III. RELEVER À LONG TERME LES DÉFIS DU TERRITOIRE MAHORAIS

A. LA NÉCESSITÉ D'UNE RÉPONSE PÉRENNE À LA SITUATION MIGRATOIRE

1. Une situation migratoire toujours problématique, en voie d'amélioration
a) La situation migratoire nourrit l'insécurité sur le territoire mahorais

Imparfaitement intégrés au sein de la société mahoraise, les étrangers en situation irrégulière sont particulièrement concernés par les facteurs de développement de la délinquance . Lorsque leur statut administratif est irrégulier, les personnes étrangères peuvent être ainsi contraintes à l'exercice d'une activité dans l'économie informelle, ce risque étant d'autant plus accentué par la durée de leur séjour.

En outre, indépendamment de leur statut administratif, les étrangers à Mayotte tendent plus souvent à vivre en habitat précaire . Comme le relève l'Insee, les « natifs de l'étranger 65 ( * ) vivent près de trois fois plus souvent en habitat précaire que les natifs de Mayotte ». Il note également que « l'écart est plus fort encore avec les natifs de métropole ou des autres DOM, qui bénéficient des conditions de logement les plus favorables » et que cet « écart s'est accru depuis 2012, la situation s'étant davantage améliorée pour les natifs de Mayotte que pour les natifs de l'étranger, notamment pour l'accès au confort sanitaire de base 66 ( * ) . » La présence sur le territoire mahorais d'une part importante d'étrangers en situation irrégulière tend donc à nourrir la délinquance de subsistance.

Au surplus, la présence d'une part importante d'étrangers en situation irrégulière, en particulier mineurs, contribue plus généralement, selon les acteurs judiciaires ainsi que ceux des forces de sécurité rencontrés par les rapporteurs, au développement d'affrontements entre bandes rivales . D'une part, spécifiquement lorsqu'ils sont mineurs, les étrangers en situation irrégulière ne disposent pas nécessairement de perspectives d'avenir encourageantes. Il en résulte un phénomène de « désoeuvrement », propice à la commission de faits de violence. D'autre part, le différend persistant opposant la population mahoraise à la population étrangère nourrit un vif ressentiment, sur lequel peut prospérer un climat de tension générateur de violence, qui peut susciter des affrontements intercommunautaires . Comme le rappelait le rapport de la commission des lois de l'Assemblée nationale en 2019, « les violences inter communautaires à l'égard des étrangers en situation irrégulière ont pris une nouvelle ampleur : Mayotte a connu, au printemps 2016 et au printemps 2018, des phénomènes de destructions d'habitations et d'expulsions massives de groupes de personnes d'origine comorienne quelle que soit leur situation administrative 67 ( * ) . »

b) Les pouvoirs publics ont pris la mesure du phénomène

Alimentant le climat de violence sur le territoire mahorais, l'immigration irrégulière appelle donc une réponse énergique des pouvoirs publics . À l'heure actuelle, celle-ci s'articule principalement autour de trois piliers :

- la protection des frontières , via la lutte contre l'immigration clandestine en mer, ou « LIC mer », fondée sur l'interception par des agents de la police ou de la gendarmerie nationales des « kwassas kwassas », les barques de pêche empruntées par les migrants pour réaliser la traversée depuis Anjouan ;

- la recherche à terre d'étrangers en situation irrégulière sur le territoire, via la lutte contre l'immigration clandestine sur terre, ou « LIC terre », qui mobilise, outre l'ensemble des forces des sécurité intérieure, une unité dédiée - le groupe d'appui opérationnel (GAO) de la police aux frontières (PAF) - et se fonde sur l'interpellation, lors des contrôles d'identité, des étrangers résidant à Mayotte en situation irrégulière ;

- les reconduites à la frontière , après passage en centre de rétention administrative (CRA), des personnes interpellées.

