se trouvent souvent isolées dans l'exercice de leurs missions, faute d'une véritable animation de leur réseau au niveau national.

Afin de clarifier la répartition des rôles et des responsabilités de chacun, nous proposons l'élaboration d'une instruction précisant les tâches respectives des services centraux et déconcentrés dans la gestion des matières dangereuses dans le secteur fluvial et maritime, indiquant également les modalités de coordination entre ces services.

M. Philippe Tabarot , rapporteur . - Il me revient de vous présenter le dernier axe de notre rapport, qui est peut-être le plus central : comment mieux encadrer la gestion des produits à base de nitrate d'ammonium dans les infrastructures fluviales ?

D'emblée, nous avons constaté d'importantes disparités dans l'appréhension des matières dangereuses entre les ports maritimes et fluviaux.

Dans le secteur maritime, la gestion des produits à base de nitrate d'ammonium fait l'objet d'une réglementation stricte et étoffée. Les ammonitrates haut dosage étant considérés comme une matière dangereuse par le droit international, leur transport par voie maritime est rigoureusement encadré par la réglementation issue de l'Organisation maritime internationale (OMI).

S'agissant des ports, les opérations de manutention sont encadrées par un règlement national, le règlement pour le transport et la manutention des matières dangereuses dans les ports maritimes, dit « RPM », publié en 2000. Ce texte réglemente notamment les opérations de chargement et déchargement et, surtout, les dépôts à terre, qui peuvent être autorisés à condition de respecter des règles strictes de sécurité. Le règlement national doit être précisé et adapté localement, par l'intermédiaire de règlements élaborés dans chaque port maritime.

Bien que déjà satisfaisante, la réglementation applicable aux ports maritimes a encore été renforcée récemment, par un arrêté publié en février 2022, lequel a rehaussé la distance minimale à respecter entre deux îlots d'ammonitrates haut dosage, désormais comprise entre 8 et 14 mètres, selon la quantité considérée, au lieu de 4 mètres auparavant. Il a aussi renforcé l'obligation de gardiennage des îlots et en a abaissé à 250 tonnes la taille maximale, contre 600 tonnes auparavant.

Dans les ports fluviaux, la situation apparaît plus inquiétante et lacunaire : s'il existe un règlement international - l'accord dit « ADN » - pour encadrer les opérations de transport de matières dangereuses par voie terrestre, celui-ci comprend peu de dispositions concernant les opérations de manutention. En audition, l'un des auteurs du rapport du CGEDD avait d'ailleurs qualifié la situation des ports fluviaux d'« artisanale » en comparaison des ports maritimes. Ce constat est d'une certaine façon confirmé par l'administration centrale, un représentant de la direction générale de la prévention des risques (DGPR) ayant indiqué, lors de l'audition organisée en février dernier devant notre commission, que, en matière de gestion des matières dangereuses, nous ne disposions pas de « matrice réglementaire » dans les ports fluviaux.

Ces constats ne doivent pas conduire à l'alarmisme. Lors des déplacements effectués avec mes collègues rapporteurs, que ce soit dans le petit port d'Elbeuf ou dans les ports plus imposants de Metz et de Neuves-Maisons, nous avons observé des pratiques particulièrement professionnelles et responsables. Par ailleurs, les flux d'ammonitrates haut dosage demeurent modestes dans les ports fluviaux par rapport aux ports maritimes.

Toutefois, nous estimons que le transport de matières dangereuses par le fleuve présente des perspectives de développement, ne serait-ce que grâce au canal Seine-Nord Europe, qui, d'après VNF, permettrait de multiplier par quatre le trafic fluvial sur l'axe nord-sud d'ici la fin de la décennie.

Notre commission soutient avec constance le report modal vers la voie d'eau. J'ai d'ailleurs été à l'origine de l'article 131 de la loi « Climat et résilience », qui fixe l'objectif d'augmenter de moitié le trafic fluvial dans le transport intérieur de marchandises d'ici à 2030.

Surtout, l'accidentologie liée aux ammonitrates haut dosage démontre que même une faible quantité de cette matière, si elle est stockée dans de mauvaises conditions ou prise dans un incendie, peut occasionner des dégâts importants.

Afin d'accompagner un développement du fret fluvial respectueux des conditions nécessaires de sûreté et de sécurité, il est donc de notre responsabilité de mettre en place un cadre réglementaire clair et précis auquel les acteurs fluviaux puissent se référer en matière de gestion des matières dangereuses.

Nous proposons donc que soit élaboré un règlement national sur le transport et la manutention de matières dangereuses par voie fluviale, qui serait le pendant du règlement qui existe aujourd'hui dans le secteur maritime. Ce texte encadrera mieux les dépôts à terre d'ammonitrates haut dosage, mais également d'autres matières dangereuses, en fonction des quantités de marchandises en cause.

Le Gouvernement a lancé en mars dernier des travaux en vue d'élaborer un tel règlement. Si nous regrettons que le Gouvernement ait attendu la publication du rapport du CGEDD en mai 2021 pour aborder ce sujet, nous saluons cette initiative et souhaitons qu'elle aboutisse dans les meilleurs délais.

Afin de tenir compte des configurations locales, le règlement national doit être décliné dans les ports fluviaux, que ce soit pour le préciser ou pour l'adapter. Cette souplesse étant prévue dans les ports maritimes, il nous semble nécessaire d'en faire également bénéficier le secteur fluvial. Nous souhaitons que ces règlements locaux ne soient toutefois que facultatifs, à l'inverse de ce qui est pratiqué dans le secteur maritime, pour ne pas alourdir les contraintes pesant sur les ports fluviaux et pour tenir compte des importantes disparités existant entre eux, en termes de trafics de matières dangereuses et d'organisation interne.

Il est urgent de mettre au point une véritable politique de maîtrise des risques liés à la manutention de matières dangereuses dans le secteur fluvial et de pallier les carences actuelles de notre réglementation. Afin de permettre aux ports fluviaux d'anticiper cette évolution, nous proposons toutefois une date butoir pour la parution du règlement national au 1 er janvier 2024.

Par ailleurs, nous avons constaté la non-transposition dans notre droit d'une mesure issue de l'accord ADN, qui impose l'identification dans les règlements locaux relatifs à la police de la navigation fluviale des lieux sur lesquels les chargements et déchargements de matières dangereuses sont autorisés.

Nous appelons donc les préfets à se mettre en conformité avec la réglementation internationale sans tarder. Cette mesure permettra également aux services de l'État de disposer d'une vision plus précise des flux d'ammonitrates constatés sur la voie fluviale et de faciliter les contrôles.

En complément, nous souhaitons améliorer les contrôles effectués avant la mise sur le marché des ammonitrates haut dosage issus de l'importation. Ces engrais doivent respecter un ensemble de prescriptions prévues par la réglementation européenne, visant à garantir non seulement l'absence d'effets indésirables pour l'homme ou l'environnement, mais aussi le respect de caractéristiques physico-chimiques et la réalisation de tests de détonabilité. Le contrôle de cette réglementation est organisé par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) au niveau de l'administration centrale ; il est effectué, au niveau local, par les directions départementales de la protection des populations (DDPP), qui effectuent une douzaine de prélèvements par an dans les ports maritimes.

Nous souhaitons toutefois que la transmission d'informations entre les ports et l'administration déconcentrée soit davantage formalisée - la mission du CGEDD avait, en effet, identifié des lacunes à ce niveau entre les capitaineries et les services déconcentrés - et que les ports fluviaux soient intégrés à ces contrôles lorsqu'ils accueillent d'importantes quantités d'ammonitrates.

Nous proposons ainsi de définir un programme de contrôle annuel, concernant à la fois les ports maritimes et fluviaux et visant à cibler les importations d'ammonitrates qui présentent les plus importants enjeux de conformité avec la réglementation européenne, et de clarifier les modalités de coopération entre les différents services locaux. Une telle évolution permettrait de mieux garantir la qualité des ammonitrates haut dosage dès leur entrée sur le marché et, ainsi, de réduire à la source les risques d'incidents au sein de nos infrastructures.

Mes chers collègues, nous avons tenté d'apporter des réponses concrètes afin d'assurer la sécurité de nos ports. Nous avons veillé à ne pas ajouter de contraintes ou normes supplémentaires et de charges financières pour l'État. Nous ne voulons en aucun cas freiner le développement du fret maritime et fluvial, que notre commission appelle de ses voeux.

M. Jean-François Longeot , président . - Merci aux rapporteurs pour le pragmatisme dont ils ont su faire preuve. Effectivement, nous n'avons pas besoin de réglementations supplémentaires.

M. Jean-Michel Houllegatte . - Depuis l'incident de l'usine AZF à Toulouse en 2001 ou les explosions de Beyrouth en 2020, la sensibilité à la question du stockage est plus grande. Nous pourrions réduire le risque à la source. Disposez-vous de données sur la consommation de l'agriculture française en nitrate d'ammonium ?

Il existe un projet de décret sur la réduction des volumes de stockage à 150 tonnes. Nous avons vu une levée de boucliers dans la profession. Le décret est-il appliqué ?

Quant à la dissémination des points de stockage pour lutter contre la concentration, comment aborder cette question alors qu'il faut respecter des exigences de sûreté des installations et éviter des problèmes logistiques ? Comment concilier ces injonctions contradictoires ?

M. Pascal Martin , rapporteur . - Le décret est actuellement suspendu. Le seuil fixé aura des conséquences sur l'éparpillement des zones de stockage. Nous attendons les décisions du Gouvernement. Ces questions seront abordées lorsque nous aborderons le deuxième volet de nos travaux, dans quelques mois.

Auprès des coopératives agricoles, nous avons constaté que les agriculteurs sont déjà sensibilisés à l'utilisation de ces produits. Les chambres d'agriculture travaillent déjà à l'information et à l'élaboration de formations.

Mme Martine Filleul , rapporteure . - Le niveau de consommation des ammonitrates interroge sur ce que nous souhaitons pour l'agriculture française. La France est le premier producteur de céréales en Europe ; à ce titre, elle consomme 1 500 kilotonnes d'ammonitrates haut dosage chaque année, en moyenne.

Les ammonitrates moyen dosage sont majoritairement importés - ils représentent 1 000 kilotonnes par an -, mais les ammonitrates haut dosage sont fabriqués en France. La souveraineté agricole française est en jeu.

M. Bruno Belin . - Existe-t-il un risque d'usage des ammonitrates pour des visées terroristes ?

M. Pascal Martin , rapporteur . - Les services de l'État prennent déjà bien en compte les problématiques de prévention et de sûreté.

M. Bruno Belin . - C'est aussi une question de traçabilité. Savons-nous qui achète quoi ?

M. Pascal Martin , rapporteur . - Nos recommandations vont dans ce sens.

M. Gérard Lahellec . - Il est tout à fait pertinent de s'intéresser au stockage.

Les capitaineries jouent un rôle tout à fait important pour contrôler en toute transparence. Vous demandez clairement à l'État, dans votre rapport, de s'engager mieux pour construire les outils de la transparence, qui permettront sans doute également de définir des orientations pertinentes en matière de stockage demain. Merci pour le travail accompli et pour cet exercice de transparence, qui est essentiel.

M. Didier Mandelli . - Peu de préconisations ont une portée législative. Quelles suites comptez-vous donner à ce rapport ?

M. Philippe Tabarot , rapporteur . - Nous souhaitons présenter ce travail à notre nouveau ministre de la transition écologique, pour le sensibiliser à ces questions ; beaucoup de points sont essentiellement réglementaires, et son administration travaille déjà sur le sujet. Il est nécessaire que les équipes du ministère s'imprègnent de ce rapport. Nous solliciterons un rendez-vous.

M. Jean-François Longeot , président . - Plus personne ne demande la parole... ?

Nous allons passer au vote.

Les recommandations sont adoptées.

La commission adopte, à l'unanimité, le rapport d'information et en autorise la publication.

Audition de représentants des administrations centrales sur la présence de nitrates d'ammonium dans les ports (mercredi 23 février 2022)

M. Jean-François Longeot . -- Je suis heureux de vous retrouver pour cette dernière étape de notre cycle d'auditions sur la prévention des risques liés aux ammonitrates dans les ports. À la suite de l'explosion qui a dévasté la ville de Beyrouth le 4 août 2020, le Gouvernement a chargé le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) et le Conseil général de l'économie, de l'industrie, de l'énergie et des technologies (CGE) de diligenter une mission commune sur la prévention des risques liés à la présence d'ammonitrates dans les ports fluviaux et maritimes.

Le rapport, publié en mai 2021, conclut que si le transit de matières dangereuses fait l'objet d'un encadrement clair et de contrôles réguliers dans les ports maritimes, la situation diffère dans les ports fluviaux, dans lesquels, je cite le rapport, « le partage des responsabilités est plus incertain », y compris s'agissant des ammonitrates à haut dosage qui présentent les risques les plus élevés s'ils sont stockés dans de mauvaises conditions ou pris dans un incendie.

Compétente en matière de transports et de prévention des risques, notre commission a décidé d'examiner ce sujet de près : notre objectif est donc de dresser un état des lieux de la prévention des risques liés aux ammonitrates à haut dosage dans notre pays, que ce soit au stade du transport ou du stockage afin, si nécessaire, d'envisager un renforcement de notre réglementation.

Nos travaux ont débuté en décembre dernier. Nous avons entendu les auteurs du rapport CGEDD-CGE ainsi que des représentants des acteurs économiques intervenant à divers stades de la chaîne d'approvisionnement (industrie chimique, fabricants d'engrais et coopératives agricoles) ainsi que Voies navigables de France (VNF).

Afin de confronter la matière issue des auditions à la réalité du terrain, une délégation de notre commission s'est rendue dans le département de la Seine-Maritime, plus précisément au port fluvial de Saint-Aubin-lès-Elbeuf et sur le site de l'usine Borealis, qui constitue le plus grand site de production d'ammonitrates en France.

Un autre déplacement est prévu au mois de mars, dans le Grand Est, afin de nous rendre notamment dans les ports fluviaux de Metz et de Neuves-Maisons. Un appel à candidatures à cet effet sera lancé prochainement.

Pour poursuivre nos travaux sur ce sujet, nous avons le plaisir de recevoir ce matin trois représentants des administrations centrales concernées à titre principal par ce sujet : Madame Murielle Bouldouyre, chef du bureau des affaires fluviales, Monsieur Nicolas Trift, sous-directeur des ports et transports fluviaux et Monsieur Philippe Merle, chef de service des risques technologiques.

Avant de céder la parole à mes collègues et afin de lancer nos échanges, je souhaite vous interroger sur trois points : premièrement, comment jugez-vous le niveau de protection globale en France s'agissant des ammonitrates à haut dosage, que ce soit au stade de leur transport ou de leur stockage ?

Deuxièmement, certains critiquent la méthodologie du rapport du CGEDD, indiquant que les acteurs concernés n'auraient pas été suffisamment entendus et que certains constats seraient trop « alarmistes » : partagez-vous cette impression ? Globalement, quelle est votre appréciation sur les conclusions de ce rapport ?

Enfin, quelles suites avez-vous déjà données à ce rapport ? Outre le projet de décret sur les seuils de déclaration des sites de stockage et l'arrêté qui vient d'être publié sur les conditions de stockage du nitrate d'ammonium dans les ports maritimes, des mesures complémentaires sont-elles en cours de préparation ?

M. Philippe Merle, chef du service des risques technologiques au ministère de la transition écologique .- Je commencerai par répondre au nom de la Direction générale de la prévention des risques (DGPR). Comme vous venez de l'indiquer, Monsieur le Président, la question du transport, et particulièrement celle du transport maritime et des opérations annexes, n'est qu'une partie de la question. Je vais donc commencer par quelques propos plus généraux.

Vous le savez, les produits à base de nitrate d'ammonium comprennent les explosifs - comme à Beyrouth - et les engrais, qui ont subi une opération de « prilling » , autrement dit d'enrobage ou de grelonage, visant à limiter les surfaces d'échange. Quand on cherche une propriété explosive, il faut que l'ammonitrate soit comme une sorte d'éponge. Quand on cherche une propriété fertilisante, il faut au contraire limiter les surfaces d'échange entre le nitrate d'ammonium et des éléments extérieurs.

Lorsque cette opération se passe mal, elle produit des éléments « déclassés » et nous renvoie à l'accident d'AZF. Lorsque cette opération se passe bien, cela conduit d'abord à produire de l'ammonitrate haut dosage.

Si l'on souhaite obtenir un moyen dosage, qui présente des risques nettement inférieurs, il faut le mélanger. Cela entraîne une opération supplémentaire et il faut davantage d'ammonitrates pour obtenir la même quantité d'azote.

Autrement dit, il est tout à fait logique que l'intérêt des producteurs d'ammonitrates soit de vendre du haut dosage dans les pays qui le permettent, dont la France, sachant que les producteurs sont essentiellement constitués d'un duopole norvégien et autrichien.

Le principal risque des ammonitrates, concernant les engrais non déclassés, est l'incendie, car ces produits n'explosent pas à température ambiante. En revanche, en cas d'incendie et quand il y a un apport de combustible pour une raison x ou y on se retrouve dans une situation où une détonation peut se produire, détonation qui est d'ailleurs tout à fait spectaculaire. Citons par exemple l'accident d'Oppau en Allemagne en 1921 - 560 morts -- ou celui survenu sur des navires à Texas City en 1947, qui a entraîné 580 morts, ainsi que l'accident qui a eu lieu à Brest la même année, ou encore celui de Saint-Romain-En-Jarez en 2003 pour 10 tonnes de matière, qui a occasionné 9 morts.

En France, l'ammonitrate à haut dosage est majoritaire et représente environ 60 % de la consommation contre environ 40 % pour le moyen dosage, ce qui est assez atypique.

On trouve ces produits dans les ports maritimes. Compte tenu de l'évolution des connaissances techniques récapitulées dans un rapport de l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris), nous avons fait évoluer les règles sur le dépôt à terre, qui est une opération de déchargement exceptionnelle.

En principe, le déchargement s'effectue dans un cadre régi par le droit international et doit être direct, c'est-à-dire qu'il doit être effectué du navire vers un autre moyen de transport.

Il peut toutefois arriver, exceptionnellement et dans des conditions encadrées, que nous soyons contraints de faire un dépôt à terre. Dans les ports maritimes, le dépôt à terre en vrac est interdit. En cas d'incendie, il est plus difficile de déplacer le chargement que s'il se trouve dans des big bags .

Pour les dépôts à terre, la réglementation impose un dépôt en big bags , avec des îlots d'une quantité limitée et des espacements minimum. Les règles régissant ces îlots ont été fortement durcies par l'arrêté publié cette semaine au Journal officiel sur la base du rapport de l'Ineris que je mentionnais.

Voilà pour les ports maritimes.

La mission du CGEDD et du CGE a toutefois constaté qu'il pouvait exister un contournement de cette règle d'interdiction du dépôt à terre en vrac et de limitation stricte du dépôt à terre en big bags dans des ports fluviaux, notamment situés à proximité immédiate de ports maritimes. Nous avons engagé des travaux interministériels et avec la profession, afin de parvenir à des dispositions similaires à celles des ports maritimes, dans le cadre d'un règlement des ports fluviaux qui serait l'homologue des règlements des ports maritimes et qui donnerait lieu à des règlements locaux, comme c'est le cas aujourd'hui pour chaque port maritime. Les travaux et consultations nécessaires vont débuter très prochainement.

Voilà pour le transport et les opérations connexes.

