C. RENFORCER L'ACTION DE L'AUTORITÉ JUDICIAIRE

1. Malgré des moyens extrêmement limités, une réponse pénale à la hauteur

La coopération entre les forces de l'ordre et l'autorité judiciaire a été jugée bonne par l'ensemble des acteurs rencontrés par la mission, tant du côté des acteurs judiciaires que de celui des forces de l'ordre.

Il convient en particulier de souligner la récente évolution de la réponse pénale, due notamment à une modification des modes de traitement des dossiers par le parquet . Yann Le Bris, procureur de la République à Mamoudzou, a ainsi détaillé les contours de sa stratégie aux membres de la mission.

Selon lui, le faible nombre de dépôts de plainte 58 ( * ) et les difficultés d'adressage 59 ( * ) rendent les poursuites difficiles à conduire jusqu'à leur terme. En conséquence, la délinquance n'est traitée que « sur le haut du spectre ». Afin de pallier cette difficulté, les services du parquet font le choix de resserrer la procédure, en concentrant celle-ci sur le temps de la flagrance.

La réponse pénale semble ainsi avoir gagné en sévérité : entre le premier semestre de 2019 et celui de 2021, le nombre de condamnations prononcées par le tribunal judiciaire de Mamoudzou est passé de 935 à 1082, soit une hausse de 15,7 %. Au-delà de cette hausse quantitative des condamnations, il est également constaté une aggravation des peines prononcées : dans le même temps, la part des prononcés d'emprisonnement ferme a crû d'1,8 point, passant de 28,4 % à 30,2 %. Par ailleurs, le quantum de peine moyen ferme est passé de 6,9 mois sur le premier semestre 2019 à 12,6 mois sur le premier semestre 2021.

Comparaison des peines prononcées par le tribunal judiciaire de Mamoudzou sur le premier semestre 60 ( * ) des années 2019 à 2021 61 ( * )

Source : procureur de la République de Mamoudzou

Néanmoins, cette réponse pénale se traduit par un surcroît d'activité pour la juridiction, notamment pour le parquet. Yann Le Bris a fait valoir lors de son audition par les rapporteurs que le traitement en flagrance des faits concernés requiert du temps : lorsqu'une convocation par officier de police judiciaire (COPJ) à une audience au tribunal ne prend que quelques instants, un déferrement peut représenter selon le procureur de la République plus d'une heure de temps de travail. La mobilisation des équipes du parquet est donc exceptionnelle et présente le risque à terme de n'être pas tenable sans un renforcement subséquent des moyens de la chaîne pénale .

2. L'indispensable renforcement des moyens alloués à l'autorité judiciaire sur l'ensemble de la chaîne pénale

La situation sécuritaire à Mayotte exige donc le renforcement des moyens de l'autorité judiciaire sur l'ensemble de la chaîne pénale .

En amont du prononcé de la peine, les moyens dont dispose la juridiction doivent être accrus afin de restaurer l'autorité de l'institution judiciaire . En premier lieu, le traitement des dossiers à Mayotte nécessite une charge de travail accrue, en raison des contraintes spécifiques du territoire : la nécessité d'un traducteur pour la conduite d'audiences ainsi que les difficultés procédurales posées par un adressage défaillant sur le territoire, notamment, complexifient considérablement le travail des services. Les rapporteurs soutiennent donc le souhait exprimé par le président du tribunal judiciaire, Laurent Ben Kemoun, de la création d'un troisième cabinet de juge des enfants et d'un quatrième cabinet de juge d'instruction au sein de la juridiction. De façon analogue, Yann Le Bris, procureur de la République a estimé qu'il serait souhaitable de doubler les effectifs alloués au parquet.

S'agissant des moyens matériels, les rapporteurs ont pu constater les conditions matérielles imparfaites dans lesquelles les services exercent leurs prérogatives. À terme, la relocalisation du tribunal judiciaire en centre-ville de Mamoudzou, dans un bâtiment conçu pour les besoins d'une juridiction, devrait également être envisagée.

Proposition n° 7 :  Renforcer les moyens humains du tribunal judiciaire de Mamoudzou et étudier sa relocalisation dans un bâtiment conçu à cet effet.

Par ailleurs, la création d'une cour d'appel de plein exercice à Mayotte , demandée de longue date, doit aboutir. Mayotte est en effet seulement dotée, depuis 2011, d'une chambre d'appel détachée de la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion, installée à Mamoudzou 62 ( * ) .

