B. LES QUATRE ORIENTATIONS ÉNONCÉES PAR LA COMMISSION EUROPÉENNE

1. Promouvoir deux objectifs décorrélés des marchés
a) Améliorer la sobriété énergétique

Un principe en forme d'adage est volontiers formulé à l'appui de toute économie d'énergie : « L'énergie la moins chère est celle que l'on ne consomme pas ». Dans un système énergétique dominé par l'utilisation de ressources importées, tout accroissement de la demande se traduit par une pression sur la balance des paiements, susceptible de compromettre la poursuite de la croissance. C'est pourquoi les choix permettant de rendre les activités économiques plus sobres en énergie tendent ipso facto à libérer la croissance. Pour avoir en effet durable, la réduction de la teneur du PIB en énergie doit être permanente. C'est à l'évidence vrai pour l'industrie et le secteur tertiaire - singulièrement l'informatique, pour faire fonctionner les ordinateurs et de climatisation pour les refroidir. Mais cela reste exact pour le chauffage des logements, puisqu'une éventuelle réduction nette des dépenses subies par les ménages améliore leur pouvoir d'achat, tout en favorisant une modération salariale favorable à la compétitivité. L'industrie allemande, compétitive s'il en est dans l'espace européen, est caractérisée notamment par sa productivité énergétique.

Productivité de l'énergie dans l'industrie allemande

Source commune : Office franco-allemand pour la transition énergétique

L'efficacité énergétique en Allemagne . Juin 2017

Parmi les textes du paquet d'hiver, deux propositions normatives au dispositif classique portent sur la sobriété énergétique 6 ( * ) .

b) Assurer l'essor des énergies renouvelables

La détermination du mix énergétique relève des seuls États membres, sauf accord unanime au Conseil. La Commission européenne ne peut donc leur imposer d'objectifs autres qu'indicatifs. C'est ce qu'elle a fait, tout en ajoutant un objectif « contraignant » pour l'ensemble de l'Union 7 ( * ) .

Par ailleurs, se positionnant sur le terrain des passations de marchés publics, la Commission européenne veut imposer aux États membres des appels d'offres « technologiquement neutres » en matière d'énergies renouvelables, comme s'il n'était pas nécessaire de faire mûrir diverses filières d'avenir, encore immatures aujourd'hui, mais à des degrés variables. Il est donc indispensable de modifier le paquet « Énergie propre pour tous les Européens » sur ce point, d'ailleurs difficilement compatible avec la souveraineté des États membres.

La Commission européenne établit implicitement une équivalence entre énergies de sources renouvelables et énergie décarbonée, alors que certaines énergies renouvelables sont émettrices de gaz à effet de serre. En outre, la filière électronucléaire est décarbonée. Parmi l'ensemble des États membres, la Suède, la France et la Finlande sont ceux dont le mix électrique est le moins émetteurs de gaz à effet de serre. Les deux premiers ont un mix fondé sur le nucléaire et l'hydraulique, le troisième fait un appel plus élevé à l'éolien et à la biomasse, tout en plaçant la filière nucléaire au premier rang de son mix . Globalement, la relation statistique entre mix électrique et émissions de gaz à effet de serre fait apparaître trois groupes d'États membres, déterminés en fonction de deux paramètres : la part globale cumulée de la filière nucléaire et des énergies renouvelables hors biomasse ; la part du charbon. D'autre part, les énergies renouvelables sont traitées comme un tout homogène, alors que les conséquences économiques de ces ressources sont éminemment variables selon qu'elles sont ou non intermittentes. La déconfiture des grands opérateurs allemands de l'électricité s'explique très directement par la déstabilisation de leur modèle économique, induite par l'irruption de la production intermittente à des moments déterminés par la météorologie, non par les besoins des consommateurs. Cet inconvénient majeur subsistera tant que le stockage à grande échelle d'électricité restera un objectif à atteindre.

Finalement, les énergies obtenues à partir de sources renouvelables n'ont en commun que l'absence de tout besoin d'importation pour faire fonctionner les installations en place, malheureusement à un prix de revient excessivement élevé 8 ( * ) , qui rend indispensable un régime de subventions.

2. Contenir le champ des politiques nationales en assurant le primat du marché, complété par les interdépendances entre États membres
a) Généraliser le primat du marché

Le principe de ce primat fut clairement énoncé par la Commission européenne dès le 5 novembre 2013, dans sa communication « Réaliser le marché intérieur de l'électricité et tirer le meilleur parti de l'intervention publique », où figure notamment l'affirmation suivante : « les pouvoirs publics compétents doivent avant tout laisser jouer les forces du marché pour réaliser les investissements appropriés ». Une philosophie identique apparaît dans les propositions relatives aux mécanismes de capacité 9 ( * ) , la Commission européenne optant de façon très claire pour la philosophie dite « market only » (« seulement le marché ») pour satisfaire en permanence la demande exprimée au prix du marché. Très significativement, la Commission complète ce dispositif en voulant supprimer le plafond de 3 000 euros par mégawattheure, actuellement en vigueur sur les marchés de gros européens.