En ce qui concerne les lieux de stockage, le régime en vigueur est celui de l'autorisation, qui correspond à des dangers et des inconvénients graves, à partir, seulement, de 1 250 tonnes. Le régime de déclaration s'impose, pour les ammonitrates à haut dosage, à partir de 500 tonnes, vrac et big bags compris ; le seuil de déclaration pour le vrac seul est quant à lui fixé à 250 tonnes.

À la suite à l'accident Saint-Romain-En-Jarez que j'évoquais tout à l'heure, le Conseil supérieur des installations classées, ancêtre du Conseil supérieur de la prévention des risques technologiques (CSPRT) avait préconisé de descendre le seuil de déclaration en vrac à 100 tonnes et le seuil d'autorisation à 500 tonnes.

À ce stade, le projet de décret, soumis à la consultation du public, concerne uniquement le seuil de déclaration et viserait à ramener ces seuils de 500 tonnes et 250 tonnes à 150 tonnes. Vous n'ignorez pas que les professionnels et producteurs considèrent que cela pose un certain nombre de difficultés.

Pour terminer mon propos liminaire, je rappellerai que le choix de la France consiste à encadrer plus fortement les substances les plus dangereuses, c'est-à-dire le haut dosage et plus particulièrement en vrac. D'autres pays, en Europe et en dehors, ont choisi d'interdire les ammonitrates haut dosage et/ou le haut dosage en vrac ou de mettre en place des conditions extrêmement draconiennes.

Toutefois, ce choix est compliqué à mettre en oeuvre et il est nécessaire de prévoir une période transitoire. En effet, la répartition du haut et du moyen dosage n'est pas homogène sur le territoire et il est, par exemple, beaucoup plus aisé de trouver du haut dosage que du moyen dosage dans le sud de la France. Une interdiction du jour au lendemain ne permettrait donc pas d'assurer la continuité de la production agricole. C'est une autre voie possible, mais ce n'est pas celle que nous suivons. À ce stade, nous avons choisi de renforcer l'encadrement sur les stockages. Pour les ports maritimes, c'est fait. Pour les ports fluviaux, c'est en cours.

M. Nicolas Trift, sous-directeur des ports et du transport fluvial - Ministère de la transition écologique - Direction générale des infrastructures, des transports et de la mer . - S'agissant des ports maritimes, nous rejoignons les conclusions du rapport inter-inspections : le transit des matières dangereuses, notamment des ammonitrates, est encadré à la fois par un règlement national et des règlements locaux, qui adaptent le règlement national aux configurations portuaires particulières et qui font l'objet de contrôles par les capitaineries des ports, qui sont tenues par des agents de l'État, des officiers de port. La mission inter-inspections a ainsi considéré que les risques concernant les ports maritimes sont maîtrisés.

Concernant le transport fluvial, vous l'avez souligné, la mission émet quelques recommandations, sur la base des constats qu'elle a faits.

Le transport de matières dangereuses par voie fluviale est régi par la réglementation internationale et nationale, qui porte sur les bateaux, les équipements et la qualification des personnels.

Mme Muriel Bouldouyre, cheffe du bureau des voies navigables au ministère de la transition écologique . - Le transport fluvial de matières dangereuses obéit à une réglementation extrêmement précise et engageante, imposant la détention d'un certificat « ADN », en vertu d'un accord européen relatif au transport intérieur de matières dangereuses, qui doit être renouvelé tous les 5 ans.

Un contrôle étroit est opéré par l'administration en France, notamment par les services en charge de la sécurité de la navigation intérieure des directions départementales des territoires (DDT). La profession est très encadrée et soumise à des exigences de sécurité et de conformité technique des bateaux qui sont extrêmement précises et très contrôlées.

M. Jean-François Longeot . - Je cède la parole à nos trois rapporteurs.

M. Pascal Martin . - Merci pour les éléments dont vous venez de nous faire part, qui prolongent les échanges que nous avons eus ces dernières semaines. Je souhaiterais vous poser plusieurs questions, qui s'adressent plutôt à M. Merle.

La recommandation n° 7 du rapport CGEDD-CGE préconise que la DGPR et les DREAL privilégient les ICPE soumises à déclaration stockant des ammonitrates à haut dosage dans le cadre de l'action nationale 2021. Cela a-t-il bien été mis en oeuvre en 2021 ? Combien de contrôles et de visites d'inspection ont eu lieu en 2021 ? Des sites relevant du régime de la déclaration ont-ils été contrôlés ? Quelles situations avez-vous observées ?

Concernant la prévention des risques dans les installations de stockage, vous avez fait allusion à la consultation publique sur un projet de décret proposant d'abaisser à 150 tonnes (au lieu de 250 tonnes pour le vrac et 500 tonnes pour les big bags ) le seuil de déclaration des installations de stockage d'ammonitrates à haut dosage.

Cela suscite des réactions assez vives, notamment de la part des exploitants agricoles, qui avancent des critiques de deux ordres. Premièrement, ils indiquent que cet abaissement de seuil, en contraignant l'utilisation des ammonitrates à haut dosage, risque d'inciter les agriculteurs à privilégier le moyen dosage, ce qui poserait selon certains acteurs plusieurs difficultés. D'une part, une telle évolution fragiliserait la souveraineté alimentaire de la France, puisque les ammonitrates à moyen dosage sont en grande partie importés. D'autre part, cela induirait une hausse des quantités de produits mises sur les routes et donc, des émissions polluantes, puisque les agriculteurs devront utiliser davantage d'engrais pour conserver les mêmes rendements.

Deuxièmement, certains acteurs estiment que l'abaissement du seuil de déclaration pour le haut dosage conduirait à davantage concentrer les stockages d'ammonitrates dans certains sites, ce qui aurait pour effet d'augmenter les risques localement.

Selon vous, ces inquiétudes sont-elles fondées ? Une étude d'impact environnementale et économique a-t-elle été réalisée dans le cadre de la rédaction de ces projets de textes ? Enfin, pourquoi avoir choisi d'abaisser le seuil de déclaration à la fois pour le vrac et le big bag alors que ces derniers présentent moins de risques, comme vous l'avez rappelé vous-même ? Ne pensez-vous pas qu'il serait plus judicieux de renforcer uniquement la réglementation relative aux ammonitrates à haut dosage utilisés en vrac afin d'inciter les exploitants agricoles à privilégier les produits conditionnés ?

Enfin, vous avez évoqué votre volonté de rapprocher les régimes en vigueur dans les ports maritimes et dans les ports fluviaux et je salue cette initiative, car il semble en effet que la réglementation dans les ports fluviaux soit insuffisante.

M. Philippe Tabarot . - En complément des questions posées par mon collègue et sur la base des échanges que nous avons déjà eus sur le terrain, j'aimerais vous poser des questions sur le fluvial, sur le maritime et sur le ferroviaire.

En prenant connaissance du premier arrêté du 7 février 2022 qui s'applique aux ports maritimes, il me semble que paradoxalement vous n'ayez pas commencé par traiter les problèmes là où ils sont les plus importants !

De même, le projet de décret et le projet d'arrêté évoqués, dont la consultation s'est achevée il y a une semaine, concernent les stockages agricoles.

Ma première question est donc la suivante : quid des ports fluviaux ? Travaillez-vous à une réglementation pour les ports fluviaux ? C'est notre principale inquiétude, Pascal Martin vous l'a très justement rappelée.

Concernant les ports maritimes, le rapport inter-inspections formule deux recommandations intéressantes : charger la DGITM et à la DGPR d'assurer un pilotage des capitaineries au niveau national, au moyen de réunions régulières, d'appui et de conseils ou encore de formations et de partage d'expérience, afin d'augmenter leur efficacité et développer un système de gestion des matières dangereuses unique pour tous les ports maritimes, au-delà des grands ports maritimes (GPM) permettant une consolidation des données au niveau national.

Quel regard portez-vous sur ces propositions et allez-vous concrètement les mettre en oeuvre ? Serait-il opportun d'étendre ce système de gestion unique à l'ensemble des ports fluviaux également ?

S'agissant du transport fluvial, le rapport inter-inspections souligne des écarts d'organisation entre les ports fluviaux et maritimes en ce qui concerne la gestion des matières dangereuses (absence de capitainerie et d'autorité chargée de la police portuaire ou des matières dangereuses notamment). Des évolutions réglementaires ou législatives vous sembleraient-elles pertinentes pour rendre plus robuste l'organisation des ports fluviaux sur ce point ?

J'en viens à ma question sur le ferroviaire, qui concerne une situation particulière. Lors d'une précédente audition sur ce sujet, notre collègue le sénateur Gilbert-Luc Devinaz, a porté à notre connaissance le cas d'une gare de triage dans le Rhône dans laquelle des matières dangereuses transitent et stationnent parfois de manière prolongée.

Ces gares deviennent de facto des espaces de stockage, sans que la législation nationale ne s'applique puisqu'elles sont soumises à la réglementation internationale sur le transport ferroviaire.

En revanche, les installations industrielles avoisinantes sont soumises à la directive « Seveso ». Cette situation est préoccupante à deux titres : d'une part, elle peut conduire à des contournements de la réglementation Seveso et, d'autre part, elle induit une différence de niveau de protection entre les riverains, selon le lieu où ils vivent. Avez-vous eu vent de cette situation ? Pouvez-vous nous confirmer cette situation ? Avez-vous connaissance d'autres cas de figure similaires sur le territoire ?

Est-ce que la réglementation internationale fait « écran » à l'obligation, prévue par l'article 6 de la loi de 2003 sur les plans de prévention des risques technologiques (PPRT) de réaliser une étude de danger pour l'infrastructure concernée dans le Rhône ?

Mme Martine Filleul . - Je souhaiterais que vous précisiez vos réflexions sur deux sujets : le transport d'ammonitrates en vrac et le transport fluvial, en complément des interventions de mes collègues rapporteurs.

La recommandation n° 8 du rapport inter-inspections vise à mieux réglementer le transport d'ammonitrates en vrac, à haut dosage non conditionnés, comme le prévoit le règlement 2019-1009 qui s'appliquera à compter du 16 juillet 2022. Prévoyez-vous des évolutions réglementaires d'ici le mois de juillet pour nous mettre en conformité avec ces nouvelles règles ?

Cette recommandation préconise également l'interdiction du chargement et du déchargement d'ammonitrates à haut dosage en vrac dans les ports fluviaux : avez-vous prévu, et si oui comment, de mettre cette proposition en application ?

Concernant le transport fluvial, le code des transports prévoit une obligation d'annonce lors du passage d'un bateau transportant des matières dangereuses sur une voie fluviale, mais celle-ci n'est pas transposée dans l'ensemble des règlements de navigation qui s'appliquent dans nos différents bassins fluviaux. Que pensez-vous de l'idée d'imposer cette transposition dans tous les règlements de navigation intérieure ?

Ensuite, le rapport inter-inspections préconise l'élaboration d'un règlement de transport et de manutention des matières dangereuses transportées par voie fluviale, qui serait le pendant du règlement applicable dans les ports maritimes. Il propose aussi que ce règlement soit décliné localement dans les règlements de police de navigation intérieure (RPPNI) par VNF et d'identifier les lieux de déchargement de matières dangereuses. Que pensez-vous de cette proposition ? Pensez-vous enfin que VNF devrait avoir un rôle plus important dans le suivi du trafic des matières dangereuses par voie fluviale ?

M. Philippe Merle . - L'action nationale 2021 a conduit à contrôler 246 installations, principalement pour vérifier le respect des conditions de stockage. 170 de ces installations relevaient des règles de placement ICPE dont 125 étaient soumises au régime de la déclaration. Sur ces 125 contrôles, nous avons malheureusement recensé plus 550 non-conformités qui ont conduit à 38 arrêtés de mise en demeure. Nous avons donc plus de 20 % d'installations qui présentent de véritables problématiques de non-conformité, ce qui représente une proportion importante. 34 % des non-conformités portaient sur l'obligation de tenue d'un état des stocks et la localisation des engrais, qui sont des sujets essentiels en cas d'incendie car il est nécessaire de savoir où se situent les stocks pour pouvoir les protéger. S'agissant de l'éloignement des stockages des matériaux combustibles, nous avons constaté 40 % de non-conformités, de même que sur le respect de la distance d'éloignement entre les engrais. Enfin, la non-réalisation des contrôles périodiques est apparue dans des proportions légèrement supérieures à ce qui est habituellement constaté. Il existe donc une vraie problématique de respect de la réglementation sur ces sites soumis à déclaration.

En ce qui concerne le haut et le moyen dosage, la différence d'un point de vue environnemental et agronomique n'est pas majeure et l'urée pose davantage de problèmes environnementaux. Déplacer le curseur du haut dosage vers l'urée poserait des difficultés à ce titre, mais déplacer le curseur vers le moyen dosage ne nous paraît pas primordial, au regard des enjeux de sécurité, voire de sûreté posés par le haut dosage qui ont conduit de nombreux pays à réglementer plus strictement, voire interdire le haut dosage. Cela entraînerait effectivement probablement un accroissement du trafic routier, mais le débat à ce sujet fait ressortir des positions contrastées. La consultation publique sur le projet de décret a donné lieu à une cinquantaine de commentaires, se regroupant en quatre catégories. Outre l'opposition frontale, qui est habituelle dans ce type de consultation, la première série d'arguments concerne l'absence d'étude d'impact. Nous avons eu beaucoup de rencontres avec des professionnels et nous leur avons demandé, de façon régulière, de nous fournir des informations afin d'évaluer où positionner le curseur pour être les plus efficients possible, mais, à part une réponse récente affirmant que la réforme allait conduire à fermer 40 % des sites, nous n'avons jamais obtenu les informations demandées pour étayer nos travaux. Quelques informations d'ordre économique nous ont été données sous le sceau d'une totale confidentialité, je vous invite donc à vous tourner directement vers les producteurs en question. Sur l'étude d'impact, nous avons fait ce que l'on pouvait avec ce dont on disposait.

Un autre argument portait sur l'inclusion des engrais mélangés avec du sulfate, mais cette question peut s'analyser de façon précise, afin de définir un abaissement de seuil qui ne concerne que les ammonitrates.

Enfin, le dernier argument porte sur la non-différenciation entre vrac et non-vrac, sachant que le Gouvernement nous a demandé de travailler sur un seuil à 150 tonnes pour les deux. Je rappelle qu'en 2005, à la suite de l'accident de Saint-Romain-En-Jarez qui a fait 9 morts, le Conseil supérieur des installations classées avait préconisé un seuil à 100 tonnes pour ce qui concerne le vrac. Si, à la fin des discussions, nous arrivons à moins de 150 tonnes pour le vrac et un peu plus de 150 tonnes sur le big bag , l'objectif est également atteint : cela envoie le signal que le haut dosage est un problème et encore davantage que le stockage en vrac est un problème.

Philippe Tabarot considérait que nous n'avions pas commencé par le plus impactant. Effectivement, nous avons peut-être commencé par le plus facile. Nous avions en effet l'occasion de modifier le règlement port maritime et nous avons fait ce qu'il fallait sur une problématique technique concernant la taille des îlots et la distance entre eux. En revanche, nous n'avons pas de matrice réglementaire concernant les ports fluviaux, mais elle est en cours de constitution. Les groupes de travail vont s'engager avec les professionnels dans les prochaines semaines, pour élaborer des règlements fluviaux déclinés par des règlements locaux. Je rappelle à ce sujet que la réglementation internationale sur le transport ne permet pas d'interdire le chargement/déchargement dans les ports maritimes, mais que nous pouvons encadrer ces opérations en fixant des lieux pour leur conduite. Nous pouvons en revanche interdire ou encadrer plus fortement le dépôt à terre, qui doit rester une exception justifiée, à défaut de pouvoir faire autrement, et soumise à des conditions sécurisées, avec des îlots plus écartés et de taille inférieure. Je rappelle que dans les ports maritimes, le dépôt en vrac est interdit. La même idée sera reprise pour les ports fluviaux. Cependant les ports fluviaux ne sont pas ma principale source d'inquiétude, elle porte plutôt les sites de stockage, que ce soit sous le régime de la déclaration ou de l'autorisation.

S'agissant de l'espace de stockage dans le Rhône évoqué par Philippe Tabarot, le code de l'environnement requiert effectivement une étude de danger au-dessus de certains seuils pour des infrastructures de transport de matières dangereuses. Rappelons toutefois que les réglementations du transport et du stockage sont fondamentalement différentes, y compris au niveau européen, et que les aspects annexes aux opérations de transport ne rentrent pas dans le cadre de la directive Seveso. À notre connaissance, l'obligation française de faire une étude de danger porte sur des seuils qui sont au-delà de ce qui se passe dans le Rhône. La DREAL Rhône-Alpes est informée du sujet, c'est à ce stade sa conclusion et les discussions se poursuivent pour s'assurer que nous ne sommes effectivement en dehors du champ d'application de ces dispositions du code de l'environnement même si tout n'est pas forcément satisfaisant. À ce stade, ce sont les informations dont je dispose sur ce sujet, que nous avons identifié.

Enfin, s'agissant du règlement qui entrera en vigueur le 16 juillet prochain, à notre sens, il fonctionne déjà avec la réglementation française actuelle des transports et matières dangereuses.

Quant au cas particulier des ports fluviaux, vous l'aurez compris, nous cherchons à nous aligner sur les ports maritimes s'agissant des matières dangereuses.

M. Nicolas Trift . - Concernant les ports maritimes, vous avez signalé une nécessité de meilleure information des services locaux et notamment des capitaineries qui sont en charge de contrôler les déclarations faites par les armateurs lorsqu'ils transportent des matières dangereuses. Nous n'avons pas attendu le rapport pour ce faire et animons déjà des groupes de travail. Nous allons, à la suite du rapport du CGEDD et de votre proposition, renforcer ce travail afin de systématiser ces réunions au niveau national, en lien avec la Direction Générale de la Prévention des Risques et avec les responsables des capitaineries, de façon à faire remonter des situations particulières et à mieux informer les acteurs locaux sur les évolutions de la réglementation du transport de matières dangereuses.

S'agissant du suivi du transit des matières dangereuses, vous avez probablement raison de pointer une méconnaissance assez forte. Tel est l'objet du travail que nous allons engager avec la DGCCRF qui elle aussi dispose d'informations sur le trafic de matières dangereuses, afin de mieux suivre dans les ports maritimes et surtout dans le transport par voie fluviale le trafic de ces matières. Parmi les pistes de travail figure l'introduction d'une obligation d'annonce de transport de matières dangereuses. L'opérateur VNF prendrait en charge ce suivi et la diffusion de cette information aux administrations concernées.

Mme Muriel Bouldouyre . - Je vous informe que le groupe de travail évoqué précédemment se réunira le 1 er mars avec l'ensemble des acteurs de la voie d'eau (VNF, Compagnie nationale du Rhône, association française des ports intérieurs ainsi que des ports, dont HAROPA) et des représentants de la filière des engrais, afin d'explorer l'ensemble des pistes de travail à l'oeuvre. L'objectif est très clair : tirer le bénéfice des conclusions du rapport du CGEDD, afin de compléter utilement l'arrêté du 29 mai 2009 relatif au transport de marchandises dangereuses par voie terrestre, notamment sur les conditions techniques des opérations de chargement-déchargement, de transbordement et d'avitaillement, et faire en sorte que les lieux pour conduire ces opérations soient conformes aux dispositions de l'annexe. Nous entendons également faire en sorte que les différents règlements de navigation intérieure puissent être clarifiés au plan local, sachant que ces règlements de police sont sous la responsabilité des préfets. L'ensemble des acteurs étant fortement motivé, je pense que nous parviendrons rapidement à un consensus large. La question n'est donc pas de savoir si les recommandations seront appliquées, mais comment.

