VI. TABLE RONDE « LA COORDINATION COLLECTIVITÉS TERRITORIALES - AGENCES RÉGIONALES DE SANTÉ, UN PREMIER BILAN » (28 MAI 2020)

M. Jean-Marie Bockel, président . - Cette table ronde est diffusée en direct sur le site du Sénat mais aussi sur Public Sénat.

La crise du Covid-19 nous pousse à examiner les capacités d'action de nos institutions. Le Président Larcher a d'ailleurs engagé, avant même cette crise sanitaire, une démarche sur la poursuite de la décentralisation et ce en parallèle de la démarche « 3D » du Gouvernement. Pour être un des deux co-rapporteurs, avec Philippe Bas, le Président de la commission des Lois, du groupe de travail qui nourrit cette démarche, je peux témoigner de l'intensité de ce travail. Nous avons comme fil conducteur le retour d'expérience de cette crise sanitaire et l'audition d'aujourd'hui s'inscrit également dans cette démarche.

L'épidémie a interrogé les capacités de coordination et d'action des Agences régionales de santé (ARS) avec les acteurs du territoire, qu'ils soient étatiques, sanitaires et, naturellement, les collectivités territoriales. Nous n'entendons évidemment pas, à ce stade, faire le procès des ARS, d'autant qu'une commission d'enquête fera le point des responsabilités des uns et des autres dans la gestion de la crise. C'est justement pour éviter qu'elles servent de boucs émissaires que nous n'avons pas convié de représentant des ARS, lesquelles demeurent en outre accaparées par la sortie progressive de la crise.

Notre délégation souhaite examiner les conséquences des choix des organisations territoriales effectués dans le domaine de la santé depuis la création des ARS en 2009. L'objectif à l'époque était de décloisonner le système de santé mais aussi de maîtriser les dépenses de santé. Ces agences remplaçaient les anciennes Agences régionales d'hospitalisation, créées en 1996, ainsi que les services déconcentrés du ministère de la Santé. Peut-on dire que la loi dite Bachelot à l'origine de la création des ARS a retiré le pouvoir des médecins, notamment des chefs de service, pour les transférer aux directeurs d'hôpital en privilégiant une approche gestionnaire ? Ce n'est pas mon point de vue et j'ai pu constater que les systèmes précédents avaient atteint leurs limites. Le rôle d'un directeur ne peut être limité à une démarche gestionnaire, sans vision, et beaucoup dépendent des consensus pouvant se créer entre les divers acteurs.

Tout n'a pas toujours été négatif, mais nous sommes passés d'un système perfectible à un système « à la française » dont nous constatons aujourd'hui les limites. S'agissant du rapport avec les territoires, cette loi prévoyait notamment la mise en place d'instances de coordination, dont les conseils de surveillance des ARS. Lors de l'examen au Parlement de cette loi de 2009, un certain nombre de propositions, notamment sénatoriales, n'avaient pas été prises en compte et elles auraient pu éventuellement permettre un meilleur équilibre.

Les ARS sont aujourd'hui vu comme trop distantes des territoires. Elles associeraient trop peu les acteurs locaux, seraient trop bureaucratiques, trop fragiles en cas de crise, et la coordination avec l'ensemble des acteurs, sans autorité réellement reconnue, aurait été défaillante. Nos invités, MM. Jean-Louis Thiériot, député de Seine-et-Marne ; Dominique Dhumeaux, maire de Fercé-sur-Sarthe ; Frédéric Bierry, président du conseil départemental du Bas-Rhin ; Frédéric Pierru, sociologue, chargé de recherche au CNRS, et Jean de Kervasdoué, économiste de la santé, professeur émérite au CNAM vont donc nous éclairer sur ces différents points.

M. Jean-Louis Thiériot, député de Seine-et-Marne . - Je veux d'abord préciser que je m'exprime en tant qu'observateur et praticien mais que je ne suis pas un spécialiste des questions de santé. Néanmoins, comme ancien président de département et comme conseiller départemental pendant la crise, je vous propose de vous faire part de mon retour d'expérience, avant de vous suggérer quelques pistes d'amélioration.

Avant toute chose, je veux à nouveau rendre hommage aux soignants, comme nous le faisons tous. Les éventuelles critiques que je formulerais ne sont évidemment pas destinées au corps médical ou paramédical, qui fut exceptionnel.

J'ai constaté durant cette crise que les ARS étaient inadaptées à la gestion de l'urgence. J'ai pu l'observer d'abord lors de la crise liée aux masques. Les ARS ont été dépassées sur le plan logistique. Totalement perdues, elles ont été incapables de gérer les flux, les livraisons et les stocks et nous avons dû pallier leurs insuffisances pour fournir les pharmaciens.

La difficulté à faire remonter les informations illustre aussi le fait que ces structures sont dépassées. Les Établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) nous transmettaient, au préfet et à moi-même, des décomptes quotidiens. Les ARS nous assuraient qu'un seul décès, et non dû au Covid, avait eu lieu, et nous découvrions dans Le Parisien la semaine suivante que 17 décès s'étaient en fait produits. Il a fallu que ce soit le département qui finisse par faire remonter à l'État les informations concernant ces établissements de santé.

Enfin, les ARS souffrent d'un juridisme permanent et du principe de précaution poussé à l'extrême. Ainsi, lorsqu'il fallait agir vite, nous entendions le doux bruissement des parapluies s'ouvrant, au lieu de la mise en oeuvre des actions nécessaires.