À titre plus subsidiaire, la lutte contre l'immigration clandestine s'appuie sur deux piliers supplémentaires : d'une part, le travail judiciaire contre les filières d'immigration clandestine et, d'autre part, la coopération diplomatique avec les pays d'origine, en particulier l'Union des Comores .

L'opération Shikandra a permis, depuis 2019, de mieux contenir les flux et d'augmenter le nombre d'éloignements. Elle s'est traduite par l'allocation supplémentaire de 22 personnels 68 ( * ) et de trois intercepteurs.

Le dispositif d'interception en mer à Mayotte

Le dispositif d'interception en mer à Mayotte repose sur une pluralité d'acteurs, dont la coordination incombe à la base navale, implantée à Dzaoudzi.

Une opération d'interception débute par la détection des « kwassas » en route vers le territoire mahorais. Cette détection s'appuie sur l'exploitation de quatre radars, mais également depuis le premier semestre 2021 sur une surveillance aérienne, qui permet de lever d'éventuels doutes. Il est estimé qu'au premier semestre 2021 69 ( * ) , cette surveillance aérienne a permis la détection de 136 « kwassas ».

Source : préfecture de Mayotte

Une fois les bateaux détectés, des intercepteurs vont à leur rencontre et prennent en charge, le cas échéant, les personnes à leur bord 70 ( * ) . Les personnes interpelées sont acheminées au centre de rétention administrative, où elles demeurent jusqu'à leur éloignement vers leur pays d'origine.

Ces moyens renforcés ont permis d'augmenter le nombre d'éloignements, pour atteindre plus de 27 000 éloignements en 2019 . L'opération est généralement perçue comme un succès. Les services de la préfecture rencontrés sur place ont notamment avancé la hausse très significative du taux d'interception : alors qu'en 2019, seuls 55 % des embarcations détectées étaient dissuadées ou interceptées, en 2021, 75,3 % des « kwassas » détectés ont été interceptés ou dissuadés sur les mois de janvier à juillet 2021.

2. Le renforcement de la lutte contre l'immigration clandestine doit s'inscrire dans une stratégie de long terme
a) Un renforcement nécessaire des capacités d'interception

Lors de leur visite à Mayotte, à la fin du mois d'août 2021, les ministres de l'intérieur et des outre-mer, Gérald Darmanin et Sébastien Lecornu ont annoncé un renforcement des moyens d'interception :

- la pérennisation de la surveillance aérienne offrira un renforcement bienvenu des moyens de détection ;

- l'octroi de deux navires intercepteurs supplémentaires permettra un meilleur roulement et une diminution de l'usure des capacités existantes.

Opportun, ce renforcement des capacités opérationnelles pour la lutte contre l'immigration clandestine doit s'inscrire dans une stratégie de long terme.

S'agissant de l'interception en mer, l'ouverture de la possibilité d'intervention des intercepteurs dans la « zone contiguë » 71 ( * ) paraît souhaitable . Évoquée par les ministres de l'intérieur et des outre-mer lors de leur visite à Mayotte à la fin du mois d'août 2021, cette évolution permettrait aux intercepteurs d'atteindre des zones de stationnement des « kwassas », situées en dehors des eaux territoriales, à partir desquelles ceux-ci se dirigent par groupes vers les côtes mahoraises, saturant par leur nombre les capacités d'intervention des intercepteurs. À cet égard, le régime juridique applicable à cette zone, sur lequel se fonde la compétence des douanes sur cet espace 72 ( * ) , prévoit d'ores et déjà que « l'État [y] exerce les contrôles nécessaires en vue de prévenir et réprimer les infractions à ses lois et règlements douaniers, fiscaux, sanitaires et d'immigration ». Sur ce fondement, il est désormais nécessaire de prévoir explicitement et de définir au plus vite les conditions d'exercice de la compétence des services de police et de gendarmerie en la matière .

