D. LA VOLONTÉ D'ENCADRER, DE MANIÈRE APPROPRIÉE, L'ACTION DES SERVICES RÉPRESSIFS DES ÉTATS

1. Combattre et prévenir l'usage excessif et injustifié de la force par les forces de l'ordre

Mercredi 27 avril, l'APCE a débattu et approuvé, sur le rapport de M. Oleksandr Merezhko (Ukraine - CE/AD), au nom de la commission des questions juridiques et de l'État de droit, une résolution et une recommandation sur la nécessité de combattre et prévenir l'usage excessif et injustifié de la force par les forces de l'ordre.

L'APCE a dénoncé l'usage excessif de la force en de nombreuses occasions, par les forces de l'ordre des États membres, « en violation des principes de nécessité, de proportionnalité, de précaution et de non-discrimination » , que ce soit pour maintenir l'ordre lors de manifestations pacifiques, gérer les flux de migrants irréguliers ou rétablir l'ordre public dans des situations d'après-conflit. « Ce recours excessif à la force par les forces de police ne représente pas des cas isolés, mais s'inscrit dans une tendance systémique », se sont inquiété les parlementaires.

En adoptant une résolution, basée sur le rapport d'Oleksandr Merezhko (Ukraine, CE/AD), l'APCE a souligné que, conformément aux instruments juridiques internationaux, les forces de l'ordre ne pouvaient recourir à la force « qu'en cas de stricte nécessité », ajoutant que les normes internationales applicables dans ce domaine, devaient être regroupées sous forme récapitulative pour plus de clarté.

Dans ce contexte, l'APCE propose que les législations nationales s'appuient sur les principes juridiques internationaux, préviennent et sanctionnent l'usage excessif de la force par les forces de l'ordre, quel que soit le contexte, et réglementent l'utilisation d'armes et autres outils létaux ou non létaux. Elle préconise également de mettre en place des mécanismes indépendants, au sein ou en dehors des institutions de police, pour mener des enquêtes rapides, afin que les personnes impliquées aient à répondre de leurs actes.

Enfin, l'Assemblée parlementaire a recommandé au Comité des Ministres « de lancer le processus de rédaction d'une nouvelle Convention du Conseil de l'Europe sur la prévention des excès de violence policière », qui codifierait les normes les plus strictes et les bonnes pratiques dans ce domaine.

Mme Martine Wonner (Bas-Rhin - NI) a qualifié d'inquiétant le renforcement manifeste de l'usage de la force par les pays membres du Conseil de l'Europe au cours des dernières années, en ce qu'il est appliqué de manière croissante lors de manifestations et contre-manifestations pacifiques. L'usage de la force se systématise, sous couvert de l'objectif légitime de rétablissement de l'ordre public, entraînant à chaque fois une escalade de la violence. Plusieurs exemples peuvent être ainsi cités, notamment en France avec des dérives régulières lors de manifestations pacifiques, qui ont été constatées et dénoncées au sein même de l'APCE. Mme Martine Wonner a cité l'exemple du recours à des moyens donnés par l'état d'urgence suite aux attentats terroristes de 2015 à Paris, pendant des manifestations lors de la COP21 ou la coercition policière forte pendant le mouvement des « Gilets jaunes ». Elle a précisé que ces dérives manifestes ont également été dénoncées pour d'autres pays. Elle a souligné que plusieurs éléments accentuaient ces dérives : la militarisation des forces de police, le manque de formation et d'effectifs ainsi que la politisation croissante des interventions dans le cadre des manifestations. Le rôle de l'APCE est de s'assurer que le déploiement de la force contre la population n'ait lieu qu'en cas de stricte nécessité, et seulement avec l'objectif légitime de préserver l'ordre public. Tout usage de la force disproportionné ou n'intervenant pas dans le but de préserver l'ordre public est excessif et va à l'encontre des droits fondamentaux des citoyens. De plus, l'usage de la force doit répondre au principe de proportionnalité et ne doit comprendre aucun traitement inhumain ou dégradant. Mme Martine Wonner a estimé qu'il était urgent de revoir les schémas de maintien de l'ordre et de lutter contre le recours excessif à la force, pour la santé des citoyens et de la démocratie.