Les ARS ne sont donc pas des structures adaptées pour gérer l'urgence. Au niveau départemental, le problème du dualisme entre le préfet et l'autorité de santé n'aide pas. Dans une situation de crise, il est absolument indispensable que la décision soit centralisée. Le problème ne s'est pas posé au niveau des directeurs d'hôpitaux mais bien au niveau des ARS, instances de coordination.

Mon sentiment est que la carte hospitalière ne peut pas être gérée par une instance administrative ou une agence déconcentrée de l'État, mais qu'elle doit impérativement être décentralisée. En Allemagne, ces éléments sont gérés par les Länder. Sans responsabilité politique, nous arrivons à une vision technocratique des choses, alors que les seules capables de comprendre réellement les besoins d'un territoire, ce sont les collectivités territoriales. Je ne me prononcerai pas à ce stade sur le niveau de décentralisation souhaitable. Mon ancienne casquette de président départemental me fait plutôt pencher pour le département ; les régions XXL rendent les choses plus compliquées.

L'autre point qui me semble fondamental dans cette nouvelle organisation de la santé, c'est la nécessité de coopérer efficacement avec le secteur privé, que ce soit la médecine de ville, la médecine libérale ou les cliniques. Lors de la crise, alors que tout le monde devait tirer dans le même sens, j'ai assisté à une absence totale de coordination avec les médecins libéraux, les infirmières libérales ou les cliniques, auxquelles aucun patient n'était envoyé alors même que les hôpitaux étaient sous tension.

M. Dominique Dhumeaux, maire de Fercé-sur-Sarthe . - Dans le cadre de l'agenda rural, mission à laquelle j'avais participé avec quatre de mes collègues, nous avions déjà alerté le Gouvernement sur la difficulté que nous connaissions, nous élus, pour comprendre le rôle des ARS et sur les liens inexistants entre nous et ces structures, loin de tout et inaccessibles pour le moindre dialogue.

Je suis sapeur-pompier de profession et j'ai été surpris, au début de la crise, que le Gouvernement fasse le choix de s'appuyer sur les ARS alors que l'État dispose des zones de défense et de sécurité, qui sont mises en place justement pour gérer ce type de crise et qui n'ont pas du tout été alertées ou utilisées. Cela explique les difficultés pour les préfets et les ARS de travailler ensemble durant la crise, les préfets n'étant pas habitués à dialoguer avec les ARS. Les services de l'État fonctionnent parfois en silo et n'ont pas coutume de partager leurs expériences et leurs problématiques. Les préfets nous ont ainsi alertés sur les difficultés à travailler avec les ARS ou les directions académiques durant la crise.

Nous nous sommes rapprochés des maires ruraux pour connaître leur vision des ARS avant et pendant la crise. Force est de constater que personne n'a de contact avec les ARS, si l'on n'est pas un élu disposant d'un centre hospitalier sur son périmètre. Ce manque de contact contribue à rendre les décisions de ces agences difficilement applicables. Ces décisions font le plus souvent des dégâts dans nos territoires : par exemple, l'obligation d'avoir deux médecins pour installer une maison de santé pluridisciplinaire sur un territoire, contre un seul auparavant. Dans un territoire dépourvu de médecins, imposer deux médecins généralistes pour constituer une maison de santé est évidemment la solution idoine pour qu'aucune maison de santé ne puisse être mise en place.

En échangeant, il ressort un sentiment d'opacité dans les décisions prises par les ARS. Cela rend d'autant plus difficile le rôle des maires, surtout dans les zones les plus touchées, où les élus n'ont jamais pu obtenir un pourcentage du nombre de personnes contaminées. Cela aurait toutefois permis aux élus locaux d'être encore plus réactifs.

Les ARS n'étaient pas faites pour gérer une telle crise. Le ministère de la Santé, qui ne connaissait que ces structures, s'est toutefois appuyé sur elles. S'il fallait demain corriger certaines choses, une solution serait d'intégrer les élus dans le mode de fonctionnement des ARS. Aujourd'hui, les seuls élus présents sont ceux des communes où des centres hospitaliers sont en place. Nous souhaiterions être intégrés dans les Communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), les réunions d'ARS au niveau départemental, pour apporter notre regard et partager nos difficultés dans le cadre de l'accès aux soins. Dans mon département, le nombre de médecins généralistes est nettement inférieur à la moyenne nationale, et plus de la moitié d'entre eux ont plus de soixante ans. Or on sait aujourd'hui que lorsque quatre médecins partent à la retraite, seulement deux arrivent. La téléconsultation pourrait être une solution mais l'ARS avait bloqué ce système, déverrouillé durant la crise mais qui risque d'être à nouveau bloqué, alors qu'il est intéressant a minima pour le renouvellement d'ordonnances basiques pour désengorger les salles d'attente. C'est à travers notre présence dans ces instances que nous pourrons faire valoir les besoins de nos administrés et faire en sorte que les ARS deviennent enfin de vrais outils de santé publique.

M. Frédéric Pierru, sociologue, chargé de recherche au CNRS . - Plus que les ARS, je critique leur mauvaise naissance. Lors de la loi les élaborant, il y a eu deux conflits : un avec la Caisse nationale d'assurance maladie, qui souhaitait garder la main sur la médecine libérale, et un autre avec les préfets, qu'on voit resurgir à l'occasion de cette crise. Les ARS n'ont jamais eu la main sur la médecine libérale et la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM) a conservé son pré carré. Cela constitue une forme de péché originel. Les ARS devaient avoir la main sur tout le système de soins et elles ne contrôlent en fait que le seul hôpital. Ce contrôle est en outre étroitement bordé par l'échelon national. Les ARS sont donc des colosses entravés qui, dans le domaine médico-social, partagent leurs compétences avec les collectivités territoriales.

