B. LES RETOURS D'EXPÉRIENCE RÉALISÉS DEPUIS 2019 : UNE CONVERGENCE AVEC LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE DU SÉNAT

L'établissement des retours d'expérience post-Lubrizol a mobilisé un grand nombre de services de l'État , que ce soit à l'échelle nationale (corps d'inspection, administrations centrales, établissements publics) ou déconcentrée (DREAL, DDTM, ARS). Les associations agréées pour la surveillance de la qualité de l'air ( AASQA ) ont également pris leur part.

L'ensemble de ces retours d'expérience, réalisés en parallèle des travaux des assemblées, confirment les observations et conclusions de la commission d'enquête sénatoriale quant aux insuffisances de notre politique de prévention des risques industriels et de gestion des crises majeures.

1. L'existence d'angles morts inacceptables dans la prévention des risques et la gestion des accidents industriels, confirmée par les travaux d'inspection menés à la demande du Gouvernement

Les travaux d'inspection et de retour d'expérience menés par les services de l'État à la demande du Gouvernement ont globalement été organisés en trois temps .

D'abord, une enquête administrative de la DREAL Normandie a été annoncée le 26 septembre 2019 par la ministre de la transition écologique et solidaire, sur la base du rapport d'accident que les exploitants sont tenus de remettre à l'administration 34 ( * ) . Ensuite, le Gouvernement a lancé deux missions d'inspection :

- une première mission d'inspection mobilisant des membres du Conseil général de l'environnement et du développement durable ( CGEDD ) et du Conseil général de l'économie, de l'industrie, de l'énergie et des technologies ( CGE ) a été demandée le 9 octobre 2019 35 ( * ) pour analyser l'évènement sous l'angle technique . Elle visait à appuyer l'enquête administrative susmentionnée de la DREAL et a rendu son rapport, comportant 17 recommandations ( voir l'annexe 2 au présent rapport ), en février 2020 36 ( * ) ;

- une seconde mission d'inspection mobilisant des membres du Conseil général de l'environnement et du développement durable ( CGEDD ), de l'Inspection des affaires sociales ( IGAS ), de l'Inspection générale de l'administration ( IGA ), du Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux ( CGAAER ) et du Conseil général de l'économie ( CGE ) a été demandée le 23 décembre 2019 37 ( * ) pour procéder à une évaluation globale de la gestion de la crise . Elle a finalisé son rapport, comportant 18 recommandations ( voir l'annexe 3 au présent rapport ), en mai 2020 , qui a été rendu public quelque temps après.

Ces travaux, menés à la demande du Gouvernement, ont mis en évidence 5 éléments principaux s'agissant de la prévention et du traitement des accidents industriels :

- la vulnérabilité au feu des stockages en grand récipient pour vrac (GRV) 38 ( * ) des liquides combustibles et inflammables et une insuffisante réglementation pesant sur les entrepôts de liquides combustibles , qui n'étaient pas appréhendées comme des risques potentiellement importants ;

- un mauvais encadrement des établissements et sites industriels qui bénéficient d'un droit d'antériorité , en vertu du principe de maintien des droits, et qui peuvent être amenés à devenir les voisins de sites classés Seveso , présentant les risques les plus importants pour l'homme, l'environnement et les biens ;

- l' inadaptation du contenu des études de danger (ED) pour permettre une prise en compte satisfaisante du risque incendie ;

- une organisation et des outils inadaptés pour assurer une surveillance environnementale efficace et complète des pollutions occasionnées par un accident industriel ;

- un système d'alerte et d'information des populations inadapté aux enjeux actuels de la gestion de crise.

Ces observations et conclusions rejoignent largement ceux de la commission d'enquête sénatoriale.

2. Des retours d'expérience complémentaires qui pointent une insuffisante capacité et réactivité d'analyse environnementale et sanitaire

Atmo Normandie a également participé aux retours d'expérience de l'accident de Rouen et au suivi de ses conséquences environnementales, au titre de sa mission de surveillance de la pollution chronique . En cas de pollution accidentelle, les AASQA sont en capacité d'intervenir en assistance aux autorités et aux exploitants. À la suite de l'incident de Lubrizol en 2013, Atmo Normandie avait ainsi fait évoluer ses statuts pour intégrer dans son objet une mission d'assistance aux autorités en cas de pollution accidentelle, sous réserve de ses moyens.

D'abord, l'association a actualisé son rapport sur la participation des AASQA à la gestion des situations post-accidentelles le 3 février 2020, qui répondait aux recommandations de l'instruction du 12 août 2014 39 ( * ) relatives aux nuisances causées par les rejets de composés soufrés émis par l'usine Lubrizol en janvier 2013.