M. Nicolas Trift . - Je vais consulter les personnes en charge du ferroviaire afin d'apporter une réponse à la situation évoquée par Philippe Tabarot.

M. Hervé Gillé . - Plus la logistique est complexe, plus le risque est élevé, ce qui souligne l'intérêt de produire l'ammonitrate au plus près des zones de production agricole. Avons-nous une estimation de la production d'ammonitrate en France, au regard de son utilisation ? Y aurait-il un intérêt, pour limiter la logistique, de pouvoir produire davantage en France, au plus près de l'utilisation de ces matières ?

M. Jean-Claude Anglars . - Je n'ai pas compris la réponse concernant l'abaissement du seuil à 150 tonnes. Pourquoi cela a-t-il été décidé à part pour gêner les agriculteurs ? Je ne comprends pas bien les fondements de cette décision. En outre, les organisations professionnelles mettent en avant les coûts engendrés et demandent une étude d'impact en amont.

Mme Martine Filleul . - Je voudrais revenir sur le rôle qui pourrait être confié à VNF dans le transport de matières dangereuses par voie fluviale. Vous parlez d'une obligation de porter à sa connaissance des informations sur les matières transportées, mais ne devriez-vous pas accorder à cet acteur plus d'importance sur la partie contrôle ?

M. Philippe Merle . - Il est assez difficile d'avoir des chiffres sur l'import-export, mais il semble que le marché français serait à peu près équilibré, avec légère dominante de l'import. Si nous voulons fabriquer davantage de moyen dosage que de haut dosage en France, ce qui impliquera des coûts de fabrication supérieurs, il faudra investir dans les installations en question, qui sont vieillissantes pour l'essentiel et, pour certaines, sujettes à des non-conformités récurrentes. Il y a un sujet d'investissement industriel pour disposer d'installations capables de fabriquer du moyen dosage en France, mais cela n'est pas insurmontable. Si on raisonne à l'échelle européenne, fabriquer du moyen dosage ne pose pas de difficulté car le haut dosage est quasiment inexistant en Allemagne, en Belgique, au Royaume-Uni, en Autriche, aux Pays-Bas, en Irlande, au Danemark et en Suède.

Par ailleurs, s'agissant du projet de décret proposant d'abaisser les seuils de déclaration, je ne crois pas que la volonté soit de gêner les agriculteurs. Il s'agit à mon sens de prendre une initiative législative visant à envoyer un message clair sur le refus des hauts dosages ou, autre option, à décourager le recours au haut dosage par rapport au moyen dosage, en insistant sur la nécessité de prendre plus de précautions. Tel est l'objectif du projet de décret qui abaisse à 150 tonnes le seuil de tous les modes de stockage, même s'il pourrait être tout aussi pertinent de parvenir à des seuils différenciés entre vrac et non-vrac. Nous n'avons pas eu les éléments demandés aux professionnels pour estimer plus finement les impacts, si ce n'est quelques chiffres sous couvert de la confidentialité que vous pourrez leur demander. Effectivement, on pilote un peu à l'aveugle. Sur le fait d'envoyer un signal selon lequel le haut dosage est plus dangereux que le moyen dosage et nécessite d'investir dans des conditions de sécurité plus fortes, le signal est bien reçu si l'on en juge par les réactions lors de la consultation.

M. Nicolas Trift . - Je pense qu'il nous faut distinguer l'information du contrôle. L'information peut être recueillie par VNF, mais le contrôle est déjà assuré par les forces de l'ordre (police et gendarmerie fluviales) et les services instructeurs des directions départementales des territoires, qui vérifient la validité des certificats de déclaration de transport de matières dangereuses, en lien avec le constat ou pas du transport de matières dangereuses. Nous pourrons néanmoins évoquer la possibilité de renforcer les pouvoirs de police de la navigation fluviale de VNF, cette discussion pourrait être ouverte.

M. Jean-François Longeot , président . - Je vous remercie.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .

Audition de Voies navigables de France (mercredi 19 janvier 2022)

M. Jean-François Longeot , Président . - Mes chers collègues, je suis très heureux de vous retrouver pour aborder plusieurs problématiques relatives au transport fluvial, en présence de Laurent Hénart, Président du conseil d'administration de Voies Navigables de France (VNF) et de Thierry Guimbaud, Directeur général.

Nous aborderons premièrement la question de la gestion des risques liés à la présence de nitrate d'ammonium dans les ports. Après avoir entendu, en décembre 2021 les auteurs du rapport du CGEDD publié à la suite de la catastrophe de Beyrouth du mois d'août 2020, et certains acteurs économiques impliqués dans l'approvisionnement des ammonitrates, l'audition de ce jour permettra d'aborder le sujet sous l'angle du transport fluvial et de recueillir les préoccupations et vos observations sur ce sujet.

Nous traiterons ensuite d'autres sujets relatifs à l'actualité du transport fluvial, et notamment le contrat d'objectifs et de performance conclu entre VNF et l'État en avril 2021.

Dans un premier temps, je souhaite savoir de quelle manière VNF a été associée aux travaux du CGEDD et quel regard vous portez sur ce rapport et sur les recommandations qui y sont formulées.

Pouvez-vous nous présenter le contrat d'objectifs et de performances que vous avez récemment conclu et qui fixe un cap au développement de la voie fluviale pour les dix prochaines années ? Quels sont ses principales orientations, ses objectifs et la trajectoire financière sur lesquels il s'adosse en matière d'investissements ? Comment ce contrat se déclinera-t-il dans les différents bassins fluviaux ? Comment a-t-il été perçu par les acteurs du transport fluvial de marchandises et de voyageurs ? Identifiez-vous les points sur lesquels il n'apporte pas totalement satisfaction ?

Je souhaite également aborder plus spécifiquement la question du réseau à petit gabarit, dit réseau Freycinet , qui compte 5 000 kilomètres de voies et qui souffre actuellement d'un état très dégradé.

Consciente des nombreux atouts de la voie d'eau pour l'environnement et l'aménagement du territoire, notre commission soutient l'ambition fluviale forte de notre pays et a pris des engagements en ce sens, notamment en inscrivant dans la loi « Climat et résilience » un objectif de doublement de la part du fret fluvial à horizon 2030.

Notre réseau fluvial doit être une priorité absolue, y compris au niveau des canaux à petit gabarit. Ils doivent bénéficier de tout notre intérêt, même s'ils occupent une place à part au sein de notre réseau.

Le réseau Freycinet est tombé en désuétude depuis de nombreuses années et se trouve désormais pris dans un cercle vicieux préoccupant. Sa faible fréquentation accentue les phénomènes d'envasement, qui rendent eux-mêmes la navigation plus difficile.

Comment pouvons-nous exploiter davantage les atouts de ce réseau pour le transport de voyageurs et pour le transport de marchandises ? Quelles actions comptez-vous mettre en oeuvre pour assurer son maintien en état ? Un engagement supplémentaire de l'État sur le plan financier est-il nécessaire selon vous ?

M. Laurent Hénart, président de Voies navigables de France . - Merci M. le Président. Je remercie votre commission et le Sénat pour cette invitation, et plus globalement, pour l'intérêt constant qui est porté à la voie d'eau, au développement de cet outil au service de l'économie, de la logistique et de la valorisation des territoires dans une démarche de transition écologique.

Les acteurs qui défendent le développement du réseau fluvial ont souhaité des moyens d'investissements à la hauteur des besoins au regard de l'état du réseau. Les investissements étaient de l'ordre de 150 millions d'euros avant la LOM, alors que l'enveloppe nécessaire était estimée à près de 300 millions d'euros. Le rapport Duron estimait à 250 millions d'euros par an pendant dix ans les sommes nécessaires pour remettre à niveau le réseau fluvial actuel. À ces montants s'ajoute le projet Seine-Nord Europe, ce qui démontre l'ampleur des besoins de financement.

Le COP présente trois intérêts majeurs pour l'établissement.

Premièrement, il s'inscrit sur une perspective pluriannuelle. Pendant trop longtemps, l'annuité budgétaire a amené l'établissement à reporter certains projets. Une perspective sur dix ans est indispensable au regard de la complexité des investissements en matière fluviale et du temps nécessaire pour transformer l'organisation de VNF. Cet établissement est l'héritier d'une tradition du service public lié à la voie d'eau. La restructuration administrative des services de l'établissement nécessite du temps.

Le deuxième acquis est lié au montant d'investissements programmés, qui est de 3 milliards d'euros sur dix ans. L'enveloppe a été doublée par rapport au montant constaté avant la LOM. Une partie des investissements que l'établissement proposait et défendait dans le domaine fluvial avait déjà été acceptée dans le plan de relance.

Enfin, ce contrat pose le principe d'une plus grande autonomie de la gestion de l'établissement, notamment parce qu'il permet une diversification de ses sources de financements. Même si VNF exerce le métier de maître d'ouvrage sur le réseau selon les directives d'État, dans le cadre de la loi votée par le Parlement, nous avons cherché de nombreux crédits sur les fonds européens. De plus, l'établissement a mis en place une stratégie d'autofinancement, qui n'était pas envisageable lorsque l'usager était soumis à la taxe. Elle devient possible dès lors que l'usager est soumis à une redevance. Enfin, nous avons à coeur de structurer les partenariats avec les collectivités locales ; j'y reviendrai au moment de traiter le sujet du petit gabarit.

Nous identifions plusieurs marges de progression sur le COP. Tout d'abord, nous devons veiller à ce que les engagements annuels soient tenus. Ce point est d'autant plus indispensable que VNF s'apprête à engager des investissements lourds, qui ne seront probablement pas finalisés sur un seul exercice. Si nous ne pouvons pas honorer les opérations enclenchées telles que prévues dans le plan pluriannuel d'investissements, nous serons à nouveau confrontés aux problèmes liés aux défauts d'entretien. La structure et le réseau seront abîmés et nous serons obligés d'effectuer des coupes dans les crédits courants d'investissements pour garantir la poursuite à terme des grandes opérations lancées.

Ce sujet est important et je rappelle que le COP est revu périodiquement. Il comprend une clause de revoyure à 2023 ; celle-ci doit permettre d'apporter de nouvelles améliorations de la mise en oeuvre du COP.

Le lissage des investissements est un deuxième axe de progrès. Le COP prévoit des crédits élevés au début de la convention ; ceux-ci se tassent en milieu de convention (au cours des exercices 2024 à 2026). Ils augmentent à nouveau en fin d'exercice. L'état du réseau met en évidence l'urgence des besoins d'investissements.

Le directeur général et son équipe déploient des efforts conséquents de dialogue social au quotidien, dans l'objectif de moderniser les services. Ces améliorations nécessitent également un rythme soutenu d'investissements. Le réseau doit être automatisé et numérisé. L'établissement ne conteste pas le fait que tous les acteurs doivent participer au redressement des comptes de la Nation. Cependant, il arrive que les investissements tardent, alors que les coupes budgétaires sont immédiates. Il serait plus judicieux d'investir pour bénéficier des économies générées par une structure plus moderne. Il est donc nécessaire de lisser les investissements au long de l'exercice.

Le troisième axe de perfectionnement est de permettre à VNF de s'investir pleinement dans la diversification des stratégies de financements. Nous devons pouvoir activer le dispositif de redevance. Les usagers soumis à redevance sont représentés au conseil d'administration et ils ont validé le COP de manière très positive. Ils participeront à l'évolution de la redevance. Il est cependant important que Bercy transforme la taxe en redevance.

Par ailleurs, l'État doit stabiliser un dispositif contractuel avec les collectivités locales afin de garantir des investissements pour le petit gabarit. Nous avons mis en place un conventionnement de ce type dans le Grand Est. La convention ne traite pas de la Moselle ou du Rhin, qui sont les deux grands gabarits du périmètre. Elle traite surtout du petit gabarit. La région Grand Est, les départements, les communes et les intercommunalités concernés ont pris part aux échanges et retenu quatre axes avec une proposition de programmation des investissements sur ces quatre axes. Les investissements sont facilement justifiés par les objectifs environnementaux et de valorisation du territoire par le tourisme. Nous ne devons cependant pas nous contenter d'investir pour remettre le réseau fluvial à niveau. Le sujet est également lié aux thématiques de niveau de services, de modernisation des ports et de valorisation foncière. Le conventionnement entre État, établissement et collectivités locales ne permettra pas seulement de discuter des remises à niveau, mais aussi du niveau de service attendu sur les axes concernés.

M. Thierry Guimbaud, directeur général de Voies navigables de France . - Le contrat d'objectifs et de performance résulte d'un amendement sénatorial. Je tiens donc à vous remercier, car il est indispensable pour un établissement public comme VNF de bénéficier d'une vision à dix ans, quelle que soit l'ambition. C'est une nouveauté dans le domaine du fluvial et un marqueur important, d'autant plus que la trajectoire donnée est de forte ambition sur le sujet fluvial.

La stratégie élaborée dans ce document est décomposée en trois axes fondamentaux :

- L'axe de développement de la logistique fluviale, qui présente des avantages conséquents sur le plan écologique ;

- L'axe de développement des territoires. Ceux-ci sont irrigués par de nombreux canaux. Ces canaux n'ont désormais plus la même vocation industrielle. Pourtant, ils présentent une valeur qui doit être développée et optimisée en partenariat avec les territoires. La voie d'eau n'a de sens que si elle est totalement en lien avec les territoires qui l'entourent. Si l'offre touristique est inexistante, la voie d'eau ne présente aucun avenir dans le territoire ;

- L'axe purement hydraulique. Avant même de transporter des bateaux commerciaux ou touristiques, VNF transporte de l'eau. Or, la gestion de l'eau est un sujet de plus en plus important. Notre réseau est composé de 7 000 kilomètres de voies fluviales et nous sommes le deuxième principal manipulateur d'eau. Nous la retenons, nous l'accélérons et nous la remontons par des systèmes de barrages alimentaires. Dans les circonstances actuelles de variations fortes du régime hydraulique (sécheresse, crues, problématiques de biodiversité avec les plantes invasives), nous avons vocation à traiter des problèmes essentiels pour le pays. Le COP nous a demandé de les inclure à notre stratégie.

Le contrat d'une durée de dix ans sera revu tous les trois ans. La prochaine revoyure sera discutée à la fin de l'année 2022 et concernera la période allant de 2023 à 2025.

L'arrivée du canal à grand gabarit Seine-Escaut en France et en Europe représentera un changement important dans le domaine fluvial à la fin de la décennie 2020. Cette liaison ne concerne pas seulement les 100 kilomètres de Canal Seine Nord Europe. Seine-Escaut couvre en effet 1000 kilomètres de grand gabarit entre la partie européenne des transports et la Seine, principal vecteur de transport.

Nos ambitions sur les investissements sont fortes. Avant le nouveau contrat, nous bénéficiions d'environ 150 millions d'euros par an. Désormais, nous disposons de trois milliards d'euros sur dix ans, soit 300 millions d'euros par an en moyenne. Nous nous sommes mis d'accord sur un budget de près de 340 millions d'euros à la fin du mois de décembre 2021 : ce montant n'avait jamais été atteint et encourage VNF à repenser son organisation interne.

Le programme d'investissements porte sur la modernisation : nous devrons piloter nos installations différemment et créer des PC de conduite à distance, comme le font tous les grands opérateurs. Actuellement, les agents restent souvent seuls à l'écluse. Il est important que l'objectif de réduction d'emplois ne se traduise pas par une réduction des services.

Sur les 3 milliards d'euros mis à disposition, 400 millions seront réservés à la modernisation. Un peu plus de 1,5 milliard d'euros seront consacrés au développement et à la régénération par le biais du projet Seine-Escaut. Plus d'un milliard d'euros seront destinés à la régénération sur l'ensemble des installations de grands et petits gabarits.

Même si ce budget n'est pas tout à fait suffisant, il représente une avancée considérable et la concrétisation d'ambitions importantes. Les moyens de fonctionnement de VNF sont également stabilisés sur la période.

L'exploitation par VNF reste encore traditionnelle : généralement, un seul agent s'occupe d'une écluse. Les systèmes sont souvent manuels. Cette organisation devient difficile à gérer, car la population est de plus en plus âgée. Il est donc important de recourir à une automatisation. Nous tirons actuellement un grand réseau de fibre optique et nous nous engageons dans une modernisation de l'exploitation, de la même manière que celle conduite par SNCF Réseau. De tels changements demandent beaucoup de temps et c'est pourquoi il est important de disposer d'un délai de dix ans.

Nous travaillons en parallèle à la mise en place d'innovations pour les usagers. Nous développons actuellement un système d'information permettant aux bateaux de connaître leur localisation et quelles installations sont à leur disposition.

L'objectif de VNF est d'être un établissement public au service des territoires. À ce titre, il est indispensable de contribuer à leurs projets de développement. De plus, les niveaux de services doivent être définis en fonction des attentes et des besoins.

Le terme « dénavigation » a parfois été utilisé. Je considère que les partenariats entre les territoires, les opérateurs privés et publics et VNF permettent la « renavigation ». En juillet 2021, nous avons rouvert un canal à la navigation de plaisance sur plusieurs dizaines de kilomètres dans la communauté de communes de Sambre et Oise. Celui-ci était fermé depuis 2005. Nous y sommes parvenus parce que les collectivités territoriales, la région, les Départements, les EPCI et les communes ont souhaité lancer une dynamique commune en partageant les visions et les financements pour faire émerger un projet territorial.

Par ailleurs, nous devons changer de modèle économique et renforcer notre indépendance budgétaire. De fait, la voie d'eau génère une valeur importante : avant la crise sanitaire, les retombées du tourisme fluvial ont été estimées à 1,4 milliard d'euros par an. La retombée sur la voie fluviale, et donc sur VNF, est de plusieurs dizaines de millions d'euros, dont 7 millions d'euros de péages.

Nous en concluons que la valeur dégagée collectivement par la voie d'eau n'est pas remise sur la voie d'eau. Il est important de réfléchir à un nouveau modèle permettant un meilleur partage de la valeur dégagée. À ce titre, la redevance hydraulique est un élément majeur.

Les changements à venir sont importants. VNF est composé de 4 000 agents dont l'engagement quotidien est remarquable, et parfois dans des conditions difficiles. La modernisation doit donc être intégrée dans la stratégie d'un pacte social. Les agents doivent être accompagnés dans l'actualisation des compétences et doivent être rassurés sur le fait que les changements n'entraîneront pas de pertes financières. Nous devons garantir une rémunération, quelles que soient les tâches accomplies par les agents. Ils ne doivent pas non plus être obligés à avoir recours à la mobilité géographique.

M. Jean-François Longeot . - Je donne maintenant la parole à M. Pascal Martin.

M. Pascal Martin . - M. le Directeur général, mes questions concerneront exclusivement les problématiques de prévention et de gestion des risques liées à la présence de nitrate d'ammonium. Le rapport qu'évoquait le Président en point introductif du CGEDD souligne les écarts très importants entre les ports fluviaux et les ports maritimes, notamment en termes d'organisation et de gouvernance.

Le rapport indique qu'à l'inverse des ports maritimes, les ports fluviaux ne disposent pas de capitainerie, même lorsque les opérations de chargement et de déchargement de matières dangereuses y sont effectuées. Confirmez-vous cette information ? Nous avons eu l'occasion de nous déplacer en Seine-Maritime et nous avons constaté que le port d'Elbeuf ne dispose d'aucune capitainerie.