Les préfets ont effectivement mal vécu l'installation d'ARS qui leur échappaient, alors qu'ils avaient auparavant l'autorité sur les précédentes structures. Lors de l'élaboration de la loi, il y a eu notamment un conflit sur la veille et la sécurité sanitaire, et particulièrement sur la surveillance épidémiologique. Les préfets souhaitaient conserver la main sur le volet sécurité sanitaire géré par les ARS. Là encore, la solution privilégiée a été celle d'un armistice bancal, comme nous l'avons constaté lors de cette crise. Cette crise a donc révélé les malfaçons originelles des ARS. C'est la raison pour laquelle je trouverais fort dommage d'en faire des boucs émissaires.

La territorialisation des politiques de santé a constitué un leurre. Dans la loi Hôpital, patients, santé, territoires (HPST), le mot « territoire » est employé 71 fois en 87 pages, dans la loi Touraine de 2016, il est utilisé 106 fois en 111 pages, et dans la dernière loi du 26 mars 2019, il y est fait référence 110 fois en 94 pages. Nous constatons donc une véritable inflation de l'utilisation de la notion de territoire. Cela est d'autant plus surprenant que la réalité de l'évolution de la gouvernance du système de santé est celle de la centralisation croissante. Les dernières lois ont été faites pour contourner les élus locaux, perçus comme des freins à la restructuration hospitalière. La difficulté rencontrée par les élus locaux pour nouer des contacts avec les ARS ne constitue donc pas une anomalie puisque c'était le coeur des lois successives. C'est également la raison pour laquelle les préfets ont été dépossédés au profit des directeurs généraux d'ARS. Il ne faut donc pas se laisser abuser par l'incantation de territorialisation, qui ne correspond en rien aux logiques inhérentes aux plus récentes transformations de notre système de santé.

En parallèle, nous avons également assisté à une centralisation concernant la médecine libérale via l'action de la CNAM. Les délégations départementales ont été délibérément vidées de leur contenu. Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État auprès de la ministre de la Transition écologique et solidaire, expliquait que l'objectif était de ne pas reproduire le modèle préfectoral des Directions départementale des Affaires sanitaires sociales (DDASS) et de recentraliser au siège dans la mesure du possible.

Il me semble donc que l'on a vu, lors de cette crise, l'évanescence de l'État sanitaire infrarégional. Cela a naturellement été renforcé par les grandes régions.

J'aurais deux pistes d'évolution. Il ne s'agit pas seulement de réformer les ARS, mais l'ensemble du cadre. Il faudrait soit leur donner un réel pouvoir décisionnel, ce qui nécessiterait une montée en charge du fonds d'intervention régional dont les crédits ne cessent de stagner, soit de donner aux délégations départementales de vrais moyens humains, d'expertise et décisionnels pour pouvoir conduire une réelle politique territoriale de santé. Un modèle plus révolutionnaire serait de s'inspirer du modèle anglais et de donner la main à une structure qui gérerait l'ensemble de l'offre de soins dans un périmètre d'environ 60 000 habitants, que ce soit sur la médecine libérale, l'hôpital, le médico-social ou la prévention, et ce en assurant la représentation des élus locaux dans ces structures de pilotage des politiques de santé, le tout naturellement dans un cadre fixé à l'échelon national.

M. Frédéric Bierry, président du conseil départemental du Bas-Rhin . - Il est nécessaire aujourd'hui de clarifier les rôles entre l'État et les acteurs locaux. La crise du Covid a mis en relief ce que nous ressentions au quotidien dans l'action sanitaire, à savoir l'inadaptation de l'ARS aux besoins de santé et médico-sociaux des territoires. Cela n'est évidemment pas une question de personnes. Tous les salariés des ARS s'investissent pleinement lors de cette crise. Eux-mêmes déplorent l'organisation de leurs services.

Cela ne fonctionne pas, tout d'abord du fait d'un problème de périmètre. Les grandes régions sont inadaptées. Dans la région Grand Est, nous comptons dix départements. C'est trop grand et trop éloigné pour être efficace : je disais récemment que je voyais plus régulièrement la ministre de la Santé que mon directeur d'ARS ! Mes collègues présidents de département m'informaient également n'avoir pas échangé depuis plus d'un an avec leur directeur d'ARS. Lorsque l'on sait le rôle crucial que jouent les départements, notamment sur le plan médico-social, on constate à quel point ce périmètre est inadapté. Il traduit par ailleurs une méconnaissance des réalités territoriales.

En organisant des périmètres élargis, on a créé des concurrences entre les Centres hospitaliers universitaires (CHU). Le CHU de Nancy et le CHU de Strasbourg sont en tension, avec des déplacements de services sans tenir compte des réalités locales. Des problèmes sont nés là où il n'y en avait pas.

Lors de la crise, nous avons dû agir avec la société civile et les acteurs locaux pour pallier les carences des ARS, notamment concernant les masques. Sans notre action, nous aurions à déplorer des décès supplémentaires et certains professionnels de santé auraient dû se mettre en retrait. Nous n'avons pas seulement livré les EHPAD, mais aussi les hôpitaux. De vrais besoins n'étaient pas couverts, et la logistique comme l'agilité étaient territoriales et donc portées par les élus locaux.