Proposition n° 11 :  Permettre aux services de police et de gendarmerie d'opérer, sous conditions, en « zone contiguë ».

b) Une restriction des conditions d'accès à la nationalité à envisager

Une restriction des conditions d'acquisition de la nationalité française pourrait également être envisagée afin de diminuer l'attractivité d'une émigration vers Mayotte. Ces conditions ont récemment connu une modification, dans le cadre de la loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie, dite « Asile et immigration ».

L'application du droit du sol à Mayotte

Dans le cadre de l'examen du projet de loi dit « Asile et immigration » en 2018, le Sénat a adopté en première lecture, contre l'avis du Gouvernement mais avec l'avis favorable de la commission, un amendement de Thani Mohamed Soilihi 73 ( * ) prévoyant des conditions particulières d'application du droit du sol à Mayotte. Sollicité pour avis sur cette proposition de loi, le Conseil d'État avait estimé que les dispositions proposées n'étaient pas contraires à la Constitution 74 ( * ) .

À l'issue de la navette parlementaire, l'article 16 de la loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie a modifié l'article 2493 du code civil, exigeant, pour qu'un enfant né à Mayotte puisse bénéficier de la nationalité française à sa majorité, qu'« à la date de sa naissance, l'un de ses parents au moins résidait en France de manière régulière, sous couvert d'un titre de séjour, et de manière ininterrompue depuis plus de trois mois ». 75 ( * )

Saisi sur ces dispositions, le Conseil constitutionnel avait conclu à leur conformité à la Constitution 76 ( * ) , suivant un raisonnement en deux étapes. En premier lieu, la situation de Mayotte, dont la population « comporte, par rapport à l'ensemble de la population résidant en France, une forte proportion de personnes de nationalité étrangère, dont beaucoup en situation irrégulière, ainsi qu'un nombre élevé et croissant d'enfants nés de parents étrangers », implique que la « collectivité est (...) soumise à des flux migratoires très importants. » Ces circonstances constituant des « caractéristiques et contraintes particulières » au sens de l'article 73 de la Constitution, le législateur était fondé à prévoir des adaptations des règles relatives à l'acquisition de la nationalité française, étant entendu que « l'immigration irrégulière à Mayotte pouvait être favorisée par la perspective d'obtention de la nationalité française par un enfant né en France et par les conséquences qui en découlent sur le droit au séjour de sa famille ».

En second lieu, le Conseil constitutionnel s'était attaché à déterminer si les dispositions adoptées par le législateur « excédaient la mesure des adaptations susceptibles d'être justifiées par les caractéristiques et contraintes particulières à Mayotte » 77 ( * ) au titre de l'article 73 de la Constitution. Il avait conclu par la négative, jugeant les dispositions en cause proportionnées, adaptées et insusceptibles de constituer une discrimination 78 ( * ) . Au terme de ce raisonnement, le Conseil constitutionnel avait ainsi conclu à la régularité des dispositions contestées.

Lors des auditions conduites par les rapporteurs, certains interlocuteurs ont estimé que la durée de trois mois de séjour régulier, imposée par la loi du 10 septembre 2018 n'était pas suffisante pour dissuader les candidats à l'immigration. L'ancien préfet de Mayotte, Jean-François Colombet, a ainsi estimé qu'une durée de trois mois « laisse des marges de manoeuvre à ceux qui veulent détourner l'esprit de la loi » ; à l'inverse, une durée rallongée à un an permettrait de mieux encadrer le phénomène des allers et retours, souvent risqués, de certaines femmes comoriennes vers Mayotte afin de pouvoir faire bénéficier leur enfant de l'octroi de la nationalité française.

Le renforcement de la conditionnalité de l'accès à la nationalité par le droit du sol pour les enfants nés à Mayotte de parents étrangers doit donc être étudié. En particulier, sous réserve d'une rédaction garantissant sa constitutionnalité 79 ( * ) , l'allongement à un an de la durée de résidence régulière et ininterrompue d'un parent permettant à l'enfant de bénéficier de la reconnaissance du droit du sol pourrait être étudié.