Par ailleurs, les ports fluviaux disposent-ils de règlements intérieurs, notamment au niveau de la gestion des matières dangereuses ? Qui exerce le pouvoir de police portuaire et celui de police des matières dangereuses ? Selon vous, des évolutions législatives ou réglementaires vous sembleraient-elles pertinentes pour rendre plus robuste l'organisation des ports fluviaux dans la gestion des matières dangereuses ?

D'autre part, le code des transports prévoit une obligation d'annonce lors du passage d'un bateau transportant des matières dangereuses sur une voie fluviale, mais celle-ci n'est pas transposée dans l'ensemble des règlements de navigation qui s'appliquent dans nos différents bassins fluviaux. Elle ne s'applique par exemple pas dans le bassin de la Seine. Que pensez-vous de l'idée d'imposer la transposition de cette obligation dans les règlements de navigation ?

Enfin, quel est le degré d'information auquel VNF a accès actuellement en cas de circulation de matières dangereuses sur la voie fluviale (type de marchandises, quantité, dangerosité) ?

M. Jean-François Longeot . - Je donne la parole à Philippe Tabarot et à Martine Filleul. Vous répondrez ensuite à mes trois collègues.

M. Philippe Tabarot . - M. Pascal Martin a posé de nombreuses questions à propos des ammonitrates. J'apporterai peut-être une réponse que vos équipes nous ont fournie sur le terrain et qui m'a paru cohérente. Selon eux, VNF ne dispose pas des moyens humains de contrôle. Cela soulève la question à propos du rôle du gestionnaire d'infrastructure et si la responsabilité de contrôler les marchandises transportées sur son réseau lui incombe. À titre de comparaison, il n'est pas demandé à Vinci de contrôler les cargaisons de camions qui traversent ses autoroutes.

Le rapport indique plusieurs éléments à retravailler et met en évidence le fait que vous ne pouvez pas être totalement absents de ces questions.

Je souhaite rappeler que vous avez des alliés dans cette commission pour la promotion du report modal fluvial. Nous avons proposé d'inscrire dans la loi le doublement de la part modale du fret fluvial. Vous connaissez le potentiel de notre pays à ce sujet, car la France, qui possède le premier réseau de voies navigables en Europe, ne présente qu'une part modale de 2 %. Nous pouvons nous réjouir du fait que les temps changent, notamment à cause de l'urgence climatique et des nécessités économiques de la relance. La France redécouvre enfin qu'elle possède le plus grand réseau fluvial. Dans ce cadre, estimez-vous que le transport de marchandises peut quadrupler sur les axes Seine et Rhône - Saône, sans modifier les caractéristiques des ouvrages existants ?

Je suis moi-même membre du conseil d'administration de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF). Nous percevons l'évolution positive sur les financements pour la régénération des voies navigables. Ces investissements indispensables se concrétisent-ils dans les faits pour atteindre les objectifs du COP ? Comme vous, je considère que la période entre 2023 et 2025 sera difficile. Je vous conseille d'être prudents, car le contrat de performance entre l'État et SNCF Réseau vient d'être publié ; l'État est loin de tenir les engagements datant des différents plans de relance. Le lissage des investissements est particulièrement problématique, notamment pour la question du fret ferroviaire, qui est indirectement liée à votre activité.

De plus, nous jugeons nécessaire d'apporter un soutien renforcé aux acteurs du secteur fluvial au niveau des ressources humaines. Nous percevons qu'à chaque PLF, vos effectifs diminuent. Année après année, vous comptez moins d'ETP. Je comprends qu'avec la modernisation des installations, moins d'agents seront nécessaires. Cependant, vous êtes obligés de faire appel à des saisonniers et des intérimaires : il est difficilement audible qu'une institution comme la vôtre soit confrontée à de telles situations. Il ne faut pas que l'absence de personnel qualifié soit un frein à la concrétisation des ambitions affichées.

Nous avons également essayé de renforcer votre compétitivité en supprimant l'exonération de la plus-value de la cession des navires fluviaux et en mettant en place l'intégration comptable de la revalorisation des actifs. Malgré nos votes à l'unanimité, nous avons dû faire face à une opposition du Gouvernement.

Heureusement, les Jeux olympiques de 2024 vous placeront sur le devant de la scène, notamment avec la cérémonie d'ouverture. Les financements vous permettront-ils d'organiser cette manifestation et d'atteindre la neutralité carbone du transport fluvial sur la Seine à horizon 2024 ?

Mme Martine Filleul . - Merci M. Guimbaud pour votre présentation du contrat d'objectifs et de performance. Je me félicite que le Sénat ait pu contribuer à la mise en place de cet outil, car il est très utile. J'ai noté cependant qu'il présente des limites financières. Vous ne disposez pas de garanties suffisantes sur les moyens qui vous seront octroyés. De ce fait, vous ne savez pas si les projets prévus pourront être développés.

Lors des PLF précédents, j'ai noté un décalage entre la modernisation des équipements et la diminution en ETP dont vous étiez dotés. Ce décalage a-t-il été résorbé entre-temps ?

Je suis co-rapporteure, avec ma collègue Catherine Herzog, d'un travail sur la logistique urbaine durable. Le fluvial est fondamental dans ce domaine. Par nature, les fleuves sont au coeur de toutes les villes et peuvent contribuer à construire une chaîne logistique propre du transport de marchandises. Malgré les projets mis en place, nous percevons des freins, notamment au niveau de la maîtrise du foncier en bord d'eau. Que préconisez-vous dans ce domaine ?

Enfin, j'ai cru comprendre que VNF est un opérateur au sens strict du terme et qu'il ne dispose d'aucun pouvoir de police et de contrôle des marchandises et des ports fluviaux. De ce fait, VNF n'a fait preuve d'aucune défaillance au niveau du stockage et du transport des ammonitrates. Des inspecteurs s'emploient à faire évoluer la situation, à moderniser le cadre normatif et à garantir une meilleure circulation des informations, pour mettre en avant le rôle de la DREAL. En parallèle, ils proposent de définir clairement la mission de VNF en la matière. Il me semble que VNF s'est déclarée prête à assumer ces responsabilités. Quel rôle pensez-vous être amenés à jouer dans le domaine ?

M. Thierry Guimbaud . - Depuis sa création en 2013, VNF n'est qu'un gestionnaire d'infrastructures. Toutes les compétences de type réglementaire ou de contrôle restent du domaine de l'État qui réglemente et qui contrôle la réglementation.

En tant qu'opérateur, VNF tient son rôle. Les règlements de police ne sont pas dictés par VNF et sont signés par l'État.

Il est important de se garder des comparaisons avec le domaine maritime. Le domaine du fluvial se rapproche davantage du transport terrestre et relève de la même logique que les routes, les autoroutes et les voies ferroviaires. Ces axes sont d'ailleurs en compétition avec le fluvial. Les capitaineries sont des dispositifs de droit portuaire. Le champ n'est pas le même que pour le transport fluvial. Le contrôle des marchandises ne relève pas de la responsabilité des opérateurs d'autoroutes. Cet état de fait est confirmé dans le rapport.

VNF est cependant disposé à apporter son aide à la réflexion sur le sujet. À date, l'établissement ne dispose ni des compétences nécessaires ni des moyens pour mettre en oeuvre ces nouveaux types de responsabilités.

En outre, les volumes d'activité des ports maritimes ne sont pas comparables à ceux des ports fluviaux, ce qui explique en partie le fait que ces derniers ne soient pas dotés de capitaineries.

Je confirme que des règlements intérieurs sur les matières dangereuses doivent être développés : certains préfets en ont déjà introduit un, notamment sur le Rhône.

Je suis favorable à toute évolution, dès lors qu'elle est claire et que les responsabilités et les compétences sont posées.

Avant la crise sanitaire, le trafic fluvial a enregistré 10 % de croissance. Le COP prévoit une augmentation de 50 % du trafic de VNF à horizon 2028.

Le réseau fluvial est composé de 2 000 km de grand gabarit. Le réseau ferroviaire est quant à lui composé de 30 000 km de voies ferrées. Il est donc difficile de comparer les trafics fluviaux, routiers et ferroviaires. Dans les bassins dotés de voies fluviales pour grand gabarit, le trafic fluvial représente environ 10 % du total. C'est un taux proche de celui des autres pays.

Les JO sont un marqueur extraordinaire pour VNF. Ils indiquent que les temps changent. Nous sommes déjà partenaires de la Solideo, qui conçoit le système olympique, et nous bénéficions de financements spécifiques pour assurer les tâches qui nous sont demandées. Nous serons un partenaire très présent des JO, dont certaines modalités auront lieu sur la Seine.

Nous devons lier la trajectoire d'investissements et la trajectoire d'effectifs. C'est le seul moyen d'atteindre nos objectifs. Par ailleurs, la trajectoire doit être la plus constante possible. Les baisses de financements sont extrêmement pénalisantes. En outre, les partenaires sont un moteur essentiel de la voie d'eau.

La logistique urbaine est un axe de développement fondamental et stratégique de la voie d'eau. Les villes ont été construites autour des voies d'eau ; elles représentent un excellent moyen d'acheminer des marchandises au plus près de la zone de livraison.

Pour atteindre nos objectifs, les acteurs doivent être alignés autour d'un projet commun. Les collectivités locales doivent mettre en place des réglementations qui permettent ce dispositif. Les installations doivent également rendre les opérations possibles. Actuellement, la technologie permettant de préparer la livraison est transférée à bord des bateaux, afin de ne pas surcharger les quais.

M. Laurent Hénart . - Les économies de postes sont la conséquence de la modernisation de l'outil (meilleurs matériaux, meilleurs aménagements des infrastructures, numérisation et automatisation complètes du réseau). Or, nous sommes en train de retirer des postes, alors que nous n'avons pas effectué les investissements qui le permettent.

Ces économies de fonctionnement ont des conséquences sur la vie de l'établissement, même si le Directeur a pris des mesures pour organiser la maîtrise d'ouvrage et moderniser l'organisation des collaborateurs. Il serait regrettable de dégrader des services pendant certaines périodes de l'année.

Le pacte social permettra de crédibiliser la démarche voulue par la direction générale auprès des agents. Les organisations syndicales qui siègent au conseil d'administration se sont prononcées contre le COP : cette décision ne traduit pas un refus d'investir ou de moderniser les établissements. Ils souhaitent en fait échapper à la logique de rabot comptable.

La modernisation est d'autant plus importante qu'elle fera évoluer la carte des implantations de VNF. Les services seront organisés différemment et les équipements changeront. Ce travail en profondeur nécessite autant de pluriannualité que s'il fallait construire ou rénover des voies d'eau.

Nous confirmons qu'il est important de procéder à des économies. Cependant, elles ne peuvent être que la conséquence d'investissements stratégiques bien conduits.

Si de nouveaux pouvoirs doivent être octroyés à VNF, il est important d'y dédier un plan d'investissement spécifique. Une carte claire des responsabilités doit être établie.

M. Stéphane Demilly . - Le canal Seine-Nord Europe est un projet que nous attendons depuis longtemps. En reliant le réseau français au réseau européen, ce canal renforcera l'attractivité de nos territoires, favorisera l'implantation de nouveaux sites logistiques, permettra la création de milliers d'emplois directs et indirects et contribuera à respecter nos engagements en matière de décarbonation des transports.

Grâce aux investissements massifs des collectivités, de l'Union européenne et de l'État français, le financement du canal ne nécessite pas de péages. Quelle est la position de VNF sur les péages fluviaux ? Ne devrait-on pas opter pour une gratuité, dans le cadre d'une incitation plus forte au report modal ?

M. Joël Bigot . - La France est le principal consommateur de nitrates d'ammonium, qui sont acheminés par voie fluviale et par voie maritime. À l'heure actuelle, les ports maritimes sont bien plus contrôlés que les ports fluviaux. Même si la situation de notre pays démontre que nous possédons 5 000 kilomètres de voies navigables, le réseau s'envase à certains moments. Il est donc difficile d'envisager le transport de ces matières par voie fluviale.

Le rapport d'inspection du CGEDD et du CGE souligne que les ports maritimes et fluviaux ne sont pas les points les plus sensibles de la chaîne d'approvisionnement de l'agriculture en ammonitrates. Les recommandations du rapport portent sur un meilleur encadrement de ces substances.

Si nous souhaitons encourager le transport par voie fluviale, nous devrons améliorer le réseau. L'apport de 300 millions d'euros par an sur 10 ans sera-t-il suffisant ? Où en est la réflexion des professionnels, des agriculteurs et des pouvoirs publics sur la question de l'acheminement des nitrates d'ammonium et de toutes les matières dangereuses ?

M. Bruno Belin . - Vous avez reconnu, M. le directeur général, que le contrôle des matières dangereuses est presque uniquement routier. Des hypothèses d'accidents majeurs sur les voies navigables de France ont-elles été simulées ? Comment comptez-vous intervenir dans pareille situation ? Comment ce type d'accident majeur peut-il être contrôlé ?

M. Rémy Pointereau . - Les réseaux de petit gabarit font l'objet d'un mix entre tourisme et fret. Qu'en est-il de la relance du fret fluvial sur le canal latéral à la Loire ?

Comment sont effectuées les opérations d'accompagnement de projets communaux ou intercommunaux sur ce canal ?

Quelles relations entretenez-vous avec les agences de l'eau et quels problèmes rencontrez-vous sur la réalimentation des canaux ?

M. Hervé Gilles . - Quels sont vos objectifs au niveau de l'amélioration de la logistique et les embranchements avec les ports maritimes ? Cet axe est stratégique pour améliorer les connexions, et pourtant, nous ne bénéficions pas d'une visibilité satisfaisante sur ces sujets.

Le port fluvial de Bordeaux a perdu un axe important avec le transport logistique d'Airbus, qui était débarqué à Langon. La métropole vient de mettre en place un schéma des mobilités et le fleuve y occupe une place négligeable. Quelle importance donnez-vous au dialogue territorial pour construire des politiques contractuelles, et comment peut-on les qualifier ?

Le transport fluvial semble présenter un véritable intérêt en termes de maîtrise des problèmes de sécurité. Cet axe doit-il être valorisé, compte tenu des enjeux sécuritaires générés par les ammonitrates ?

M. Olivier Jacquin . - J'observe qu'après deux grandes lois des mobilités et deux crises majeures qui ont affecté les transports, nous n'avons toujours pas mis en place de modèle économique sur le transport de marchandises par voie fluviale et par voie ferroviaire. Il est ainsi plus intéressant sur le plan économique d'avoir recours aux poids lourds qu'aux bateaux ou aux trains. Ce problème demeure et n'est pas résolu par le COP.

Par ailleurs, le fait que le transport fluvial ne dispose pas de capitaineries me paraît normal. Je considère que nous devons réfléchir à la possibilité de renforcer les moyens de la DREAL.

VNF est un établissement public et subit un plafond de dépenses. Lorsque vous obtiendrez des financements partenariaux de l'Europe ou des collectivités territoriales, le plafond restera le même. D'un point de vue parlementaire, nous devons nous interroger sur les contrôles possibles et vérifier dans quelle mesure nous pouvons être amenés à appuyer la dynamique développée par VNF.

J'ai été informé que certains secteurs sont peu attractifs et que de nombreux postes ne sont pas pourvus. À ce problème s'ajoute la relation difficile entre modernisation et plan d'adaptation de l'emploi.

Pouvez-vous nous fournir quelques précisions sur la mise en place de la loi Didier dans le cadre de ce COP ?

Sur le volet touristique, pouvez-vous nous indiquer la part payée par les usagers rapportée au prix pratiqué pour la prestation ?

M. Jean-Claude Anglars . - Quelles prévisions ont été incluses dans le contrat d'objectifs pour le canal du Midi ?

M. Thierry Guimbaud . - Le canal Seine-Nord Europe est un sujet majeur. Les péages fluviaux représentent un apport économique extrêmement faible, voire symbolique, pour le secteur. Le péage pour le transport de fret génère 7 millions d'euros par an, alors que le budget total de VNF est chiffré à 600 millions d'euros. À titre personnel, je suis toutefois favorable à ce symbole, car les péages représentent une valeur. Ils doivent être intégrés au business plan.

Les opérateurs de transport considèrent que les péages ne sont pas un sujet. Ils attachent davantage d'importance à la qualité des services. VNF s'emploie à améliorer la qualité des services par le biais du COP.

Certains pays ne demandent pas le règlement d'un péage. Cependant, les pouvoirs publics prennent le relais de cet apport financier.

Les petits canaux présentent un intérêt réel pour le fret, dont les atouts en termes de logistique urbaine sont importants et qui permet de transporter des charges lourdes. Le fret gagne en rentabilité et en pertinence d'un point de vue écologique lorsqu'il transporte des charges lourdes. Actuellement, les bateaux de 180 mètres de longueur peuvent transporter jusqu'à 5 000 tonnes, ce qui équivaut à quatre trains.

Le grand gabarit permet cette massification ; ce n'est pas le cas des petits canaux. La rentabilité économique est atteinte avec le transport de mille tonnes, ce que ne permettent pas les canaux Freycinet. Il est toutefois possible d'organiser des transports ciblés de carrières, pour des charges de 300 tonnes. Les petits canaux présentent également un intérêt pour le fret interbassin.

Par ailleurs, la voie d'eau peut être utilisée pour le transport d'ammonitrates : c'est un des modes de transport les plus sûrs, car les voies ne sont pas utilisées par d'autres moyens de transport.

Nous avons établi des plans internes de sécurité en cas d'accident. Cependant, les autorités préfectorales sont responsables de la coordination des crises en cas d'accident. Nous participons régulièrement à des simulations sous l'autorité de l'État.

L'avenir du canal central dépend en grande partie du partenariat que nous pourrons développer avec les collectivités. Il présente une valeur patrimoniale et touristique importante ; il doit bénéficier de projets semblables à ceux du Grand Est et du canal du Midi.

Nous avons mis en place une politique de partenariats forte avec les ports. Nous notons l'apparition d'axes logistiques portuaires maritimes et fluviaux. À ce titre, la création d'Haropa a permis de rassembler les ports d'État du Havre, de Rouen et de Paris. Nous avons signé une alliance stratégique avec Haropa afin d'unir nos efforts de prospection commerciale et pour mutualiser nos domaines. C'est un axe capital et nous avons établi une stratégie semblable dans le sillon lorrain. Le lien entre port maritime, port fluvial et fleuve est donc capital.

Nous encourageons les projets liés à la logistique dans la zone de Langon. Je considère que nous ne nous tournons pas encore suffisamment vers le potentiel du fleuve. Je suis favorable à une alliance du type Haropa sur la Garonne et sur le grand port maritime de Bordeaux.

En tant qu'opérateur de l'État, nous devons respecter un plafond de dépenses. Dans le cadre de la revoyure, je compte aborder le thème des ressources nouvelles et de leur impact sur ce plafond. Toute entreprise doit prendre en compte ses revenus au moment de décider de ses dépenses. Le plafond de dépenses ne doit pas être le même selon les ressources qui le supportent.

Il est vrai que certains secteurs éprouvent des difficultés à recruter. La question de la modernisation est importante à ce niveau. Les jeunes cherchent des métiers qui incluent les technologies les plus récentes ; nos dispositifs et nos fonctionnements ne sont, à cet égard, pas toujours adaptés aux attentes.