J'ai pu assurer un lien quotidien avec les EHPAD de mon département, car nous nous étions organisés en amont. Cela m'a permis de connaître tous les jours l'état sanitaire de chaque EHPAD : personnels et pensionnaires touchés, nombre de décès,... Nous avons constaté que les ARS, bien souvent, n'avaient pas connaissance de ces indicateurs. Le lien direct entre les établissements et les ARS n'existe pas.

Le système administratif est à la fois coûteux et construit essentiellement autour du contrôle administratif. Le directeur du CHU m'expliquait que deux ou trois membres de son personnel consacraient leur temps à répondre à des questionnaires administratifs de l'ARS. Ces démarches sont très cloisonnées. Il manque une approche globale des enjeux sanitaires et des dépenses sanitaires. Un hôpital de proximité a par exemple mis en place un service de chimiothérapie. Ce système représentait un certain coût pour cette clinique mais l'ARS n'a pas tenu compte des coûts de déplacement dans le coût global de ce service de santé. Il revenait moins cher de mettre en place un service de chimiothérapie décentralisé dans cette clinique que de faire se rendre les patients à Strasbourg. Mais, sans cette vision globale, il a été recommandé de fermer ce service. Pour les EHPAD, un double travail administratif perdure, alors que les besoins en personnel sont les plus urgents dans ces établissements.

Les besoins sanitaires du médico-social ne sont par ailleurs pas pris en considération. Dans le cas des troubles du comportement psychique des enfants placés par exemple, nous n'avons pu obtenir aucune réponse sanitaire. Cela traduit, là encore, l'inadaptation des ARS pour répondre aux besoins quotidiens du médico-social.

Nous attendons de l'État qu'il fixe les objectifs de santé à partir des réalités sanitaires de notre pays et qu'il valorise financièrement et statutairement les soignants. Pour relever les enjeux publics de santé, seule la sphère publique territoriale me semble toutefois capable. J'entends par sphère publique territoriale le département, au regard des compétences qu'il exerce déjà. C'est ensuite le bloc local : communes et intercommunalités. Les maires doivent retrouver un pouvoir d'action en la matière. Nous avons également besoin des services déconcentrés de l'État.

Les élus me semblent plus aptes à gérer ces enjeux que les agents de l'État, responsables devant leur hiérarchie et non devant les concitoyens. Les attentes en termes de réactivité et d'agilité sont donc bien plus importantes. Quand un agent de l'ARS visite un EHPAD, il vérifie le bon fonctionnement administratif et le respect des normes par l'établissement. Un élu va également accomplir cette mission mais il ira aussi au contact du personnel, des pensionnaires et de leurs familles car il les connaît. Il est sur le terrain et constate plus rapidement ce qui dysfonctionne dans les organisations.

Il est nécessaire d'organiser la gestion de la santé à partir des territoires. Il faut donner un rôle de chef de file aux départements pour mieux coordonner le sanitaire et le médico-social. Tout cela devra naturellement se faire en lien avec le bloc local et avec les services déconcentrés de l'État. Je crois que le préfet doit reprendre la main sur les ARS. Il faut que nous développions par ailleurs des contrats locaux de santé médico-sociaux et sociaux. Il est nécessaire de décloisonner ces trois problématiques en lien également avec les établissements privés. Il faut ensuite réduire le périmètre des ARS pour garantir une connaissance départementale. Il faut enfin redonner des pouvoirs décisionnels aux délégués départementaux.

En tant que transfrontalier, je constate que le coût de la santé est bien plus faible en Allemagne alors que les moyens alloués sont les mêmes. Le coût administratif est plus faible car il est organisé territorialement. Nous avons envoyé des patients à Brest, à plusieurs centaines de kilomètres, plutôt qu'à Karlsruhe, à quelques dizaines de kilomètres, comme cela a été le cas à terme. En nous organisant à l'échelle transfrontalière, nous aurions pu être encore plus réactifs face à la crise que nous avons vécue ici.

Nous devons avoir conscience du coût du service public et du rendu du service public. Il faut revenir à des taxes et des impôts territorialisés. Le consentement à l'impôt est impossible si nos concitoyens ne perçoivent pas le lien entre leurs contributions et la qualité du service qui leur est rendu.

Enfin, dans la perspective de la loi 3D, j'ai proposé au Premier ministre que les missions de l'ARS soient déléguées à la future Collectivité européenne d'Alsace, d'abord sous forme de délégation puis dans une perspective définitive.

M. Jean de Kervasdoué, économiste de la santé, professeur émérite au CNAM . - La médecine dans le monde se spécialise. Il existe aujourd'hui 220 spécialités médicales, contre une dizaine auparavant. Nous avons tous pu constater durant cette crise que, pour certaines prises en charge de maladies lourdes, seuls les grands hôpitaux étaient en capacité de les assurer.

Nous allons entrer dans la phase du vieillissement de la génération du baby-boom, qui commence en 1947. L'âge de l'entrée dans la dépendance commence à 83 ans. Cette génération va donc entrer en situation de dépendance en 2030 et on va passer de six à onze millions de personnes de plus de 75 ans.