N'ayant pu intervenir dans le temps imparti alors qu'il était présent dans l'hémicycle, M. Jacques Le Nay (Morbihan - Union Centriste) a pu faire publier son intervention, conformément aux dispositions prévues par le Règlement de l'APCE . Il a déclaré qu'aucun État démocratique ne pouvait se dispenser d'une réflexion régulière sur les pratiques de ses services répressifs et sur les mécanismes d'alerte ou de sanction applicables en cas de dérive et que le Conseil de l'Europe devait défendre les principes de légalité, de nécessité, de proportionnalité, de précaution et de non-discrimination dans le recours à la force par les agents des forces de l'ordre, tels qu'ils ressortent de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme. Il a partagé également la proposition du rapporteur consistant à soutenir les États membres en recensant et en diffusant les bonnes pratiques de maintien de l'ordre, et même en leur fournissant un soutien technique lorsque c'est nécessaire. Il a également accueilli positivement l'invitation faite aux États membres par le rapporteur à mettre en place des mécanismes indépendants pour diligenter des enquêtes rapides, efficaces et approfondies sur les causes de l'usage excessif de la force et soutenu son appel à intensifier la lutte contre l'impunité et à prévoir des recours en indemnisation ainsi que des mesures de réadaptation adaptées pour les victimes d'un recours excessif à la force.

Ces différentes mesures peuvent contribuer à maintenir, ou parfois à rétablir, une relation de confiance entre les forces de l'ordre et la population et à prévenir d'éventuels abus. Les forces de police elles-mêmes sont très conscientes de cet enjeu, essentiel car l'État détient le monopole de la violence légitime : c'est un principe fondamental des démocraties. M. Jacques Le Nay a réaffirmé le rôle indispensable des forces de l'ordre dans la mise en oeuvre de l'État de droit, s'inquiétant de la montée de la radicalité dans la société et de la contestation de l'action des forces de sécurité. Il a estimé que la radicalité croissante était dangereuse pour la démocratie et que ce phénomène pourrait faire l'objet d'une réflexion complémentaire à l'APCE. Il a ajouté ne pas souhaiter qu'on jette l'opprobre sur les forces de police qui interviennent parfois dans des contextes très difficiles, pour préserver la démocratie et l'État de droit. Il a souhaité souligner ce point afin de conserver une approche équilibrée.

2. Comment faire bon usage des avoirs confisqués d'origine criminelle ?

Le même jour, l'Assemblée parlementaire a adopté, sur le rapport de M. André Vallini (Isère - Socialiste, Écologiste et Républicain) , au nom de la commission des questions juridiques et de l'État de droit, une résolution et une recommandation concernant le bon usage des avoirs d'origine criminelle confisqués par les services judiciaires ou de police.

Dans son propos liminaire M. André Vallini (Isère - Socialistes, Écologistes et Républicains) a indiqué que son rapport était le troisième d'une série de trois rapports visant à affaiblir le crime organisé et la grande corruption. Les deux premiers rapports avaient proposé de faciliter la confiscation d'avoirs illicites, premièrement en renversant la charge de la preuve quant au caractère illicite des biens suspects, et deuxièmement en renforçant les cellules de renseignement financier chargées de tracer ces fonds dans chaque pays. Ce troisième rapport vise à établir les actions à entreprendre pour que l'argent du crime et de la corruption puisse être utilisé pour réparer les dégâts du crime et de la corruption.

M. André Vallini a indiqué que le message général contenu dans son rapport était qu'il fallait frapper les criminels et les corrompus à leur portefeuille et faire triompher la légalité de manière visible pour la société, et notamment pour les communautés sinistrées par le crime et la corruption, qu'il s'agisse d'un quartier de grande ville ou d'un village de campagne. Il a expliqué avoir été convaincu par le « modèle italien » de réutilisation sociale des avoirs confisqués.

Il a insisté sur la nécessité d'avoir une institution centrale chargée d'administrer au niveau national les biens saisis dans un pays, de les administrer depuis le début jusqu'à leur affectation, en attendant leur confiscation et leur allocation - ou vente définitive. Une telle institution doit en effet disposer de l'expertise technique nécessaire pour optimiser l'utilisation des biens en question et doit faire rapport régulièrement au gouvernement et au parlement, comme c'est le cas en Italie.

