AVANT-PROPOS

Ces dernières années, l'opinion publique semble avoir pris toute la mesure des enjeux réels qui s'attachent à la préservation du patrimoine. En témoignent le succès des émissions 1 ( * ) consacrées au patrimoine historique architectural des collectivités territoriales, la mobilisation exceptionnelle des visiteurs lors des « Journées du patrimoine 2 ( * ) » ou encore l'afflux de dons pour « sauver » la cathédrale Notre-Dame de Paris, après le dramatique incendie du 15 avril 2019. Ce dernier événement a sans doute été déterminant pour de nombreux Français, qui ont pris conscience de l'extrême fragilité du patrimoine et de la nécessité de le préserver.

L'initiative lancée en septembre 2018, renouvelée en septembre 2019, et qui sera reconduite en septembre prochain dans le cadre du Loto du patrimoine, a également mis en lumière la richesse et la diversité du patrimoine monumental français, mais aussi sa dégradation généralisée et l'ampleur des investissements à réaliser.

La France dispose d'un patrimoine exceptionnel. Elle compte 45 285 édifices patrimoniaux protégés au titre des monuments historiques , dont 13 517 classés et 31 768 inscrits 3 ( * ) , étant précisé que 14 670 communes comptent au moins un monument historique. À ce patrimoine déjà considérable, il faut ajouter tout le patrimoine culturel immobilier non protégé et non labellisé dont le recensement au niveau national représente un travail titanesque, aujourd'hui encore très parcellaire, sans compter les églises, dont la propriété a été transférée aux communes depuis la loi du 9 décembre 1905, certaines restant protégées au titre des monuments historiques.

L'État consacre, au sein du budget du ministère de la Culture, près d'un milliard d'euros pour « conserver, valoriser et enrichir les patrimoines sur tous les territoires ». En 2020, les crédits alloués à l'entretien et à la restauration des monuments historiques ont été dotés de 7 millions d'euros supplémentaires, pour une enveloppe globale de 338 millions d'euros 4 ( * ) .

On estime cependant que 23 % des immeubles protégés au titre des monuments historiques sont en mauvais état ou en péril. 5 ( * ) Aussi les sommes dédiées restent-elles relativement modestes face à l'ampleur du patrimoine architectural à protéger.

Le soutien des collectivités au patrimoine local, en particulier des communes, apparaît donc déterminant. En 2019, les dépenses consacrées par les communes pour restaurer le patrimoine protégé étaient estimées à 295 millions d'euros. La consolidation de ces chiffres permet d'évaluer l'effort consenti par l'État et les communes au patrimoine protégé à 633 millions d'euros par an, sans compter l'appui financier des départements et des régions et les sommes consacrées par les communes au patrimoine non protégé.

Il convient d'y ajouter les aides des acteurs privés, parmi lesquels les entreprises qui viennent compléter les fonds publics, ainsi que, depuis 2018, les sommes issues des prélèvements de l'État sur les recettes tirées du Loto du patrimoine par la Française des jeux. Ce dispositif a été mis en place dans le cadre de la mission conduite par Stéphane Bern, et représente de 15 à 20 millions d'euros par an escomptés, reversés à la Fondation du patrimoine. Entendu par la délégation le 7 mai dernier, Stéphane Bern confirme ces chiffres : « Nous avons récolté 22 millions d'euros en 2018 et nous devrions être autour de 24 millions en 2019 » .

Les communes sont les premières propriétaires de biens immobiliers culturels. Elles détiennent 41 % des monuments historiques protégés 6 ( * ) , classés ou inscrits, alors que les propriétaires privés en détiennent 43 %, le reste appartenant à l'État notamment 7 ( * ) . La grande majorité du « patrimoine communal » se situe dans des petites communes 8 ( * ) . Or celles-ci sont souvent confrontées à des difficultés de financement, ainsi que les intercommunalités qui ont choisi d'exercer des compétences en matière d'équipement culturels.

Les élus locaux ont pleinement conscience que ce patrimoine est aujourd'hui un facteur de cohésion sociale et qu'il constitue un élément de transmission entre les générations. Ils n'ignorent pas qu'il est aussi un facteur d'attractivité pour l'économie locale et qu'il fournit souvent des emplois non délocalisables aux entreprises artisanales 9 ( * ) et au secteur du tourisme. Enfin, les élus ne perdent pas de vue que ce patrimoine devient de plus en plus un élément d'aménagement du territoire qui intègre les enjeux du développement durable, afin d'offrir un cadre de vie de qualité aux habitants et aux entreprises.