Proposition n° 12 :  Allonger la durée de résidence régulière et ininterrompue d'un parent permettant à l'enfant de bénéficier de la reconnaissance de la nationalité française.

La lutte contre les reconnaissances frauduleuses de paternité pourrait également être renforcée à Mayotte. Des femmes étrangères en situation irrégulière, notamment comoriennes, peuvent en effet bénéficier, en l'échange d'une rémunération ou de services fournis à un Français, via la reconnaissance de leur enfant par celui-ci, de l'octroi d'un titre de séjour et d'une protection contre toute mesure d'éloignement.

Le renforcement récent des moyens juridiques de la lutte a priori contre les reconnaissances frauduleuses de filiation

Une reconnaissance est dite frauduleuse lorsque « la reconnaissance souscrite par une personne dont l'intention exclusive n'est pas d'assurer à l'égard de l'enfant l'ensemble des obligations résultant du lien de filiation, mais qui est animée par la recherche d'un avantage lié à la qualité de parent d'un enfant français » 80 ( * ) . Comme le rappelle une circulaire du garde des sceaux en date du 20 mars 2019 81 ( * ) , il peut s'agir de :

« - la reconnaissance de l'enfant mineur d'une ressortissante étrangère par un Français. La reconnaissance permet d'attribuer à l'enfant la nationalité française puis, à sa mère, un titre de séjour en qualité de parent d'enfant français; un Français peut souscrire des reconnaissances multiples ;

« - la reconnaissance de l'enfant mineur d'une Française par un ressortissant étranger. Ce dernier devient ainsi parent d'enfant français et peut, à ce titre, obtenir la délivrance d'un titre de séjour, sous réserve notamment de contribuer à l'entretien et à l'éducation de l'enfant (article L. 313-11, 6° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile) ;

« - la reconnaissance peut également être effectuée pour qu'une mère ou un père puisse bénéficier de prestations sociales, pour elle-même, lui-même et/ou pour son enfant, étant précisé que des reconnaissances multiples peuvent également être effectuées dans cet objectif. »

Jusqu'en 2019, les dispositifs de lutte de droit commun contre les reconnaissances frauduleuses de filiation, toujours en vigueur, étaient les suivants :

- en matière civile, l'officier de l'état civil doit informer le parquet des cas litigieux mais a l'obligation de recevoir la demande de reconnaissance qui lui est présentée. En présence d'une « fraude à la loi », le ministère public peut contester la filiation devant le tribunal judiciaire dans un délai de dix ans 82 ( * ) , cette « action en contestation » pouvant aboutir à l'annulation du lien de filiation, qui est alors réputé n'avoir jamais existé (articles 321 et 336 du code civil) 83 ( * ) ;

- en matière pénale, la personne qui reconnaît frauduleusement un enfant est passible de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende pour faux et usage de faux (article 441-1 du code pénal), de cinq ans d'emprisonnement et jusqu'à 15 000 euros d'amende lorsque la reconnaissance avait pour seul objet « d'obtenir, ou de faire obtenir, un titre de séjour ou le bénéfice d'une protection contre l'éloignement » ou « d'acquérir, ou de faire acquérir, la nationalité française ». À titre complémentaire, l'intéressé est passible d'une interdiction de séjour de cinq ans maximum, d'une interdiction du territoire français de dix ans maximum ou à titre définitif ou encore d'une interdiction d'exercer, pour cinq ans maximum, l'activité professionnelle à l'occasion de laquelle l'infraction a été commise (articles L. 623-1 et L. 623-2 du CESEDA). Enfin, au plan administratif, le préfet retire le titre de séjour d'une personne qui l'aurait obtenu en établissant un lien frauduleux de filiation 84 ( * ) .