Il est nécessaire, pour comprendre la situation actuelle, de dresser un bref panorama historique. Notre période est celle de la fin de la démocratie sociale. Inventée en 1945, elle a de fait disparu dans le domaine de la maladie, à part la mutualité sociale agricole. Les autres caisses ne jouent plus aucun rôle. Doit-on conserver tout cet appareil très compliqué de caisses d'assurance maladie ? La CNAM n'a été créée qu'en 1967. Auparavant, il était possible de négocier les tarifs au niveau local. Par ailleurs, l'étatisation progressive du système de soins sans s'en donner les moyens est problématique. L'État est à la fois omniprésent et déliquescent. L'État intervient d'abord par les statuts. Le titre « cadre de la fonction publique » est au demeurant un tribut très élevé que la gauche de l'époque a payé au Parti Communiste, et il me paraît nécessaire d'en sortir. Il faut établir des conventions collectives, d'autant qu'il n'existe dans le secteur médico-social aucune menace sur l'emploi. Des statuts de droit privé pourraient donc être développés, y compris pour des médecins. Aujourd'hui, dans le système hospitalier public, un réanimateur est payé comme un biologiste, où qu'il travaille. Tout cela n'est pas raisonnable.

M. Mathieu Darnaud . - Cette crise a en effet révélé le problème de l'excès de centralisme que beaucoup ont souligné. Malheureusement, celui-ci s'est avéré être un frein très fort, particulièrement en début de crise, notamment pour l'acheminement des masques.

Le point le plus fondamental est celui de la coordination. Je constate que l'échelon départemental permet une agilité nécessaire en période de crise. En Ardèche, nous avons pu organiser de manière hebdomadaire, au niveau de la préfecture, des échanges réguliers entre parlementaires, maires ruraux et autres acteurs du territoire pour pointer des sujets défaillants. Cela nous a permis de pouvoir nous ajuster de façon pratique et pragmatique. Le dialogue a été fluidifié par la coordination assurée par le préfet, que ce soit avec la mise en place de centres spécifiques ou d'acheminements plus réguliers. Il faut de la coordination et de la clarté et définir qui doit être leader dans la crise.

M. Hervé Gillé . - Les projets régionaux de santé ont souvent manqué de co-construction et de concertation avec l'ensemble des collectivités. Nombre d'entre elles ne les ont pas adoptés, sans aucune conséquence induite, et le Projet régional de santé (PRS) s'est appliqué en tant que tel. Il faut réintroduire de la démocratie sociale dans l'élaboration des PRS et des contrats locaux de santé. Cela est nécessaire notamment dans le cadre du rapprochement du secteur de la santé et du médico-social. L'échelon départemental semble idéal pour constituer une interface intelligente dans les territoires. Dans le contexte, souhaitez-vous une révision des pratiques de concertation et des pratiques contractuelles à l'échelle des territoires ?

M. Charles Guené . - Beaucoup d'entre nous se souviennent de votre excellente tribune dans Le Figaro, le 9 avril dernier, Monsieur Thiériot, dans laquelle vous évoquiez l'efficacité allemande et son rapport avec les moyens mis en oeuvre, rapport qui interpelle. Nous avons l'impression que ce n'est pas à l'heure actuelle la ligne privilégiée pour le futur « Ségur de la Santé ». Votre autorité en la matière nous pousse à vous demander quelles sont les propositions de base que vous feriez si vous étiez appelé à intervenir devant le « Ségur de la Santé ».

N'êtes-vous pas étonné de l'absence des collectivités locales dans cette concertation nationale, puisque nous sommes probablement autant devant un problème d'organisation de notre pays que d'un sujet touchant à la santé ?

J'émettrai juste un bémol sur la question de la territorialisation de l'impôt. Les Allemands n'ont pas d'impôt territorialisé et ils sont pourtant efficaces. Je ne suis donc pas convaincu que cela soit une bonne piste, mais ce sujet pourra être débattu ailleurs.

Mme Sonia de la Provôté . - J'ai le sentiment que, depuis quelques années, deux mondes s'affrontent sur le plan de la santé, et qu'un a pris le dessus sur l'autre. D'un côté nous avons le monde du papier, des normes, de la gestion, des chiffres et du traitement collectif de la santé ; d'un autre côté, nous avons le monde de la santé, du stéthoscope, de la parole, de l'écoute et de l'humain. Cela est très dommageable. Je ne voudrais pas qu'on oublie la suradministration au niveau national. Elle existe naturellement au niveau local, et cela plombe les ARS. Les conséquences sont importantes en termes de veille et de sécurité sanitaires. Néanmoins, au niveau national, les acteurs sont également multiples et tout cela ne fonctionne pas de manière fluide. Les décisions nationales sont aussi prises pour induire des tiraillements locaux. Nous constatons des incohérences et une absence de cohésion. Il faut se poser la question d'une simplification à l'échelon national, de regroupements d'instance et de clarification des missions.

Le sujet prégnant est celui du contrôle. Le monde sanitaire est aujourd'hui régi par le protocole, la norme et le budget. Le seul discours annuel est celui du Projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). Cela est particulièrement symbolique : on évoque la santé uniquement par le prisme du PLFSS. Dans les différents PLFSS, l'équité face aux soins a été mise en difficulté, notamment d'un point de vue territorial avec la désertification médicale et les fermetures de maternités.

Par ailleurs, le privé n'est pas assez intégré dans la prise en charge sanitaire. Les ARS se préoccupent beaucoup du public et délaissent le secteur privé.

Entre ces deux mondes, gestionnaire et de terrain, il faudrait trouver une manière de faire fonctionner les choses. Cela passe par une baisse de la suradministration. Il est également nécessaire d'accepter que la santé a un coût. Lorsque l'on fait des choix d'économie, il faut être transparent avec les citoyens. Or le budget est déterminé au niveau national. Ces économies ne doivent pas sacrifier l'équité face aux soins et la qualité de la prise en charge des citoyens qui, à mon sens, se dégrade, notamment avec les pénuries de médicaments.