En France, le législateur a entendu faire des communes propriétaires de patrimoine les premières responsables de sa protection, de sa valorisation et de sa restauration. C'est le cas, par exemple, pour les églises construites avant la loi du 9 décembre 1905 dont les communes sont propriétaires et, à ce titre, responsables de leur préservation. Or de plus en plus de communes, petites et rurales en particulier, ont de grandes difficultés pour entretenir, préserver et faire vivre ce patrimoine historique et architectural. Devant le manque de moyens financiers 10 ( * ) , de compétences d'ingénierie ou en raison de contraintes trop fortes, le découragement gagne de nombreux élus locaux. Ils observent la lente dégradation de ce patrimoine qu'ils sont parfois contraints de renoncer à préserver. Comment agir lorsque l'on se retrouve par exemple à la tête d'une commune nouvelle, à devoir gérer une dizaine d'églises 11 ( * ) ?

Les maires peuvent se sentir démunis face à la pluralité des enjeux, a fortiori s'ils n'ont pas de formation adéquate ou manquent d'informations sur les outils existants. Ils déplorent que les démarches s'apparentent souvent à un parcours du combattant, alors que le patrimoine peut s'avérer un extraordinaire levier de développement pour leur territoire.

Ce constat est partagé par la quasi-unanimité des acteurs auditionnés par la délégation : la gestion du patrimoine historique et architectural français est aujourd'hui d'une complexité indéniable. Les maires ont toutes les difficultés à identifier les bons interlocuteurs, à monter les dossiers et à trouver les ressources nécessaires. France Poulain, Architecte des Bâtiments de France (ABF), résumait la situation lors de son audition : « L'un des enjeux de préservation du patrimoine, c'est la bonne information des élus locaux afin que ces derniers puissent se repérer dans la jungle administrative et réglementaire ».

Alors que de nouvelles équipes s'apprêtent à exercer leur mandat municipal, cette question cruciale sera à régler dans les prochains mois : comment préserver le patrimoine, le faire vivre et éviter sa dégradation ?

Ce rapport vise à offrir aux élus municipaux, en particulier aux maires, un vade-mecum pour les aider et les accompagner utilement dans leur double mission de préservation et de valorisation du patrimoine. Il s'agissait d'ailleurs d'une recommandation formulée en 2016 par les représentants de l'Association des maires de France (AMF) au ministère de la Culture : « Il serait certainement souhaitable qu'un vade-mecum soit rédigé à l'attention des élus locaux afin de faciliter la bonne compréhension des nouveaux enjeux et outils en matière de protection et de valorisation du patrimoine, qu'il soit protégé ou non au titre des monuments historiques ».

Les maires doivent être en mesure de « maîtriser toute la chaîne de la valorisation du patrimoine » et, selon la formule de Laurent Roturier, directeur régional des affaires culturelles d'Île-de-France : « depuis la bonne connaissance du patrimoine jusqu'à l'intervention sur celui-ci ».

Ce rapport présente également des recommandations à destination des élus locaux en vue de faciliter leur mission de gestion du patrimoine architectural bâti.

La situation rencontrée sur le terrain par les maires leur demande de faire face trois enjeux fondamentaux :

1. Une bonne connaissance du patrimoine architectural à protéger et à valoriser ;

2. L'identification des acteurs qui peuvent intervenir et fournir de l'ingénierie ;

3. L'accès aux financements, notamment pour les petites communes dont les budgets sont souvent insuffisants devant l'ampleur des travaux nécessaires.

Dans le contexte de la crise sanitaire que nous traversons actuellement, ce rapport se double d'une seconde ambition, d'autant plus cruciale dans la période qui s'ouvre : faire prendre conscience aux Français que le patrimoine peut être un levier de relance économique pour nos territoires, en particulier ruraux, durement frappés par la récession qui se profile. Stéphane Bern, engagé en faveur de la défense du patrimoine, analyse : « Face à la crise qui s'annonce, le patrimoine de proximité peut être un levier pour relancer la machine économique ».