La loi Didier prévoit que les ouvrages de rétablissement restent la propriété de la voie portée. Une convention prévoit des discussions et un accord éventuel de financement autour de cette voie. Actuellement, 2 895 ponts sont considérés comme des voies de rétablissement, ce qui représente un budget de 50 millions d'euros par an. Évidemment, les financements de VNF ne sont pas destinés à ces ponts. Je précise que nous gérons 4 000 ouvrages sur la voie d'eau. En outre, nous ne possédons ni compétences routières, ni ingénieurs spécialisés dans ce domaine. Une enveloppe d'un million d'euros est toutefois prévue dans le COP pour traiter ces sujets en 2022.

Au niveau de l'apport des financements par les usagers, les péages représentent 15 millions d'euros, répartis à parts égales entre tourisme et fret.

Le canal du Midi est concerné par la démarche territoriale que j'évoquais. Nous avons signé une entente avec la région, l'ensemble des EPCI et le préfet de la région. Chacun apporte ses financements et sa vision. Nous avons élaboré une marque du canal : pour qu'un canal prospère, il doit être porté par tout le territoire.

Nous sommes en train de préparer un partenariat avec les agences de l'eau. Un représentant de VNF participe à tous les conseils d'administration des agences de l'eau. Notre partenariat peut néanmoins être plus solide, car nous sommes le deuxième principal manipulateur d'eau du pays. Nous sommes encore considérés principalement comme un opérateur de transport, alors que nous sommes également responsables de la gestion hydraulique.

Mme Christine Herzog . - Je suis une élue de Moselle Sud : mon secteur compte de nombreux étangs réservoirs, qui servent à approvisionner les canaux. Des réfections sont-elles prévues en la matière ? Ce sujet est une préoccupation locale forte, qui mobilise les services de la préfecture.

M. Thierry Guimbaud . - Même si les canaux sont artificiels, ils sont totalement intégrés dans un système naturel. La France conserve peu d'eau en comparaison à d'autres pays. Nous avons demandé des moyens pour maintenir ces retenues d'eau au plus haut niveau possible. Faute d'investissement au cours des dernières décennies, nous sommes obligés de baisser la cote d'eau pour respecter les normes de sécurité.

M. Jean-François Longeot . - Merci M. le Président, merci M. le Directeur général, d'avoir répondu présent à cette audition et pour la qualité de vos réponses.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat .

Audition d'acteurs économiques concernés par la gestion des risques liés aux produits à base de nitrates d'ammonium (mercredi 12 janvier 2022)

M. Didier Mandelli , président . - Nous poursuivons nos travaux sur la gestion des risques liés à la présence de produits à base de nitrate d'ammonium dans nos ports. Nous avons démarré un cycle d'auditions en décembre dernier, qui s'est ouvert avec les auteurs du récent rapport du commissariat général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) sur ce sujet qui avait été commandé par le Gouvernement en septembre 2020 à la suite de la catastrophe survenue dans le port de Beyrouth.

Nos travaux se concentrent en particulier sur les ammonitrates, qui constituent un engrais agricole dont notre pays est l'un des principaux consommateurs en Europe occidentale. Je rappelle qu'il existe trois catégories d'ammonitrates, selon qu'ils soient à faible, moyenne ou forte teneur en nitrate d'ammonium.

L'essentiel des risques identifiés dans le rapport du CGEDD est induit par les ammonitrates à haut dosage. Ce rapport relève un encadrement insuffisant et parfois inadapté du transport et du stockage s'agissant de ces ammonitrates à haut dosage dans notre pays, en particulier dans les ports fluviaux qui ne sont pas soumis à une réglementation aussi rigoureuse que les ports maritimes.

Le 13 décembre 2021, une délégation de trois sénateurs de notre commission -- Pascal Martin, Philippe Tabarot et Angèle Préville -- s'est rendue en Seine-Maritime afin de visiter le port fluvial de Saint-Aubin-les-Elbeuf ainsi que l'usine Boréalis qui constitue le plus grand site de production d'ammonitrates en France. Un autre déplacement est envisagé fin janvier dans le Grand Est, afin de nous rendre notamment dans les ports fluviaux de Metz et de Neuves Maisons.

Ces déplacements sont indispensables pour entendre l'ensemble des parties prenantes, observer la réalité du terrain et identifier d'éventuels angles morts de notre réglementation que nous pourrions opportunément combler.

Je rappelle que notre objectif est de parvenir, d'ici la fin du mois de février, à trouver des pistes d'évolutions réglementaires et législatives destinées à renforcer la prévention des risques liés à la gestion des ammonitrates, que ce soit au stade de leur transport par voie d'eau ou de leur stockage à terre.

L'audition de ce jour s'inscrit dans cette logique : nous avons le plaisir d'accueillir des acteurs économiques intervenant sur l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement en ammonitrates, de leur production à leur distribution auprès des agriculteurs.

Nous recevons donc : M. Renaud Bernardi, président de l'Union des industries de la fertilisation (UNIFA) qui représente les producteurs de fertilisants ; M. Philippe Prudhon, directeur technique de France Chimie, qui représente les acteurs de l'industrie chimique et M. Antoine Hacard, président de La Coopération Agricole Métiers du grain.

Je souhaiterais dans un premier temps que vous présentiez vos organismes respectifs et, bien sûr, la manière dont vous êtes impliqués dans la production, la distribution ou plus globalement la gestion des ammonitrates. L'objectif est de nous permettre d'appréhender les enjeux d'un renforcement de la réglementation sur les ammonitrates, que ce soit sous l'angle du transport ou de la prévention des risques.

Avez-vous été associés aux travaux du CGEDD sur la gestion des risques liés à la présence d'ammonitrates dans les ports et quel regard portez-vous sur sa méthodologie et sur ses conclusions ?

Pourquoi les agriculteurs sont-ils conduits à privilégier l'usage d'ammonitrates à haut dosage plutôt qu'à moyen dosage ? Sont-ils suffisamment informés des risques associés à ces produits et des conditions de stockage nécessaires pour éviter tout accident ?

Enfin, voyez-vous des évolutions nécessaires pour renforcer le contrôle des conditions de transport ou de stockage des ammonitrates à haut dosage ?

M. Philippe Prudhon, directeur technique de France Chimie . - Fédération des industriels de la chimie, France Chimie représente 3 300 PME et ETI, soit 200 000 salariés et un chiffre d'affaires de 70 milliards d'euros, avec une balance commerciale positive de 12 milliards d'euros, 70 % d'effectifs techniciens, cadres et ingénieurs, et 11 % des effectifs qui travaillent dans la recherche et développement (R&D) - le secteur de la chimie investit 4 milliards d'euros en R&D par an, dont 600 millions d'euros dans la sécurité industrielle et l'environnement. La chimie est un pilier pour notre résilience économique, on l'a vu dans la crise sanitaire, la chimie est au coeur des progrès de demain, pour les matériaux que l'on utilise par exemple dans l'aéronautique, mais aussi dans les énergies renouvelables. La chimie a obtenu des résultats importants ces dernières années en matière d'efficacité énergétique, de réduction d'émission de gaz à effet de serre, mais je ne m'étendrai pas sur ces progrès puisque le sujet du jour est la sécurité industrielle.

Nous avons investi pour mettre en oeuvre la réglementation, avec les plans de prévention des risques technologiques, la directive Seveso, les plans de modernisation des installations, les réglementations nombreuses sur les différents types de risques et de produits. Nous avons également intégré les sous-traitants pour gérer au mieux la co-activité qui peut générer des risques nouveaux, la formation des salariés est essentielle - nous y reviendrons probablement dans le débat.

La notion de danger, dans les installations classées, caractérise la dangerosité appréciée à différents niveaux, avec des seuils. Il y a le seuil de déclaration puis le seuil de l'enregistrement - environ 400 000 installations -, le seuil de l'autorisation - environ 40 000 -, puis le seuil de l'installation Seveso - environ 1 300 -, avec un « Seveso seuil bas » et un « Seveso seuil haut ». La notion de risque, ensuite, résulte d'une analyse probabiliste qui passe en revue tous les événements potentiellement dangereux ; c'est à l'industriel de faire cette analyse et de la présenter à la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal), qui la valide ou bien demande des éléments complémentaires. Le processus est long parce qu'il est itératif, avec souvent de nombreux allers-retours.

L'implication des sous-traitants est essentielle, nous avons mis en place un référentiel « chimie » pour toutes les entreprises qui interviennent sur nos sites, 4 500 entreprises sont ainsi certifiées et cette organisation est paritaire, les organisations syndicales sont autour de la table pour la mise en place et le suivi de l'ensemble, donc pour examiner les points d'évolution souhaitables.

M. Renaud Bernardi, président de l'Union des industries de la fertilisation (Unifa) . - L'Unifa représente les industries de la nutrition des plantes, toutes productrices d'engrais minéraux ou organiques et de biostimulants. Nous avons 36 entreprises adhérentes, de la PME à la multinationale, 84 sites de production représentant 4 000 emplois directs et 1,8 milliard d'euros de chiffre d'affaires - elles sont réparties sur l'ensemble du territoire français, et fournissent à toutes les cultures et à tous les types d'agricultures les fertilisants adaptés aux besoins nutritionnels des plantes.

En 2020, hors boues de station d'épuration, les besoins en azote des cultures ont été couverts à 72 % par des engrais minéraux, à 23 % par des effluents d'élevage - le reste étant des engrais organiques bruts ou transformés. Près de 50 % des engrais azotés minéraux sont des ammonitrates.

Les trois quarts des ammonitrates utilisés en France sont produits sur le territoire national, ceux à haut dosage sont produits dans cinq sites.

Depuis 20 ans, il y a eu de nombreuses évolutions réglementaires sur la production, le stockage et le transport des engrais à base d'ammonitrates, afin d'améliorer la gestion du risque et d'assurer la qualité des produits. Ces évolutions sont liées à l'application des normes françaises d'autorisation de mise sur le marché, mais aussi de règlements et directives européens, en particulier la directive Seveso. La majorité des recommandations du rapport Barthélémy de 2004 ont été suivies. De la production à la livraison, les produits dont nous parlons sont strictement contrôlés et suivis, ils sont vendus seulement à des professionnels qui savent comment les utiliser et qui trouvent du conseil pour l'utilisation des produits.

Il est important de préserver un équilibre entre les évolutions réglementaires et le maintien d'une production d'engrais à base d'ammonitrates en France ainsi que d'un tissu d'approvisionnement sur l'ensemble du territoire pour répondre aux besoins des agriculteurs. Les cinq sites de productions d'ammonitrates à haut dosage permettent de livrer rapidement quelque 200 000 agriculteurs, via un maillage fin d'intermédiaires en particulier les coopératives, c'est cet ensemble qu'il nous paraît important de préserver.

Le CGEDD a conduit une enquête après le drame de Beyrouth pour voir si une telle catastrophe pouvait se produire en France, nous avons répondu à ses questions et il a pu vérifier le sérieux des producteurs de fertilisants et de la chaîne de distribution. Vous nous interrogez sur l'efficacité de la réglementation actuelle : l'Unifa souhaite que tout changement soit discuté et préalablement évalué, ce qui n'est pas le cas des propositions dont on entend parler. L'Unifa est tout à fait disposée à participer à un groupe de travail sur ces sujets, pour continuer d'améliorer la sécurité des produits et de leur approvisionnement.

M. Antoine Hacard, président de La Coopération Agricole Métiers du grain . - La Coopération agricole représente 173 coopératives et 70 % de la collecte de céréales au plan national, pour un chiffre d'affaires de 18 milliards d'euros, avec 35 000 salariés non délocalisables. Nous sommes un peu les médecins du grain : nous approvisionnons les agriculteurs en matériels et produits dont ils ont besoin pour leurs cultures, en particulier des engrais.

Dans le dramatique accident de Beyrouth survenu le 4 août 2020, on parle de nitrates d'ammonium technique, qui est un intermédiaire dans la fabrication d'explosif, ce qui n'est pas le même produit que l'ammonitrate 33 - en France, il n'aurait pas été possible de stocker dans des conditions aussi déplorables le produit qui a explosé à Beyrouth. Le nitrate, ensuite, est un élément nutritif essentiel pour nos céréales, l'azote est important dans la qualité technologique de nos céréales. Nous sommes liés commercialement par un taux de protéine de 11 % pour le grain meunier, des clients demandent 12 %, dans ces conditions les engrais sont déterminants pour les rendements et pour la sécurité de la chaîne de production et de distribution. Nous nous efforçons d'apporter aux agriculteurs de la formation et de la pédagogie pour qu'ils utilisent les engrais dans les règles de l'art, c'est un métier que nous faisons de très longue date - et il n'y a pas eu d'accident significatif depuis une vingtaine d'années, nous faisons un travail en continu avec les services de l'État pour améliorer nos pratiques.

Pourquoi avons-nous besoin de nitrates à haut dosage, l'ammonitrate 33, et pourquoi ne basculons-nous pas sur le bas ou le moyen dosage, avec l'ammonitrate 27 par exemple ? Il y a d'abord une question de souveraineté : l'ammonitrate 33 est fabriqué en France, nous avons cette année de grandes difficultés d'approvisionnement en azote, le risque de pénurie n'est pas exclu et les coopératives se dépensent sans compter pour approvisionner leurs adhérents. Dans ces conditions, il serait malvenu de se priver d'un engrais fabriqué en France. Ensuite, depuis des années, nous faisons des efforts pour diminuer la commercialisation de l'ammonitrate haut dosage en vrac, la réglementation nous a aidés sur ce point et nous conditionnons désormais le produit en « big bag », ce qui évite le risque d'explosion. Cependant, il y a des besoins de stock de vrac, ne serait-ce que pour l'ensachement et la distribution en proximité. Le vrac de produit haute densité représente 480 000 tonnes, sur les 8 millions de tonnes d'engrais utilisés, je dirai que c'est désormais marginal et que cela fait partie de notre organisation, avec un produit fabriqué en France et facilement accessible quand les agriculteurs en ont besoin. C'est grâce à cette organisation que nous sommes en capacité d'assurer la continuité d'approvisionnement, des pays voisins qui n'ont pas notre organisation risquent fort d'avoir très prochainement des problèmes d'approvisionnement.

M. Didier Mandelli , président . - Je précise à chacun de vous que notre objectif est de comprendre la situation, pas d'alourdir la législation, et que nous ne sommes pas en format de commission d'enquête : notre objectif est bien de voir s'il y a lieu, ou pas, de modifier certaines règles, dans le sens de la protection.

M. Pascal Martin . - Nous faisons clairement la différence entre l'accident de Beyrouth et votre quotidien, et nous cherchons à comprendre si la réglementation est suffisante dans l'utilisation des ammonitrates au regard des risques qu'ils engendrent.

Pour encourager les agriculteurs à recourir aux ammonitrates à moyen plutôt qu'à haut dosage, le rapport du CGEDD suggère - dans sa recommandation n° 9 - que le Gouvernement modifie les seuils actuels, estimant que notre réglementation surtranspose la directive Seveso : qu'en pensez-vous ? Est-ce aussi un levier pour mieux prévenir les risques liés au stockage ? Vous dites que les agriculteurs ont une bonne connaissance des produits, ce n'est pas l'avis du CGEDD : il estime que « la connaissance par les exploitants agricoles du risque lié aux ammonitrates est faible » et que les fiches fournies par les producteurs d'engrais « sont totalement inadaptées à la prise en compte des enjeux de sécurité », appelant de ce fait - c'est la recommandation n° 10 -, à renforcer le travail d'information : qu'en pensez-vous ? Menez-vous des actions de sensibilisation sur les risques liés au stockage des ammonitrates à haut dosage ?

M. Renaud Bernardi . - Nous avons élaboré des fiches pratiques depuis 2009, elles sont régulièrement remises à jour et diffusent les bonnes pratiques de stockage dans les fermes, nous n'avons pas attendu l'accident de Beyrouth pour avoir une action proactive d'information. Ensuite, les producteurs adhérents diffusent des conseils de stockage par leurs propres moyens, en particulier sur leurs sites, ou par des webinaires d'information sur les produits. Les producteurs et leur union nationale travaillent sur le sujet depuis plus de dix ans, pour informer aussi la distribution. Quant aux fiches de données de sécurité qui accompagnent les produits, elles existent depuis longtemps et leur modèle est reconnu partout en Europe, nous n'avons pas eu de demandes de les modifier.

Est-ce que modifier les seuils encouragerait le recours au bas dosage ? Il faut savoir que le haut dosage représente un apport de qualité pour les céréales, c'est en particulier ce qui permet d'atteindre le taux de protéines de 12 %. Ne plus stocker l'ammonitrate à haut dosage à proximité des exploitations, cela poserait aussi un problème de transports, puisqu'il faudrait l'apporter de plus loin, ou apporter davantage de produit moins dosé, ce qui aurait des conséquences environnementales avec plus de camions sur les routes. En réalité, nous avons besoin de livrer dans des délais très courts des quantités importantes d'azote, cela nécessite un maillage de dépôts de magasins de vrac avec des hauts dosages.

Mme Martine Filleul . - Merci pour ces présentations éclairantes sur ce sujet complexe. Notre pays est le premier pays consommateur de nitrates d'ammonium en Europe et le deuxième au monde, certains de ces produits peuvent devenir de véritables bombes. Or, notre réglementation fait commencer le régime de déclaration et le contrôle par des bureaux privés à 250 tonnes de produits stockés, là où nos voisins belges et allemands font démarrer les inspections entre un et trois quintaux : la différence est de taille, n'avons-nous pas des marges de progrès en la matière ? Le transport est la phase la plus délicate, 62 % des accidents s'y produisent, comment y réduire les risques en particulier avec les engins utilisés ? On nous a parlé également d'une coopérative alsacienne qui stockerait d'importantes quantités de produits à proximité de la centrale nucléaire de Fessenheim : avez-vous connaissance de ce cas et qu'en pensez-vous ? Enfin, les inspections ne concerneraient que 9 000 sites sur quelque 500 000 qui pourraient l'être, on nous dit qu'il faudrait environ 9 000 inspecteurs alors que notre pays en disposerait de 1 600 : qu'en est-il ?

M. Antoine Hacard . - L'ammonitrate est la forme d'engrais azoté la plus vertueuse pour l'environnement, bien plus que les autres engrais azotés minéraux utilisés par exemple en Inde ou en Chine. Ensuite, l'abaissement des seuils à quelques quintaux signifierait qu'il faudrait inspecter les 250 000 exploitations agricoles qui en utilisent, ceci trois fois par an, ce n'est pas réaliste. Nous réalisons une prouesse logistique, car nous produisons onze mois par an des engrais qui sont utilisés seulement quelques jours par an. Ma propre exploitation est proche de la Belgique, je peux vous dire que nous y envoyons des camions entiers d'ammonitrate 33.

Il faut dire aussi que, depuis 2004, il n'y a pas eu d'accident sérieux, c'est à considérer, ce qui ne veut pas dire, bien au contraire, que la sécurité ne soit pas un sujet. Le transport est effectivement un moment sensible, il y a peut-être des améliorations à faire sur le transport fluvial et le déchargement, mais il faut voir que pour conditionner, ce qu'on fait de plus en plus depuis des années, il faut quand même des stocks de vrac.