L'Assemblée parlementaire a déclaré que les États membres du Conseil de l'Europe devraient « identifier et geler » un maximum d'avoirs des citoyens et des entreprises publiques russes frappés de sanctions ciblées pour cause de leurs responsabilités dans la guerre d'agression lancée contre l'Ukraine par la Fédération de Russie. De l'avis des parlementaires, les gouvernements devraient prévoir l'usage des biens qui s'y prêtent, notamment des maisons et appartements, pour l'accueil de réfugiés ukrainiens. De plus, ils devraient réfléchir à l'usage final qui pourra être fait de ces avoirs une fois qu'ils seront confisqués définitivement, sachant que « ces avoirs ont été volés au peuple russe et devraient lui être rendus ». Tant que le pouvoir russe actuel est en place, « le risque d'un nouveau détournement de ces avoirs est élevé ». L'Assemblée a estimé que la Fédération de Russie sera tenue de dédommager l'Ukraine pour les dégâts causés par la guerre d'agression, ce qui ouvre la voie à « l'utilisation de ces avoirs pour compenser une partie de cette dette financière » de la Fédération de Russie envers l'Ukraine.

La résolution adoptée à l'unanimité préconise de manière plus générale la réutilisation sociale des avoirs confisqués d'origine criminelle, en prenant en compte dans la préparation des textes y relatifs, les bonnes pratiques constatées dans différents pays membres du Conseil de l'Europe, notamment en Italie, au Royaume Uni et en Espagne.

Mme Marie-Christine Dalloz (Jura - Les Républicains) , s'exprimant au nom du groupe PPE/DC, a félicité le rapporteur pour son rapport attestant d'un travail sérieux et documenté. Elle a indiqué que la criminalité organisée et la corruption détournaient des circuits légaux des sommes d'argent faramineuses, précisant que le magazine Forbes avait évalué à 290 milliards de dollars les fortunes accumulées de manière douteuse par les oligarques russes.

Ce phénomène a des répercussions multiples, d'ordre financier, économique, social, sécuritaire, judiciaire, voire même politique. Dans certaines régions, les groupes mafieux sont les premiers pourvoyeurs d'emplois et de logements. La police, la justice, les responsables politiques ne peuvent plus préserver leur indépendance. L'argent sale s'infiltre dans toutes les strates de la société, détruit le lien social existant, et finit par constituer une véritable menace pour la démocratie.

Lutter contre cette hydre nécessite, dans un premier temps, de tarir la source du système. Mais la seule saisie des avoirs non seulement ne suffit pas mais peut même s'avérer dangereuse. En effet, confisquer l'argent sale a souvent pour conséquence de déstabiliser l'organisation sociale d'un quartier, voire d'une région. La mafia donnait du travail, des revenus, un logement. Tout cela est remis en cause. Le risque d'un rejet de la part de la population est réel. Si l'on veut surpasser ce choc de légalité, susciter l'adhésion des citoyens, il faut redonner aux avoirs confisqués une utilité sociale et réparer le contrat social démocratique détruit par les pratiques criminelles.

Pour mettre fin au pouvoir d'attraction du crime organisé, l'État doit entreprendre des actions pédagogiques qui marquent les esprits. Reverser l'argent saisi sur le budget général n'est pas la solution. Il vaut mieux privilégier l'indemnisation directe des victimes car cette démarche met davantage en évidence la volonté réparatrice de la société. Toutes les initiatives prouvant que l'honnêteté paie doivent être encouragées. Inverser la logique est aussi une excellente façon de saper durablement les bases de l'économie criminelle, qui n'approuverait pas que l'argent généré par le trafic des stupéfiants soit utilisé pour des programmes de désintoxication, de même qu'elle pourrait s'opposer à l'utilisation de l'argent du proxénétisme pour aider à la réinsertion des prostituées. C'est ce type d'actions ciblées qui seront les plus efficaces.

Mme Marie-Christine Dalloz a conclu son intervention en indiquant que le groupe PPE/DE voterait en faveur de la résolution et la recommandation proposées.

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