Au lendemain de la prise de parole du Président de la République pour annoncer les mesures de soutien en faveur du monde de la Culture, et alors que le patrimoine a été le grand oublié du discours présidentiel, l'animateur évoque devant notre délégation « un malentendu, car tout le monde attendait qu'il parle de patrimoine. Or ce n'était pas le sujet du jour, le sujet du jour était le spectacle vivant » . Il espère néanmoins que « le chef de l'État lance un signal fort dans les prochains jours », ce que lui a « confirmé le ministre de la Culture ». En effet, Stéphane Bern craint des « conséquences terrifiantes » et en appelle aux pouvoirs publics pour lancer un vaste plan de soutien : « Il faut un "New deal" massif de l'État en faveur du patrimoine rural ». Enfin, il souligne : « Dans notre pays, on considère trop souvent le patrimoine comme un coût, alors que c'est investissement. On considère aussi que c'est un luxe, alors que c'est une nécessité absolue ».

Cet appel mérite bien sûr d'être entendu car la crise liée à l'épidémie de Covid-19 touche de plein fouet l'ensemble des professions du patrimoine et toutes les entreprises et les activités associées. Monuments, parcs, jardins, châteaux, musées ; la fermeture des sites patrimoniaux constitue un drame, certes invisible et silencieux, mais bien tangible dans nos territoires.

La crise sanitaire a plongé des milliers de propriétaires dans une situation désastreuse. Privés de visiteurs, ils ne peuvent plus faire face à leurs charges, tandis que beaucoup de chantiers sont aussi à l'arrêt. Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la Culture, considère que « le patrimoine ne doit pas être le grand oublié mais doit, lui aussi, être pleinement concerné par le plan d'urgence et par le plan de relance du Gouvernement ». Cette analyse est partagée par le président Jean-Marie Bockel, qui souligne : « 500 000 emplois, aujourd'hui dans notre pays, dépendent du patrimoine ».

I. ÉTAPE 1 : IDENTIFIER ET CONNAÎTRE LE PATRIMOINE À PROTÉGER ET VALORISER

La première étape implique un état des lieux, indispensable avant tout projet de construction, de réhabilitation ou d'aménagement. Le maire doit répondre à l'enjeu de connaissance et d'appropriation du patrimoine de sa commune ; il s'agit d'établir les bons diagnostics et de repérer le patrimoine qui mérite être protégé.

Or, Olivier Lenoir, délégué général de l'association Rempart, indique : « Les maires n'ont pas forcément conscience de l'existence d'un patrimoine sur le territoire de leur commune. Il faut donc conscientiser à la fois les citoyens et les élus locaux ». C'est en ce sens que le patrimoine doit être « l'affaire de tous ».

A. POURQUOI S'EN PRÉOCCUPER ? LES ENJEUX DE LA VALORISATION DU PATRIMOINE

Dès le début de leur mandat, de nombreux maires devront s'interroger : pourquoi se préoccuper du patrimoine architectural et éviter sa dégradation ? Les raisons sont bien sûr multiples et ils auront à coeur, au même titre que tout citoyen, de se soucier de cet héritage, facteur d'identité et source d'attractivité de leur territoire.

En outre, les maires, dont la légitimité reste forte en France, peuvent inciter les citoyens à l'amour de leur patrimoine. Guy Sallavuard, directeur des relations institutionnelles de la Fondation du patrimoine, insiste, à juste titre, sur le fait de « faire prendre conscience aux élus que le patrimoine n'est pas seulement une charge mais aussi une chance ».

1. Les enjeux culturels : le patrimoine est un vecteur d'identité collective

C'est sans doute l'un des aspects que nos concitoyens commencent à redécouvrir : le patrimoine peut être un facteur de cohésion nationale. Le bâti, par son histoire, représente un véritable lieu de mémoire, garant du lien social entre les générations. La valorisation du patrimoine revêt donc une dimension à la fois culturelle et éducative. Henry Masson, président du Collège des monuments historiques, fait valoir que « le patrimoine est le premier accès du citoyen à la culture, et à ce titre, le monument est un lieu de culture accessible à tous ». Le ministre de la Culture, Franck Riester, affirmait d'ailleurs en mars 2019 : « Chaque ville peut et doit avoir un lieu de culture, car l'attractivité d'un territoire tient d'abord à sa richesse culturelle ».

