B. UNE POLITIQUE ÉCONOMIQUE MOINS TOURNÉE VERS LE LIBRE-ÉCHANGE ?

1. Une ouverture en trompe-l'oeil ?

L'exploitation des hydrocarbures a permis à l'État algérien de rembourser la quasi-totalité de sa dette extérieure au cours des années 2000 (le stock atteint aujourd'hui 4 milliards d'euros, 2,7 % du PIB) et de faire croître ses réserves de change. Deux plans quinquennaux (2004-2009 et 2009-2014) ont dans le même temps eu pour ambition de diversifier et libéraliser l'économie. Une politique de grands travaux a ainsi été mise en oeuvre afin de moderniser les infrastructures alors que des mesures ont été adoptées pour encourager l'investissement privé.

Reste que cette ouverture attendue, matérialisée par l'accord d'association mais aussi par l'adhésion en 2009 à la zone arabe de libre-échange 2 ( * ) , n'a pas encore produit tous ses effets. Il convient en outre de relever l'absence de dynamique au sein de l'Union du Maghreb arabe (UMA), créée en 1989 qui réunit l'Algérie, la Libye, le Maroc, la Mauritanie et la Tunisie 3 ( * ) . Les échanges commerciaux de l'Algérie avec l'UMA ne représentaient en 2013 que 3,77 milliards de dollars, chiffre à comparer avec ceux concernant l'Espagne (10,33 milliards de dollars) ou l'Italie (9 milliards de dollars). La fermeture de la frontière terrestre entre l'Algérie et le Maroc et l'instauration concomitante d'une procédure de visa entre les deux pays depuis 1994 apparaissent comme les symboles de l'absence d'interconnexion dans cette région et les limites évidentes à la libre circulation des personnes et des marchandises 4 ( * ) . Cette fermeture contribue à l''inexistence d'un marché économique régional à la hauteur des enjeux. Le coût du non-Maghreb est d'ailleurs estimé entre 1 et 2 points de croissance pour chacun des États concernés. Le commerce entre les cinq pays de l'Union du Maghreb arabe (UMA) ne représente, quant à lui, que 3 % de leurs échanges globaux, ce qui en fait la région la moins intégrée au monde. L'annonce en février 2014 de l'établissement d'une zone de libre-échange entre l'Algérie et la Tunisie peut constituer une première approche pour conférer une nouvelle dynamique à l'UMA.

Cette absence d'unité fragilise même la logique de projets de l'Union pour la Méditerranée et notamment la livraison définitive de l'autoroute transmaghrébine, dont le coût est estimé à 670 millions d'euros. Elle traversera la Mauritanie, le Maroc, l'Algérie, la Tunisie et la Libye. Elle est composée d'un axe atlantique de Nouakchott à Rabat et d'un axe méditerranéen de Rabat à Tripoli passant par Alger et Tunis. 55 villes sont concernées par le tracé, soit 50 millions de personnes. Combinée à l'axe autoroutier Rabat-Tanger, la Transmaghrébine devrait faciliter les échanges avec le continent européen. Deux tronçons restent cependant à livrer. Il s'agit des plus délicats puisqu'ils doivent permettre de relier le Maroc et l'Algérie.

Plus largement, il est possible de s'interroger sur la réelle appétence des autorités algériennes pour le libre-échange, en l'absence de diversification de l'économie locale. Le pays n'exporte in fine que de l'énergie.

2. Une relation déséquilibrée avec l'Union européenne ?

L'Union européenne est aujourd'hui le plus grand partenaire commercial de l'Algérie. En valeur, le commerce bilatéral a augmenté de 136 % entre 2002 et 2014. Reste que cette progression est principalement imputable aux exportations de produits pétroliers et du gaz. Il a atteint environ 43 milliards d'euros en 2015 et 2016, en diminution de 4,6 % par rapport à 2014.

Les exportations algériennes représentent 20,9 milliards d'euros (65 % de ses exportations de marchandises). 99,7 % des exportations de l'Algérie vers l'Union européenne en 2015 consistaient en énergie et dérivés du pétrole et 0,3 % en produits agricoles.

Les exportations de l'Union européenne vers l'Algérie se composent, quant à elles, de produits industriels - machines, équipement électrique et équipement de transport, métaux de base, produits chimiques - (85,5 %) et produits agricoles (14,4 %). Ces exportations représentent 22,3 milliards d'euros (46,9 % des importations algériennes de marchandises). En 2015, l'Algérie a également exporté vers l'Union européenne des services pour 1,8 milliard d'euros et en a importé pour 3,4 milliards d'euros. Les investissements européens en Algérie sont estimés à 14 milliards d'euros, soit 40 % des investissements directs étrangers dans ce pays.

