B. LIMITER LES PRIX EN AGISSANT SUR LA DEMANDE : LE RENFORCEMENT DES CONTRAINTES PESANT SUR LE MARCHÉ

La régulation du marché de l'immobilier apparait nécessaire, mais il convient de rappeler que secteur de l'immobilier résidentiel est une industrie qui génère beaucoup de revenus : 74,4 milliards d'euros en 2017 pour une dépense de 41 milliards, selon les comptes du logement publiés par l'Insee. En 2018, le produit des droits de mutation a augmenté de 15 % grâce à des ventes très soutenues sur le marché de l'ancien, et celui de la TVA de 20 % sur les logements neufs a permis de rapporter 14 milliards d'euros.

1. Faut-il réguler davantage les plateformes numériques de location ?

Le législateur a récemment agi dans le sens d'un encadrement des pratiques des propriétaires via les plateformes numériques de location, celles-ci étant accusées de jouer un rôle à part entière dans la flambée des prix de l'immobilier.

Plusieurs élus de grandes villes ont en effet considéré que ces plateformes avaient eu un impact direct dans les zones sous tension, constatant qu'un certain nombre de propriétaires consacraient leur logement à cette activité. Les maires ont donc logiquement réclamé la mise en place d'outils juridiques pour limiter le développement de ces plateformes dans certains territoires.

Depuis 2014, les lois se sont succédé, créant de nouvelles obligations déclaratives pour les plateformes ainsi qu'un plafond annuel de nuitées louées pour les propriétaires.

La loi ALUR du 24 mars 2014 a imposé aux plateformes numériques de location touristique d'informer les propriétaires loueurs de leurs obligations de déclaration et d'autorisation préalables. Par ailleurs, les propriétaires doivent, dans les communes où le changement d'usage des locaux destinés à l'habitation est soumis à autorisation préalable, obtenir un numéro de déclaration délivré après information donnée à la mairie de la décision de louer leur bien à titre touristique. De même, depuis la loi pour une République numérique du 7 octobre 2016, les maires des villes de plus de 200 000 habitants peuvent obliger les loueurs à s'immatriculer en mairie s'agissant de résidences principales et secondaires.

La loi ELAN du 23 novembre 2018 est allée encore plus loin en encadrant la pratique de la location touristique de courte durée par l'instauration d'un plafond de 120 jours de location pour les résidences principales et en sanctionnant le défaut de collecte de la taxe de séjour par les plateformes numériques de location. En outre, un décret du 31 décembre 2019 fixe l'obligation pour les plateformes de location touristique de communiquer, une fois par an, la liste détaillée des logements loués par leur intermédiaire.

Juliette Langlais confirme la bonne application du dispositif : « La loi ELAN prévoit le partage d'informations avec les villes. Nous avons reçu 20 demandes en ce sens, que nous avons honorées. Les principales villes de France qui en ont fait la demande savent où sont situées les locations sur Airbnb, en résidences principales ou secondaires, et connaissent le nombre de nuitées de location ».

Plus récemment, la loi relative à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique du 27 décembre 2019 a permis d'inclure davantage les communes dans ces procédures en leur octroyant la possibilité de soumettre à autorisation la location d'un local à usage commercial en tant que meublé de tourisme. Ainsi, une délibération du conseil municipal peut « soumettre à autorisation la location d'un local à usage commercial en tant que meublé de tourisme » (nouvel article L. 324-1-1 du code du tourisme). Le non-respect par un propriétaire de cette autorisation est passible d'une amende civile d'un montant maximum de 25 000 euros.

Au cours d'une période relativement courte, trois lois successives ont donc été adoptées, avec des dispositifs plus contraignants à l'égard des propriétaires et la possibilité pour les villes de mettre en place des conditions plus strictes à l'utilisation de résidences secondaires pour la location meublée. Les villes de Bordeaux et Paris, par exemple, se sont saisies de ces facultés fiscales en décidant récemment d'augmenter la taxe sur les résidences secondaires de 60 %.

Au nom de l'UNPLV, Philippe Bauer, directeur des affaires publiques du groupe Expedia, précise que les plateformes, pour lutter contre les spéculateurs immobiliers, exigent désormais des utilisateurs « qu'ils se catégorisent en résidence principale ou en résidence secondaire et nous bloquons le seuil pour les résidences principales à 120 jours par an ». Il mentionne tout de même une limite majeure : « la solution préconisée d'abaissement de la limite de 120 jours de location pour les résidences principales » n'aurait que peu d'effet sur le prix des logements, « puisqu'il s'agit de résidences principales ».

L'arsenal juridique de la régulation des plateformes de location touristique s'est donc considérablement renforcé ces dernières années. Le cadre légal parait suffisant, alors qu'un nouveau durcissement n'aurait pas forcément d'effet sur les prix de l'immobilier à l'achat, et, pire, risquerait de priver de revenus complémentaires de nombreux propriétaires de leur résidence principale. Les plateformes peuvent aussi apporter une plus-value intéressante aux communes, à condition bien sûr que leur développement s'inscrive dans le cadre d'une politique parfaitement équilibrée.

2. Faut-il rendre les actifs immobiliers moins compétitifs en pénalisant leur rendement ?
a) Devons-nous encadrer le prix des loyers, en particulier dans les zones tendues ?