Répartition des monuments historiques (immeubles)
classés et inscrits par région, en 2017

Région

Monuments classés

Monuments inscrits

Total

%
du total

Auvergne-Rhône-Alpes

1 338

3 473

4 811

11%

Bourgogne-Franche-Comté

1 021

2 635

3 656

8%

Bretagne

1 102

2 019

3 121

7%

Centre-Val de Loire

762

2 048

2 810

6%

Corse

137

184

321

1%

Grand-Est

1 579

2 984

4 563

10%

Hauts-de-France

1 066

2 077

3 143

7%

Île-de-France

1 038

2 832

3 870

9%

Normandie

859

2 182

3 041

7%

Nouvelle-Aquitaine

1 710

4 495

6 205

14%

Occitanie

1 374

3 472

4 846

11%

Pays de la Loire

582

1 540

2 122

5%

Provence-Alpes-Côte d'Azur

834

1 433

2 267

5%

Outre-Mer

115

394

509

1%

Total

13 517

31 768

45 285

100%

Source : Base Mérimée/ DEPS, Ministère de la Culture, 2019

Première image d'un territoire, le patrimoine est constitutif de son identité et de celle de ses habitants. Il offre un récit collectif et une identité propre, que les habitants peuvent s'approprier et sur lesquels le maire peut s'appuyer pour construire un projet de territoire. Dans de nombreuses communes, les espaces qui jouxtent le patrimoine architectural bâti sont d'ailleurs des lieux de sociabilité.

Trop souvent hélas, nos concitoyens ont tendance à considérer qu'il existerait un « grand patrimoine », méritant l'attention, et un « petit patrimoine », peinant à trouver sa place. Comme l'explique Charlotte Hubert, présidente de la Compagnie des architectes en chef des monuments historiques : « Il y a un problème d'inculture généralisée autour des enjeux du patrimoine architectural en France. Le cas de Notre-Dame l'a montré, les gens sont très sensibilisés aux monuments historiques mais se soucient moins, par exemple, des petites églises communales » .

Or pour parvenir à une appropriation du patrimoine, témoignage de notre histoire et de nos racines, par tous les acteurs locaux, il est nécessaire de favoriser le développement d'une véritable « éducation au patrimoine ». Pour France Poulain, ABF : « Il faut faire en sorte que tout le monde se sente dépositaire du patrimoine ». Citons l'exemple de la ville du Havre, dont les habitants se sont approprié le patrimoine issu de la reconstruction.

Ce constat est partagé par Olivier Lenoir, délégué général de l'association Rempart, qui estime « Les citoyens doivent être associés à la gestion et la sauvegarde du patrimoine dans les territoires. Cela doit être l'affaire de tous ». De même, Philippe Toussaint, président de l'association Vieilles maisons françaises, déclare : « Au niveau du primaire, il faut développer les passerelles avec le patrimoine de proximité ».

L'école peut effectivement jouer un rôle pour sensibiliser les plus jeunes à la richesse patrimoniale locale. On peut notamment saluer l'action baptisée « Levez les yeux 12 ( * ) », conduite par le ministère de l'Éducation nationale en partenariat avec celui de la Culture. Au cours d'une journée « hors les murs », les enseignants emmènent leurs élèves à la rencontre de sites patrimoniaux locaux pour leur apprendre à lire l'architecture et éduquer leur regard. Cette sensibilisation au patrimoine de proximité mérite d'être poursuivie et amplifiée dans le cadre d'une réflexion sur l'évolution des programmes scolaires incluant davantage d'outils pédagogiques axés sur le patrimoine historique.

Dans les territoires, de nombreuses initiatives pour sensibiliser les jeunes sont aussi organisées par différents acteurs locaux et associatifs de défense du patrimoine et de valorisation de l'architecture. Olivier Lenoir saluait, par exemple, le déploiement de l'opération « Les Enfants du patrimoine », conduite en Île-de-France par la Fédération nationale des Conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (FNCAUE) depuis maintenant dix ans, et étendue récemment à d'autres territoires.

Philippe Toussaint se félicitait du dispositif « Patrimoine, toute une histoire », déployé par son association auprès des troisièmes cycles scolaires, et soutenu par les ministères de la Culture et de l'Éducation. Il permet de fournir aux enseignants un kit pédagogique pour illustrer chaque période historique étudiée avec un type de monument. En ces temps de remise en cause du « vivre ensemble », et ce, dès l'école primaire, le patrimoine peut constituer un facteur d'identité partagée favorisant l'intégration des plus jeunes dans la communauté nationale.