M. Renaud Bernardi . - La diminution des ventes d'ammonitrates à haut dosage obligerait effectivement à s'orienter sur des produits d'une moindre performance environnementale, avec des conséquences agronomiques pour la « ferme France ». Ensuite, le volume de vrac ne cesse de reculer depuis 2004, les 480 000 tonnes auxquelles nous parvenons résultent de quinze années d'efforts où les producteurs n'ont cessé d'investir dans l'ensachage, lequel est du reste facturé 25 euros la tonne aux agriculteurs, chacun a fait des efforts et je crois difficile d'aller plus loin en la matière.

La France est le premier consommateur d'ammonitrates parce qu'il est le premier producteur européen de céréales - nous exportons la moitié de notre production -, cela montre le lien entre la performance du producteur et le besoin de ces volumes d'ammonitrates, ce qui n'est pas sans lien avec notre souveraineté alimentaire.

Je vous rejoins sur le transport : si le ferroviaire était plus développé, il serait davantage utilisé. Mais le transport routier des ammonitrates est strictement encadré, les chauffeurs sont habilités, chaque usine vérifie l'habilitation, l'identité du chauffeur, l'équipement, c'est un transport surveillé et vérifié.

Quant à la coopérative alsacienne dont la proximité avec la centrale nucléaire de Fessenheim représenterait un risque, je n'ai pas d'information particulière, je vous répondrai par la suite.

M. Philippe Prudhon . - Nous sommes favorables à la réglementation et au contrôle, mais cela n'exclut pas la confiance. Les autorités françaises ont fait le choix de concentrer les contrôles sur les installations les plus dangereuses, d'abord les sites Seveso, c'est pour cela que dans les installations classées les signes « DC » - pour déclaration contrôle - se sont multipliés. Des organismes indépendants interviennent alors pour contrôler un ensemble de points et alerter la Dreal en cas de non-conformité.

S'agissant du transport, il faut regarder toute la chaîne. Récemment, le Conseil supérieur de préventions des risques technologiques a adopté un texte pour modifier certaines règles dans les ports maritimes, nous avons voté pour, en tant que représentants des exploitants. La profession est volontaire pour participer à un groupe de travail sur les ports fluviaux.

M. Philippe Tabarot . - Nous avons beaucoup appris de notre déplacement en Seine-Maritime, et nous allons continuer dans le Grand-Est. Quelles sont les quantités d'ammonitrate à moyen dosage produites en France - et quelles sont les productions qui en utilisent ? Comment se répartit l'ammonitrate entre les différents modes de transports
- terrestre, ferroviaire, fluvial ? Que pensez-vous de l'idée de limiter le transport d'ammonitrates à haut dosage en vrac ? On nous dit que des mélanges sont pratiqués entre les produits : le sont-ils dans les coopératives agricoles ? Quelles sont les modalités de contrôle, étant donné que les plus petites coopératives échappent à la réglementation des ICPE ? Les agents des Dreal nous disent qu'ils n'ont pas les moyens de contrôler l'ensemble de la chaîne... En tout état de cause, nous sommes là pour recueillir votre point de vue, pour nous forger une opinion que nous n'avons pas a priori.

M. Antoine Hacard . - Je ne suis pas un défenseur a priori de l'ammonitrate à haut dosage, je le défends d'abord parce qu'il est fabriqué en France et qu'il est nécessaire à nos approvisionnements tels que nous les avons organisés. Ensuite, il faut savoir qu'on ne peut pas produire de l'ammonitrate 27 avec l'outil industriel qui produit l'ammonitrate 33, sinon nous serions preneurs. Concernant les seuils, en dessous de 250 tonnes les stockages sont en quelque sorte inconnus de l'administration. Il y a cependant une difficulté à abaisser ces seuils, car une exploitation agricole peut facilement être amenée à stocker 60 à 90 tonnes d'ammonitrates 33. Abaisser significativement les seuils équivaut à une interdiction, car les durées d'utilisation des ammonitrates sont très courtes : 250 tonnes peuvent partir en trois heures. En outre, cela induirait un travail de contrôle supplémentaire par l'État. Les coopératives sont fiables et contrôlent régulièrement, elles offrent un cadre adapté. Quant aux activités de mélange d'engrais, elles se font sur des chaînes sécurisées, ce type de pratique n'a jamais conduit à des accidents.

M. Renaud Bernardi . - En France, sur les 8 millions de tonnes d'engrais minéraux utilisés chaque année, 70 % sont des engrais azotés. Près de 50 % de ces engrais azotés sont des ammonitrates, soit environ 2,6 millions de tonnes et 60 % des ammonitrates sont à haut dosage. Des 1,6 million de tonnes d'ammonitrates contenant plus de 28 % d'azote issu du nitrate d'ammonium, le vrac représente 30 %, ce qui correspond à 480 000 tonnes.

Si l'on pouvait changer l'outil industriel de l'ammonitrate 33 pour produire de l'ammonitrate 27, on le ferait, mais ce n'est pas la même chose.

L'ammonitrate à haut dosage fait l'objet d'un suivi qualité quotidien, avec des analyses quotidiennes sur sa teneur en azote, ses caractéristiques physiques, mais aussi sa résistance au stockage, à la reprise en masse, ceci dans le cadre des normes en vigueur : le produit fait l'objet de tests de résistance, en situation critique, pour le mettre sous contrainte et vérifier qu'il n'est pas détonnant. Dans les modalités de transports, si on peut faire plus de ferroviaire, nous sommes effectivement très preneurs. Il faut savoir aussi que dans l'organisation actuelle, l'industriel est proche des agriculteurs, 90 % des volumes sont livrés en moins de 24 heures, c'est un élément fondamental de notre organisation.

Mme Nicole Bonnefoy . - J'étais rapporteure de la commission d'enquête chargée d'évaluer l'intervention des services de l'État dans la gestion des conséquences environnementales, sanitaires et économiques de l'incendie de l'usine Lubrizol à Rouen, j'y ai beaucoup appris. Quel vous paraît être l'impact de la sous-traitance sur la sécurité des travailleurs et la sûreté des installations ? Que pensez-vous de l'idée d'interdire la sous-traitance sur les sites à risque ?

Que pensez-vous, ensuite, du fait que la réglementation des installations classées Seveso ne limite pas le tonnage de produits toxiques, inflammables, ou explosifs ? Plusieurs projets de méga-entrepôts dépassent plusieurs centaines de fois les quantités de produits dangereux qui font classer un établissement en Seveso seuil haut - à Saint-Nazaire, par exemple, une autorisation de stockage a été donnée pour un site qui stockerait 43 fois la quantité de nitrates d'ammonium qui est à l'origine de l'accident de Beyrouth, n'est-ce pas prendre le risque d'un méga-accident ? Que penseriez-vous d'un plafond légal de stockage ?

Mme Angèle Préville . - Je m'interroge sur la prévention des risques pour les agriculteurs, même si la manipulation des produits dont nous parlons ne dure que quelques jours dans l'année. Vous parlez de webinaires : combien d'agriculteurs y participent ? Quels sont les contrôles effectués de l'usage des produits par les agriculteurs ? Ne serait-il pas judicieux de prévoir une visite technique, par exemple au début de l'exploitation ? De faire des tests en situation ? Ces produits sont des explosifs s'ils sont contaminés par des produits corrosifs, ce ne sont pas des produits ordinaires...

J'ai compris, ensuite, que les coopératives n'avaient pas l'obligation de disposer d'extincteurs, qui est un outil particulièrement utile au départ de tout incendie : qu'en est-il ? Enfin, je ne crois pas que nous ayons d'idée arrêtée sur le dosage des ammonitrates, nous entendons ce que vous dites : mais si nous choisissions de passer à un dosage moyen, quelle serait la transition ?

M. Didier Mandelli , président . - Peut-on imaginer une formation des agriculteurs aux ammonitrates comme il en existe pour les produits phytosanitaires ?

M. Gérard Lahellec . - En Bretagne, la question des nitrates vaut davantage pour l'élevage que pour les cultures céréalières et le risque perçu par la population est moins celui de l'explosion, que des algues vertes ; elles ne sont certes pas présentes sur toutes nos côtes, loin de là, mais elles sont bien visibles dans certaines de nos baies. La question est très sensible, et particulièrement difficile quand on sait l'importance de l'agriculture - qui représente 65 000 emplois dans mon seul département. Dès lors, comment créer les conditions d'une utilisation vertueuse des nitrates pour garantir leur acceptation sociale ?

M. Philippe Prudhon . - Nous sommes des chimistes, mais la mise en place de nos produits nécessite de nous adjoindre des compétences très spécialisées que nous n'avons pas, ce qui rend la sous-traitance nécessaire. Un électricien haute tension, par exemple, a reçu une formation spécifique - et c'est la même chose quand nous avons besoin d'échafaudages. Cependant, la co-activité sur un même site se traduit par des plans de prévention, auxquels se soumettent toutes les entreprises qui interviennent sur site et qui passent par un processus de certification contrôlé périodiquement.

Ensuite, nous avons mis l'accent sur l'entreposage, et signé avec les logisticiens un accord volontaire en septembre 2020 pour améliorer les opérations, nous promouvons notre référentiel de qualité et de sécurité ; nous formons des auditeurs pour accélérer cette partie.

Sur l'idée d'un plafond de quantités, il faut bien voir que, quelle que soit la quantité stockée, nous faisons une analyse des risques, assortie des dispositifs de prévention idoines, et c'est à l'exploitant d'apporter la preuve que le scénario est acceptable, faute de quoi la Dreal n'autorise pas.

M. Antoine Hacard . - Le métier d'une coopérative, c'est de faciliter le travail de production de ses adhérents, et nous faisons oeuvre utile en les préservant de contraintes supplémentaires, ce que nous faisons du reste en stockant et en leur délivrant des produits dans des conditions d'utilisation sûre. Je n'ai pas les chiffres des produits stockés en ferme, je dirais qu'ils représentent le cinquième du volume, dans la plupart des cas les agriculteurs viennent à la coopérative prendre des produits dont ils se servent le lendemain, le risque est alors quasiment nul, sauf acte de malveillance, car il faut des conditions particulières pour que ces produits deviennent explosifs. Je crois que nous devons renforcer notre travail entre producteurs et stockeurs, en dispensant les agriculteurs de contraintes supplémentaires.

Quant à l'acceptabilité sociale de l'azote en Bretagne, la question renvoie à la concentration de l'élevage sur une zone restreinte. En réalité, l'épandage d'ammonitrates ne laisse guère de trace dans l'environnement quand il est réalisé et je sais que les agriculteurs utilisent la juste quantité de produit - on le comprend d'autant plus facilement qu'il coûte 650 euros la tonne...

M. Renaud Bernardi . - L'information des agriculteurs est un enjeu très important, nous en sommes tous conscients, c'est la raison pour laquelle elle figure au plan d'action que la filière a proposé au ministère de l'agriculture à la fin 2021, c'est un effort à fournir dans la continuité.

En Bretagne, les nitrates sont épandus surtout sur les prairies pour les rendre propres à l'élevage, et c'est par ces techniques que la Bretagne est devenue la première région d'élevage de France. Les éleveurs bretons ont déjà fait des efforts considérables, chacun est rigoureux dans l'usage du produit, je crois que les conditions d'utilisation vertueuses sont déjà réunies, reste à expliquer davantage que l'usage de ces produits fait partie intégrante de la performance de l'agriculture française.

Mme Angèle Préville . - Qu'en est-il des extincteurs dans les coopératives ?

M. Antoine Hacard . - J'en vois dans toutes les coopératives où je me rends, mais je vais regarder si c'est obligatoire...

M. Gilbert Favreau . - Je suis surpris qu'entre nos trois invités, l'un réponde bien moins que les deux autres à nos questions : quelles sont les positions de France chimie ?

M. Jean-Claude Anglars . - Avant cette audition, nous avons, devant le groupe d'études « Agriculture et alimentation », évoqué la question de la souveraineté alimentaire, ce qui m'inspire cette question, que je reconnais un peu décalée : pourquoi, au pays de la baguette de pain, manquons-nous de farine de blé ?

M. Philippe Prudhon . - Je n'ai pas donné la position de France chimie sur toutes les questions abordées, parce que mes voisins y répondent parfaitement, étant donné qu'elles concernent plus directement leurs spécialités. J'ai précisé la position de France chimie dans mon propos liminaire : nous disposons d'une chaîne logistique et d'entreposage précise, la réglementation a évolué, en particulier à la suite de rapports administratifs, nous savons que l'action doit se renforcer sur les ports fluviaux pour qu'ils ne soient pas le maillon faible. Mes collègues se sont déclarés tout à fait disposés à travailler sur le sujet dans un groupe de travail.

M. Antoine Hacard . - Nous n'allons pas manquer de blé, puisque notre production atteint 37 millions de tonnes, mais il y a de fortes tensions internationales sur le blé, le maïs et le sucre, les stocks sont très faibles. La stabilité géopolitique de nos voisins peut être liée au prix des céréales, certains de nos voisins commencent à connaître des tensions sociales, il est du devoir de la France de livrer ces pays en blé pour assurer leur stabilité. Ajoutons à cela que la Chine achète beaucoup de blé français.

M. Didier Mandelli , président . - Effectivement, l'Histoire nous montre l'importance que revêt le prix des céréales... Merci pour votre participation à nos travaux.

Ce compte rendu a fait l'objet d'une captation vidéo disponible sur le site internet du Sénat .

Audition des auteurs du rapport interinspections sur la gestion des risques liés à la présence d'ammonitrates dans les ports maritimes et fluviaux (mercredi 1er décembre 2021)

M. Jean-François Longeot , président . - Mes chers collègues, je voudrais avoir une pensée toute particulière pour notre collègue Charles Revet, décédé hier. Il siégeait à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable et avait démissionné pour que Pascal Martin puisse entrer au Sénat avant le renouvellement sénatorial.

Nous ouvrons aujourd'hui un cycle de travaux consacrés à la gestion des risques liés à la présence de produits à base de nitrate d'ammonium dans nos ports maritimes et fluviaux. La catastrophe survenue à Beyrouth le 4 août 2020 a cruellement rappelé les dangers liés au nitrate d'ammonium : à la suite d'un incendie, un entrepôt qui contenait 2 750 tonnes de cette matière a explosé, entraînant des dégâts humains et matériels considérables, avec 204 morts, plus de 6 500 blessés et 300 000 personnes déplacées.

La matière en cause dans cette explosion, stockée depuis plus de sept ans dans l'entrepôt après avoir été abandonnée par son propriétaire, était du nitrate d'ammonium « technique », un produit utilisé pour la fabrication d'explosifs : s'il a eu des conséquences désastreuses à Beyrouth, ce produit ne représente qu'une part infime du transport fluvial et maritime dans le monde. En revanche, d'autres produits à base de nitrate d'ammonium représentent des volumes de trafics plus substantiels et induisent donc des risques bien plus élevés pour nos populations, en particulier les ammonitrates, un engrais agricole très répandu dont notre pays est l'un des plus grands consommateurs en Europe.

Les produits à base de nitrate d'ammonium présentent en effet deux risques principaux : l'explosion, surtout s'agissant des produits à haut dosage, et la décomposition autoentretenue, en particulier lorsqu'ils sont stockés dans de mauvaises conditions.

Si la probabilité d'un accident est relativement faible, les dégâts potentiels en cas d'incident sont élevés, comme en témoigne l'explosion survenue dans l'usine AZF de Toulouse en 2001, qui avait fait 31 morts et plus de 2 000 blessés.

Ces éléments justifient une attention particulière de notre commission à la gestion des risques liés au nitrate d'ammonium, à la fois au titre de nos compétences en matière de transport fluvial et maritime et de prévention des risques industriels.

En septembre 2020, à la suite de la catastrophe de Beyrouth, le Gouvernement a chargé le Conseil général de l'économie, de l'industrie et des technologies (CGEIET) et le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) d'une mission commune sur la gestion des risques liés à la présence d'ammonitrates dans les ports français maritimes et fluviaux. Ce rapport, riche et précis, est paru en mai 2021 et nous avons l'honneur de recevoir aujourd'hui deux de ses quatre auteurs, MM. Jérôme Goellner et Michel Pascal, ingénieurs généraux des Mines.

L'objectif de l'audition de ce matin est de dresser un état des lieux de la prévention des risques liés au trafic et au stockage de nitrate d'ammonium dans nos ports fluviaux et maritimes. Il s'agit d'une première étape essentielle afin de lancer nos travaux, qui devraient s'achever en février et s'articuler en deux temps :

- d'une part, nous allons entendre les administrations centrales compétentes en matière de transport et de prévention des risques industriels et des acteurs économiques concernés par l'utilisation d'ammonitrates, afin d'identifier l'ensemble des enjeux liés à un renforcement de la réglementation sur le transport ou le stockage de nitrate d'ammonium dans notre pays et de déterminer des pistes de réforme ;

- d'autre part, je souhaite que notre commission se rende dans les ports qui concentrent les plus importants trafics d'ammonitrates dans notre pays, afin de confronter à la réalité du terrain la matière issue de nos auditions : une délégation devrait se rendre le 13 décembre prochain dans le port fluvial d'Elbeuf, situé en Seine-Maritime, au sujet duquel le rapport du CGEDD a relevé de nombreuses difficultés. Nous pourrions également nous rendre au mois de janvier dans des ports fluviaux du Grand Est, tels que ceux de Metz ou Strasbourg, identifiés par le rapport du CGEDD comme rassemblant le plus d'enjeux.

Sans plus attendre, je cède la parole à nos invités afin que vous nous exposiez les conclusions de vos travaux. Nous aimerions tout particulièrement que soient présentés les principaux problèmes liés au transit et au stockage d'ammonitrates dans nos ports, les lacunes en matière de réglementation et de contrôle que vous avez identifiées et, bien sûr, les pistes d'évolutions législatives, voire réglementaires qui vous semblent souhaitables.

M. Michel Pascal, ingénieur général des Mines . - Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, nous sommes très heureux de pouvoir vous présenter ce rapport.

Je suis membre du Conseil général de l'économie, de l'industrie et des technologies qui est chargé, avec le Conseil général de l'environnement et du développement durable, dont nous faisons partie, d'une mission commune sur le sujet à propos duquel nous sommes entendus aujourd'hui.

Je centrerai mon propos sur les ports maritimes et fluviaux. Notre mission a étudié d'une part les risques liés aux ammonitrates et, d'autre part, leurs différentes utilisations à travers le monde, notamment en France.

Nous avons également émis des propositions, au-delà des ports, en matière de réglementation du produit, notamment lorsqu'il est stocké dans des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE), ce qui n'était pas l'objet de notre inspection, mais également dans les exploitations agricoles, une bonne partie des ammonitrates étant stockée dans des fermes.

Les ports se divisent en deux catégories : d'une part, les ports maritimes, comme Dunkerque ou Le Havre et, d'autre part, les ports fluviaux. Il existe une grande différence entre ces deux types de ports : un port maritime bénéficie d'un statut et comporte des règlements, contrairement aux ports fluviaux. Les choses sont totalement différentes en termes de réglementation et de compétences des personnes.

Dans les ports maritimes sur lesquels nous avons travaillé, la situation, sur le plan réglementaire, est très précise, notamment en matière de déchargement et de contrôle, des capitaineries étant chargées de la sécurité.

C'est ce qui nous fait dire dans notre rapport qu'un accident, même si celui-ci est toujours possible, y compris dans un port maritime bien géré, paraît peu plausible.

À Beyrouth, il y avait de mauvais produits provenant de pays producteurs qui n'approvisionnent plus depuis longtemps les fermes françaises, stockés dans des conditions totalement inacceptables. En France, un tel stockage aurait fait l'objet d'une classification ICPE et d'une batterie de contrôles.