Il convient également de rappeler que la balance commerciale avec l'ensemble des pays du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord (MOAN) est, en matière agroalimentaire, largement favorable à l'Union européenne, l'écart s'étant même accru au cours des dernières années. Les exportations européennes ont quasiment doublé entre 2006 et 2011, passant de 4,9 milliards d'euros à 9,6 milliards d'euros, tandis que les importations européennes demeurent stables autour de 3,3 milliards d'euros sur la période. Toutefois, l'Algérie se tourne vers de nouveaux partenaires économiques, à l'image de la Chine. L'Algérie est aujourd'hui le premier partenaire commercial de la Chine (14,1 % de parts de marché), devant la France (10,9 % de parts de marché, contre 12,08 % en 2012) et l'Italie (8,5 % de parts de marché).

La nature des échanges commerciaux laisse de fait apparaître une dissymétrie entre l'Algérie, État rentier n'exportant que ses hydrocarbures, et l'Union européenne, puissance commerciale au panel de produits plus développé.

Le démantèlement des barrières tarifaires annoncé par l'accord d'association devait à l'origine être progressif. Immédiat pour 2 034 produits dans le domaine des matières premières et des biens d'équipements, il devait concernait 1 095 produits semi-finis au 1 er septembre 2012 puis 1 860 produits finis au 1 er septembre 2017. Des contingents étaient également prévus pour certains produits dans le domaine agricole, les réductions de droits de douane pratiquées par l'Algérie s'avérant cependant plus faibles que celles consenties par l'Union européenne.

Le gouvernement algérien a néanmoins rapidement estimé qu'une ouverture totale de ses barrières douanières pourrait fragiliser les productions du pays, principalement tournées vers le marché intérieur, et contribuer à la dégradation de sa balance commerciale. C'est dans ce contexte qu'il est possible d'analyser la lenteur des négociations pour parvenir à une libéralisation progressive des échanges. Les autorités algériennes ont ainsi gelé en 2010 les concessions tarifaires accordées à l'Union européenne. Cette stratégie a pu étonner tant la part de marché de l'Union européenne s'était légèrement dégradée entre 2005 et 2009 (52,79 % en 2009 contre 55,11 % en 2005), alors même que les importations en provenance de pays tiers ont considérablement augmenté sur la même période : + 176 % pour les produits en provenance de Chine et + 146 % pour les produits venus de Turquie. À l'inverse, les investissements directs étrangers en provenance de l'Union européenne ont été multipliés par 5 entre 2005 et 2008.

Ces entrées ont d'ailleurs pu être limitées par les restrictions imposées par la loi algérienne en matière d'accès des étrangers à la propriété et de rapatriement des bénéfices. Introduite en 2009 pour répondre à la crise économique et financière mondiale, la règle du 49/51 impose au moins 51 % d'intérêts algériens dans les projets économiques impliquant des étrangers 5 ( * ) . Ce dispositif suscite plus de difficultés pour les petites et moyennes entreprises qui souhaitent investir en Algérie que pour les grands groupes. Les PME doivent en effet trouver des partenaires fiables à leur échelle, dans un pays où le poids de l'économie informelle est estimé entre 30 et 40 %.

Le gel des concessions douanières en 2010 a été doublé d'une demande de révision des termes du démantèlement tarifaire. Huit sessions de négociations tenues entre 2010 et 2012 ont permis d'aboutir à une révision du calendrier de la levée des obstacles tarifaires au 1 er septembre 2012. Aux termes de ce calendrier révisé, l'élimination des droits de douane a été décalée de trois ans et devrait théoriquement intervenir au 1 er septembre 2020. Un accord a également été trouvé en matière agricole en juillet 2011. L'Algérie a ainsi accepté de rouvrir les contingents d'importations à tarifs préférentiels et de compenser les annulations des baisses de tarifs douaniers par une majoration de certains contingents d'importation.

Le scepticisme sur les avantages de l'accord de libre-échange reste cependant de mise. Le manque à gagner en droits de douane est déjà estimé par les économistes algériens à 1,27 milliard d'euros pour 2016 en raison de l'accord d'association. Par ailleurs, aux termes d'une évaluation de l'accord réalisée par l'Agence nationale de promotion du commerce extérieur (Algex), présentée en septembre 2015 pour le dixième anniversaire de son entrée en vigueur, l'Union européenne aurait exporté vers l'Algérie l'équivalent de 195 milliards de dollars en dix ans et n'en aurait importé que 12,3 milliards de dollars. Là encore, l'évolution récente tend à relativiser ce constat. Sur les quatre premiers mois de l'année 2017, les importations de la France, de l'Italie ou de l'Espagne ont ainsi régressé de 7 à 9 %. À l'inverse, on observe une progression des importations chinoises - + 17 % -, coréennes - + 15 % -, et turques - + 9 %. Ces importations ne semblent pas susciter de véritable débat, la mainmise de la Chine sur la plupart des marchés de travaux publics - à l'instar de la grande mosquée d'Alger - et d'ouvrages d'art ne semble pas remise en question, alors même que ces chantiers n'impliquent pas de recrutement au sein de la main-d'oeuvre locale - 40 000 Chinois oeuvrent en Algérie et des travailleurs nord-coréens sont également recrutés - et que la qualité de ces opérations est régulièrement remise en question.