M. Jean de Kervasdoué, économiste de la santé, professeur émérite au CNAM . - Depuis une vingtaine d'années, je propose à tous les gouvernants d'étudier sérieusement le système d'un forfait annuel. Je ne suis pas pour imposer la généralisation de la capitation mais pour étudier son introduction partielle. Il me paraît plus noble de rémunérer un médecin pour un suivi des malades plutôt que pour effectuer des actes. Ce système mixte baisse considérablement les prescriptions au Danemark ou en Irlande du Nord. Un généraliste prescrit en effet généralement quatre fois ses honoraires.

La France a le talent de pervertir les bonnes idées et cela s'est constaté avec les maisons de santé. Avec une consultation facturée à 24 euros, les maisons de santé ne peuvent pas durablement fonctionner. Il faut donc étudier un système financier et juridique permettant aux différents professionnels de santé, surtout dans les zones rurales, de travailler ensemble dans un bâtiment commun sans que ceux-ci soient nécessairement subventionnés par les collectivités locales.

S'agissant de l'hôpital, il doit devenir une institution comme les autres, avec un vrai président de conseil d'administration. Or, aujourd'hui, le président du conseil d'administration n'a en réalité aucun pouvoir, mais le directeur est le maître du jeu. Un vrai président, avec responsabilités civile et pénale, devrait être nommé localement et celui-ci nommerait alors un directeur et un médecin chef. C'est là aussi une particularité française. Nos hôpitaux sont à la fois corporatistes, car les médecins élisent le président de la Commission médicale d'établissement (CME), et bureaucratiques, car l'État intervient sans cesse. Dans tous les pays occidentaux que je connais, le médecin chef est nommé par le président du conseil d'administration et non élu par ses pairs.

Nous avons l'exemple des centres de lutte contre le cancer, qui sont à la fois des établissements de droit privé mais aussi propriétés de l'État. On peut tout à fait imaginer une généralisation de ce statut.

La France est incapable de revoir les 8 000 nomenclatures d'actes médicaux. Tout cela n'est pas raisonnable.

Je terminerai par le sujet de la santé mentale. Cette question doit être gérée à l'échelon local. En Suède, la décentralisation est particulièrement importante : chaque citoyen suédois sait combien il paye pour sa santé, et une compensation nationale est mise en place en fonction de critères économiques, d'âge et de sexe. Il faut donner à l'échelon local les possibilités de recruter, de gérer et de définir des tarifs. Cela ne s'envisage qu'avec l'introduction au préalable d'une certaine autonomie politique et financière.

M. Philippe Dallier . - Quel que soit notre territoire, nous avons tous constaté les mêmes problèmes : la lourdeur de l'organisation actuelle, la difficulté à coordonner les actions de santé, l'impossibilité de concilier la santé publique et les libéraux,... Lorsque nous repenserons l'organisation de notre système de santé, nous ne pourrons pas apporter une réponse unique applicable uniformément sur le territoire national. Dans certains endroits, la région sera le territoire plus pertinent, dans d'autres, le département. À l'échelle de la métropole du Grand Paris, cela ne peut être à l'évidence le département. Le manque de moyens qu'a connu le département de Seine-Saint-Denis, alors qu'il est couvert par l'AP-HP, rend inimaginable que le futur système de santé soit partout piloté par le département. Il va falloir penser cette réorganisation en intégrant la diversité de nos territoires, en regardant les modèles les plus adaptés et en favorisant les coopérations avec les collectivités territoriales.

M. Jean-François Husson . - La région Grand Est a connu une polémique importante, avec les propos d'un directeur d'ARS confirmant les plans de suppression de postes entérinés par le passé. Il semble que les politiques hospitalières d'hier ne pourront pas se maintenir demain, compte-tenu à la fois des failles que la crise a révélées et du « Ségur de la Santé » ouvert le 25 mai dernier par le Premier ministre. Pensez-vous que les différents plans d'économie d'avant-crise doivent désormais être considérés comme caducs ?

Dans ce contexte, il apparaît nécessaire que l'État parle d'une seule voix, notamment en temps de crise, et que le donneur d'ordre soit unique. Que pensez-vous de l'idée de regrouper sous l'autorité du préfet de département l'ensemble des services déconcentrés aujourd'hui autonomes ?

Les critiques ont été nombreuses, durant la crise, contre les réformes successives ayant conduit, depuis la loi HPST, à une « bureaucratisation » de l'hôpital et à sa direction par des responsables administratifs plus que médicaux. Diriez-vous que la création des ARS par cette même loi participe de la même logique ? Quelles propositions d'évolution faites-vous pour ces structures, douze ans après leur création ? Selon moi, le nombre de collaborateurs dans les ARS dépasse l'entendement.

M. Jean-Louis Thiériot, député de Seine-et-Marne . - La question ne se limite pas en effet aux ARS mais concerne l'architecture de l'ensemble du système de santé. Celui-ci doit être repensé. On compte 34% de personnels administratifs dans le système public de santé, contre 21% en Allemagne. Cela fait, outre-Rhin, 100 000 soignants de plus au contact des malades.

Le deuxième impératif est celui de la coordination. Il faut arrêter de travailler en tuyau d'orgue. J'ai vu, lors de cette crise, la difficulté pour faire travailler ensemble les médecins rouges et les médecins blancs.