Ce sentiment est partagé par Stéphane Bern, qui considère que « le patrimoine, ce sont nos racines, c'est de l'art, de la culture et de la beauté à portée de main », et qui appelle l'État à initier les jeunes au patrimoine : « On doit d'urgence initier les enfants à l'amour du patrimoine, car c'est un bien accessible à tous, c'est une chance et un moyen pour que les jeunes s'impliquent. J'en ai parlé à Jean-Michel Blanquer, il faudrait qu'on ait, à l'image de la semaine du goût, une semaine du patrimoine ».

Recommandation n° 1 : Associer les jeunes générations aux enjeux du patrimoine comme vecteur d'identité partagée, en mobilisant les ministères de l'Éducation nationale et de la Culture afin d'inclure dans les programmes scolaires des actions de sensibilisation à la richesse du patrimonial historique et architectural local.

2. Les enjeux économiques et d'aménagement du territoire : le patrimoine est un levier essentiel de développement et d'attractivité des territoires

La valorisation des atouts du patrimoine permet aussi de soutenir l'activité des entreprises artisanes locales. La liste des professions et artisans concernés directement par les chantiers de réhabilitation est longue : couvreurs, maçons, ingénieurs, techniciens, architectes, etc. Lancer des opérations de réhabilitation ou de transformation du bâti revient à soutenir directement des emplois non délocalisables dans les territoires.

L'étude de l'agence régionale du patrimoine de Provence-Alpes-Côte d'Azur réalisée en 2013 pour le compte du ministère de la Culture, et celle de l'Agence de développement touristique de la France (ATOUT France) menée en 2018 démontrent qu'un euro investi dans le patrimoine représente entre 28 et 31 euros de retombées économiques sur un territoire. Notre collègue Catherine Morin-Desailly souligne : « Le secteur culturel, dont fait partie le patrimoine, c'est 3,2 % du PIB ». Pour Stéphane Bern, « Notre plus grande chance, à nous Français, est de vivre dans un pays à la culture rayonnante. Cette culture, ce n'est pas uniquement notre langue, notre gastronomie ou nos maisons de haute couture ! Ce sont aussi tous les témoignages architecturaux de notre histoire, ces joyaux de notre civilisation, bâtis au fil des siècles par nos ancêtres ».

La crise sanitaire liée à l'épidémie de Covid-19 a d'ailleurs dramatiquement démontré que le patrimoine faisait vivre nos territoires. C'est dans ce contexte que Stéphane Bern lançait, le 7 mai dernier devant notre délégation, un vibrant appel à la réouverture rapide des sites après la sortie du confinement, car celui-ci était nécessaire mais a néanmoins lourdement impacté tous ceux qui vivent du patrimoine : « Il faut que nous prenions des mesures urgentes, comme la réouverture de tous les sites patrimoniaux aux visiteurs dès le mois de juin. Il est très facile d'y respecter les préconisations sanitaires, en organisant par exemple des visites privées de 10 personnes. Leur fermeture coupe les propriétaires de ces sites d'une partie des recettes nécessaires à leur entretien. Elle prive aussi de revenus les guides conférenciers, les architectes, les conservateurs, les artisans des chantiers de restauration . Le patrimoine c'est 500 000 emplois dans notre pays ! ».

Les effets économiques du patrimoine sont particulièrement visibles dans le secteur du tourisme. Pour Éric Wirth, vice-président du Conseil national de l'ordre des architectes, « Si la France est aussi attractive, c'est en particulier grâce à son patrimoine ». Il faut rappeler que 90 millions de touristes visitent la France chaque année - le secteur représente 9 % du PIB - concernant pas moins de 200 000 entreprises en France. La mise en valeur de sites, d'édifices ou de bâtiments d'intérêt architectural permet ainsi aux communes d'attirer des visiteurs et de soutenir l'activité économique locale en mobilisant tout le tissu des services associés (hôtellerie, logement touristique, commerce, restauration, transport, etc.). Là encore, le patrimoine peut générer des revenus importants, sans compter les nombreuses activités de loisirs qui peuvent y être associées : visites thématiques, promenades patrimoniales, dégustations autour de sites remarquables, etc. Rien qu'à Paris, les deux mois d'arrêt des activités touristiques liées à la culture et au patrimoine (billetteries, musées etc.) dû au confinement ont fait perdre 12 millions d'euros de chiffre d'affaires.