Plusieurs lois algériennes sont venues confirmer la volonté de revenir sur les termes de l'accord d'association. La loi de finances pour 2014 avait déjà introduit des restrictions à la libre-circulation des produits ainsi que des modifications au régime applicable aux investissements étrangers dans le pays, favorisant les services et les produits locaux. Ces dispositions ont été complétées en janvier 2016 par des restrictions quantitatives et des obligations de licences d'importation visant les automobiles, le ciment et les ronds à béton. Les autorités algériennes justifiant ces mesures par le contexte économique et sécuritaire. La baisse des tarifs du pétrole, combinée à la crise agricole et à l'augmentation de ses dépenses militaires, a contribué en effet à dégrader son déficit commercial. L'objectif affiché est de rationaliser le commerce avec l'Union européenne afin de le rendre plus compatible avec les besoins et les capacités du marché algérien. Le dispositif a été reconduit début 2017 et a été élargi à 27 produits.

Ces mesures sont doublées, dans certains secteurs, par la mise en place de barrières non-tarifaires, à l'instar du refus de domicilier certaines opérations d'importation de produits agro-alimentaires. La pénalisation du monde des affaires, le poids de la bureaucratie et la lenteur de délivrance des certificats d'importation contribuent également à freiner les investissements européens sur place. Plusieurs entreprises européennes installées sur le territoire algérien font aujourd'hui état d'une absence de visibilité pour leur activité à moyen terme et d'une profonde insécurité juridique. Des phénomènes de corruption sont également observables 6 ( * ) .

Il n'est pas étonnant dans ces conditions que l'Algérie pâtisse d'une mauvaise image : elle est ainsi classée 156 ème sur 190 pays par la Banque mondiale dans son rapport Doing business 2017 sur le climat des affaires. Les doutes sur la valeur de la monnaie - le taux de change varie de 1 euro pour 120 dinars à 1 euro pour 193 dinars entre le marché aux changes officiel et celui, très développé, de la rue - contribuent également à cette mauvaise réputation. L'absence de certitude sur l'avenir politique constitue également un frein à l'investissement.

Ce protectionnisme plus ou moins assumé par les autorités suscite des réserves au sein de l'Union européenne. Certains États membres souhaitent en effet le lancement d'une procédure d'arbitrage, prévue à l'article 100 de l'accord d'association, pour pointer les entorses à son application. Au-delà même de l'accord d'association, il est possible de s'interroger sur les effets à long terme d'une telle politique qui peut apparaître à rebours de la volonté de moderniser et d'ouvrir le pays. La limitation des importations conduit à une baisse des recettes fiscales qui n'est pas compensée par la valorisation de la production locale, en large partie inexistante. Elle contribue directement au ralentissement économique observable depuis 2014 et menace les emplois directs et indirects créés par les entreprises européennes sur place ainsi que leurs investissements.


* 2 Mise en place en 2005, cette zone comprend 18 membres, issus de la Ligue arabe : Algérie, Arabie saoudite, Bahreïn, Comores, Égypte, Émirats arabes unis, Irak, Jordanie, Liban, Libye, Koweït, Maroc, Oman, Qatar, Soudan, Syrie, Territoires palestiniens, Tunisie et Yémen.

* 3 Les cinq États membres de l'UMA échangent régulièrement avec cinq États membres de l'Union européenne - Espagne, France, Italie, Malte et Portugal - dans le cadre du dialogue 5+5.

* 4 L'Algérie a souhaité fermer sa frontière terrestre suite à un attentat à Marrakech le 24 août 1994 commis par trois Franco-algériens à l'hôtel Asni , causant la mort de deux ressortissantes espagnoles et dont les autorités marocaines rendaient responsables les services de renseignement algériens. Plus largement, les deux pays s'opposent sur la question du Sahara occidental, Alger soutenant le droit à l'autodétermination revendiqué par les indépendantistes du Front Polisario .

* 5 En ce qui concerne les activités commerciales, la règle 30/70 a été appliquée jusqu'en 2013, avant d'évoluer vers la répartition 49/51.

* 6 Elle est par ailleurs au 108ème rang sur 176 au sein de l'Index de perception de la corruption de Transparency international .

Page mise à jour le

Partager cette page