Pour s'assurer que les éventuels mécanismes de capacité mis en place par certains États membres n'ont pas de finalité protectionniste, la Commission européenne exige que des capacités transfrontalières de production électrique soient intégrées aux dispositifs 10 ( * ) .

Cette dernière exigence est très cohérente avec l'orientation de la Commission européenne tendant à développer des interconnexions électriques entre États membres 11 ( * ) . Les objectifs atteignent, pour chaque État membre, au minimum 10 % de la capacité de production installée à l'horizon 2020, puis de 15 % à l'horizon 2030 12 ( * ) . Dans son second rapport sur l'Union de l'énergie, en date du 1 er février 2017, la Commission européenne a souligné que 11 des 28 États membres n'avaient pas atteint l'objectif de 10 % fixé pour l'horizon 2020. Parmi les 11 « retardataires », figurent notamment les cinq principaux producteurs et consommateurs d'électricité au sein de l'Union : l'Allemagne, la France, le Royaume-Uni, l'Italie et l'Espagne. Pourtant , les situations nationales sont extrêmement différentes . Ainsi, l'Allemagne manque de liaisons internes afin de relier de façon plus directe les éoliennes en mer du Nord et les industries automobiles fortement consommatrices d'électricité, implantées dans le sud du pays. L'Espagne a besoin d'interconnexions avec la France pour compenser la place des énergies intermittentes, mais elle manque également d'un réseau national suffisant.

Les exigences uniformes d'interconnexion peuvent donc sembler absurdes au regard des situations concrètes, mais il s'agit pour la Commission d'accroître le champ du marché. Son corolaire est le renforcement institutionnel de l'interdépendance entre États membres.

b) Développer les interdépendances institutionnelles entre États membres

La réforme proposée pour l'Agence de coopération des régulateurs de l'énergie (ACER) 13 ( * ) , qui deviendrait Agence de l'Union européenne pour la coopération des régulateurs de l'énergie, s'accompagnerait d'une double extension des compétences actuellement reconnues à cet organisme . En premier lieu, celui-ci pourrait intervenir pour « d'autres questions de réglementation de portée transfrontalière » (article 6 de la proposition). Cette mention particulièrement vague pourrait conduire à une extension illimitée du pouvoir attribué à l'ACER. En second lieu, cette agence devrait se pencher non seulement sur les questions qui « présentent une importance générale pour l'Union », mais aussi approuver des décisions applicables à des « régions » constituées par plusieurs États membres (article 7).

La portée de cette double extension des compétences serait renforcée par la réforme du Conseil des régulateurs, instance décisionnelle de l'ACER, dont les décisions seraient dorénavant prises à la majorité simple et non à la majorité des deux tiers des membres présents. Ainsi, la prise de décision serait facilitée au sein d'une entité dont le champ de compétence serait considérablement étendu. Celui des États membres en souffrirait d'autant plus que des « centres de conduite régionaux » devraient être créés.

La proposition de règlement sur le marché intérieur de l'électricité tend en effet à créer des « centres de conduite régionaux » couvrant plusieurs États membres, conformément à un découpage opéré par l'ACER 14 ( * ) . Ces centres régionaux regrouperaient les gestionnaires des réseaux de transport des États membres concernés.

Chaque centre régional à adresser aux gestionnaires nationaux des décisions contraignantes dans quatre domaines essentiels pour la sécurité d'approvisionnement : le « calcul coordonné des capacités », « l'analyse coordonnée de la sécurité », voire « le dimensionnement régional des capacités de réserve », enfin « le calcul de la capacité d'entrée maximale disponible pour la participation de capacités étrangères aux mécanismes de capacité » (article 38). Portant sur la sécurité d'approvisionnement, ces quatre domaines relèvent de la souveraineté des États membres, qui s'oppose au transfert d'une compétence nationale en faveur d'une structure dite « régionale ».

Soutenu par le Parlement européen, cet ensemble de dispositions a reçu au Conseil un accueil dépourvu d'enthousiasme, car les États défendent leur souveraineté, en attendant d'unir leurs moyens dans la recherche.


* 6 Les propositions de directive COM(2016) 761 et COM(2016) 765.

* 7 Voir la proposition de directive COM(2016) 767 relative à la promotion de l'utilisation d'énergie produite à partir de sources renouvelables et COM(2016) 759 sur la gouvernance de l'énergie.

* 8 Voir COMMISSION STAFF WORKING DOCUMENT. IMPACT ASSESSMENT Accompanying the document Proposal for a Directive of the European Parliament and of the Council on the promotion of the use of energy from renewable sources. SWD(2016) 418.

* 9 Proposition de règlement COM(2016) 861, articles 18 à 23.

* 10 Article 21 de la proposition de règlement COM(2016) 861 sur le marché intérieur de l'électricité.

* 11 Il en va de même pour les réseaux gaziers.

* 12 En outre, une stratégie spécifique a été élaborée à l'horizon 2050, dénommée e-Highway2050, avec à la clé, des investissements pouvant atteindre 400 milliards d'euros. Le Brexit devrait sensiblement alléger la facture, vu les renforcements de réseau envisagés en Grande-Bretagne...

* 13 Voir la proposition de règlement COM(2016) 863.

* 14 Proposition de règlement COM(2016) 861, articles 32 à 44.

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