Nous formulons malgré tout deux recommandations.

La première concerne les ports maritimes et l'organisation nationale des capitaineries qui sont parfois isolées. Elles travaillent beaucoup et mettent à jour des règlements locaux qui existent pour chaque port. Cela vaudrait la peine d'avoir un retour d'expérience en la matière, sous le pilotage du ministère de la transition écologique.

La deuxième concerne les informations sur les quantités d'ammonitrates. Nous avons cherché à savoir combien de tonnes d'ammonitrates transitent par les ports. La réponse n'est pas évidente, car les systèmes d'information ne sont pas tous cohérents.

Même si la situation dans le Grand Est et à Elbeuf - 50 000 tonnes par an - n'est pas du tout la même qu'à Toulouse - 3 000 tonnes, 31 morts et 2 000 blessés, ce dernier tonnage est largement suffisant pour exploser et entraîner de graves conséquences.

La situation des ports fluviaux est plus « artisanale » que dans les ports maritimes. Ils ne bénéficient pas d'un réel statut et recouvrent une très grande diversité.

On trouve sur le port d'Elbeuf un bâtiment de deux étages et d'environ 100 mètres carrés, un quai de 150 mètres de long et un hangar dans lequel sont stockées un certain nombre de choses, sans qu'il s'agisse forcément d'ammonitrates. Lorsque nous y sommes allés, en tout état de cause, il n'y en avait pas.

17 000 tonnes de produits transitent par ce port, ce que tout le monde ignorait. Le préfet ne le savait pas, alors que l'Accord européen relatif au transport international des marchandises dangereuses par voies de navigation intérieures (ADN) précise qu'une autorisation de l'autorité compétente est nécessaire pour décharger des marchandises en un lieu précis. Dans le cas d'espèce, il s'agit du préfet.

Les autres ports sont dans la même situation. Celle-ci ne nous est pas apparue catastrophique. La personne que nous avons rencontrée à Elbeuf connaissait son travail, mais aucun encadrement n'est prévu.

Nous formulons de ce fait trois recommandations importantes sur le sujet.

La première consiste à établir un règlement national qui vienne compléter l'ADN, préciser les règles déchargements et indiquer qui est compétent, comme dans les ports maritimes.

Notre deuxième recommandation consiste à organiser le contrôle et à indiquer qui l'exerce dans les ports.

Les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) s'en occupent lorsqu'il existe des ICPE. Voies navigables de France (VNF), qui est en charge de la maintenance de la voie d'eau, ne prend pas en charge cet aspect des choses, qui ne fait pas partie de ses missions de contrôle. En Belgique, la situation est totalement différente.

Notre troisième recommandation porte sur la question de savoir quels produits transitent par la voie d'eau. Dans d'autres pays, on sait que lorsqu'un bateau de matières dangereuses emprunte certains cours d'eau, il existe une obligation d'annonce. Celle-ci est prévue par les textes, mais ne semblait pas connue de ceux avec qui nous avons discuté, sauf sur le Rhin et le Rhône. Précisons que nous n'avons pas trouvé de transit d'ammonitrates sur le Rhône. Nous ne pouvons parler de ce que nous avons vu et de ce qu'on nous a dit.

M. Jérôme Goellner, ingénieur des Mines . - Je parlerai, quant à moi, de manière plus générale des ammonitrates et de la réglementation sur les produits et les stockages dans les endroits autres que les ports.

Il faut tout d'abord distinguer le nitrate d'ammonium des ammonitrates, fabriqués en grande majorité à partir de nitrate d'ammonium, et qui servent d'engrais.

Je parlerai essentiellement des engrais d'ammonitrates à usage agricole, le nitrate d'ammonium pur, comme celui qui a explosé à Beyrouth, n'étant plus fabriqué en France et pouvant être utilisé et transposé dans des quantités très limitées pour fabriquer des explosifs. Ceci fait l'objet d'une réglementation très poussée. Il s'agit d'un produit normalement inerte dans des conditions normales de fonctionnement, fabriqué pour cela. On ajoute au nitrate d'ammonium des inertants en quantité plus ou moins importante.

Il subsiste un risque d'explosion dans des conditions particulières, notamment si le produit est pris dans un incendie, comme à Beyrouth, ou s'il est contaminé par des produits incompatibles, notamment des combustibles.

C'est apparemment ce qui s'est passé chez AZF, où le produit a été contaminé.

Le risque est d'autant plus fort que la concentration de nitrate d'ammonium dans les engrais comportant des ammonitrates est forte.

On trouve plusieurs catégories d'engrais contenant des ammonitrates. Il est important de les distinguer, puisqu'on peut avoir dans l'engrais du nitrate d'ammonium pratiquement pur à 98 % ou des ammonitrates à 27 % d'azote, soit 80 % d'ammonitrates et 20 % d'inertants - soit dix fois plus. Le risque est plus fort avec la haute concentration. L'accidentologie internationale le démontre très bien.

Ces produits sont encadrés par plusieurs corpus réglementaires.

Une réglementation européenne définit tout d'abord la mise sur le marché. Pour pouvoir vendre des ammonitrates, il faut respecter un certain nombre de normes - pourcentages de contamination, tests de stabilité. Pour que ces produits puissent être mis sur le marché et vendus comme engrais, il faut respecter ces dispositions.

Il existe par ailleurs une réglementation internationale sur le transport fluvial, maritime, routier ou ferroviaire. Cette réglementation définit les caractéristiques du produit en cas de transport et comporte des dispositions sur la formation des intervenants, l'équipement des matériels, etc.

Il existe par ailleurs une réglementation Seveso pour les plus gros stockages, qui s'applique notamment aux usines de fabrication, et une réglementation ICPE nationale pour les stockages plus petits, avec un certain nombre de seuils et de régimes.

Il est important de savoir que les ammonitrates sont des engrais azotés. Par rapport à leurs concurrents que sont l'urée et les solutions ammoniacales, c'est un meilleur engrais du point de vue environnemental et en termes de pollution de l'eau, sans que ce soit déterminant, mais surtout en matière de pollution de l'air, parce que cela émet beaucoup moins d'ammoniaque en cas d'épandage.

Les ammonitrates sont fabriqués en France dans quatre ou cinq usines, alors que leurs concurrents sont étrangers.

Il est vrai que la France utilise majoritairement des ammonitrates comme engrais azotés. Dans notre pays, il n'existe pas de réelle distinction réglementaire entre le stockage des ammonitrates à moyenne concentration et haute concentration. Le risque potentiel est donc assez fortement différent.

En matière de transports internationaux, les hautes concentrations sont considérées comme dangereuses alors que la moyenne concentration ne l'est pas, le risque étant considéré comme trop faible.

De la même manière, les stockages à haute concentration figurent dans la directive Seveso, mais non les moyennes concentrations.

En France, on s'est aligné sur le haut. Les moyens dosages sont réglementés comme les hauts dosages, mais cela n'incite pas à l'utilisation des moyens dosages. On a constaté que la plupart des utilisateurs ne faisaient pas la différence, pas plus que les ICPE. Les agriculteurs passent d'ailleurs de l'un à l'autre en fonction du prix, sans se poser beaucoup de questions en matière de sécurité.

Second constat par rapport aux textes internationaux et à ce qui se passe dans d'autres pays : le vrac en haute concentration est autorisé en France alors qu'il est interdit à l'échelle européenne.

Les normes européennes indiquent que les ammonitrates à haute teneur doivent impérativement être transportés et conditionnés en big bags , l'objectif étant d'éviter des contaminations accidentelles par d'autres produits. En France, on a le droit d'appliquer la norme française à la place de la norme européenne. À Elbeuf par exemple, le transport d'ammonitrates haute concentration se fait en vrac.

Autre constat étonnant : la réglementation française sur le transport maritime interdit le vrac à haute concentration, mais Elbeuf n'étant pas un port maritime, cette obligation ne s'applique pas et l'importateur lituanien fait donc dix kilomètres de plus sur la Seine pour décharger ce produit. C'est subtil, mais nous sommes assez satisfaits d'avoir découvert cette anomalie que tout le monde ignorait.

Je répète qu'il n'y a pas de risques : la société qui s'occupe du déchargement à Elbeuf est une société sérieuse, mais rien n'est contrôlé ni encadré.

Le seuil à partir duquel on entre dans la réglementation est objectivement relativement élevé, puisqu'il est de 250 tonnes. Un stockage à haute concentration de moins de 250 tonnes n'est donc pas réglementé au titre des ICPE. C'est le cas de la grande majorité des stockages à la ferme. La réglementation et le contrôle des usines étant très sévères, les stocks se retrouvent dans les exploitations agricoles pour lesquelles il n'existe aucune réglementation.

Bien que ce ne soit pas le but de notre mission, il convient de sensibiliser le monde agricole aux bonnes pratiques de stockage et éviter d'entreposer les ammonitrates entre les pneus et la cuve de fioul.

Je suis par ailleurs responsable d'un bureau enquêtes accidents (BEA) sur les risques industriels. On a lancé deux enquêtes sur des incendies dans des fermes où des ammonitrates étaient présents : beaucoup d'agriculteurs ne sont pas sensibilisés à cette question. Ils reçoivent des données de sécurité de 80 pages totalement illisibles où l'on dit qu'il faut se laver les mains après avoir manipulé le produit et éviter le stockage à côté de produits combustibles, mais il n'y a pas de réelle sensibilisation sur ce sujet.

Nous proposons donc d'interdire le vrac à haute concentration, ce qui ne nécessite pas de dispositions législatives. Il suffit que le règlement européen soit rendu obligatoire. Bizarrement, il est en effet facultatif en France et n'est pas systématiquement appliqué.

Cela ne dérangerait pas grand monde, sauf les importateurs de produits en vrac. Certains fabricants, qui produisent des ammonitrates en France, s'interdisent la vente en vrac, la considérant comme trop dangereuse. En pratique, les agriculteurs sont de moins en moins nombreux à prendre leur tracteur pour aller faire le plein de produits en vrac à la coopérative agricole.

En deuxième lieu, nous proposons de favoriser le moyen dosage en fixant des seuils de règlement différents pour le haut et le moyen dosage. Je ne dis pas qu'il faut déréglementer complètement le moyen dosage - encore qu'on pourrait l'imaginer -, mais il faudrait surtout avoir des seuils différenciés pour qu'une coopérative agricole ou un agriculteur qui utilise uniquement le moyen dosage ait un avantage réglementaire et ne soit pas tenue de respecter toute une réglementation complexe.

Il ne faut pas tout jeter pour autant. Je le répète : les ammonitrates sont de bons produits lorsqu'on a besoin d'engrais azotés. Certains prétendent qu'il n'y a qu'à se passer totalement d'engrais chimiques, mais c'est plus compliqué.

Ce produit, par rapport à ses concurrents chimiques, est bien meilleur du point de vue environnemental. Il ne faut donc pas qu'une pression trop forte se traduise par le passage systématique à la concurrence, ce qui poserait des problèmes environnementaux et industriels sévères, puisque ces produits ne sont pas fabriqués en France. Pousser le moyen dosage nous paraît donc être la bonne solution.

J'aurais dû le préciser dès le départ : le haut dosage est interdit dans de nombreux pays européens comme l'Allemagne, la Belgique, le Royaume-Uni ou autres, ainsi qu'en Turquie ou en Chine, soit pour des raisons liées au risque d'accident, soit pour des raisons de terrorisme s'agissant d'un produit qui peut être précurseur d'explosif.

Notre troisième proposition consiste à lancer une campagne de réelle sensibilisation du monde agricole. Il est impossible, selon nous, de réglementer tous les stockages à la ferme. On sait par ailleurs la pression qui s'exerce déjà sur le monde agricole. Une forte sensibilisation au travers des chambres d'agriculture et des vendeurs de ces produits, qui ne sont pas directement responsables de ce qui se passe dans le monde rural, suffirait à améliorer les choses, sachant qu'on n'enregistre que peu d'accidents, malgré une utilisation très générale de ce produit.

Il ne faut en effet pas penser que la situation est catastrophique : il n'y a pas eu d'accident grave en France, dans le monde agricole, depuis 2003. Ce sont des produits stables qui n'explosent pas tous les jours, mais cela n'empêche pas qu'il faille prendre des précautions compte tenu du risque potentiel que cela présente.

M. Jean-François Longeot , président . - La parole est à Pascal Martin, au titre de la prévention des risques.

M. Pascal Martin . - Vous avez évoqué Grand Est et Elbeuf. Je suis élu de Seine-Maritime et j'aimerais qu'on parle différemment de ce département après l'incendie de Lubrizol. Ces projections sur le terrain nous permettent de connaître la situation actuelle des ports fluviaux et d'apporter des solutions pouvant améliorer la présente situation.

Monsieur Pascal, vous avez parlé d'un fonctionnement artisanal de certains ports fluviaux, par rapport aux ports maritimes, et de l'absence de réglementation stricte, en particulier dans les ports ne comportant pas d'ICPE importante.

Vous citiez Elbeuf. Je rappelle à mes collègues qu'Elbeuf est à moins de vingt kilomètres de Lubrizol à vol d'oiseau. Je n'en dirai pas plus...

Comment sont effectués les contrôles sur les sites qui ne relèvent pas des ICPE ? De quelle façon pourrions-nous renforcer leur surveillance, tout en tenant compte de leur petite taille ?

Vous indiquez que, dans certains ports comportant des installations ICPE soumises à déclaration, les obligations de contrôle ne sont pas respectées. Comment expliquez-vous ces défaillances ? Proviennent-elles uniquement d'une insuffisance de moyens humains dédiés au contrôle des ICPE ou identifiez-vous d'autres facteurs ?

Votre rapport relève également que les autorités portuaires et les services de l'État méconnaissent la présence de stocks d'ammonitrates déposés à terre dans certains ports fluviaux, y compris celui de Strasbourg qui bénéficie pourtant d'une organisation relativement robuste par rapport à des ports de plus petite taille. Comment expliquez-vous l'incapacité de certaines autorités à détecter un dépôt inhabituel de matières dangereuses dans le port ? Comment pourrions-nous y remédier, de façon concrète et pragmatique ?

Vous soulignez la difficulté à se faire une idée précise des flux et des lieux de stockage des différents produits à base de nitrate d'ammonium à haut, moyen et faible dosage, et ceux présentant un risque de détérioration autoentretenue dans notre pays.

Vous proposez l'institution d'un suivi centralisé de ces flux pour les matières les plus dangereuses. De nombreux acteurs - élus locaux, services territoriaux de l'État, transporteurs fluviaux, SDIS, chargés d'intervenir dans les ports en cas d'incendie ou d'explosion - pourraient avoir intérêt à être informés de la présence de nitrate d'ammonium sur leur territoire d'intervention. La menace terroriste impose cependant la plus grande prudence dans la mise à disposition de ces données sensibles.

Afin de respecter les impératifs de la sûreté de l'État, à quels acteurs, selon vous, devrait se limiter la diffusion de ces informations ?

M. Philippe Tabarot . - Je suis heureux de pouvoir échanger avec vous sur ce sujet, car j'avais interrogé la ministre de la mer l'an dernier sur cette question à la suite de la catastrophe du Liban et obtenu une réponse pour le moins évasive.

Votre rapport identifie un certain nombre de lacunes s'agissant du déchargement et du stockage dans les ports des produits à base de nitrate d'ammonium. Avez-vous identifié des failles de sécurité au stade du transport de ces produits sur la voie fluviale ?

Quels sont les ports où, mis à part Elbeuf, en dépit de l'existence d'un trafic d'ammonitrates et d'opérations de chargement et de déchargement, les infrastructures ne permettent pas de prendre en charge ces produits dans de bonnes conditions ? Avez-vous connaissance de ports dans lesquels les personnels, notamment manutentionnaires, ne sont pas suffisamment formés sur cette question ?

Concernant la gestion des risques, vous soulignez l'écart entre les ports maritimes, dans lesquels le transit de matières dangereuses fait l'objet d'un encadrement clair et de contrôles adéquats, et les ports fluviaux, qui répondent à une réglementation bien plus lacunaire. Vous parliez de VNF et de son rôle le cas échéant.

Existe-t-il dans la réglementation applicable aux ports maritimes des mesures législatives dont la transposition aux ports fluviaux serait opportune ? Nous avons eu ici, s'agissant des ports fluviaux, un débat sur le nombre de collaborateurs de VNF qui se réduit chaque année.

S'agissant des ports maritimes, des évolutions législatives vous semblent-elles nécessaires pour améliorer la prise en charge des matières dangereuses, par exemple en matière de coordination entre les capitaineries et de gouvernance ?

Enfin, des moyens humains supplémentaires sont-ils requis en administration centrale pour essayer de mieux accompagner les ports dans la gestion de ces risques industriels ?

M. Olivier Jacquin . - Merci, messieurs, pour la qualité de votre travail, qui permet de bien appréhender la situation et de voir une faille possible entre ports maritimes et ports fluviaux.

Vous relevez que, dans les ports fluviaux, on se trouve face à une certaine dilution des responsabilités : statut juridique peu clair, produits non recensés, ICPE mal contrôlées.

Quelles sont vos préconisations précises en matière réglementaire ou législative ? Avez-vous soumis vos propositions à VNF ? Dans quelle mesure VNF, gestionnaire des infrastructures fluviales, pourrait-il jouer un rôle particulier dans ce dispositif ?

Je suis agriculteur dans le Grand Est. J'ai résolu le problème des ammonitrates en passant en agriculture bio. J'attire votre attention sur ce que nous faisons par rapport à la possible production de normes. Ceci est salutaire : il existe un risque, on fait un rapport et on le traduit immédiatement en ce sens.

Selon vous, les ammonitrates à haute concentration - je suppose qu'il s'agit des 33,5 % et plus - sont particulièrement dangereux, mais vous constatez aussi qu'il n'y a pas d'accidents dans les exploitations agricoles.

Je ne dis pas qu'il ne faut rien faire. Vous parlez de sensibilisation : c'est un minimum. Il ne faudrait toutefois pas aller trop loin et traduire des normes européennes à l'échelon national en y ajoutant une couche. Je suis favorable aux normes lorsqu'elles sont utiles et avérées.

J'aimerais que vous nous expliquiez pourquoi ces réglementations européennes n'ont pas été traduites en France. Peut-être est-ce là l'oeuvre d'un lobby et il faut peut-être revoir les choses, mais une explication cohérente doit exister. Je jouais sur les sacs d'ammonitrates lorsque j'étais gamin. Je sais comment ils sont stockés dans les fermes. Ce n'est pas dangereux. Dès lors qu'on dispose de stockages fermés et qu'on ne les mélange pas avec n'importe quoi, il y a très peu de risques.

M. Michel Pascal . - À 33,5 %, vous êtes à la limite.

M. Olivier Jacquin . - À partir de quand parle-t-on de haute concentration selon vous ?

M. Jérôme Goellner . - La haute concentration débute à 28 % d'azote, ce qui correspond à 80 % de nitrate d'ammonium. Le nitrate d'ammonium pur se situe à 35 %.

On trouve traditionnellement sur le marché des produits à haute concentration de 33,5 %. On importe même du 34,2 %, de façon conforme à la norme européenne alors que la moyenne concentration se situe à 27 %.

M. Michel Pascal . - Il est sûrement utile d'entendre le ministère de l'agriculture, qui est partie prenante de ces sujets.