Afin de mieux lutter contre ces cas de fraude, ce cadre juridique a été complété par l'article 55 de la loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie, dite « Asile et immigration », de deux dispositions supplémentaires 85 ( * ) :

- le préfet peut refuser la délivrance d'un titre de séjour en qualité de parent d'enfant français en l'absence de preuve que le père français subvient aux besoins de l'enfant lors des demandes de carte de séjour temporaire en qualité de parent d'un enfant dont la nationalité française découle de la reconnaissance de celui-ci par un père français 86 ( * ) ;

- l'officier de l'état-civil chargé de l'enregistrement de la reconnaissance a la possibilité de saisir le procureur, en cas d'indices sérieux laissant présumer une fraude, ce qui permet au parquet de s'opposer à l'enregistrement d'une reconnaissance reconnue comme frauduleuse 87 ( * ) . Ce dispositif d' « alerte préventive », codifié à l'article 316-1 du code civil, s'inspire, sous réserve d'ajustements, d'un dispositif mis en oeuvre à Mayotte depuis 2006.

À l'échelle nationale, ce renforcement semble avoir produit des effets notables, comme le notait l'un des rapporteurs du présent rapport en 2019 : « ces nouveaux outils ont permis de détecter 1 076 cas de documents frauduleux en 2018, contre 738 en 2017, aux fins d'obtenir un titre de séjour en qualité de parent d'enfant français, soit une augmentation de 46 % » 88 ( * ) .

Le renforcement récent des moyens juridiques de lutte a priori contre les reconnaissances frauduleuses ne semble pas avoir eu d'effet notable à Mayotte, où les dispositifs en question existaient déjà pour certains. Interrogés sur le sujet par les rapporteurs, les services de la préfecture ont ainsi décrit la permanence de « filières » de reconnaissance frauduleuse .

Les perspectives d'évolution en la matière sont donc moins juridiques que techniques. Au-delà de la nécessité d'un recours plus systématique aux outils juridiques préexistants, en particulier le retrait de titre de séjour lorsque les reconnaissances frauduleuses sont avérées, il convient de lever les obstacles opérationnels rencontrés par les services en charge de la lutte contre celles-ci. En particulier, la constitution d'un fichier d'état civil unique, à l'échelle de Mayotte, permettrait de faciliter l'identification d'éventuelles fraudes , sans qu'il soit besoin de contacter un à un les officiers de l'état civil des dix-sept communes du territoire. Par ailleurs, la formation de ces derniers à la reconnaissance de situations de fraude pourrait être encouragée .

Proposition n° 13 :  Renforcer les moyens alloués à la lutte contre les reconnaissances frauduleuses de filiation, en constituant un fichier unique d'état civil à l'échelle du département.

c) Un indispensable renforcement des coopérations diplomatiques avec l'Union des Comores

Enfin, les dernières années ont montré le défaut de volonté du gouvernement de l'Union des Comores de nouer une relation de coopération mutuellement avantageuse avec les autorités françaises 89 ( * ) . Une bonne coopération avec les autorités comoriennes est néanmoins nécessaire à la résolution de la question migratoire mahoraise. Le subventionnement annuel par les autorités françaises, à hauteur d'un million d'euros, du « rideau d'interception » mis en oeuvre par les garde-côtes comoriens est à cet égard utile.

Les rapporteurs se sont plus largement interrogés sur l'opportunité de conditionner l'octroi de l'aide au développement à la réalisation d'actions de lutte contre les migrations . Une telle conditionnalité ne semble pourtant pas utile : d'une part, elle nuit à la souplesse inhérente aux relations diplomatiques et pourrait aboutir à une réduction de la marge de manoeuvre française en la matière ; d'autre part, il semble préjudiciable que le bon fonctionnement de l'aide au développement, qui s'envisage sur le temps long et permet in fine de fixer les populations sur leur territoire d'origine, soit soumis aux aléas des relations franco-comoriennes.