Ce rapport souligne que cette instruction ne vise pas spécifiquement les incendies, mais les émanations gazeuses odorantes et/ou toxiques, expliquant l 'inadaptation des dispositifs de prélèvements (canisters) pour l'analyse de l'accident de 2019. Le canister n'est en effet pas spécifiquement conçu pour les incendies et ne peut détecter les composés particulaires et d'autres composés gazeux, tels que les acides inorganiques. Le rapport met l'accent sur l'intérêt de la plateforme de signalement citoyen ODO , développée par Atmo Hauts-de-France pour prendre la mesure de l'intensité du phénomène. Il revient également sur des enjeux de communication de crise , notamment l'arrêt temporaire de la diffusion de l'indice Atmo conformément à l'instruction donnée par l'État ou encore le délai d'attente des résultats, qui ont contribué à alimenter les inquiétudes de la population. Il formule enfin plusieurs recommandations sur l'ensemble des volets concernés par cet accident (technique, communication, organisation) que la commission souhaite voir prises en compte par les acteurs impliqués dans la prévention des risques ( voir annexe 1 au présent rapport ).

Ensuite, Atmo Normandie a publié un second rapport de retour d'expérience en mai 2021, tirant un bilan des mesures de polluants et d'odeurs dans l'air ambiant et des retombées atmosphériques consécutives de l'accident des usines Lubrizol et NL Logistique. L'association récapitule les actions effectuées entre le 26 septembre 2019 et le 1 er octobre 2020 : réalisation de 615 prélèvements d'air (gaz et particuliers) ou de retombées atmosphériques (pluies et dépôts secs), suivi des résultats de 4 stations complémentaires (24h/24), mise en place et exploitation des résultats de 3 stations complémentaires (24h/24), recueil et exploitation de 6 124 signalements citoyens (odeurs et symptômes de santé déclarés), réalisation de 32 tournées olfactives . Au total, l'association aura fait appel à 7 laboratoires d'analyse et mobilisé 29 de ses 34 salariés au cours de cette période. Les principaux enseignements relevés par Atmo sont les suivants :

- les résultats des analyses environnementales se situent en-dessous des valeurs de référence sanitaires fournies par l'ARS Normandie, lorsque ces valeurs existent ;

- certains polluants, dont le toluène et l'acide acétique ont dépassé les valeurs repères régionales d'Atmo Normandie, qui sont par ailleurs plus exigeantes que les valeurs sanitaires de référence fixées pour le toluène (il n'existe pas de VRS pour l'acide acétique). La concentration en dioxyde de soufre dans l'atmosphère était égale à la VRS le jour de l'incendie ;

- plus de 6 000 signalements d'odeurs émis sur un an par les habitants de la métropole de Rouen ont été enregistrés, dont 52 % faisaient état d'au moins un symptôme de santé.

Source : Atmo Normandie, 2021.

Le rapport conclut sur la nécessité d' augmenter le spectre des prélèvements de façon à couvrir d'autres composés, en particulier ceux susceptibles d'être émis pendant un incendie, sur l'importance d' accélérer les délais pour la restitution des analyses et sur l'intérêt de développer de nouvelles façons de mesurer ces polluants (drones, micro-capteurs, etc.).

Atmo Normandie indique que de nouvelles conventions ont déjà été signées avec les industriels du Havre, de Port Jérôme et de l'Eure, ainsi qu'avec le SDIS 76 afin d'augmenter le nombre de canisters à disposition en cas d'incident, notamment avec un doublement du nombre de canisters pour les pompiers. Des actions de formation des utilisateurs de canisters sont également programmées. En outre, des canisters actionnables à distance ont été déployés dans 10 stations d'Atmo Normandie.

La commission partage naturellement ces recommandations et demeurera attentive aux moyens dévolus aux AASQA, ainsi qu'elle l'a déjà démontré lors de l'examen annuel du projet de loi de finances initiale 40 ( * ) .


* 34 Article R. 512-69 du code de l'environnement.

* 35 Lettre de mission de la ministre de la transition écologique et solidaire.

* 36 Rapport CGEDD n° 013 014-01 - CGE n° 2019/23/CGE/SG, établi par M. Pierre-Franck Chevet (CGE), Mme Nathalie Homobono (CGE), M. Paul Michelet (CGEDD) et M. Alby Schmitt (CGEDD).

* 37 Lettre de mission signée de la ministre de la transition écologique et solidaire, du ministre de l'intérieur, de la ministre des solidarités et de la santé, de la ministre du travail et du ministre de l'agriculture.

* 38 IBC en langue anglaise.

* 39 Instruction du Gouvernement du 12 août 2014 relative à` la gestion des situations incidentelles ou accidentelles impliquant des installations classées pour la protection de l'environnement.

* 40 Voir les rapports pour avis de MM. Pascal Martin et François Calvet, au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, sur le PLF pour 2022.

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