L'efficacité de l'encadrement du prix des loyers fait l'objet de controverses parmi les économistes. Les élus locaux sont également partagés sur ce point et envisagent la mesure avec une certaine prudence. Christian Dupuy, maire de Suresnes, suggère par exemple, de « réfléchir au plafonnement des loyers » pour ce qui concerne, évidemment, le marché locatif afin de proposer des biens abordables. Il relève une certaine contradiction de la part de l'État : « Je m'interroge sur la volonté de l'État en matière d'incitation à l'investissement locatif. Nous avons maintenu l'Impôt sur la fortune sur les investissements immobiliers (IFI) ».

Alors que la loi ELAN a créé à titre expérimental 13 ( * ) un encadrement du niveau des loyers (à la mise en location et au renouvellement du bail) dans les zones identifiées comme tendues, le débat sur un tel dispositif reste d'actualité. En effet, le précédent encadrement mis en place par la loi ALUR avait été annulé en 2017. La définition d'une « zone tendue » est d'ailleurs reprise de la loi ALUR : il s'agit d'une « commune, ville ou agglomération de plus de 50 000 habitants où il existe un déséquilibre entre l'importance de la demande et la faiblesse de l'offre de logements ».

Une étude de l'Observatoire des loyers de l'agglomération parisienne (OLAP) suggère que les dispositifs d'encadrement atteignent principalement un objectif d'élimination des excès en matière de fixation des loyers. L'étude indique surtout que la mise en place de l'encadrement a finalement conduit à faire baisser le nombre de locations disponibles.

L'encadrement des loyers n'apparaît donc pas comme une solution miracle pour limiter l'inflation des prix, a fortiori s'agissant de l'achat immobilier, qui reste peu tributaire de cette variable, sauf à considérer que la baisse du rendement locatif décourage massivement les investisseurs à investir sur le marché et provoque une diminution de la demande de biens immobiliers et par conséquent des prix.

b) Faut-il continuer à augmenter la fiscalité sur les actifs immobiliers ?

Là encore, le raisonnement économique consiste à agir sur le rendement du capital immobilier. Soumis à une taxation plus forte, l'actif immobilier verra son attractivité réduite aux yeux d'un investisseur, ce qui provoquerait une baisse de la demande, et logiquement une baisse des prix.

Si cette solution semble séduisante en théorie, elle n'a en revanche jamais été démontrée empiriquement. Pire, c'est même l'inverse qui s'est produit dans les métropoles ces dix dernières années. L'augmentation de la pression fiscale sur les revenus immobiliers a suivi la courbe d'augmentation des prix.

Des dispositifs juridiques récents ont pourtant cherché à juguler l'augmentation des prix de l'immobilier par l'augmentation de la pression fiscale. Citons :

- la hausse des prélèvements sociaux sur les loyers, de 1,7 point le 1 er janvier 2018 ;

- la transformation de l'Impôt de solidarité sur la fortune (ISF) en Impôt sur la fortune immobilière (IFI), acquitté depuis le 1 er janvier 2018, ce qui a permis d'opérer un recentrage de l'impôt sur l'immobilier.

Or, ces modifications censées faire diminuer la demande sur le marché de l'immobilier n'ont en réalité eu que des conséquences marginales. C'est sans doute parce que l'immobilier demeure pour les Français le placement considéré comme étant le plus sûr. De plus, son attractivité tient aussi et surtout à la fonction primaire qu'il remplit, à savoir fournir un lieu de vie à nos concitoyens.

En tout état de cause, l'augmentation de la pression fiscale sur l'immobilier n'a été plébiscitée ni par l'élu local ni par l'économiste présents lors de la table ronde.

c) Convient-il de supprimer ou limiter les dispositifs de défiscalisation ?

Pour pallier la carence d'offre, les gouvernements successifs ont, de façon constante, cherché à stimuler la construction de nouveaux logements, principalement au moyen de dispositifs permettant aux investisseurs privés dans des logements neufs d'obtenir une réduction d'impôt s'ils s'engagent à louer leur bien.

Ainsi en est-il, par exemple, du dispositif Pinel 14 ( * ) introduit en 2015, qui octroie une réduction d'impôts aux investisseurs dans des logements neufs s'ils s'engagent à louer leur bien.

Depuis trente ans, nous dépensons donc de l'argent public pour rendre l'investissement locatif extrêmement rentable comparé aux investissements financiers.

Cette stratégie montre pourtant ses limites, car les prix de l'immobilier n'ont absolument pas diminué. Ces dispositifs ont en effet favorisé la construction dans des zones où l'offre était déjà abondante (périphéries de villes moyennes).

En 2013, le CAE recommandait même de supprimer progressivement les aides à la pierre, constatant un coût élevé pour les finances publiques, qui s'élevait à 4 milliards d'euros en 2012.

La limitation de ces dispositifs de défiscalisation doit être envisagée pour freiner la spéculation sur le foncier. Surtout, la manne financière des dépenses fiscales doit être réorientée vers le logement social et intermédiaire, et non plus vers des produits de marché qui favorisent essentiellement les propriétaires investisseurs.


* 13 L'expérimentation a été mise en place par décret en avril 2019 pour une durée de cinq ans.

* 14 Article 199 novovicies du code général des impôts.

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