Les avantages concrets attendus d'une telle réforme seraient les suivants :

- mettre fin aux difficultés organisationnelles posées par le détachement, qui se traduisent par des déplacements depuis La Réunion coûteux et sources d'inefficience ;

- permettre une montée en puissance de la cour d'assises, à l'activité de laquelle les magistrats pourraient consacrer davantage de temps ;

- envoyer un symbole fort, comme l'ont été la création récente d'une Agence régionale de santé propre à Mayotte ainsi qu'un rectorat d'académie de plein exercice.

Proposition n° 8 :  Créer une cour d'appel de plein exercice à Mamoudzou.

En aval du prononcé de la peine, plusieurs modifications doivent être envisagées . En premier lieu, la surpopulation carcérale du centre pénitentiaire de Majicavo fait courir à terme le risque d'une inhibition de la réponse pénale , les capacités d'accueil limitées du centre contraignant de facto celle-ci. Didier Hoarau, chef de l'établissement de Majicavo rencontré sur place, a ainsi fait valoir que l'augmentation du nombre de sessions d'assises sur l'année 2020-2021 63 ( * ) a conduit à une augmentation subséquente du nombre de prévenus, accroissant ainsi la pression sur le quartier dédié à la maison d'arrêt.

Au 8 septembre 2021, le centre comptait ainsi 453 écroués, dont 438 détenus. Le taux d'occupation global était à cette date de 153 %. Ce taux masque néanmoins des réalités distinctes selon le régime de détention : il atteignait ainsi 238 % s'agissant des détenus sous le régime de la maison d'arrêt 64 ( * ) . Malgré sa récente réfection en 2015, le centre pénitentiaire de Majicavo voit donc ses capacités d'accueil saturées. Par ailleurs, Didier Hoarau a souligné la difficulté, en raison de l'étroitesse de l'emprise foncière du centre, de procéder à d'éventuelles extensions ou aménagements supplémentaires.

Alors même que les services pénitentiaires tâchent d'éviter la reformation, dans l'enceinte du centre pénitentiaire, de groupes et de bandes susceptibles de commettre des violences, une telle surpopulation rend l'exercice de leur mission particulièrement complexe . Cette surpopulation fait au surplus courir le risque, à terme, d'une inhibition de la réponse pénale. Afin d'éviter de tels écueils, il apparaît nécessaire de faire droit à la demande, régulièrement réitérée de la création d'un centre de détention au sud de Grande Terre. Le centre de Majicavo pourrait ainsi voir ses capacités d'accueil soulagées, en devenant une simple maison d'arrêt.

Proposition n° 9 :  Créer un centre de détention au sud de Grande Terre et transformer l'actuel centre pénitentiaire de Majicavo en maison d'arrêt.

Enfin, l'autorité judiciaire ne dispose pas à Mayotte de moyens suffisants pour l'aménagement de peines, ce qui contribue à la surpopulation carcérale du centre de Majicavo . Rencontrée sur place par les rapporteurs, Naïma Sajie, vice-présidente du tribunal judiciaire chargée de l'application des peines, a ainsi jugé « indispensable » l'ouverture de possibilités nouvelles dans l'aménagement de peines à Mayotte. À cet égard, l'ouverture d'un centre de semi-liberté pour les détenus majeurs doit être envisagée. De façon analogue, la création d'un centre éducatif fermé pour mineurs, même doté d'un nombre limité de places, offrirait des possibilités supplémentaires pour l'aménagement de peines. Enfin, le recours plus systématique à des « stages de rupture », dans l'hexagone devrait être envisagé.

Proposition n° 10 :  Ouvrir les possibilités d'aménagement de peines en créant un centre de semi-liberté ainsi qu'un centre éducatif fermé.


* 58 Voir le b) du 1. du B. du I. du présent rapport.

* 59 Voir le 2. du C. du III. du présent rapport.

* 60 Ne disposant pour l'année 2021 que des données relatives au premier semestre, il a été choisi de procéder à la comparaison sur les seuls mois de janvier à juillet des années 2019 et 2020.

* 61 Afin de tenir compte de la spécificité de l'année 2020, il a été choisi de présenter les variations entre les années 2019 et 2021.

* 62 Question orale n° 939, 15 ème législature, de Mansour Kamardine à Nicole Belloubet, garde des sceaux, consultable à l'adresse suivante :
https://questions.assemblee-nationale.fr/q15/15-939QOSD.htm .

* 63 Celles-ci sont passées selon les acteurs judiciaires rencontrés sur place de 3 ou 4 sessions annuelles à 6, voire 7 sessions annuelles.

* 64 Source : centre pénitentiaire de Majicavo, sur sollicitation des rapporteurs.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page