Néanmoins, un meilleur ciblage des aides sur l'île d'Anjouan pourrait être envisagé . Sollicités sur cette question, les services du ministère des affaires européennes et étrangères et ceux de l'agence française de développement ont estimé entre 66,8 et 71,8 millions d'euros les financements du plan de développement France-Comores 90 ( * ) (PDFC) dirigés vers l'île d'Anjouan, soit entre 44,5 % et 47,8 % du total, pour une population anjouannaise représentant environ 40 % de la population comorienne totale. S'il existe donc d'ores et déjà un certain ciblage des aides sur l'île d'Anjouan, celui-ci gagnerait à être approfondi, avec l'aval des autorités comoriennes, en cohérence avec l'impératif d'apporter une solution pérenne à la question migratoire mahoraise.

Enfin, un approfondissement de la coopération judiciaire avec les autorités comoriennes pourrait permettre de mieux lutter contre les filières et trafics bénéficiant de la situation migratoire actuelle . Nathalie Gimonet, sous-préfète en charge de la lutte contre l'immigration clandestine, a fait état à cet égard de premiers résultats qui semblent encourageants ; il convient donc d'approfondir les efforts en la matière.

Proposition n° 14 :  Approfondir la coopération diplomatique avec l'Union des Comores pour limiter les migrations irrégulières vers Mayotte, notamment en concentrant l'aide au développement sur Anjouan.

Les voies d'une amélioration de la situation migratoire de Mayotte existent donc et gagneraient à être explorées dans la perspective d'une réduction générale et pérenne de la violence et de l'insécurité sur le territoire mahorais.


* 65 Ce qui inclut les personnes naturalisées.

* 66 Insee, « À Mayotte, près d'un habitant sur deux est de nationalité étrangère », Insee Première, n° 1737, février 2019.

* 67 Rapport n° 1592 (2018-2019) de Yaël Braun-Pivet, Philippe Gosselin et Stéphane Mazars précité.

* 68 10 militaires s'agissant de la brigade de gendarmerie et 12 fonctionnaires de police s'agissant de la brigade nautique de la PAF.

* 69 L'usage d'un avion de surveillance avait déjà été expérimenté aux mois de janvier et février 2020.

* 70 Sauf lorsque les embarcations font demi-tour : le « kwassa » est alors décompté comme « dissuadé » et non « intercepté ».

* 71 L'article 10 de l'ordonnance n° 2016-1687 du 8 décembre 2016 relative aux espaces maritimes relevant de la souveraineté ou de la juridiction de la République française définit le cadre juridique applicable aux pouvoirs publics dans la zone contiguë en ces termes : « L'espace maritime situé au-delà de la limite de la mer territoriale et adjacent à celle-ci, s'étendant jusqu'à une limite fixée à 24 milles marins des lignes de base définies à l'article 2, constitue la zone contiguë . »

* 72 L'article 44 bis du code des douanes prévoit ainsi la compétence du service des douanes dans la zone contiguë.

* 73 Amendement n° 30 rectifié bis de Thani Mohamed Soilihi (repris au nom de la commission par le rapporteur), reprenant une proposition de loi du même auteur.

* 74 Conseil d'Etat, Assemblée générale, 5 juin 2018, avis n° 394925.

* 75 Cette condition s'ajoutant aux exigences déjà prévues pour tous les enfants nés en France de parents étrangers, à savoir : avoir sa résidence en France à sa majorité et avoir eu sa résidence habituelle en France pendant une période continue ou discontinue d'au moins cinq ans, depuis l'âge de onze ans.

* 76 Conseil constitutionnel, décision n° 2018-770 DC du 6 septembre 2018, paragraphes 35 à 51, consultable à l'adresse suivante :
https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2018/2018770DC.htm .

* 77 Voir le commentaire aux Cahiers du Conseil constitutionnel de la décision n° 2018-770 DC du 6 septembre 2018 précitée.