La coordination implique la nécessité d'un chef de filât réellement efficace. Sur la question des EHPAD, lorsque l'ARS gère les soins, que le département gère l'hébergement, en ajoutant parfois les syndicats de communes, mais qu'aucun n'a d'autorité sur le directeur d'établissement, vous en arrivez à une situation de chaos telle que je l'ai connue sur mon territoire. Une directrice mise en place par l'ARS recrutait tant de contractuels qu'un dépassement budgétaire était à craindre et que des déclarations URSSAF ont été omises. L'organisation ne peut être uniforme mais je pense que le département demeure, sauf exception, l'échelon idéal.

J'insisterai enfin sur la nécessité de souplesse, d'expérimentation et de territorialisation des mesures. La télémédecine a été empêchée par des raisons réglementaires, alors que nous souffrons tous de la prolifération des déserts médicaux. Les maisons médicales ne peuvent ouvrir. Nous devons faire preuve d'audace et de simplification. Le but est celui de la souplesse, et cela passe par des conventions collectives qui plus adaptées aux besoins des territoires et donc aux habitants.

M. Dominique Dhumeaux, maire de Fercé-sur-Sarthe . - Je doute que la loi 3D puisse régler ces problèmes de répartition de compétences. Je doute d'ailleurs qu'elle aboutisse et je préfère donc ne pas m'appuyer sur cette espérance.

Le Gouvernement a commis, à mon sens, une erreur stratégique en traitant d'abord la question des hôpitaux dans son « Ségur de la santé ». L'accès aux soins dans nos territoires est l'une des clés pour répondre aux problèmes de fonctionnement de nos hôpitaux. Les services d'urgence sont engorgés. Cela s'explique souvent car la médecine de ville n'est pas en capacité de répondre à l'ensemble des demandes de nos administrés. Les médecins sont de moins en moins capables d'accueillir de nouveaux patients. Il me semble indispensable que ce sujet soit intégré à ce Ségur, qui doit apporter des solutions à nos territoires.

En période de crise, nos administrés se sont emparés de l'outil de téléconsultation. Nous, maires ruraux, sommes favorables au développement de cet outil afin de permettre des consultations rapides pour les actes médicaux limités. Les ARS pourraient conserver quelques mécanismes mis en place durant cette crise pour permettre aux téléconsultations de fonctionner demain et éviter les blocages qu'elles opposaient auparavant.

Cette crise alerte également sur le sort de nos aînés. Nous n'avons pas tiré les leçons de la canicule de 2003. Il nous faut dès maintenant réfléchir à un accueil de nos ainés différent de celui des EHPAD qui a montré ses limites. L'Association des maires ruraux de France (AMRF) réfléchit à un nouveau modèle, et nous pensons que la solution doit passer par la mise en place de logements adaptés au vieillissement au sein même de leur commune.

M. Frédéric Pierru, sociologue, chargé de recherche au CNRS . - L'option d'une décentralisation du système de santé a été explorée au milieu des années 80, et les élus locaux n'en ont pas voulu. L'État a également repris la main car les élus locaux ont préféré un rôle d'influenceur des préfets plutôt que de supporter la responsabilité politique du pilotage de ce système de santé. Je vous prie de bien vouloir excuser l'expression mais, selon certains élus, « décentraliser la santé, c'est décentraliser les emmerdes ».

La décentralisation me paraît être une option très difficile aujourd'hui, étant donné ce qui a été mis en place depuis des années. Cela pose en outre des problèmes redoutables dans un contexte de déséquilibres territoriaux croissants. Sur un enjeu aussi sensible que la santé, où les inégalités en termes d'accès aux soins sont les inégalités les moins bien tolérées par le corps social, je pense qu'aller vers une option de balkanisation/décentralisation serait particulièrement compliqué. Les pays ayant opéré une décentralisation, notamment l'Espagne, ont d'ailleurs connu une expérience amère.

L'option de la décentralisation et de l'unification me semble à la fois plus probable et plus souhaitable. L'unification passe par une levée des ambiguïtés et par la fin d'un système bancal où chacun conserve son pré carré. Il faut mettre fin à la dyarchie assumée entre l'assurance maladie qui régule la médecine libérale, et l'État qui se charge de l'hôpital. Le « Ségur de la santé » est en réalité un « Ségur de l'hôpital ». On ne parle pour l'instant que de l'hôpital, ce que je conçois sur un plan politique comme un moyen de neutraliser la contestation hospitalière jusqu'à l'été.

Unifier les tutelles au niveau national et clarifier la répartition entre les 14 donneurs d'ordre est indispensable. Il est également nécessaire d'aller vers la déconcentration : centraliser au maximum dans les centres régionaux au sein des grandes régions n'est plus praticable. Il faut trouver un échelon pratique de proximité, qu'il s'agisse du département ou d'un échelon infra-départemental, en redéployant par exemple les délégations départementales et en les dotant de réels pouvoirs, tout en réarticulant l'ensemble du système.

Il conviendra par ailleurs de régler les conflits entre les directeurs généraux d'ARS et les préfets. Les ARS doivent-elles revenir dans le giron des préfets ? Cela est envisageable mais il faut trancher cette question. Enfin, il faut évidemment associer le plus étroitement possible les élus locaux à ces structures de proximité.

M. Frédéric Bierry, président du conseil départemental du Bas-Rhin . - Nous avons peut-être, nous les élus, manqué de maturité lors de l'éventuelle prise en charge du système de santé dans les années 80, mais nous sommes aujourd'hui en capacité de le faire. Dans les territoires qui le souhaitent, je pense qu'il faut expérimenter une décentralisation du volet santé, médico-social et social, qui doit à mes yeux être décloisonné.