Je ne sais toutefois s'il pourra vous éclairer. La France pourrait interdire le vrac. Nous n'avons pas identifié de raisons techniques particulières pour l'autoriser.

M. Olivier Jacquin . - Le prix, peut-être...

M. Michel Pascal . - Les autres pays aussi connaissent des problèmes de prix.

Les moyens humains nous semblent suffisants au sein de la direction générale de la prévention des risques (DGPR), mais il y a peu de monde à la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM).

Le problème de Strasbourg et d'Elbeuf n'est pas une question de moyens humains. Une visite une fois par an prend peu de temps. La DREAL pourrait s'en occuper. Or elle ne le fait pas. Elle ne connaissait même pas le site. Il en va de même pour Strasbourg.

Vous dites fort justement que le port de Strasbourg ressemble à un port maritime : on ne nous en a pas parlé.

M. Jérôme Goellner . - Il n'y a pas de capitainerie dans les ports fluviaux, pas même à Strasbourg. Le métier de ces fonctionnaires est d'assurer la sécurité du transport de matières dangereuses et celle des navires.

C'est un peu comme sur les autoroutes, où les sociétés autoroutières n'ont aucune idée de ce que transportent les camions. Il en va de même à propos de VNF pour les bateaux. VNF n'est pas en charge de contrôler la sécurité des bateaux de transport.

L'ADN prévoit l'agrément des bateaux, leur contrôle régulier, la formation des pilotes, la signalisation. Des contrôleurs des transports terrestres contrôlent le transport des matières dangereuses. Ils dépendent des DREAL. Leur priorité, c'est la route. Ils contrôlent beaucoup de camions, quelques lignes de chemin de fer et très peu de voies fluviales, les ports relevant des capitaineries. Il ne serait pas très compliqué de faire quelques contrôles dans les ports, et cela ne nécessiterait pas beaucoup de monde.

M. Michel Pascal . - À Strasbourg, il existe une bonne relation entre la DREAL et la gendarmerie fluviale.

M. Jérôme Goellner . - La gendarmerie fluviale n'a toutefois pas une expertise technique particulière. En tout état de cause, personne ne se préoccupe des lieux de déchargement.

À Strasbourg, un silo de céréales a subi un incendie. Les pompiers ont découvert au pied du silo des big bags d'ammonitrates qui avaient été déchargés, la coopérative agricole qui utilisait le silo se servant de temps à autre du quai pour décharger des ammonitrates. Ni le port de Strasbourg ni VNF ne contrôlent le quai.

M. Michel Pascal . - Les manutentionnaires sont-ils suffisamment formés ? Ils sont, en tous les cas, tous responsables. Probablement sont-ils insuffisamment formés. La société de manutention qu'on a rencontrée à Elbeuf doit être composée d'une équipe de quelques personnes. Ce n'est toutefois pas très encadré. C'est ce qui me fait dire que c'est artisanal. Ils connaissent bien leur travail, mais peuvent difficilement prouver qu'ils le font bien.

Nous avons beaucoup travaillé avec VNF, qui nous a suivis, nous a fourni des documents, nous a aidés à organiser des visites. Ils ont été très présents, notamment dans l'Est, mais ils n'ont pas réagi à nos recommandations, que je leur avais pourtant transmises. Je les ai relancés trois fois. J'ai trouvé dommage qu'on n'ait pu aller plus loin. Nous avons rencontré l'équivalent de VNF en Belgique, qui est soumis à des règlements. Visiblement, VNF n'a pas envie qu'on les oblige à respecter des normes.

Nous pensons cependant que VNF est extrêmement bien placé pour appliquer l'obligation d'annonce et contrôler les lieux de chargement et de déchargement. S'il y a quelqu'un qui connaît les voies d'eau, c'est bien VNF.

M. Jérôme Goellner. - En pratique, c'est au préfet de dire s'il est possible ou non de décharger des matières dangereuses à tel ou tel endroit, dans telles ou telles conditions, mais la logique voudrait que ce soit VNF qui appuie le préfet.

Il existait autrefois des services de l'État pour traiter de la navigation. VNF a été créé à la suite de leur disparition. Ces missions régaliennes ont échappé à VNF et sont de fait devenues orphelines.

Ce n'est sans doute pas à VNF d'exercer des contrôles et de dresser de procès-verbaux, mais il lui incombe d'appuyer le préfet pour définir une réglementation, qui pourrait ensuite être contrôlée par la gendarmerie fluviale ou les contrôleurs des transports terrestres des DREAL. Ce n'est pas une lourde charge compte tenu du trafic fluvial de la France en matière de transport de matières dangereuses.

M. Jean-François Longeot , président . - D'où la question sur la baisse des effectifs...

M. Michel Pascal. - Monsieur Jacquin, quand une ICPE existe, il y a une DREAL derrière, avec obligation de visites régulières, le risque zéro n'existant pas.

On trouve une deuxième catégorie d'installations classées, celles soumises à déclaration. En France, on en compte 500 000. Même si l'on met un fonctionnaire derrière chacune d'elles, cela ne suffira pas.

Il faut donc trouver d'autres moyens de les contrôler. Certaines installations doivent être contrôlées par des organismes tiers tous les trois ou cinq ans. Le problème vient du fait que ce n'est pas appliqué. Une installation sur dix seulement reçoit la visite d'un organisme tiers. Avant d'établir des normes, il est important d'appliquer celles qui existent. Ce n'est peut-être pas la priorité, mais le corpus réglementaire et législatif existe.

Pour ce qui est de VNF, il me semble nécessaire de passer par la loi pour leur fixer cette mission.

Pour ce qui est des ICPE, on a proposé d'augmenter la pression sur le contrôle des ammonitrates. Les DREAL n'exercent aucun contrôle sur les installations soumises à déclaration, sauf problème particulier. On a visité une installation soumise à déclaration en dessous d'une ligne à haute tension. La DREAL ne l'avait pas contrôlée. Elle aurait probablement fait une remarque.

Cela pose un léger problème. VNF aurait pu la voir...

M. Olivier Jacquin . - Vous n'avez pas répondu à ma question : pourquoi les réglementations européennes ne sont-elles pas appliquées en France ?

À partir de quel seuil vous semblerait-il nécessaire d'augmenter les contrôles des ports fluviaux ? Sur la Moselle, certains ports fluviaux sont de simples quais. Ailleurs, c'est un seul logisticien qui stocke des mono-produits. Les ports de Strasbourg ou de Metz, qui accueillent de multiples produits, sont à un autre niveau.

Mme Nadège Havet . - La France est le premier consommateur d'ammonitrates en Europe et le deuxième à l'échelle mondiale. Vous rappelez dans votre rapport les risques d'explosion liés au stockage, le manque de réglementations encadrant les quantités que les agriculteurs peuvent conserver sans mesure de sécurité ou déclaration obligatoire. Existe-t-il chez nos voisins européens des règles ou de bonnes pratiques dont nous pourrions nous inspirer pour le transport et le stockage ?

Plus globalement, la publication de votre rapport a-t-elle suscité des réactions particulières de la part des acteurs concernés ? Je pense au monde agricole et à l'administration de l'État.

Parmi les constats de votre rapport, lesquels, selon vous, appellent les actions les plus urgentes ?

Mme Marta de Cidrac . - Nous parlons beaucoup de sécurité ce matin. Pouvez-vous nous confirmer que la notion de risque est suffisamment prise en compte dans l'approche de nos ICPE ?

M. Ronan Dantec . - Je rappelle que les ammonitrates représentent 50 % des émissions de notre agriculture, soit 20 % des émissions de gaz à effet de serre de la France. C'est donc une bombe climatique.

La France ne tiendra pas ses objectifs de réduction d'émission de gaz à effet de serre sans une réduction massive de l'utilisation des ammonitrates. Ce n'est pas une analyse dogmatique : la réduction par deux des ammonitrates est écrite dans les traités internationaux que la France a signés.

Cette baisse inéluctable peut-elle amener à une refonte des chaînes logistiques et à davantage de sécurité ? C'est un élément qui était absent de votre présentation, alors que c'est aujourd'hui totalement incontournable.

Deuxièmement, vous êtes-vous intéressés à l'environnement du stockage ? Le risque est en effet, comme dans le cas de Lubrizol, en périphérie des unités dangereuses. C'est le cas aussi pour les ammonitrates.

J'ai souvenir qu'on a évacué une bonne partie de l'agglomération nantaise en 1987 à la suite de l'incendie d'un dépôt. Si mes souvenirs sont bons, on avait un stockage de nitrate d'aluminium à côté du stockage d'ammonitrates. Je crois que le nitrate d'aluminium, très inflammable, était parti en fumée, avec un risque d'explosion du silo d'ammonitrates situé à côté, qui n'a heureusement pas eu lieu.

À Beyrouth, il s'agissait d'ammonitrates à usage d'explosif et non d'engrais.

M. Bruno Belin . - Existe-t-il d'autres produits ou familles de produit qui pourraient amener les mêmes conséquences que celles qu'on a déjà connues dans le cadre de l'explosion survenue chez AZF et de l'incendie de Lubrizol ? Travaille-t-on sur cette question ?

Mme Angèle Préville . - J'appuie ce qu'a dit Ronan Dantec : il serait important que l'environnement des différents stockages soit décrit dans la réglementation afin que les utilisateurs de ces produits puissent s'y référer de manière très simple.

Ma question porte sur le fait de revoir et de clarifier les notions de quantité et de concentration. La réglementation du stockage ne se base que sur la quantité. Or, vous avez bien expliqué que la concentration est très importante : on peut avoir de petites quantités de produits très concentrés bien plus dangereuses qu'un stockage important à concentration plus faible. Il faut donc revoir et clarifier les choses pour que tous les acteurs puissent en avoir connaissance.

Vous avez par ailleurs évoqué le vrac. Ne pourrait-on l'interdire purement et simplement pour des raisons de sécurité par rapport aux attentats, les ammonitrates étant en effet des produits précurseurs d'explosifs ?

M. Didier Mandelli . - Nous souhaitons développer le fret ferroviaire et le fluvial. Des moyens conséquents sont mis en oeuvre en matière d'investissement. Dans le même temps, on relève une absence de contrôles sur les moyens.

Les douanes interviennent-elles sur ces réseaux comme elles le font sur les autoroutes s'agissant des produits illicites ? S'il n'existe aucun contrôle concernant des produits licites, on peut imaginer qu'un certain nombre d'autres produits peuvent également emprunter ces voies.

Ne convient-il donc pas de solliciter le ministère de l'intérieur à propos de ces questions ?

M. Gérard Lahellec . - Je commencerai mon intervention par vous recommander la lecture d'un roman qui a été publié en 2020, au moment même de la catastrophe de Beyrouth, intitulé Le dernier jour de l'Ocean Liberty . L' Ocean Liberty était un navire chargé de nitrate d'ammonium qui a explosé dans le port de Brest en 1947.

Les informations se rapportant aux dangers éventuels de ces produits sont donc très présentes dans la culture contemporaine. C'est un ami ingénieur qui a bien voulu s'essayer à ce roman. Je n'ai évidemment pu que l'encourager à écrire le deuxième tome.

Il arrive qu'on ait du mal à définir ce que sont les ports maritimes. Par exemple, il n'existe pas de port maritime en Bretagne - ou très peu - mais on y trouve des ports décentralisés, en application de la loi de 2004. Il faudrait qu'il n'y en ait qu'un - et ce serait peut-être encore trop ! Il incombe aux nouvelles autorités portuaires de les faire vivre et d'y développer des activités économiques, humaines, etc.

En Bretagne, le territoire le plus touché est celui de Saint-Malo. Le groupe Roullier et la TIMAC accueillent des ammonitrates...

M. Jérôme Goellner . - À Saint-Malo, il s'agit d'un importateur qui n'a rien à voir avec la TIMAC.

M. Gérard Lahellec . - Quoi qu'il en soit, l'opinion est sensible aux big bags qui arrivent et repartent du port. La TIMAC a, quant à elle, une approche assez exemplaire de la typologie d'intrants qu'elle produit.

On a besoin de gendarmes mais, plus que de gendarmes, on a besoin d'expertises et de nouvelles autorités portuaires, puisqu'il leur incombe de faire vivre ces installations et d'assurer un certain nombre de débouchés.

D'accord pour les réglementations, la rigueur et la rationalité, mais ces collectivités devenues autorités portuaires doivent se mettre en situation de pouvoir relever le défi auquel elles sont confrontées.

M. Michel Pascal. - Je suis désolé d'avoir donné l'impression que nous ne nous sommes pas occupés des ports maritimes, ce qui n'est pas le cas.

Les capitaineries sont compétentes, motivées, connaissent bien les règlements. Elles les font évoluer, réalisent des exercices, travaillent avec le SDIS.

Il y a beaucoup de ports maritimes en Bretagne, mais ce sont des ports décentralisés. Il en existe de deux types. Ceux qui n'acceptent pas les matières dangereuses n'ont pas de capitainerie d'État.

Dès qu'il y a des matières dangereuses, dont les ammonitrates, il existe une capitainerie d'État, avec des fonctionnaires d'État qui interviennent directement pour le compte du préfet en matière de sécurité. Leurs missions sont très claires, aux Sables-d'Olonne comme à Saint-Malo.

À Saint-Malo, il existe une direction départementale des territoires (DDT) compétente pour la totalité des ports maritimes de Bretagne. On a créé une masse critique de compétences.

On a établi trois recommandations dans l'annexe 8, comme le fait d'utiliser la commission d'information existante à la TIMAC pour informer les gens. Aux Sables-d'Olonne, on n'a pas trouvé que les gens étaient très informés de ce qui se passait sur le site. Il n'y a pas de démarche en matière d'information.

Pourquoi les règlements ne sont-ils pas appliqués en France ? Je ne sais pas. Je ne suis pas dans les ministères, et on ne nous a pas apporté de réponse objective. Les directions que vous allez recevoir pourront probablement approfondir ce sujet et dire quelles sont leurs intentions.

Il n'y a pas que sur ce règlement qu'il faudrait se poser des questions. Dans les domaines industriels ou agricoles, d'autres règlements ne sont peut-être pas appliqués.

A-t-on réalisé un benchmarking ? Nous l'avons fait avec la Belgique, qui a interdit l'usage des ammonitrates à haute teneur. Cela vaudrait peut-être la peine d'approfondir ce sujet.

La France est atypique : il s'agit du plus gros consommateur d'ammonitrates en Europe par rapport à sa superficie. Il y a probablement des raisons à cela.

S'agissant de la bombe climatique, même si ce n'était pas dans le champ de notre lettre de mission, nous n'avons pu nous empêcher d'émettre des recommandations sur un sujet périphérique. On aurait pu en faire encore plus. Nous n'avons par exemple rien dit sur l'effet de serre que provoquent les engrais.

M. Ronan Dantec . - On ne peut pas ne pas intégrer l'évolution de la filière par rapport au risque, sans quoi on fait de la logique « en silo », ce qui ne correspond pas à une approche politique systémique rationnelle.

M. Michel Pascal . - Vous prêchez un convaincu !

Quant aux douanes, nous les avons rencontrées, mais on ne les a pas davantage impliquées.

M. Jérôme Goellner. - Je ne pense pas que les douanes soient les mieux placées pour diligenter des contrôles opérationnels dans ce domaine.

M. Didier Mandelli . - Je parlais d'autres produits : s'il n'y a pas de contrôle dans ces ports, cela peut laisser entendre que d'autres produits peuvent circuler.

M. Jérôme Goellner. - En effet.

M. Didier Mandelli . - Le ministère des finances et celui de l'intérieur ont dans ce cas une responsabilité.

M. Jérôme Goellner. - En pratique, les ammonitrates entrent en France en provenance de pays de l'Union européenne. Les douanes ne les voient donc pas passer. Leurs statistiques ne sont pas du tout à jour concernant ce produit.

M. Michel Pascal. - Enfin, c'est au moment de l'explosion de l' Ocean Liberty, en 1947 à Brest, que la France a interdit le vrac dans les ports maritimes. Cela a laissé des traces, même si c'est ancien. Il est également intéressant de se pencher sur ce qui a été fait après les événements d'AZF, dix jours après le 11 septembre.

Les ammonitrates de Beyrouth, ou ceux qui sont dans les fermes, sont de même nature et tout aussi explosifs. Si les granulés sont stockés dans des big bags , cela ne bouge pas. On peut jouer dessus, mais c'est très capricieux.

Nous avons mené un important travail dans notre rapport sur la façon dont cela peut arriver.

M. Jérôme Goellner. - La réglementation sur les ICPE porte sur la protection de l'environnement et voire plus sur la prévention des risques. Le fait de savoir si le stockage des ammonitrates est suffisamment réglementé est une autre question.

La réglementation sur les ICPE intègre aussi les questions d'isolement et de lutte contre les effets domino. Il existe dans la réglementation technique des distances d'isolement vis-à-vis d'autres produits.

Normalement, tout cela est bien couvert, sachant que les ammonitrates purs qui risquent d'exploser ne présentent pas de risques de décomposition autoentretenue.

L'accident de Nantes, en 1987, concernait des engrais composés qui, lorsqu'ils commencent à chauffer, se décomposent et provoquent des nuages toxiques. Ce n'est pas le cas des ammonitrates purs.

S'ils sont pris dans un incendie, ils provoqueront de la fumée, mais il n'y a pas de décomposition entretenue, ce qui fait que le risque d'effets est limité. Il ne faut pas qu'ils soient pris dans un incendie, mais si un foyer se déclare à côté, ils ne s'enflammeront pas tout seuls.

Madame Préville posait la question de savoir s'il ne faut pas interdire le vrac. C'est une de nos propositions. C'est une quasi-dérogation qui autorise le vrac à haute teneur en France. Ce n'est pas une nouvelle norme : la norme existe et est européenne. Elle l'interdit chez les agriculteurs. Cela n'empêche pas d'en manipuler dans les usines. Il faut bien que les choses se fassent en amont.

Mme Angèle Préville . - Qu'en est-il de la concentration par rapport aux quantités ?

M. Jérôme Goellner. - Nos propos n'ont peut-être pas été très clairs. Un tableau de notre rapport explique les différents taux de concentration.

Il est vrai que l'agriculteur a le sentiment que 33 % ne représentent pas un pourcentage élevé, mais c'est néanmoins 98 % de concentration ! La profession compte depuis toujours en pourcentage d'azote, car c'est ce qui compte pour la plante.

Mme Angèle Préville . - N'est-ce pas là qu'il faudrait ajouter une mention ?

M. Jérôme Goellner. - Je ne suis pas spécialiste de la sensibilisation du monde agricole, mais nos recommandations semblent avoir été entendues. Un groupe de travail a été mis en place par la profession pour ce faire.

Il ne s'agit pas de faire paniquer les agriculteurs et de les pousser à passer à l'urée, car c'est pire du point de vue environnemental - et c'est en outre un produit importé. Je le répète : il suffit de stocker les ammonitrates correctement, sans pour autant recourir à des mises en oeuvre très compliquées. Il ne faut pas les stocker à côté de pneus ou d'une cuve de fioul. Il faut arriver à l'expliquer.

M. Michel Pascal. - On a vu dans la presse deux associations réagir, Robin des Bois et France nature environnement (FNE). L'Association française des ports intérieurs (AFPI) s'est mobilisée suite à notre rapport pour organiser la réflexion et voir à son niveau ce qu'elle pouvait faire pour améliorer les choses.

M. Jean-François Longeot , président . - Merci pour la qualité de votre rapport et pour les conseils que vous nous avez prodigués.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page