Pays ayant le plus de biens inscrits au patrimoine mondial de l'Unesco,
en 2018

Pays

Nombre
de biens i nscrits

Italie

54

Chine

53

Espagne

47

France

44

Allemagne

44

Inde

37

Mexique

35

Royaume-Uni

31

Fédération de Russie

28

Iran

23

Source : Unesco / DEPS, ministère de la Culture, 2019

Stéphane Bern partage cet avis : « Les touristes viennent aussi et surtout dans notre pays pour sa culture et son patrimoine » , mais soulève une incongruité dans notre pays : « Pourquoi, en France, le tourisme est-il rattaché au ministère des Affaires étrangères, alors qu'on sait très bien qu'il est essentiellement patrimonial ? », appelant à un rattachement de cette compétence au ministère de la Culture. Cette question méritera d'être posée à la sortie de la crise sanitaire actuelle.

Quoi qu'il en soit, du fait de cette année particulière du fait de la situation épidémique, la délégation est d'avis de saisir cette occasion pour le tourisme, en incitant les Français à découvrir ou redécouvrir le patrimoine local.

Un sentiment partagé par Stéphane Bern : « J'aimerais qu'on fasse en sorte cette année que le patrimoine de proximité, celui qui est dans les collectivités territoriales, nous permette de relancer l'activité et le tourisme en France, puisque de toute façon nous ne pourrons pas voyager très loin ».

C'est dans cette perspective qu'il vient de lancer l'initiative baptisée « Cet été je visite la France », le moyen, plaide-t-il, de « se réapproprier notre patrimoine, en particulier pour notre jeunesse ». Dès la fin du confinement, chacun devra être conscient que consommer localement et visiter des monuments à proximité de chez soi, dans sa commune, son département, ou sa région, relèvera finalement du geste citoyen. Nos concitoyens pourront par exemple profiter cette année du « Pass patrimoine » déjà opérationnel et « du "Pass famille", qui sera bientôt lancé » confirme Stéphane Bern.

Recommandation n° 2 : Encourager les Français au « patriotisme patrimonial et culturel » en mobilisant les élus locaux pour soutenir et relayer au maximum, au niveau local, l'initiative « Cet été je visite la France », notamment en favorisant toutes les actions incitant les jeunes à se réapproprier le patrimoine de proximité.

De façon durable, enfin, le patrimoine est un vecteur d'attractivité et une opportunité pour lutter contre la dévitalisation croissante d'un grand nombre de centres-villes et centres-bourgs. Il joue à ce titre un rôle important pour la cohésion et le dynamisme des territoires, car il peut être vivant. Le Sénat n'avait d'ailleurs pas manqué de recommander de lutter contre l'obsolescence du patrimoine bâti pour revitaliser les centres-villes, lors du travail initié par notre délégation, qui a abouti à l'adoption, le 14 juin 2018, de la proposition de loi portant « Pacte national de revitalisation des centres-villes et centres-bourgs ».

Parallèlement, plus de 200 villes sont d'ores et déjà impliquées dans le cadre de l'initiative gouvernementale déployée depuis mars 2018 au niveau national pour revitaliser les centres-villes. Dans l'Yonne, par exemple, la direction de la culture d'Auxerre a mis en place un groupe de travail « Action coeur de ville » concrétisé par la signature d'une convention pluriannuelle, en septembre 2018, qui prévoit notamment des actions en matière d'attractivité touristique et de patrimoine. À Angoulême, en Charente, la mise en valeur des remparts et la restauration de façades de logements d'immeubles privés ont elles aussi été accélérées par l'opération « Action coeur de ville ».

Devant notre délégation, Stéphane Bern appelle les maires à « défendre la restauration de leurs centres-villes et centres-bourgs plutôt que de soutenir la construction de maisons et de lotissements à l'extérieur. Le patrimoine est un cadeau, un héritage qu'il faut valoriser » .