* 78 Le Conseil constitutionnel avait détaillé ce raisonnement en trois étapes. D'une part les dispositions d'adaptation étaient suffisamment circonscrites et proportionnées, le législateur n'ayant modifié, dans le cas de Mayotte, que certains des critères d'accès à la nationalité française, « maintenant inchangés les critères d'âge et de résidence applicables à un enfant né à Mayotte de parents étrangers ». Proportionnées, ces dispositions se bornaient ainsi à « modifier certaines conditions d'exercice du droit à l'acquisition de la nationalité française à raison de la naissance et de la résidence en France. » D'autre part, applicables à l'ensemble des enfants nés à Mayotte de parents étrangers, sans distinction sur la nationalité ou l'origine géographique de ceux-ci, les dispositions d'adaptation n'instituaient aucune discrimination, proscrite au titre de l'article 1 er de la Constitution, aux termes duquel la République « assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion ». Enfin, le législateur ayant permis aux parents, à l'article 2495 du code civil, de porter sur l'acte de naissance de l'enfant ou en marge de celui-ci la mention de la régularité et de la durée de leur résidence, il a entendu faciliter la mise en oeuvre de la condition nouvelle d'accès à la nationalité ainsi créée.

* 79 Dans son avis n° 394925 du 5 juin 2018 précité, le Conseil d'État avait notamment relevé que la « condition [nouvellement créée d'accès à la nationalité française] porte sur l'un ou l'autre des parents et fixe un délai de résidence régulière assez bref ». Un allongement excessif de ce délai pourrait donc poser une difficulté au regard de la constitutionnalité du dispositif.

* 80 Rapport n° 371 (2005-2006) fait par François-Noël Buffet, rapporteur du présent rapport, au nom de la commission des lois du Sénat sur le projet de loi relatif à l'immigration et à l'intégration, p. 263. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : www.senat.fr/rap/l05-371-1/l05-371-11.pdf .

* 81 Circulaire du garde des sceaux de présentation des dispositions destinées à lutter a priori contre les reconnaissances frauduleuses de paternité et de maternité du 20 mars 2019 (NOR : JUSCI904138C).

* 82 Article 335 du code civil.

* 83 Pour plus de détails, voir le rapport n° 552 (2017-2018) de François-Noël Buffet, rapporteur du présent rapport, fait au nom de la commission des lois, déposé le 6 juin 2018, relatif au projet de loi pour une immigration maîtrisée et un droit d'asile effectif, p. 309, consultable à l'adresse suivante : https://www.senat.fr/rap/l17-552-1/l17-552-1.html .

* 84 Voir le rapport n° 552 (2017-2018) précité.

* 85 Voir l'avis budgétaire n° 146 (2019-2020) de François-Noël Buffet, rapporteur du présent rapport, fait au nom de la commission des lois, déposé le 21 novembre 2019, consultable à l'adresse suivante : https://www.senat.fr/rap/a19-146-2/a19-146-28.html#fn36 .

* 86 Second alinéa du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

* 87 Articles 316 et suivants du code civil.

* 88 Avis n° 146 (2019-2020) précité.

* 89 À titre d'exemple, lors de leur visite du CRA de Mayotte, les rapporteurs ont pu constater les adaptations rendues nécessaires par la décision comorienne de conditionner le retour de ressortissants comoriens à la réalisation d'un test PCR et non d'un test antigénique ; l'impératif sanitaire attaché à cette décision n'apparaissait pourtant pas clairement.

* 90 Comme l'ont précisé les services du MEAE dans une note transmise aux rapporteurs, le plan de développement France-Comores (PDFC) « s'inscrit dans le Document-cadre de partenariat renouvelé, signé le 22 juillet 2019. D'un montant de 150 M€ (devant être engagés sur une période de 3 ans), le PDFC entend contribuer à l'amélioration durable des conditions de vie des ressortissants de l'Union des Comores, à travers le soutien à des projets visant en priorité : l'amélioration de la qualité et de l'accès à la santé (44 M€), l'éducation (38 M€), l'insertion socioéconomique des jeunes et le soutien aux activités génératrices de revenu (55 M€) - y compris l'appui au développement agricole ainsi que l'environnement et l'aménagement du territoire (10 M€). »

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page