Il faut bien évidemment s'assurer qu`un niveau de soins équitable soit garanti pour l'ensemble des citoyens. C'est là où on peut attendre l'engagement de l'État au titre de ses devoirs de péréquation, d'évaluation et de soutien. L'État doit compenser les difficultés que les collectivités pourraient rencontrer pour faire face à cet enjeu.

Je partage, en revanche, cette volonté de déconcentration. Lorsqu'était évoqué l'enjeu de coordination durant la crise, j'ai constaté en Alsace qu'un travail en bonne intelligence entre préfet, président de département et président des maires du territoire était possible et permettait de dégager des réponses rapides et agiles, tout en restant chacun à sa place. Mais cela nécessite de développer un vrai lien de qualité. J'avais d'ailleurs dit au Premier ministre que c'est cette sphère territoriale déconcentrée, décentralisée et co-organisée qui a du sens.

Il faut s'inspirer des belles expériences en matière de contrats locaux de santé à l'échelle de vie de nos concitoyens. À l'aune de ces constats de carence, mais aussi de réussites sanitaires, nous devons formuler des propositions sensées dans lesquelles les acteurs locaux puissent s'engager. Dans mon territoire, c'est l'intercommunalité qui a acheté des locaux pour construire des cliniques. Il y a un profond engagement local.

Concernant la territorialisation de l'impôt, si l'on veut que le citoyen accepte le coût de la santé, nous devons lui montrer les résultats liés à ce coût en termes d'actions de proximité. Les sommes colossales à l'échelle nationale ne parlent pas à nos citoyens.

La suradministration de notre pays est un vrai problème. On dénombre aujourd'hui 1 200 agences d'État, qui coûtent 60 milliards à notre pays. La multiplicité des acteurs dans le secteur de la santé empêche toute fluidité. En déconcentrant et décentralisant l'action sanitaire sur les territoires, on s'éviterait toutes ces dépenses administratives.

Concernant le déficit d'équité sanitaire que vous évoquiez, il incombe à l'État d'être le garant d'une offre de santé de qualité sur l'ensemble des territoires. Le préalable demeure toutefois de témoigner une confiance à ces territoires, et c'est si et seulement si le territoire est en difficulté que l'État se doit d'agir.

J'espère que la loi 3D permettra des réelles expérimentations sur des territoires qui sont prêts à s'engager. J'ai parfois peur que, comme par le passé, le Gouvernement fasse semblant de faire de la décentralisation. Au regard des situations diverses de notre territoire, une décentralisation permettrait cependant de faire avancer l'action publique. Il n'y a pas de réponse unique territoriale et la loi 3D pourrait traduire cette expression.

Il faut enfin permettre de faire évoluer le droit du travail sur les accueillants familiaux. J'ai eu l'occasion d'évoquer le sujet avec les divers ministres de la Santé qui se sont succédé. Il faut qu'on puisse déployer plus amplement les outils permettant le maintien à domicile et cela suppose la revalorisation de tous ces métiers.

M. Jean-Marie Bockel, président . - Vos interventions nourriront le projet de loi 3D mais également les travaux du Sénat. Le Président Larcher s'est engagé à des propositions sénatoriales sur ce que devrait être la poursuite de la décentralisation et donc de la déconcentration. Ce travail devrait aboutir à la sortie des municipales et nous oeuvrons sans relâche pour le finaliser avec l'ensemble des groupes du Sénat.

M. Jean de Kervasdoué, économiste de la santé, professeur émérite au CNAM . - Je ne pense pas, malheureusement, que nous soyons prêts pour une entière décentralisation. Nous sommes en revanche mûrs pour nous adapter à la réalité locale, d'une part, et à avoir d'autre part un État qui fonctionne.

Cela nécessite pour les territoires de pouvoir recruter, pouvoir innover, pouvoir contracter et de pouvoir payer. Nous en sommes très loin aujourd'hui. Il n'est pas possible de pouvoir recruter en dehors des statuts ou de pouvoir innover en dehors des nomenclatures. Jusqu'où peut-on aller dans cette liberté ?

Suite à l'affaire du sang contaminé, les gouvernants n'ont plus voulu avoir en direct la responsabilité des agences. Celles-ci sont donc « en roue libre » et passent leur temps à se protéger. En effet, une de nos particularités françaises réside dans la responsabilité civile mais aussi pénale des fonctionnaires. Cette surprotection et ces normes folles qui s'imposent à tous proviennent en partie de cette spécificité.

Le ministère de la Santé se caractérise curieusement par son faible nombre de médecins. Les experts de ce ministère sont surtout des experts juridico-administratifs. L'expertise en santé publique est donc particulièrement absente, ce qui se traduit par cette incapacité à mener opérationnellement la gestion des masques ou des tests. Les machines adaptées étaient dans les services des vétérinaires. Ceux-ci sont très doués en virologie mais il a fallu un mois pour prendre le décret adapté leur permettant de réaliser des tests. La liste de ces absurdités administratives est encore longue. Nous constatons une surdétermination protectrice de l'État et des fonctionnaires. Les ARS n'assument aucune responsabilité et cela retombe in fine sur les élus locaux, particulièrement ceux des communes rurales.

La situation implique que l'on réforme nos pratiques et qu'on ne s'arrête pas à l'examen des symptômes, mais qu'on remonte jusqu'aux causes.

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