Recommandation n° 3 : Profiter des interventions menées sur le patrimoine bâti architectural pour en faire un outil à part entière de valorisation économique : au service de l'emploi artisanal local, du dynamisme commercial et touristique, et de la revitalisation des centres-villes et des centres-bourgs.

C'est en ce sens que le patrimoine doit être perçu tel un élément à part entière de l'aménagement du territoire, et donc être pleinement intégré aux enjeux d'urbanisme local.

Cela est particulièrement vrai pour le « petit patrimoine », non protégé, dont la conservation peut passer par les documents d'urbanisme. La ville de Saint-Denis, par exemple, a réalisé un travail remarquable pour repérer et répertorier le petit patrimoine dans les documents d'urbanisme (en identifiant une voûte intéressante sur une maison, etc.), ce qui a permis d'en tenir compte lors de la réalisation de projets d'urbanisme, notamment pour la délivrance des permis de construire. D'autres communes développent ces bonnes pratiques, permettant ainsi de compléter plus largement l'échelle du patrimoine protégé.

Isabelle Manescau, présidente de l'Association nationale des Architectes conseils de l'État (ACE) estimait lors de son audition : « Les élus n'ont pas toujours conscience de tout ce qu'ils peuvent faire dans leur Plan local d'urbanisme (PLU), notamment dans les Orientations d'aménagement et de programmation (OAP) », recommandant un recours plus systématique aux ACE, qui assurent une mission d'information et de conseil auprès des élus, en particulier sur les études d'urbanisme. Son collègue Jean-Luc Hesters ajoute : « C'est un travail primordial car il y a un réel enjeu face aux PLU mal conçus ».

Cette méconnaissance de la part des élus locaux tient sans doute au caractère aujourd'hui facultatif des prescriptions de nature à assurer la protection ou la requalification des éléments patrimoniaux.

Recommandation n° 4 : Ne pas déconnecter la protection et la valorisation du patrimoine bâti architectural des enjeux d'urbanisme et d'environnement en inscrivant pleinement celui-ci dans un projet de territoire.

Au seuil d'une nouvelle mandature municipale, les maires auront, dès le début de leur mandat, à se soucier de l'élaboration des documents d'urbanisme. C'est à ce stade en effet qu'il conviendra d'agir dans les PLU et les Plans locaux d'urbanisme intercommunaux (PLUI), en développant une approche pluridisciplinaire de construction du territoire.

Recommandation n° 5 : Profiter de la nouvelle mandature municipale qui s'ouvre pour développer l'approche pluridisciplinaire faisant du patrimoine un élément à part entière de l'aménagement du territoire et l'intégrer plus systématiquement aux documents d'urbanisme.


* 1 « Les plus beaux villages de France », par exemple, émission animée par Stéphane Bern.

* 2 12 millions de français lors de la 36 e édition des 21 et 22 novembre 2019.

* 3 Source : Tableau 1 des chiffres-clés 2019 Patrimoines du ministère de la Culture et de la Communication (2017).

* 4 Source : Budget 2020 du ministère de la Culture.

* 5 Avis (n° 145, 2109-2020) au nom de la commission de la Culture, de l'Éducation et de la Communication sur le projet de loi de finances, Tome II par M. Philippe Nachbar, enregistré à la Présidence du Sénat le 21 novembre 2019.

* 6 Les immeubles protégés sont constitués pour près de 40 % d'architecture domestique et pour près de 35 % d'architecture religieuse, l'architecture strictement agricole représentant 1 % du total.

* 7 Source : Tableau 2 des chiffres-clés 2019 Patrimoines du ministère de la Culture et de la Communication (2017).

* 8 55 % des immeubles protégés au titre des monuments historiques sont situés dans des communes de moins de 2 000 habitants.

* 9 90 % des entreprises de restauration sont des entreprises locales.

* 10 Si les travaux se chiffrent au cas par cas en fonction des matériaux et des professionnels mobilisés (corps de métiers), on peut retenir à titre d'exemple que la restauration d'un mur en pierre de construction peut varier de 300 à 1 100 euros (prix au m), avec un prix moyen autour de 700 euros.

* 11 Mesnil-en-Ouche, commune nouvelle de l'Eure, par exemple, abrite non moins de 20 églises, qu'elle doit entretenir seule.

* 12 Journée organisée par les établissements scolaires et dédiée au patrimoine sous toutes ses formes.

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